villes-poitou-charentes13213 - 20.1.14 - page 9 I La pe´riode gallo-romaine : e´mergence de Saintes et de Poitiers Avant la conquête romaine la région du Poitou et des Charentes, comme l’ensemble de la Gaule, est peuplée et active. Les circonstances ou les nécessités du moment peuvent amener les habitants à se concentrer dans des villes. Mais l’historien manque de renseignements précis, soit en raison de la rareté des traces et de la documentation, soit parce que la vigoureuse urbanisation romaine s’est superposée en les effaçant souvent à des structures antérieures moins développées et moins fonctionnelles. Avant même le début de l’ère chrétienne et à l’échelle de leur empire, les Romains commencent en effet la mise en place d’un vaste réseau de cités, particulièrement dense en Gaule entre Loire, Massif central et Garonne. La forte urbanisation romaine : pourquoi et comment À plusieurs reprises durant l’Antiquité de puissantes entités politiques avaient généré la naissance et le développement parfois prodigieux de cités nombreuses et imposantes. Les civilisations mésopotamienne, égyptienne, grecque sont en grande partie fondées sur la ville. Au début de notre ère l’urbanisation galloromaine se situe dans un cadre original. L’arrivée des Romains en Poitou et dans les Charentes Plusieurs années avant la guerre des Gaules et Alésia, les Romains occupent et pacifient le pays des Santons et des Pictons. villes-poitou-charentes13213 - 20.1.14 - page 10 10 les villes du poitou-charentes Ils ont d’autant moins de mal que ces populations redoutaient une invasion des Helvètes. À une époque de forte expansion territoriale de l’empire, Jules César s’intéresse à la région pour ses richesses et aussi parce qu’il voit en elle une base de départ pour ses expéditions bretonnes contre les Vénètes : les Santons vont fournir des bateaux aux Romains. Mais en 52 avant JésusChrist ils rejoignent ainsi que les Pictons la vaste coalition des peuples gaulois révoltés contre l’occupant. De durs combats se déroulent autour de Lemonum (Poitiers), un temps assiégé par les Gaulois, tandis qu’environ 12 000 Santons se dirigent vers Alésia. Après la défaite de Vercingétorix, les Romains rétablissent sans difficulté majeure leur autorité sur la Gaule et en particulier sur les pays situés entre Loire et Gironde. À des peuples meurtris par leur échec et lassés par les incessantes querelles intestines, ils apportent en effet la paix et l’ordre, la promesse d’un renouveau économique. Comme l’atteste entre autres le camp d’Aulnay, qui va perdurer jusque sous Tibère, au début du premier siècle de l’ère chrétienne, la présence militaire reste forte. Mais l’enracinement en profondeur de la romanité et son acceptation par les populations celtes sont en relation avec une organisation générale du pays nouvelle et prometteuse, où les villes jouent un rôle très important. L’ampleur de l’implantation urbaine Très rapidement le territoire se couvre d’un important réseau de villes. Elles sont aménagées sur l’emplacement de bourgades gauloises ou à leur proximité immédiate, parfois sont entièrement nouvelles. Certaines atteignent une dimension inconnue jusque là et brillent par leur allure et leur richesse. Quels sont les éléments d’explication ? Les fouilles et recherches diverses montrent la densité de l’occupation romaine entre Loire et Gironde. Elle s’explique par la diversité des ressources, en particulier agricoles, de pays aisés à parcourir en raison d’un relief le plus souvent apaisé. La modération du climat joue aussi un rôle, comme la position de trait d’union entre l’ensemble de l’Aquitaine d’une part, le bassin parisien et les pays armoricains de l’autre. L’existence d’une façade maritime présente par ailleurs un réel intérêt. Les Romains étaient de grands bâtisseurs. La naissance d’une constellation de cités, bien reliées les unes aux autres, correspond à plusieurs préoccupations. Dotée d’une garnison, la ville doit permettre d’assurer alentour l’ordre et la sécurité. Elle autorise aussi la mise en place d’une administration efficace. À ce sujet la villes-poitou-charentes13213 - 20.1.14 - page 11 la période gallo-romaine 11 nouvelle organisation territoriale respecte l’autonomie des deux peuples santon et picton, qui constituent chacun une civitas, à la fois entité territoriale et communauté de population. Mediolanum (Saintes) et Lemonum (Poitiers) en sont les chefs-lieux : cette fonction va beaucoup stimuler leur essor, d’autant plus que les Romains favorisent leur accès aux Gaulois, attirés par les belles perspectives du négoce et le développement de relations avec les divers responsables romains... Lorsque la province d’Aquitaine qui couvre l’ensemble du sud-ouest de la Gaule est créée, c’est Saintes puis Poitiers, bien avant Bordeaux qui en deviennent successivement la capitale. Leur rayonnement augmente alors considérablement. En raison de la densité de la vie de relation, les villes galloromaines se développent souvent là où le franchissement des cours d’eau est aisé. La Vienne, le Clain, le Thouet, la Sèvre, la Charente, des rivières moins importantes sont jalonnées d’unités urbaines qui contrôlent des ponts ou parfois de simples gués. Dans le même temps, les impératifs de sécurité ont conduit au choix, quand c’était possible dans des pays peu accidentés, de sites faciles à défendre : les oppidums de Poitiers, Angoulême, Pons ou Saintes sont des exemples probants. Pourtant, dans la mesure où la présence romaine va garantir longtemps la paix et la tranquillité, les cités nouvelles ne s’entourent pas systématiquement de remparts, au moins avant le Bas-Empire, et donc peuvent s’étaler dans l’espace. Comme dans tout l’empire, l’organisation urbaine est marquée par une floraison de structures et de monuments souvent imposants. À Saintes et à Poitiers en particulier, forum, temples, palais, amphithéâtre, voirie largement dimensionnée, sont censés représenter la toute puissance romaine, impressionner et séduire les populations locales. Sans qu’elle soit forcément voulue, la naissance de différents quartiers est en relation avec l’ampleur et la diversité des fonctions de la cité. Parmi celles-ci, la régulation de la circulation des hommes et des marchandises, dans l’organisation de cette partie de l’empire, est essentielle. Les voies romaines dans la région Le développement des villes et celui des voies romaines est en étroite corrélation. L’épanouissement des cités exige en effet une desserte routière de qualité, tandis que la rencontre des axes de circulation génère des carrefours dont l’importance stimule l’activité urbaine. Si souvent les itinéraires romains reprennent le tracé de chemins tracés par les Celtes, ils sont parfois nouveaux, comme les trois routes voulues par Agrippa, gendre de l’empereur villes-poitou-charentes13213 - 20.1.14 - page 12 12 les villes du poitou-charentes NANTES ANGERS Lhoumeau POITIERS TOURS Muron Fouras Bourges Tonnay-Charente St-Jeand’Ange¤ ly IŒ le Madame Aulnay St-Savinien Le Chapus EŁcoyeux Taillebourg Saintes Royan Le Fa“ (Talmont) Ge¤ mozac LIMOGES Herpes Cognac nte Ch. Bois nie¤ Pons PEŁRIGUEUX Jonzac de ron Gi Conac LYON Chare St-Cierssur-Gironde CAHORS BLAYE BORDEAUX COUTRAS 0 20 km Voie romaine certaine ou a' peu pre' s certaine Voie romaine probable ou hypothe¤ tique Les voies romaines dans la région. villes-poitou-charentes13213 - 20.1.14 - page 13 la période gallo-romaine 13 Auguste, qui divergent depuis Lugdunum (Lyon). L’une d’elles, d’orientation est-ouest, atteint les Charentes et Mediolanum. La qualité de ces voies est remarquable, comme l’attestent les nombreux vestiges qui subsistent. C’est qu’à l’échelle de l’immense empire leur rôle est essentiel, en fait triple : elles doivent permettre le déplacement aisé des légions. À cet intérêt militaire s’ajoute une fonction politique et administrative : la bonne circulation des responsables au plus haut niveau, des fonctionnaires, du courrier, garantit l’homogénéité du fonctionnement de la machine impériale. Enfin les routes permettent l’essor et la diversification de l’économie. Dans le Poitou et les Charentes leur réseau va pouvoir facilement se développer, en raison de l’extrême modération du relief. Comme ailleurs les tracés sont le plus souvent rectilignes ; aux vallées fréquemment sinueuses et inondables sont préférés les plateaux et les plaines. Ainsi aucun axe majeur ne suit le cours même de la Charente. Si d’autres villes comme Poitiers bénéficient d’une desserte satisfaisante, si plusieurs nœuds routiers émergent, c’est Saintes qui s’avère le carrefour le plus important, l’un des plus actifs de la Gaule. De tous les horizons de la Saintonge convergent vers Mediolanum une douzaine de route, dont certaines ont une vocation interrégionale, comme la voie d’Agrippa vers Lyon, déjà citée, ou les axes qui s’élancent vers Poitiers et Tours, Périgueux ou Bordeaux. Il n’est donc guère surprenant que la capitale des Santons soit longtemps, à l’époque romaine, la première des villes entre Loire et Gironde. Mediolanum : une des principales cités de la Gaule romaine Toutes les sources, tous les témoignages, comme celui du grand poète latin Ausone, le montrent : Saintes, active et peuplée, est l’une des principales villes de la Gaule romanisée et exerce dans l’espace un rayonnement considérable. Dans le paysage urbain actuel et dans le magnifique musée archéologique les indices concordants abondent. La naissance et l’essor Le géographe Strabon, qui termine sa vie au début du premier siècle de notre ère, est l’un de ceux qui permettent d’éclairer les conditions de l’éclosion et du rapide développement de Mediolanum. villes-poitou-charentes13213 - 20.1.14 - page 14 14 les villes du poitou-charentes Voie repe¤re¤ e Ne¤ cropole Four de potier Rempart du Bas-Empire Ch are nte Limite approximative de la ville Thermes St-Vivien (Cours National) Amphithe¤ atre (R.V.-Hugo) (C. R e¤ver seau x) Le Clousi Forum Providence (Av. Gambetta) 0 Mediolanum Santonum. Via Arc de Agrippa Triomphe 250 m villes-poitou-charentes13213 - 20.1.14 - page 15 la période gallo-romaine 15 Avant l’occupation romaine, il est probable ou possible que sur le site ait existé une cité celte, dont il ne reste rien aujourd’hui. La ville nouvelle surgit entre 40 et 20 avant Jésus-Christ. Les nouveaux maîtres apprécient d’emblée les avantages de la situation et du site. En effet, au cœur du pays des Santons, depuis Mediolanum il est possible de rayonner aisément vers la Bretagne, les pays de la Loire et du centre du bassin parisien, les régions rhodaniennes et le centre de l’Aquitaine. D’autre part la Charente est navigable, tandis que son franchissement bénéficie de l’appui des collines qui surplombent la rivière sur la rive gauche et constituent potentiellement un oppidum. Que l’autre rive, plate, inondable et marécageuse soit inhospitalière n’est pas un handicap, car la sécurité de la cité en direction de l’est est ainsi assurée... Dans ces conditions très rapidement la ville, établie sur la rive gauche et dotée d’un pont, devient un carrefour routier de premier ordre, centre d’une étoile très fournie de voies nouvelles. Alors que son économie est stimulée, sa montée en puissance se traduit dans le domaine administratif par sa confirmation comme chef-lieu de la région des Santons, puis sa désignation comme capitale de fait de l’immense Aquitaine, au détriment de Burdigala (Bordeaux). Ce rôle dominant dans le grand sud-ouest, Mediolanum va l’exercer jusque vers l’an 159, moment où Lemonum (Poitiers), semble prendre le relais. Pendant un siècle et demi, la cité joue donc dans la Gaule romaine un rôle directeur, avec entre autres Lugdunum (Lyon) à laquelle elle est directement reliée. Les infrastructures et la vie urbaine sont à la mesure de cette fonction. L’organisation urbaine générale Les estimations concernant la population totale de l’agglomération gallo-romaine à son apogée, au premier siècle de notre ère, sont incertaines et divergentes. Le chiffre de 10 000 habitants, qui revient souvent, est vraisemblable : pour l’époque il correspond à une ville de très grande taille, qui devait occuper une superficie de l’ordre de 130 hectares. Elle s’étale exclusivement sur la rive gauche de la Charente, sur des pentes qui la mettent à l’abri des divagations du fleuve et offrent des possibilités de défense. En fait la « pax romana » rend longtemps inutile l’érection de remparts, d’où une large extension en surface, vers l’ouest : les infrastructures et constructions de Mediolanum occupaient vraisemblablement une centaine d’hectares. Au-delà de l’escarpement qui domine la rivière le relief n’est que mollement ondulé, marqué par quelques vallons dont celui qui, au sud-ouest, va accueillir l’amphithéâtre. villes-poitou-charentes13213 - 20.1.14 - page 16 16 les villes du poitou-charentes Très peu de traces subsistent du réseau de rues. Il ne semble pas qu’il ait bénéficié d’un plan d’ensemble. Pourtant un tracé des voies en damier peut être relevé, par exemple sur le plateau de Saint-Vivien. L’axe principal était sans doute le prolongement, à l’emplacement de l’actuelle rue Victor-Hugo, de la via Agrippa venant de Lyon et empruntant l’unique pont : c’est la grande voie décumane, qui se poursuivait à l’ouest de la cité après sa rencontre avec un important axe méridien qui suivait l’actuel cours Reverseaux. Elle était tracée à une centaine de mètres environ au sud du grand axe d’aujourd’hui, constitué par le cours National. La place principale, le forum, devait se situer non loin du carrefour des actuels cours National, Lemercier et Reverseaux. Dans l’ensemble de l’agglomération l’habitat n’est pas homogène. Vers la périphérie, surtout au nord et à l’ouest, s’étalent des quartiers artisanaux, où travaillent entre autres des potiers. Réelle, l’activité portuaire se trouve concentrée vers l’extrémité nord de l’actuel quai de l’Yser. Les maisons sont modestes, simples cases d’une à trois pièces le plus souvent, aux murs d’argile et de bois, aux toits de chaume. Vers le centre de la cité, autour du forum, se retrouvent l’aristocratie romaine, les fonctionnaires, les riches commerçants, des notables santons. Les constructions, souvent des hôtels particuliers, sont beaucoup plus ambitieuses, en pierre, organisées autour de l’atrium. De beaux et imposants monuments Comme dans l’ensemble des cités romaines importantes, au premier siècle de notre ère les monuments foisonnent. S’ils correspondent parfois à des préoccupations fonctionnelles, ils sont censés aussi et surtout représenter la puissance et la splendeur de Rome. L’arc dit de Germanicus, bien conservé, se dresse de nos jours au centre de la place Bassompierre, sur la rive droite de la Charente. En fait il a été érigé soit à l’entrée soit vers le milieu du pont romain où aboutissait la voie venant de Lyon. Lors de la destruction de l’ouvrage, il a été sauvé par Prosper Mérimée, responsable des Monuments historiques, démonté puis reconstruit pierre par pierre à proximité, sur la terre ferme, entre 1843 et 1851. Plutôt qu’un arc de triomphe proprement dit c’est un arc votif, offert par Caius Julius Rufus, notable santon devenu citoyen romain, pour sans doute célébrer l’achèvement de la grande voie d’Agrippa traversant les Gaules. Une inscription le dédie à l’empereur Tibère et à ses fils Drusus et Germanicus, ce qui explique l’appellation traditionnelle du monument. D’une hauteur de 13 mètres, large de 15 mètres, il se compose, cas assez rare, de