Le Serment d’Hippocrate et les sources philosophiques de l’éthique médicale
Écrit par Jean LOMBARD (ancien élève de l’E.N.S, inspecteur d’académie, docteur d’Etat en philosophie)
Mardi, 07 Février 2012 00:00
Sans doute est-ce même une caractéristique de la modernité. L’innovation semble apporter
avec elle son propre idéal: à monde nouveau, éthique nouvelle, en quelque sorte. Comme si la
vie et la mort, l’espoir et la souffrance, la destinée et le soin dispensé à l’homme par l’homme,
pour ne parler que du domaine de l’éthique médicale, n’étaient pas les mêmes notions dans la
Grèce ancienne et aujourd’hui, par delà toutes les avancées du savoir et des techniques. Car si
cette identité n’était pas absolue, tremblerions-nous en regardant une tragédie grecque? C’est
pourquoi on peut mettre au rang des grands chocs - pas toujours positifs - qu’une lecture peut
occasionner, celui que donne la toute première page du livre de Beauchamp et Childress, Les
principes de l’éthique biomédicale
[4]
.
Il est frappant que cet ouvrage, présenté comme un classique, comme une référence radicale
de la bioéthique triomphante, procède dès ses vingt premières lignes à la mise en cause de ce
qui constitue le fondement de l’éthique médicale de l’Occident depuis la Grèce ancienne. La
thèse des auteurs, selon leurs propres termes, est que les textes antiques d’éthique médicale,
ceux qui ont assuré la continuité de l’éthique depuis Hippocrate jusqu’au XXème siècle, sont
bien «une mine de réflexionssur la relation entre le professionnel de santé et le patient » mais
sont inappropriés pour l’éthique biomédicale contemporaine», en raison des avancées de la
biologie et de la médecine. Il leur est reproché d’ignorer les «problèmes concernant la vérité,
l’intimité, la justice, la responsabilité collective»
[5]
. Comment admettre que la philosophie antique, fût-elle considérée dans sa seule application à
l’éthique médicale, aurait été incapable de penser la vérité et la justice, deux idées essentielles
longuement analysées dans l’œuvre de Platon, qui a été le premier à les énoncer
conceptuellement au nom de l’Occident? Quant à l’
intimité
, c’est une notion qui est présente dans quantité d’écrits du corpus hippocratique
.
Pour ce qui est, enfin, de la «responsabilité collective», on est fondé à se demander comment
elle aurait pu échapper à ceux qui ont inventé et si finement analysé la démocratie - à moins
qu’on vise à travers le mot
collective
la pseudo-problématique contemporaine si commune, si insipide et si vide, du
travail en équipe.
Devant cette suspicion jetée sur la pensée grecque, dont même notre monde technique est issu
[6]
,
l’éthique médicale semble être le meilleur terrain pour réaliser une mise en contrepoint de
l’Antiquité et de la modernité.
Les
textes de la philosophie antique nous permettent en effet, malgré l’âge avancé de l’éthique
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