Le premier livre de L'Ethique porte sur Dieu. Si Spinoza a dérangé les théologiens de
son époque, c'est parce qu'il proposait une conception d'un Dieu qui n'est ni un monothéisme
(Dieu est immanent et non transcendant), ni à proprement parler un athéisme. On trouve chez
Spinoza un panthéisme et un cosmopolitisme proches du stoïcisme : « Dieu, c’est-à-dire la
nature » (Deus sive natura), est une « substance » qui se déploie en fonction de modes (qui en
sont des effets, affections ou modifications de la substance divine) — lesquels constituent le
monde — et d’attributs (qui en découlent nécessairement) — lesquels sont en nombre infini,
même si nous n’en pouvons connaître que deux : l’étendue et la pensée, c’est-à-dire les corps
et les esprits. Cette conception originale permet à Spinoza de résorber le dualisme entre l’âme
et le corps, qui ne sont que deux aspects d’une seule et même substance divine, et aussi de
poser à nouveaux frais le problème du rapport entre la substance (Dieu et ses attributs, ou la
« nature naturante ») et les « accidents » de la substance (Dieu et ses modes, ou la « nature
naturée »).
Le second livre est consacré à l'Esprit. Du point de vue des attributs divins, il n’y a donc
qu’un seul monde possible, celui qui découle nécessairement des propriétés de la substance
divine. Les choses n'ont pas pu être produites autrement, ni dans un autre ordre. La
connaissance doit faire correspondre l'ordre des idées à celui des choses. La raison est donc à
la fois individuelle et universelle : l’esprit humain, capable de comprendre la structure de
l’univers, l’enchaînement des causes et des effets, s’unit au principe de tout dans un amour
qui est « joie » et « intelligence ». Cette compréhension intuitive des essences et de Dieu, sub
specie aeternitatis, est appelée par Spinoza connaissance du troisième genre, supérieure à la
connaissance par expérience vague ou par ouï-dire (connaissance dite du premier genre, la
seule qui puisse être cause de fausseté) et même à la connaissance des idées adéquates et des
proportions des choses (connaissance rationnelle au sens propre, dite du deuxième genre, qui
suit le modèle des mathématiques).
Le troisième livre de L’Ethique, consacré aux « passions », s’attache à déduire tous les
affects (comme par exemple la crainte, la pitié, la jalousie, le mépris, la gratitude, l’ambition,
le regret, etc.) à partir de trois affects premiers, en quelque sorte « axiomatiques », la Joie
(augmentation de puissance tendant vers plus de perfection), la Tristesse (diminution de
puissance) et le Désir (dont le moteur est le conatus, la persévérance dans l'être, et qui est à
l'origine des valeurs : on ne désire pas une chose parce qu'elle est bonne, mais c'est parce
qu'on la désire qu'on la juge bonne). L’aridité des démonstrations quasi-géométriques
contraste avec l’enracinement existentiel du texte, ainsi que la simplicité des thèmes abordés.
Spinoza considère en somme que la haine, la colère, l'envie, etc. ont des causes précises,
démontrables, dont la connaissance est indispensable au bonheur.
Les quatrième et cinquième livres portent sur la servitude et la liberté de l'homme. En tant
que corps, l'homme est un tout petit fragment de l'étendue infinie, et en tant qu'âme de la
pensée infinie. Il est d'abord un eslave. Croire que nous sommes entièrement libres nous ferait
ressembler à une pierre qui, mue par l'impulsion d'une cause extérieure et persévérant dans
son mouvement, croirait être l'auteur de son propre mouvement, être libre. L'amour
intellectuel de Dieu, qui n'est autre que l'intelligence elle-même, est ce qui permet de
comprendre l'enchainement des causes et des effets, condition du bonheur.
Cette doctrine permet d'agir conformément aux commandements de la nature divine sans
attendre que Dieu nous décore de suprêmes récompenses, elle enseigne à supporter tout ce qui
ne dépend pas de nous (cf. le stoïcisme), elle préconise de vivre en société en ne haïssant,
n'enviant ou ne mésestimant personne, et elle montre comment conduire les citoyens pour en
faire des êtres libres, qui font librement le meilleur.
Ce grand solitaire qu’était Spinoza était résolument optimiste, y compris en ce qui
concerne la sociabilité des êtres humains, qui sont tous des parcelles de la substance divine et
auxquels la société des autres hommes apporte plus de puissance et de liberté :