364 Roberta Michnick GOLINKOFF et Kathy HIRSH-PASEK
Les enfants vivent dans un monde dynamique où les événements et les processus
sont définis en fonction des relations qui s’établissent entre objets et actions.
Lorsqu’un enfant entend, par exemple, «Ne monte pas là »,leverbemonte
concerne la relation entre un agent (l’enfant en cause) et quelque chose sur
lequel il s’apprête à monter (une bibliothèque, par exemple). L’enfant devra
donc déterminer la signification du mot monter en analysant le contexte auquel il
s’applique. La compréhension du processus d’apprentissage des verbes constitue
un volet essentiel de toute théorie globale d’acquisition du langage. Malgré tout,
force est de constater que la recherche sur le processus d’apprentissage des verbes
en bas âge n’en est qu’à ses débuts (Hirsh-Pasek et Golinkoff, 2006).
Les verbes peuvent être définis d’un point de vue syntaxique ou d’un point de
vue sémantique. D’un point de vue syntaxique, les verbes s’appliquent à des sujets
ou à des objets, ou aux deux, comme dans la phrase «Jean (sujet) a heurté Marie
(objet) ». Sur le plan sémantique, les verbes «[...] relatent des événements. Ce
sont des termes qui décrivent des états ou des conditions de vie... des processus
ou des déroulements... des actions ou des méthodes »(Frawley, 1992, p. 14). Les
verbes définissent donc des événements visibles (comme courir) ou des processus
invisibles (comme croire) et sont de nature essentiellement relationnelle puisqu’un
agent doit accomplir ou subir quelque chose.
LES VERBES SONT DIFFICILES À APPRENDRE
L’acquisition des termes relationnels – comme les verbes, les prépositions et les
adjectifs – accuse un retard sur celle des noms. Les recherches par observation révèlent
que dans de nombreuses langues, le vocabulaire primitif des enfants contient plus
de noms que de verbes (par exemple, Gentner, 2006 ; Bornstein et al., 2004). La
compréhension des verbes, lorsqu’ils apparaissent dans le langage de l’enfant,
peut être limitée. Une étude a notamment révélé que les enfants ne parvenaient
pas à distinguer les différentes formes d’un verbe (par exemple, go/went :«je
vais »/«nous sommes allés ») (Theakston, Lieven, Pine et Rowland, 2002). Les
expériences menées en laboratoire montrent aussi que comparativement aux noms,
les enfants ont du mal à apprendre les verbes et à étendre leur signification
à des situations nouvelles (par exemple, Golinkoff, Jacquet, Hirsh-Pasek et
Nandakumar, 1996 ; Imai et al., 2006) (voir encadré 1).
Les théoriciens ont tenté d’expliquer l’écart constaté dans l’apprentissage
des noms et des verbes en faisant appel à deux hypothèses concurrentes, soit
l’hypothèse des prérequis conceptuels (par exemple, Smiley et Huttenlocher, 1995 ;
Gopnik et Meltzoff, 1997) et l’hypothèse de la mise en correspondance (par exemple,
Gleitman, Cassidy, Papafragou, Nappa et Trueswell, 2005 ; Maguire, Hirsh-Pasek
et Golinkoff, 2006 ; Gentner et Boroditsky, 2001 ; Fisher, 2002 ; Naigles, 2002).
HYPOTHÈSE DES PRÉREQUIS CONCEPTUELS
Cette hypothèse suppose que l’enfant a du mal à apprendre les verbes parce
qu’il n’arrive pas à isoler les concepts événementiels encodés par les verbes. La