Nemer H. N. Ramadan est un intellec-
tuel musulman d’origine libanaise. Il
vit au Québec depuis 14 ans. Il termi-
ne un doctorat en sciences politiques
à l’Université du Québec à Montréal. Il
est citoyen canadien.
Les arguments de ceux qui s’oppo-
sent souvent émotivement et parfois fu-
rieusement au rapport de l’ancienne
ministre ontarienne Marion Boyd, qui
recommande à l’Ontario d’accepter les
tribunaux d’arbitrage islamiques en
matière familiale, ont choqué Nemer
Ramadan. Profondément. Tellement
qu’il a pris sa meilleure plume pour ré-
pondre de façon musclée dans les pa-
ges du Devoir aux opposants au rap-
port Boyd. Les réponses des lecteurs
ont montré que le sujet touche une cor-
de sensible.
Tout ce débat et les arguments de
M. Ramadan ont alerté les organisa-
teurs de la série de débats Participe
présent, présentée chaque mois au Mu-
sée de la civilisation en collaboration
avec LE SOLEIL, la radio de Radio-Ca-
nada, l’Université Laval et la librairie
Pantoute. Lundi, Nemer Ramadan sera
invité, avec d’autres, à répondre essen-
tiellement à deux questions :
1- Nos institutions doivent-elles tenir
compte des préceptes de l’islam?
2- Les 600 000 musulmans du Cana-
da devraient-ils pouvoir se gouver-
ner selon la loi de l’islam, en matière
familiale?
Le jeune citoyen canadien d’origine
libanaise n’en revient pas des fausses
idées que ce débat permet de véhicu-
ler, dans les journaux québécois en
particulier.
Pour lui, les mots «islamistes » et
«islamisme» prêtent à confusion dans
l’opinion publique. «La vérité de l’is-
lam, dit-il en entrevue, c’est une im-
mense majorité de musulmans et une
petite minorité d’intégristes ou d’ex-
trémistes», style talibans ou style ter-
roristes, dit-il.
Il met en garde les Québécois contre la
tentative de certains ennemis des Ara-
bes de diaboliser tout l’Islam et tout le
monde musulman sans discernement.
Il cite l’écrivain français Thierry
Hentsch et son livre L’Orient imagi-
naire (éditions de Minuit, 1988) : «Le
sentiment antiarabe et antimusulman
représente une des plus fortes répul-
sions irraisonnées de l’Occident
contemporain... L’Arabe et le musulman
ont en quelque sorte remplacé le juif...»
Pour avoir l’heure juste, Nemer Ra-
madan suggère de lire ce qui est pour
lui l’ouvrage de base, la référence sur
le sujet, publié à la fin des années 60 et
traduit en français en 1992. Le titre:
Islam et Occident. L’auteur: Norman
Daniel.
L’intellectuel musulman qui vit et
travaille à Québec suggère aussi de
consulter deux sites Internet musul-
mans où, dit-il, on retrouve une plura-
lité d’opinions provenant notamment
des cinq écoles juridiques que compte
l’islam: www.muslim-canada.org et
www.islamonline.net (les deux sites
sont en anglais).
Nemer Ramadan n’accepte pas l’idée
de son homonyme genevois et agitateur
de mosquées en Europe Tariq Rama-
dan (sans aucun lien de parenté), à l’ef-
fet que «l’Islam et l’Occident chrétien
sont en lutte pour un leadership plané-
taire» et que tout commence par un «Is-
lam politique et européen.»
Pour Nemer Ramadan, il n’y a qu’un
seul Islam. Il n’est ni religieux, ni poli-
tique. La question de la séparation des
Églises et de l’État n’existe pas. Et
tout serait beaucoup plus simple si les
Occidentaux comprenaient une fois
pour toutes que «dans la vision islami-
que, l’Islam est un système complet en
soi, en ce sens qu’il englobe la vie po-
litique, économique, juridique et cul-
turelle de la société».
Le doctorant en sciences politiques
croit qu’un discours haineux antimu-
sulman a faussé en Occident l’image
de l’Islam et en particulier des États
musulmans qui appliquent la loi cano-
nique islamique ou charia.
«Certains Occidentaux, dit-il, croient
encore que le mot charia signifie lapi-
dation en public des femmes adultères
et mutilation sur la place publique des
voleurs. Ces pratiques sont d’un autre
âge et n’ont jamais été aussi courantes
qu’on a pu le dire.»
M. Ramadan admet que la charia
permet la polygamie, mais il précise
que rien n’est aussi simple. «La poly-
gamie, précise-t-il, n’est pas et n’a ja-
mais été très répandue dans l’Islam.
Les cas de polygamie sont toujours
des cas exceptionnels.»
Quant au droit du mari de «corriger
sa femme en cas de désobéissance», il
explique qu’il faut tenir compte de
l’esprit du message coranique. «Il
s’agit, dit-il, d’une image allégorique
qu’on comprend mieux en consultant
le texte original».
Nemer Ramadan aime bien citer
une enquête américaine réalisée au-
près de femmes qui ont quitté la reli-
gion catholique ou protestante pour
se marier à un musulman et adopter
la religion de leur mari. Une majori-
té de ces femmes disent avoir trouvé
plus d’authenticité, de pureté, dans
le message original islamique que
dans le message chrétien qu’elles
qualifient de «dilué ».
L’intellectuel musulman fait aussi re-
marquer, pour revenir au rapport Boyd,
que «ce n’est pas un hasard si les fem-
mes musulmanes sont celles qui récla-
ment le plus l’application équilibrée de
la charia dans les pays musulmans.»
LE SAMEDI 8 JANVIER 2005
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LOUIS-GUY LEMIEUX
■«Il n’y a pas de complot pour imposer la loi islamique aux Cana-
diens. Ce qui se passe en Ontario est simple et transparent : un groupe
de musulmans, réunis autour de l’Institut islamique de justice civile
(IIJC), souhaite profiter de l’actuelle loi ontarienne qui permet déjà
aux catholiques et aux juifs d’appliquer les préceptes de leur religion
dans les litiges familiaux.»
DÉBAT PARTICIPE PRÉSENT
«Il n’y a pas de complot »
L’intellectuel Nemer Ramadan déplore
les «fausses idées» sur les tribunaux
islamiques au Canada
LE SOLEIL, PATRICE LAROCHE
Le Libanais d’origine Nemer Ramadan sera parmi les invités au débat Participe
présent qui se tiendra lundi au Musée de la civilisation.