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Comment les touts-petits apprennent-ils les verbes ?
Roberta Michnick Golinkoff et Kathy Hirsh-Pasek
Enfance / Volume 2011 / Issue 03 / September 2011, pp 363 - 382
DOI: 10.4074/S0013754511003077, Published online: 26 September 2011
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Roberta Michnick Golinkoff et Kathy Hirsh-Pasek (2011). Comment les touts-petits
apprennent-ils les verbes ?. Enfance, 2011, pp 363-382 doi:10.4074/
S0013754511003077
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Comment les touts-petits apprennent-ils
les verbes ?
Roberta Michnick GOLINKOFF1et Kathy HIRSH-PASEK2
RÉSUMÉ
Toute théorie du langage doit tenir compte de la façon dont les enfants
apprennent les verbes, passage obligé vers la maîtrise de la grammaire. Mais
l’apprentissage des verbes n’est pas chose facile pour le jeune enfant. Le présent
article décrit et évalue deux hypothèses concurrentes qui permettent d’expliquer
ce phénomène, soit l’« hypothèse des prérequis conceptuels » et l’« hypothèse
de la mise en correspondance ». Les résultats des recherches donnent à penser
que les enfants possèdent les fondements conceptuels requis pour apprendre les
verbes, mais qu’ils ont du mal à établir la correspondance entre les verbes et ces
représentations. Selon le Modèle de la coalition émergente (MCE), les enfants,
en s’appuyant sur divers signes ou indices (perceptuels, sociaux et linguistiques)
qu’ils pondèrent différemment à divers stades de leur développement, arrivent
à « superposer » les mots au monde qui les entoure. Le Modèle de la coalition
émergente nous permet de suivre la démarche d’apprentissage des verbes dans le
temps et de fixer un cadre plus global au processus d’acquisition du vocabulaire.
MOTS CLÉS :ACQUISITION DU LANGUAGE, VERBES, CONCEPTS, FAST MAPPING,
SÉMANTIQUE
ABSTRACT
What does it take for a child to learn a verb?
Any theory of language must account for how children learn verbs, the gateway
to grammar. Yet verbs are difficult to learn. Here, two competing hypotheses
to explain this phenomenon are introduced and evaluated: The “conceptual
prerequisites hypothesis” and the “mapping hypothesis.” Results suggest that
young children possess the conceptual foundations necessary to learn verbs, but
have trouble mapping verbs onto these representations. Under the Emergentist
Coalition model, children recruiting multiple cues (perceptual, social, and
linguistic), weighted differently across developmental time, map word-to-world.
This model allows us to track the course of verb learning over time and provides
the field with a more comprehensive framework for vocabulary development.
KEY-WORDS: LANGUAGE ACQUISITION, VERBS, CONCEPTS, FAST MAPPING, SEMANTICS
1School of Education, University of Delaware, Newark, DE 19716, [email protected].
2Department of Psychology, Temple University, Philadelphia, PA 19122, khirshpa@
temple.edu
Cet article est une adaptation d’un article publié par les auteures en 2008 dans la revue Trends
in Cognitive Sciences. Traduction francaise : Danielle Verrier
nfance n3/2011 |pp. 363-382
364 Roberta Michnick GOLINKOFF et Kathy HIRSH-PASEK
Les enfants vivent dans un monde dynamique où les événements et les processus
sont définis en fonction des relations qui s’établissent entre objets et actions.
Lorsqu’un enfant entend, par exemple, «Ne monte pas là »,leverbemonte
concerne la relation entre un agent (l’enfant en cause) et quelque chose sur
lequel il s’apprête à monter (une bibliothèque, par exemple). L’enfant devra
donc déterminer la signification du mot monter en analysant le contexte auquel il
s’applique. La compréhension du processus d’apprentissage des verbes constitue
un volet essentiel de toute théorie globale d’acquisition du langage. Malgré tout,
force est de constater que la recherche sur le processus d’apprentissage des verbes
en bas âge n’en est qu’à ses débuts (Hirsh-Pasek et Golinkoff, 2006).
Les verbes peuvent être définis d’un point de vue syntaxique ou d’un point de
vue sémantique. D’un point de vue syntaxique, les verbes s’appliquent à des sujets
ou à des objets, ou aux deux, comme dans la phrase «Jean (sujet) a heurté Marie
(objet) ». Sur le plan sémantique, les verbes «[...] relatent des événements. Ce
sont des termes qui décrivent des états ou des conditions de vie... des processus
ou des déroulements... des actions ou des méthodes »(Frawley, 1992, p. 14). Les
verbes définissent donc des événements visibles (comme courir) ou des processus
invisibles (comme croire) et sont de nature essentiellement relationnelle puisqu’un
agent doit accomplir ou subir quelque chose.
LES VERBES SONT DIFFICILES À APPRENDRE
L’acquisition des termes relationnels – comme les verbes, les prépositions et les
adjectifs – accuse un retard sur celle des noms. Les recherches par observation révèlent
que dans de nombreuses langues, le vocabulaire primitif des enfants contient plus
de noms que de verbes (par exemple, Gentner, 2006 ; Bornstein et al., 2004). La
compréhension des verbes, lorsqu’ils apparaissent dans le langage de l’enfant,
peut être limitée. Une étude a notamment révélé que les enfants ne parvenaient
pas à distinguer les différentes formes d’un verbe (par exemple, go/went :«je
vais »/«nous sommes allés ») (Theakston, Lieven, Pine et Rowland, 2002). Les
expériences menées en laboratoire montrent aussi que comparativement aux noms,
les enfants ont du mal à apprendre les verbes et à étendre leur signification
à des situations nouvelles (par exemple, Golinkoff, Jacquet, Hirsh-Pasek et
Nandakumar, 1996 ; Imai et al., 2006) (voir encadré 1).
Les théoriciens ont tenté d’expliquer l’écart constaté dans l’apprentissage
des noms et des verbes en faisant appel à deux hypothèses concurrentes, soit
l’hypothèse des prérequis conceptuels (par exemple, Smiley et Huttenlocher, 1995 ;
Gopnik et Meltzoff, 1997) et l’hypothèse de la mise en correspondance (par exemple,
Gleitman, Cassidy, Papafragou, Nappa et Trueswell, 2005 ; Maguire, Hirsh-Pasek
et Golinkoff, 2006 ; Gentner et Boroditsky, 2001 ; Fisher, 2002 ; Naigles, 2002).
HYPOTHÈSE DES PRÉREQUIS CONCEPTUELS
Cette hypothèse suppose que l’enfant a du mal à apprendre les verbes parce
qu’il n’arrive pas à isoler les concepts événementiels encodés par les verbes. La
Comment les touts-petits apprennent-ils les verbes ? 365
nature différente des référents liés aux noms et aux verbes permet de mieux
apprécier les défis auxquels l’enfant peut être confronté. Il y a d’abord le fait
que les premiers noms appris par l’enfant tendent à désigner des réalités stables,
tandis que certains verbes décrivant des événements ou des processus peuvent
durer – littéralement – le temps d’un clin d’œil (comme, cligner des yeux ; Gentner et
Boroditsky, 2001). Ensuite, une action comme courir est accomplie différemment
chaque fois qu’une même personne se lance dans une course et de façon très
différente d’une personne à l’autre (Golinkoff et al., 2002), ce qui oblige l’enfant
à ne pas lier l’action de courir à un contexte précis, mais plutôt à former des
catégories d’actions dynamiques regroupant les événements décrits par les verbes.
Finalement, tandis que les noms peuvent désigner un objet complet ou une
partie d’objet, les verbes désignent les différents sous-événements d’un événement
unique (Talmy, 1985). Pour apprendre les verbes, l’enfant doit séparer les
différentes composantes d’un événement. Ainsi, une scène représentant une
femme qui sort d’une maison en courant comprendra un sujet (la dame), un
parcours (la trajectoire empruntée par celle-ci), un objet de référence (la maison)
et une manière d’agir (soit la façon dont l’action est accomplie, c’est-à-dire à la
course).
L’HYPOTHÈSE DE LA MISE EN CORRESPONDANCE
La quantité considérable de données comprises dans un événement rend son
interprétation difficile pour un jeune enfant dans la mesure où les verbes ne sont
pas des «séquences verbales filmées d’événements »(Slobin, 2003, p. 159). Les
enfants doivent déterminer quelles composantes de l’événement sont comprises
dans les verbes utilisés dans leur langue. L’espagnol et l’anglais, par exemple,
décrivent différemment la sortie d’un lieu. Un locuteur hispanophone dirait
probablement une phrase comme celle-ci : Una mujer salió de la casa (corriendo)
(Une femme est sortie de la maison, [sous entendu : en courant]), en utilisant un
verbe de trajectoire. Un locuteur anglophone dirait plutôt : A woman ran out of the
house (Une femme a couru hors de la maison), en utilisant un verbe de manière (elle
acouru) complété par une locution prépositionnelle précisant d’où cette femme
venait (out of the house [hors de la maison]). L’espagnol et l’anglais disent «»
et «comment »se déroulent les événements, mais pour ce faire, l’anglais utilise
beaucoup plus de verbes de manière que l’espagnol.
Mais il ne suffit pas pour l’enfant d’apprendre la façon dont sa langue codifie
la signification des verbes. Les énoncés auxquels l’enfant est exposé posent en
effet d’autres problèmes en ce qui concerne la mise en correspondance des
verbes. Précisons d’abord que les langues diffèrent selon que les arguments
(sujets, compléments d’objet, etc.) qui accompagnent les verbes doivent ou non
être exprimés. En anglais, les arguments doivent être exprimés (comme le sujet
dans l’exemple Its raining [il pleut]), tandis que le chinois permet de les omettre,
ce qui oblige l’enfant à déduire la signification du verbe à partir du contexte
extralinguistique. En second lieu, l’information fournie à l’enfant par les verbes
est plus variable que l’information rattachée aux noms. Les parents des enfants
nfance n3/2011
366 Roberta Michnick GOLINKOFF et Kathy HIRSH-PASEK
anglais ou chinois ont tendance à donner le même nom à des objets solides de
même forme, ce qui permet aux enfants de développer une méthode heuristique
pour se représenter les noms. Par contre, quand ils utilisent des verbes, ces mêmes
parents codifient une grande variété de relations conceptuelles comportant
différents arguments de verbe dans différentes circonstances (Sandhofer, Smith
et Luo, 2000).
Certains théoriciens ont avancé l’idée que la mise en correspondance des
verbes peut constituer le principal obstacle que rencontrent les enfants dans
l’apprentissage d’une langue, puisque contrairement aux noms, les verbes sont
essentiellement relationnels.
CE QUE RÉVÈLENT LES RECHERCHES :LHYPOTHÈSE DES
PRÉREQUIS CONCEPTUELS
Est-ce que les enfants en bas âge perçoivent et catégorisent les événements non
linguistiques d’une manière qui concorde avec les composantes véhiculées par les
verbes ?
Différenciation et catégorisation des notions de contenance, de
support et d’ajustement
La notion de contenance, correspondant à la préposition in en anglais, s’applique
à un objet qui est situé «dans un espace partiellement ou totalement clos »
(Mandler, 2004, p. 78, 22). La préposition «sur »(on en anglais) décrit une relation
spatiale où une figure repose sur la surface externe d’un objet de référence, ou
est fixée à lui ou l’encercle. L’idée véhiculée par les prépositions «dans »et «sur »
s’exprime par un verbe dans la langue coréenne (Choi, 2006), comme le degré
d’ajustement (degree-of-fit), une notion qui n’est pas lexicalisée en anglais. Le deg
d’ajustement décrit la relation entre des surfaces qui s’emboîtent (par exemple, le
capuchon d’un stylo est ajusté serré, tandis qu’une pomme posée dans un bol à
fruits se trouve insérée dans un espace relativement vaste.).
Pour les enfants éduqués en anglais, ces notions sont comprises vers l’âge
de 2,5 mois. À 6 mois, les enfants peuvent classer ces relations en catégories
(Casasola, Cohen, Chiarello, 2003 ; Casasola, 2008 ; fig. 2).
Trajectoire et manière. La notion de trajectoire apparaît tôt dans l’expression
des verbes. Dès l’âge de 7 mois, les enfants éduqués en espagnol et en anglais
peuvent différencier des événements selon la trajectoire suivie et la manière
d’agir des acteurs (Pulverman, Hirsh-Pasek, Golinkoff, Pruden et Salkind, 2006 ;
Pulverman, Golinkoff, Hirsh-Pasek et Buresh, 2008) (fig. 3). À 9 mois, les
enfants classent en catégories des trajectoires accomplies de la même façon, mais
de manière différente (par exemple, au-dessus ou en dessous d’un objet de
référence) ; à 13 mois, ils créent des catégories de manières (par exemple, plier
ou tordre) (Pruden, 2007 ; Pruden Hirsh-Pasek, Golinkoff et Hennon, 2006).
Trajectoires d’origine et de destination. Les trajectoires évoquées ci-dessus
n’impliquent pas l’atteinte d’un but, mais sont plutôt des voies de passage (VIA),
la figure observée par le sujet se déplaçant au-delà d’un objet de référence. Dans
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