Apprendre à philosopher dès le cycle II

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IUFM DE BOURGOGNE
Mémoire professionnel de PE2.
Apprendre à
philosopher dès le
cycle II
Laguillaumie Johanne
M. DURAND
Année 2004
N°0261211A
SOMMAIRE
Introduction
I)
___________________________________________________ p.2
De quelle philosophie parlons-nous ?__________________________ p.3
1)
2)
3)
4)
Est-il possible de faire de la philosophie à l’école primaire ? ________
Définition de « philosopher ». ________________________________
Quelles sont les conditions de la réflexion philosophique ? _________
Qu’est-ce que faire de la philosophie avec les enfants ? ___________
a) Les courants de la philosophie pour enfant.___________________
b) Les compétences développées et acquisitions._________________
II) Pourquoi faire de la philosophie à l’école ? Objectifs
et intérêts._____________________________________________________
p.3
p.4
p.6
p.7
p.7
p.10
p.12
1) Une pratique en accord avec les instructions officielles___________ p.12
a) Domaine du développement de la pensée et du langage.__________ p.12
¾ L’oral au service de la construction de la pensée._______________ p.12
¾
La discussion philosophique au service du développement de
compétences langagières. ______________________________
b) Domaine de l’éducation à la citoyenneté_____________________
2) Pourquoi philosopher si jeune? _______________________________
a) Pour un meilleur développement des compétences liées
à la discussion philosophique._____________________________
b) Pour que l’enfant se construise et structure sa personnalité.______
c) Pour donner plus de sens aux apprentissages par un autre
rapport aux savoirs.___________________________________
3) Progrès des élèves… _______________________________________
a) … dans toutes les disciplines______________________________
b) … au sein même l’atelier_________________________________
III)
p.12
p.14
p.15
p.15
p.15
p.15
p.17
p.17
p.18
Comment mettre en place un atelier de philosophie ? _________ p.20
1) La préparation____________________________________________ p.20
a) Présenter et expliquer aux parents _______________________ p.20
b) Présenter et expliquer aux enfants________________________ p.20
c) Choisir un sujet et faire des recherches. ___________________ p.21
2) Trois modalités pour la mise en place d’une pratique de la
philosophie dans sa classe. _____________________________________ p.21
3) Les divers supports ________________________________________ p.22
a) Le thème, la question __________________________________ p.22
b) Support vidéo ________________________________________ p.24
c) Support écrit________________________________________ p.24
4) L’organisation de l’atelier. ___________________________________ p.27
5) Rôles de l’enseignant. _______________________________________ p.28
6) Les limites de cette pratique. ________________________________ p.30
Conclusion_______________________________________________________ p.32
Bibliographie_____________________________________________________ p.33
Annexe : Retranscription d’une séance sur « Qu’est ce que penser ? » p.34
1
Introduction
L’idée de faire philosopher des enfants du primaire peut sembler a
priori saugrenue tant le décalage est grand entre les exigences supposées de
la philosophie et les capacités des enfants de l’âge du cycle II. Pourtant c’est
ce que de nombreux chercheurs et pédagogues ont voulu mettre en place
depuis quelques années. Des courants se sont développés et ont donné lieu à
des pratiques qui, bien que variées, convergent toutes vers un objectif
principal : développer chez l’enfant une pensée structurée, critique et
autonome. Il reste qu’à l’heure actuelle beaucoup d’enseignants expriment des
réticences à l’égard de la philosophie elle-même et portent un regard pour le
moins critique sur son apprentissage au sein de l’école primaire. Sa pratique
n’est donc pas encore très présente dans les écoles aujourd’hui.
C’est dans le cadre de ma formation à l’IUFM que j’ai entendu parler de
ces recherches. Après une licence Psychologie et une licence de Sciences de
l’éducation, je ne domine que partiellement en tant que discipline et rien ne
m’amenait, en principe, à envisager une telle pratique. Pourtant, je fus aussi
intéressée qu’intriguée. Beaucoup de questions m’assaillaient, issues de ma
propre réflexion ou de remarques d’interlocuteurs avec qui j’évoquais la
philosophie pour enfants. Il fallait alors que je voie par moi-même de quoi il
s’agissait concrètement. Puis lors de d’un stage effectué en Grande section,
j’ai pu observer la capacité réflexive déjà développée chez ces enfants de 5
ans ainsi que leur capacité à poser des questions existentielles (Pourquoi
sommes-nous là ?), métaphysiques (Que devient-on quand on meurt ?)… Que
faire de ces questions qui les touchent tant ? Les éviter ? Pourquoi ne pas
profiter de la pertinence des propos de certains enfants pour aborder ces
sujets de manière philosophique et non plus psychologique ou affective ? Ces
questions m’ont orientée vers une interrogation plus précise : la philosophie
dès le cycle II, pourquoi et sous quelle forme ?
Le contenu de mes recherches peut se décliner en plusieurs questions
auxquelles je tente de répondre en explicitant mes propos par l’analyse de ma
propre pratique avec des enfants ce CP/CE1 que j’avais à charge lors d’un
stage en responsabilité :
Amener des enfants de cet âge à philosopher, en quoi cela consiste-t-il ?
Pourquoi pratiquer la philosophie à l’école primaire alors que les instructions
officielles ne l’évoquent pas ? Quels bénéfices en tirent les élèves ?
Et comment mettre en place une telle activité dans sa classe ? Comment
l’enseignant peut-il s’y prendre ?
Je vais donc, à travers ce mémoire, tenter d’expliquer en quoi la
pratique de la philosophie dès le cycle II est justifiée, en quoi elle est
intéressante et en quoi elle implique des exigences particulières.
2
I) De quelle philosophie parlons-nous ?
1) Est-il
possible de faire de la philosophie à l’école
primaire ?
La philosophie est une discipline difficile et exigeante, on le sait en
observant les problèmes auxquels sont confrontés les élèves de Terminale.
Comment peut-on envisager d’enseigner à des élèves de primaire ce qui pose
tant de difficultés à des élèves de 17 ans ? Les enfants ne sont-ils pas trop
jeunes pour parler de la vie, de l’amour, de la mort ? Ont-ils les capacités
intellectuelles, les connaissances requises, l’expérience suffisante, la maturité
psychique pour aborder ces problèmes ?
Autant de questions et de résistances qui s’expriment autour de nous
lorsque l’on parle de faire philosopher des enfants.
¾ La question de leur âge fait partie des plus récurrentes, ainsi que
celle de leur maturité psychique et intellectuelle. Ainsi, Piaget a défini
plusieurs stades que tous les enfants franchiraient successivement et sans
exception, et il a plus précisément avancé que les enfants ne pouvaient
accéder au raisonnement qu’à partir du stade formel, situé approximativement
au début de l’adolescence. Ceci signifie que selon Piaget, la raison doit venir à
son moment dans l’évolution de l’enfant et qu’on ne peut pas brûler les étapes.
Pourtant, comme Karl Jaspers le fait remarquer, dans Introduction à la
philosophie, les enfants posent très tôt des questions profondément
philosophiques. Ils ont envie de philosopher. Leur aptitude à raisonner se
manifeste dans la portée existentielle, métaphysique,.. de leurs questions. Par
exemple, on peut entendre un enfant demander « Pourquoi existe-t-on ? » ou
bien « Où va-t-on quand on est mort ? », ou encore « Pourquoi doit-on
apprendre ? ». « La philosophie se nourrit de l’étonnement et l’enfant, par
excellence, possède cette faculté » (Les Cahiers Pédagogiques, 2000, n°386).
Mais, ils semblent perdre cette capacité en vieillissant probablement car ils
n’ont pas été éveillés au questionnement.
¾ Ensuite, de nombreuses objections concernent la nature trop
abstraite du sujet pour de si petits enfants. Dans Faire de la philosophie à
l’école élémentaire, Anne Lalanne explique que philosopher c’est abstraire
puisqu’il s’agit de dégager une généralité à partir de notions pour tenter
d’établir une universalité. Comment l’enfant, n’étant encore sensible qu’au
particulier et au quotidien, en serait-il capable ?
L’enfant est plus sensible au concret, il est vrai, mais cela ne signifie
pas qu’il soit totalement incapable d’abstraction. D’ailleurs, on peut constater
que le langage, manipulé très tôt par l’enfant, nécessite une certaine faculté
d’abstraction et de symbolisation. De la même manière, on confronte nos
enfants dès la maternelle aux concepts mathématiques qui sont par essence
3
une abstraction du sensible. Alors pourquoi l’enfant ne serait-il pas capable
d’accéder à l’abstraction des idées ?
Les deux prochaines questions renvoient plus aux résistances liées aux
représentations que beaucoup se font de la philosophie.
¾ Pour eux, on ne peut pas philosopher sans le vocabulaire technique qui
s’y rapporte car la lecture des textes est pratiquement impossible sans sa
maîtrise. En conséquence, pour un enfant, cela serait complètement hors de
propos.
Il faut savoir que ce vocabulaire s’est développé car les philosophes ont un
souci de précision et redoutent les contresens dont la langue de tous les jours
est fortement pourvue. Toutefois, si la pensée philosophique est bien définie
dans un vocabulaire spécifique, elle n’en est pas moins exprimable dans la
langue de tous les jours. Ainsi que le fait Lalanne dans son livre, Faire de la
philosophie à l’école élémentaire, on peut faire référence à Socrate qui n’a
jamais employé ce vocabulaire et qui pourtant est un de nos plus grands
philosophes.
¾ De la même manière, un certain nombre de personnes considèrent
que, sans lecture philosophique, on ne peut pas philosopher. A nouveau, je
dirais qu’indéniablement, on philosophe mieux avec des connaissances
doctrinales mais soulignons qu’avoir appris la philosophie n’est pas philosopher.
La philosophie ne s’apprend pas, on en apprend les doctrines, les courants, les
pensées d’auteurs, alors qu’on peut apprendre à philosopher.
2) Définition de « philosopher ».
Bien souvent, le terme de « philosophie » n’est pas employé comme il le
devrait ou renvoie à des idées fausses. En effet, pour bien des personnes, la
philosophie renvoie essentiellement au « modèle » de la Terminale, à leurs
souvenirs scolaires ; à savoir acquérir une culture d’auteurs philosophes et de
textes, écouter des cours magistraux en prenant des notes, faire des
dissertations.
C’est pour cela qu’il me semble nécessaire de définir de manière précise
ce qu’est la philosophie ou plus exactement ce qu’est « philosopher ».
Tout d’abord, étymologiquement, la philosophie est la recherche de la
sagesse. Anne Lalanne précise qu’il s’agit d’une sagesse propre à l’homme, une
sagesse à rechercher au travers de son rapport à lui-même, au savoir, au
monde, aux autres.
Elle complète ainsi le dictionnaire Hachette qui définit la philosophie
comme un retour du savoir sur lui-même. En effet, elle explique que
philosopher est une activité réflexive qui consiste à faire un retour sur ses
représentations pour prendre conscience de ce que l’on pense, pour savoir
quelle est l’origine de ce savoir et enfin jusqu’où vaut ce savoir comme savoir,
4
c’est-à-dire savoir quelle est sa valeur rationnelle. Elle donne donc la formule
suivante : « Philosopher c’est penser sa pensée, savoir son savoir, réfléchir
son savoir ». Il s’agit de chercher à comprendre pourquoi on pense ce qu’on
pense, d’en mesurer les enjeux et les conséquences.
Lalanne ajoute à cela que, selon Comte-Sponville, la philosophie est à la
croisée entre l’universel (de la pensée) et le singulier (de l’existence). Le sujet
est invité à quitter le domaine de l’opinion pour parvenir à l’universel, à
« penser ce qui est dans la singularité à partir d’une généralité pour tenter
d’établir une universalité ».
Pour Michel Tozzi, « philosopher c’est d’abord se questionner ». Il
considère qu’il s’agit de s’interroger sur les problèmes qui structurent la
condition de l’homme (la liberté, la vérité, grandir-vieillir, l’amour et l’amitié,
souffrir, mourir, le sens de la vie, le travail et l’argent…), sur les problèmes
éthiques (A t-on le droit de tout faire ? ), religieux, sexuels, épistémologiques
(C’est quoi le dernier nombre?), esthétiques (Qu’est ce que le beau ? ),
métaphysiques… Ce sont des interrogations difficiles et qui sont susceptibles
de plusieurs réponses également fondées.
Il faut spécifier que la philosophie est une façon non psychologique
d’aborder les problèmes existentiels par la médiation de la raison. Elle fait
appel à la raison pour former des jugements justifiés, susceptibles d’être
exposés et discutés. Philosopher c’est donc participer à une discussion
argumentée et rationnelle permettant de s’exprimer sur les grands problèmes
de l’humanité.
De manière plus précise, la démarche philosophique consiste, selon
Bettina Berton, à faire émerger, à partir d’une notion ou d’une question, les
opinions communes, les représentations initiales, à en interroger les origines
pour ensuite les examiner et en faire apparaître le caractère arbitraire ou
non justifié. Ceci appelle à un examen du sujet donné pour poser une thèse,
l’argumenter, prendre en compte les objections et les thèses opposées, afin,
finalement, de porter un jugement définitif, qui relève d’un choix éclairé par
des raisons conscientes.
Dans le même sens, Tozzi définit didactiquement “le philosopher”
comme « l’articulation, dans l’unité et le mouvement d’une pensée impliquée,
sur des questions et des notions essentielles pour l’homme, de processus
interdépendants de problématisation d’affirmations et de questions, de
conceptualisation de notions, d’argumentation rationnelle de thèses et
d’objections ".
Ainsi, on peut dire de manière plus explicite que, pour philosopher, il
faut développer un comportement cognitif, intellectuel et social qui permet
d’entretenir le sens du questionnement, d’accroître ses capacités de
conceptualisation et d’argumentation, d’esprit critique, et d’ouverture sur
autrui.
*De plus, Berton explique que cette discussion peut chercher à
examiner une notion, pour en produire une définition (par exemple, qu’est-ce
5
que la justice ? ), à opérer une distinction conceptuelle entre deux notions
(par exemple, la distinction entre être poli et être respectueux), ou encore à
répondre à une question (par exemple, faut-il toujours vouloir avoir raison ?),
par confrontation des différentes thèses. La particularité de ce type de
« recherche » est qu’il n’y a jamais de réponses sûres, ni de solution unique, et
qu’il n’y a pas nécessairement de but, il suffit qu’il y ait une direction pour que
cela prenne sens.
On peut enfin ajouter que philosopher c’est aussi élaborer un
cheminement à plusieurs questionnements, effectuer une recherche de sens
en mettant sa propre pensée à l’épreuve au contact d’autrui. Cette activité
modifiera, fera évoluer la pensée et le comportement de ceux qui la
pratiquent.
3) Quelles
sont
philosophique ?
les
conditions
de
la
réflexion
A partir de quel moment peut-on dire qu’une discussion est
« philosophique » ?
Avoir défini ce qu’est le « philosopher » ne nous informe pas sur ce qui
permet d’accéder à une réflexion philosophique et quelles en sont les
conditions requises. Cela me semble donc intéressant à définir, et même
nécessaire, pour comprendre la démarche que j’ai suivie et comment mener
une discussion philosophique soi-même.
de
caractériser
les
D’abord,
il
serait
plus
pertinent
« sujets philosophiques». Sont philosophiques les notions et les questions qui
n’admettent pas une réponse factuelle (Regardes-tu la télévision ?),
scientifique (Qu’est-ce qu’un cyclone ?), technique (Comment trier les déchets
?) et qui n’admettent pas une unique réponse. Comme il est écrit plus haut,
elles portent sur le monde, les activités humaines, le champ de la morale,
l’esthétique, etc…
Pourtant, il ne suffit pas simplement de participer à une discussion
portant sur de telles notions ou questions pour que celle-ci soit philosophique.
Les solutions apportées ont, elles aussi, leur particularité. C’est pourquoi
Michel Tozzi rappelle que toute réponse qui accepte de mettre à l’épreuve son
affirmation au contact d’autrui est philosophique parce qu’elle en appelle à
« l’universalité de la raison ». Toute réponse à une question philosophique est
donc en droit interrogeable par et dans la discussion.
Ainsi, une discussion est considérée comme « philosophique » par son
sujet, mais aussi par la présence d’éléments logiques. Elle conduit à un
questionnement permettant d’affiner l’esprit critique, l’analyse et la remise en
questions de prétendues évidences. Les recherches de Michel Tozzi, allant
dans ce sens, ont dégagé ce qu’il appelle le « triptyque du philosopher ». Pour
qu’une discussion soit philosophique, il faut que soient articulés trois
6
processus de pensée : la problématisation (réinterroger la question, douter de
ses affirmations), la conceptualisation (définir les termes que l’on utilise et
opérer
des
distinctions
conceptuelles),
l’argumentation
(justifier
rationnellement une thèse par des arguments et répondre avec pertinence à
des objections).
Ainsi, ce cadre rigoureux permet à la réflexion de se mettre en place
car, comme l’écrit Anne Lalanne, « philosopher c’est éviter tout relativisme »
et « c’est s’efforcer de s’élever au-delà du sens commun », Elle ajoute à ce
triptyque deux autres types d’exigences qui permettront à la réflexion de
devenir philosophique : l’une concerne la capacité d’animation d’un débat et
l’autre la circulation de la parole et le climat de respect mutuel. Ces points
seront vus de manière plus précise ultérieurement.
4) Qu’est-ce
que
faire
de
la
philosophie
avec
les
enfants ?
S’il ne s’agit pas de reproduire un cours de philosophie de terminale ni
de transmettre des savoirs sur les philosophes mais de pratiquer la
philosophie, de philosopher, il reste à définir les contenus de cette pratique
philosophique avec les enfants.
a) Quelques courants de la philosophie pour enfant.
Il me semble intéressant de revenir sur les débuts de la philosophie
pour enfants et quelques-uns de ses courants pour expliquer de manière plus
générale en quoi elle consiste.
¾ Matthew Lipman
Dans les années 1970, aux Etats-Unis, Matthew Lipman s’interroge sur
la démotivation des élèves, leur perte de curiosité et d’imagination. Il
attribue une fonction à l’école : celle de former des adultes responsables
ayant un jugement autonome et nuancé. Il propose donc la pratique de la
philosophie dès le plus jeune âge. Lipman élabore le concept de « communauté
de recherche » ; une classe, un lieu où les élèves échangent avec respect,
s’empruntent des idées les uns aux autres, justifient leurs positions. Par cette
pratique, il souhaite favoriser une pensée riche, cohérente et curieuse. Il
défend l’idée d’une « pensée critique et créatrice ». Pour Lipman, il s'agit
plutôt d'initier les enfants à la pratique du concept, du raisonnement logique,
de l'argumentation, bref de la pensée critique. Le rôle de l'enseignant est
d'orienter les élèves vers ce travail de conceptualisation. Cette réflexion est
suivie de l’élaboration d’un programme d’enseignement de la philosophie. Il a
d’ailleurs écrit sept romans de la grande section de maternelle à la terminale,
dans lesquels sont mis en scène des enfants qui se posent des questions, de
l’âge de ceux qui vont les lire. C’est à partir de ces livres qu’il base en grande
partie son travail de discussion collective visant à faire formuler par les
7
enfants les questions de fond qu’ils se posent pour ensuite en examiner une.
On peut partir plus généralement d’autres supports à portée philosophique
(mythes et contes), des albums de jeunesse, voire de questions directes des
enfants ou de situations qui se sont produites dans les familles, à l’école…
¾ Jacques Lévine
Pour Lévine, psychanalyste, l'atelier de philosophie permet aux enfants
d'explorer leur propre capacité à proposer des réponses aux grandes
questions morales et métaphysiques qui préoccupent les hommes depuis
toujours. Il met en jeu une pensée « créatrice » plutôt que critique car celleci explore sans ordre apparent des réponses multiples à ces questions. Annick
Perrin, explique, dans son article publié dans Argos en décembre 2000, que la
pensée développée dans ce type d’atelier « se situe en amont de la philosophie
savante, du côté du désir : désir de comprendre et de percer les secrets de la
vie ». De plus, Lévine considère que l’expérimentation d’une parole qui
s’autorise à parler et à penser devant d’autres, à exprimer quelque chose
d’important sur des problèmes fondamentaux, et ce, en présence mais en
dehors de toute conduite du maître, est important pour la structuration
identitaire de la personnalité de l’enfant. Et c’est pour cette raison que, dans
le protocole qu’il a élaboré, le maître n’intervient pas durant les dix minutes
hebdomadaires consacrées à la discussion, sauf pour énoncer la question du
jour. Il faut noter que chaque discussion est enregistrée pour être ensuite
réécoutée et poursuivie d’un petit débat dans lequel le maître accompagne les
réactions du groupe.
On parle de courant psychanalytique car l’enseignant est en retrait pour que
les enfants fassent l’expérience d’une parole engagée sur des problèmes
existentiels.
¾ Anne Lalanne
Dans son livre, Faire de la philosophie à l’école élémentaire, Lalanne
explique clairement ce qu’est selon elle le travail philosophique à l’école
primaire. Pour elle, cela consiste à revenir sur ses représentations en
permettant à l’enfant d’abord d’identifier la source de ses représentations,
de questionner cette source, et de valider son discours grâce au dialogue avec
les autres. Le questionnement de la source peut se faire car les sources
proposées ne sont pas forcément concordantes, elles peuvent s’affronter.
L’enfant recherchera alors les raisons pour lesquelles il a ces représentations
et les exposer. Quant à la validation, le groupe ne doit pas être amené à ne
retenir qu’une thèse, mais il doit comprendre qu’elles peuvent être multiples
et acceptables car c’est la nature même des questions qui ne permet pas une
seule réponse.
Donc de manière plus générale, il s’agit d’éveiller la raison chez les
enfants, de les inviter à former des jugements rationnels car « apprendre à
formaliser sa pensée, c’est accepter que la raison ne puisse trancher d’une
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façon définitive certaines questions, sans pour autant tomber dans le domaine
de l’irrationnel ou de la pensée magique ».
De plus, elle ajoute que l’atelier de philosophie est un lieu où, avant
tout, on donne à l’enfant l’occasion d’exprimer sa pensée mais qu’il y a deux
écueils à éviter : le relativisme (à chacun sa vérité) et le dogmatisme (une
seule thèse à laquelle chacun doit se soumettre). Alors l’enseignant a un rôle
différent de celui du modèle de Lévine. En effet, ici, il est plus présent et
guide le groupe pour éviter ces deux écueils et pour garantir la réflexion. Il
s’appuie sur les apports des élèves pour construire du sens par rapport au
sujet et une progression collective de la pensée. Il n’apporte pas son point de
vue mais il guide en interrogeant à la cantonade ou individuellement, en
reformulant, en recentrant, en synthétisant…
¾ Michel Tozzi
Sans revenir trop précisément sur ce qui a été écrit plus haut,
rappelons simplement que ce courant a comme fondement principal les trois
processus de pensée qui doivent être articulés dans la discussion
philosophique pour satisfaire une exigence de rationalité : la problématisation,
la conceptualisation, et l’argumentation. Les enfants doivent se poser des
questions, chercher à définir le sens des mots généraux qu’ils emploient,
examiner le fondement des réponses possibles, c’est à dire s’interroger,
définir, fonder. Ils examinent minutieusement les critères qui régissent leur
dire, leur faire et leur agir.
De plus, on peut ajouter que selon Jacky Halimi, faire de la philosophie
avec les enfants c’est envisager des « situations propres à favoriser le goût
de la réflexion, le souci de vérité ». Ainsi, comme que le dit Daniel Royo, dans
le livre de Michel Tozzi, La discussion philosophique à l’école primaire,
« l’apprentissage du « philosopher à l’école primaire » c’est la construction par
l’enfant d’une pensée réflexive structurée, critique et autonome fondée sur
des compétences intellectuelles fondamentales ».
On peut préciser que pour Tozzi, faire philosopher des enfants c’est
prendre en compte leur curiosité devant le monde et les autoriser à poser des
questions pour qu’ils s’autorisent eux-mêmes à les formuler. Cette démarche
de questionnement permet de dédramatiser les questions angoissantes car
l’enfant se rend compte qu’il n’est pas tout seul à se les poser. Et confronter
ses idées avec d’autres sur des problèmes existentiels touche les élèves en
tant que personnes humaines et donne du souffle à l’activité.
¾ Alain Delsol
Cet instituteur suscite la réflexion des élèves autour d’idées
philosophiques dans un dispositif qui amène les élèves à faire des
"expériences de pensée" ; c’est-à-dire à effectuer des opérations
intellectuelles où le but recherché est qu’un élève puisse penser par lui-même
9
en tentant de conceptualiser, de problématiser et d’argumenter son point de
vue.
Il distingue deux types de travaux avec les élèves. L’un est une autoréflexion qu’il appelle « entretien philosophique » et dans lequel les élèves
réfléchissent au sens des mots et tentent de définir des notions, des
concepts. L’autre est une hétéro-réflexion appelé « discussion philosophique »
dans lequel les élèves tentent de questionner ensemble les notions
conceptualisées.
Dans son dispositif, les élèves ont un rôle important dans l’organisation
de la séance. Certains sont aménageurs de l’espace, il y a un reformulateur, un
synthétiseur, des observateurs… Le maître ne veille qu’à la coordination de
l’ensemble. C’est pourquoi ce dispositif est appelé « démocratique ».
b) Compétences développées et acquisitions
Faire de la philosophie avec des enfants suppose nécessairement
l’expression et le développement de compétences intellectuelles et
comportementales.
Oscar Brénifier, dans La discussion philosophique à l’école primaire de
M. Tozzi, écrit un article dans lequel il fait le point sur les aptitudes et
compétences du philosopher. Selon lui, pour dépasser le simple exercice de la
parole, il y a trois exigences : « Penser par soi-même, être soi-même, et être
dans le groupe ». Il détermine alors trois dimensions à l’activité : une
intellectuelle, une existentielle, et une sociale.
Du point de vue intellectuel, l’enfant doit d’abord comprendre ce qui se
dit, proposer une analyse et des hypothèses. Ensuite il pourra argumenter,
pratiquer l’interrogation, s’initier à la logique et élaborer des jugements. Et
enfin, la création et l’utilisation de concepts lui permettront de reformuler ou
de modifier sa propre pensée.
Du point de vue existentiel, la pratique de la discussion philosophique
conduit l’enfant à découvrir et exprimer une identité au travers de ses choix
et de ses jugements en prenant conscience de sa propre pensée. Il peut alors
s’interroger, découvrir et reconnaître ses erreurs et ses incohérences.
Du point de vue social, l’enfant apprend à écouter l’autre, lui faire place,
le respecter et le comprendre. Il se risque aussi à s’intégrer à un groupe dont
il comprend, accepte et applique, et même parfois, discute les règles de
fonctionnement. Il établit alors de nouveaux rapports avec ses pairs et avec
son professeur.
Pour aller encore un peu plus loin dans l’explication de ce que développe
l’enfant dans cette pratique, notons que l’atelier permet à l’enfant de parler
et de penser sur des sujets rarement abordés en classe pour qu’ils
s’expriment, donnent leurs opinions et en discutent. Ainsi que l’exprime Michel
10
Tozzi, il ne s’agit pas simplement d’apprendre à s’exprimer pour mettre en
mots un vécu mais aussi pour dire ce qu’on pense et tenter de penser ce qu’on
dit. Il ne s’agit pas non plus d’argumenter pour convaincre l’autre mais plutôt
de savoir si ce que l’on dit est vrai et de chercher avec d’autres ; ni de
prendre une décision mais de réfléchir sur une question, un problème.
Les enfants doivent comprendre que, même s’il est nécessaire pour
ancrer la pensée sur le vécu, l’exemple est trop particulier pour faire
définition et trop facile à invalider pour faire argument. Ces « petits
penseurs » doivent apprendre à dépasser les exemples pour aller vers une
définition, une conceptualisation, et vers une argumentation plus fondée.
C’est en travaillant ainsi que l’on peut développer chez l’enfant le sens
d’un rapport non dogmatique aux réponses et aux savoirs, et donc rompre avec
une logique verticale de l’apprentissage.
Mais, je reviendrai sur les compétences plus en lien direct avec les IO
dans la deuxième partie.
11
II) Pourquoi
intérêts.
philosopher
à
l’école ?
Objectifs
et
Cette question est très présente à l’esprit des adultes, enseignants ou
non, qui découvrent cette pratique car la philosophie n’est pas une matière à
enseigner dans les programmes de l’école primaire, et a priori, son utilité
peut être mise en doute.
Cependant, sur bien des points, la pratique de la philosophie avec de
jeunes enfants est légitime.
1) Une pratique en accord avec les Instructions officielles.
La philosophie n’existe pas dans les programmes mais sa mise en place
sous forme d’ateliers permet de l’y intégrer par sa dimension
transdisciplinaire. Elle développe en effet des compétences reliées à plusieurs
domaines : la pensée, le langage et l’éducation à la citoyenneté.
a) Domaine du développement de la pensée et du langage
¾ L’oral au service de la construction de la pensée
La discussion philosophique doit permettre à l’enfant de penser. La
parole est centrale dans la discussion mais notons que pensée et langage sont
fondamentalement liés. C’est en parlant que l’on sait jusqu’où peut aller notre
pensée. C’est en apprenant à maîtriser la langue orale que l’on apprend à
maîtriser sa pensée, et inversement, c’est en parlant sa pensée que l’on
apprend à mieux parler.
A cette idée d’interaction entre pensée et langage, on peut ajouter les
propos de M. Lipman : « on présuppose communément que la réflexion
engendre le dialogue, alors qu’en vérité, c’est le dialogue qui engendre la
réflexion (…) en s’ouvrant à d’autres, la pensée va tracer une voie
particulière ». Le débat, la confrontation d’idées sont donc essentiels à la
construction de la pensée de l’enfant. L’exercice de la liberté d’expression
permet de développer une pensée personnelle et autonome. Il s’agit donc de
former l’élève à une pensée réflexive autonome en tissant des liens avec le
groupe. Les programmes demandent que « l’élève soit amené, dans des
situations de recherche et de réflexion, à émettre des hypothèses, faire des
choix, contrôler ses réponses. L’élève doit commencer à traduire et à
interpréter quelques situations, ce qui le conduit progressivement à
l’abstraction ».
¾ La discussion philosophique au service du développement des
compétences langagières.
La discussion philosophique peut être un moyen de faire acquérir à
l’élève les diverses compétences langagières pour qu’il participe de manière
12
pertinente à un échange coopératif orienté vers une fin. Cela n’est donc pas un
simple temps d’échange et d’expression mais un réel moment d’apprentissage.
S’exprimer, argumenter, écouter, questionner ses certitudes sont des
attitudes qui permettent le développement de l’esprit critique. Celui-ci est
clairement souhaité par les programmes officiels pour le cycle 3: « initier à
une première forme d’esprit critique » p. 209 ; « mener une réflexion
approfondie sur ce qui relève de valeurs pour lesquelles il n’est pas possible de
transiger ou au contraire du libre choix de chacun » p. 179 .
N.B. : Cela semble peut-être curieux que je cite le programme du
cycle des approfondissements et pourtant il y a bien une raison à
cela. En effet, de telles compétences ne sont pas au programme du
cycle 2 mais il me semble qu’elles s’acquièrent plus facilement si elles
sont travaillées plus tôt sans être pour autant un but à atteindre en
fin d’année. Les enfants sont tout à fait capables de commencer une
démarche d’argumentation et de construction de leur propos dès le
cycle 2, et ce avec une exigence moindre qu’elle ne le sera pour le
cycle 3. C’est d’ailleurs pourquoi les IO demandent que les élèves du
cycle des apprentissages fondamentaux sachent prendre part à un
débat.
Notons que la pratique du débat implique le développement de
l’argumentation et de l’explication avec des processus d’exemplification et de
généralisation, et ce, dans le cadre de la maîtrise de la langue orale. Ainsi que
l’explique Gérard Auguet, dans le livre de M. Tozzi La discussion philosophique
à l’école primaire, l’élève participe à la construction d’un discours cohésif et
cohérent orienté vers une fin, à savoir organisé sur un mode « textuel ». La
cohésion du discours s’établit à partir de la répétition des propos d’autrui et
de la progression, c’est-à-dire de l’introduction d’informations nouvelles
pertinentes. Quant à la cohérence, elle peut se mettre en place si l’enfant
participe à la construction d’un dialogue de type philosophique, à savoir si
l’enfant expose et interroge ses opinions, argumente, et s’il gère sa prise de
parole, utilise de manière pertinente des modalisateurs. Engager l’élève dans
ce type d’activité est l’occasion de construire chez celui-ci de telles
compétences communicationnelles de discussion, d’écoute et de dialogue.
D’ailleurs, les programmes attendent que l’élève apprenne à « reformuler
l’intervention d’un autre élève ou du maître » (p. 170), et à « exposer son point
de vue et ses réactions» (p. 93). De même, il doit « commencer à prendre en
compte les points de vue des autres membres du groupe », « tenir compte de
l’échange en cours pour faire avancer la réflexion collective »(p. 171) et
« questionner l’adulte ou les autres élèves à bon escient » (p. 170) ;
compétences qui peuvent être développées par la pratique du débat
philosophique.
De plus, comme le souligne Annick Perrin, au cours du temps les prises
de parole se font plus nombreuses, les énoncés s'allongent et se
complexifient. L’enfant maîtrise progressivement le langage oral intellectuel
13
et communicationnel. Observation que j’aurais souhaité confirmer par ma
pratique mais qui, pour des raisons de limite de temps disponible, a été
impossible. N’ayant suivi une classe que sur 4 séances, à savoir une par
semaine, je n’ai pu que difficilement percevoir l’évolution des compétences
langagières des enfants. C’est un travail qui s’effectue sur le long terme.
En ce qui concerne le travail écrit, je me contenterai d’une simple
suggestion en l’absence d’une pratique suffisante. A la fin du cycle 2 (CE1), on
peut envisager l’introduction d’un petit travail écrit, tel que, par exemple,
l’écriture collective en dictée à l’adulte d’une petite synthèse sur les idées
évoquées lors de la discussion à partir du script de la séance,
b) Domaine de l’éducation à la citoyenneté
Dans les IO, au cycle 2, le domaine du vivre ensemble, et au cycle 3,
l’éducation civique, ont, en partie, pour objectif l’appropriation de valeurs
citoyennes et démocratiques. C’est d’ailleurs essentiellement par le débat que
les programmes préconisent cet apprentissage car il permet une réelle
socialisation démocratique par le développement personnel de l’élève en
interaction avec le groupe, la capacité à travailler à plusieurs… Parmi les
compétences à atteindre en fin de cycle 3, certaines concernent
l’apprentissage du débat démocratique : « participer à un débat » p. 181,
« s’insérer dans la conversation » p. 170, « attendre son tour pour parler » p.
170, « distribuer la parole et faire respecter l’organisation dans un débat » p.
173, « prendre conscience de manière explicite de l’articulation entre liberté
personnelle, contrainte de la vie sociale et affirmations de valeurs
partagées » p. 177 « l’enfant prend de plus en plus conscience de son
appartenance à une communauté qui implique l’adhésion à des valeurs
partagées, à des règles de vie » p. 96.
La discussion philosophique éduque à la citoyenneté parce qu’elle permet
l’acquisition d’attitudes de respect, d’écoute, d’estime de soi, mais aussi parce
qu’elle développe des habiletés cognitives spécifiques (l’argumentation, la
problématisation, la conceptualisation) dans une recherche collective. Michel
Tozzi affirme que la parole et le débat ont une grande importance dans
« l’édification d’une société démocratique, plus coopérative ». Dans la
discussion philosophique, on travaille la communication dans le groupe en
apprenant à participer, à s’exprimer, à élaborer un point de vue, à s’affirmer
mais aussi écouter l’autre, à entrer en relation d’échange et de confrontation
d’idées avec autrui, donc à se socialiser et débattre démocratiquement.
Ainsi, l’atelier philosophique installe des habitudes d’échange, une pensée
réflexive, et développe alors une attitude critique et tolérante chez le futur
citoyen. Tozzi considère la citoyenneté comme un effet des apprentissages
cognitifs.
Les notions d’éducation civique prennent sens, puisqu’elles sont abordées et
vécues à l’échelle des enfants, qui acquièrent avant tout des savoir-faire et
des savoir-être.
14
2) Pourquoi philosopher si jeune ?
Cette question fut, pour moi, une des premières que je me suis posées.
A la suite de quelques lectures, il me paraissait évident que la pratique de la
philosophie au cycle 3 était possible et justifiée. Mais, c’est en observant les
enfants de la classe de Grande Section, dans laquelle j’effectuais un stage,
que je fus convaincue que même à 5 ans les enfants se questionnent,
raisonnent, et commencent à échanger entre eux des idées. L’éventualité
d’organiser un atelier avec des enfants du cycle II m’a semblé possible mais
cela nécessitait alors que je justifie une pratique si précoce.
a) Pour un meilleur développement des compétences liées à la discussion
philosophique.
Nous savons que les très jeunes enfants se posent des questions
métaphysiques, Annick Perrin constate que certains d’entre eux formulent
facilement des idées d'une grande subtilité à partir du moment où celles-ci
correspondent à des questions vitales telles que grandir, apprendre, penser,
naître, le juste et l'injuste, exister, mourir, etc. Il est vrai que les plus jeunes
ont des propos fait de juxtapositions d’impressions ou d’exemples issus de
leur vécu mais par la discussion, « ils apprennent à distancier la réalité,
subjective et objective, et à en rendre compte pour elle-même ». Perrin
ajoute que c’est vers 6 ans que les enfants peuvent entrer dans une réflexion
dont ils ne sont pas le centre et qui porte sur des questions universelles. C’est
pourquoi, selon moi, les enfants de Grande Section peuvent être initiés au
débat philosophique pour qu’ils puissent y participer de manière plus efficace
dès leur entrée au CP. Les élèves auraient déjà commencé à saisir le
fonctionnement de la discussion, à respecter les règles, et à développer
quelques compétences langagières nécessaires au bon déroulement d’une
réflexion philosophique.
b) Pour que l’enfant se construise et structure sa personnalité.
Commencer tôt ce genre d’activité permet aussi à l’enfant de se
construire car la recherche en commun donne la possibilité aux enfants de
mettre en mots leurs pensées, de la structurer, de la préciser dans
l’interaction avec les autres. Et, sur un plan moins intellectuel et plus
personnel, la discussion philosophique aide l’enfant à se découvrir comme être
distinct de ses parents, à acquérir de l’autonomie, et à se responsabiliser en
assurant publiquement une idée personnelle.
c) Pour donner plus de sens aux apprentissages par un autre rapport aux
savoirs.
Les enfants s’investissent d’autant plus dans leur travail que les sujets
abordés permettent de faire le lien avec leur quotidien car ils se sentent plus
concernés par les questions posées. Alors l’apprentissage prend sens parce
qu’il rattache ses apprentissages à son vécu, son quotidien. Dans la discussion
15
philosophique, l’enfant est encouragé à penser par lui-même, et ce, sans avoir
à passer par l’écrit qui peut bloquer certains. Contrairement à la majorité des
autres pratiques scolaires, la philosophie prend en compte ce que M. Tozzi
appelle les « savoirs sensibles » de l’enfant. Cela permet aux enfants en
difficulté de devenir des participants actifs et de modifier leur rapport au
savoir et à l’école. Cela permet aussi de rompre avec une « scolarisation »
excessive des activités, réductrice des intérêts profonds des enfants.
Dans Dix nouvelles compétences pour enseigner, Philippe PERRENOUD
propose un référentiel complet des « dix compétences reconnues comme
prioritaires » dont deux qui me semblent être pertinentes pour justifier mes
propos : « impliquer les élèves dans leur apprentissage et leur travail » (
susciter le désir d’apprendre, expliciter le rapport au savoir, le sens du travail
scolaire) ; « Stimuler le désir de savoir et renforcer l’envie d’apprendre ». Il
me semble que la pratique du débat philosophique avec les enfants rejoint
bien ces compétences, dans le sens où elle est un formidable moyen
d’implication et de responsabilisation des élèves dans leur apprentissage, ainsi
qu’un vecteur très puissant de motivation.
De plus, Anne Lalanne, dans son livre, rapporte les propos d’enseignants
qui ont eu à charge des élèves ayant pratiqué la philosophie pendant quelques
années : ils avaient remarqué le rapport particulier qu’avaient ses enfants au
savoir. En effet, d’après ces enseignants, les élèves en question manifestaient
une curiosité toujours en éveil, un intérêt constant sur tout ce qui les ouvrait
sur le monde, cherchaient toujours à approfondir les sujets, quels qu’ils
soient, etc. Les enfants ont un désir qui les anime : désir d’apprendre et de
connaître, désir de donner du sens au monde qui les entoure, désir d’y prendre
part. L'atelier de philosophie éveille, en effet, chez les enfants le désir de la
connaissance parce que, comme l’explique Annick Perrin, « ils y font
l'expérience qu'ils peuvent en être la source ».
De plus, en philosophie, il n’y a pas de réponse unique. Faire vivre cette
expérience à nos élèves, c’est leur permettre d’apercevoir tout le champ des
possibles, de cultiver chez eux le goût, le désir de chercher, de ne pas se
satisfaire de réponses normatives ; en somme, d’avoir un rapport nondogmatique au savoir.
Ainsi, Michel Tozzi fait remarquer que, par la pratique de la philosophie,
l’école n’est plus le lieu où le maître interroge sur des réponses qu’il connaît,
pour vérifier si l’élève sait mais un lieu où l’enfant pose lui-même les questions
qui lui importent, et trouve du sens à chercher ses propres réponses. Par sa
curiosité, l’enfant peut découvrir « la complexité du monde, la nécessité vitale
de la réflexion pour comprendre, et le besoin des autres pour y voir plus clair
dans la vie ». Il y a alors, clairement, une redéfinition du contrat didactique.
C’est ainsi qu’en favorisant très tôt chez l’enfant la curiosité, le
questionnement, le désir d’apprendre et de comprendre en recherchant, aussi
avec ses pairs, que celui-ci accèdera à la signification des savoirs, notamment
“scolaires”.
16
3) Progrès des élèves...
a) … de manière transversale dans les autres disciplines
Il est important que les apprentissages acquis pendant le débat
philosophique se transposent dans d’autres matières scolaires (et en dehors
de l’école). Par ce rapport non dogmatique au savoir, l’enfant développe une
attitude de questionnement et un désir de comprendre qui favorise
l’apprentissage de toute discipline quelle qu’elle soit et donc les progrès.
Anne Lalanne fait le compte rendu d’une “expérimentation” de la pratique
de la philosophie menée auprès d’enfants dès le CP pendant quelques années.
Elle explique que les élèves, ayant participé à l’atelier de philosophie, ont
développé certaines compétences de manière plus significative. D’abord, les
enfants sont devenus plus efficaces en ce qui concerne le travail de groupe.
Ils s’organisent plus rapidement sans que le maître intervienne tant au niveau
du contenu qui est plus structuré que de la régulation de la parole. Ensuite,
elle constate qu’ils ont amélioré leurs compétences en français. Cela passe
tant par une expression orale plus facile et une argumentation plus pertinente
que par l’appropriation plus aisée de textes notamment par le repérage des
idées importantes. Et, ce qui me semble décisif pour un meilleur
apprentissage, ils vont d’une façon générale plus rapidement à l’essentiel et
laissent de côté les détails inutiles. Notons que tous ces apprentissages de
maîtrise de la langue peuvent être réinvestis dans la majorité des autres
disciplines (sciences, histoire, géographie, arts…). Et enfin, ces élèves ont
développé des compétences utiles en mathématiques et en sciences. Les
hypothèses qu’ils émettent lors de situations de recherches sont plus riches
et diversifiées, et ils savent, grâce à une facilité de raisonnement expliquer
de diverses façons leur démarche de résolution de problèmes.
Ainsi, ces enfants sont devenus plus autonomes dans leur travail et
participent davantage lors des apprentissages au sens où ils semblent être en
demande en ce qui concerne le contenu des disciplines scolaires.
Avec regret, je ne peux pas confirmer ces observations, une nouvelle fois,
à cause du peu de temps que j’ai pu obtenir pour suivre la classe dans laquelle
j’ai expérimenté cette pratique de la philosophie. Les enfants avaient le souci
de savoir, lorsqu’ils posaient une question qui nécessitait des recherches, s’il
s’agissait d’une question philosophique ou non. C’est ainsi qu’après s’être
demandé «ce que devient une plante quand on la plante, un élève a
demandé : « C’est une question philosophique ça ? », ce à quoi, un autre élève à
répondu « Non, c’est une question scientifique ! ». Bien qu’ils aient eu une
attitude de questionnement à propos du travail que l’on effectuait, on peut
dire qu’ils étaient donc encore au tout début de la découverte du principe de
la philosophie et du fonctionnement de l’atelier. De plus, je ne connaissais pas
assez bien cette classe pour savoir si des changements pouvaient être
observables.
17
b) … au sein même de l’atelier.
Le travail en atelier permet de faire évoluer les enfants au cours des
séances. Lalanne remarque que, souvent, les premières séances avec des CP
sont faites de monologues juxtaposés racontant leur expérience vécue dans
ce qu’elle a de singulier et qu’au bout de quelques séances, l’expérience
acquiert un statut d’exemple qui est déjà, en quelque sorte, une tentative de
généralisation. Puis, c’est au cours de la première année que les enfants
prennent plus de distance avec leur expérience personnelle et inscrivent leurs
représentations à côté de celles des autres dans un cadre collectif. Ils
n’arrivent pas encore, à cet âge, à prendre en compte des idées différentes.
Cependant, lors de la deuxième année de pratique, en l’occurrence ici, le CE1,
les enfants expriment plus leur pensée pour se situer par rapport aux autres.
Ils n’utilisent alors leur expérience qu’à titre d’exemple pour en tirer du sens.
Ce sera au cours des années suivantes, pendant le cycle 3, que les enfants
préciseront leurs questions, ébaucheront un réel dialogue, et feront
référence à des exemples plus abstraits et plus généraux.
Dans l’atelier que j’ai mené avec une classe de CP/CE1, les élèves ont
participé à quatre séances en 2 groupes séparés. Il faut savoir que lors la
première séance, je suis partie d’un album pour poser des questions
concernant la différence entre le réel et l’imaginaire. Les enfants sont restés
centrés sur les images de l’album en les décrivant. Ne pouvant s’extraire de
leur perception immédiate, ils ne parvenaient à aucune généralisation. J’ai
donc poursuivi sur ce thème dans une deuxième séance mais cette fois-ci sans
le support album. Dès lors, une première généralisation s’est mise en place
essentiellement avec le “on“. Nous sommes toujours dans l’expérience sensible
mais elle n’est plus singulière, elle est devenue universelle, pour l’enfant en
tout cas. Ses propos ne sont pas toujours généralisables. Cependant, on peut
percevoir le commencement d’un désir de généralisation. Malgré la grande
place encore accordée à l’expérience personnelle et l’exemple singulier,
l’utilisation du “on“ était de plus en plus fréquente au fur et à mesure des
séances. Je cite les propos de Maxence D., dans la 3ème séance, qui cherchait
à définir ce que veut dire le mot “penser“ : « Penser ça veut dire qu’on pense à
quelque chose et qu’on dit que ça peut se réaliser… ». Cet élève est dans la
conceptualisation à partir d’une expérience personnelle qui lui semble
généralisable d’où l’utilisation du pronom “on“. On observe donc des progrès
chez certains enfants en ce qui concerne le développement de la pensée
philosophique.
Pour ce qui est de l’échange entre les enfants, les compétences sont
variables d’un enfant à l’autre. Certains, même au bout des 4 séances, ne
parvenaient toujours pas à prendre en compte la parole des autres et à y
réagir. C’est pour cela que fréquemment la progression dans le dialogue était
rompue par des digressions ou des retours sur des points abordés quelques
minutes plus tôt et même parfois abordés dans les séances précédentes. Il
me semblait nécessaire de rappeler régulièrement la question sur laquelle
18
nous devions réfléchir pour recentrer la discussion. En ce qui concerne les
réponses apportées par ceux qui parvenaient à considérer les propos de leurs
camarades, il s’agissait majoritairement de l’expression de leur accord, et
seulement quelquefois de leur désaccord. En effet, c’est en soulignant
l’incohérence de certaines interventions ou la possibilité que cela puisse être
contredit que je permettais aux enfants de faire un retour sur leur pensée et
donc d’exprimer leur avis. Mon intervention permettait à l’échange de
progresser. Mais j’ai pu voir une certaine évolution quant au comportement
d’écoute et de compréhension des enfants qui commençaient à réagir
autrement aux propos tenus, ainsi qu’Anaïs le montre, dans la troisième
séance, lorsqu’elle demande à un de ses camarades qui venait de s’exprimer de
manière très obscure : « Qu’est ce que tu veux dire ? » ; type de
questionnement qui m’incombait jusque là.
De la même manière, l’apport de justification à une affirmation ou une
contradiction n’était pas systématique, je devais passer par la question
« pourquoi ? » pour que les enfants justifient leur pensée. Mais
progressivement ces derniers en ont pris l’habitude et le faisaient de manière
un peu plus régulière. Kévin et Léa l’expriment clairement dans la dernière
séance portant sur la question « Grandir, c’est, quoi ? » : Kévin : « Quand on
fait l’anniversaire, en plus on peut grandir parce que si tu as un an, après c’est
l’anniversaire des deux ans, après des trois ans, on fait des anniversaires pour
grandir aussi. Et quand on est grand après on peut plus grandir. » ; Léa : « Oui,
et quand on est adulte on peut plus grandir parce que si on grandit beaucoup
on va devenir des géants ». On constate, par ces exemples, que bien que le
raisonnement et les justifications ne soient pas très clairs ou très fiables, les
enfants cherchent à justifier leurs propos, ce qui est un premier pas vers
l’argumentation.
Et enfin, j’ai pu noter que les élèves, au fur et à mesure des séances, ont
pris de plus en plus la parole. Chacun a exprimé quelque chose au moins une
fois. Il y a eu une certaine libération de la parole par rapport aux premières
séances. Par contre, malgré l’augmentation de la participation et une plus
grande attention pour la discussion, les enfants ne parvenaient toujours pas à
synthétiser brièvement le contenu de la discussion. En effet, après chaque
séance, nous prenions quelques minutes pour que chaque groupe explique à
l’autre ce qui avait été dit, ce qui m’a permis de constater leur difficulté à
rappeler les points principaux des conclusions.
L’intérêt de l’initiation au débat philosophique dès le cycle II étant formulé, il
reste à définir les conditions de mise en place d’un atelier de philosophie.
19
III) Comment
philosophie ?
mettre
en
place
un
atelier
de
1) La préparation
L’atelier de philosophie ne se met pas en place du jour au lendemain. Il
faut d’abord en avertir les personnes concernées : les enfants et par
conséquent leurs parents.
a) Présenter et expliquer aux parents.
La manière de présenter cette activité dépendra de son application, s’il
s’agit d’une pratique momentanée, occasionnelle ou régulière. Cela peut être
sous forme d’une discussion avec les parents en début ou en cours d’année (et
dans laquelle s’inclurait, pourquoi pas, un débat philosophique pour qu’ils
découvrent clairement de quoi il s’agit) ou bien sous forme d’un courrier
explicatif (ce qui fut mon cas étant donné la courte durée de “l’expérience“).
L’important est que les parents puissent découvrir quels sont les enjeux
humains, sociaux et pédagogiques, quels sont les objectifs de la discussion
philosophique. Il faut aussi qu’ils constatent que ces objectifs sont en
cohérence avec les programmes officiels. Les parents doivent enfin
comprendre en quoi consistera cet atelier et être assurés que leur enfant
n’étudiera pas la philosophie mais la pratiquera.
b) Présenter et expliquer aux enfants.
La façon dont les ateliers sont présentés aux enfants est essentielle. Faire
une séance préliminaire à propos du pourquoi de l’atelier semble nécessaire. Il
est important de leur dire qu'on va faire de la « philosophie », et d’expliquer
ce que cela signifie.
On peut partir, comme le propose Anne Lalanne, de l’étymologie du mot :
recherche de la sagesse, et faire réfléchir les enfants sur ce que peut être la
sagesse dont on parle dans ce cas. Mais il est important d’ajouter que
philosopher c’est apprendre à réfléchir sur des questions que se posent les
hommes depuis très longtemps et qu’elle s’adresse à tous, petits et grands.
On peut, en suivant les propos d’Annick Perrin, expliquer à l’enfant
qu’apprendre à réfléchir cela signifie que l’on va prendre son temps pour
penser dans sa tête avant de parler, que tout le monde n’est pas obligé de
prendre la parole au cours d’une séance et qu’il n’y a pas de bonnes ou de
mauvaises réponses aux questions sur lesquelles on réfléchit. En effet, ils
doivent comprendre que l’intention d’une question philosophique n’est pas
d’apporter une solution immédiate et concrète mais qu’elle soulève un
problème que l’on ne peut pas résoudre seul, ni en consultant une encyclopédie.
C’est pourquoi, Lalanne avance l’idée de consacrer une séance aux types de
questions qui seront abordées dans l’atelier pour les distinguer des questions
20
scientifiques, psychologiques, etc ; chose que je n’ai pas pu faire pour cause
de temps réduit avec ces enfants.
Et enfin, les ateliers nécessitent certaines conditions de mise en
œuvre. Selon Annick Perrin, pour comprendre et faire vivre les règles de
fonctionnement qui régissent la discussion dans cet atelier, les enfants
doivent avoir auparavant acquis des habitudes de parole dans un climat
d’écoute et expérimenté, dans la classe, diverses formes d’expression et de
communication. Là encore, je n’ai pu mener ce travail préalable faute de
temps.
c) Choisir un sujet et faire des recherches
L’enseignant doit choisir un questionnement philosophique à l’écoute des
interrogations des enfants et veiller à ce qu’il soit parlant pour eux.
L’enseignant doit toujours avoir en tête les objectifs propres au travail de
la pensée. Il doit pouvoir identifier les questions qui touchent les enfants au
regard des grandes problématiques philosophiques, comme celles rencontrées
en terminale, par exemple.
Et ensuite, à partir d’un sujet, l’enseignant doit mettre en évidence des
concepts, des arguments, des problèmes susceptibles d’apparaître au cours de
la discussion, tout en anticipant des formulations plus simples de certains
concepts, des exemples parlants et des relations avec des éléments de la vie
de la classe ou la vie sociale. Il doit aussi réfléchir à la mise en œuvre de
l’atelier, à son déroulement et à la relation possible avec les autres disciplines
d’enseignement.
2) Trois modalités pour la mise en place d’une pratique de
la philosophie dans sa classe.
Vouloir installer dans sa classe une pratique de la philosophie nécessite
de réfléchir à sa mise en place. Plusieurs solutions sont possibles en fonction
du degré d’investissement souhaité par l’enseignant.
¾ Les séances spontanées :
Pour un enseignant qui ne voudrait pas mettre en place un atelier mais qui
souhaite tout de même apporter aux enfants l’occasion de réfléchir sur les
questions qu’ils posent, cette solution semble la plus adaptée. Il s’agit de
prendre 10 à 15 minutes, lorsqu’une question susceptible d’avoir une portée
philosophique émerge au cours d’une activité, pour aider les enfants à prendre
conscience de ce qu’ils disent, les questionner et, ensuite, renvoyer la question
au groupe tout entier pour montrer son aspect général. Pour que la discussion
ait un contenu plus productif et que les enfants retiennent les idées
développées dans l’échange, l’enseignant doit les amener à structurer ce qu’ils
expriment, à expliciter clairement les idées qui se rejoignent ou s’opposent.
Ce type d’approche, ainsi que le dit Lalanne, permet à l’enfant de « prendre
21
conscience que penser nous fait découvrir des horizons nouveaux », ce à quoi
elle ajoute l’exemple suivant de succession de questions possible : A quoi ça
sert d’aller à l’école ? Æ Qu’est-ce qu’apprendre ? Qu’est-ce que savoir ?
Peut-on tout savoir ? … On voit ici clairement, qu’à partir d’une question
couramment entendue dans les propos des enfants, on peut faire aboutir la
réflexion de façon à poser des questions d’ordre philosophique telle que
« Peut-on tout savoir ? ».
¾ Les séances occasionnelles
A la différence de la solution précédente, ce travail consiste à différer
la discussion sur les remarques spontanées que j’évoquais plus haut. Cela
permet à l’enseignant de préparer la réflexion sur le thème à aborder à partir
d’une problématique philosophique. Il peut même alors chercher un support
pour étayer la discussion et ainsi parvenir à une structuration des idées
encore plus poussée.
Comme pour les séances spontanées, les séances occasionnelles ne
donnent pas la possibilité de faire un travail suivi de la pensée, celui-ci étant
dépendant de l’apparition des questions des enfants.
¾ L’atelier de philosophie :
Il s’agit d’une mise en place régulière d’un atelier tout au long de l’année, et
pourquoi pas sur plusieurs années. La fréquence des séances dépend du libre
choix de l’enseignant en sachant que pour un “débutant”, une séance par mois
est bien suffisante.
En ce qui concerne le choix des thèmes, il est bien sûr toujours intéressant de
partir de questions d’enfants, mais il n’est pas inutile de proposer parfois des
supports suscitant chez l’enfant des questions qu’il ne se pose pas
immédiatement mais qui pourraient le toucher.
C’est ce type de pratique que j’ai mise en place avec des enfants de
CP/CE1, outre le fait que je n’ai pas travaillé sur l’année mais sur quatre
semaines consécutives.
3) Les divers supports
Pour susciter la réflexion philosophique chez les enfants du cycle 2,
plusieurs types de supports existent. On peut soit partir soit d’une vidéo, soit
d’un album, soit de thèmes ou questions déterminés par les enfants ou le
maître.
a) Le thème, la question.
Le sujet peut être imposé par l’enseignant ou être choisi par l’ensemble
de la classe. Le choix du thème ou de la question deviendra un exercice en soi
car les enfants devront argumenter leurs prises de positions par rapport à
propositions émises.
22
Lorsque les enfants cherchent un thème cela se réduit souvent à un
mot (par ex : les parents, la télévision…) mais il faut aboutir à une
problématisation. Par contre, lorsque c’est l’enseignant qui fixe un sujet, il
peut laisser de côté cette phase, en donnant une question claire, explicite et
ayant un sens pour les enfants. On ne donnerait pas directement à l’enfant
des questions telles que « Qu’est-ce que savoir ? » ou « Qu’est-ce que le
devoir ? » mais plutôt des questions touchant plus directement les enfants et
qui pourtant renvoient aux grandes problématiques de la philosophie, comme
par exemple, « Pourquoi allons-nous à l’école ? » ou encore « Doit-on toujours
obéir ? ».
Michel Tozzi distingue plusieurs types de sujets.
D’abord, on peut s’orienter vers la définition d’une notion, comme par exemple
« Qu’est-ce qu’une grande personne ? ». Cela suppose souvent de passer par
des distinctions notionnelles telles que, pour cet exemple, faire la différence
entre une grande personne et une personne grande. Ainsi, la notion est mieux
limitée et on peut formuler d’autres questionnements centrés sur cette
notion, comme « A partir de quand est-on une grande personne, et
pourquoi ? ».
Ensuite, il est possible de travailler sur des distinctions notionnelles, comme
entre aimer les fraises et aimer ses parents. Les enfants devront donc cerner
les différences et les ressemblances pour préciser ces notions.
Pour ces deux types d’approche, l’enseignant devra guider les enfants dans ce
processus de conceptualisation plutôt difficile.
Et enfin, l’enseignant peut choisir de formuler une question (par exemple :
« Que devient-on après la mort ? ») où il ne s’agit plus de conceptualiser mais
d’envisager les diverses solutions possibles sans chercher à prendre une
décision quant à la réponse en constatant que les arguments se valent.
Cependant, pour les plus petits, il me semble plus judicieux de travailler
sur la conceptualisation de notions simples, pas trop abstraites, et touchant à
des domaines affectifs pour l’enfant (distinction entre ami et copain).
En ce qui me concerne, avec les enfants de CP/CE1, j’ai animé les
troisième et quatrième séances partant de questions plus ou moins
déterminées à l’avance. Ma troisième séance était le prolongement d’un
échange portant sur ce qu’est la philosophie. Les enfants avaient apporté
comme réponse que la philosophie c’était penser à des choses que tout le
monde se pose. Il m’a semblé alors judicieux de les renvoyer à ce que
signifiait penser. C’est à partir de cette interrogation que les enfants ont
cherché à définir le concept « penser ». Quant à ma quatrième et dernière
séance, j’ai décidé, à nouveau, de fixer moi-même, à l’avance, le sujet de la
discussion sous la forme de la question « Grandir, c’est quoi ? ». J’ai fait ce
choix arbitraire car je souhaitais expérimenter ce type d’approche mais aussi
parce qu’elle me permettait de couper tout lien possible avec les séances
23
précédentes en ce qui concerne les idées à développer. En effet, lors de la
séance sur le concept « penser », les enfants revenaient régulièrement sur la
question abordée dans les séances précédentes, à savoir quelle est la
différence entre ce qui est réel et ce qui ne l’est pas. Le lien était facile pour
les enfants car il suffisait de dire que penser c’est un peu comme rêver et
donc penser n’est pas réel. Et au lieu de réfléchir sur le concept « penser »,
ils poursuivaient la discussion sur le réel et l’imaginaire : « Les cauchemars non
plus c’est pas réel », « Les dinosaures c’est pas réel mais ça a existé »… Cette
confusion ne risquait pas de se produire avec la question « Grandir, c’est
quoi ? ».
b) Le support vidéo
Pour de jeunes enfants, il s’agira plutôt d’articuler et de comparer différents
éléments narratifs, différents rejets ou préférences de personnages, et
différentes appréciations ou interprétations du film. Alors des sujets à
portée philosophique émergeront peut-être des propos des enfants ou bien le
maître pourra orienter la discussion sur des questions que le film aborde.
c) Le support écrit
Il s’agit, ici, essentiellement de textes choisis dans la littérature
enfantine : albums, extraits de romans, fables, passages de romans
philosophiques pour enfants(cf. Lipman)… Ils seront lus aux enfants, plusieurs
fois avant la discussion, pour qu’ils en retiennent la trame narrative. Avec les
plus jeunes, les échanges porteront surtout sur l’appréciation de l’histoire et
les préférences qui devront être justifiés. Les enfants auront donc à
exprimer leurs opinions, à les argumenter et les comparer à celles des autres.
Cependant, il faut parvenir au fur et à mesure des séances à ce que les
enfants amènent d’autres questions qui pourront être abordées directement
sans cet intermédiaire.
De plus, ces textes doivent ouvrir sur des questions philosophiques sans
les traiter à la place des enfants. Selon M. Tozzi, les œuvres littéraires
«témoignent d'une vision singulière du monde, d'un regard propre à l'auteur,
d'un effort de dévoilement du réel, de son sens profond, que l'expérience
quotidienne ne montre pas et que le langage courant ne dit pas directement ».
C’est pourquoi elles sont porteuses de questions et peuvent donc être lues
philosophiquement.
¾ Quelques albums avec des pistes de travail.
Jojo la mache, Olivier Douzou, Editions du Rouergue.
Cet album, sans noter la particularité de l’illustration et des aspects
graphiques, raconte l’histoire d’une vache s’appelant Jojo la mache, qui
disparaît au fur et à mesure des pages jusqu’à ce qu’elle se volatilise
•
24
complètement. Le narrateur conclut en disant que l’on aperçoit la nuit des
morceaux de jojo dans la voie lactée.
Alors jojo a disparu… Où est-elle maintenant ? Dans le ciel ? Pourquoi ?
Ce type de questionnement peut être fait par des enfants ce qui les conduira
à parler de la mort et de ce que l’on devient quand on est mort. Peut-on savoir
ce qu’il y a après la mort ? Ce qui peut conduire à une distinction entre croire
et savoir.
La présentation de cet album peut faire suite à la question d’un enfant
concernant la mort pour que celle-ce soit abordée de façon plus générale et
donc moins personnelle, moins affective. Il est intéressant de traiter ce
thème car à cet âge les enfants se posent souvent ce type de questions. C’est
alors que pourront être évacuées les craintes et qu’une réflexion plus
rationnelle pourra prendre place.
Un chat est un chat, Grégoire Solotareff, L’Ecole des Loisirs.
Contrairement au précédent, ce livre aborde un thème moins « risqué »
mais correspondant toujours aux questionnements des enfants de 6/7 ans. Il
s’agit de Narcisse, un chat qui ne veut pas être un chat. Par le déguisement, il
tente de devenir lion, loup, chien mais cela ne fonctionne pas. Bien triste il
rentre chez lui et retrouve un ami qui lui fait prendre conscience qu’il est bien
comme il est et que « un chat est un chat ». On comprend que cette histoire
pose la question de la quête d’identité et de l’acceptation de soi-même. Des
interrogations du type « Peut-on être quelqu’un d’autre ? » ou encore « Quelle
est la différence entre être quelqu’un et jouer à être quelqu’un ?» peuvent
être formulées sans difficultés et donc traitées dans une discussion. Elles
sont introductives de questions plus abstraites telles que « Qui suis-je ? ».
•
Le monde à l’envers, Mario Ramos, Pastel l’Ecole des Loisirs.
Rémi, un souriceau, vit dans un monde où tout est à l’envers sauf lui. Ça
le rend très malheureux car ses camarades se moquent de lui. En entendant à
l’école que les personnes de l’autre côté de la Terre sont à l’envers, il décide
de parcourir le monde pour retrouver des gens comme lui. Lorsqu’il en trouve
un (qui s’avère être un homme en équilibre sur la tête), il se précipite pour le
rejoindre et tombe alors dans le ciel. Il percute une cigogne et avec ce choc,
le monde bascule. Il retourne chez ses parents heureux d’être enfin dans un
monde où tout est à l’endroit.
Cette histoire soulève le problème de la différence et du regard
d’autrui sur celle-ci. Il s’agit non plus ici de la question de l’acceptation de soi
bien de l’acceptation de l’autre dans sa différence : Comment accepter
l’autre ? D’ailleurs il faut noter que dans le livre, à aucun moment il n’est dit
dans quel sens le monde bascula. S’agissait-il du monde de Rémi ou de celui des
autres ?
La discussion partant de cet album peut prendre un sens plus aigu si elle
se situe dans un contexte conflictuel de rejet d’un ou plusieurs enfants. C’est
•
25
alors que l’on pourra réfléchir sur les concepts de différence et de
ressemblance qui ouvrent la porte à bien d’autres discussions : le racisme, le
handicap…
Un beau livre, Claude Boujon, L’Ecole des Loisirs.
C’est à partir de ce livre que j’ai travaillé avec les enfants pour les deux
premières séances. Mais, l’approche que je propose est différente de celle
adoptée pour les albums précédents.
Ce livre raconte l’histoire du lapin Victor et de son grand frère Ernest
qui, un beau jour, lui apporte un livre. Victor qui n’en avait jamais vu
s’émerveille en regardant les images. Tous deux commentent ces illustrations
dont le contenu est loin d’être comme leur réalité, ce que rappelle Ernest au
fil des pages. Après avoir tiré au clair que ce qui est représenté dans le livre
ne peut pas se réaliser et qu’il ne s’agit que d’imagination, les deux frères se
replongent dans leur lecture. C’est alors que survient un renard, bien réel lui,
qui cherche à manger ces lapins encore pris dans leur rêve. Le temps de
s’apercevoir de leur situation dramatique, Ernest prend le gros livre l’abat sur
la tête du renard et le coince dans sa gueule. Il conclut en expliquant que les
livres c’est très utile.
Hormis le thème de la lecture et de l’utilité des livres, on peut aborder
un point qui ne saute pas aux yeux des enfants. Il s’agit de la différence entre
le réel et l’imaginaire. En ce qui me concerne, j’ai fortement guidé les enfants
par des questions et des remarques pour parvenir à parler de cette
distinction. En effet, dans le livre que lisent Victor et Ernest il est question
de lapins qui volent, qui mesurent 10 mètres de haut, qui tuent des dragons…
J’ai demandé : « S’agit-il de “vrais” lapins ? », ce à quoi les enfants ont
majoritairement répondu « non » en justifiant par exemple par « les lapins ça
n’a pas d’ailes ». Puis j’ai demandé : « Ernest et Victor sont-ils de vrais
lapins ? ». Les réponses ont été partagées, les uns disant oui « parce qu’ils
parlent » les autres disant non « parce que c’est dans un livre ». Ces
divergences m’ont conduit à faire avancer leur réflexion vers un niveau de
généralisation et d’abstraction plus élevé en confrontant et analysant leurs
justifications. Celles-ci étaient représentatives de ce qu’ils considéraient
comme réel (qui existe en vrai) ou comme imaginaire (qui n’existe pas en vrai).
Le réel est ce que l’on peut toucher, voir, sentir, entendre, et même goûter,
et ce qui n’est pas réel c’est ce qu’on imagine ou qu’on rêve. D’ailleurs, pour que
la généralisation puisse se faire, j’ai dû, comme je l’ai écrit plus haut, faire ma
deuxième séance sans le support livre qui les faisait revenir
systématiquement à l’exemple, c’est-à-dire à la perception immédiate de
l’image.
L’album présente l’avantage d’être un support qui parle à l’enfant et qui
éclaire ce sur quoi nous discutons. L’enfant a une approche un peu plus
concrète du sujet tout en lui évitant de s’enliser dans un récit de sa propre
•
26
expérience, de son quotidien. Cependant il reste le risque que l’image soit trop
présente et fasse obstacle à la distanciation.
Bien d’autres albums peuvent être exploités philosophiquement, notamment
ceux qui abordent les thèmes de la connaissance, la pensée, le sens de la vie
et de la mort, le langage et la communication, l’identité, le rapport à l’autre…
4) L’organisation de l’atelier.
Pour l’atelier que j’ai mis en place avec les enfants de CP/CE1, sachant
que je n’avais que quelques semaines, j’ai opté pour la répartition des séances
sur les 4 semaines qui m’étaient imparties, à raison d’une par semaine. J’aurais
souhaité garder un horaire choisi fixe dans la semaine pour que les enfants
attribuent à ces séances un caractère régulier et intégré à leur travail
habituel. Mais, ce ne fut pas possible pour cause de contrainte
organisationnelle avec mon collègue. En effet, j’avais pris le parti de diviser la
classe en deux groupes dont l’un travaillait avec moi pendant que l’autre avait
une tâche à effectuer en autonomie sous la surveillance d’un de mes collègues.
Cette classe était composée de 15 CP et de 6 CE1. Je n’ai donc pas
divisé par groupes d’âge, ils étaient mélangés. Le critère de division était tout
simplement l’autorisation parentale d’utiliser ou non l’image vidéo des enfants.
Bien qu’ayant expliqué aux parents la raison pour laquelle je souhaitais filmer,
je n’ai obtenu l’autorisation que pour la moitié d’entre eux. Pour les autres, je
n’ai pu enregistrer que leurs voix.
Il est important que les enfants changent de lieu lors des moments de
discussions philosophiques pour qu’ils fassent bien la distinction entre l’espace
de travail que l’on mène en classe et l’espace de réflexion qui est mené ici.
Cependant, les problèmes matériels, comme souvent dans les petites écoles,
n’ont pas permis de respecter ce principe. Toutefois, à chaque séance, j’ai
aménagé la salle de classe en poussant quelques tables pour faire asseoir les
enfants par terre, transformant ainsi le cadre habituel de la classe.
Nous nous disposions tous en cercle pour tous puissent se voir et
s’adresser la parole. Pour ma part, je n’avais pas de place privilégiée dans ce
cercle. Ce mode de disposition semble être, de toute évidence, le plus
efficace pour un tel type de communication.
Une fois, installés, nous pouvions commencer. Mais, la discussion
philosophique nécessite des règles d’organisation notamment en ce qui
concerne la prise de parole. Sur ce principe, la réflexion avait été menée
préalablement avec l’ensemble de la classe. Nous avons retenu était que tout
le monde avait le droit de parler ou non, et pour se faire, il fallait respecter
les levers de doigt que l’on pratique déjà habituellement. Ensuite, la prise de
parole ne pouvait se faire que lorsque, moi en tant que maîtresse, je la
donnais. Comme les enfants découvraient l’activité, il semblait difficile de leur
donner ce rôle si tôt, mais nous avons déterminé comment je devais distribuer
cette parole : priorité à ceux qui n’ont pas encore parlé et ensuite à ceux qui
27
lèvent le doigt depuis plus longtemps. Une fois qu’un enfant prend la parole,
les autres doivent l’écouter attentivement et attendre qu’il ait fini son propos
pour tenter de s’exprimer. Pour être sûre que tous respecteraient cette
règle, j’ai inséré un “bâton de parole” dans les échanges. Cette idée ne vient
pas de moi mais en faisant des recherches sur les pratiques déjà mises en
œuvres, j’ai trouvé judicieux de passer par ce médiateur pour concrétiser la
prise de parole. Ceci c’est avéré très efficace. Les enfants ne parlaient pas
tant qu’ils n’avaient pas le bâton dans les mains. Notons que le petit jeu
consistant à lever la main pour seulement tenir le bâton quelques instants,
sans avoir quelque chose de plus ou moins pertinent à dire, n’a pas duré bien
longtemps.
5) Rôle de l’enseignant.
Tout d’abord, rappelons que l’enseignant doit avant toute chose préparer
l’atelier. Il organise ses séances en prenant garde que les sujets choisis soient
philosophiques. Les notions, les questions, les supports qui servent de point
d’ancrage au questionnement sont essentiels au bon déroulement et à la
réussite des séquences. De plus, il doit avoir réfléchi aux différentes
réponses possibles qu’il s’agit de faire émerger. Pour cela, le professeur doit
avoir quelques connaissances en philosophie et sur les questions
philosophiques, bien qu’il n’ait nullement besoin d’avoir fait des études de
philosophie.
Ensuite, de manière plus générale, il doit :
- Etre garant du fonctionnement en rappelant les règles et en gérant
correctement la prise de parole.
- Créer une “communauté de recherche”, comme le dit Lipman, en
favorisant les échanges construits entre élèves.
- Faire naître un climat de confiance dans lequel les enfants s’exprimeront
et échangeront avec plus de facilité.
- Veiller à la rigueur et la précision de l’expression, à la cohérence de la
discussion et à la progression collective des échanges. Cela signifie que
l’enseignant doit faire des reprises questionnantes, des recentrages, des
relances, répéter les thèses énoncées ou les arguments pour que tous les
écoutent et reformuler ce qui manque de clarté ou de précision, faire des
synthèses partielles et finales. Sans apporter son point de vue sur le fond, il
construit du sens par rapport au sujet et une progression collective de la
pensée en s’appuyant essentiellement sur les apports des élèves, et en
émettant des contradictions et des objections lorsqu’elles ne surgissent pas
des élèves. Il met en relation les différentes interventions.
Et enfin, l’enseignant doit prendre garde à bien terminer chaque séance
en ayant structuré les idées développées plutôt que de rester dans la
confusion. Il est toutefois possible de faire la récapitulation à part. C’est
d’ailleurs ce que j’ai, plus ou moins fait, avec mes élèves. Pour chaque groupe
28
j’ai fait une petite synthèse brève à la fin de la discussion mais ensuite, de
retour en classe entière, les enfants devaient expliquer à l’autre groupe ce qui
avait été dit, globalement. Mais ce moment n’était pas encore très efficace
puisque chacun rappelait ce qu’il avait exprimé et la discussion était repartie.
C’est à nouveau moi qui synthétisais. Il me semble pourtant qu ‘à force de
participer à ces récapitulations, les enfants pourront, à leur tour, tenter de
redonner les idées principales développées.
Analyse de ma place dans les discussions :
Ce qui m’a le plus frappée avant même de visionner la cassette, c’est que
j’avais le sentiment d’être le point articulateur de la discussion à tel point que
les enfants ne se répondaient souvent que par mon intermédiaire. Ils
attendaient une sorte d’approbation de ma part. Bien qu’ayant conscience de
ce fait, j’ai éprouvé quelques difficultés à ne pas intervenir dans la discussion.
Lors de la première séance, je répétais de manière pratiquement
systématique les réponses des enfants. C’est un bon moyen pour valoriser
l’intervention et souligner ce qui est intéressant mais il fallait absolument que
j’amène les enfants à échanger plus entre eux. J’ai donc travaillé sur ce point
et limité progressivement les interventions inutiles. J’ai aussi compris que les
silences pouvaient être utiles et que je n’avais pas nécessairement besoin de
relancer immédiatement.
De même, sans considérer la reprise de propos, j’ai été très présente par
la parole de manière générale pour faire un fort guidage cognitif. Ce guidage
passait par des questions plus précises visant l'explicitation d'un argument, la
relance du débat par une entrée différente, le prolongement d’une idée
esquissée à travers un exemple… Lors de la première séance, je n’avais pas
trop étayé les réponses que je pouvais attendre des enfants car je découvrais
à peine ces derniers. J’ai donc guidé cette discussion de manière assez
aléatoire, sans limite de champs philosophiques. J’ai vite senti que les enfants
ne percevaient pas clairement l’objet de la discussion. C’est pourquoi, pour les
trois autres séances, j’ai dit plus clairement aux enfants quelle était la
question et j’ai anticipé les réponses possibles. Je me suis alors retrouvée à
être en attente des réponses et donc à guider fortement la réflexion des
enfants. Ce que je n’ai pas réussi à dépasser. Cependant, à aucun moment, je
n’ai donné la supposée « bonne réponse » à la question du débat. Mes
interventions, en tant que reformulateur, prenaient en compte les différentes
orientations dans l’échange.
Pour améliorer mon guidage, j’ai cherché à identifier les moments où il était
plus judicieux d’inviter l’enfant à approfondir ou de faire une récapitulation.
Mais, lorsque l’on vit la discussion, un tel recul n’est pas toujours immédiat, et
il m’a fallu quelques temps pour commencer à intervenir de manière plus
pertinente auprès des enfants.
De plus, je pense avoir gardé ma place d’enseignante aux yeux des
enfants de par les fonctions que je cumulais (répartiteur de parole, guide
29
cognitif, responsable du respect des règles de la discussion, reformulateur…)
alors qu’il aurait mieux valu que, durant chaque séance, je devienne
« animateur » pour que les enfants s’expriment plus librement peut-être.
Enfin, j’ajouterais que les enfants avaient des difficultés à questionner
le fond du problème sans passer par des détails annexes et à rester dans le
sujet. Les discussions philosophiques sont toujours entrecoupées par quelques
digressions. De même, ils n’arrivaient pas à dépasser le vécu qui valait
généralement comme seul argument. Je ne suis pas parvenue à limiter les
exemples, alors que ceux-ci faisaient, pour les enfants, office de
généralisation dès lors qu’ils utilisaient le “on” et le “nous”.
6) Les limites de cette pratique.
Difficultés liées à l’âge des enfants
Bien que les jeunes enfants puissent aboutir à une réflexion plus ou moins
construite sur des sujets philosophiques, il n’en reste pas moins qu’un gros
travail est à fournir. En effet, à 6/7 ans, l’enfant a encore quelques
difficultés à s’extraire du vécu immédiat, ce qui donne une grande place aux
exemples. De plus, souvent, il ne parvient pas à rester centré sur le thème et
à formuler clairement ses idées. Et enfin, on peut noter les difficultés
concernant le dialogue et la capacité à tenir compte de ce que disent les
autres. Tous ces points rendent difficiles les progrès concernant la
progression de la pensée réflexive. De nombreux apprentissages sont à
mettre en place avant de pouvoir commencer réellement à « philosopher ».
Quels apprentissages réellement acquis ?
Pratiquer des discussions philosophiques à l’école primaire développe-t-il
réellement des capacités réflexives chez les élèves ? Quelles sont les
compétences réellement acquises, par exemple en matière de
conceptualisation, de problématisation et d’argumentation, à moyen et long
terme, et selon l’âge des enfants ?
Ces questions nous renvoient au problème de l’évaluation. Comment
évaluer le langage oral (élocution et aspect communicationnel) ? Comment
mesurer la pensée de l’enfant ? Comment faire en sorte que les enfants
maintiennent une attitude curieuse et interrogative dans les autres
matières ? Comment s’assurer que leur comportement se prolonge en dehors
de l’espace scolaire ?
Les recherches actuelles n’ont pas encore défini un moyen d’évaluer de
manière disons « standardisée » les compétences réellement développées par
les enfants. Mais peut-être n’est-ce pas un mal de laisser ce domaine dans un
espace non formaté.
30
Une trop grande non-intervention du maître peut avoir des conséquences
Si, par souci démocratique, l’enseignant est trop en retrait par rapport à la
discussion des élèves, il ne peut plus, influencer le cours des échanges, ni
construire du sens, tenir un fil directeur par le recentrage, le
questionnement, l’interpellation nominative d’expliciter un propos… Donc il ne
peut plus assurer une exigence intellectuelle soutenue dans l’interaction. Le
contenu de la discussion risque de comporter des défaillances au niveau
intellectuel, comme la superficialité ou la dispersion. En effet, les enfants
peuvent échanger de manière démocratique des préjugés sans pour autant
faire progresser leur pensée. En démocratie on peut avoir raison en étant plus
nombreux mais en philosophie, c’est différent. Celui, ayant plus réfléchi, bien
que seul contre tous, peut avoir raison. La dérive démagogique risque de
prendre place sans l’exigence d’un rapport à la vérité des propos tenus car
tout se vaut à partir du moment où c’est exprimé.
Trop d’attentes du maître
L’enseignant peut tomber dans le travers de vouloir faire exprimer à tout prix
ce qu’il a dans la tête et ce qu’il juge nécessaire, par des questions insistantes
ou fermées. On ne serait plus dans le développement de la pensée autonome
car il y aurait un contenu à transmettre par le guidage, l’étayage. Il s’agit de
ne s’appuyer que sur les apports des élèves par un questionnement ouvert du
maître, de façon à ce qu’ils cherchent par eux-mêmes leur propre réponse, au
lieu d’être captifs du désir du maître, en cherchant “la bonne réponse”. Même
si la tâche est difficile, le maître doit s’y atteler.
Risque de limitation sur l’argumentation
Les enseignants peuvent orienter surtout les débats sur le développement des
compétences argumentatives qui pourraient conduire à des comportements de
domination plus qu’à une attitude philosophique d’élaboration d’une pensée
collective.
Michel Tozzi pose la question en ces termes : « L’école, à travers la didactique
du français, doit-elle préparer aux usages sociaux du débat politique
médiatique ou des techniques commerciales de persuasion pour y adapter les
élèves, ou résister à ces pratiques de références pour instaurer une
discussion qualitativement exigeante dans son rapport à la vérité et à la
communauté discussionnelle ? ».
31
Conclusion
Au-delà du plaisir que les enfants ont pu prendre à « faire de la
phisolophie », j’ai réalisé combien il était important de leur permettre de
s’exprimer librement dans un cadre structuré et structurant, tout en guidant
la pensée vers une élaboration plus approfondie, plus cohérente.
J’ai mesuré aussi l’impact de cette démarche sur les autres
apprentissages.
Au-delà de l’aspect utilitaire que chaque discipline peut retirer de cette
pratique (construction de compétences langagières, logique argumentative,
etc), par sa transversalité, la philosophie devient essentielle. Elle permet
l’accès à la conceptualisation, à l’abstraction qui est la clé de maints
apprentissages. Elle engage délibérément les enfants dans une démarche de
regard sur leur propre pensée avec un retour sur leurs représentations et une
interrogation sur l’origine et la valeur de leurs savoirs.
D’autre part, j’ai pu observer les premières transformations
comportementales de mes élèves, pourtant turbulents, devenus soudainement
plus attentifs, plus à l’écoute de l’autre, des autres, plus respectueux du
respect des règles exigées collectivement.
Une citoyenneté, certes à ses débuts, mais en acte, une citoyenneté
possible parce que la réflexion philosophique la commandait, l’impliquait, en
était devenue la condition. Il ne peut y avoir d’autonomie de chacun sans une
pratique d’échange au sein d’un groupe, sans une part de réflexion sur son
propre comportement, sur son propre mode de pensée.
Philosopher permet la parole, la pensée de l’autre et donc permet
l’intelligence de la tolérance.
Enfin, cette courte expérience, m’a permis, à mon tour, un regard, un
retour sur ma pratique et sur mes limites tant sur les contenus philosophiques
que sur les procédures à mettre en œuvres pour permettre/favoriser la
pensée réflexive de l’enfant.
L’apprentissage du philosopher au cycle II, dans sa manière d’aborder
des sujets philosophiques, par le guidage de l’enseignant, sera une bonne
introduction au travail de la pensée qui sera réalisé au cycle III.
M’engager dans cette expérience, m’a convaincue que jouer à
philosopher à l’école primaire était une affaire sérieuse et qu’il faudrait
commencer certainement par la maternelle.
32
Bibliographie
Ouvrages :
• JASPERS Karl, Introduction à la philosophie, 10/18, 1966
• LALANNE Anne, Faire de la philosophie à l’école élémentaire, ESF éditeur,
2002.
• LAURENDEAU Pierre, Des enfants qui philosophent, Les Editions Logiques,
1996.
• TOZZI Michel, La discussion philosophique à l’école primaire, CNDP, 2002.
• TOZZI, Michel, L’éveil de la pensée réflexive à l’école primaire, CNDP,
Hachette édition, 2001.
• Ministère de l’éducation nationale, Qu’apprend-t-on à l’école élémentaire ?
Les nouveaux programmes officiels, XO Editions, 2002.
• PERRENOUD Phillippe, Dix nouvelles compétences pour enseigner, ESF
éditeur, 1998.
Articles :
• PERRIN Annick, Ateliers de philosophie à l'école primaire, dans Argos,
décembre 2000, n° 26.
• BRENIFIER Oscar, La philosophie en maternelle, 1re partie - Le
fonctionnement. (issu de Internet)
• DELSOL Alain, Philosopher à l’école élémentaire. (issu de Internet)
• LALANNE Anne, Une expérience de philosophie à l’école élémentaire. (issu
de Internet)
33
Annexe
Retranscription des discussions sur « Qu’est-ce que penser ? »
avec une classe de CP/CE1
Suite à une discussion avec les enfants, hors atelier, sur ce qu’est faire de la
philosophie, j’ai décidé de mener dans cette séance une discussion orientée
sur le terme « penser » qui semblait être, pour les enfants, le mot le plus
adapté pour définir.
M = Moi
Groupe 1 :
M :
L’autre jour, on avait reparlé de ce qu’est philosopher. Vous vous
souvenez ? Vous m’aviez répondu : « c’est penser », « c’est penser sur
des trucs qui n’ont pas de réponses… ». Alors, moi, j’aimerai poser la
question : « Qu’est-ce que penser ? »
(Réaction de surprise de la part des enfants)
Kévin : Ah !
(Silence)
M:
D’après vous qu’est-ce qu’on fait quand on pense ?
Rémi : On imagine ce qu’on voudrait faire ou par exemple on imagine qu’on
dort… quand on dort… C’est souvent quand on dort qu’on imagine. Et
puis on peut imaginer, « tiens, je peux lire un livre ».
M :
Alors pour toi penser c’est imaginer et penser et rêver c’est la même
chose.
Rémi : Mmh.
Léa : Non, c’est pas la même chose !
M:
Pourquoi ?
Léa : Parce que imaginer c’est ce qu’on pense et rêver c’est ce qu’on fait.
Rémi : Bah non, parce que si on imagine c’est pas ce qu’on fait… On peut pas
faire en imaginant.
Léa : Mais non rêver… (elle s’aperçoit qu’elle n’a pas le bâton de parole)
Rémi : Ah oui… si par exemple on est somnambule après on peut le faire. (tout
bas)
M :
Redis Léa.
Léa : Je disais que imaginer c’est pas pareil que rêver parce que ça pourrait
peut-être se faire un jour, ce qu’on fait.
M :
Et imaginer, non ?
Léa : Non.
M :
Pourquoi ?
Léa : Je sais pas.
34
Vincent : Ben alors, si tu sais pas, ça veut dire que imaginer et rêver, et ben…
ça fait la même chose.
Guillaume : Mais aussi, imaginer et rêver c’est la même chose.
Rémi : C’est presque pareil que ce que j’ai dit.
M :
Et pourquoi ?
Guillaume : Parce que quand on rêve ça peut se réaliser et ça peut pas se
réaliser et quand on imagine ça peut se faire et ça peut pas se faire.
M :
Je n’ai pas bien compris ce que tu as dit.
Rémi : J’ai compris ce qu’il voulait dire. Il veut dire que imaginer ça veut dire
on peut le faire en vrai ou pas le faire. Et rêver c’est la même chose.
M :
Kévin.
Kévin : C’est pareil parce que quand on imagine, quand on dort, on boit une
soupe, si on en a une, un jour, ça peut se faire, c’est sûr ça.
Rémi : Bah oui !
M :
Donc vous vous êtes en train de parler de ce qui peut être réaliser et
de ce qui ne peut pas être réaliser… de ce qui peut devenir réel ou ne
pas devenir réel.
Rémi : Là, on est en train de faire de la philosophie, comme on pense pas
toujours la même chose.
M :
Alors, je récapitule ce qu’on a dit : penser c’est rêver, imaginer. Rêver
et imaginer c’est la même chose pour eux et pas pour toi Léa. Est-ce
que tu peux nous redire pourquoi tu pense que c’est pas la même
chose ?
Léa : J’y arrive plus.
M :
Et quand je rêve et que je suis endormie, est-ce que c’est la même
chose que quand j’imagine quelque chose ?
Tous : Non ! ! !
M :
On lève la main si on dit non et pourquoi.
Rémi :Non c’est pas la même chose parce que quand on dort, on rêve, et quand
on imagine, on ferme les yeux, on regarde quelqu’un « tiens, j’ai jamais
fais ça ». J’imagine quelque chose.
Guillaume : Mais imaginer et rêver on peut le faire dans la nuit et aussi dans
le jour.
Kévin : Bah oui !
M :
Alors, quand on pense, vous avez dit, on rêve, et on imagine. On a
définit que rêver c’est imaginer.
Et, par exemple, je pense à toi… Je rêve de toi ?
Guillaume : Bah non !
M :
Alors est-ce que penser c’est rêver ?
Anaïs : Oui mais en fait des fois c’est pas rêver.
M :
C’est quoi alors ?
Anaïs : ça peut être penser à quelqu’un.
Aurélie :Et puis aussi… ça peut être… quand je pense que… que je veux
manger, par exemple.
35
(Silence)
M :
Et quand je fais des maths ?
Vincent : Quand je fais des maths… il faut que je cherche.
Léa : On calcule.
M :
Vous calculez…
(moment de distraction)
M :
Quand je fais des maths, je cherche. Et est-ce que je pense alors ?
Romain : Je pense aux maths.
Alexis : Je réfléchis à la question, aux chiffres… J’écris sur mon ardoise les
boites de billes…
M :
Toi, tu réfléchis. Vous êtes d’accord avec ce que dit Alexis ? Quand je
pense aux maths je réfléchis ?
Rémi : Oui, hein, c’est normal. On pense toujours quand on fait des maths.
M :
Mais est-ce que tu pense comme Alexis que penser c’est aussi
réfléchir ?
Rémi : Oui…
Kévin : Oui, et en plus, c’est sûr que quand je réfléchis, je dois penser très
fort à la réponse pour avoir bon.
M :
Et pour toi, réfléchi c’est penser très fort. Bien mais si je dis que je
pense à… à quand j’étais petite, qu’est ce que je fais ?
Guillaume : Ben, tu penses.
M :
Et est-ce que c’est comme quand je pense à toi ?
Guillaume : Non.
M :
Pourquoi ?
Guillaume : Parce que quand tu penses à quand t’étais petite, tu penses à
avant. Et quand tu penses à moi, c’est pas avant.
M :
Donc, tu dis que, quand on pense, on peut penser à avant, au passé ou à
aujourd’hui.
Rémi : Oui, je suis d’accord avec Guillaume moi.
M :
Bien alors. On va s’arrêter. D’abord, je reprends ce que vous avez dit :
penser c’est imaginer/rêver, c’est réfléchir/penser fort à quelque
chose, ou alors c’est penser au passé ou à aujourd’hui.
ÀÀÀ
Groupe 2
M :
Vous rappelez, la dernière fois, on avait redit ce que c’est que
philosopher.
Jehanne : Oui. Quand on fait de la philosophie, on n’est pas tous d’accord.
Maxence D : On pense.
Ludovic : Oui, on pense.
Damien : Mais aussi, si on ne pense pas, on fait quoi si on pense pas ?
M :
Tu pense qu’on pense tout le temps ?
Ludovic : (dans son coin) Ah ben moi j’en sais rien.
36
Pierre-Louis : Bah non, parce que y a quelqu’un que je connais, toujours il
pense, même quand il dort, il pense encore. Tout ce qu’il fait, toujours
quand il fait un truc, il arrête pas, il arrête pas de penser.
M :
Et toi tu penses tout le temps ?
P-L : Bah non, mais…
Maxence P : Bah alors !
P-L : Mais celui que je connais il n’arrête pas de penser.
Jehanne : Si on pense pas, ben, on lève pas le doigt à l’école.
M :
Là, ça veut dire que Léo qui ne lève pas le doigt, là, il ne pense pas.
Guillaume : Si, il pense.
M :
(A Léo) Tu penses là ?
Léo : Non ;
M :
Tu penses à rien ?
Léo : Non.
Max P : Si, il réfléchit.
M :
Il réfléchit. Qu’est-ce que ça veut dire réfléchir ?
Max P : Il réfléchit à ce qu’il va dire.
Léo : Non, je réfléchis pas.
Max P : Bah… c’est qu’il veut pas parler. Voilà.
Pauline : Quand on parle pas, on réfléchit pas.
Jehanne : Si parce qu’il faut se rappeler de ce qu’on doit dire, de ce qu’on
voulait dire.
Max D : Et puis, dans les cauchemars, on y croit, mais ça existe pas.
Ludovic : (plus bas) On l’a déjà dit hier ça !
Guillaume : Bah si on fait des cauchemars, un jour ça pourra exister.
Max D : Et pis, les dinosaures c’est pas réel mais ça a existé.
M :
A c’est plus… on ne parle plus de la même chose. On disait, « est-ce
qu’on réfléchit tout le temps ? » et Maxence disait que quand on pense
on réfléchit. Et Jehanne, elle disait que penser c’est pour se rappeler.
Léo : on réfléchit avant pour savoir parce que peut-être que je voulais pas
dire ça. On va pas dire n’importe quoi.
M :
Est-ce que pour toi réfléchir c’est penser ?
Léo : Euh…
Ludovic : (sans demander la parole) Non.
Léo : … non.
Jehanne : Aussi, si on s’en rappelle plus et que la maîtresse nous interroge
pas et ben on baisse le doigt.
André : Bah si, quand on réfléchit, on pense !
M :
Quand on réfléchit on pense. Pourquoi tu penses ça ?
André : Parce que quand on réfléchit, c’est dans la tête, et quand on pense
c’est aussi dans la tête.
Damien : Si on n’a pas fini de réfléchir dans la tête, et puis qu’on l’interroge,
et ben euh… on réfléchit encore. Y a un autre qui lève le doigt et on va
réfléchir après.
37
(Silence)
Max P : On peut pas penser et réfléchir en même temps parce qu’on peut pas
faire deux choses en même temps.
M :
On peut pas faire deux choses en même temps ?
Max P : Non. Par exemple écrire et parler…
P-L : Bah si, c’est facile parce que… Alors parce que les deux yeux, ils se
ferment en même temps, et quand on parle…, et quand les dents
tombent, et si, elles tombent en même temps.
Max P : Mais c’est deux choses pareilles.
Jehanne : Aussi, on peut pas faire la vaisselle en même temps que manger.
M :
Je resitue un peu. On a dit…
Max P : On parlait de la philosophie et eux ils parlent de la vaisselle.
M :
On disait que c’était pas possible de penser et de réfléchir en même
temps, c’était faire deux choses…
Max P : Oui.
M :
…Et André, tout à l’heure, a dit que penser et réfléchir c’était la
même chose.
Max P : C’est la même chose mais si c’était autre chose on pourrait pas les
faire en même temps.
Damien : Si on lève le doigt et qu’on réfléchit deux choses en même temps, ça
fait rien.
Guillaume : Et puis, on peut pas faire deux choses en même temps parce que,
par exemple, si on fait la vaisselle et qu’on veut boire en même temps,
on peut pas le faire parce que sinon on pourrait casser un verre ou
alors une assiette.
M :
Tout ce que vous me dites c’est des exemples tout ça. Mais dites-moi
plutôt qu’est ce que c’est penser pour vous ?
Max D : Quand on pense, c’est quand on pense à quelque chose.
M :
On pense à quelque chose.
Max P : Là, on comprend rien. Il dit “pense” et “pense”, nous on veut savoir ce
que ça veut dire “pense”.
Max D : Penser à quelque chose, c’est par exemple… par exemple, je voudrais
être magicien. Ça c’est penser. Par exemple, je pense que je veux
devenir magicien.
M :
Alors quand tu penses que tu veux devenir magicien, tu fais quoi ?
Max P : Je réfléchis… je réfléchis à moi… Je réfléchis… par exemple, quand
je sais pas, je réfléchis mais quand je ne sais pas et bien je ne pense
pas. Sauf des fois, quand j’hésite, je pense que je mettrai celui-là.
Max D : Et ben, quand on pense qu’on veut être magicien, on pourrait penser à
faire des tours de magie, quand on pense à être magicien. On peut
aussi penser qu’on pourrait être kinésithérapeute et ostéopathe.
M :
Et tu fais quoi quand tu penses que tu veux être kinésithérapeute et
ostéopathe ?
Max D : Je pense que je vais opérer les gens quand ils ont mal quelque part.
38
M :
Donc tu penses à l’avenir, à ce qui va se passer. Penser, c’est donc
penser au futur. On avait déjà dit que penser c’est aussi réfléchir à ce
qu’on va dire, à ce qu’on va faire. Penser c’est quoi d’autre ?
P-L : Penser au futur, au présent, réfléchir.
Léo : Je pense que j’aimerais être dans un château. Si ça se réalise.
M :
Et c’est réel ce dont tu parles ?
Léo : Non.
M :
Alors tu penses à quelque chose qui n’est pas réel.
Max P : On rêve. On est dans nos pensées. On est au pays imaginaire.
Guillaume : Aller au pays imaginaire ça peut pas se réaliser.
Max P : Non mais… pays imaginaire. I MA GI NAIRE ! ! Tu comprends, I MA
GI NAIRE ! Ça existe pas. Imaginaire ça veut dire que ça n’existe pas.
Si on est imaginaire, ça n’existe pas.
M : C’est l’heure d’arrêter donc je reprends : Pour vous, penser c’est
réfléchir à quelque chose, au futur, au présent, et c’est aussi rêver,
aller au pays imaginaire.
39
Apprendre à philosopher dès le cycle II
RESUME :
En partant des questions authentiques et fondamentales que se posent les
enfants, la discussion philosophique développe chez eux la construction d’une
pensée réflexive, structurée, critique et autonome. Dans le cadre d’un atelier
spécifique, l’enseignant peut alors favoriser l’acquisition de compétences
langagières, citoyennes et amener les enfants à construire un rapport non
dogmatique aux savoirs.
MOTS CLES :
Philosophie
Ecole primaire
Transdisciplinarité
Citoyenneté
Langage oral
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