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La réalité est évidemment plus complexe et l’on connaît quelques épisodes qui entrent dans le
cadre déni ci-dessus. J’ai limité mon enquête à cinq ambassades ou missions diplomatiques bien
documentées qui sont toutes antérieures à la n du siècle et qui ont, de surcroît, débouché sur
des résultats très diérents les uns des autres. Il s’agit a) de la mission du frère du consul Fabius
Maximus Rullianus auprès du Sénat de Camerinum d’Ombrie en 310 ; b) de l’ambassade de Fabius
(Maximus Verrucosus ou Buteo) et de ses collègues en Espagne et en Gaule en 218 ; c) de la mission
de trois centurions envoyés par les frères Scipions auprès du roi Syphax de Numidie en 213 ;
d) de l’ambassade de M. Valerius Laevinus auprès des Étoliens en 212 ou en 211 ; e) de la visite de
P. Cornelius Scipio à Syphax en 206. Si la deuxième décade de Tite-Live était conservée, on y aurait
peut-être trouvé d’autres épisodes de même nature.
I.
Le récit de Tite-Live, qui est notre source principale pour ces cinq ambassades, présente des
qualités littéraires évidentes : les épisodes sont traités de façon très vivante et parfois romancée ;
certains contiennent des éléments héroïques et des indications ethnographiques ou géographiques
qui ont pour principale fonction de susciter l’intérêt du lecteur. Par exemple, l’historien raconte
qu’en 310, l’un des frères de Fabius Maximus Rullianus aurait été choisi pour une mission périlleuse
consistant à traverser incognito la terriante forêt Ciminienne parce qu’il parlait l’étrusque, et que
c’est déguisé en paysan et accompagné d’un seul esclave qu’il serait parvenu en Ombrie. De même,
Fabius et ses collègues auraient été très mal reçus par les peuples d’Espagne et de Gaule en 218 ; ils
auraient été particulièrement erayés par les Gaulois, qui avaient coutume de venir en armes aux
(4) Je conserve le nom de la cité et la date du traité donnés par Tite-Live ; cf. H 1971, p. 49-61 ; B 2000,
p. 107-109 ; D C 2001, p. 181-182 ; O 2005, p. 473 ; S 2007, p. 36-37. Quelques savants, relevant le fait
que Camerinum était fort éloignée du théâtre des opérations de l’année 310, ont supposé que Tite-Live avait confondu le
2 et le 5 consulat de Fabius Maximus Rullianus et que l’épisode devait être rattaché à la campagne de Sentinum en 295
(B 1926, p. 443 ; H 1983, p. 171, n. 61) ; d’autres ont supposé qu’il avait confondu les Camertes de Camerinum
avec Camars, l’autre nom de la cité étrusque de Clusium (L. 10.25.11 ; C 1995, p. 355 et 466 n. 31 ; cf. O 2005,
p. 460, n. 2 pour d’autres références).
(5) Il subsiste des doutes sur l’identité du chef de cette ambassade. Tite-Live (21.18.1) l’appelle Quintus Fabius, ce qui
renvoie au célèbre Q. Fabius Maximus Verrucosus, dit aussi Cunctator. En revanche, Dion Cassius (13 F 55.10 ; Z. 8.22)
le nomme Fabius Marcus : soit il s’agit d’une erreur de copiste pour Fabius Maximus, soit il faut identifier le personnage à
M. Fabius Buteo, consul en 245. Cf. B 1951, p. 239 ; H 1989, p. 294, n. 3, avec d’autres références. La question
est ici secondaire.
(6) Avec E 1987, p. 204-205 et d’autres, je considère cet épisode comme historique, de même que l’ambassade
envoyée au Sénat par le roi en 210. Des doutes ont été exprimés notamment par G 1928, p. 181-183 ; L 1978,
p. 129 ; R 1986, p. 39-40.
(7) Tite-Live place l’épisode en 211, mais cette date est contestée par certains Modernes. Cf. K 1954, p. 4
et n. 3 avec d’autres références ; L 1967, p. 10-50 et 362-365 (automne 212) ; MD 1956 (printemps 211) ;
B 1958, p. 197-203 (automne 211). Le débat n’est pas encore clos. Cf. R 1984, p. 155-157 ; D 1999, p. 153 ;
D 2002, p. 33, n. 2.
(8) J’ai laissé de côté les accords passés par Scipion avec Massinissa la même année pour la seule raison que l’initiative est
apparemment venue du prince numide, mais le dossier est fort intéressant et nous aurons l’occasion de l’évoquer au passage.
(9) Je songe en particulier à l’ambassade romaine qui déboucha sur la conclusion d’une alliance avec les Cénomans et les
Vénètes en 226/5, dans le contexte de l’invasion des Gésates en Italie. Polybe (2.23.3 : διαπρεσβευσανων ωαων) résume
l’affaire en quelques mots, mais Tite-Live avait peut-être donné davantage de détails sur le déroulement des négociations.
(10) L. 9.36.1-8 ; cf. aussi F. 1.12.3-4 ; F. Strat. 1.2.2. Quant à Diodore (20.35.1-4), il ne dit mot de l’ambassade
à Camerinum, mais son témoignage est important pour la compréhension globale de la campagne militaire de 310. Cf. infra,
n. 33.
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