Colloque Victor Cousin - atelier La question religieuse lundi 16 janvier

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Commémoration nationale du cent-cinquantième anniversaire de la mort de Victor
Cousin (Paris 1792, Cannes 1867)
Colloque international
« MORT DE L’ENSEIGNEMENT PHILOSOPHIQUE OU EPUISEMENT DU
PARADIGME COUSINIEN ?»
coorganisé par le Collège international de philosophie, le département philosophie et
le Laboratoire d’études et de recherches sur les logiques contemporaines de la
philosophie de l’Université Paris 8, l’Ecole Normale Supérieure de Paris et l’Ecole
Normale Supérieure de Lyon, avec les Archives Nationales de France,
sous le haut patronage de l’Inspection Générale de Philosophie
Lundi 16 janvier 2017, 10h45-13h, au Grand amphithéâtre de l'École de Médecine, 5
rue de l'École de Médecine, 75006 Paris, se déroulera un atelier intitulé «La
philosophie et la question religieuse », sous la responsabilité d’Elise Lamy-Rested
(CIPh) et Louise Ferté (Université d’Amiens), avec la participation de Christiane
Vollaire (philosophe, Lycée Jean Macé, Vitry sur Seine), José-Carlos Gutiérrez
(philosophe, IEP, enseignant en milieu carcéral) et Anne-Claire Husser (philosophe,
ESPE de Lyon).
*****
Au sein de ce colloque qui interroge les déplacements successifs depuis le XIXe
siècle du paradigme constitutif de l’enseignement philosophique, et les
problématiques que rencontre la pratique de cet enseignement aujourd’hui, nous
nous sommes intéressées à la question religieuse.
Nous ne ferons qu’esquisser, dans l’introduction préliminaire à la table ronde, la
manière dont la religion apparaît au XIXe siècle dans la pensée cousinienne et sa
manière de concevoir l’enseignement de philosophie dans le secondaire.
La laïcisation de l’école publique, qui marque une rupture entre l’institution scolaire
et l’institution religieuse, n’implique nullement la disparition de la religion comme
objet d’enseignement : apparaît un nouvel enjeu à la fin du XIXe siècle, qui consiste
à exposer la question religieuse d’un point de vue rationnel, universalisable à
l’ensemble des citoyens français, quelles que soient leurs croyances religieuses et
leurs convictions politiques. L’enseignement laïque de la religion, d’un point de vue
philosophique.
Qu'en est-il de la laïcité aujourd'hui ? D'abord comprise comme un instrument de
liberté qui permettait à chacun d'exprimer ses croyances de manière explicite dans
tous les lieux publics, la laïcité a très vite été perçue, suite à la loi sur les signes
religieux dans les écoles publiques françaises de 2004, comme un instrument de
répression, voire même d'ostracisation. Pourtant, et malgré sa prétention à la
neutralité religieuse, la laïcité, ou plus précisément l'école laïque créée par Jules
Ferry, n'est-elle pas elle-même le produit d'une certaine tradition spécifiquement
chrétienne ? C'est l'objet de réflexion de Christiane Vollaire qui tente de mettre au
jour les ressorts politiques, sociétaux et philosophiques qui sous-tendent le discours
sur la laïcité. En s'appuyant sur son expérience d'enseignante, elle cherche à
marquer le rapport au théologique de notre tradition philosophique occidentale dont
s’inspire en grande partie notre programme de philosophie, de même que l’influence
du christianisme dans la forme institutionnelle de l’école laïque. Elle interroge ainsi
frontalement les problèmes que cet enseignement philosophique laïque peut poser à
des jeunes de culture musulmane et même chrétienne, en nous invitant à réfléchir à
la question post-coloniale et aux rapports de pouvoir qu’instaure subrepticement la
laïcité.
Ce premier exposé nous conduira à réfléchir avec Anne-Claire Husser, enseignante
à l'ESPE de Lyon, la supposée « neutralité » de l'enseignant de philosophie censé
aborder la « religion » de manière objective, rationnelle et universelle. S'il semble
impossible d'exiger des élèves qu'ils abandonnent une foi et des pratiques
culturelles ou religieuses constitutives de leur subjectivité à la grille du lycée, qu'en
est-il de l'enseignant ? N'est-il pas lui-même porteur d'une certaine tradition héritière
des Lumières, c'est-à-dire de la Chrétienté ? Plutôt que d'affirmer que la « religion »
constitue un objet d'étude comme un autre que seul le professeur pourrait penser de
manière totalement indépendante et, oserions-nous dire, « lumineuse », ne faudraitil pas « favoriser l'apprentissage d'une conflictualité raisonnable », en engageant et
en encourageant, aussi bien pour les élèves que pour les enseignants, une
approche critique des auteurs et des textes ?
Pour finir, nous éprouverons les limites de cette « conflictualité raisonnable », dans
le contexte très spécifique de l'enseignement de la philosophie aux « radicalisés »
dans le milieu carcéral. Avec José-Carlos Gutiérrez, nous constaterons tout d'abord
l'échec de l'instrumentalisation de l’enseignement de philosophie par le ministère de
la justice, qui supposait pouvoir s'en servir pour « déradicaliser » les personnes
engagées dans des filières jihadistes. Puis nous réfléchirons à l'inversion que font
subir les « radicalisés » à l'allégorie de la caverne platonicienne : à travers leurs
discours et leurs réactions, la religion devient le soleil de la science et de la politique,
tandis que le philosophe comme le scientifique restent prisonniers de la caverne.
Que peut la philosophie contre un tel discours idéologique ?
A l'issue de ces trois communications, nous voudrions soumettre au débat ces
problématiques qui visent à provoquer des propositions concrètes pour modifier
l'enseignement de philosophie. Nous les réfléchirons de manière ordonnée :
1- Le professeur de philosophie face à sa classe : comment (re)penser la laïcité ?
Faut-il la préserver comme une « idée régulatrice » ? Comment répondre aux élèves
qui la perçoivent comme un instrument de répression ?
2 - La formation des enseignants de philosophie : comment aborder en classe la
notion de religion en tenant compte de la tradition chrétienne du programme (voire
de l’école laïque française) et les possibles conflits avec les croyances des élèves
qu’elle engendre ? Faudrait-il « désoccidentaliser » l'enseignement de la philosophie
et la formation philosophique universitaire - et comment procéder ? Comment
penser l’objet religieux et sa foi irrationnelle constitutive d’un point de vue
scientifique ?
3- Le professeur de philosophie face à l'élève « radicalisé » : La philosophie peutelle renverser des logiques discursives religieuses figées dans une représentation
du monde totalitaire ? La philosophie peut-elle réarticuler l'épistémologie, la politique
et la religion pour répondre à un modèle théologique qui articule l'épistémologie et la
politique sous la souveraineté de la religion, en évacuant la philosophie ? Comment
le peut-elle ?
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José-Carlos Gutiérrez, « La philosophie : une nouvelle caverne sous le soleil
de la religion »
L'enseignement de la philosophie dans le milieu carcéral rappelle, à plusieurs
égards, le motif central de l'allégorie de la caverne platonicienne où épistémologie et
politique s'articulent étroitement. Lorsqu'il s'agit des détenus "radicalisés" (terme que
nous tenterons de préciser de façon critique), cette articulation se concrétise
presque exclusivement dans le registre du religieux. Comment une telle réarticulation qui noue la politique et l'épistémologie sous la souveraineté de la religion
(et non plus de la philosophie) est-elle possible? Dans cette communication, nous
tenterons d'analyser les différentes logiques discursives que le détenu radicalisé
adopte face à la philosophie, ainsi que les savoirs scientifiques et politiques que ces
logiques mobilisent. Une question essentielle s'imposera dans ce contexte:
l'enseignement de la philosophie peut-il encore avoir un rôle contre la violence
idéologique? Peut-il apprendre quelque chose de cette dernière?
Anne-Claire Husser, « La religion des philosophes: une autre manière
d’aborder les faits religieux ? »
Le cours de philosophie est sans doute celui où le fait religieux peut se trouver
interrogé de la manière la plus frontale, y compris dans une perspective critique. Le
corpus des auteurs susceptibles d’être étudiés et la présence de « la religion » dans
la liste des notions au programme interdisent par avance la tentation d’une laïcité
d’abstention en invitant les élèves à éprouver la consistance argumentative et la
pertinence d’approches de la religion pour le moins clivantes. On se proposera
d’explorer quelques pistes visant, non pas tant à refroidir les questions vives qu’à
favoriser l’apprentissage d’une conflictualité raisonnable.
Christiane Vollaire, « Enseigner la notion de religion en terminale »
L’idée est qu’un enseignement de la philosophie, en lycée comme à l’université, sur
la question des religions ne peut se faire de façon claire que si l’on interroge d’abord
la « laïcité » de l’enseignement public (comme le fait par exemple Jean-Luc Nancy
en parlant d’une « catho- laïcité » ).
La tradition philosophique occidentale est imprégnée du rapport au théologique :
- Augustin, Anselme et Thomas d’Aquin, théologiens chrétiens et même les
« Pères de l’Église », sont au programme.
- Pascal et Malebranche, apologétistes du christianisme, le sont aussi.
- Sans compter la tradition de la théologie protestante, qui irrigue l’idéalisme
allemand de Kant ou Hegel, et la pensée de Kierkegaard, tout comme il a
marqué la pensée rousseauiste et les critiques mêmes que lui adresseront
Marx ou Nietzsche.
Foucault, pour qualifier l’enseignement de la philosophie dans « Le Piège de
Vincennes », entretien publié en 1970, aura cette formule éclairante : « La classe de
philosophie, c’est le luthéranisme d’un pays catholique et anti-clérical2. »
Il me paraît donc particulièrement symptomatique que la notion « la religion »
(pourquoi ce singulier, alors que celles-ci se caractérisent par leur multiplicité ?)
semble ne commencer à poser problème que lorsque l’enseignement s’adresse à
des élèves « issus de l’immigration », c'est-à-dire de culture musulmane. Les
difficultés qu’elle pose semblent donc nous engager à réfléchir d’abord la question
post-coloniale, et à penser le rapport au religieux moins sous les auspices de la
« liberté de conscience » ou de la « tolérance » que sous ceux des systèmes de
pouvoir qui n’ont jamais cessé, même en pays laïc, et dans le même temps
colonialiste (comme le montre la position même de Jules Ferry dans les années
1880), de sous-tendre le rapport au religieux.
Je m’appuierai également sur mon expérience de l’enseignement dans le Nord de la
France, auprès d’un public flamand marqué par la culture catholique, et en région
parisienne, auprès d’un public « de banlieue » marqué par la culture musulmane.
1
1
2
Jean-Luc Nancy, La Déclosion : Déconstruction du christianisme, Galilée, 2005.
Michel Foucault, Dits et écrits, Quarto Gallimard, t. II, 2001, p. 937.
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