anglais se trouve dans l'Essai sur l'entendement humain de John Locke (1690).
Dans la traduction française de cet ouvrage, parue en 1700, Pierre Coste
traduit « the self » par « le soi ». Il explique dans une longue note comment il a
été contraint de construire ce néologisme en français, pour répondre à la propre
invention de Locke en anglais, qui réservait le terme de « soi » pour désigner la
réflexivité chez les êtres conscients.
La seconde source est dans The Science of Life des biologistes britanniques
Julian Huxley et George Wells et de l'écrivain Herbert Wells, paru en 1929. Cet
ouvrage se clôt par un chapitre qui utilise le terme « self » pour penser
l'analogie, entre l'organisme et le soi psychologique tel que le définissaient
Freud et Jung. Dans le courant des années 1930, l'Australien Frank Macfarlane
Burnet, sans doute l'immunologiste le plus influent du XXe siècle, lit ce livre et
voit tout de suite dans ce « soi » le bon concept pour rendre compte de ce qui
le préoccupe alors : la capacité pour un organisme de reconnaître ce qui lui est
étranger et de le rejeter , comme cela avait été observé dans les greffes
d'organe.
Le concept de système immunitaire est-il défini précisément ?
Non. C’est très difficile de le faire pour deux raisons. La première, biologique,
est que c’est un système très distribué, avec quelques organes (le thymus, la
rate…) mais surtout des centaines de millions de cellules circulant dans le sang
et la lymphe, ainsi qu’un nombre considérable de molécules. La seconde,
philosophique, est que l’on ne sait pas bien définir ce que l’on entend par
« immunitaire ». En général, les chercheurs disent que l’immunité est la
défense contre les pathogènes extérieurs. Cette définition est à l’évidence
insuffisante puisque le système immunitaire attaque aussi des tumeurs qui font
partie du corps et n’ont rien d’extérieures.
Par ailleurs, le système immunitaire interagit constamment avec les bactéries
symbiotiques intestinales et les tolère activement, ce qui montre clairement que
le système immunitaire est loin d’interagir uniquement avec des entités
pathogènes. Enfin, cette définition dissimule en réalité souvent une tautologie,
qui définit ce qui est pathogène comme ce qui active le système immunitaire et
le système immunitaire comme ce qui réagit contre les pathogènes. C’est une
grande vertu de la définition précise des termes employés en science que de
faire apparaître les tautologies.
Existe-t-il, outre celle que vous développez autour de l’idée de
discontinuité, des théories alternatives à celle du soi et du non-soi en
immunologie ?
L’immunologiste américaine Polly Matzinger a proposé au début des années
1990 la théorie du danger selon laquelle le système immunitaire réagit contre
tout ce qui provoque des dommages dans le corps. Cette théorie est
intéressante mais pose un problème : comment le système immunitaire peut-il
« savoir » ce qu’est un danger ? Comment peut-il « reconnaître » une tumeur
ou « détecter » un pathogène ? La théorie du danger elle-même s’est laissée
enfermer dans un risque de tautologie.
Plus généralement, les immunologistes ont très souvent une conception
cognitive du système immunitaire, qui serait – c’est le vocabulaire qu’ils utilisent
– capable de savoir , reconnaitre, détecter… Ce vocabulaire est
problématique. Il me paraîtrait préférable de parler , par exemple, en termes
d’affinités biochimiques spécifiques, en laissant de côté ces connotations
cognitives. Bref, il est pour moi clair qu’il est important de s’atteler à définir
précisément ce que l’on entend par immunité et système immunitaire et que, là
encore, seule une coopération active entre scientifiques et philosophes rendra
ce travail possible.
A lire :
Que suis-je : la philo bouscule la biologie (/sciences/article/2013/11/18/que-suis-je-la-philo-