ÉCOLE DES HAUTES ÉTUDES EN SCIENCES SOCIALES

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ÉCOLE DES HAUTES ÉTUDES EN SCIENCES SOCIALES
Christian MAUREL
LES MAISONS DES JEUNES ET DE LA CULTURE
EN FRANCE
DEPUIS LA LIBÉRATION.
GENÈSE ET ENJEUX
Thèse de sociologie (nouveau régime) dirigée par
Jean-Claude PASSERON
Composition du jury :
Jean-Claude CHAMBOREDON, Directeur d’Études à l’E.H.E.S.S.
Roger ESTABLET, Professeur à l’Université de Provence
Jean-Claude PASSERON, Directeur d’Études à l’E.H.E.S.S.
La Vieille Charité
Marseille
4 novembre 1992
décembre 1994
nouvelle pagination
diffusion MJC
texte intégral
-5 -
INTRODUCTION
1 - Une réalité confuse
Le premier problème que le sigle MJC (Maison des Jeunes et de la Culture) et les pratiques
réelles et présupposées qu’il recouvre, posent à la recherche, est celui de la diversité et de
l’indétermination. Qu’y a-t-il en effet de commun entre une MJC comme celle d’Annecy-Marquisats,
gérant plusieurs milliers de mètres carrés, une halle de sport, un centre international de séjour, une
base nautique, des salles de spectacle, un restaurant et un personnel important diversifié dans ses
fonctions, et une MJC de quartier logée dans des préfabriqués, confrontée aux problèmes de la
petite délinquance, ou une MJC du milieu rural, animée par des bénévoles et regroupant quelques
dizaines d’adhérents ? 1
La diversité apparaît également dans les missions et les services rendus. Quel est par exemple le
dénominateur commun entre la MJC Cannes-La Frayère, prioritairement impliquée dans les
opérations de prévention de la petite délinquance, et sa voisine, la MJC Cannes-Centre, gestionnaire
d’un important cinéma d’Art et d’essai, fortement engagée dans le Festival International du Film et
les échanges internationaux et interculturels ?
Le sigle lui-même ne recouvre-t-il pas, pour le grand public, les significations et les confusions les
plus étonnantes, à tel point que l’on peut affirmer, sous réserve d’une enquête systématique2, que le
cercle de ceux qui savent avec certitude que ce sont des associations d’éducation populaire issues
de la Libération, regroupées dans deux fédérations (la Fédération Française des MJC et l’Union des
fédérations régionales des MJC), ne s’étend guère au-delà du groupe des permanents et des
responsables locaux et fédéraux. En effet, on confond souvent Maison des Jeunes et de la Culture
avec Maison des Jeunes, club de jeunes, Maison pour Tous sous toutes ses formes, club de loisirs,
Maisons de la Culture, Centre culturel, Centre social et socio-culturel, Auberge de Jeunesse ...3. Le
terme MJC est ainsi devenu un nom commun pouvant désigner les structures les plus diverses qui
1
La Fédération Française des MJC regroupe 14,50% de MJC de moins de 76 adhérents, 25,80% de
MJC de 76 à 200 adhérents, 27,70% de MJC de 201 à 500 adhérents, 17,70% de MJC de 501 à
1000 adhérents, 7,60% de MJC de 1001 à 2000 adhérents, 1,20% de MJC de plus de 2000
adhérents, 5,50% d’unions locales et fédérations ou unions départementales. Les MJC Aujourd’hui :
Réalités et Impacts. Enquête nationale FFMJC, janvier 1986.
2
Sur 100 personnes adhérentes à la MJC Prévert (Aix-en-Provence), un peu plus de 10 savent dire
comment est dirigée la MJC (Enquête Frédérique Lambert, étudiante en animation socioculturelle).
3
Les MJC elles-mêmes, même si elles maintiennent massivement l’appellation MJC (67%), adoptent
souvent, dans leurs statuts, des appellations autres (MJC-MPT, Maison pour Tous, Centre socioculturel, foyer de jeunes ....) Les MJC Aujourd’hui....
-6 oeuvrent dans le domaine de l’intervention socio-culturelle. Ce sigle n’est du reste pas la propriété
exclusive des structures affiliées aux deux fédérations citées plus haut1 2.
Mais la confusion la plus courante est celle de MJC et de Maison de la Culture. En effet, on
attribue très souvent la création des MJC à André Malraux3. Comme pour les Maisons de la Culture,
on pense qu’elles sont sous tutelle du Ministère de la Culture et on est généralement étonné
d’apprendre qu'elles dépendent du Secrétariat d’Etat à la Jeunesse et aux Sports. La classification
du Centre de Documentation des Sciences Humaines et du fichier des thèses de Nanterre est
également significative : pour une demande d’information sur les MJC, les réponses concernent très
souvent les Maisons de la Culture4. On croit ainsi posséder une liste importante de travaux sur la
question et on se rend rapidement compte que peu concernent véritablement les MJC. On constate
également que ces recherches sont souvent produites par des professionnels ou des responsables
de MJC : Claude Paquin, Jean Foucault, Jean Laurain, Georges Rouan, Christian Lucie, JeanClaude Leroyer ...
Cette disproportion d’intérêt scientifique entre MJC et Maisons de la Culture est d’autant plus
remarquable quand on connait l’importance de leurs implantations respectives : une douzaine pour
les Maisons de la Culture, 1.700 environ pour les MJC5. Sans entrer dans une analyse serrée, on
peut tenter une explication qui passe par une différence de statut socio-culturel, de “noblesse
symbolique”, de légitimité culturelle entre Maisons de la Culture et MJC. Les Maisons de la Culture,
présentées comme ces “nouvelles cathédrales du futur”, auréolées du prestige de leur instigateur
André Malraux, ont jeté dans l’ombre les MJC souvent considérées comme des lieux de sousculture, d’expression sans qualité artistique et de bricolage empirique. Les chercheurs, de par leur
position socio-professionnelle, ont sans doute porté plus d’intérêt à des structures appuyées sur une
conception de la culture hautement légitime, axées sur la création et le corpus des oeuvres de l’art et
du savoir.
1
La FFMJC a voulu par le passé imposer cette exclusivité. Le tribunal administratif lui donna tort
(entretiens avec Jean Nehr, délégué régional FFMJC).
2
Il n’est pas rare d’entendre de la bouche de personnes mal informées ou malveillantes que les MJC
sont un mouvement de jeunesse catholique ou un mouvement de jeunes communistes, confusion
qui, dans ce dernier cas, est souvent savamment et sciemment entretenue.
3
L’erreur est également très courante chez les responsables politiques locaux et nationaux. A titre
d’exemples : un premier adjoint aux finances et à la culture d’Apt (Vaucluse) attribue, lors d’un
discours, la création de la MJC locale à l’action d’A. Malraux. Monsieur Jacques Chirac fait de même
dans une émission de télévision.
4
Sur 46 fiches du CDSH, 17 concernent les Maisons de la Culture, 17 l’animation culturelle, socioculturelle ou d’autres structures, 12 seulement les MJC.
5
Les MJC ou des structures équivalentes sont également implantées dans des pays de l’Europe de
l’Ouest et regroupées au nombre de 18.000 au sein de l’ECYC (European Confederation of Youth
Clubs), dans les DOM-TOM ainsi qu’en Afrique francophone (cf. les travaux de J.-M. Mignon - Cahiers
de l’animation/INEP et sa recherche sur les centres culturels et MJC en Afrique).
-7 Pour l’action culturelle, conçue comme soutien à la création et à la diffusion d’oeuvres d’artistes
professionnels - ce qui, comme nous le verrons, n’est pas la seule ni sans doute la mission prioritaire
des MJC - le sigle lui-même est souvent négativement connoté alors qu’elles ont été et qu’elles sont
encore le ban d’essai de nombreux artistes, les initiatrices ou les cogestionnaires de nombreux
festivals et qu’elles gèrent un nombre important de petites et moyennes salles de spectacles1.
2 - Les MJC et l’organisation générale du domaine de l’intervention socioculturelle
La confusion qui entoure les Maisons des Jeunes et de la Culture contraste avec la rigueur de
leur fonctionnement institutionnel, caractérisé par un savant emboîtement d’instances de décision
(assemblées générales, conseils d’administration, bureaux, commissions, conseils de maison,
conseils de jeunes, conseils d’activités, conseils d’animation), par une organisation fédérale à
plusieurs étages (MJC de base, unions locales, fédérations départementales, régionales, fédération
nationale) communiquant entre eux par l’intermédiaire d’instances élues et d’un corps professionnel
hiérarchisé (animateurs, directeurs, délégués régionaux, chefs de services, chargés de mission,
chargés de formation, délégué général). Ces règles institutionnelles, qui peuvent être modifiées
“démocratiquement” selon les modalités prévues dans les statuts, ont la double fonction d’assurer la
pérennité et la cohérence de l’Institution et de réaliser le “projet pédagogique”, si bien que nous
avons affaire à un fonctionnement institutionnel pédagogique ou, si l’on veut, à une pédagogie
institutionnelle. La réglementation qui prévoyait, d’une part, que le conseil d'administration, par
l’intermédiaire du directeur-éducateur, avait droit de véto sur les décisions du conseil de maison,
mais que d’autre part, en contre-partie, le conseil d’administration devait être composé, pour un tiers
au moins de ses élus, par des membres du conseil de maison2, est le plus bel exemple de cette
sophistication pédagogico-institutionnelle qui fit merveille, notamment dans les années 60, au
moment où la “cogestion” (une invention des MJC) faisait de ces structures le partenaire socioculturel privilégié de l’Etat et des collectivités locales. C’est sans doute cette institutionnalisation
originale et dynamique qui contribua dans ces mêmes années 60 à placer les MJC en position de
1
Jacques Bertin, écrivain, compositeur-interprète, journaliste, rend compte de cette réalité en
stigmatisant la coupure entre culturel (Maisons de la Culture, centres culturels divers) et
socioculturel (MJC et structures équivalentes) - dont il pense que nous paierons longtemps les
effets négatifs - ainsi que le mépris des “cultureux” pour les “socio-cu” (France-Culture, Grand
Angle, samedi 10/03/90 : Où en sont les MJC ?)
2
Les réunions du conseil de maison étaient rigoureusement obligatoires et réglementées. Un directeur
pouvait recevoir un blâme de la FFMJC simplement parce que les comptes-rendus n’étaient pas
parvenus aux instances nationales en temps voulu (entretien avec Jack Riou). Jusqu’à la fin des
années 60, avant la scission qui suivra le congrès de Sochaux, les rapports des conseils de maison
faisaient l’objet d’un traitement, d’une compilation et d’un compte-rendu global diffusé dans les
MJC, de la part du centre fédéral.
-8 domination dans un domaine1 de l’intervention socio-culturelle en formation.
Il y a donc, semble-t-il, une certaine cohérence, au-delà de la contradiction apparente, entre ce
flou qui entoure les MJC que l’on confond souvent avec de nombreuses structures plus ou moins
éloignées (y compris les mouvements politiques), et leur rigueur institutionnelle. Flou et rigueur sont
les effets de la même réalité : la rigueur institutionnelle des MJC assurera, dans une période précise,
leur domination dans le domaine de l’intervention socio-culturelle, qui en retour les marquera pour
longtemps de sa confusion et de sa complication fondamentales.
Ce domaine de l’intervention socio-culturelle, quel est-il ? Comment s’organise-t-il ?
On peut aujourd’hui en France cerner le domaine de l’intervention socio-culturelle grâce à quatre
notions utilisées couramment, aussi bien par les acteurs professionnels et bénévoles que par les
chercheurs, administrateurs ou politiques de ces nouveaux espaces de pratiques sociales. Ces
quatre notions que nous appelons “notions-praxis” puisqu’elles se réfèrent toujours à des pratiques
concrètes portées par des projets d’intervention sociale, sont l’action culturelle proprement dite,
l’animation socio-culturelle l’éducation populaire et l’action sociale.
En se référant aux acquis de la recherche2, on peut distinguer ces quatre notions et les pratiques
qu'elles recouvrent.
L’action culturelle part des oeuvres d’art, de la pensée et de la science qu’il s’agit de faire
goûter, partager (la démocratisation de la culture) par le plus large public possible, y compris et
surtout par le public populaire. Les animateurs culturels sont des intermédiaires entre les oeuvres,
les créateurs, les penseurs, les savants d’une part et les publics d’autre part. La notion de culture a
ici son sens le plus traditionnel, celui que l’on entend dans l’expression “être cultivé”. Elle renvoie à
l’ensemble des oeuvres “légitimes” reconnues comme telles, du passé et du présent : l’héritage et le
patrimoine culturels.
L'animation socio-culturelle ne part pas des oeuvres mais des populations, des groupes
sociaux spécifiés par leurs identités culturelles, leurs logiques de sociabilité, leurs comportements
originaux s'exprimant dans des espaces définis, groupes généralement dominés dont il s'agit, pour
l'animateur, de faciliter l'expression sociale, ethnique, culturelle, artistique, politique. Au sens large du
terme, l'animateur socio-culturel est un "agent politique" qui, de ce fait, peut entrer en conflit avec les
politiques issues du suffrage universel.
L'éducation populaire, dont on peut dire qu'elle est historiquement à l'origine de l'action
1
Nous évitons d’utiliser le terme de “champ” compte tenu des significations qu’il a prises avec P.
Bourdieu. Peut-être avons-nous affaire à un “champ” en formation ? Même s’il y a des enjeux réels,
rien pour le moment ne nous permet de l’affirmer avec certitude.
2
Voir notamment les travaux de Geneviève Poujol (Action culturelle, action socio-culturelle Recherches. Doc. INEP n° 1), de Pierre Gaudibert et de l’ensemble des participants au colloque
culturel/socio-culturel (Cahiers de l’animation n° 30) dont nous nous inspirons dans l’article “Les
ambivalences des actions socio-culturelles” Cahiers de l’animation n° 51.
-9 culturelle et de l'animation socio-culturelle1, garde ses objectifs et ses pratiques propres : prise de
conscience individuelle et civique, développement de l'esprit critique et d'initiative, acquisition d'outils
d'analyse, pratique du pouvoir collectif selon des règles jugées démocratiques et engageant la
responsabilité de l’individu. Alors que l'action culturelle part des oeuvres pour aller au public,
l'animation socio-culturelle des groupes dont il s'agit de faciliter l'expression, l'éducation populaire2,
elle, part beaucoup plus des individus pour “les préparer à devenir les citoyens actifs et responsables
d'une communauté vivante”3. L'animateur - terme sans doute impropre puisque, par exemple, les
directeurs de MJC ne se sont jamais véritablement réclamés de l'animation - est en quelque sorte un
éducateur, civique et politique. Son action est sous-tendue par une définition de la culture que
rappelle Gérard Kolpak : “Nous nous sommes toujours refusé à réduire la culture aux Beaux-Arts ;
nous avons toujours défendu une conception globale et dynamique de la culture capable de prendre
en compte l'homme dans son environnement : l'homme cultivé étant celui qui est en possession du
savoir et des méthodes qui lui permettent de comprendre sa situation dans le monde, de la décrire et
d'agir éventuellement sur elle pour la transformer”4.
Et l'action sociale proprement dite ? On ne peut pas dire qu’elle engage une conception
particulière de la culture. Cependant, elle ne peut pas ne pas participer, de manière complémentaire
ou contradictoire, des trois définitions de la culture mentionnées plus haut, sous peine de tomber
dans les trois travers qui la guettent en permanence : d’abord le misérabilisme, si elle ne s’attache
qu’à une définition artistique de la culture qui ne concerne pas - ou peu - les plus démunis ; à
l’opposé le populisme si elle se laisse prendre à une définition purement relativiste5 de la culture,
hypostasiant les pratiques des groupes dominés (mythes de l’immigré, de la richesse incomparable
des jeunes défavorisés, des cultures populaires, de l’ouvrier, mythes qui se retournent généralement
contre les intéressés) ; pur assistanat enfin, si l’on ne conçoit pas que l’action sociale puisse être
aussi une action culturelle visant à donner à l’individu “savoir et méthodes qui lui permettent de
1
C’est ce qui transparaît dans l’entreprise “généalogique” d’Évelyne Ritaine qui, en abordant l’action
culturelle, rencontre l’éducation populaire comme sa première forme d’organisation (Les stratèges
de la culture, Presses de la Fondation nationale des sciences politiques, Paris, 1983).
2
La comparaison entre éducation populaire et animation socio-culturelle, même si elle concerne
directement les MJC, est un exercice auquel nous ne nous livrerons pas ici, à ce niveau introductif de
la recherche. Michel Simonot s’y essaie (cf. “Approche psychosociologique des activités socioculturelles”, Traité des sciences pédagogiques n° 8, PUF, 1978).
3
Statuts des MJC (article 2).
4
“L'action culturelle aujourd'hui : le point de vue de la FFMJC”, Cahiers de l'animation n° 30, p. 30.
5
A la suite des analyses de C. Grignon et J.-C. Passeron (Sociologie de la culture et sociologie des
cultures populaires, séminaires de l’EHESS, 1982) portant notamment sur le relativisme culturel et la
théorie de la légitimité culturelle ainsi que sur leurs dérives populistes et misérabilistes, on doit se
demander comment l’intervention socio-culturelle peut pratiquer pour ne pas “faire injustice”
socioculturelle aux cultures populaires. (Voir également Jean-Claude Passeron : Le raisonnement
sociologique, Nathan, 1991).
- 10 comprendre sa situation dans le monde, de la décrire et d'agir éventuellement sur elle pour la
transformer”.
Action culturelle, animation socio-culturelle, éducation populaire et action sociale, c’est tout cela
que nous appelons le domaine de l'intervention socio-culturelle.
Nous ne rencontrons jamais ces pratiques à l’état pur, telles que nous avons pu les décrire avec
les définitions de la culture qui les spécifient. Action culturelle, animation socio-culturelle, éducation
populaire sont des concepts-limites qui balisent le domaine de ces pratiques et nous permettent de
le penser. Disons qu’une Maison de la Culture ou un Centre d’Action Culturelle fonctionnent de
manière prévalente selon le mode de l’action culturelle, un centre d’animation socio-culturelle, selon
le mode de l’animation socio-culturelle, et un mouvement comme la Ligue de l’Enseignement, selon
le mode de l’éducation populaire. Mais il est fréquent de rencontrer des structures et des institutions
qui ont intégré ces trois types d’action : une Maison des Jeunes et de la Culture peut , à la fois et
d’une manière cohérente , mener une action culturelle (création et diffusion d’oeuvres), faciliter
l’expression des groupes (animation socio-culturelle) dans le cadre d’un projet d’éducation populaire
et d’action sociale.
3 - Les MJC : “signalement provisoire”
La complexité et les recompositions successives du domaine de l’intervention socio-culturelle1 ne
suffisent pas à rendre totalement compte de la perception confuse et souvent erronée que l’on a des
MJC. Leur position médiane dans l’espace du socio-culturel est aussi largement productrice de ces
confusions et de ces erreurs, malgré la précision de leur projet et la rationalité interne de leur
fonctionnement institutionnel. En effet, elles ont réussi, semble-t-il, à intégrer, dans leur projet et
leurs pratiques d'éducation populaire, l’action culturelle, l’animation socio-culturelle et l’action sociale,
alors que les autres institutions sont souvent spécialisées et donc plus clairement situées : centres
sociaux, services de la DASS, universités populaires, Ligue de l’Enseignement, Maisons de la
Culture, Centres d’Animation Culturelle ... A l’intérieur de l’espace socio-culturel lui-même, selon le
point de vue auquel on se place, on classera les MJC dans l’action culturelle (sorte de petite Maison
de la Culture), dans l’animation socio-culturelle (c’est très souvent le cas et cela prend de plus en
plus une signification péjorative), ou même dans l’action sociale.
Il faut dire que la diversité des pratiques des MJC justifie ces approches diverses. Selon une
1
L’ensemble du domaine de l’intervention socio-culturelle a une histoire complexe faite de
recompositions multiples que nous avons essayé de décrire dans un article (“Vers le social-culturel
?” Cahiers de l’animation n° 56). Dans l’état actuel des choses, il apparaît, suite à l’hégémonie de
l’animation socio-culturelle dans les années 70, que les années 80 se caractérisent par un
rapprochement du social et du culturel donnant lieu à des pratiques spécifiques prenant en compte
le développement économique.
De leur côté, M. Simonot parle de “secteur socio-culturel en extinction” (Cahiers de l’animation n°
44-45) et J. Ion de “fin du socio-culturel” (Cahiers de l’animation n° 56).
- 11 enquête nationale1, 80% des MJC font de l’action culturelle, 70% proposent des activités
d'expression, 75% des activités sportives, 63% des activités scientifiques, techniques, audiovisuelles, 33% font de l’action sociale, 33% proposent des actions de formation, 29% des activités
de tourisme, 20% des activités économiques (développement local, entreprises intermédiaires,
économie sociale, vente, services ...).
Cependant, quelles que soient les pratiques que l’on peut classer dans des secteurs différents
(culturel, social, socio-culturel, éducatif, économique ...) tant elles peuvent être diverses, la
dynamique interne de fonctionnement des MJC se caractérise par l’articulation de cinq niveaux :
a) un projet défini dans les statuts : “développer les aptitudes personnelles, ... former des
citoyens actifs et responsables d’une communauté vivante”. Ce projet général peut prendre des
formes particulières : soutien à la création, formation continue, développement culturel et social,
“lecture de la réalité sociale”2, entretien de l’esprit critique, soutien à l’initiative collective et
individuelle, développement communautaire. On justifie le projet et ses applications par des attitudes
référentielles à l’esprit de la Résistance, à la construction d’une société plus juste, plus démocratique
où les inégalités sociales et culturelles seraient réduites.
b) des publics définis par des caractéristiques précises : âge, sexe, profession et catégorie
sociale, habitat, origine culturelle et ethnique, degré de scolarisation, mobilité, structuration de
l’espace de vie, sociabilité ...
c) des partenaires : la structure associative cogestionnaire3 des MJC associe les
partenaires les plus divers (représentants des adhérents qui sont majoritaires dans toutes les
instances de décision, représentants de l’Etat, des collectivités locales, du personnel, des
associations, des forces vives et organisées de l’espace social sur lequel intervient la MJC).
d) des pratiques, sous forme d’activités et d’actions diverses (sportives, culturelles,
sociales, éducatives, artistiques, touristiques, économiques), intégrées dans un programme, avec
une pédagogie liée au projet général, et gérées selon des organigrammes de fonctionnement plus ou
moins précis4.
e) des productions que l’on peut apprécier à deux niveaux :
• les réalisations visibles facilement dénombrables : spectacles, créations, personnes
1
Les MJC Aujourd’hui : Réalités et Impacts. (op. cit.).
2
Au début du premier septennat de F. Mitterrand, on insiste beaucoup sur cet apprentissage de la
lecture de la réalité sociale (congrès de Reims en 1982) au moment où l’on croit à un renouveau de
l’éducation populaire : la “nouvelle citoyenneté” chère à P. Mauroy, le projet de réforme de la vie
associative de M. André Henry.
3
Ce concept de “cogestion” sera longuement décrit plus loin.
4
A propos de la pratique institutionnelle, nous avons tenté une petite description portant le titre
suivant : “Comment un directeur-éducateur de MJC peut-il être à la fois “formateur” de son conseil
d’administration et responsable devant lui ? Analyse d’un paradoxe institutionnel”. Ronéo (40 p),
1982.
- 12 touchées, formées, “animées”, heures d’activité, services assurés, emplois créés ...
• les effets socio-culturels plus difficilement appréciables : promotion sociale,
“viabilisation” du tissu social, intégration des individus, développement de la sociabilité, production
symbolique, autonomisation et responsabilisation des individus et des groupes, développement de la
vie démocratique ...
Au sujet de ce “signalement provisoire” des MJC, on peut faire quelques remarques. Les acteurs
sont particulièrement loquaces sur les projets et les objectifs, les pratiques, la philosophie générale
qui les anime, les références qui les justifient et les légitiment. Ils passent également beaucoup de
temps à décrire les réalités sociales auxquelles ils sont confrontés, à analyser les comportements
des partenaires, à “interroger” leurs pratiques en les confrontant aux ambitions du projet.
Par contre, ces même acteurs sont particulièrement muets sur les productions sociales de leurs
actions. On ne va guère au-delà de la comptabilisation des résultats immédiatement visibles1.
Manque d’outils d’analyse ou occultation volontaire ? Il faut dire que les sciences sociales ont encore
peu analysé ce domaine des productions sociales de l’intervention socio-culturelle. Pour notre part,
nous avons émis l’hypothèse que ces productions étaient ambivalentes, sans toutefois construire les
indicateurs nous permettant de mettre ces hypothèses à l’épreuve des faits et de la vérification2.
Ainsi cette forme de “technologie sociale” qui - comme les sciences sociales elles-mêmes - parle
plus souvent de ses méthodes que de ses productions, sous-tend une dynamique de développement
de structures qui ne disent presque rien de leurs effets.
4 - Contexte et déroulement de la recherche
Comme toute recherche, celle-ci est tributaire de la nature même de l’objet et du moment où l’on
tente de porter sur lui un regard scientifique.
a) le moment de la recherche
Le temps de notre recherche sur les Maisons des Jeunes et de la Culture coï ncide avec une
période d’intense agitation, voire même de crise pour l’institution, la FFMJC, qui regroupe leur
grande majorité. Certes, comme nous le verrons, les MJC n’en sont pas à leur première crise. Il
n’empêche que la proche période est marquée par quelques faits significatifs et peut-être décisifs :
1
Le FNDVA (Fonds national de développement de la vie associative) lance cependant en 1987 un
appel d’offre d'expérimentation de nouvelles méthodes d’évaluation. La nouvelle recherche-action
visant à établir des “diagnostics” sociaux et culturels ainsi que l’évaluation des pratiques gagnent
également du terrain, notamment dans les dispositifs de Développement Social des Quartiers et de
Développement Social Urbain. La recherche est ainsi appelée à occuper une place de plus en plus
importante dans les dispositifs d’intervention socio-culturelle (cf. notre contribution : La recherche :
un outil au service du développement social et culturel. Diffusion FRMJC Méditerranée, 1986).
2
Les ambivalences des actions socio-culturelles (op. cit.).
- 13 • une réelle crise de la citoyenneté, notamment chez les jeunes1 se traduisant par une
méfiance vis à vis de ce que l’on appelle communément la “classe politique” et par l’émergence
durable, sur la scène politique, de l’extrême-droite. Ce phénomène ne peut pas ne pas préoccuper
une institution soucieuse de formation du citoyen et des valeurs qui y sont attachées, alors que dans
le même temps, compte tenu de l’évolution des pays de l’Est, les questions de la démocratie et d’une
manière générale de la relation entre l’individu et la société sont posées en termes nouveaux.
• la mise en place de la décentralisation, sa progression vers un terme difficile à prévoir dans
son organisation et dans ses effets, consacrant le fameux “désengagement financier de l’Etat
central”, contre lequel luttent les MJC pratiquement depuis leur origine2, et en particulier celles qui
sont restées affilées à la FFMJC après la crise de 1969.
• une nouvelle crise interne de la FFMJC, largement ouverte lors de l’assemblée générale
nationale du Mans (mai 1987), qui perdure malgré une réforme de structure quant à la gestion des
personnels, et qui fait peser la menace d’un nouvel éclatement.
Nous essayons donc de scruter le fond de la mer par gros temps avec vents tournants. Les
mouvements de surface risquent à tout moment de troubler notre vision plus profonde de la réalité.
b) les enjeux de la recherche
L’objectif premier de la recherche, le seul qui puisse prétendre la guider et la légitimer, est la
production de savoir. L’enjeu est d’abord scientifique, aussi modeste soit-il.
Cependant, du point de vue de l’objet, pour cette institution dont la mission est d’intervenir sur
des rapports sociaux complexes, alors qu’elle-même est en question dans son fonctionnement et sa
légitimité, cette recherche comme toute autre ne peut pas ne pas constituer un enjeu3 aussi limité
soit-il et qui, si nous n’y prenions garde en adoptant vis à vis de lui une attitude suiviste ou
d’ignorance, pourrait compromettre notre quête de savoir.
Pour les Maisons des Jeunes et de la Culture, l’enjeu essentiel de cette recherche ne serait-il
1
A titre d’exemple, notre enquête “Réseaux, images et organisations de la jeunesse à Aix-enProvence” (ronéo, 60 pages, 1990) fait apparaître notamment à la question "si vous pouviez
rencontrer le maire de votre commune, que lui diriez-vous, que lui demanderiez-vous, que lui
proposeriez-vous?", 60% des jeunes scolarisés de 15 à 20 ans interrogés ne répondent pas ou s'en
tirent par une formule humoristique, lapidaire ou provocatrice. Mais dans le même temps, on assiste
à de nouvelles formes d’engagement associatif de jeunes, très souvent issus de l’immigration et
habitant des quartiers périphériques.
2
Cf. le discours d’ouverture d’André Philip lors de l’assemblée générale constitutive de la FFMJC (15
janvier 1948).
3
L’étude dirigée par Alain Rissel sur les contenus de
beaucoup de méfiance, des réactions violentes
l’intérieur du syndicat CGT majoritaire dans la
massivement à un questionnaire pourtant lourd,
final.
travail des directeurs de MJC n’a-t-elle pas suscité
même, de la part de personnels, notamment à
FFMJC. Les directeurs ont cependant répondu
et ils sont nombreux à s’être procuré le rapport
- 14 pas1 la légitimation scientifique qu’elle pourrait apporter à une institution - mieux, à une partie d’ellemême et à certains protagonistes contre d’autres - au moment où les MJC n’ont pas ou ne croient
pas avoir la reconnaissance qu’elles espèrent...?
Pour les MJC, la légitimité - rappelons-le, aussi limitée soit-elle - que pourrait apporter notre
entreprise, se situerait à deux niveaux: par rapport à l’extérieur, dans la production d’un discours
réputé objectif et si possible positif que l’on porterait sur elles ; par rapport à l’intérieur, dans la
manière volontaire ou involontaire par laquelle ce même discours pourrait trancher - ne serait-ce que
théoriquement - les rapports de domination qui s’y jouent.
La recherche elle-même, si son objectif n’est que scientifique, ne devrait avoir que faire de ses
effets sur l’objet, sauf si le chercheur occupe une position par rapport à l’objet qui le met en jeu, et
dont il n’arriverait pas à se dégager. Dans ce cas, on peut craindre un effet boomerang
épistémologiquement négatif du résultat de la recherche par anticipation de conséquences positives
ou négatives que pourrait produire le résultat de la recherche sur l’implication pratique du chercheur
par rapport à l’objet. Autrement dit, et c’est notre cas, l’attitude de chercheur nous positionne d’une
manière particulière et nouvelle par rapport à cette Institution dans laquelle nous avions et avons
encore un rôle qui n’est pas celui d’un chercheur mais celui d’un praticien.
Revenons un instant à l’objet et à l’enjeu que peut représenter pour lui une telle recherche. Dans
un tel contexte, où la reconnaissance2 et la légitimité dans le champ social ne sont pas assurées, il y
a une réelle quête d’identité qu’une recherche globale et plus systématique pourrait cerner. Parce
qu’elles sont inquiètes et qu'elles ne sont plus aussi sûres de leur mission, les MJC ont besoin de
connaître leur propre histoire pour repenser leurs finalités3. Le témoignage direct des pionniers
pourrait faire “ancien combattant”. Par contre une recherche, répertoriée comme telle, réalisée par
quelqu’un d’étranger aux périodes héroï ques, pourrait relégitimer leur place et leur mission
historique4.
1
Nous parlons au conditionnel car pour répondre à une telle question, il faudrait s’engager dans une
démarche d’enquête.
2
La crise de 1969, sans doute aussi parce que l’attitude de l’État était en cause, fut largement
relatée, souvent de manière partisane, par la presse nationale et les revues spécialisées. Ce n’est
pas le cas aujourd’hui. Si les MJC ont autant de souci de leur communication et de leur image, c’est
d’abord parce que la concurrence dans le domaine de l’intervention socio-culturelle est devenue
féroce. C’est aussi parce que les médias nationaux viennent plus difficilement se préoccuper d’elles.
3
Ce n’est pas un hasard si, à la suite de l’assemblée générale particulièrement conflictuelle de la FFMJC
de Châlons-sur-Marne (novembre 1989), le délégué général a donné mission à un groupe de
délégués régionaux de repenser les finalités des MJC et de leurs fédérations, dans le but d’engager
une réflexion dans l’ensemble de l’institution et de déboucher sur la définition d’une charte des MJC.
A cette occasion, on a même parlé de philosophie, voire de doctrine des MJC, en reconnaissant le
caractère abusif de ce dernier terme dans le cadre d’une institution comme celle-ci.
4
Les bénévoles et les professionnels des MJC portent un grand intérêt aux formations consacrées à
l’histoire de l’éducation populaire et des MJC. On ne se contente plus d’une référence au mythe
fondateur (issues de la Résistance). On a besoin de la connaissance des faits historiques même si
elle bouscule un peu le mythe.
- 15 c) le déroulement de la recherche
Ce qui frappe l’observateur, c’est, en effet, l’histoire extrêmement mouvementée des Maisons des
Jeunes et de la Culture : leur naissance dans une période trouble, des années de stagnation puis de
développement fulgurant, des crises particulièrement aiguës pouvant aller jusqu’à l’éclatement ou
même à la menace de leur disparition, des changements fréquents de leur organisation fédérative et
du mode de gestion de leurs professionnels.
Dans cette histoire mouvementée, on repère un ressort, semble-t-il essentiel, de leur raison d’être
et de leur développement qui - les textes le montrent - met en mouvement les acteurs, bénévoles et
professionnels, de cette institution. Les pratiques pédagogiques et institutionnelles des MJC sont
sous-tendues à la fois par une référence régulière à un mythe fondateur - les mouvements de
Résistance - et par la fomulation plus ou moins précise du projet d’une société “démocratique”,
organisée autour de ses classes laborieuses, la classe ouvrière prioritairement.
Mais ce ressort de développement, outre qu’il doit être mis à l’épreuve de l’analyse des faits, ne
peut, à lui seul, rendre compte de l’histoire cahotique des MJC ni des multiples enjeux qui les
traversent. Le drame ne se réduit pas à l’affrontement de quelques personnages simples, bien
connus du public et évoluant dans un cadre figé. Le décor change ; des éléments nouveaux viennent
à la fois enrichir, brouiller, et même masquer le précédent. Des personnages inattendus,
apparemment de second ordre, troublent l’ordre des choses, imposent de nouvelles règles, tiennent
d’autres discours. Comment en serait-il autrement, si l’on suppose que cette histoire particulière est
tributaire, mais aissi témoigne, de l’histoire générale et profonde de la France de ces cinquante
dernières années ?
Même particulière et limitée dans son domaine et dans les faits, cette histoire des MJC est
suffisamment complexe et mal connue - y compris de ceux qui la font - pour que nous choisissions,
dans un premier temps, d’en dresser de décor des dernières scènes, de présenter les personnages,
de décrire le cadre dans lequels ils évoluent. Nous avons voulu braquer, tout d’abord, nos
projecteurs sur le paysage des MJC, sur leur implantation territoriale, nommer les acteurs qui les
animent, décrire les structures, leurs modes de fonctionnement, et ainsi repérer ce qui se joue
réellement au-delà de la chronique annoncée.
Après cet arrêt sur image au milieu des années 80, permettant une approche synchronique de
l’objet, nous ferons appel à la démarche historique, approche diachronique qui, parce qu’elle arrive
dans un deuxième temps, s’apparente à une généalogie de cette institution. En effet, dans ce
décorticage des enjeux qui traversent les MJC, éclairent leur histoire ainsi que les conditions
sociales dans lesquelles elles se développent, nous garderons, comme le préconise Nietzche, une
question à notre esprit, qui fonde l’attitude d’une interprétation généalogique : que veulent-ils, ceux
qui disent, agissent, acceptent, refusent ...? Ajoutons également : quelles positions défendent-ils ou
veulent-ils atteindre et dans quels domaines ?
- 16 5 - La “vigilance épistémologique”
La réalité de l’objet et de la relation que nous entretenons avec lui nous invitent à redoubler de
vigilance épistémologique. Nous ne pouvons oublier que nous sommes acteur de la pratique socioculturelle des Maisons des Jeunes et de la Culture. Cette ultime familiarité avec l’objet, qui consiste à
être à la fois l’enquêteur et le premier informateur de la recherche, est scientifiquement dangereuse,
surtout quand on connait les relations les plus complexes que les acteurs peuvent entretenir avec
leurs pratiques dans ce type d’institution1. Cela peut aller de l’engagement le plus harmonieux à la
haine la plus féroce.
Nous savons qu’une des grandes difficultés de la sociologie est d’avoir affaire à un objet qui
parle2. Celui-ci est particulièrement bavard. La parole est le premier outil des acteurs de l’intervention
socio-culturelle. L’institution MJC et ses professionnels sont particulièrement prolixes en analyses,
remises en question, explications, justifications, condamnations, définitions de projets... La tentation
est grande d’en rester aux discours que les acteurs tiennent sur eux-mêmes, sur leurs pratiques,
leurs projets de société, leurs propres itinéraires et leurs “démarches”. Sans pour autant négliger la
signification de ces discours qui correspondent à l’intériorisation d’une certaine objectivité, il convient
de les rapporter à leurs conditions socio-culturelles de production.
Dans cette situation, la sage exigence épistémologique ne nous indique-t-elle pas de rompre au
plus vite avec les discours de la pratique, et de nous appuyer sur un recueil de données, si possible
quantifiables ? L’analyse de l’implantation des Maisons des Jeunes et de la Culture en France nous
en donne l’occasion, occasion d’autant plus justifiée que cette implantation “volontaire”3 peut nous
éclairer sur cette expérience originale, ainsi que sur les conditions sociales, culturelles,
économiques, politiques qui l’ont favorisée.
1
2
3
Cf. L’animation socio-culturelle : une institution en action (thèse pour le Doctorat de IIIème cycle de
Georges Rouan, Université de Provence, UER de Psychologie, Septembre 1979).
Cf. Le métier de sociologue de P. Bourdieu, J.-C. Chamboredon et J.-C. Passeron (Mouton, 1983).
Rappelons que le développement des MJC est du ressort de l’initiative associative, individuelle et
collective.
- 17 -
PREMIÈRE PARTIE
LE PAYSAGE DES MAISONS DES JEUNES
ET DE LA CULTURE
- 19 -
CHAPITRE - I LES FÉDÉRATIONS DES MAISONS DES JEUNES ET DE LA
CULTURE & LES AUTRES GRANDES FÉDÉRATIONS
1 - le recueil des données
Le listing d’adresses fourni1 par la Fédération Française des Maisons des Jeunes et de la Culture
sur lequel nous nous appuyons2 permet de dénombrer 1.131 MJC ou structures assimilées3
regroupées dans 90 fédérations régionales, fédérations départementales et unions locales. Ces
chiffres sont en perpétuelle modification et un comptage précis à un moment donné du temps est
très difficile à effectuer, la création ou la disparition d’une MJC, d’une union locale et même d’une
fédération départementale4 relevant de la volonté des acteurs et non d’une décision institutionnelle et
autoritaire5. Ainsi, il est facile d’imaginer cette modification permanente du paysage : chaque mois,
chaque semaine peut-être, des MJC se créent, d’autres disparaissent ou entrent en sommeil.
C’est vraisemblablement parmi les MJC sans directeur, majoritairement implantées dans le
monde rural, que cette fluctuation est la plus importante - sans compter le manque d’information,
1
Mai 1987 (voir annexe 1).
2
Pour ce qui est de la FFMJC, nous aurions pu nous appuyer sur des données plus récentes. Le guide
administratif des MJC, édité par la Fédération régionale de l’Académie de Grenoble, fournit des
chiffres d’octobre 1988. D’autre part, le listing informatique de la FFMJC est assez régulièrement
remis à jour. Nous avons cependant choisi de nous appuyer pour la FFMJC sur les données de 1987
par un double souci : avoir un recul temporel suffisant, et surtout établir une cohérence avec
d’autres données moins récentes (l’implantation des autres fédérations et les données de l’INSEE de
1982-83 auxquelles nous nous référons régulièrement).
3
La question de la prise en compte des structures “correspondantes” ou “assimilées” n’est pas simple,
d’autant plus que pour la FFMJC ou l’UNIREG MJC, elles sont quantité non négligeable. Il s’agit
généralement de structures ayant un fonctionnement et des missions comparables aux MJC sans
pour autant avoir des statuts permettant une réelle affiliation. Elles peuvent bénéficier d’un
directeur dans le cadre d’un contrat de financement type, mais n’ont pas droit de vote dans les
instances fédérales. Les critères d’affiliation ne sont pas toujours régulièrement appliqués : “Forum
Nice Nord”, structure gérée par un simple comité de gestion non conforme aux statuts des MJC, est
affiliée, alors que la MJC d’Aubagne, qui applique les statuts-type n’est qu'association
correspondante. Pour la FFMJC nous n’avons pris en compte que les structures institutionnellement
affiliées et celles qui tout en respectant les statuts-type des MJC pouvaient se trouver dans une
position de correspondante ou d’assimilée.
4
Les unions locales et les fédérations départementales ne sont pas un maillon institutionnel
obligatoire. Leur création relève d’une volonté de coordination et de dynamisation des MJC de base
souvent liée à l’obtention de moyens financiers locaux et départementaux, surtout depuis la mise en
place de la décentralisation. Les MJC de base, les fédérations régionales, la Fédération française sont
les trois étages obligés de l’Institution.
5
La désaffiliation d’une MJC, pour non-respect des statuts par exemple, peut cependant relever d’une
décision fédérale. Les MJC nouvellement créées sont stagiaires pendant un an avant d’être
véritablement affiliées.
- 20 même quand les délégués régionaux ou les animateurs départementaux s’évertuent à garder un lien
constant avec le terrain. Or les MJC sans directeur sont majoritaires. Le guide administratif des MJC,
édité par la Fédération Régionale de l’Académie de Grenoble, donne le chiffre de 548 directeurs
pour 1.140 MJC1. Mais certaines MJC ont plusieurs directeurs et certains directeurs ne dirigent pas
de MJC : ils peuvent être chargés de formation, de missions diverses, animateurs départementaux
ou d’unions locales, mis à disposition de structures qui n’ont pas le statut des MJC (offices culturels,
services municipaux, structures de développement ...).
S’agissant des autres institutions socio-culturelles, les données chiffrées de leur implantation sont
plus ou moins fiables.
Pour ce qui est des MJC affiliées à l’UNIREG (UNIon des fédérations RÉGionales des MJC),
fédération scissionniste de la FFMJC en 1969, le dernier annuaire que nous possédons est celui de
1982-83. C’est à partir de ce document que nous avons dû dresser la carte d’implantation de ces
MJC en introduisant quelques modifications ça et là, à partir d’informations complémentaires plus
récentes2. Il y aurait 406 MJC3 affiliées à l’UNIREG, chiffre vraisemblablement inférieur au chiffre
réel.
Pour les Centres sociaux et socio-culturels, nous nous sommes référés à une carte du réseau au
1er février 1987 qui fait minutieusement état de l’implantation des structures en distinguant, dans
chaque département, les centres sociaux regroupés dans la Fédération des Centres sociaux de
France, et ceux qui ne le sont pas ; ce qui donne un total de 1.257 centres sociaux4.
Par contre, les chiffres concernant l’implantation des Foyers ruraux sont très approximatifs, et
cela pour deux raisons : d’abord par le manque de précision du document dont ils sont extraits et qui
ne nous fournit qu’une visualisation sous forme de cercles plus ou moins importants ; ensuite, en
raison de l’implantation rurale - difficile à contrôler, comme pour les MJC - surtout quand on sait que
le nombre de permanents est relativement faible (250) rapporté au nombre de foyers ruraux
annoncés (2.500)5.
L’inventaire des foyers et maisons pour tous affiliés à la fédération Léo-Lagrange reste difficile
même si le document utilisé est relativement récent6. En effet, certaines structures sont de simples
1
2
Octobre 1987.
En 1986, la Fédération Languedoc-Roussillon des MJC UNIREG allait vers sa 100ème MJC affiliée
(Entretiens avec Alain Rizzolo, chargé de mission FFMJC dans l’Hérault). Selon nos estimations,
appuyées sur l’étude dirigée par J.-P. Sirérols en 1987 : Faits, chiffres et images d’associations,
l’UNIREG, qui annonce quelque 173.000 adhérents physiques avec une moyenne de 405 adhérents
par MJC, devrait donc regrouper 430 MJC environ.
3
Voir annexe 2.
4
Voir annexe 3.
5
Voir annexe 4.
6
Voir annexe 5, carte établie à partir du guide Léo-Lagrange de 1985-86.
- 21 clubs sportifs, qu’il est difficile de classer dans le même registre que des équipements plus
conséquents et polyvalents de type MJC, centre social ou même foyer rural. Dans certains cas de
figure, nous avons fait le choix - certes “peu scientifique” - de ne pas tout compter.
Pour ce qui est des Maisons de la Culture (une douzaine), et des Centres d’Action Culturelle (25
environ), nous avons choisi de ne pas en dresser une carte du même type, et ceci pour deux raisons
essentielles : l’une à cause de leur faible implantation comparée à celle des autres structures ; l’autre
en raison de leurs objectifs et pratiques clairement établis comme culturels. Cependant, nous aurons
l’occasion de nous référer à une représentation cartographique de leur implantation lors de notre
travail comparatif.
Cet inventaire de structures affiliées et agréées1, généralement regroupées dans ce qu’il est
convenu d’appeler les grandes fédérations socio-culturelles et d’éducation populaire, appelle
quelques remarques d’importance :
a) Nous n’avons pas tenu compte d’autres mouvements et institutions d’éducation populaire
comme les Francs et Franches Camarades, les centres d’entraînement aux méthodes educatives
actives (CEMEA), la Ligue de l’Enseignement dont la vocation est souvent ou essentiellement périscolaire. Il ne s'agit pas de nier leur intérêt, leur efficacité éducative et socio-culturelle, ni leur
implantation (environ 40.000 associations affiliées à la seule Ligue de l’Enseignement)2, mais de
préciser notre choix qui est de traiter de l’implantation des MJC affiliées à la FFMJC et à l’UNIREG
en comparaison avec des institutions et mouvements qui développent leurs actions par des
structures extra-scolaires du même type : maisons pour tous, centres, foyers, équipements divers.
Nous n’avons pas non plus dressé de carte d’implantation de structures regroupées, par exemple,
dans Peuple et Culture - qui représente à divers titres un grand mouvement d’éducation populaire3 à cause de leur faible implantation en équipements socio-culturels4.
b) Le dénombrement peut être ça et là suspecté. En effet, il n’est pas exclu que certaines
structures puissent être affiliées à deux fédérations dont nous avons séparément dressé la carte
d’implantation. Une MJC peut être affiliée à la Fédération des Centres sociaux ou des Foyers ruraux,
1
L’agrément est le fait non des fédérations mais des ministères de tutelle ou de leurs services
(Jeunesse et Sports ou Caisse d’Allocations Familiales par exemple). Une structure peut avoir
plusieurs agréments. C’est généralement le cas des centres sociaux qui ont à la fois un agrément
CAF et un agrément Jeunesse et Sports. Le phénomène de l’agrément renvoie à une attitude de
l’État dans ce domaine, qui a son histoire et sur laquelle nous aurons l’occasion de revenir.
2
Chiffre encore plus difficile à contrôler que pour les structures gestionnaires d’équipement. Pour le
seul département des Bouches du Rhône, la Ligue compterait 800 associations affiliées avec environ
20% de “roulement” par an (entretien avec Michel Leroy, secrétaire général des Amis de
l’Instruction Laï que pour les Bouches du Rhône).
3
Joffre Dumazedier, Benigno Cacérès, Geneviève Poujol et de nombreux chercheurs de l’Institut
National d’Éducation Populaire sont issus de Peuple et Culture.
4
Ni, du reste, des Auberges de Jeunesse qui obéissent à une logique d’implantation plus liée à une
classe d’âge qu’à un environnement social local.
- 22 si bien qu’elle a pu être comptée plus d’une fois1. Ainsi, et c’est une raison de plus de n’en avoir pas
fait l’inventaire, la Ligue de l’Enseignement regroupe de nombreuses structures qui sont avant tout2
Centre social, MJC, Foyer rural ou foyer Léo-Lagrange. Cependant, les institutions dont nous avons
choisi de compter les structures affiliées sont généralement exclusives les unes des autres, et les
cas d’affiliations multiples entre elles sont rares, ce qui nous permet de supposer qu’un travail
comparatif d’implantation reste pertinent. S’agissant des MJC, il est difficile de penser qu’elles
puissent, au même moment, être affiliées aux deux fédérations, compte-tenu du caractère exclusif de
la scission.
c) Nous ne prétendons pas, par cet inventaire, dresser le tableau complet de ce que l’on
appelle le socio-culturel. Il y a d’autres structures - rappelons le - affiliées à d’autres fédérations et,
surtout, de nombreuses structures municipales, intercommunales, départementales, qui ne sont
affiliées à aucune fédération, qui remplissent des fonctions comparables3, et qui peuvent porter les
mêmes noms : MJC, foyer, centre socio-culturel... Du fait même de l’absence d’affiliation, cet
inventaire aurait exigé un travail de comptage irréalisable au niveau de l’ensemble du pays. Notre
choix s’est donc limité aux principales institutions ou mouvements socio-culturels et d’éducation
populaire qui constituent, historiquement et encore actuellement, le dispositif central de ce que l’on
appelle communément l’animation socio-culturelle.
d) D’importantes disparités au niveau du public touché et des moyens mobilisés existent
parmi les structures appartenant à des fédérations différentes, ou même appartenant à la même
fédération. Les foyers ruraux annoncent 250.000 adhérents pour 2.500 foyers alors que les MJC
affiliées à la FFMJC estiment regrouper plus de 500.000 adhérents4 pour guère plus d’un millier de
structures. L’importance moyenne en nombre d’adhérents varie de 1 à 5. Ainsi, l’étude comparative
de l’implantation est-elle suspendue au choix des indicateurs.
2 - le choix des indicateurs
En matière de critères d’importance ou d’indicateurs d’implantation, nous sommes pris entre ce
qui est souhaitable et ce qui est possible.
1
Il y eut une tentative, dans l'Aude, de généraliser la double affiliation MJC et Foyers Ruraux.
2
Les structures ont généralement une affiliation première liée aux statuts choisis, et des affiliations
secondaires liées à des activités particulières. La MJC Prévert d’Aix-en-Provence, affiliée à la FFMJC,
l’est également à la Fédération Française de Montagne, à la Fédération des Cinéastes Amateurs et à
la Ligue de l’Enseignement.
3
Les Maisons de quartier, notamment, à gestion associative ou même municipale.
4
Il est également très difficile de connaître le nombre d’adhérents. Une MJC a tendance à “grossir” son
chiffre par rapport à la municipalité alors qu’elle tend à le minimiser lorsqu’il s’agit de payer les
cotisations fédérales. Dans certains cas, on a pu constater des écarts du simple au double. Certaines
MJC délivrent, comme les Centres sociaux, des cartes familiales. Dans ce cas, doit-on compter une
seule adhésion ou autant d’adhésions qu’il y a de membres de la famille participant à une activité...?
- 23 Nous avons pu, assez précisément (pour les MJC affiliées à la FFMJC), ou très grossièrement
(pour les Foyers ruraux), produire les chiffres bruts d’implantation par région et même par
département (sauf pour les Foyers ruraux). Ces chiffres donnent des indications générales
immédiates qui permettent des comparaisons : par exemple dans le Languedoc-Roussillon, il y a 17
MJC affiliées à la FFMJC pour 95 à l’UNIREG, et dans la région Midi-Pyrénées, le rapport est de 1 à
100.
Ces chiffres bruts nous ont permis, en les rapportant à la population, de calculer les indices
d’implantation par région et chaque fois que cela était nécessaire, par département. Ainsi nous
avons pu dresser des cartes qui peuvent être comparées entre elles ou comparées à d’autres cartes
portant sur des indicateurs économiques, sociaux, culturels, voire anthropologiques. A partir de la
visualisation de ces données, le travail sociologique devient possible1.
En nous appuyant sur deux enquêtes préalables2, nous avons pu calculer les indices de
pénétration des MJC par région (nombre d’adhérents rapportés à la population) et globalement
confirmer la carte d’implantation de ces mêmes MJC. Cependant, ce travail n’a pas été possible pour
les autres structures, si bien que nous n’avons pas pu, par exemple, comparer l’influence des MJC et
celle des Foyers ruraux. Ainsi les MJC apparaissent moins implantées que les Foyers ruraux, alors
qu’elles regroupent vraisemblablement près de trois fois plus d’adhérents.
Un autre indicateur aurait pu être le public touché, adhérents et non adhérents, rapporté à la
population. Nous n’avons pu construire cet indicateur, tant les données étaient minces, peu fiables,
ou même fantaisistes. S’agissant des MJC ayant répondu à l’enquête sur la FFMJC3, certaines
annoncent des coefficients multiplicateurs (rapport adhérents/public touché) de 30 ou 40.
Ainsi, dans le département de la Haute-Savoie, les MJC toucheraient-elles près de 400.000
personnes4 (plus de 80% de la population), chiffre fantaisiste qui peut s’expliquer par le fait que des
MJC voisines peuvent concerner, chacune à leur tour, un même public qui est ainsi comptabilisé
plusieurs fois5.
Nous aurions pu également choisir de rapporter le nombre de structures à la superficie (indice
d’implantation spatiale) dans la mesure où les équipements peuvent être considérés comme des
Maisons de voisinage. Cela nous aurait permis de déceler quelques “déserts” socio-culturels qui sont
1
2
Voir cartes p. 28, 29, 30.
Les MJC aujourd’hui. Impacts et réalités qui concerne la FFMJC et Faits, chiffres et images
d’associations qui, elle, concerne l’UNIREG MJC.
3
Les MJC aujourd’hui. Impacts et réalités.
4
Les MJC aujourd’hui. Impacts et réalités.
5
La FFMJC annonce quelque 3.000.000 de personnes concernées (coefficient multiplicateur de 6) et
l’UNIREG le chiffre de 1.000.000 (coefficient multiplicateur de 6 également), ce qui nous paraît à la
fois cohérent et tout à fait plausible.
- 24 souvent aussi des “déserts” humains. Cependant, la notion de “Maison de voisinage” n’a réellement
de sens que pour des distances très limitées et pour une certaine densité de population.
On aurait pu choisir aussi le taux de professionnalisation des structures, ce qui aurait par
exemple permis de considérablement relativiser l’importance de foyers ruraux (seulement 250
animateurs pour 2.500 structures). Mais nous ne possédons pas de données fiables, exception faite
des directeurs et délégués des MJC affiliées à la FFMJC qui, par ailleurs, ne constituent qu’une très
faible partie (moins de 600) d’un corps professionnel estimé à près de 15.000 salariés1.
L’importance des budgets aurait également pu être un excellent indicateur de l’efficacité des
structures. Mais, là aussi, les données ne sont pas fiables ou sont difficiles à collecter, dans la
mesure où chaque structure de base a une autonomie de gestion associative que les fédérations ne
contrôlent pas et, par conséquent, connaissent mal2. On est donc condamné à des estimations
globales: près d’un milliard de francs de chiffre d’affaire pour l’ensemble de l’institution3 FFMJC.
Ainsi, pour toutes ces raisons, nous avons utilisé successivement les chiffres bruts, les indices
d’implantation et les indices de pénétration. Pour ce qui est des comparaisons entre fédérations,
nous avons communément choisi les indices d’implantation dans leur représentation cartographique,
pour la simple raison que nous avons pu dresser l’ensemble des cartes. Cependant, s’agissant de
l’importance des MJC comparée à des cartes d’indicateurs socio-économiques, culturels et
anthropologiques, nous avons généralement choisi de nous appuyer sur les indices de pénétration
par région qui nous apparaissent plus pertinents et qui confirment généralement les indices
d’implantation.
3 - les grandes lignes du paysage
Si l’on s’attache aux chiffres bruts4 de l’implantation de la Fédération Française des Maisons des
Jeunes et de la Culture, on remarque immédiatement la présence de trois régions fortes : RhôneAlpes (217 MJC)5, Lorraine (216 MJC), et l’Ile de France (130 MJC), avec quelques départements
1
Le comptage des professionnels salariés est difficile à effectuer dans la mesure où il y a autant
d’employeurs potentiels que de structures affiliées. Pour quelques estimations toujours
contestables, voir Les Associations de S. Passaris et G. Raffi (Ed. La Découverte).
2
Même lorsque, comme c’est le cas dans les MJC, le délégué régional est membre de droit de chaque
conseil d’administration.
3
Dans le langage MJC, “l’Institution” désigne l’ensemble des associations MJC de base et de leurs
appareils fédéraux (locaux, départementaux, régionaux et national). Georges ROUAN (op. cit.) fait
remarquer à juste titre que c’est un mot fétiche, objet d’un grand respect, mais aussi de critiques
sévères.
4
Annexe 1. Afin de ne pas alourdir la rédaction, nous avons choisi de rassembler en annexe les
documents de référence, notamment les nombreuses cartes, dans un ordre qui suit globalement le
déroulement du discours.
5
Compte tenu de cette forte implantation, la FFMJC a jugé utile de créer deux fédérations régionales :
Grenoble et Lyon. Pour des raisons de clarté, nous avons choisi de regrouper les MJC selon les
régions administratives.
- 25 particulièrement bien pourvus : la Meurthe-et-Moselle avec 126 MJC et l’Isère avec 78 MJC. Il y a
ensuite une série de régions “moyennes” : l’Alsace (70 MJC), Champagne-Ardennes (69 MJC), la
Picardie (79 MJC), Provence-Alpes-Côte d’Azur (59 MJC) ; puis des régions à faible implantation:
Pays-de-Loire (44 MJC), la Bretagne (32 MJC), la Bourgogne et la Franche-Comté (35 MJC
chacune), Nord-Pas-de-Calais (33 MJC), Poitou-Charentes (30 MJC), l’Aquitaine (28 MJC) ; et enfin
des régions où l’implantation est très faible ou quasi-nulle : Languedoc-Roussillon (17 MJC), Centre
(6 MJC), Limousin(2 MJC) Midi-Pyrénées et Corse (1 MJC chacune), Auvergne ( aucune).
Il y a donc des disparités énormes, de 217 MJC dans la région Rhône-Alpes à aucune dans la
région voisine, l’Auvergne.
A grands traits, ces disparités d’implantation de la FFMJC, constatées à partir des seuls chiffres
bruts, dessinent une France découpée en trois bandes : la partie nord-est (à l’exception peut-être du
Nord-Pas-de-Calais) et sud-est (espace situé à l’est d’une ligne Le Havre-Marseille), fortement ou
moyennement implantée ; la bande ouest faiblement implantée ; et enfin la partie centrale où
l’implantation est très faible ou nulle.
La prise en compte des MJC affiliées à l’UNIREG modifie considérablement le paysage sans
pour autant nous donner l’image d’une France où les MJC seraient implantées de façon relativement
homogène. Certes, là où l’on rencontre un bastion de l’UNIREG, la FFMJC est peu ou pas implantée
: c’est le cas notamment des régions Languedoc-Roussillon et Midi-Pyrénées. Et inversement. Ainsi
les partitions géographiques, consécutives à la scission de 1969, sont-elles parfaitement visibles en
1987. Cependant, il existe des régions, des départements, où les deux fédérations cohabitent,
espaces de frottement qui sont longtemps restés, avant que les relations ne s’améliorent, des fronts
de guerre froide1 inter-institutionnelle : les Bouches-du-Rhône, l’Hérault, la région lyonnaise, la
Normandie.
1
Au début des années 80, il y eut une rencontre à Servian (Hérault) entre les directeurs des deux
fédérations travaillant dans la même région. Certains anciens collègues ne s’étaient pas adressé la
parole depuis la scission.
- 26 -
- 27 -
- 28 -
- 29 La carte d’implantation des MJC affiliées à la FFMJC rapportée à la population (indice
d’implantation - voir cartes, pages précédentes) confirme, en apportant quelques précisions,
l’observation des données brutes. La Picardie, Champagne-Ardennes, la Lorraine et l’Alsace forment
un espace d’un seul tenant, dans lequel l’implantation est d’une MJC pour moins de 25.000
habitants. La Lorraine a une MJC pour guère plus de 10.000 habitants avec un record en Meurtheet-Moselle (1 MJC pour 5.700 habitants). La région Rhône-Alpes est également particulièrement
pourvue avec un indice moyen d’une MJC pour 23.000 habitants et 1 MJC pour 12.000 habitants
dans l’Isère.
A ces régions de forte implantation de la FFMJC, se rattachent des régions moyennement
implantées (entre 25.000 et 75.000 habitants pour 1 MJC), l’ensemble formant le croissant est que
nous avions repéré par la seule observation des chiffres bruts. Il faut mettre à part la Corse (1 seule
MJC pour 230.000 habitants) et le Nord-Pas-de-Calais qui, avec un indice de 1 pour 120.000, fait
figure d’isolé.
L’Ile-de-France, qui nous était apparue comme une région forte (130 MJC avec un taux de
professionnalisation très élevé - près de 100 directeurs), sort de ce croissant d’abondance, compte
tenu de son importante population rapportée au nombre de structures (indice d’implantation de 1
pour 77.000). La responsabilité de ce faible indice incombe à Paris même, qui ne comporte que 6
MJC affiliées à la FFMJC, et 4 MJC affiliées à l’UNIREG. Le phénomène MJC n’est pas avant tout un
phénomène parisien, ce que confirmera l’analyse socio-historique.
Derrière cet espace de forte implantation, on retrouve une bande quasi-désertique qui sillonne
l’hexagone de la Basse-Normandie à la région Midi-Pyrénées en passant par le Centre, le Limousin
et l’Auvergne. Il y a là une ligne de fracture autour de laquelle les MJC affiliées à l’UNIREG sont bien
implantées, notamment en Languedoc et en Midi-Pyrénées. La scission institutionnelle de 1969
s’installe dans cette dépression médiane.
En se rapprochant de l’océan atlantique, la FFMJC reprend une certaine altitude notamment dans
les Pays-de-Loire (1 pour 66.000 habitants) et en Poitou-Charente (1 pour 52.000 h) sans pour
autant atteindre les sommets de la France du nord-est et du sud-est. Cette implantation océane
relativement modeste n’est pas compensée par l’UNIREG qui est là quasiment absente, ni par une
très forte implantation des Centres sociaux, faible en Aquitaine, et des Foyers ruraux qui font bien
mieux ailleurs. Cependant, les Foyers Léo-Lagrange occupent relativement bien cet espace ouest,
avec une implantation tout à fait honorable en Aquitaine (1 pour 53.000 h), Poitou-Charente (1 pour
60.000 h) et Pays-de-Loire ( 1 pour 68.000 h ).
S’agissant des MJC, les deux fédérations confondues, on peut dire qu’il y a une France riche,
une France moyenne et une France pauvre. La France riche est constituée par cette tenaille qui va
d’un côté de l’Alsace à la Manche et, de l’autre, de la frontière suisse à la frontière espagnole. Entre
les deux mâchoires, on trouve un espace relativement pauvre (de 25.000 à 75.000 h pour 1 MJC).
Les régions périphériques par rapport à cette tenaille restent faibles : le Nord-Pas-de-Calais (1 MJC
- 30 pour 115.000 h), la corse (1 MJC pour 260.000 h), l’aquitaine (1 pour 94.000 h) et la bretagne (1
pour 84.000 h). Seule la région Provence-Alpes-Côte-d’Azur se rapproche des régions voisines à
forte implantation avec un indice de 1 pour 45.000.
Y a-t-il des disparités régionales, toutes fédérations confondues ? Le moins que l’on puisse dire,
c’est que le phénomène de compensation institutionnelle ne joue pas parfaitement. Il existe des
déséquilibres importants. On peut repérer un large croissant de forte implantation socio-culturelle,
allant du nord-est au midi languedocien et pyrénéen, figure qui se décalque très grossièrement sur la
tenaille des MJC. Dans ces espaces, on atteint des records d’implantation : 1 structure pour 5.400
habitants en Lorraine, 1 pour 5.300 habitants en Midi-Pyrénées, 1 pour 4.500 habitants en
Languedoc-Roussillon et 1 pour 5.200 habitants en Corse1 qui, grâce aux Foyers ruraux, rattrape le
peloton de tête.
Le centre et l’ouest font figure de déshérités : 1 structure pour plus de 10.000 habitants voire
même pour plus de 15.000, avec une exception cependant : la région Poitou-Charentes (1 pour
6.300 h). Le Nord-Pas-de-Calais, malgré une implantation correcte des Centres sociaux et des
foyers Léo-Lagrange, a un réseau socio-culturel faible (1 pour plus de 16.000 h). L’Ile-de-France est
bonne dernière avec un indice de 1 pour près de 19.000. Décidément, la région parisienne n’est pas
le phare du développement de l’animation socio-culturelle de type fédératif2, même si toutes les
fédérations y ont leur siège national.
Malgré la concurrence entre fédérations, la cohabitation inter-institutionnelle existe dans toutes
les régions. De nombreuses villes ont à la fois des MJC affiliées à deux fédérations différentes (Lyon
par exemple), des Centres sociaux et socio-culturels, des foyers Léo-Lagrange et des Foyers ruraux.
Certes, en raison de vocations différentes, certaines fédérations se côtoient peu, localement3, par
exemple les Centres sociaux à vocation sociale et urbaine, et les Foyers ruraux.
Il y a cependant - et c’est bien compréhensible en raison de la scission - une répartition spatiale
généralement claire entre les deux fédérations de MJC. L’UNIREG a ses bastions là où la FFMJC
est faible ou inexistante. Dans ces secteurs, l’indice d’implantation atteint des sommets qu’aucune
autre fédération, pourtant globalement plus implantée, n’atteint : 1 MJC pour 4.300 habitants dans
l’Aude par exemple. L’UNIREG regroupe, dans deux régions seulement (Midi-Pyrénées et
Languedoc-Roussillon), près de la moitié de ses MJC affiliées.
Rappelons-le, il y a des espaces de cohabitation qui ont été, au moment de la scission, des
espaces d’affrontement et ensuite de guerre froide : l’Hérault, la région lyonnaise, les Bouches-duRhône, la Normandie. Depuis quelques années, des tentatives de rapprochement entre les deux
1
Sous réserve d’informations plus précises que nous ne possédons pas à ce jour.
2
A Paris même, il y a moins de 50 structures affiliées aux fédérations que nous étudions.
3
Cependant Puyricard (“écart” d’Aix-en-Provence) possède à la fois un centre socio-culturel et un
foyer rural.
- 31 fédérations se sont matérialisées par la création de structures communes : Union vauclusienne,
Union héraultaise des MJC appartenant aux deux institutions. De temps en temps, on parle même de
réunification pour rappeler bien vite que “les choses ne sont pas mûres” et que “la question n’est pas
à l’ordre du jour”1.
Les Centres sociaux et socio-culturels ont une implantation relativement homogène. Cela tient à
leur spécificité marquée par leur mission sociale d’intérêt général, définie par un ministère des
Affaires sociales très présent par l’intermédiaire de la Caisse nationale d’allocations familiales. Il y a,
autour d’une bonne implantation quasi-générale (1 pour moins de 75.000 habitants), des espaces
très bien pourvus (1 pour 24.000 h en régions Rhône-Alpes et Bourgogne) et des espaces plus
pauvres : Languedoc-Roussillon, Aquitaine, Lmousin, Basse-Normandie et surtout Corse. Mais les
disparités n’atteignent jamais les écarts constatés dans les autres fédérations et notamment les MJC
: 1 pour 10.000 habitants à rien pour la FFMJC, 1 pour 23.000 à 1 pour 88.000 pour les Centres
sociaux (si l’on excepte la Corse). Les Centres sociaux font l’objet d’un développement mesuré, plus
lié aux exigences du terrain qu’à la seule bonne volonté des acteurs, même si la forme de gestion
associative y est couramment pratiquée.
Les Foyers ruraux (2.500 annoncés, mais de dimensions modestes, peu professionnalisés), sont
implantés partout, avec quelques régions particulièrement bien quadrillées, Midi-Pyrénées et
Languedoc-Roussillon, notamment. Ces espaces de forte implantation constituent une grossière
diagonale nord-est/sud-ouest pyrénéen. Leur spécificité rurale, leur tutelle du ministère de
l’Agriculture, ne les mettent pas en concurrence avec des structures à vocation plus urbaine comme
les Centres sociaux ou même les MJC. Cependant, dans de nombreuses régions (Lorraine,
Languedoc-Roussillon, Midi-Pyrénées), ils cohabitent avec les MJC qui sont là fortement implantées
dans le milieu rural. De ce point de vue-là, l’Hérault et surtout l’Aude, font figure d’exemples. La
Corse est, elle, quasi totalement “quadrillée” par les Foyers ruraux. Le Nord-Pas-de-Calais et l’Ile-deFrance, sans doute à cause de leur intense urbanisation, ont moins de Foyers ruraux, sans que cela
atteigne les abîmes rencontrés dans d’autres fédérations, MJC ou foyers Léo-Lagrange par exemple
: 1 foyer rural pour 84.000 habitants en Ile-de-France.
Les foyers Léo-Lagrange ont une implantation plus modeste et souvent plus localisée (Marseille
et Lille par exemple2). Leur record est de 1 pour 38.000 h en Picardie avec ensuite 1 pour 53.000 en
Aquitaine et 1 pour 58.000 dans le Nord-Pas-de-Calais, ce qui correspond, somme toute, à des
indices modestes comparés aux meilleurs des autres fédérations. Ils touchent les profondeurs du
classement dans de nombreuses régions : Limousin, Normandie, Champagne-Ardennes, Lorraine.
1
Sur l’opportunité d’une réunification et sur ses freins, il y aurait beaucoup à dire, d’autant qu’il ne
suffit pas que les deux partenaires trouvent un accord d’objectifs et d’organisation pour qu’une
réunification soit possible. Ce qui est en jeu, c’est plus la position des acteurs et des groupes de
pression.
2
Rappelons que Gaston Defferre et Pierre Mauroy sont deux artisans essentiels du développement de
la Fédération Léo-Lagrange.
- 32 Dans ces espaces, leur implantation se limite souvent à une boîte aux lettres pour plusieurs
départements. Sauf exception (espace sud-est), ils sont peu implantés là où les MJC atteignent des
sommets : bande centrale occupée par l’UNIREG, Est occupé par la FFMJC. Ce phénomène tient-il
à des raisons idéologiques, dans le contexte historique du développement du socio-culturel des
années 60, où l’on peut voir d’un côté les MJC soutenues par la politique gaulliste et de l’autre les
foyers Léo-Lagrange faisant figure d’élément dynamique d’une nouvelle sensibilité socialiste ?1
Mais revenons aux Maisons des Jeunes et de la Culture affiliées à la FFMJC. L’indicateur mettant
en rapport le nombre d’adhérents avec l’ensemble de la population par région (indice de
pénétration2) permet de dresser une carte qui recoupe globalement celle de l’indice d’implantation en
faisant apparaître les déséquilibres repérés lors des représentations précédentes.
Au nord et à l’est d’une ligne Le Havre-Marseille, on est en présence d’un espace fortement
implanté en adhérents MJC. L’indice de pénétration rend plus précisément compte de l’importance
des MJC auprès de la population. La région Champagne-Ardennes arrive en tête avec un indice de
0,023 (23 adhérents pour 1.000 habitants) suivie de la Lorraine et de la région Rhône-Alpes (21 pour
1.000). Ainsi la Lorraine ne fait-elle plus figure de leader détaché (1 pour 10.000 à l’indice
d’implantation) ; elle est rejointe et même dépassée dans le classement à l’indice de pénétration. La
moyenne du nombre d’adhérents par MJC y est faible (288 selon l’enquête3) et la situe, de ce point
de vue là, dans les profondeurs du classement. Cette observation est confirmée par un autre
indicateur : on compte seulement 58 directeurs pour 201 MJC recensées au 13 février 19864. Les
MJC sont, généralement, de faible importance, même pour celles qui sont implantées dans le milieu
urbain, animées par des équipes de bénévoles, conseillées par des délégués régionaux qui assurent
une coordination par secteurs de dimension départementale5.
Par contre, selon l’indice de pénétration, l’ile-de-France se rapproche du haut du tableau (7
adhérents pour 1.000 h). La moyenne des adhérents par MJC avoisine les 600, chiffre important qui
1
La réalité n’est pas si simple : André Philip, Président fondateur de la FFMJC et Jean Laurain,
secrétaire général du syndicat CGT des MJC dans les années 60, sont tous deux membres de la
S.F.I.O. ou du parti socialiste, mais avec des références socio-éducatives autres (l’éducation
populaire issue de la Résistance), alors que les militants de la Fédération Léo-Lagrange se réfèrent à
la politique des loisirs de 1936.
2
Pour calculer ces indices, on s’appuie sur une comptabilisation du nombre d’adhérents. Les chiffres
par MJC sont fournis par la FFMJC et les FRMJC, dans la mesure où les MJC doivent déclarer ces
chiffres et payer des cotisations fédérales pour pouvoir participer aux assemblées générales de
l’Institution (le nombre de mandats est fonction du nombre d’adhérents).
3
Les MJC aujourd’hui. Impacts et réalités.
4
Guide administratif des MJC-MPT.
5
L’enquête de Guy Ménard (Les MJC en Lorraine : situations, activités, perspectives, 25 pages, ronéo,
1980) confirme cette description en précisant qu’en Lorraine, le montant moyen des subventions
par MJC est faible, indicateur supplémentaire qui précise l’image que nous en donnons.
- 33 va de pair avec la densité du nombre des directeurs (92 pour 130 MJC en 1986).
La région Rhône-Alpes constitue un vaste espace de MJC importantes (550 adhérents par MJC
dans l’académie de Grenoble), gérées par un corps professionnel nombreux (148 directeurs et 6
délégués pour quelque 220 MJC). Dans l’Isère, l’indice de pénétration doit avoisiner les 50 pour
1.000 avec des pointes dans certaines localités : par exemple Susville dans le bassin houiller
matheysin (plus de 500 adhérents pour une population de moins de 2.000 habitants)1.
A l’ouest de cette ligne Le Havre-Marseille, nous retrouvons une vaste dépression correspondant
à l’implantation de la Fédération UNIREG. Au-delà, les régions qui jouxtent l’Atlantique et la Manche
oscillent entre des indices de pénétration allant de 3 pour 1.000 en Basse-Normandie, à 6 pour 1.000
en Poitou-Charente. Après le désert médian, les basses eaux océanes.
Une fois de plus, la Corse et le Nord-Pas-de-Calais font figure d’isolés dans ces grands
ensembles, somme toute bien délimités.
En résumé, le paysage de la FFMJC, de son implantation et de sa pénétration, donne l’image
d’une France coupée en deux par une ligne Le Havre-Marseille : au nord-est et au sud-est un réseau
dense ; à l’ouest et au centre-sud un maillage lâche, avec des espaces où les oasis institutionnelles
sont rares. Une seule MJC affiliée à la FFMJC à Cahors pour toute la région Midi-Pyrénées, une à
Ussel, aucune en Auvergne !
Quant à la carte des MJC affiliées à l’UNIREG, dressée selon l’indice de pénétration, elle est tout
fait comparable à celle réalisée selon l’indice d’implantation. Cette fédération y occupe effectivement
une sorte de croissant médian quasiment inoccupé par la FFMJC. Cependant l’UNIREG n’atteint
jamais, y compris dans ses bastions, les indices de pénétration les plus remarquables de la FFMJC :
14% seulement en Midi-Pyrénées contre 23% en Champagne-Ardennes. La forte implantation
pyrénéenne et languedocienne des MJC affiliées à l’UNIREG ne se traduit donc pas dans la
pénétration de ces structures qui, en l’occurrence, sont d’importance modeste et souvent situées
dans le monde rural : dans ces régions, les MJC comptent globalement moins de 300 adhérents
alors que la moyenne générale nationale de l’UNIREG est de 400 par structure2.
S’agissant de la pénétration de l’ensemble des MJC, la représentation cartographique est
également tout à fait comparable à la représentation prise sous l’angle de l’implantation. La région
Rhône-Alpes avec 25°/°°, suivie de Champagne-Ardennes (23°/°°), de la Lorraine (21°/°°) puis du
Languedoc-Roussillon (15°/°°), de l’Alsace et de Midi-Pyrénées (14°/°°), forment cette tenaille que
l’indice d’implantation avait déjà mise en évidence. La région parisienne, malgré la pénétration non
négligeable de l’UNIREG (20% des adhérents de l’ensemble de cette fédération3) reste, avec 10°/°°,
1
Entretiens avec Pierre Allard, directeur de la MJC de Susville pendant sept ans.
2
Faits, chiffres et images d’associations.
3
Faits, chiffres et images d’associations.
- 34 nettement en dessous de la moyenne nationale qui approche les 13°/°°.
On peut faire une autre remarque également très significative : la carte du développement
culturel1 - ce que l’on pourrait appeler la “décentralisation institutionnelle”2 - prend à peu près les
mêmes formes que la carte FFMJC, et renforce ainsi la confusion entre culturel, socio-culturel,
Maison de la Culture et Maison des Jeunes et de la Culture. En effet, tout semble se passer en deçà
de cette même ligne Le Havre-Marseille, avec, certes, de grands vides, compte tenu d’une
implantation prestigieuse mais faible3.
Mais cette ligne Le Havre-Marseille ne ressemble-t-elle pas étrangement au fameux axe SaintMalo-Genève des historiens, qui aurait basculé autour de Bourges pour s’enfoncer dans le sud-est et
laisser derrière lui la Basse-Normandie4 ? Cette France ainsi découpée n’a-t-elle pas les contours
d’une France plus actuelle, dessinée à partir de la représentation géographique d’un certain nombre
d’indicateurs économiques et sociaux ?
1
Atlas du changement culturel - Éditions W., Mâcon, 1986.
2
Déconcentration et décentralisation en matière d’action culturelle - Dossier réalisé par Françoise Brès
(Université de Provence, UER Arts-Lettres-Expression).
3
Sur 100 spectateurs de théâtre, 39 habitent en région parisienne, 18 dans le nord et l’est, 19 dans
le sud-est, 17 dans l’ouest et seulement 7 dans le sud-ouest - Michel Guy (Département des études
et de la prospective au Ministère de la culture et de la Communication), Le Monde du 16/7/87, p.
12.
4
Basculement que met en évidence Xavier de Planhol (Géographie historique de la France, Fayard,
1988) : “Un contraste géographique majeur s’est ainsi dessiné dans la France en cours
d’urbanisation du XIXe siècle. Il oppose une France dynamique, en gros celle du nord et de l’est, à
une France plus endormie, celle de l’ouest et du sud, la démarcation pouvant se situer à une ligne
tracée de la Seine à l’est du massif central et à l’embouchure du Rhône. Ce n’est plus exactement la
ligne Saint-Malo-Genève qui jalonnait au début du siècle la limite entre une France évoluée et une
France retardataire. Le fait nouveau est le dynamisme de la région Lyon-Saint-Etienne-Grenoble, et
de Marseille. Au XXe siècle surtout s’y ajoutera la Côte d’Azur ...”, p. 460.
- 35 -
CHAPITRE - II L’IMPLANTATION DES MAISONS DES JEUNES ET DE LA
CULTURE À LA LUMIÈRE DE QUELQUES INDICATEURS
ECONOMIQUES, SOCIAUX, POLITIQUES, CULTURELS ET
ANTHROPOLOGIQUES
Confronter la carte du développement des Maisons des Jeunes et de la Culture à des cartes
d’indicateurs économiques et sociaux, ferait encore frémir bon nombre de militants qui veulent
protéger ce secteur de tout ce qui pourrait ressembler à la consommation et à la rentabilité1. Mais
peut-être faut-il se convaincre que le développement de ce secteur non productif n’est jamais aussi
probable et nécessaire que dans les espaces productifs, créateurs de richesses et de plus-value
rétrocédée2 sous forme de salaires, d’impôts et de subventions plus élevés, espaces marqués par
des activités économiques dominantes, quadrillés par un réseau de communication dense et
marqués par des spécificités sociales liées au développement d’une société industrielle en mutation3.
Dans un tel contexte, la carte d’implantation de la FFMJC ne serait-elle pas le verre grossissant
d’une France “moderne” mais en déséquilibre?
1 - La France riche et la France pauvre
La représentation cartographique du produit intérieur brut par région en 19844 a bien quelques
ressemblances grossières avec la carte des indices de pénétration des MJC affiliées à la FFMJC. En
deçà de notre ligne Le Havre-Marseille, le P.I.B. par habitant est plus élevé, notamment en Ile-deFrance, Haute-Normandie, Alsace, Rhône-Alpes, Champagne-Ardennes et Provence-Alpes-Côte
d’Azur. La Lorraine, fortement implantée en MJC a cependant un PIB par habitant modeste qui
s’explique sans doute par le déclin de son industrie sidérurgique, alors que la dynamique
d’implantation des MJC était antérieure. Comme pour la FFMJC, la rupture s’opère bien au niveau du
Havre entre Haute et Basse Normandie, et au niveau de l’axe rhodanien entre d’un côté Rhône-
1
Les choses et les discours sont en train de changer. Le domaine de l’intervention socio-culturelle, qui
gravite quelque part entre un service public revendiqué et une économie de marché obligée, est
progressivement gagné par une forme de libéralisme de type économie sociale.
2
Nous faisons ici allusion au modèle de rétrocession de la plus-value (La petite bourgeoisie en France
de Baudelot, Establet et Mallemort) qui nous semble éclairer le domaine de l’intervention socioculturelle dans ses rapports avec l’économique et le politique.
3
Mot sans doute sans intérêt épistémologique, que nous employons ici par simple référence à son
utilisation inflationniste reprise par les MJC elles-mêmes. A l’assemblée générale d’Angoulême
(novembre 1985) le mot d’ordre était d’“anticiper les mutations”.
4
Travaux de J. Maliverney et J.-C. Donnelier - Collection INSEE n° 79, décembre 1986 (voir annexe 9).
- 36 Alpes et Provence-Alpes-Côte d’Azur, et de l’autre Auvergne et Languedoc-Roussillon.
Dans l’espace ouest et centre-sud, le PIB par habitant est globalement plus faible avec quelques
régions très faibles : moins de 62.500 F par habitant en Languedoc-Roussillon, Auvergne, Limousin,
Poitou-Charente et Bretagne qui sont aussi des régions de faible implantation de la FFMJC. Seule
l’Aquitaine semble faire exception. Cependant, avec un PIB de 72.139 F par habitant, elle n’est pas
loin de la catégorie inférieure. La Corse, avec un PIB par habitant très faible (51.694 F) fait figure de
lanterne rouge comme pour son implantation en MJC.
La carte de la valeur ajoutée par habitant en 19821 confirme généralement cette partition. Toutes
les régions où la valeur ajoutée par habitant est supérieure à la moyenne nationale (62.084) sont à
l’est de la ligne Le Havre-Marseille : Ile-de-France, Haute-Normandie, Champagne-Ardennes,
Alsace, Rhône-Alpes. A l’ouest de cette ligne, la valeur ajoutée par habitant est faible, notamment
dans le Centre-Sud et en Bretagne.
Les établissements industriels sont globalement plus modestes à l’Ouest (implantation importante
des entreprises industrielles de 100 à 200 salariés), alors qu’au-delà de l’axe Le Havre-Marseille,
l’effectif salarié des établissements de mille salariés et plus atteint ses sommets, notamment dans le
Nord-Pas-de-Calais, en région parisienne, en Lorraine, en Franche-Comté et en Rhône-Alpes2. La
construction des bâtiments industriels3 y est nettement plus importante notamment en Lorraine,
Picardie, Champagne-Ardennes, Franche-Comté et Rhône-Alpes ainsi que la consommation
énergétique en électricité4, qu’elle soit globale ou industrielle, surtout en Lorraine et en Rhône-Alpes.
Ce phénomène est corroboré par une forte présence de population active dans l’industrie. En
1975, date médiane entre la période de forte implantation des années 60 et celle de notre enquête,
les départements comptant plus de 35% de la population active industrielle sont quasiment tous au
nord-est d’une ligne Caen-Valence5.
Ce déséquilibre Est-Ouest se retrouve au niveau de la fiscalité d’entreprise. Le montant de l’impôt
sur les sociétés6 atteint ses sommets à l’Est (Ile-de-France, Nord-Pas-de-Calais, Alsace,
Champagne-Ardennes et Rhône-Alpes) et ses profondeurs en Auvergne, Limousin et LanguedocRoussillon. Il en va de même pour le montant des taxes sur le chiffre d’affaire7, même si la “France
1
SIRF (statistiques et indicateurs des régions françaises) - Annexe au projet de loi de finances pour
1987, Collection INSEE p. 295 (voir annexe 9).
2
SIRF - p. 297. Pour chaque référence qui suit, nous reproduisons les cartes en annexe (ici A 9).
3
4
SIRF - p. 320. Ce phénomène est perceptible dès le début du XIXe siècle (cf. Xavier de Planhol :
Géographie historique de la France, p. 272).
SIRF - p. 315.
5
La nouvelle France, E. Todd, p. 50 (A 10).
6
SIRF - p. 491 (A 10).
7
SIRF - p. 492 (A 10).
- 37 pauvre” tend à rattraper son retard, qu’il s’agisse du montant de l’impôt sur les sociétés ou du
montant des taxes sur le chiffre d’affaire1. Le déséquilibre se retrouve au niveau de l’ensemble des
recettes du budget général de l’Etat2 (plus de 20.000F par habitant en Alsace pour guère plus de
8.000 F par habitant en Limousin) même si, là aussi, au-delà de la ligne Le Havre-Marseille, la
variation moyenne annuelle est plus forte (+15,6% dans les Pays-de-Loire et en Bretagne, pour
seulement +11,1% en Lorraine).
Dans les grandes lignes, l’implantation et la pénétration de la FFMJC correspondent aux
caractéristiques d’une France plus riche, fortement industrialisée, avec une forte valeur ajoutée par
habitant, grande pourvoyeuse de recettes du budget général de l’Etat.
Dans ces mêmes espaces, le niveau des salaires et des revenus est globalement supérieur à
celui de la France de l’Ouest et du Centre-Sud. Même si là, on tend à rattraper son retard, il vrai que
le revenu disponible brut des ménages3 atteint ses sommets dans la France parisienne,
champenoise, alsacienne, grenobloise et azuréenne. Le revenu moyen des cadres y est
généralement supérieur4, malgré la course-poursuite engagée dans le Centre-Ouest. La disparité est
parfaitement visible pour les salaires moyens des ouvriers5, notamment dans la fonderie et le travail
des métaux, les industries textiles et l’habillement, l’industrie du bâtiment, du génie civil et agricole, le
commerce de gros et de détail. Dans tous les cas de figure, les régions parisienne et Rhône-Alpes
sont en tête, attestant ainsi une nouvelle fois ce basculement de l’axe socio-historique vers le SudEst. Au Nord-Ouest, la rupture passe dans presque tous les cas par la Normandie : d’un côté la
Haute, tournée vers la France du Nord-Est et du bassin parisien, de l’autre la Basse, plus proche de
la France de l’Ouest.
Cependant, l’évolution d’un certain nombre d’indicateurs socio-économiques atteste d’une forte
tendance au rééquilibrage national. Qu’il s’agisse de l’impôt sur les sociétés, des taxes sur le chiffre
d’affaire, des recettes du budget général de l’Etat ou encore du revenu disponible brut des ménages,
on constate des variations annuelles en pourcentage, pour les périodes 74-84, généralement plus
élevées dans l’espace Ouest que dans l’espace Est. En matière d’impôt sur les sociétés, l’ouest et le
sud-ouest, par exemple, progressent deux fois plus rapidement que l’est de la France, même si le
montant de l’impôt par habitant reste, dans cet espace, considérablement plus élevé que dans
l’espace Ouest.
Pouvons-nous pour autant conclure que les MJC, notamment celles affiliées à la FFMJC, ont un
1
SIRF - p. 491 et 492 (A 10 et A 11).
2
SIRF - p. 488 (A 11).
3
SIRF - p. 428 (A 11).
4
SIRF - p. 430 (A 12).
5
SIRF - p. 432 et suivantes (A 12 et A 13).
- 38 bel avenir dans l’ouest et le sud-ouest de la France, et qu’un rattrapage économique pourrait se
traduire pour elles par un rééquilibrage d’implantation et de pénétration ?
Il y a certes, comme nous venons de le voir, une relation de correspondance assez régulière
entre certains indicateurs socio-économiques et l’implantation de la FFMJC. On ne peut cependant
conclure à une relation de cause à effet, d’autant qu’il y a des exceptions de taille : le Nord-Pas-deCalais et la région parisienne, notamment, sont, malgré quelques indicateurs socio-économiques
particulièrement forts (impôt sur les sociétés, taxes sur le chiffre d’affaire, recettes du budget général
de l’Etat et revenus des ménages), faiblement ou modestement implantés en MJC.
On ne peut donc préjuger de l’avenir de l’implantation de la FFMJC, sortir du domaine strict de la
recherche et oser une analyse prospective. Nous en resterons donc à un repérage de tendances.
Nous constatons effectivement de février 1986 à novembre 19881, presque partout, une
progression de l’implantation de la FFMJC dans la face océanique de la France. Mais cette
augmentation reste, avec 6%, au dessous de la moyenne d’augmentation nationale (6,8%) et très
inférieure à la progression repérée dans l’espace Est-Sud-Est (7% environ). La Lorraine, par
exemple, bien qu’en net recul économique (la variation des indicateurs l’atteste), continue avec 12%
d’augmentation, à progresser considérablement en matière d’implantation et de pénétration des
MJC.
La variation à la hausse des indicateurs socio-économiques ne se traduit donc pas réellement et
d’une manière significative dans l’implantation des MJC affiliées à la FFMJC. Il y a à cela des
explications qu’il est difficile de vérifier, compte tenu du caractère limité des données en notre
possession. Ou bien il n’y a pas de relation directe ou immédiate entre les variations des indicateurs
socio-économiques choisis et les indices d’implantation et de pénétration de la FFMJC, ou bien la
progression socio-économique profite à d’autres structures fédérées (MJC affiliées à l’UNIREG,
centres sociaux, foyers ruraux et foyers Léo-Lagrange), non fédérées (maisons de quartier par
exemple), municipales ou para-municipales. Si la FFMJC progresse plus à l’est qu’à l’ouest de la
ligne Le Havre-Marseille, cela tient sans doute autant à une logique d’essaimage qui se traduit par
une progression cumulative, qu’à une supériorité socio-économique des espaces concernés, sans
compter que même si certaines régions en retard progressent, en pourcentage de variation, plus vite
que certaines autres traditionnellement fortes, il n’empêche que le décalage est tel que les écarts
continuent à grandir en valeur absolue2.
1
Guide administratif des MJC.
2
Un exemple qui concerne l’impôt sur les sociétés : le Languedoc-Roussillon, avec un montant d’impôt
de 633 F par habitant et une variation annuelle de +13%, se trouve au bout d’un an à 715 F par
habitant, soit une progression de 63 F, alors que, dans le même temps, l’Ile-de-France passe, avec
une variation de +5,9%, de 1275 à 1350 F par habitant, soit une progression de 75 F. L’écart en
valeur absolue entre ces deux régions s’est donc accru de 13 F par habitant.
- 39 2 - La FFMJC derrière la ligne verte ?
La carte économique de la France selon sa structure économique1 est coupée par une ligne
étrangement semblable à cet axe Le Havre-Marseille. A l’Ouest et surtout dans le Sud-Ouest se
déploie un large espace où l’activité économique est essentiellement agricole, voire agricole et
industrielle ou agricole et tertiaire. L’activité industrielle n’y est jamais dominante, sauf quelquefois
sur la fameuse diagonale.
Par contre, à l’est de cet axe, les espaces à dominante agricole sont peu nombreux. Les secteurs
industriels, industriels et agricoles, industriels et tertiaires, dominent. Le monde de la FFMJC n’est
pas celui de l’agriculture et de la paysannerie, même si dans certains secteurs, les MJC sont
fortement implantées dans le monde rural, en Lorraine notamment2. Les MJC, même éloignées des
grandes villes, ne sont jamais autant à leur aise que dans un tissu économique fortement marqué
par la transformation industrielle associée aux secteurs tertiaires ou même agricoles.
Ces espaces sont aussi ceux d’une faible densité de population active du secteur primaire3 et
d’une densité relativement forte de population active du secteur secondaire4. Une fois de plus, le
partage se fait entre les deux Normandies et au niveau du couloir rhodanien. Au-delà, les
agriculteurs exploitants font leurs meilleurs scores et dépassent toujours la moyenne nationale : plus
de 6% de la population totale en Basse-Normandie et quatre fois moins en Haute-Normandie,
Lorraine, Alsace et régions alpines5.
Ces espaces de forte pénétration de la FFMJC sont aussi ceux où, déjà en 1982, les professions
intermédiaires (enseignement, santé, travail social, fonction publique et assimilés, cadres moyens
administratifs et commerciaux des entreprises, techniciens, contremaîtres et agents de maîtrise)
atteignent leurs plus fortes densités, notamment en région parisienne, Alsace, Rhône-Alpes,
Provence-Alpes-Côte d’Azur6. N’est-ce pas là, en partie, ce que P. Bourdieu appelle la “petite
bourgeoisie nouvelle”7 qui trouvera dans le développement du socio-culturel, type MJC, un espace
d’identification et de promotion ? A ce titre, nous verrons que Grenoble constitue un modèle qui
s’exprimera dans la nouvelle forme de démocratie locale, style Dubedout.
1
SIRF - p. 111.
2
En Lorraine, plus de 50% des MJC sont implantées dans des communes de moins de 2000 habitants.
Mais nombre de ces communes ont un “caractère urbain”. (Enquête de Guy Ménard, op. cit., p. 8 et
suivantes).
3
SIRF - p. 250 (A 14).
4
SIRF - p. 294 (A 14).
5
SIRF - p. 166 (A 15).
6
SIRF - p. 167 (A 15).
7
La Distinction, Ed. de Minuit, 1979, p. 423 et suivantes.
- 40 C’est aussi dans ce large secteur Est que la population ouvrière est la plus nombreuse et
dépasse partout, sauf en Ile-de-France et Provence-Alpes-Côte d’Azur, la moyenne nationale1. Les
21 départements ayant en 1968 la plus forte implantation ouvrière se trouvent tous au-delà de la
ligne Le Havre-Marseille2.
Mais c’est également dans ce même espace que l’on rencontre la plus forte densité de population
sans activité professionnelle3. L’espace médian où la pénétration de la FMJC est la plus faible est
précisément celui où la densité de population sans activité professionnelle est la plus faible. Le
Languedoc, bien quadrillé par l’UNIREG, est aussi très dense en population sans activité
professionnelle. Les MJC répondraient-elles majoritairement aux besoins de populations sans
activité professionnelle mais aussi en âge de travailler ?
Vraisemblablement oui, si l’on sait que pour plus de 70% des MJC affiliées à la FFMJC les
femmes dominent parmi les adhérents. Les 6-12 ans y sont fortement représentés (20 à 30% des
adhérents pour un tiers des MJC) ainsi que les 16-21 ans dont la représentation dans près de 80%
des MJC est supérieure à la moyenne nationale. Au total, selon l’enquête4, les inactifs représentent
plus de 45% des adhérents de la FFMJC.
Ces traits généraux sont accentués pour les MJC affiliées à l’UNIREG qui comptent 55% de
femmes contre 45% d’hommes, 59% d’inactifs pour 41% d’actifs et une très forte population de
scolaires et d’étudiants (38% des adhérents et 65,4% des inactifs)5.
Parmi les non-actifs adhérents à la FFMJC, les retraités sont largement sous-représentés : moins
de 10% pour la majorité des MJC alors qu’ils représentent plus de 14% de la population française. Et
précisément, la FFMJC est présente là où les retraités atteignent leurs taux de représentativité les
plus bas (Lorraine, Alsace, Champagne-Ardennes et Rhône-Alpes)6. Les MJC affiliées à l’UNIREG
en comptent, d’une manière générale, un pourcentage plus élevé (11,5%)7 et elles sont effectivement
plus implantées dans des espaces à forte densité de retraités (Centre, Sud)8.
En définitive, la France occupée par la FFMJC est une France industrialisée, marquée par des
caractéristiques précises : fortes densités d’emplois du secteur secondaire, ouvriers et professions
intermédiaires plus représentés qu’ailleurs, forte proportion de non-actifs, mais faible densité de
1
SIRF - p. 168 (A 15).
2
L’invention de la France, H. Lebras et E. Todd, Coll. Pluriel, p. 359 (A 15).
3
SIRF - p. 169 (A 15).
4
Les MJC Aujourd’hui : Réalités et Impacts.
5
Faits, chiffres et images d’associations.
6
SIRF - p. 169 (A 15).
7
Faits, chiffres et images d’associations.
8
SIRF - p. 169.
- 41 retraités. Un France du travail industriel, des nouvelles professions ; une France plus jeune, plus
disponible, ouverte à des activités extra-professionnelles ; une France de la mobilité, des
transformations économiques, sociales et démographiques. Dans ce contexte, ne peut-on pas
supposer que les MJC tentent de répondre à des besoins traditionnels et nouveaux d’intégration
sociale ?
3 - Une France à problèmes ?
Même si les travailleurs immigrés fréquentent peu les MJC, à l’image de la population ouvrière
active1, il apparait cependant que la FFMJC est implantée dans un espace où les salariés étrangers
sont nombreux notamment dans l’industrie, le bâtiment, le génie civil et agricole2. Dans le bâtiment et
les travaux publics, ils sont très nombreux en Lorraine et Rhône-Alpes. Dans l’industrie, on retrouve
cette France coupée en deux par une diagonale avec, à l’Est, les taux de salariés étrangers les plus
élevés en Alsace-Lorraine, Ile-de-France, Franche-Comté et Rhône-Alpes. Les cartes représentant
les proportions, dans l’enseignement primaire et secondaire, des élèves de nationalité étrangère par
rapport à l’ensemble de la population scolaire3 confirment les cartes du monde du travail, notamment
dans les espaces alsaciens-lorrains et Paris-Lyon-Grenoble-Marseille. Pour le coup, l’implantation de
l’ensemble des MJC (FFMJC + UNIREG) correspond assez bien à la carte de cette population
scolaire immigrée, un peu comme si le développement du dispositif socio-éducatif, modèle MJC,
suivait les flux migratoires qui occupent d’abord la France continentale et méridionale. Les MJC se
trouvent, par là-même, confrontées à une forte implantation du Front National4 dont la carte
électorale ressemble assez précisément à celle de l’immigration. Ce phénomène politique et
électoral préoccupe du reste tous les mouvements et institutions - notamment les MJC - qui
entendent bien développer la citoyenneté. Sans se laisser aller à établir une relation de cause à effet
(les MJC n’ont pas été créées consciemment pour cela), on ne peut s’empêcher de leur assigner une
fonction d’intégration socio-culturelle des populations transplantées par nécessité économique,
fonctions qu’elles remplissent plus ou moins bien, mais dont elles ne peuvent pas ne pas ressentir
l’exigence tant le tissu social est marqué par cette spécificité incontournable.
Il en va de même pour le chômage auquel les MJC sont confrontées même si elles n’ont pas
toujours choisi d’être un dispositif de son traitement social5. En 1974 et jusqu’en 1981, la FFMJC est
1
Ce qui ne veut pas dire que leurs enfants ne les fréquentent pas.
2
SIRF - p. 228 et 229 (A 16).
3
Données sociales édition 1984, p. 476 (A 16).
4
La nouvelle France, p. 266 (A 16).
5
Suite au rapport Schwartz consacré à l’insertion sociale et professionnelle des jeunes, de nombreuses
MJC ont mené des opérations originales d’insertion.
- 42 certes implantée dans un espace où le chômage est relativement faible1 à cause, sans doute de la
forte infrastructure économique qui résiste mieux aux premiers effets de la crise. Même si, entre ces
deux dates, le chômage s’est accru partout, il s’est accru moins vite dans la partie Est de la France.
La région Rhône-Alpes a, en 1981, un des taux de chômage les plus faibles.
Par contre, en 1985, le paysage a considérablement changé2. Le Nord-Est (Alsace exceptée) a
complètement basculé dans la récession sociale : un taux de plus de 10,5% de chômage presque
partout alors qu’en 1981 cet espace faisait encore figure de privilégié. Les régions Ile-de-France et
Rhône-Alpes résistent mieux, ainsi que l’espace médian occupé par les MJC UNIREG.
Cette situation socio-économique marquée par de nouvelles disparités en matière d’emploi, de
développement économique et d’insertion sociale, éclaire d’un jour nouveau les conflits
institutionnels qui se sont exprimés à l’occasion de l’assemblée générale de la FFMJC du Mans (juin
1987). Ce sont précisément les deux régions les moins touchées par le chômage (Ile-de-France et
Rhône-Alpes) qui soutiennent, au nom du réalisme et de la bonne gestion, un plan de restructuration
de la FFMJC face au désengagement financier brutal de l’Etat. Dans ce contexte de disparités socioéconomiques, les “riches” ne veulent plus jouer la totale solidarité vis-à-vis des “pauvres”. La
distribution spatiale des divergences d’analyse est pré-déterminée par des réalités profondes et
structurelles que la comparaison cartographique met à jour. Ce n’est pas un hasard si c’est la
Lorraine, région pourtant fortement implantée en MJC et d’un poids considérable dans l’Institution3.
qui anime l’organisation et la défense des “petites régions” très marquées par le chômage. Les
affrontements de tribune ont souvent leur explication dans le tissu social. Les paroles, les plans et
les idées dépassent les hommes qui les portent, jusqu’à les empêcher de percevoir les disparités
structurelles qui prédéterminent leurs affrontements. En l’occurrence, ici, une situation de récession
renforce une politique de solidarité ; là, un contexte de développement économique où les problèmes
d’emplois sont moins vifs, induit une stratégie institutionnelle qui se réclame d’une forme de
développement appuyée sur une gestion “saine” et un réalisme dicté par la conjoncture et les lois du
marché. Deux types de contexte socio-économique, deux systèmes de valeurs relayés par deux
analyses syndicales opposées, et cela prend tout de suite la forme d’une opposition que l’on a trop
tendance à réduire à une simple querelle des anciens et des modernes.
Mais cet espace de la FFMJC a d’autres caractéristiques sociales. La population y vit depuis fort
longtemps en agglomération, surtout en Ile-de-France et dans le Nord-Est. Le développement
général de l’urbanisation et de l’industrialisation, en partie responsables de l’augmentation de
1
Données sociales édition 1987, p. 67 (A 16).
2
SIRF - p. 231.
3
Le Président de la Fédération de Lorraine sera, à l’assemblée générale du Mans, le porte-parole de
cette politique de solidarité interrégionale, ce qui va lui valoir de se retrouver nouveau président de
la FFMJC à la place du précédent soutenu par les Fédérations de Paris et de Grenoble.
Le nouveau délégué général vient également de Lorraine.
- 43 l’habitat aggloméré, ne change pas grand chose à l’image traditionnelle de la France1 : les plus
“agglomérés” en 1975 l’étaient déjà un siècle plus tôt. Cela revient-il à dire que la vie en
agglomération favorise le développement socio-culturel communautaire, type MJC ?
Pour les régions Champagne-Ardennes, Lorraine, Alsace et Ile-de-France, la correspondance
semble s’imposer. Même chose pour le pourtour méditerranéen, où les MJC, les deux fédérations
confondues, sont bien implantées. C’est moins net en région Rhône-Alpes où les MJC se sont
développées dans un contexte où la population vit de manière assez éparse. La vie en
agglomération semble bien favoriser l’implantation et le développement des MJC sans en rendre
parfaitement compte. Il faudra donc mettre en évidence d’autres facteurs.
C’est dans cet espace de forte pénétration de la FFMJC que les taux de divorce sont
traditionnellement2 et actuellement les plus élevés, notamment chez les jeunes de 15 à 24 ans3.
Comme pour le chômage, les régions Ile-de-France et Rhône-Alpes font figure de privilégiées et sont
moins confrontées aux difficultés d’intégration familiale.
Par ailleurs, la France de la FFMJC est une France plutôt mobile4 où l’on n’hésite pas à quitter
son village natal. On s’y marie traditionnellement moins entre cousins5. La France de l’UNIREG serait
plus sédentaire, surtout dans son espace de forte implantation (Languedoc et Midi-Pyrénées). Dans
de nombreux cas de figure, les MJC ne joueraient-elles pas le rôle de remplacement de réseaux
sociaux défaillants, notamment la communauté originelle et la famille ? Les structures socioculturelles en général ne sont-elles pas aussi des lieux de marché matrimonial ?6
Les MJC n’en ont pas fini avec les problèmes liés à la vie en société quand on sait qu’elles sont
implantées sur les espaces traditionnellement les plus marqués par la délinquance et la violence,
déjà à la fin du siècle dernier, pour les meurtres et les assassinats, également pour les coups et
blessures. Et cela continue. En 1975, les condamnations pour coups et blessures (violence
“ordinaire” et quotidienne) sont les plus nombreuses dans le Nord-Est et dans quelques
départements proches de la Suisse7.
Mais ces données rendent plus compte des problèmes sociaux auxquels les MJC sont
1
L’invention de la France, H. Lebras et E. Todd, p. 203. Là aussi, nous nous sommes efforcés de
reproduire les cartes en annexe (voir A 17).
2
L’invention de la France, p. 156-157 (A 17).
3
SIRF - p. 197 (A 18).
4
L’invention de la France, p. 214 (A 18).
5
L’invention de la France, p. 215.
6
7
A notre connaissance, aucune étude n’a été faite sur cette question. Cela permettrait
vraisemblablement de réviser un certain nombre d’opinions sur l’adhésion, le militantisme et leurs
“motivations”.
L’invention de la France, p. 192 et 193 (A 19).
- 44 quotidiennement confrontées que de leur développement. La considération des réseaux d’échange
et de communication peut permettre, en la matière, d’apporter un éclairage supplémentaire.
4 - Les MJC sur les grands axes de communication ?
La France de la FFMJC est celle d’un réseau autoroutier1 et ferroviaire2 dense, rapide, bien
équipé. On peut, là aussi, tirer une ligne Le Havre-Marseille et repérer rapidement le rayonnement
parisien vers le Nord-Est et le Sud-Est, ainsi que les densités de communication rhodanienne et
alpine. Le contournement du Massif Central par le Sud languedocien et toulousain correspond au
développement des MJC dans cette région.
Les MJC occupent les espaces de grands échanges commerciaux et humains. Pour les
expéditions de marchandises par voie ferrée3, la Lorraine reste la plus forte en 1984, suivie du NordPas-de-Calais, de l’Alsace, de l’ensemble du Nord-Est et de la région Rhône-Alpes. S’agissant du
débit journalier en marchandises4, la majorité des transactions s’opère à l’est de notre ligne de
partage. La région parisienne y occupe une position prépondérante, même si ses quantités
d’expédition par habitant sont faibles. Et si la réalité institutionnelle des MJC était à l’image de cette
réalité commerciale ? La région parisienne, espace modérément productif mais passage obligé ! Le
trafic des voyageurs, quant à lui, prend des formes plus équilibrées avec cependant, une forte
densité à Paris, Lyon, Marseille5.
Le développement des MJC va de pair avec le déplacement des marchandises et des hommes,
qui rayonne autour de Paris. Cette centralisation parisienne, qui, malgré un indice d’implantation
modeste, semble peser de tout son poids, ne laisse-t-elle pas entrevoir, par comparaison
cartographique, une logique de la partition des MJC en deux fédérations : la Fédération Française
des MJC et l’Union des Fédérations Régionales des MJC ?
Nous aurons l’occasion de revenir sur cette scission institutionnelle des MJC et sur la stabilisation
territoriale des deux fédérations.
5 - L’UNIREG dans le sillon central
Les MJC affiliées à l’UNIREG sont généralement implantées dans des espaces où les indicateurs
socio-économiques sont faibles. Le produit intérieur brut, l’effectif salarié des établissements de
1.000 salariés et plus, l’implantation des bâtiments industriels, ainsi que le montant de la valeur
1
SIRF - p. 358 (A 20).
2
SIRF - p. 365 (A 21).
3
SIRF - p. 369 (A 22).
4
SIRF - p. 368 (A 22).
5
SIRF - p. 370 (A 23).
- 45 ajoutée par habitant, restent modestes dans des régions comme le Languedoc-Roussillon,
l’Auvergne, Midi-Pyrénées, fortement pénétrées par l’UNIREG. Le montant de l’impôt sur les
sociétés, même s’il connait une variation annuelle forte, notamment dans le Sud-Ouest, n’y atteint
jamais les sommets de la France du Nord-Est et du Sud-Est. Même chose pour le montant des taxes
par habitant sur le chiffre d’affaire et l’ensemble des recettes du budget général de l’Etat. Le revenu
disponible brut par habitant, tout en restant en dessous de la moyenne nationale, y atteint cependant
- sauf en Languedoc, Auvergne et Basse-Normandie - des niveaux relativement importants. Mais les
salaires y sont relativement plus faibles, notamment pour les cadres, les ouvriers de sexe masculin,
et ce pour l’ensemble des activités économiques : métallurgie, industries textiles et habillement,
industries du bâtiment, commerce de gros et de détail.
En fait, la France économique de l’UNIREG est beaucoup plus agricole, agricole et tertiaire,
agricole et industrielle, mais jamais vraiment industrielle. La population active du secteur primaire y
est plus forte que dans la France de la FFMJC, et la population active du secteur secondaire plus
faible. Les agriculteurs exploitants ainsi que les artisans1 y occupent une place considérable, alors
que la proportion d’ouvriers et de professions intermédiaires est plus modeste. Même si l’immigration
y est importante, elle atteint rarement les sommets de la France de l’Est et du Sud-Est. En matière
de chômage, la France de l’UNIREG connaît des situations contrastées : fort en Normandie et en
Languedoc, plus faible dans l’axe central intermédiaire. Et, comme nous l’avons déjà signalé, le
pourcentage des retraités y est généralement plus fort que dans la France du Nord-Est et de
l’espace Rhône-Alpes.
Sauf sur la face languedocienne et pyrénéenne, la population de l’espace de l’UNIREG est plus
éparse, traditionnellement moins marquée par le divorce et la violence, plus immobile notamment
dans le centre-sud. L’implantation de ces MJC reste plus en marge des grands flux économiques,
commerciaux et humains, sauf à proximité de Paris, en Haute-Normandie et sur la limite sud.
En fait, la France occupée par l’UNIREG, malgré une évolution rapide, présente un visage assez
différent de la France de la FFMJC. C’est une France encore très marquée par l’agricole, le rural et
les activités qui y sont liées, une France moins ouvrière, moins industrialisée - ou industrialisée d’une
manière moins lourde - moins marquée par le phénomène urbain, ses flux et ses effets sociaux. Non
seulement l’implantation de l’UNIREG est à dominante rurale2 mais, en plus, son implantation
urbaine est encore fortement marquée par la ruralité.
Faut-il donc conclure qu’il y a une fédération des MJC des villes (la FFMJC), marquée par le
développement industriel et économique urbain, et une fédération des MJC des campagnes,
occupant des espaces encore très colorés par la paysannerie et ses traditions ? Et ne faut-il pas voir
1
2
La nouvelle France, p. 37.
5 MJC “rurales” pour 4 MJC “urbaines” et 1 “mixte” (Faits, chiffres et images d’associations).
- 46 dans ces différences de ton une explication de la scission de 1969, à une période où les décalages,
sans être forcément plus importants, étaient sans doute plus visibles ?
Il serait simpliste d’expliquer la scission des MJC par un divorce brutal entre la ville et la
campagne. On ne comprendrait pas, par exemple, pourquoi le croissant Ouest de la France océane
(Bretagne, Pays-de-Loire, Poitou-Charente et Aquitaine), également très marqué par l’économie
agricole, est resté fidèle à la FFMJC après le congrès de Sochaux.
Avant d’en arriver aux explications, sans doute complexes, de la scission et de sa partition
géographique, il s’agit de comprendre l’implantation géographique de l’ensemble des MJC, les deux
fédérations confondues, dans des espaces qui, comme nous venons de le voir, sont très divers et
qui ont pourtant vu se développer des institutions semblables. Nous nous intéresserons plus
particulièrement aux trois bastions mis en évidence par les indices aussi bien d’implantation que de
pénétration : le Nord-Est, la région Rhône-Alpes, l’espace languedocien et pyrénéen.
La confrontation des cartes d’implantation et de pénétration des MJC avec les indicateurs
économiques et sociaux par région a fait apparaître des correspondances pertinentes qui éclairent, à
la fois et selon les cas, les développements des MJC, leur organisation institutionnelle autour de
fédérations différentes, et les réalités sociales auxquelles elles sont confrontées. Cependant, de
nombreuses questions restent sans réponse. Pourquoi ce développement des MJC en forme de
tenaille selon deux axes, Nord-Est et Alpes-Pyrénées ? Le développement des MJC obéit-il aux
mêmes déterminations en Lorraine, en Rhône-Alpes, dans le Languedoc et en Midi-Pyrénées ?
L’actualité n’apporte pas de réponses suffisantes. Il faut se tourner vers le passé. Et si l’extrême
modernité plongeait ses racines dans les profondeurs de l’histoire ?
6 - Trois bastions, trois explications ?
D’abord, l’espace Nord-Est marqué par des indices élevés d’implantation et de pénétration des
MJC, notamment en Champagne-Ardennes, Lorraine, Alsace et Picardie. La première explication est
de type socio-démographique : la population y est dense et fortement agglomérée. On peut affirmer
que cet espace correspond presque exactement et très tôt (déjà en 1876) à celui de la France
agglomérée, par opposition au reste du territoire, la France éparse1.
Cette explication qui veut que le mode d’habitat en agglomération favorise la vie collective,
associative et communautaire2, vaut aussi pour le Languedoc et une partie de la région MidiPyrénées, mais pas vraiment pour Rhône-Alpes.
Mais revenons-en à notre Nord-Est. Il y a, semble-t-il, une autre explication que l’on peut soutenir
1
L’invention de la France, p. 203. (A 17).
2
Il y a, du reste, une forte implantation du secteur socio-culturel dans son entier, dans le nord-est
(sauf Nord-Pas-de-Calais), en Languedoc-Roussillon et Midi-Pyrénées.
- 47 sans contredire la précédente. Cet espace est très tôt alphabétisé, bien avant la mise en place de
l’école publique, alors que la quasi-totalité du reste de la France est dans l’obscurité. “A la veille de la
Révolution, plus de la moitié des Français du Nord ou de l’Est savent lire et écrire ; au Sud et à
l’Ouest, plus des deux tiers demeurent analphabètes”1. Dès la fin du XVIIe siècle, la coupure est
flagrante.
Cette inégalité est tout aussi claire au moment de la Révolution Française, de l’Empire et de la
Restauration, même si l’alphabétisation, repérée selon la capacité à signer les registres de mariage2,
gagne rapidement les régions Rhône-Alpes, Languedoc-Roussillon et Midi-Pyrénées notamment
pour les hommes3. La carte de l’ignorance, dressée selon d’autres indicateurs (alphabétisation des
recrues et nombre d’habitant pour un garçon scolarisé), présente autour de 1830 une image tout
aussi significative4.
Cette inégalité première se retrouve dans la distribution des élites culturelles : la carte des jeunes
gens reçus aux grandes écoles et celle des auteurs de la deuxième partie du XVIIIe siècle se
dessine selon ces grands partages5.
La coupure de l’alphabétisation reste aussi flagrante dans la deuxième partie du XIXe siècle. En
1854, 1869 et 1885, le pourcentage des hommes ayant signé le registre d’état civil6 est très élevé en
Alsace-Lorraine (près de 100%), en Champagne-Ardennes, en Franche-Comté. Avant les lois
laï ques, la région Rhône-Alpes a emboîté le pas de ce mouvement qui devient général à la fin du
XIXe siècle. Le Nord-Pas-de-Calais, tardivement alphabétisé, est précisément faiblement pénétré par
les MJC, ce qui constitue un argument supplémentaire en faveur de l’explication par l’alphabétisation
précoce. L’alphabétisation des femmes suit une évolution comparable : d’abord la France de l’Est,
puis de la région parisienne, de la Normandie, enfin rhodanienne et alpine7.
A partir de là, il n’y a rien d’étrange à ce que se développent des structures qui se réclament d’un
projet d’éducation populaire et civique dans le prolongement de l’école de la République. Après les
1
L’invention de la France, p. 269 et suivantes.
2
La capacité de signer un registre d’état civil reste cependant un indicateur bien mince
d’alphabétisation.
3
Atlas de la Révolution Française - 2 - L’enseignement 1760-1815, Édition de l’École des Hautes
Études en Sciences Sociales, 1987, p. 12 (A 24).
4
5
Ibid. p. 12 (A 24).
Atlas de la Révolution Française - 2 - L’enseignement 1760-1815, Édition de l’École des Hautes
Études en Sciences Sociales, 1987, p. 13 (A 25). Le repérage géographique des élites culturelles
n’est pas sans intérêt quand on sait le rôle que les “intellectuels” ont entendu jouer dans l’éducation
populaire, notamment à la fin du XIXe siècle, après l’affaire Dreyfus et jusqu’à la Libération (“aller au
peuple”, “se faire peuple”).
6
L’invention de la France, p. 272 (A 26).
7
L’invention de la France, p. 283 et suivantes (A 27) et Atlas de la Révolution Française, p. 12 (A
24).
- 48 lumières de l’alphabétisation, on se tourne rapidement vers les lumières de la culture pour tous et de
la pratique démocratique collective. Jean Guéhenno situe bien les Maisons des Jeunes dans ce
prolongement en leur donnant mission d’éclairer : “Nous voudrions qu’après quelques années, une
maison d’école dans chaque ville ou village soit devenue une ‘Maison de la Culture’, une ‘Maison de
la jeune France’, un ‘foyer de la Nation’, de quelque nom qu’on désire la nommer, où les hommes ne
cesseraient plus d’aller, sûrs d’y trouver un cinéma, des spectacles, une bibliothèque, des journaux,
des revues, des livres, de la joie et de la lumière. Cette maison serait en même temps une Maison de
Jeunes...”1. Jean Laurain, de son côté, voit dans l’éducation populaire de type MJC le ferment de la
“vraie révolution”, celle qui transformerait hommes et mentalités2. Le projet des MJC se situe bien
dans le prolongement des Lumières ; ses références théoriques sont chez Condorcet qui fait ainsi
figure de précurseur en matière d’éducation populaire et permanente3.
En résumé, ce double contexte, l’un social (population agglomérée), l’autre culturel
(alphabétisation précoce), semble bien favoriser le développement des MJC dans cet espace tourné
vers l’Europe du Nord-Est4. Mais qu’en est-il dans la région Rhône-Alpes où les mêmes conditions
ne sont pas réunies ?
L’histoire de la deuxième guerre mondiale apporte une première réponse. Les Maisons de
Jeunes créées à l’initiative du gouvernement de Vichy vont, dès 1943 puis en 1944, être gagnées
par l’esprit de la Libération en région Rhône-Alpes, qui apparait comme le lieu privilégié de l’invention
d’une nouvelle conception éducative et culturelle à vocation anti-fasciste5. C’est le lieu de l’histoire
tumultueuse de l’Ecole des Cadres d’Uriage, de la naissance de Peuple et Culture, de l’expérience
des Marquisats à Annecy qui deviendra ensuite une MJC6. Les premiers directeurs de Maisons des
Jeunes sont formés à Uriage7 puis à Chamarges près de Die (Drôme). L’expérience romanaise des
1
Jean Guéhenno : Circulaire du 13 novembre 1944. Voir également la circulaire du 8 mai 1945 portant
sur le développement des Maisons des Jeunes (cf. Claude Paquin : “Approche historique de la
FFMJC”, Cahiers de la FFMJC n° 4, décembre 1980).
2
L’éducation populaire ou la vraie révolution, ADELS, 1977.
3
Rapport à l’Assemblée Nationale (1792). Benigno Cacérès (Histoire de l’éducation populaire) y voit la
plupart des idées qui animent encore aujourd’hui l’enseignement et l’éducation populaire. J.
Guéhenno s’y réfère en 1944 : “rendre la raison populaire”.
4
On pourrait nous reprocher de ne pas étudier les correspondances avec l’implantation des grandes
centrales syndicales. Bien que nos informations historiques soient en la matière insuffisantes, il
apparaît cependant que, pour 1980, il n’y ait aucune correspondance pertinente (Données sociales
1984, p. 169), ce qui ne veut pas dire que le mouvement syndical n’ait aucune place dans l’histoire
de la FFMJC.
5
Grenoble et le Vercors de la Résistance à la Libération (sous la direction de P. Bolle, Éditions La
Manufacture, 1985).
6
Éléments pour une histoire de l’éducation populaire, documents INEP, 1976, communication de Jean
Le Veugle.
7
Uriage, une communauté et une école dans la tourmente (1940-1945), Antoine Delestre, PUF,
Nancy, 1989, ainsi que Une utopie combattante - L’école des cadres d’Uriage - 1940-1942, Bernard
Comte, Fayard, 1991.
- 49 MJC animée par Paul Jansen (encore un lorrain !) fait figure de mythe institutionnel fondateur : à la
fois l’éducation culturelle et le fusil dans le Vercors tout proche.
Mais la Résistance n’explique pas tout. Comment se fait-il par exemple que les maquis limousins
ou auvergnats n’aient pas été aussi porteurs de ce nouvel élan culturel ou éducatif qui sera ensuite
repris dans le programme du Conseil National de la Résistance1 ? La dynamique rhône-alpine a
sans doute une explication plus ancienne et plus profonde qui, au-delà de la position géographique,
rend peut-être compte à la fois du développement de la Résistance et de sa dimension socioculturelle.
L’idée républicaine entre en France par le Centre-Est en provenance de la Suisse qui est, au
XIXe siècle, le seul système libéral et électif fonctionnant normalement en Europe. La carte
électorale de 18492 est claire : la gauche républicaine des démocrates socialistes est fortement
implantée en région Rhône-Alpes (plus de 50% des voix). H. Lebras et E. Todd font remarquer qu’à
deux reprises, la Confédération Helvétique donne à la France l’idée de la République : une première
fois sur le plan théorique avec Rousseau qui se définit lui-même, au début du Contrat Social, comme
citoyen de Genève ; une deuxième fois sur le plan pratique3, par un processus de diffusion de
l’aspiration républicaine sur le territoire français. Ainsi, en matière de modèle politique et
d’alphabétisation, comme en matière de production marchande, Paris ne joue aucun rôle particulier,
même si la circulation décisive aussi bien matérielle que symbolique passe par la capitale. Là se
joue la destinée de ce qui vient d’ailleurs.
La place historique particulière de la région Rhône-Alpes permet de mieux comprendre pourquoi
la résistance armée a été aussi une lutte culturelle et démocratique contre un occupant qui, tout en
foulant le sol de la patrie, bafouait, avec la complicité de nombreux concitoyens, les grands principes
démocratiques que cette population avait très tôt fait siens. Ainsi, un projet culturel, civique et
démocratique pouvait-il constituer un outil de lutte pédagogique et idéologique. Il y a donc, entre la
Résistance et l’idéal républicain retrouvé, une cohérence qui se soldera par la création de la
République des Jeunes, anticipatrice de la Fédération Française des Maisons des Jeunes et de la
Culture. Le basculement s’opère dès 19434 ; la dynamique s’enclenche dès la fin de la guerre. Paul
Jansen raconte qu’à la demande pressante des responsables locaux, il devra rester dans l’Isère pour
créer de nouvelles MJC alors qu’il était destiné à prendre la direction d’une usine de chaussures
1
Là apparaît le rôle essentiel d’André Philip, fondateur de la République des Jeunes puis de la FFMJC
dont il sera le Président jusqu’aux premiers jours de mai 1968.
2
L’invention de la France, p. 348 (A 27).
3
Rappelons-nous le rôle important que joueront le Dauphiné et ses chefs de file, Mounier et Barnave,
dans les premiers moments de la Révolution Française.
4
Les jeunes de la Maison de Romans et leur chef, Paul Jansen, s’engagent alors clairement dans la
Résistance (entretiens avec P. Jansen).
- 50 dans sa Lorraine natale1.
Le développement des MJC en Languedoc et Midi-Pyrénées exige aussi une explication
spécifique. Comme dans l’Est, la population y est relativement agglomérée, surtout sur le pourtour
méditerranéen et dans les Pyrénées. D’autre part, la trajectoire de la gauche républicaine se déplace
du Centre-Est vers le Sud-Ouest. Depuis 1890, l’Occitanie profonde défend l’idée républicaine avec
vigueur et en 1965 le midi pur et dur, de Montpellier à Agen, est presque seul en France dans son
opposition au régime plébiscitaire et présidentiel du Général de Gaulle2. C’est précisément un
espace de forte implantation des MJC, aujourd’hui presque toutes affiliées à l’UNIREG.
Si la gauche démocrate socialiste, puis la vie associative de type MJC, rencontrent là un terrain
d’accueil favorable alors qu’il n’y a aucune proximité déterminante comme en région Rhône-Alpes,
cela tient sans doute à une raison précise et profonde.
L’Occitanie ? Elle déborde largement cet espace : 31 départements dont certains sont peu
pénétrés par les idées républicaines progressistes et par les MJC. L’Occitanie dure ? On ne voit, ni
dans ses pratiques, ni dans ses discours, rien qui favoriserait l’implantation de structures venues
d’ailleurs et dont le développement institutionnel est géré à Paris3.
L’explication est, semble-t-il, plus profonde, quasi anthropologique. Sur le pourtour languedocien
de la Méditerranée et en région toulousaine, la famille communautaire large, à système de mariage
souple domine4. Elle constitue un terrain favorable à la fois aux idées socialistes-démocrates dans
leurs pratiques libérales et clientélistes, au développement coopératif, notamment viticole, et aux
structures associatives communautaires de type MJC5.
Ce développement des MJC est d’autant plus favorisé que, compte tenu du développement de la
vie urbaine, la famille communautaire tend à éclater et à se “mono-nucléariser”, comme dans
l’ensemble de l’espace français. La dégénérescence de la famille communautaire traditionnelle
favorise, comme solution de remplacement, la vie collective de type MJC, comme elle a favorisé
l’implantation du socialisme et, dans certains endroits, du parti communiste6.
Alors l’implantation des MJC ? Trois bastions, trois explications différentes, même si les mêmes
facteurs se retrouvent dans plusieurs cas, la vie agglomérée dans le Nord-Est et dans le Sud
1
Éléments pour une histoire de l’éducation populaire, p 47.
2
L’invention de la France (A 27, A 28).
3
Rappelons qu’avant la scission, la FFMJC est très centralisée, sans structures régionales ; les délégués
sont sur le terrain comme des préfets envoyés de Paris.
4
L’invention de la France, p. 39 (A 28).
5
L’implantation socio-culturelle associative y est très forte : les MJC n’excluent pas la présence
d’autres structures (1 pour 4.500 habitants en Languedoc-Roussillon ; c’est le record national).
6
Il y a en effet une étrange ressemblance entre la carte de la famille communautaire large et celle où
la gauche obtint les meilleurs résultats en 1974 (L’invention de la France, p. 38-39 (A 27, A28).
- 51 languedocien et pyrénéen, l’idée républicaine démocratique en Rhône-Alpes puis dans le Sud ? Mais
pour ces trois particularités qui ont des points communs deux par deux, un trait isole le Sud
languedocien et pyrénéen. Au Nord-Est et en Rhône-Alpes, on obéit à une logique du progrès
culturel ou politique qui englobe l’unité d’une France démocratique et éclairée, centrée à Paris, alors
que dans le Sud, celui de l’Occitanie dure, le développement démocratique socio-culturel et
communautaire
répond
à
des
déterminations
du
passé
(la
famille
communautaire
en
dégénérescence) et se situe souvent en rupture avec l’Etat central et ses règles institutionnelles
parisiennes1. Ici, apparait, peut-être, une fracture profonde, héritée de la longue durée, que révèlera
la crise de la Fédération Française des MJC en 1969, ainsi que la partition géographique des
structures en deux institutions séparées.
Nous reviendrons longuement - dans une approche sociologique et historique - sur la question de
l’éclatement des Maisons des Jeunes et de la Culture. Mais le paysage de cette institution resterait
incomplet et ne nous permettrait pas d’aborder sa genèse et son histoire - y compris la plus
mouvementée - si nous ne considérions pas les logiques structurelles internes et externes des MJC,
dans leur rapport avec les champs de l’économique et du juridico-politique.
1
D’où l’ambiguï té des démarches “autonomistes”, même alimentées par des idées progressistes.
- 53 -
CHAPITRE - III STRUCTURES, PEDAGOGIE, ENJEUX DE POUVOIR
Nous aurons dit peu de choses quand nous aurons rappelé que les Maisons des Jeunes et de la
Culture sont des associations “loi 1901” régies par des statuts-types, librement fédérées
régionalement, nationalement voire départementalement et localement, financées par les adhérents,
les usagers, l’Etat et les collectivités locales, bénéficiant ou employant généralement du personnel.
De ce point de vue là, les Maisons de Jeunes et de la Culture ne sont pas fondamentalement
différentes d’autres mouvements et institutions oeuvrant dans le domaine de l’intervention socioculturelle et que nous avons mis en évidence dans notre approche comparative.
Mais en l’occurrence, et dans ce domaine particulier, le statut associatif est essentiel : il affirme
une position décisive aussi bien d’un point de vue politique (la gestion des services et des biens
publics) que pédagogique (la capacité pour les citoyens de prendre en charge directement une partie
de ce service public) face au développement grandissant d’une gestion privée du loisir et de la
culture - qui pour des raisons d’opportunité se donne souvent la forme associative - , face également
au développement d’une gestion municipale ou para-municipale prenant aussi, fréquemment, pour
des raisons d’opportunité, une forme associative1..
Cette gestion associative des MJC est d’autant plus importante qu’elle n’entend pas être
simplement un moyen structurel plus pertinent qu’un autre mais qu’elle fait partie du projet, de ses
valeurs, de sa pédagogie, de ses modes d’action et de production. D’autre part, compte tenu de
l’importance grandissante de ces structures quant au public touché, aux missions remplies et à leur
“chiffre d’affaire”, la gestion associative, appuyée sur un pouvoir majoritaire de décision confié aux
usagers individuels, constitue un enjeu dans la gestion des affaires publiques notamment au niveau
local2.
1
Certains maires ont en effet une forte propension à soutenir ou à créer des structures associatives
où les élus municipaux occupent une position très largement majoritaire, pour gérer plus facilement
une partie importante du service public, notamment dans les domaines du social, du loisir et de la
culture.
2
Il serait bien difficile d’établir une comparaison cartographique significative entre l’implantation des
MJC et l’échiquier politique municipal. Les MJC UNIREG se répartissent, en 1987, de la manière
suivante : 46,7% {RPR, divers droite, UDF} pour 16% {sans étiquette} et 37,3% {PS, divers gauche
et PC}. cf. enquête déjà citée.
Pour ce qui est de la FFMJC, il apparaît également, malgré son image “gauchisante”, qu’elle soit aussi
bien implantée “à droite” qu’“à gauche”. Il est cependant vrai que cette fédération a connu un
développement significatif - du moins en matière de création d’emplois de direction - après les
élections municipales de 1977 qui, comme nous le savons, ont vu de nombreuses villes de plus
30.000 habitants “basculer à gauche”. Comment la réalité évolue-t-elle actuellement ? Une simple
appréciation d’un acteur : “Entre la droite qui se méfie des MJC, de la fédération, des ses directeurs
et de leur syndicat CGT, le parti communiste qui veut tout gérer directement dans sa démocratie
locale et le parti socialiste qui a tendance à municipaliser, il ne reste aux MJC que les municipalités
- 54 Ainsi commence-t-on à parler, y compris dans les MJC et leurs fédérations, “d’entreprises
culturelles et socio-culturelles fonctionnant en réseau”, de “production et de rentabilité sociales”, de
ces directeurs qui seraient bien plus des “chefs d’entreprise” que des “animateurs”1, deux
dénominations qu’ils n’ont du reste jamais vraiment revendiquées.
La réalité des MJC, ne serait-ce que leur fonctionnement, est donc suffisamment complexe aussi bien pour un “pratiquant” que pour un observateur extérieur, qui y voient essentiellement un
lieu où l’on peut pratiquer des activités socio-culturelles - pour que nous prenions le temps de décrire
les structures et de comprendre ce qui s’y joue.
1 - Le décisionnel et l’opérationnel : fonctionnement et pédagogie des MJC
L’organigramme-type de fonctionnement d’une Maison des Jeunes et de la Culture se présente
de la manière suivante :
(voir organigramme page suivante.)
Cet organigramme se caractérise par deux espaces articulés de fonctions - l’espace décisionnel
et l’espace opérationnel - que la simple lecture des statuts met en évidence2. En effet l’ensemble des
articles 7 à 18 qui composent le titre II (administration et fonctionnement) fixent les règles
fondamentales de la prise de décision et de la délégation de pouvoir. Quant à l’article 3, titre I (but de
l’association), il décrit à lui seul l’espace opérationnel de la MJC : “... elle [la MJC] peut mettre à la
disposition de la population, dans le cadre d’installations diverses (foyers, salles de jeux, de cours,
de réunions, de spectacles, de sports, centre de séjours, restaurants) avec le concours d’éducateurs,
permanents ou non, des activités récréatives et éducatives variées : physiques, pratiques,
intellectuelles, artistiques, sportives, économiques, civiques, sociales, etc...”.
L’axe majeur3 d’articulation entre l’opérationnel et le décisionnel passe par le directeur et les
commissions qui sont généralement, peu ou prou, des espaces qui ont double mission, d’instruire les
projets pour décision et de les mettre en oeuvre, à la fois commission de réflexion et cellules
opérationnelles. Pour les MJC sans directeur permanent, le décisionnel et l’opérationnel s’articulent
du “centre mou” pour continuer à se développer...” (Jacques Asseray, délégué régional FFMJC Ilede-France).
1
L’intitulé du travail de Christian Lucie “Directeur de MJC, animateur ou chef d’entreprise ?” est à ce
titre significatif. Mais dans le même temps, certains chefs d’entreprise (cf. J.-C. Fauvet et J.-R.
Fouretout : La passion d'entreprendre, Éditions d'organisation, 1985) ne disent-ils pas que les chefs
d’entreprise doivent être également des éducateurs et des animateurs ?
2
Statuts de la Maison des Jeunes et de la Culture (A 30).
3
Il ne s’agit là que de l’axe majeur dans la mesure où, à tous les niveaux de l’opérationnel, il y a une
marge de décisionnel, ne serait-ce que par délégation de pouvoir ou par définition d’un espace
d’initiative. Chaque activité a une certaine autonomie relative dans le cadre du projet global et des
limites budgétaires définies par les instances de décision de la MJC.
- 55 au niveau du bureau et notamment du président.
ASSEMBLEE GENERALE
des adhérents, des membres de droit et associés
membres
de droit
membres
associés
membres
élus
CONSEIL D'ADMINISTRATION
DECISIONNEL
ESPACE
BUREAU DU C.A.
DIRECTEUR
Bénévoles
et personnel
technique
Bénévoles
et personnel
éducatif
ESPACE
COMMISSIONS
Bénévoles
et personnel
administratif
OPERATIONNEL
CONSEIL D'ACTIVITES/D'ANIMATION/DE MAISON
ACTIVITES, ACTIONS et SERVICES
culturelles
socio-culturelles
ADHERENTS
sociales
et
sportives
autres...
USAGERS
La structure d’ensemble se présente comme un système en même temps fermé sur lui-même et
ouvert sur l’extérieur. Les adhérents sont à la fois objet de l’opérationnel à travers les activités, les
actions et les services, et sujets, au fondement du décisionnel. Ainsi, le fonctionnement d’une Maison
des Jeunes et de la Culture et les règles qui la régissent, ressemble-t-il considérablement au
fonctionnement politique de type société républicaine occidentale. Il y a donc une grande cohérence
entre le fonctionnement institutionnel des MJC, la mission qu’elles se donnent de former des
- 56 citoyens, et le contexte socio-historique de leur conception ainsi que de leur émergence. Cette
cohérence entre le projet défini dans l’article 2 des statuts1 et les règles de sa mise en oeuvre
constitue la pédagogie institutionnelle des Maisons des Jeunes et de la Culture2.
La structure est également ouverte sur l’extérieur au niveau décisionnel, comme au niveau
opérationnel. Le conseil d’administration (article 12 des statuts) et l’assemblée générale (article 7)
sont aussi composés de membres de droit et, de manière facultative, de membres associés qui
peuvent ne pas être adhérents et qui représentent des institutions ou organismes extérieurs
(pouvoirs publics, associations ...). Même chose au niveau de la mise en oeuvre des projets, qui
passe très souvent par une co-réalisation avec des partenaires extérieurs dans le cadre de
commissions opérationnelles.
Ainsi le fonctionnement de la MJC, loin de se traduire par une simple autogestion des adhérents,
se caractérise-t-il par ce que l’on appelle la cogestion entre partenaires qui co-élaborent, codécident, co-réalisent et co-évaluent les actions.
a) le décisionnel
L’assemblée générale rassemble l’ensemble des membres de l’association qui gère et contrôle la
Maison des Jeunes et de la Culture. Les membres de l’association sont majoritairement “des
usagers régulièrement inscrits” (Statuts, article 7), c’est-à-dire qui ont acquitté “les cotisations
échues”, dont le montant est fixé par l’assemblée générale elle-même.
Pour être plus précis et pour rester dans la logique de ce qui est le plus communément admis et
pratiqué, les membres de l’association sont en fait les usagers à jour de leur cotisation d’adhérent,
dont le coût est fixé par l’assemblée générale. Ce que l’on entend plus généralement par cotisation
renvoie à ce qu’un usager est obligé de payer, en plus de son adhésion, pour pratiquer et donc
financer tout ou partie du coût d’une activité qu’il pratique. L’adhésion et la cotisation sont donc deux
choses différentes. On peut être adhérent, sans payer de cotisation supplémentaire, soit parce qu’on
ne pratique pas d’activité régulière, soit parce que l’activité que l’on pratique ne fait pas obligation de
payer une cotisation supplémentaire à l’adhésion. L’adhésion se matérialise par une carte d’adhérent
qui donne précisément le droit - outre de pratiquer les activités régulières de la MJC, moyennant
généralement paiement d’une cotisation propre à l’activité - de participer aux instances de décision
de la MJC, à l’assemblée générale d’une manière directe, au conseil d’administration ou au bureau
par délégation de pouvoir de l’instance supérieure.
1
Prise de conscience des aptitudes et développement de la personnalité des individus, formation “de
citoyens actifs et responsables d’une communauté vivante”.
2
Il y a deux manières de former des citoyens : faire un cours d’instruction civique ou organiser
institutionnellement un espace où la citoyenneté s’expérimente. Les MJC et les mouvements
d’éducation populaire en général mettent en oeuvre cette dernière méthode pédagogique.
- 57 Par ailleurs, on peut être usager, utilisateur de la MJC, sans adhérer. Un spectateur qui s’acquitte
d’un droit d’entrée est un usager ; il n’est pas pour autant adhérent s’il n’a pas, par ailleurs, fait le
choix d’acquérir la fameuse carte d’adhérent qui en fait un membre actif de l’association.
Cette différence précise entre le statut, ou l’attitude, de simple usager et celle d’adhérent, est
significative de l’ambivalence institutionnelle des MJC : à la fois service public, pour des usagers
réels, occasionnels ou potentiels, et mouvement pour des individus adhérents à une institution qui
défend des valeurs, des principes démocratiques, voire une conception de l’homme et de la vie en
société1.
Les statuts prévoient également que les membres de l’association doivent, pour pouvoir participer
à l’assemblée générale avec voix délibérative, être âgés de seize ans, être adhérents de
l’association depuis plus de 6 mois.
Ces deux clauses se justifient, pour la première par le souci pédagogique de voir les jeunes jouir
de leur plein droit de citoyens associatifs, d’en faire l’expérience avant d’entrer dans la citoyenneté
politique à l’âge de la majorité2, et pour la seconde, par le double souci d’expérimenter la vie
associative avant d’en devenir un membre de plein droit, et aussi d’éviter les “coups de force” de
personnes ayant fraîchement adhéré pour des intérêts souvent étrangers à la MJC et son projet3.
En plus des “usagers régulièrement inscrits”, donc titulaires d’une carte d’adhérent, l’association
MJC peut comprendre des membres honoraires ou fondateurs, des membres d’honneur
généralement choisis par le conseil d’administration, avec accord implicite ou explicite de
l’assemblée générale elle-même, un règlement intérieur pouvant préciser en l’occurrence la
réglementation statutaire.
La présence de ces membres, qui n’a rien d’obligatoire mais qui est courante dans cette vie
associative à vocation de service public, s’explique par la volonté d’inscrire la MJC dans une histoire
et dans un réseau d’enracinement local, notamment dans les périodes de modification brutale des
pratiques et de recomposition des instances de décision. Ainsi dans les années 6O, il est souvent
arrivé que de nouvelles équipes, composées de jeunes issus des activités, aient, démocratiquement
1
Il n’est pas rare de rencontrer des individus qui adhèrent à la MJC uniquement sur la base de l’esprit
MJC et des valeurs défendues. Mais il est vrai que la grande majorité des membres ont un statut
d’adhérent pour bénéficier uniquement du service rendu, ce qui peut expliquer que les assemblées
générales ne rassemblent souvent qu’un nombre limité de titulaires de la carte d’adhérent.
Cependant, en cas d’enjeux internes ou externes importants, on peut connaître des assemblées
générales massives et particulièrement animées.
Par ailleurs, des mouvements déclarés comme tels, et censés ne rassembler que des adhérents,
voire des militants, peuvent ne compter que des individus qui se comportent en simples usagers.
C’est le cas de la Ligue de l’Enseignement qui revendique quelque quatre millions d’adhérents, et
dont l’immense majorité ne sait même pas qu’elle adhère à ce mouvement.
2
La revendication de la majorité à 18 ans apparaît très clairement dans le discours des MJC (voir
notamment les réflexions de l’assemblée générale de Troyes en 1966).
3
Il n’est pas rare que la Fédération régionale des MJC intervienne, par l’intermédiaire de son délégué,
pour déclarer nulle une assemblée générale qui n’aurait pas respecté cette clause des six mois, alors
que dans le même temps il y aurait eu volonté manifeste de prise de pouvoir abusive.
- 58 mais brutalement, à l’occasion d’une assemblée générale, remplacé l’équipe des fondateurs, ce qui
est en soi parfaitement cohérent avec le projet qui consiste à favoriser la prise de responsabilité.
Dans ces cas-là on a souvent gratifié certains membres de l’ancienne équipe, généralement
pionniers de la MJC, du statut de membre fondateur, honoraire ou d’honneur, ce qui est une manière
de gérer les transformations les plus brutales dans une certaine continuité. On peut voir dans cette
présence statutaire des anciens et des nouveaux, des “notables” et des actifs, le souci d’articuler
d’une manière dynamique les logiques de l’institution et celles du mouvement, la tradition et la
modernité. Du reste, il peut arriver qu’en cas de crise grave - crise d’orientation, de fonctionnement on fasse appel aux membres honoraires et fondateurs ou bienfaiteurs réunis dans une sorte de
conseil de sages1.
L’association gestionnaire de la Maison des Jeunes et de la Culture est également composée de
membres de droit2 prévus par les statuts eux-mêmes - c’est ce qui leur confère la qualité de
membres de droit - et de membres associés.
Les membres associés, dont les statuts prévoient que leur présence est facultative, peuvent être :
“a) des représentants d’associations et mouvement de jeunesse, d’associations sportives,
d’associations d’éducation populaire ayant leur siège social dans le village, le bourg, la ville où se
trouve implantée la MJC
b) des personnes choisies en raison de leur compétence particulière
c) l’une et l’autre des deux catégories précédentes”3.
La présence de membres associés, même facultative, est quasi généralement admise dans les
MJC et aux autres échelons de l’Institution, notamment régional et national.
La qualité de ces membres est généralement très variable : elle peut dépasser la diversité et la
liberté de choix prévues par les statuts eux-mêmes. Il est vrai que les représentants d’associations
sportives, culturelles, socio-culturelles et d’éducation populaire composent la grande majorité des
membres associés, mais il n’est pas rare d’y rencontrer des syndicats, des comités d’entreprise, des
représentants d’organismes publics ou para-publics, municipaux ou para-municipaux. Le collège des
membres associés permet souvent une représentation plus large du conseil municipal, qui se voit
ainsi, compte tenu de ce qu’il représente pour la MJC, octroyer un nombre de voix bien supérieur à
ce que prévoient les statuts, la ville n’étant normalement représentée que par le maire ou son
1
Au niveau national, en situation de crise, on fait souvent le projet de réunir un conseil de sages
composé d’anciens administrateurs et délégués. Mais la stratégie de l’audit social et financier est de
plus en plus souvent pratiquée, ce qui est très significatif de la modification des référents de la
légitimité particulièrement visible en temps de crise, modification qui est elle-même indicative des
transformations de la culture et des valeurs de référence des Maisons des Jeunes et de la Culture.
2
Nous aurons l’occasion de revenir longuement sur les membres de droit à l’occasion de l’analyse du
conseil d’administration.
3
Statuts-type FFMJC, article 12 (A 30).
- 59 représentant en qualité, il est vrai, de membre de droit1. Des organismes comme les caisses
d’allocations familiales, partenaires courants des MJC pour leurs actions sociales, sont généralement
représentés dans les assemblées générales et les conseils d’administration en tant que membres
associés. Les délégués ou les représentants des personnels salariés de la MJC siègent également
en tant que membres associés avec voix délibérative. Il est vrai que, même si leur statut et leur mode
de désignation sont totalement différents de ceux des autres membres associés, il ne peuvent
cependant être présents qu’à ce titre. On voit mal en effet comment ils pourraient siéger au titre de
membre de droit - ce qui serait assez contradictoire avec l’esprit associatif - ou de membres actifs
adhérents de la MJC, qui ainsi auraient la faculté de choisir leurs représentants en assemblée
générale, alors que le droit du travail prévoit que ces représentants doivent être choisis par les
personnels eux-mêmes.
La présence de membres associés, même facultative, est tout à fait conforme à l’esprit et à
l’histoire des Maisons de Jeunes et de la Culture. D’abord à l’esprit de la cogestion, qui prévoit que la
MJC élabore ses projets, décide, réalise et évalue ses actions avec des partenaires divers2, dont les
membres associés qui représentent généralement les forces vives de l’environnement social.
Ensuite, à l’histoire des Maisons des Jeunes et de la Culture, à leur origine et leur développement :
en 1944, comme nous le verrons plus loin, la République des Jeunes, qui préfigure la FFMJC, n’est
initialement composée que d’associations et mouvements de jeunesse et d’éducation populaire.
Enfin, de nombreuses MJC se sont créées grâce à la volonté coordonnée de représentants
d’associations locales et de représentants des pouvoirs publics (municipalité, direction de Jeunesse
et Sport) et ce, avant que leur développement et leur animation ne soient confiés à une gestion
partenariale où les adhérents sont majoritaires.
Bien que cela ne soit pas explicitement précisé dans les statuts, les membres associés sont
généralement choisis par l’assemblée générale des adhérents, sur proposition du conseil
d’administration, sauf pour les délégués et représentants des personnels, dont le principe de la
participation doit être accepté par les mêmes instances, mais dont le choix des représentants relève
d’une élection par les personnels eux-mêmes, sous le contrôle de la MJC employeur.
Les raisons du choix de tel membre associé plutôt que de tel autre sont variables : implantation
sur le même espace social, pratiques et secteurs d’intervention comparables, conduite de projets
avec la MJC, participation active à la création de la MJC, compétences et actions spécifiques sur des
terrains ou en direction des publics concernés directement par la MJC. Le choix d’un nouveau
1
A Aix-en-Provence, par exemple, la Ville est représentée par un adjoint ou un conseiller municipal
désigné par le Maire avec la qualité de membre de droit, mais aussi par d’autres adjoints, délégués
ou conseillers municipaux (sport, jeunesse, vie associative) qui y sont en qualité de membres
associés.
2
Nous reviendrons longuement sur la mise en oeuvre et la “mise en scène de la cogestion”, expression
de Jean-Claude Ménard, délégué de la FFMJC auprès de la région Poitou-Charente.
- 60 membre associé découle souvent de la conduite d’actions en commun, ou de la projection d’actions
nouvelles, qui réclament un partenariat élargi. Ainsi la cogestion est souvent une pratique, avant de
prendre une forme institutionnelle.
La qualité de membre associé, comme de membre adhérent, fondateur, ou honoraire, se perd
évidemment par démission, ou encore par décision des instances de la MJC (conseil
d’administration et assemblée générale), si bien que l’on ne peut imposer à un individu ou à une
structure de faire partie intégrante de l’association MJC, ni à l’association MJC d’accueillir un
membre si elle ne le souhaite pas. Dans les deux cas il y a garantie de la liberté associative, qu’elle
soit collective ou individuelle. Il n’y a que les membres de droit (maire de la commune, directeur
départemental de la Jeunesse et des Sports, délégué de la FFMJC et directeur) qui ne peuvent faire,
ni l’objet d’un choix, ni d’une radiation aussi longtemps que la structure fonctionne selon les statuts
des MJC. Mais l’adoption des statuts ou leur modification relèvent de l’assemblée générale ellemême, sauf prononciation de dissolution par la Fédération Régionale ou la Fédération Française
(article 22 des statuts)1.
Rappelons, pour en finir au moins provisoirement avec les membres associés, fondateurs,
bienfaiteurs, honoraires et de droit, qu’ils ne sont pas tenus de payer une adhésion ou une cotisation
annuelle. Leur qualité de membre de l’association ne tient donc qu’au choix initial et renouvelé des
instances de décisions (assemblée générale et conseil d’administration), et à leur volonté de
continuer à adopter les statuts.
L’assemblée générale ainsi constituée, remplit des missions statutaires comparables à celles que
remplissent toutes les assemblées générales de toutes les associations type loi 1901. L’assemblée
générale réunie en session normale, une fois par an, sur convocation du président, délibère sur les
questions portées à l’ordre du jour par le conseil d’administration, notamment sur les rapports moral
et financier. L’assemblée générale juge donc des missions et des actions décidées par le conseil
d’administration et réalisées sous son contrôle, de l’esprit qui les a animées depuis la précédente
assemblée générale (aspect moral), et de la gestion des moyens obtenus (recettes) et utilisés
(dépenses). Dans ces rapports, à la fois écrits et oraux, les administrateurs désignés par l’assemblée
générale ou par les statuts (membres de droit), rendent compte de leur mandat. Le “quitus” sur la
gestion est donné après connaissance, de la part de l’ensemble des membres de l’assemblée
générale, du rapport des commissaires aux comptes.
Dans un deuxième temps, l’assemblée générale adopte des orientations pour l’année à venir :
1
Dans les faits, il apparaît bien difficile que la FRMJC ou la FFMJC (même chose pour l’UNIREG) aient
autorité pour dissoudre une association qui ne respecterait pas les statuts ou qui déciderait de les
modifier. Ce droit apparaît assez contradictoire avec la liberté associative. Par contre les instances
fédératives peuvent décider de la désaffiliation de l’association, ce qui est conforme aux principes
fédératifs. En définitive, on peut affirmer que la MJC bénéficie de sa totale liberté associative de
choix et de radiation de ses membres, d’affiliation - sauf refus de la structure fédérative -, de
modification de ses statuts, jusqu’à la perte de la qualité de MJC.
- 61 rapport d’orientation généralement préparé par le conseil d’administration après une consultation
préalable plus ou moins large1. Elle adopte également le budget prévisionnel de l’exercice suivant,
qui doit être établi dans ses recettes et ses affectations budgétaires en cohérence avec les
orientations2.
Enfin “l’assemblée générale désigne au scrutin secret les membres élus au conseil
d’administration. Elle peut les révoquer si la question figure à l’ordre du jour”3. Sauf démission, décès
ou révocation4, les membres représentant les adhérents au conseil d’administration sont élus pour
trois ans, de sorte qu’à chaque assemblée générale, on procède à l’élection du tiers sortant, et
éventuellement au remplacement des démissionnaires, décédés ou révoqués. Les membres sortants
sont rééligibles, et ils sont désignés par tirage au sort pour la première et la deuxième année. En cas
de vacance entre deux assemblées générales, le conseil d’administration peut pourvoir
provisoirement, par cooptation, au remplacement de ses membres. Ce remplacement peut devenir
définitif lors de la prochaine assemblée générale, “les pouvoirs des membres ainsi élus prenant fin à
l’époque où devrait normalement expirer le mandat des membres remplacés”5.
Même si cela n’est pas très expressément prévu par les statuts, en cas de démission totale ou
massive du conseil d’administration, il est généralement procédé à l’organisation d’une assemblée
générale extraordinaire, sur décision du conseil d’administration ou sur la demande du quart au
moins des membres qui la composent. Il peut arriver aussi, qu’en cas de carence ou de
dysfonctionnement mettant en danger la vie de l’association et les intérêts de ses membres, la
Fédération Régionale des MJC gère directement la Maison des Jeunes et de la Culture. Il s’agit là
d’une sorte de mise en tutelle, en attendant qu’une nouvelle assemblée générale, ordinaire ou
extraordinaire, désigne les membres d’un nouveau conseil d’administration.
Avant de se séparer, les membres de l’assemblée générale désignent les commissaires aux
comptes qui composent la commission d’apurement des comptes. Ces commissaires aux comptes
doivent être choisis parmi les adhérents non membres du conseil d’administration, et ils peuvent se
faire aider ou conseiller dans leur travail par des commissaires aux comptes officiels ou
1
Nous aurons l’occasion de revenir sur les processus d’élaboration et de consultation qui conduisent
jusqu’aux décisions d’assemblée générale. Il s’agit là des processus pédagogiques et démocratiques
mis en oeuvre dans le fonctionnement institutionnel.
2
On concevrait mal qu’il y ait contradiction entre les orientations “politiques” et les orientations
budgétaires. On peut par exemple difficilement imaginer qu’un rapport d’orientation mette en avant
la formation des cadres bénévoles et professionnels de la MJC, sans qu’une affectation budgétaire
correspondante ne soit prévue.
3
Statuts, art. 11.
4
La révocation peut intervenir pour non-paiement de l’adhésion, absences répétées sans excuses aux
réunions du conseil d’administration. Les clauses de révocation sont généralement précisées dans le
règlement intérieur des instances, si bien qu’il n’est pas nécessaire de faire figurer les révocations à
l’ordre du jour de l’assemblée générale.
5
Statuts, art. 12.
- 62 professionnels auxquels la Maison des Jeunes et de la Culture choisit de faire appel.
Même si cela n’est pas perçu comme tel par les adhérents et les responsables, l’apurement des
comptes est une démarche indispensable, notamment pour les Maisons des Jeunes et de la Culture
qui gèrent des budgets importants. Le respect de cette règle évite, en cas de conflit sur les questions
financières, la remise en cause individuelle - voire pénale - de certains responsables, notamment le
trésorier, le président et le directeur.
L’assemblée générale constitue ainsi l’instance qui définit la politique globale de la Maison des
Jeunes et de la Culture, mandate ceux qui doivent la mettre en oeuvre et qui devront en rendre
compte auprès de cette même instance. Elle est le fondement de la vie institutionnelle de la MJC,
d’où tout doit partir et où tout doit revenir. Sa tenue est généralement un moment fort de la vie de la
structure, au cours de laquelle les adhérents et les différents partenaires définissent et clarifient les
objectifs, où, en cas de tension et de conflits, se mesurent, s’exacerbent ou se règlent, les rapports
de forces et les contradictions (internes mais aussi avec l’extérieur et notamment les municipalités),
moment aussi, où des équipes dirigeantes se trouvent confortées ou fortement contestées.
Que dire de la participation des adhérents aux assemblées générales ?
Elle est très variable, et doit s’apprécier d’une manière relative dans le rapport qui existe entre le
nombre de présents et de représentés d’une part, et, d’autre part, le nombre d’adhérents en âge de
voter, c’est-à-dire âgés de 16 ans et plus. Certaines assemblées générales ne concernent, même
dans des MJC importantes, qu’un nombre modeste d’adhérents, à tel point que l’on a le sentiment
d’assister à un conseil d’administration élargi. Une assemblée générale qui rassemble quelque 25%
de ses membres en âge de voter, connait une bonne participation. Certaines assemblées générales
connaissent des affluences exceptionnelles, qui s’expliquent souvent par des enjeux internes ou
externes d’importance : il n’est pas rare d’assister à des assemblées générales massives
rassemblant plus de 50% des adhérents en âge de voter, et dont la forme s’apparente plus à un
meeting1.
Mais, d’une manière générale, la participation reste dans des proportions modestes, ce qui
indique bien que les MJC sont plus perçues et vécues par les usagers2 comme des lieux de service
culturel et social public, que comme des structures militantes devant motiver un engagement
1
A titre d’exemple, près de 200 personnes à Béziers en octobre 1989 et près de 400 à Grasse en
avril 1990, pour des MJC qui rassemblent respectivement quelque 750 et 1.200 adhérents tous
âges confondus. Mais en matière de participation des adhérents à la vie associative des MJC, il reste
bien difficile d’avoir des indications moyennes fiables, les structures ne tenant pas, et ne
communiquant pas, une comptabilité précise des présents et représentés. Pour la petite dizaine
d’assemblées générales de MJC à laquelle nous avons participé au printemps 1990, on peut dire que
la proportion des participants se tient aux environs de 18% de la totalité des adhérents.
2
Beaucoup pensent, y compris parmi les adhérents, que la MJC est un service municipal et que les
décisions ne peuvent pas appartenir aux usagers (enquête en cours sur la jeunesse de Martigues,
Bouches du Rhône).
- 63 individuel et collectif se traduisant par la participation aux instances de décision1.
Le conseil d’administration est l’instance où la cogestion se met véritablement en oeuvre entre
des partenaires représentant des institutions, des forces, et des intérêts différents.
Le conseil d’administration est composé de trois collèges d’inégale importance, quant aux
nombre des mandats. Les membres de droit sont comme à l’assemblée générale au nombre de
quatre : le maire de la commune ou son représentant, le chef de service départemental de la
Jeunesse et des Sports ou son représentant, le délégué de la FRMJC ou son représentant, le
directeur ou la directrice de la MJC quand il y en a un et qu’il a le statut de directeur fédéral mis à
disposition de la structure2.
Ces différents membres n’ont en commun que d’être membres de droit, et de représenter des
institutions. Ils obéissent à des légitimités très différentes. Le maire de la commune est censé
représenter, par le biais du suffrage universel, l’intérêt général local, le chef du service
départemental de la Jeunesse et des Sports, l’intérêt général national et la politique que l’Etat entend
mener en matière de jeunesse et d’éducation populaire. Le délégué de la FRMJC est le “porteur de
la commande institutionnelle”3, définie par les instances fédérales nationales et régionales. Sa
légitimité est celle d’une institution forte de l’ensemble des MJC affiliées, de la reconnaissance de
l’Etat4 et des collectivités locales qui directement ou indirectement, financent ses services.
Le directeur est, à son niveau aussi, porteur du projet des Maisons des Jeunes et de la Culture la fameuse commande institutionnelle - qui lui confère la légitimité à être le pédagogue de sa mise en
oeuvre, d’autant qu’il a reçu la formation professionnelle lui donnant droit à exercer cette fonction.
Son statut est celui d’un professionnel, et non d’un simple permanent, si bien que sa légitimité est
plus liée à ses savoir-faire, qu’à l’institution qui l’a nommé5. Nous verrons que la place originale et
centrale qu’il occupe dans la MJC le situe dans la position particulièrement complexe d’articulateur
1
Nous avons peu d’éléments de comparaison. Contentons-nous de faire remarquer que les autres
associations sociales, culturelles et éducatives, rassemblent plutôt moins d’adhérents dans leurs
assemblées générales, et que les syndicats et partis politiques eux-mêmes ont du mal, sauf
exception et contexte particulier, à rassembler leurs militants ...
2
Rappelons que plus de la moitié des MJC, à la FFMJC comme à l’UNIREG, ne bénéficient pas de
directeur fédéral.
3
Formule que l’on rencontre souvent dans les textes et les discours des acteurs de la FFMJC.
4
Nous verrons plus loin comment l’évolution des légitimations publiques, matérialisées par les
subventionnements, marque l’histoire des MJC.
5
C’est abusivement, et par opposition à bénévole, que l’on emploie souvent l’expression de
“permanent” pour parler du directeur de MJC. Il est vrai que de nombreux directeurs - notamment
les plus anciens - sont d’anciens “bénévoles” “intermittents”, devenus permanents. Mais il y a une
différence essentielle entre le permanent d’un parti, d’un syndicat, d’un mouvement, et le
professionnel d’une institution comme les MJC : le premier est un salarié élu, il tire sa légitimité des
suffrages ; le second est recruté, formé et nommé ; il tire sa légitimité de son savoir-faire
matérialisé par l’acte de titularisation.
- 64 entre le décisionnel et l’opérationnel1.
Le deuxième collège du conseil d’administration est constitué par les membres associés, dont
nous avons déjà fait état à propos de la composition et des missions de l’assemblée générale.
Le troisième collège, le plus nombreux, est composé des membres élus par l’assemblée générale
parmi les adhérents à jour de la cotisation individuelle. Le nombre de ces membres élus doit être au
moins égal au total des membres de droit et associés, plus un. Ainsi les adhérents individuels,
usagers de la Maison des Jeunes et de la Culture, constituent statutairement, au conseil
d’administration comme à l’assemblée générale, la base majoritaire du pouvoir décisionnel de la
structure . On peut même aller jusqu’à dire que les adhérents sont - toujours statutairement - le
fondement de toutes les décisions et de tous les mandats, dans la mesure où, au-delà de leur
position majoritaire, le choix des membres associés et - par l’intermédiaire de l’adoption des statuts
types - le choix des membres de droit, dépendent de leur décision.
Ce pouvoir statutaire, de droit pourrait-on dire, ne correspond pas généralement et forcément à
un pouvoir de fait aussi clair. La municipalité, par exemple, a, en réalité, un pouvoir bien supérieur à
celui que lui confère son seul mandat, dans la mesure où elle est généralement le premier partenaire
financier.
Ce déséquilibre entre le fait et le droit devient particulièrement évident en cas de désaccord et de
conflit entre les intérêts des usagers et ceux de la collectivité locale. Dans de tels cas, on assiste
souvent à des oppositions conflictuelles entre trois logiques de légitimité quant à l’exercice des
pouvoirs décisionnels, opérationnels et évaluatifs : la logique statutaire, qui prévoit que les décisions
doivent être prises à la majorité des mandats d’assemblées où les adhérents usagers sont largement
représentés ; la logique économique qui revendique que “les payeurs soient les décideurs”2 ; enfin la
logique politique, qui induit que dans la gestion des biens publics, un maire élu par une majorité de
concitoyens aurait droit à plus de pouvoir qu’un président de MJC qui, dans le meilleur des cas, ne
représenterait que sa base associative3.
La cogestion est donc une pratique, à la fois juridique, politique et pédagogique, particulièrement
complexe et dynamique, enrichissante, mais aussi conflictuelle. Juridique d’abord par sa forme
statutaire, qui fait qu’un simple citoyen peut jouer à “voix égale” avec le maire de la commune dans
1
Nous verrons également que la place qu’occupent les directeurs dans les MJC et à tous les échelons
institutionnels en font peut-être le maillon central de l’édifice autour duquel se cristallisent
structurellement et historiquement les enjeux.
2
Cette logique est en fait celle de l’entreprise capitaliste qui prévoit par exemple que l’actionnaire
majoritaire soit en définitive le décideur. Ainsi le taux d’autofinancement de la MJC (part de l’apport
des usagers dans le financement) devrait jouer un rôle important dans le respect statutaire de
l’indépendance associative et économique de la structure.
3
La réalité devient autrement plus complexe quand un conseil d’administration de MJC se situe en
opposition avec le maire de la commune. Les enjeux locaux traversent alors la MJC, qui peut devenir
le point d’appui de nouvelles majorités dans la démocratie locale. On pourrait citer un nombre
important de cas.
- 65 des choix d’orientation concernant une part souvent importante de l’intérêt et des biens publics1.
Politique ensuite : il s’agit de penser qu’une société ne peut se construire et se développer qu’en
associant dans l’élaboration, la décision, la réalisation et l’évaluation, des partenaires aussi différents
que des usagers, des professionnels, des groupements et associations, et des représentants des
pouvoirs publics. Il s’agit en fait d’un projet politique différent de la gestion hiérarchique et
traditionnelle d’un service public2 d’une part, et d’une possible organisation autogestionnaire d’autre
part. Pédagogique enfin, dans la mesure où l’on suppose que l’individu et le citoyen ne se forment
jamais aussi bien à la “lecture de la réalité sociale”3 et à la gestion du bien public, que dans des
pratiques d’élaboration, de décision et de réalisation qui associent les partenaires les plus divers et,
notamment, les décideurs, les salariés et les usagers. La cogestion est ainsi conçue, “y compris
avec ses difficultés et ses contradictions, comme un acte particulièrement efficace de formation
sociale et politique”4 pouvant mettre en jeu “une pédagogie du conflit et de l’affrontement”5 fortement
revendiquée par la FFMJC jusqu’au début des années 80.
Le conseil d’administration ainsi constitué est responsable de la marche générale de la Maison
des Jeunes et de la Culture :
- “Il arrête le projet de budget, établit les demandes de subventions et, à réception de cellesci, les utilise selon les attributions et dans les conditions qui lui sont fixées,
- il gère les ressources propres de la Maison (cotisations, restaurant, bar, centre
d’hébergement ...)
- il approuve le compte d’exploitation et le rapport moral”6.
Le conseil d’administration a donc une mission importante de gestion économique de la MJC
(recettes et dépenses) et ce, dans les limites des pouvoirs budgétaires définis par l’assemblée
générale (budget prévisionnel), quant aux montants et aux imputations (“selon les attributions et
dans les conditions qui lui sont fixées”).
Il arrive cependant très souvent, que le conseil d’administration doive procéder à des
modifications budgétaires sensibles en cours d’exercice, modifications dont il devra rendre compte à
l’assemblée générale dans son rapport financier, compte d’exploitation à l’appui. Si ces modifications
budgétaires sont trop importantes - réductions des ressources propres et des subventions mettant en
1
Rappelons que certaines MJC gèrent des budgets pouvant avoisiner une dizaine de millions de francs.
2
L’expression “service public par voie démocratique” revient souvent dans les MJC.
3
La “lecture de la réalité sociale” est, pour les MJC, essentielle dans le processus de formation du
citoyen.
4
Texte préparatoire au Rassemblement national des MJC (FFMJC) de Reims (29-30-31 mai 1982).
5
Texte préparatoire au Rassemblement national des MJC (FFMJC) de Reims.
6
Statuts-type (article 15).
- 66 jeu les équilibres et l’avenir de la MJC par exemple - le conseil d’administration s’en remettra à de
nouvelles décisions prises lors d’une assemblée générale extraordinaire.
Dans le même temps, le conseil d’administration “favorise les activités de la Maison, conseille le
directeur qui est le responsable de l’organisation pédagogique, propose des suggestions à la
Fédération Régionale”1.
Il s’agit là du rôle pédagogique du conseil d’administration, qu’il doit remplir en cohérence avec sa
fonction de gestion économique. On conçoit en effet mal qu’un conseil d’administration puisse
longtemps favoriser les activités d’une Maison des Jeunes et de la Culture, sans gérer les moyens
nécessaires au développement de ces activités2. Il apparait au contraire très clairement, que c’est
dans cette recherche de cohérence entre le développement des actions et la gestion des moyens
publics et privés, que se joue l’acte pédagogique de la MJC : connaissance de l’environnement
social, articulation de l’action projetée avec le projet global de la structure, négociation des moyens
avec les partenaires, organisation des forces favorables à la réalisation, évaluation des résultats - à
tel point que la gestion - et non la simple exécution comptable d’une décision - est constitutive de
l’action, et donc de l’acte éducatif visant à “la formation de citoyens actifs et responsables”3.
Le conseil d’administration doit également assumer ses responsabilités vis à vis des
professionnels. D’abord, vis à vis des directeurs mis à disposition par la Fédération Régionale, pour
lesquels le conseil d’administration doit donner son accord de nomination ou les remettre à
disposition en cas de carence de leur part et de situation conflictuelle insurmontable4. Ensuite, vis à
vis des personnels embauchés localement, pour lesquels le conseil d’administration doit assumer
toutes ses responsabilités d’employeur comme n’importe quelle entreprise : embauche, formation,
organisation, définition de poste, salaires, charges, droits syndicaux et éventuellement licenciement.
Cette gestion des personnels, de plus en plus importante compte tenu de la professionnalisation
intense de ce secteur d’activité5, engage considérablement plus la responsabilité des administrateurs
que la simple gestion d’activités de loisirs. La position incontournable d’employeur, qui doit être
articulée avec les fonctions de gestion et de développement d’actions (production), joue un rôle
éminemment formateur. Ainsi un président de MJC, salarié d’une entreprise publique ou privée dans
1
2
Statuts-type (article 15).
On connaît ça et là quelques faillites budgétaires liées à une articulation insuffisante entre le
pédagogique et l’économique. De grandes structures culturelles, notamment les Maisons de la
Culture, doivent leurs crises périodiques, voire leur disparition, à un divorce entre la création et les
créateurs d’un côté et l’administration et les administrateurs de l’autre.
3
Statuts, article 2.
4
Le système fédératif prévoit qu’on ne peut imposer un directeur à une MJC qui n’en voudrait pas.
Ainsi le système fédératif ne limite-t-il pas l’entière liberté associative.
5
Rappelons que certaines MJC sont comparables à de petites entreprises dans la mesure où elles
emploient plusieurs dizaines de salariés.
- 67 laquelle il défend ses intérêts de salariés, est-il amené à assumer des responsabilités d’employeur
souvent difficiles. Les conflits employeur-employés sont courants, et il arrive qu’ils ne trouvent leur
solution que devant le juge des prud’hommes1.
Pour préparer les décisions, le conseil d’administration organise des commissions de travail et de
réflexion, dont le nombre peut être variable selon les circonstances et les activités de la MJC :
commission financière, paritaire du personnel, de concertation avec la collectivité locale, information,
communication,
formation,
équipement
et
locaux,
animation
interne,
diffusion
culturelle,
programmation, enfance, jeunesse, insertion sociale, relation avec le milieu scolaire … ; ou même
par secteurs d’activités importants : arts plastiques, cinéma, audiovisuel, sport, théâtre, …
Certaines de ces commissions - les plus institutionnelles - sont couramment “pratiquées”,
notamment la commission financière animée par le trésorier qui prépare le budget et contrôle son
exécution, et la commission paritaire du personnel qui gère les relations entre le conseil
d’administration employeur et les salariés de la Maison des Jeunes et de la Culture représentés par
leurs délégués.
Certaines commissions ont une vocation globale (commission animation par exemple), d’autres
sont très spécialisées (cinéma, théâtre, enfance...). Certaines, notamment celles qui sont très
spécialisées, ont une double fonction : en amont, de préparer la décision du conseil d’administration,
en aval, de réaliser les opérations avec les acteurs professionnels et bénévoles de la MJC. Elles
sont ainsi à l’articulation de l’opérationnel et du décisionnel. Il arrive même que des commissions
aient une existence très éphémère - ce qui ne veut pas dire qu’elles ne soient pas opérationnelles ni
indispensables - , car liées à la réalisation d’une opération spécifique (carnaval, action ponctuelle,
festival...), ou à une situation conjoncturelle (crise particulièrement grave par exemple).
Les commissions regroupent un nombre de personnes plus ou moins important et elles peuvent
être très ouvertes : membres du conseil d’administration, personnels, adhérents, personnes ou
structures extérieures à la MJC elle-même. Elles sont souvent les lieux où se vivent le partenariat et
la cogestion dans leurs multiples fonctions - coélaboration, coréalisation et coévaluation - la
codécision, quant à elle, restant du ressort du conseil d’administration ou, en cas d’urgence, du
bureau.
Dans certaines Maisons des Jeunes et de la Culture, où l’activité est importante et les
commissions nombreuses, actives et fréquentes, le nombre d’adhérents, d’usagers, de responsables
bénévoles et de partenaires, qui participent tant au niveau décisionnel qu’opérationnel à l’action de la
MJC, peut être assez considérable2 : plusieurs dizaines, voire une centaine de personnes. On
pourrait ainsi définir une sorte d’indicateur quantitatif de civisme associatif, culturel ou social de la
1
Ce fut souvent le cas lors de l’application de la convention collective de l’animation socioculturelle.
2
C’est sur cette base-là que l’on évalue la part de bénévolat valorisé dans les budgets des MJC.
- 68 MJC1.
Mais la prise en compte du seul aspect quantitatif de “l’implication”, terme souvent employé dans
les MJC et la vie associative en général, reste sommaire, si on la compare au projet affiché des MJC
: “former des citoyens actifs et responsables d’une communauté vivante”. En effet, l’implication, y
compris dans la participation aux commissions, peut être plus technique, c’est-à-dire liée à la seule
activité (cinéma, théâtre, sport...), que politique (réalisation du projet pédagogique et démocratique
de la MJC2), ce qui expliquerait, dans certains cas, le décalage entre un fort bénévolat et une faible
participation associative, se traduisant, par exemple, par une présence limitée des adhérents à
l’assemblée générale annuelle3.
Le conseil d’administration élit parmi ses membres pour un an son bureau, qui comprend
généralement un président, un ou plusieurs vice-présidents, un secrétaire, un trésorier, et,
éventuellement, un secrétaire-adjoint et un trésorier-adjoint, un ou plusieurs membres.
Le bureau a une double mission : préparer les travaux du conseil d’administration, dont il fixe
généralement les ordres du jour, et veiller à l’exécution de ses décisions. Le bureau constitue ainsi
l’instance avancée du décisionnel dans l’opérationnel. A ce niveau, les responsabilités sont
personnalisées et concentrées dans les mains d’un nombre limité de responsables : le président,
responsable du fonctionnement des instances et représentant de la MJC à l’extérieur, le secrétaire,
garant et porteur des décisions et de la parole de l’association, le trésorier, responsable de sa
gestion et de ses équilibres budgétaires4.
Les membres du bureau sont le plus souvent choisis parmi les membres élus du conseil
d’administration. Mais il peut arriver que des membres associés soient membres du bureau. Les
membres de droit peuvent difficilement occuper des postes de responsabilité dans une telle instance,
même si les statuts ne s’y opposent pas formellement. On conçoit mal que le chef de service de la
Jeunesse et des Sports, le délégué régional de la Fédération, et à fortiori le directeur, soient
président, secrétaire ou trésorier de la MJC. Mais il arrive que le maire soit président5, même si les
cas sont assez rares. Le directeur est membre du bureau à titre de technicien, de conseiller, mais
1
La seule FFMJC compterait quelque 20.000 bénévoles et l’UNIREG 16.000, ce qui est
proportionnellement plus important. Mais où commence le bénévolat ?
2
“Projet démocratique des MJC”, terme qui revient souvent dans le langage de la FFMJC des années
70 (voir Journées Nationales d’Étude des Directeurs de MJC à Dieppe en 1974).
3
L’évolution d’un militantisme du projet vers un militantisme de l’activité, du hobby, voire du produit,
pourrait caractériser l’évolution des MJC et plus précisément de leurs adhérents. N’irait-on pas
aujourd’hui à un nouveau militantisme du projet, qui passerait par la qualité de l’action et du produit
?
4
On confond souvent, à tort, les rôles de secrétaire administrateur et de trésorier, qui relèvent du
décisionnel et du politique, avec les fonctions de secrétaire administratif et de comptable, qui sont
du ressort de l’opérationnel, même si, dans les MJC sans salarié, ces fonctions peuvent être remplies
par les mêmes personnes.
5
C’est le cas à la MJC de Bastia où le Maire de la ville est membre de droit et président.
- 69 avec simple voix consultative.
b) l’opérationnel
La mise en oeuvre des projets et l’exécution des décisions sont coordonnées par le directeur,
quand il y en a un, ou par le bureau. Il peut arriver que des MJC aient, en l’absence de directeur
professionnel et permanent, un directeur bénévole. C’est le cas de certaines MJC affiliées à
l’UNIREG, notamment dans le sud-ouest de la France1. Ainsi les limites entre espaces décisionnels
et opérationnels sont-elles clairement définies2.
Le directeur coordonne un ensemble plus ou moins important de forces et de services composés
de salariés, et éventuellement de bénévoles. Ces forces - que l’on appelle aujourd’hui de plus en
plus des “ressources humaines”3 - sont généralement rassemblées dans trois services : administratif,
technique et éducatif.
Ces services, plus ou moins conséquents selon l’importance et les spécificités de la MJC, sont
finalisés autour des objectifs sociaux, culturels et éducatifs, si bien qu’en principe, le technique et
l’administratif servent le développement de l’éducatif4.
Le service administratif, quand il est assuré par des professionnels, se réduit souvent à une seule
personne qui assure les fonctions de secrétariat, de comptabilité et d’accueil. Les MJC les plus
importantes, notamment celles qui gèrent de l’hébergement et de la restauration5, ont des services
administratifs plus conséquents, qui peuvent rassembler une secrétaire de direction, un chef
comptable, des personnels d’accueil et de dactylographie. Mais il arrive très souvent que ces
services soient assurés par le directeur lui-même ou par des bénévoles.
En effet, s’agissant des différentes catégories de fonctions du directeur de MJC et du temps qu’il
consacre à chacune, ce sont les fonctions logistiques6 qui accaparent le plus les personnels
1
André Jager, ancien délégué général de la FFMJC, assure que c’était une pratique courante avant la
scission de 1969 et même après.
2
Dans les deux enquêtes (Les MJC aujourd’hui - réalités et impact parlant de la FFMJC et Faits,
chiffres et images d’associations portant sur l’UNIREG) on fait bien la différence entre les bénévoles
administrateurs et les bénévoles responsables d’activités, les premiers relevant du décisionnel et les
seconds de l’opérationnel, même s’il est très courant qu’une même personne puisse avoir les deux
statuts.
3
La FFMJC a une délégation générale de la formation, du développement et des ressources humaines.
4
Cette évidence a besoin d’être rappelée, car il peut arriver qu’une MJC dotée de moyens logistiques
n’ait pas les moyens éducatifs, sociaux et culturels suffisants. Les situations inverses sont aussi
courantes. La question des équilibres dynamiques entre l’administratif, le technique et l’éducatif
occupent beaucoup les administrateurs des MJC, notamment en période de développement,
d’autant que les enjeux sont également syndicaux.
5
Certaines MJC gèrent en effet des C.I.S. (centres internationaux de séjour), des restaurants sociaux
et des cafétérias.
6
Christian Lucie, op. cit., p 64.
- 70 interrogés (57% d’entre eux), bien avant les fonctions de direction, de production et de distribution.
Et, parmi ces fonctions logistiques, la comptabilité, l’administration générale, les achats, occupent
une place considérable : de 40 à 95% des personnes interrogées, selon les fonctions. De nombreux
directeurs, notamment les plus anciens, ont souvent passé une grande partie de leur vie
professionnelle sans personnel administratif.
Dans les MJC sans directeur, les tâches administratives sont généralement assurées par des
bénévoles : le secrétaire du conseil d’administration est aussi dactylographe, et le trésorier doit faire
la comptabilité et tenir la caisse.
Le service technique obéit à des logiques comparables. Il peut rassembler un nombre important
de salariés (personnels d’entretien, veilleurs de nuit, offsetistes, régisseurs, sonorisateurs,
éclairagistes...), ou se réduire à l’unité (une femme de ménage à temps partiel). Il n’est pas rare de
rencontrer des directeurs qui assurent des fonctions d’entretien des locaux et du matériel : 16%
d’entre eux signalent qu’ils remplissent occasionnellement ou régulièrement ces fonctions1. L’époque
du directeur de MJC bricoleur ou balayeur n’est pas complètement révolue2.
Les bénévoles eux-mêmes assument très souvent tout ou partie de ces tâches : ménage,
réfection des locaux, entretien et utilisation du matériel… Il n’est pas rare que des équipes de
bénévoles se mettent en place pour réaliser des travaux importants : maçonnerie, électricité,
plomberie, aménagement de studios son-image, de régies, initiatives qui sont relativement
inconcevables dans des structures publiques ou strictement marchandes.
Le service pédagogique, qu’il soit culturel, socio-culturel, social, sportif, est bien évidemment
essentiel et celui vers lequel doivent converger toutes les dynamiques. Là aussi, on constate de
fortes disparités : de quelques bénévoles jusqu’à des équipes qui peuvent rassembler plusieurs
dizaines voire plus de cinquante salariés, aidés ou non par des bénévoles. Dans de telles situations,
les services peuvent être clairement hiérarchisés, avec des animateurs de secteurs (activités
régulières, secteur culturel, social, sportif, jeunes ...), et des animateurs spécialisés (technicien
d’activité, formateur, créateur, animateur-enseignant...). Les directeurs eux-mêmes peuvent, en plus
de leur fonction de coordination, participer directement à ce service : 42% d’entre eux disent faire de
l’animation directe3.
Très souvent, ce secteur diversifié et même d’aspect hétéroclite - en effet, quoi de commun sous
l’angle de l’activité entre un alpiniste et un joueur de go ! - est coordonné par un conseil d’activité,
1
Christian Lucie, op. cit., p 68.
2
Bien évidemment, plus on remonte dans le temps et plus les directeurs de MJC assuraient ces
fonctions. “Dans la première MJC que j’ai dirigée à la fin des années 40, je devais entretenir le feu de
18 poêles ...” Entretien avec Jean Destrée, ancien délégué régional Ile-de-France (FFMJC).
3
Ch. Lucie, op. cit., p 67. Nous verrons comment à travers l’histoire des MJC, le contenu de travail du
directeur évolue, vraisemblablement de l’animation directe dominante à la coordination, ce qui
positionne plus aujourd’hui le directeur de MJC en chef d’entreprise qu’en animateur.
- 71 d’animation ou un conseil de maison1 composé de salariés, de bénévoles, voire même d’adhérents,
pratiquant régulièrement une ou plusieurs activités.
D’autre part, il est courant que chaque secteur d’activité, et même chaque activité, ait ses propres
structures d’animation définissant les actions, leur évolution et leur gestion financière dans les
cadres définis par les instances de décision globale (assemblée générale, conseil d’administration et
bureau). La plupart des MJC encouragent et soutiennent la prise de responsabilité et “l’autoorganisation” dans les activités elles-mêmes, c’est à dire au plus près des adhérents et des usagers,
encore que nombre d’entre elles - et c’est une évolution historique sur laquelle nous aurons
l’occasion de revenir - se contentent de proposer des activités ou des produits, de plus ou moins
grande qualité, à des usagers, sans que ceux-ci ne soient invités à intervenir sur les choix.
Ainsi la boucle est bouclée. Nous sommes partis des usagers-adhérents constituant la base large
de l’espace décisionnel pour retrouver ces usagers comme objets de l’opérationnel. Cette
organisation-type de la Maison des Jeunes et de la Culture appelle quelques remarques importantes
pour la poursuite de notre analyse :
1) A la différence de l’organisation publique (service municipal par exemple) et de l’entreprise
purement marchande, où les usagers et les clients ne sont pas les décideurs, sauf de manière très
indirecte, la Maison des Jeunes et de la Culture ne fonctionne pas de manière linéaire, mais en
quelque sorte de manière circulaire, dans la mesure où les usagers sont réellement ou
potentiellement à la base de la décision.
Les usagers sont au commencement de la décision, pourrait-on dire, par deux itinéraires :
l’itinéraire décisionnel proprement dit, par définition des orientations et mandat électif ; l’itinéraire
opérationnel, d’une manière plus régulière, par l’expression directe dans les conseils d’activités,
d’animation et les commissions. C’est cette double articulation démocratique, qui dynamise le
fonctionnement de la MJC et sa fonction de formatrice de citoyens, même si ce double itinéraire est
générateur de conflit2, conflit possible entre les décisions du conseil d’administration, appuyé sur la
légitimité de l’assemblée générale, et l’expression, voire la contestation, des adhérents et des
acteurs, regroupés dans les structures opérationnelles. Ce sont, du reste, généralement les
adhérents et bénévoles qui se sont manifestés dans l’opérationnel et ses structures intermédiaires
(conseil d’activités, d’animation et de maison, commissions), qui animent et contestent les élus dans
le cadre de l’assemblée générale annuelle, jusqu’à présenter leur candidature contre eux3.
Autrement dit, le décisionnel, au fonctionnement relativement conventionnel et formel, est dynamisé
1
Nous aurons l’occasion de revenir longuement sur l’histoire, la fonction et la quasi-disparition des
conseils de maison.
2
Les MJC se réclament souvent d’une pédagogie du conflit et de l’affrontement (Rassemblement
National des MJC [FFMJC], 29-30-31 mai 1982, textes préparatoires).
3
Ce sont les conseils de maison qui, comme nous le verrons, ont fortement dynamisé jusqu’à la fin des
années 70 les MJC et leurs conseils d’administration initialement composés de notables.
- 72 par la vitalité quotidienne de l’opérationnel. Ainsi l’opérationnel est-il le champ d’expérimentation à
plusieurs niveaux - élémentaire dans l’activité, et d’une manière plus élaborée dans les conseils et
commissions - de la démocratie, de la citoyenneté et de l’engagement, qui doivent s’affirmer d’une
manière institutionnelle dans l’espace décisionnel jusqu’aux prises de responsabilités majeures.
2) La Maison des Jeunes et de la Culture, à la différence des associations traditionnelles,
généralement composées des seuls adhérents individuels, est une structure institutionnellement
ouverte par le partenariat qu’elle met en jeu, aussi bien dans les espaces décisionnels (membres de
droit, associés, élus, personnels) qu’opérationnels (commissions de réflexion, de travail, cellules
opérationnelles). C’est ce qui constitue son caractère cogestionnaire original, qui la distingue des
associations traditionnelles et de la majorité des mouvements.
3) La MJC est un système organisé plus ou moins complexe et hiérarchisé, de
responsabilités et de fonctions. Sa gestion associative n’exclut donc pas la hiérarchie et une division
du travail1 grandissante, au fur et à mesure qu’elle acquiert de l’importance. De ce point de vue-là, la
Maison des Jeunes et de la Culture à gestion associative n’échappe pas à la logique de toute
entreprise qui, se développant, voit ses fonctions se hiérarchiser et son travail se diviser, passant en
quelque sorte de la “coopération simple” au “machinisme industriel”, pour reprendre d’une manière
large deux catégories du Capital de Marx.
Cependant, si l’on peut appliquer aux Maisons des Jeunes et de la Culture le schéma général de
l’entreprise défini par Fayol2, il n’en reste pas moins vrai qu’elles ont une caractéristique essentielle :
leurs adhérents, usagers ou publics, ainsi que les partenaires pour lesquels elles remplissent un
service d’intérêt général - autrement dit, leurs clients individuels et collectifs, objets de la fonction de
destination - sont en même temps les décideurs, ceux qui définissent les préférences et déterminent
les choix de la fonction de direction. On pourrait dire que “les clients”, privés ou publics3, sont en
même temps les “détenteurs des capitaux” nécessaires au fonctionnement de la MJC et à la
réalisation de ses objectifs. Nous retrouvons là la forme circulaire de l’organisation, les “objets” de
l’opérationnel étant à la fois “sujets” du décisionnel, ce qui définit la MJC comme association sans
but lucratif privé, les décideurs n’ayant pas le droit de partager les bénéfices4.
1
Ceci mérite d’être signalé dans la mesure où d’une part la vie associative est souvent synonyme de
fonctionnement communautaire non hiérarchisé et égalitaire et que d’autre part, pendant
longtemps, les valeurs de référence des MJC furent assez contradictoires avec les logiques
nécessaires de hiérarchisation de leurs foncions et de la division du travail. L’application obligatoire
de la convention collective de l’animation socio-culturelle qui prévoit neuf fonctions professionnelles
atteste clairement de cette division hiérarchisée du travail.
2
Voir Ch. Lucie, op. cit., p. 39 (annexe).
3
Il n’y a rien d’aberrant à considérer la collectivité comme un client qui passe contrat avec la MJC sur
les missions et les moyens. La subvention prend ainsi un autre sens : ce n’est plus un acte de
donation visant à satisfaire l’intérêt individuel d’adhérents, mais la matérialisation de l’achat d’un
service d’intérêt général que la collectivité choisit de sous-traiter.
4
Il y a encore beaucoup de confusion sur le sens d’“association sans but lucratif”. Certains, y compris
dans les associations, pensent qu’elles ne doivent pas faire de bénéfices et donc être toujours en
- 73 4) Dans cette organisation, le directeur occupe une place centrale à l’interface de
l’opérationnel et du décisionnel : il remplit des fonctions multiples, variables et différemment dosées
selon les postes de travail occupés.
c) place et fonctions du directeur
Le directeur de la Maison des Jeunes et de la Culture a cette faculté définie par son statut dans
l’association, de participer à la décision et de coordonner sa mise en oeuvre. Dans l’espace
décisionnel, il a le statut de membre de droit avec voix délibérative dans les instances de décision
majeures : assemblée générale et conseil d’administration. Sa fonction y est essentiellement
pédagogique1 ; il forme, conseille et aide les administrateurs à l’élaboration des projets et à la prise
de décision, en fonction de deux critères essentiels : la prise en compte de la commande sociale, et
le respect des objectifs et des grands principes de fonctionnement de la MJC. Ce rôle pédagogique
n’est pas purement formel. Le directeur est également force de propositions concrètes et c’est, du
reste, souvent ce que ses partenaires attendent de lui, pour répondre aux besoins des publics et
acteurs divers de l’espace social concerné par la MJC. Le directeur est donc un pédagogue impliqué
dans le contenu - et pas seulement dans la forme - de la décision, la question étant de savoir lequel,
du contenu de la décision ou de la forme démocratique avec laquelle elle a été prise, importe le plus.
De ce point de vue, on peut repérer une différence essentielle entre un directeur de MJC et un chef
d’entreprise : le second met également en oeuvre une pédagogie2 qui reste cependant un moyen au
service de la création de la richesse et du profit, alors que le premier peut considérer que les actions
menées ne sont qu’un moyen de formation de citoyens par l’expérimentation sociale. Mais de ce
point de vue-là aussi, on peut voir comment de nombreuses MJC ont évolué vers une certaine
inversion des finalités et des moyens.
Le directeur de Maison des Jeunes et de la Culture a également pour mission - celle qui occupe
la plus grande partie de son temps - de coordonner et de contrôler la mise en oeuvre des décisions :
organisation du travail, programmation des opérations et des actions, entretien des espaces et des
outils techniques, gestion des personnels, conseil et formation des bénévoles. Cette position justifie
que le directeur soit, par exemple, chef du personnel.
Le directeur doit régulièrement rendre compte de ses missions ainsi que de celles de ses
déficit. Cela veut simplement dire que les bénéfices ne peuvent être distribués à des personnes
privées. Du reste, on ne peut acheter une association comme l’on rachète une entreprise privée. La
MJC peut se trouver en dépôt de bilan ; la Fédération régionale (autre association loi 1901) est alors
chargée de la liquidation et de la dévolution de ses biens, sous le contrôle du Ministère de tutelle
(Statuts, art. 24).
1
2
D’où le titre de directeur-éducateur de MJC plutôt qu’animateur.
Voir Jean-Christian Fauvet et Jean-René Fouretout : La passion d’entreprendre, Éditions
d’organisation, 1985.
- 74 collaborateurs et bénévoles aux instances de décision, conseil d’administration et bureau de la MJC.
Le directeur se trouve ainsi dans une situation paradoxale : à la fois “formateur” du conseil
d’administration, et responsable devant lui. Ce n’est pas banal, et pour tout dire difficilement
concevable, que dans notre société un salarié (ouvrier, cadre, enseignant, fonctionnaire d’Etat …)
soit “formateur” de la personne, de l’instance ou de l’institution à laquelle il doit rendre compte de son
activité professionnelle. Nous avons en effet montré1 ce que cette situation institutionnellement
réglée avait de paradoxal, et comment elle était à la fois génératrice d’une dynamique pédagogique,
mais aussi source de conflits. Le directeur se trouve en effet, très souvent, en conflit avec des
partenaires - élus associatifs, municipaux, personnels - qu’il a, par ailleurs, formés à la prise de
responsabilité et à la pratique du pouvoir. Comme ces partenaires, regroupés dans le conseil
d’administration, peuvent en cas d’affrontement grave demander la remise à disposition du directeur
à la Fédération régionale, on peut juger du danger que représente parfois pour le professionnel son
engagement pédagogique.
La situation ne serait pas seulement paradoxale mais institutionnellement contradictoire, si le
directeur était, comme c’est souvent le cas dans les Centres sociaux ou les Maisons de quartier2,
employé de l’association. Il aurait pour mission de former les membres d’un conseil d’administration
qui serait, en même temps, son employeur. La mise à disposition du directeur auprès de la MJC par
l’appareil fédéral, qui assume ainsi les responsabilités d’employeur, permet généralement de
débloquer les situations conflictuelles en garantissant, d’un côté les intérêts et l’avenir professionnel
du directeur, et en évitant, d’autre part, à la MJC de s’enliser dans le conflit, ou d’avoir recours au
licenciement3.
A la place où il est situé, le directeur remplit différentes fonctions décisionnelles et opérationnelles
que l’on peut regrouper - comme l’a fait Christian Lucie, en s’appuyant sur le modèle de l’entreprise
de Fayol4 - en quatre grandes catégories : la direction proprement dite, la distribution, la production
et la logistique. Ce sont les fonctions logistiques qui accaparent le plus les directeurs: pour près de
60% d’entre eux, ils y consacrent en moyenne 33% de leur temps de travail, la fourchette variant de
20 à plus de 50%. Ensuite viennent les fonctions de direction (27% en moyenne pour une fourchette
variant de 10 à 50%), les fonctions de production (21% du temps de travail avec un écart allant de 5
1
Comment le directeur-éducateur des Maisons des Jeunes et de la Culture peut-il être à la fois
“formateur” du conseil d’administration et responsable devant lui ? Analyse d’un paradoxe
institutionnel - Ronéo (40 p.) 1982.
2
Il est assez courant que des animateurs de centres sociaux et socio-culturels soient licenciés par des
conseils d’administration qu’ils ont contribué à former.
3
A titre d’exemple, la FRMJC Méditerranée et son délégué ont dû, en 1990, muter “pour nécessité de
service” huit directeurs sur trente en raison des situations conflictuelles qu’ils connaissaient sur leur
poste de travail.
4
Op. cit.
- 75 à 35%), et enfin les fonctions de distribution (19% du temps de travail pour une fourchette de 5 à
40%).
Ces données appellent quelques remarques :
1) La participation à la décision, totalement comprise dans la fonction de direction, n’occupe
pas la totalité de cette fonction qui, par ailleurs, n’est pas la plus importante en investissement de
temps. Certes, aucun directeur ne se soustrait aux grandes fonctions décisionnelles : 95% d’entre
eux rassemblent les données, 100% informent élus et personnels, 84% les motivent, 68% les
forment, 71% décident. Le directeur n’est donc pas un simple exécutant ou contrôleur technique,
sorte de contremaître, de l’exécution de décisions auxquelles il n’aurait pas participé.
Mais il n’en reste pas moins vrai que les fonctions opérationnelles occupent la plus grande partie
de son temps. Parmi ces fonctions, on dénombre les activités de contrôle de l’exécution des
décisions, classées par Christian Lucie dans les fonctions non décisionnelles de direction,
l’ensemble des fonctions de distribution (attente des adhérents, inscriptions aux activités,
organisation de ces inscriptions et suivi des paiements, relations avec les adhérents, publicité), la
totalité des fonctions de production (mise en place, coordination et contrôle de la qualité des
activités, animation directe), et enfin les fonctions logistiques (achat de fournitures, commandes
d’équipement, entretien du matériel et des locaux, recrutement et contrôle du personnel,
comptabilité, recherche de financements, amélioration des activités et administration générale).
Malgré, donc, le développement de la division des fonctions et du travail, le directeur de Maison
des Jeunes et de la Culture reste un touche-à-tout : bricoleur le matin, comptable à midi, hôtesse
d’accueil et animateur l’après-midi, administrateur et négociateur le soir, colleur d’affiches la nuit ... Il
faut encore l’imaginer dans la même journée entretenant les locaux et le matériel en bleu de travail,
et négociant en costume-cravate projets et subventions chez le député-maire.
2) Si tous les directeurs disent remplir peu ou prou toutes ces fonctions décisionnelles et
opérationnelles de direction, de distribution, de production et logistiques, il faut bien remarquer qu’eu
égard au temps que chacun y consacre, les “dosages” ne sont pas les mêmes pour tous les postes.
Selon l’enquête de Christian Lucie concernant un groupe pourtant limité de directeurs (une
vingtaine), les écarts sont considérables : de 20 à 55% du temps pour les fonctions logistiques, de
10 à 50% pour les fonctions de direction, de 5 à 35% pour les fonctions de production, et enfin de 5 à
40% pour les fonctions de distribution. Aussi peut-on se demander, eu égard à l’importance “temps”
des fonctions remplies, si les directeurs de MJC font réellement le même travail. Est-ce que changer
de poste ne signifie pas, très souvent, changer de profession ? Et qu’est-ce qui fait l’unité
professionnelle d’une telle diversité ?
- 76 -
Missions
C
B
L
E
H
K
D
G
J
Action socio-éducative
structure
MJC
I
Action culturelle
prioritaires
de la
F
A
Action sociale
direction
distribution
production
logistique
Fonctions dominantes du directeur
On pourrait, en fait, dresser une typologie des postes de travail selon deux axes : la diversité des
missions prioritaires de la structure (action sociale, action socio-éducative, action culturelle, etc...), et
la diversité des fonctions dominantes du directeur :
Nous avons déjà là, en ne prenant en compte que ces quelques critères très approximatifs,
affaire à 12 “profils de poste”1 différents et possibles.
Mais on peut aller plus loin dans la typologie et dans la diversité des postes de travail, si l’on
considère, toujours selon Ch. Lucie, que les quatre grandes fonctions regroupent au total 22 sousfonctions.
La division, presque à l’infini, des profils de poste, a cependant ses limites et entre en
contradiction avec la fonction elle-même : si un directeur de MJC passe, par exemple, la majeure
partie de son temps à accueillir les adhérents, il fait, en fait, un travail d’hôtesse d’accueil qui ne peut
justifier son salaire, et pour lequel il n’a pas forcément toutes les compétences. Même chose par
exemple pour un directeur qui passerait la plus grande partie de son temps à entretenir locaux et
matériel, à faire de la comptabilité ou à animer des activités. Ce serait en fait un ouvrier d’entretien,
un comptable ou un animateur.
Une telle diversité des postes, ainsi que toutes les dérives possibles que cette diversité peut
engendrer, ne sont pas pure hypothèses d’école. Combien de directeurs passent une grande partie
de leur temps à des tâches qui ne sont pas de leur ressort, et pour lesquelles ils ne sont pas formés
? La définition du travail du directeur et des fonctions prioritaires qu’il doit accomplir, occupent
beaucoup les conseils d’administration, et sont souvent sources de divergences entre les
administrateurs, voire de conflits avec le directeur lui-même2. Dans de telles situations, il relève des
1
La question du “profil de poste” revient souvent à la FFMJC notamment à l’occasion du mouvement
national des directeurs.
2
Deux cas à titre d’illustration :
- 77 missions de l’appareil fédéral de clarifier les situations professionnelles, de permettre aux
administrateurs de comprendre ce que devrait être le rôle d’un directeur, et de trouver les solutions
humaines et financières qui déchargeront le directeur de tâches secondaires1.
Sans considérer les anomalies professionnelles que l’Institution s’efforce de corriger, il reste vrai
que la diversité des profils de poste est considérable, comme s’il y avait une diversification, voire une
division du travail, interne à la profession elle-même. La situation apparaît plus complexe encore,
quand on considère que de nombreux directeurs de MJC sont mis à disposition de structures qui
n’ont rien à voir avec les MJC : offices culturels, municipalités, comités d’entreprise, sociétés de
production, groupements d’intérêt économique … : 8 professionnels sur 30 pour la seule FRMJC
Méditerranée qui, il est vrai, bat tous les records en la matière.
Autrement dit, on peut considérer que la profession de directeur de MJC est traversée par trois
axes de diversification : les missions (culturelles, sociales, socio-éducatives, voire économiques et
urbanistiques), les fonctions (direction, production, distribution et logistique), et les structures auprès
desquelles ils peuvent être mis à disposition (MJC, associations diverses, structures privées et
commerciales2, organismes publics).
Une telle situation laisse soupçonner les difficultés du recrutement, de la formation et de la
gestion des directeurs des Maisons des Jeunes et de la Culture. En effet, comment un recrutement
unique - mêmes épreuves et mêmes critères d’évaluation - peut-il permettre de répondre à la
diversité des postes de travail ? Quels programmes de formation initiale et continue faut-il prévoir
pour satisfaire à la multiplicité des contenus de travail ? N’importe quel professionnel peut-il occuper
n’importe quel poste3 ? A la FFMJC, le choix est de former ce que l’on appelle déjà depuis longtemps
des “spécialistes de la généralité” et, plus récemment, des “gestionnaires de la complexité”. A
l’UNIREG, il n’y a pas réellement une politique nationale de recrutement, de formation et de gestion
du personnel, les recrutements et les mutations ne dépassant guère le niveau régional,
départemental ou même local. Nous verrons plus loin, dans une approche historique, comment une
- à Lunel (Hérault), la nouvelle directrice et, avec elle, le conseil d’administration de la MJC,
demandent à la municipalité, et à juste titre, que la subvention soit augmentée, pour faire passer à
plein temps un poste d’accueil-secrétariat-comptabilité, cela afin de décharger la directrice de
fonctions d’exécution, et ainsi lui permettre de s’investir dans un dispositif de développement social
urbain souhaité par le maire ;
- à Apt (Vaucluse), le Président démissionne car il considère que le nouveau directeur devrait chaque
jour ouvrir et fermer les portes, et, le samedi, transporter les enfants qui vont en escalade. Un débat
général s’engage sur la définition des missions du directeur.
1
Dans ce cas-là, l’argument économique joue : “un directeur qui passe son temps à balayer ou à faire
de l’accueil, c’est trop cher et non productif”.
2
La FRMJC Méditerranée compte, ou a compté, dans ses rangs, un professionnel directeur d’une
société de production théâtrale et télévisuelle, et un professionnel coordinateur d’un Groupement
d’Intérêt Économique “Ovins région PACA”.
3
“Quand je suis arrivé à la MJC de Briançon, on m’a demandé de diriger une radio qui était, et est
toujours, en situation financière critique. Je n’y connaissais rien ... Ca m’a pris beaucoup de temps et
a sans doute fragilisé ma situation de directeur de la MJC”. Entretien avec Alain Trapet.
- 78 description de l’évolution des missions et des contenus de travail des directeurs de MJC éclaire les
transformations des missions des MJC elles-mêmes, ainsi que les contradictions qui peuvent
apparaître entre les transformations rapides de ces missions et le maintien, quasiment en l’état, de
l’organisation institutionnelle des structures.
d) le processus de “gestion démocratique”
Notre analyse descriptive nous a permis de mettre en évidence cette double articulation
démocratique du décisionnel et de l’opérationnel caractéristique du fonctionnement de la Maison des
Jeunes et de la Culture, ainsi que la place centrale qu’y occupe le directeur-éducateur. Cette
“gestion démocratique” - nous employons à dessein cette expression courante, notamment à la
FFMJC - mérite qu’on s’y attarde, ne serait-ce que pour en montrer, à l’aide d’exemples, les enjeux
pédagogiques, les processus et leurs rythmes, et également les manquements.
L’enjeu affirmé de ce processus, qui peut apparaître compliqué, labyrinthique, semé d’obstacles
initiatiques1, est de conduire le simple usager à une responsabilité associative, et au-delà, politique,
de l’aider éventuellement à parcourir le long chemin qui le mène de la pratique d’une activité
collective au fauteuil de maire de la commune. Et il est bien vrai, comme nous aurons l’occasion de
le montrer, que de nombreux élus locaux, départementaux, régionaux ou nationaux sont également
le “produit” de la vie associative et notamment des Maisons des Jeunes et de la Culture2.
Or les motivations qui poussent un individu à entrer dans une Maison des Jeunes et de la Culture
sont très diverses : pratiquer une activité précise proposée par la MJC, proposer un projet personnel
et nouveau, une activité nouvelle, rencontrer d’autres personnes, et ainsi se créer des liens sociaux
et affectifs indispensables, occuper son temps libre ... Face à cette diversité de la demande, plus ou
moins clairement exprimée, l’accueil est essentiel. Il n’est pas uniquement “technique”, simplement
informatif3. Le futur adhérent doit se sentir accepté, écouté, mais il doit en même temps comprendre
que la satisfaction des besoins, la réalisation de ses projets passe par la soumission à certaines
règles décidées et modifiables collectivement4.
1
De ce point de vue-là, on pourrait établir des comparaisons entre les structures de jeunesse et
d’éducation populaire, et les dispositifs initiatiques bien mis en évidence dans les sociétés dites
primitives. Le scoutisme traditionnel en est l’exemple le plus éclairant puisqu’il va jusqu’à emprunter
à l’image qu’il se fait de ces sociétés, l’ensemble de la panoplie : langage, épreuves, totems, rites de
passage. Les MJC, elles, proposent également ce que l’on pourrait nommer un parcours initiatique de
la formation démocratique (voir notre petite contribution “Propositions pour l’éducation populaire”
1989, diffusion FRMJC Méditerranée).
2
Les MJC, et avec elles l’ensemble de la vie associative, constituent ainsi des espaces de notabilisation
différents des espaces plus traditionnels : professions libérales, syndicats et partis.
3
Sensibles à l’importance de cette fonction, les Centres sociaux et socio-culturels ont souvent créé
des postes “d’animatrice d’accueil”.
4
L’accueil et l’intégration associative des adolescents, notamment ceux des milieux les plus
défavorisés, est la plus difficile. L’expérience et toutes les études (voir par exemple l’étude que nous
avons conduite à Aix-en-Provence “Images et organisation de la jeunesse”, 1990, diffusion FRMJC
- 79 Ainsi, la définition d’un règlement intérieur peut-elle être très formatrice : en 1980, à la MJC de
Béziers “Trencavel”, l’élaboration d’un règlement intérieur concernant les prêts de salles et de
matériel aux personnes et aux associations, fut l’occasion de poser des problèmes de fond touchant
à la vie socio-culturelle locale : place de la vie associative par rapport à la MJC, nécessité d’avoir
une banque de matériel à la disposition des associations, responsabilités de chacun et notamment
de la municipalité vis à vis des besoins des personnes, des groupes et des associations, nécessité
d’obtenir pour la MJC des locaux supplémentaires, ce qui fut fait l’année suivante ; il fut également
décidé que le directeur ne devait pas avoir seul la responsabilité des prêts de salle et de matériel,
que ce n’était pas uniquement un acte logistique, et que cela incombait au bureau qui se réunissait
une fois par semaine…
Il n’est pas rare que des personnes entrent à la MJC avec un projet personnel ; activité,
animation, création, diffusion. Ils sont déjà des interlocuteurs individuels ou collectifs actifs. Après
entretien avec le directeur ou un animateur, qui présentent le cadre institutionnel et matériel dans
lequel pourrait se décider et se réaliser le projet, le ou les “proposants” sont invités à participer à une
instance de concertation ou de décision, où il sera possible d’exposer le projet et éventuellement
d’en définir, après décision, les conditions de réalisation : commission, conseil d’activité, bureau et
même conseil d’administration. A titre d’exemple : le bureau de la MJC de Béziers, qui se réunissait
régulièrement chaque samedi de 10 h à 12 h, était un lieu privilégié de contact entre la structure et
les personnes porteuses de propositions nouvelles.
Plus couramment, les usagers entrent à la MJC pour participer à une activité déjà en place. C’est
le cas le plus banal, mais aussi le plus difficile pédagogiquement. Comment faire pour que la grande
masse d’usagers globalement satisfaits de la consommation de leur activité1 puisse accéder à la
prise de responsabilité la plus élémentaire ? Le premier contact est, certes, important, mais l’on
constate que le discours institutionnel et pédagogique est très souvent inopérant sur une personne
qui est venue “consommer” du théâtre, de la danse ou de la gymnastique volontaire.
La gestion collective de l’activité est souvent un bon moyen pour que les adhérents prennent la
parole et fassent des propositions. A la MJC de Béziers par exemple, il avait été décidé que l’activité
gymnastique volontaire aurait une gestion et un secrétariat tournants, responsables de
l’encaissement des cotisations, et de l’animation de débats susceptibles de faire naître des projets :
sorties nature, repas, choix d’investissements dans le cadre du budget défini par les instances de la
Méditerranée) montrent que ces jeunes sont généralement à la recherche d’espaces libres de toute
règle, et que leur droit est souvent celui du premier occupant.
1
Certes l’élargissement aux publics populaires de la pratique d’activités culturelles ou sportives
préalablement réservées à un groupe social, constitue en soi un acquis de l’action éducative et
culturelle. Mais ce n’est qu’un élément de la réalisation du projet pédagogique des MJC (prise de
conscience des aptitudes, développement de la personnalité - statuts, art. 2) qui en compte un
deuxième sans doute plus essentiel : la formation “de citoyens actifs et responsables d’une
communauté vivante”.
- 80 Maison des Jeunes et de la Culture. Afin d’amener les adhérents à un premier niveau de
responsabilité, le conseil d’administration considérait que les activités devaient s’autogérer dans le
cadre des orientations et des choix budgétaires définis par les instances de décision.
L’expérience montre que la gestion des moyens mis à disposition de l’activité peut être une
première étape vers des responsabilités plus importantes : participation au conseil d’activité, à
l’assemblée générale - ne serait-ce que pour défendre son budget - et éventuellement au conseil
d’administration et aux commissions. Ainsi à la MJC de Béziers-Trencavel, on a pu se rendre compte
qu’après plusieurs années de telles pratiques, la commission d’animation où se définissaient les
projets les plus innovants était composée - entre autres - de personnes venant de la gymnastique
volontaire ou de la peinture sur soie, qui sont considérées généralement comme des activités de
simple consommation. Au début des années 80, la présidente était une adhérente de la peinture sur
soie arrivée à la MJC quelques années auparavant.
Les élus des conseils d’administration sont en effet très souvent “originaires” d’activités
fonctionnant en collectifs et qui ont déjà un fonctionnement démocratique élémentaire : activités
culturelles, de création ou de loisirs1. Les activités dites d’enseignement (cours d’instrument de
musique par exemple) sont moins pourvoyeuses d'élus associatifs. Pour ces usagers, le rôle de la
MJC se limite à la réalisation du premier élément du projet : prise de conscience et développement
des aptitudes à être un musicien, un peintre... Les techniciens d'activités, animateurs généralement
vacataires ou saisonniers, y sont souvent perçus comme des enseignants, et chaque fois qu'il y a
enseignement, l'usager retrouve un comportement conforme à celui qu'induit la pratique
institutionnelle de l’enseignement2.
Faut-il conclure que le projet de la MJC ne se réalise jamais aussi bien qu'en l'absence
d'animateur enseignant salarié, et sous la responsabilité du seul collectif ? Vraisemblablement non.
Une discipline enseignée par un bénévole ne détermine pas davantage les adhérents à prendre des
responsabilités, si ce bénévole n'anime pas la vie collective. D'autre part, une vie collective
favorisant la prise de responsabilité peut se développer avec la présence et le soutien d'un
technicien d'activité salarié. C'est là que le directeur-éducateur de la MJC a un rôle pédagogique à
jouer, en formant bénévoles et salariés de la structure à la pratique institutionnelle de prise de
responsabilité. La majorité des Maisons des Jeunes et de la Culture prévoient du reste un budget
spécifique de formation pédagogique des acteurs bénévoles et professionnels.
Les exemples et leur description montrent que le projet de formation de “citoyens actifs et
1
A la MJC "Prévert" d'Aix-en-Provence, le conseil d'administration était, en 1989, composé en grande
partie d'adhérents venus des activités de pleine nature (escalade, ski de fond, ski de randonnée,
randonnée pédestre), qui se caractérisaient par une vie collective intense. On a même parlé de prise
de pouvoir abusive de ces activités, ce qui n'était qu'un prise responsabilité induite par la pratique
même.
2
Cette constatation laisse augurer des difficultés à vouloir démocratiser - si cela était souhaité - les
structures scolaires.
- 81 responsables d'une communauté vivante” se réalise dans une double articulation du décisionnel et
de l'opérationnel : les activités, les actions, leurs adhérents et usagers, sont dans l'espace
opérationnel, articulés entre eux par le conseil d'activités, les commissions par secteur, les
bénévoles et professionnels de l'animation, et articulés avec les instances décisionnelles (Bureau,
CA et AG) par l'intermédiaire des commissions, du conseil d'activité et du directeur.
Le fonctionnement de cette double articulation est particulièrement repérable dans l'élaboration et
l'organisation de l'assemblée générale annuelle. On peut ici en définir un schéma-type induit par les
statuts et les fonctionnements régulièrement pratiqués.
Vers la fin du mois de janvier, les responsables de la Maison des Jeunes et de la Culture
engagent le processus qui conduit à la réunion de l'assemblée générale :
• Réunion d'une commission financière animée par le trésorier avec l'aide du directeur. Cette
commission peut déjà apprécier la situation financière de la MJC par les documents concernant
l'exercice précédent, et fournis par le ou les techniciens de la gestion : compte de résultats, bilan,
situation de trésorerie. Elle peut définir les grandes masses financières du budget de l'année qui
débute et, en particulier, les dépenses difficilement compressibles : fonctionnement général, salaires
et charges, amortissement du matériel, assurances..., et aussi faire des propositions au conseil
d'administration pour les dépenses d'action sociale, culturelle et éducative.
• Sur proposition de la commission financière, le conseil d'administration peut arrêter les
grandes lignes du budget et proposer des orientations d'action générales.
Les différentes structures de concertation et de réalisation peuvent ensuite être réunies :
- le conseil d'activités qui, informé des propositions budgétaires et d'orientation de la
commission financière et du conseil d'administration, devra élaborer après réunion de chaque
collectif d'activité le budget de l'ensemble des activités régulières;
- les commissions d'animation culturelle, sociale, information, formation, etc..., qui sont
invitées à faire de même pour leurs secteurs respectifs ;
[La réunion d'une commission de concertation avec la municipalité sur les questions d'orientation
et de financement apparaît à ce moment nécessaire.]
- la commission paritaire de la gestion du personnel, qui étudie les revendications des
salariés et leurs incidences financières, dans le souci de trouver un accord entre les deux
partenaires (représentants des personnels et représentants de l'employeur).
Forts de toutes ces informations et propositions, la commission financière, le conseil
d'administration et son bureau peuvent définir les orientations et fixer le budget prévisionnel de
l'année en cours. Ces orientations et ce budget sont rassemblés dans un document préparatoire à
l'assemblée générale, qui comprend également les rapports moral, d'activité et financier pour l'année
écoulée. On peut à ce moment-là convoquer l'ensemble des membres de l'assemblée générale et
leur communiquer les différents rapports. Ils auront à se prononcer sur les différents points à l'ordre
du jour.
- 82 L'assemblée générale, qui peut apparaître bien formelle et trop courte pour prendre des décisions
qui engagent l'avenir immédiat de la Maison des Jeunes et de la Culture, aura en fait duré deux
mois. Les adhérents, usagers, responsables bénévoles et professionnels partenaires, sont censés y
avoir été associés dans cette double articulation de l'opérationnel (activités, conseils et commissions)
et du décisionnel (bureau, conseil d'administration, commission et assemblée générale). Le directeur
et l'ensemble de son équipe, notamment les animateurs, y aura joué un rôle prépondérant, un rôle
d'information, de proposition, d'aide à la réflexion et à l'organisation, autrement dit un rôle à la fois
technique et pédagogique.
Toutes les MJC mettent-elles en oeuvre un fonctionnement aussi sophistiqué ? Les plus petites
ont, en général, un organigramme plus simple et moins hiérarchisé, notamment dans sa dimension
opérationnelle. L'assemblée générale annuelle consiste souvent à réunir l'ensemble des adhérents à
qui le conseil d'administration et son bureau rendent compte de l'année écoulée et font des
propositions budgétaires et d'orientation pour l'année à venir. Les MJC les plus importantes
n'échappent généralement pas à un travail de préparation important : réunion du bureau, des
commissions financière et paritaire, du conseil d'administration, rencontre avec la municipalité, les
différents partenaires, les animateurs et responsables des activités. La responsabilisation et la
participation des "simples" adhérents et usagers restent évidemment la chose la plus difficile, si bien
que de nombreuses MJC - et c'est vrai aussi pour l'ensemble les associations - n'arrivent pas à
concerner, sauf conditions et dispositifs exceptionnels, la plus grande partie de leur base. Nous
avons vu plus haut que la participation physique à l'assemblée générale proprement dite reste
généralement limitée : souvent moins de 20% des adhérents. Mais quel service public, notamment
dans les domaines de la culture, du loisir et de l'action sociale, pourrait prétendre aujourd'hui
rassembler, sur simple information et convocation, plus de 20% de ses usagers ?
e) le fonctionnement fédératif
Le fonctionnement fédératif réglé par le principe de la libre affiliation des structures de base induit
une organisation spécifique qui a ses particularités selon les institutions : FFMJC, UNIREG, Centres
sociaux, Foyers ruraux ... Nous nous limiterons ici pour l’essentiel à faire une description
comparative des deux fédérations de MJC.
L’organigramme du fonctionnement fédératif de ces deux institutions se divise également en deux
espaces assez clairement repérables : l’espace décisionnel et l’espace opérationnel (voir les
organigrammes de la FFMJC et de l’UNIREG ci-après).
Au niveau de la FFMJC, l’articulation majeure de ces deux espaces est bien le couple
président/délégué général, à la fois responsables devant les structures affiliées (MJC, Unions
locales, fédérations départementales, fédérations régionales), et “animateurs”, par l’intermédiaire du
réseau opérationnel, de la vie fédérative définie par les instances de décision (assemblées
générales, conseils d’administration nationaux) : la fameuse “commande institutionnelle” au nom de
- 83 laquelle chaque acteur est censé agir.
L’espace décisionnel - qui a sa contrepartie opérationnelle dans les mêmes instances, à tel point
que l’on peut dire que tous les niveaux sont à double face - forme un réseau articulé, plus ou moins
complexe et dense selon les secteurs géographiques. Les Maisons des Jeunes et de la Culture, les
fédérations régionales et la Fédération Française sont les “étages” obligatoires de l’édifice.
FFMJC
MJC
avec directeurs fédéraux
UL
UL
FD
sans directeur fédéral
UL
UL
FD
FD
FRMJC
FRMJC
CA
Décisionnel
FD
FD
FRMJC
FRMJ...
FFMJC
Bureau FFMJC
Président
Délégué général
Commissions
Réseaux
Opérationnel
Services administratifs
et comptables
(CIRP p.ex.)
Service Recrutement
Formation
Chargés de
formation
Délégués
régionaux
Directeurs
Chargés
de mission
Délégués
régionaux
Services
administratifs
Service culturel,
publications
Chargés de
formation
Délégués
régionaux
Délégués
régionaux
Services
administratifs
Délégués
régionaux
Chargés
de mission
Directeurs
- 84 Les autres instances (unions locales, fédérations départementales) sont en quelque sorte
facultatives.
Regroupements volontaires de MJC sous forme associative, les UL et FD ont pour mission
essentielle de coordonner, au plus proche du terrain, l’action des structures notamment de celles qui,
ne bénéficiant pas de directeurs fédéraux, entretiennent souvent de ce fait des liens faibles avec
l’institution. Dans certaines régions où le réseau des MJC est dense, mais composé de petites
unités, les unions locales et les fédérations départementales sont particulièrement développées, en
Lorraine par exemple. Ces instances peuvent bénéficier d’un directeur fédéral qui joue ici le rôle de
coordinateur. Les actions concrètes de ces UL et FD sont variables : formation des bénévoles et des
professionnels des maisons, organisation d’opérations concertées inter-MJC et avec leurs
partenaires, négociation de moyens et de projets auprès des instances politiques locales (conseils
généraux, municipalités, syndicats intercommunaux, regroupement de communes). A titre
d’exemples : la Fédération départementale des Maison des Jeunes et de la Culture des Bouches du
Rhône, animée par des directeurs et des administrateurs des MJC de base, coordonne des actions
de formation de bénévoles, un circuit de cinéma inter-structures (MJC, centres sociaux, maisons de
quartiers, foyers socio-éducatifs…) et les rencontres départementales de théâtre des lycées et
collèges. Elle reçoit une subvention annuelle du Conseil général d’environ 50.000 F. L’Union locale
des MJC de la basse vallée du Buech (Hautes Alpes), elle, tente d’animer un projet local de
développement social, culturel et touristique. Dotée d’un directeur de MJC en formation qui mène,
sous la responsabilité d’un comité de pilotage, une recherche-action sur les jeunes en milieu rural,
cette union locale espère le soutien des différents partenaires (municipalité, Etat, conseil général,
conseil régional) qui lui permettrait de bénéficier de la mise à disposition d’un professionnel pouvant
coordonner un projet local d’envergure.
De leur côté, les Fédérations régionales des Maisons des Jeunes et de la Culture, maillons
obligatoires entre la MJC de base et la FFMJC, ont des missions générales plus clairement définies :
coordination de la vie fédérative et organisation du partenariat régional, emploi et gestion des
personnels fédéraux, mouvement de directeurs qu’elles mettent à disposition des structures de
terrain. Comme les MJC, les UL, FD et la FFMJC, les fédérations régionales sont des associations
loi 1901, partenariales et cogestionnaires, rassemblant des représentants des MJC en majorité1,
mais aussi des représentants du personnel, de la FFMJC, de l’Etat, des collectivités territoriales et
des mouvements, associations, fédérations avec lesquels la FRMJC travaille. Comme les autres
instances, les FRMJC ont une assemblée générale, rassemblant les partenaires et les représentants
des maisons, qui élit un conseil d’administration, lequel forme son bureau. Ce conseil
1
Les MJC ont un nombre de voix au prorata du nombre d’adhérents déclarés et pour lesquels elles
paient une cotisation dont le montant est fixé par l’AG régionale : de 0 à 75 adh. = 1 voix ; de 75 à
200 adh. = 2 voix ; de 200 à 500 adh. = 3 voix ; de 500 à 1.000 adh. = 4 voix ; et ensuite une
voix de plus par tranche de mille adhérents.
- 85 d’administration s’entoure de commissions : paritaire du personnel, formation, financière, ou “à
thème” selon les opérations conduites1. Gestionnaire de budgets plus ou moins importants selon le
nombre de MJC affiliées et de personnels employés2, la Fédération régionale et son conseil
d’administration doivent rendre compte aux MJC de cette gestion et de la réalisation des orientations,
dans le cadre notamment de l’assemblée générale annuelle. Comme au niveau national et local, le
maillon articulateur de l’opérationnel et du décisionnel est principalement un professionnel : le
délégué régional mis à disposition de la FRMJC par la FFMJC, et membre de droit de son conseil
d’administration.
La Fédération Française des Maisons des Jeunes et de la Culture3 a sa propre assemblée
générale composée de représentants des autres niveaux institutionnels (MJC, UL, FD, FR4) et des
différents partenaires nationaux (Etat, autres fédérations nationales), assemblée générale qui élit son
conseil d’administration au sein duquel est formé son bureau. Elle s’entoure de commissions de
réflexion et de concertation (notamment avec les représentants du personnel) et de cellules
opérationnelles animées par des professionnels et des administrateurs (commission cinéma, rock,
danse, vidéo, MJC en milieu rural ...). Le Président et le délégué général jouent un rôle prépondérant
d’articulation de l’ensemble de l’Institution. C’est sur eux qui se concentrent tous les enjeux internes
et même externes, comme l’histoire nous le montrera, et évidement tous les conflits liés aux
divergences des échelons inférieurs, à la gestion des salariés, et aux relations avec les partenaires,
prioritairement l’Etat.
La Fédération Française, par son délégué général, coordonne et dirige tout un dispositif
opérationnel, composé de structures (FR, FD, UL et MJC animées par des administrateurs
bénévoles et éventuellement des professionnels), de services et de salariés organisé selon un
système hiérarchisé.
Le centre fédéral, situé à Paris, emploie une vingtaine de professionnels qui lui sont attachés, et
également une vingtaine de délégués mis à disposition des fédérations régionales. L’ensemble de
ces salariés avec diverses missions sont sous la responsabilité directe ou indirecte du délégué
général, qui est leur chef du personnel.
Le centre fédéral (au sens restreint du terme) a également pour mission de gérer techniquement
les personnels (directeurs, délégués chargés de mission, agents administratifs des FRMJC et du
1
A titre d’exemple, la FRMJC Méditerranée a une commission spécifique composée d’administrateurs et
de professionnels, qui “pilote” un service des échanges internationaux et interculturels.
2
Environ 10 millions de francs pour la seule région Méditerranée qui ne coordonne qu’une soixantaine
de MJC et ne gère que 30 salariés.
FFMJC s’entend en une double extension. Au sens large, il s’agit de l’ensemble de ses structures
(MJC, UL, FD, FR et centre fédéral). Au sens étroit, il faut entendre le seul niveau national.
3
4
Là aussi il y a des règles de représentativité : les MJC ont un nombre de voix fixé selon le critère
régional, (elles paient un franc par adhérent à la FFMJC), les UL et FD ont une voix chacune, et les
FRMJC un nombre de voix au prorata des MJC affiliées (1 voix par 10 MJC).
- 86 centre fédéral) dans le cadre d’un service - le CIRP (Centre interrégional de la paie), qui se
transforme en 1990 en SIRP (Service interrégional de la paie) - d’assurer le recrutement de ces
personnels, leur formation initiale et permanente, ainsi que leurs mutations.
L’organigramme des personnels, qui constituent ainsi “l’armature”1 de l’espace décisionnel, et
peut-être même de l’ensemble fédératif, se caractérise par une certaine hiérarchie qui a sa
cohérence. L’ensemble du personnel est en effet géré “techniquement” par l’échelon national, ce qui
nécessite des règles communes de recrutement, de mouvement, de gestion de carrière2 et de
financement3. Mais ces personnes ne sont pas juridiquement les employées de la même instance et
au même niveau : les délégués sont les employés de la FFMJC et mis à disposition des Fédérations
régionales ; les directeurs sont les employés des Fédérations régionales et mis à disposition des
MJC. Le délégué général est le chef de personnel des délégués régionaux, lesquels sont les chefs
de personnel des directeurs.
Le fonctionnement de l’UNIREG MJC présente un dispositif assez comparable, avec cependant
deux différences essentielles repérables dans l’organigramme :
1
2
3
Nous verrons dans l’analyse historique en quoi la gestion des salaires et la place qu’ils occupent dans
la cogestion sont des points sensibles autour desquels se cristallisent enjeux et conflits.
La FFMJC a très tôt une convention collective nationale de gestion de ses salariés.
Le fameux taux moyen national qui prévoit que la mise à disposition d’un directeur passe par la
perception auprès des collectivités locales et de l’État (FONJEP) de la même somme quelle que soit
l’ancienneté du professionnel.
- 87 -
U N I R E G MJC
M J C avec et sans directeur fédéral
UL
UL
FD
FRMJC
CA
FR
UL
FD
FD
FR...
Commissions
UNIREG MJC
Commissions
Décisionnel
Bureau
Délégué général
Opérationnel
Service culturel,
publications
Services administratifs
Délégués
régionaux
Directeurs
Délégués
régionaux
Chargés
de mission
Service Formation
Délégués
régionaux
Délégués
régionaux
Délégués
régionaux
Services
administratifs
1) L’assemblée générale de l’UNIREG nationale ne rassemble pas toutes les structures de
l’ensemble fédératif comme c’est le cas à la FFMJC, mais seulement un représesentant de chaque
fédération régionale. Le niveau régional concentre ainsi la majeure partie des responsabilités
institutionnelles, décisionnelles et opérationnelles, le centre fédéral se limitant à un travail de
représentation nationale, d’information, éventuellement de coordination d’opérations sans véritable
moyen de mise en oeuvre. En effet ce centre fédéral se réduit à une délégation et à un secrétariat,
sans autorité hiérarchique par rapport aux autres échelons décisionnels et opérationnels.
2) Comme à la FFMJC les directeurs et personnels administratifs sont les salariés des
fédérations régionales, mais ils ne sont pas gérés par l’échelon national, si bien qu’il n’y a ni
recrutement, ni mouvement, ni taux moyen national. Selon les régions, les directeurs peuvent être
rémunérés sur des grilles de salaires différentes. D’autre part les délégués régionaux eux-mêmes
sont salariés et gérés par les fédérations régionales. Le délégué général n’a donc aucune autorité
opérationnelle sur eux.
Ces différences de fonctionnement entre la FFMJC et l’UNIREG MJC, héritées de la scission et
des histoires respectives de ces deux institutions, véhiculent des images différentes qui, selon le
- 88 point de vue où l’on se place, sont stigmatisées ou valorisées : FFMJC centralisée, centralisatrice,
organisée en appareil et même pour certains en machine de guerre contre les pouvoirs nationaux,
régionaux et locaux en place ; UNIREG plus libérale mais sans projet, sans cohérence ni politique
nationale.
A la différence de l’UNIREG MJC, et à fortiori des Centres sociaux chez qui les responsables des
structures de base sont employés localement, la FFMJC a-t-elle véritablement le fonctionnement,
l’efficacité mais aussi la raideur d’appareil que son organisation fortement structurée et d’aspect
hiérarchisé laisse supposer ?
Comme le montre Catherine Flament1, la réalité n’est pas aussi simple et, pour ce qui est de la
région Provence-Alpes-Côte d’Azur, assez diamétralement opposée à ce que l’organigramme
statutaire laisse entrevoir.
En effet, si l’on s’en tient à l’observation de l’organigramme et au discours des acteurs, les
Maisons des Jeunes et de la Culture affiliées à la FFMJC ont une forte image d’appareil. A propos de
leur fédération, elles parlent volontiers de “l’Institution”. Au contraire, fait remarquer Catherine
Flament, la Fédération des Centres sociaux de Provence ne parle que de “réseau fédéral” ou de
“réseau des centres sociaux” (18 fois en 16 pages). De même, la Fédération des Oeuvres Laï ques
(Ligue de l’Enseignement) du Var tient aux expressions de “réseau départemental fédéral”, de
“réseau des associations affiliées”.
Or à la FRMJC Méditerranée - et c’est aussi le cas pour certaines fédérations départementales
des Foyers ruraux - les frontières sont assez ouvertes (les critères d’adhésions sont simples et les
cotisations moyennement élévées ; des structures qui n’adoptent pas les statuts MJC stricto sensu
adhèrent à la FRMJC). Dans le même temps, il y a une faible spécialisation des différentes instances
de l’appareil, et une forte délégation de la prise d’initiative des associations de base (formation,
recherche, participation à des commission nationales, innovation...).
Cette institution, qui renvoit souvent l’image d’un appareil, fonctionne en fait en “quasi-réseau”,
alors que le prétendu réseau des Centres sociaux et de la Fédération des Oeuvres Laï ques a les
caractéristiques d’un quasi-appareil, avec effectivement certaines propriétés de l’appareil : frontières
du réseau fédéral très précises, label et règles strictes d’adhésion, cotisations qui peuvent être
élevées, importante spécialisation des rôles (la Fédération assure notamment la fonction stratégique
de négociation avec les partenaires institutionnels).
L’enquête de Catherine Flament, selon des indicateurs ouvrant sur une typologie, confirme le
1
Associations et réseaux (la vie associative comme élément de développement social, économique et
culturel). Étude pour le Fonds de Solidarité et de Promotion de la Vie Associative Provence-AlpesCôte d’Azur, à laquelle nous avons été plusieurs à avoir le plaisir d’être associés en tant que
membres du comité de pilotage (Ronéo, 1989, 60 p.).
- 89 classement des MJC dans le groupe des “réticulés”1, ce qui les distingue des institutions groupales
et mouvements, ainsi que des simples groupes.
D’abord sous l’angle du fonctionnement interne. Malgré leur formalisme apparent, les MJC ont
une vie démocratique qui permet la participation des différents acteurs aux instances de décision,
alors que les Maisons pour Tous Léo-Lagrange et la Fédération des Oeuvres Laï ques auraient un
fonctionnement démocratique essentiellement formel. Ce constat va dans le sens de nos
descriptions du fonctionnement des MJC de base qui, par la mise en oeuvre de pratiques
cogestionnaires, de commissions et de cellules opérationnelles ouvertes, associent un nombre
important de partenaires, aussi bien dans la dimension opérationnelle que décisionnelle. Dans
l’organisation du travail, la réalité est cependant plus nuancée : comme pour la FOL et les Maisons
pour Tous Léo-Lagrange, les MJC affiliées à la FFMJC associent une spécialisation évidente des
fonctions avec une certaine polyvalence et un réel travail d’équipe, même si les fonctions les plus
stratégiques demeurent l’apanage des directeurs. Là aussi, les données recueillies par Catherine
Flament et leur interprétation coroborent nos analyses précédentes ainsi que celles de Christian
Lucie sur les fonctions des directeurs de MJC : à la fois spécialistes et généralistes, à la fois
opérationnels et décisionnels, remplissant des fonctions logistiques de direction, de distribution et de
production.
Ensuite, sous l’angle de la culture associative : en matière de représentation de leur objet, les
MJC insistent sur la transversalité de leur approche, leur rôle de synthèse, leur vision large et leur
action globale, ce qui les conduit, à travers des pratiques cogestionnaires et partenariales à
développer un réseau local horizontal. Le profil de leurs responsables se caractérise par un certain
militantisme social associé à une professionnalisation sur le modèle de l’entreprise2. S’agissant de
l’appareil, de sa hiérarchie et de son formalisme, les MJC et les acteurs de terrain auraient plus
tendance à s’accommoder des règles par une sorte de débrouillardise qu’à les observer
scrupuleusement3. Et aussi étonnant que cela puisse paraître4, les MJC affiliées à la FFMJC
1
Caractérisés en l’occurrence par une action globale, une “débrouillardise avec les règles, une
autonomie et une inter-associativité revendiquées, une spécialisation interne des rôles faible” (C.
Flament, op. cit. p. 16).
2
Le terme d’“entreprise” est de plus en plus employé à la FFMJC. Certains parlent “d’entreprises en
réseau” à la place “d’Institution” pour signifier l’ensemble MJC, UL, FD, FR et FF. Cette modification
de langage est significative d’une transformation de la culture d’entreprise qui, partie d’un
militantisme culturel et social très fort, y compris chez les salariés (le statut de “permanent”),
pourrait aller à une professionnalisation pure. La crise actuelle de la FFMJC pourrait également
s’expliquer par ce basculement de la culture des professionnels de l’entreprise.
3
Là aussi il y aurait beaucoup à dire : le même salarié (les directeurs notamment) peut en tant que
professionnel, pour ce qui le concerne, jouer avec les règles et, en tant que syndicaliste délégué du
personnel, hurler au scandale et stigmatiser la dérèglementation ...
4
Beaucoup d’éléments pouvant, en effet, laisser penser le contraire (organisation centralisée des
orientations, gestion hiérarchisée et également centralisée des cadres) accréditent à l’extérieur, et
même quelquefois à l’intérieur, cette image contraignante et partisane de la FFMJC, image
savamment entretenue par les adversaires de cette institution qui, pour ce faire, s’appuient sur la
- 90 revendiquent une forte autonomie de pensée et une entière capacité à édicter elles-mêmes les
finalités de leur action, à la différence des Maisons pour Tous Léo-Lagrange, des Centres sociaux et
de la Fédération des Oeuvres Laï ques. De plus, les MJC et leurs acteurs se réclament, dans le
discours et la pratique, d’une forte inter-associativité. Elles disent cultiver le réseau, développer le
partenariat avec des structures très différentes, sans pour autant nier la concurrence que peuvent
représenter ces structures. La concurrence est ici gérée autrement, en se situant au centre du
partenariat et de l’inter-associativité, plutôt que par la stratégie de la chasse gardée pratiquée par
d’autres institutions et mouvements (Léo-Lagrange pour les loisirs et les vacances, la Fédération des
Oeuvres laï ques pour le péri-scolaire, les Centres sociaux pour l’action sociale urbaine ...).
Enfin, sous l’angle de l’aire du réseau, les MJC se caractérisent par l’emboîtement de nombreux
cercles sociaux sur un espace large aux frontières imprécises et en extension potentielle
permanente. Le réseau dense très localisé n’exclut pas, bien au contraire, des actions
départementales, régionales et même internationales1.
Selon Catherine Flament2, les “réticulés”, parmi lesquels elle classe les MJC, se définissent par
leur rôle d’articulateur, aussi bien au niveau local que régional, au sens où ils sont “des structures à
la charnière de mondes différents qui trop souvent se ferment les uns aux autres”. Ils se
caractérisent, y compris dans leur dimension locale, par une certaine “modernité”, une forte
préoccupation d’ouverture à l’environnement large, un souci d’image positive par l’utilisation d’outils
de communication performants. Les institutions groupales et les quasi-appareils se préoccupent
moins directement de ces choses-là : elles considèrent souvent que cela relève du niveau fédéral.
Ainsi, toujours selon Catherine Flament, tout se passe comme si “l’organisation réticulée était
mieux adaptée aux mutations sociales en cours et par là-même davantage porteuse de dynamisme,
... ce qui rendrait [les MJC] moins vulnérables que les institutions groupales”3.
Cette organisation d’appareil statutairement et institutionnellement très structuré, aussi bien au
niveau opérationnel qu’au niveau décisionnel, n’est-elle pas contradictoire avec des pratiques locales
et même fédératives en réseau ?
Avant de répondre à cette question, on peut dire que l’étude de Catherine Flament, en mettant en
évidence le fonctionnement réticulé des MJC, nous permet de comprendre pourquoi celles-ci ont
plus de facilité à travailler avec d’autres partenaires, notamment associatifs, qu’à organiser des
prétendue domination des directeurs, de leurs syndicats particulièrement combatifs et notamment
de la CGT. En fait, il s’agit d’un certain anarcho-syndicalisme qui combine attitudes corporatistes,
débrouillardise individuelle et revendications soutenues par un discours très idéologique.
1
Des MJC, même d’importance modeste, mènent des actions qui dépassent le cadre local. La petite
MJC d’Uzès (Gard), uniquement animée par des bénévoles, a d’importantes activités d’échanges
internationaux. La MJC de Cannes-Centre (Picaud) qui est, elle, une grosse structure, a un
rayonnement international considérable, à travers le cinéma notamment.
2
Associations et réseaux, p. 28.
3
Associations et réseaux, p. 28-29.
- 91 opérations concertées entre elles. En effet on ne compte plus les tentatives échouées de vouloir
mener des opérations inter-MJC, même dans des espaces très localisés : circuits culturels,
programmation commune, actions concertées ... La volonté de dynamiser au niveau national des
réseaux culturels inter-MJC permettant de négocier des moyens plus importants auprès des
ministères, se heurte effectivement à ce qu’il faut bien appeler un “basisme” viscéral des structures
locales et de leurs professionnels, qui préfèrent une horizontalité locale réticulée, dans laquelle ils
occupent souvent une position dominante, à une verticalité perçue comme aléatoire et
contraignante. Les réseaux nationaux ou régionaux inter-MJC doivent donc faire l’objet d’un
“entretien” soutenu (vidéo, cinéma, rock, jazz, théâtre, relations internationales, actions en milieu
scolaire...), et remplissent plus une fonction de structures-ressources et de confrontation des savoirfaire que de coordination d’opération collectives concrètes. Autrement dit, il est possible qu’une
opération locale prenne progressivement une dimension départementale voire régionale1, mais il est
difficilement concevable qu’une action inter-MJC puisse se réaliser sur le terrain et d’une manière
concertée par simple décision des instances fédérales régionales et, à fortiori, nationales2.
Le moins que l’on puisse dire, c’est que l’appareil fédératif de la FFMJC n’a rien de contraignant
pour les structures et acteurs de base. Dans le même temps, il n’a pas capacité à imposer la
réalisation de directives nationales qui pourraient donner une image plus cohérente du projet, des
orientations et des productions de l’ensemble fédératif. D’où sans doute cette double face - que
selon les cas et les points de vue on valorise ou stigmatise - des MJC où l’on fait tout et n’importe
quoi, mais où l’on peut aussi tout inventer. Tout y est possible mais rien n’y est certain, ce qui peut
expliquer de la part des acteurs, y compris des directeurs pourtant employés par l’Institution, ce
double sentiment de liberté et d’insécurité3.
A quoi peut donc servir cet appareillage fédératif d’apparence très structuré et très hiérarchisé ?
1
Le développement des rencontres de théâtre des lycées et collèges dans les bouches du Rhône est,
de ce point de vue-là, significatif. L’initiative en revient à deux MJC d’Aix-en-Provence qui
organisent, la première année, des rencontres locales. L’initiative est ensuite reprise par la MJC de
Marseille Corderie et de Martigues qui, par le biais de la Fédération départementale 13, lui donnent
aussi une dimension départementale. Ce n’est que bien plus tard, avec le soutien de la FRMJC
Méditerranée, que ces rencontres prennent une dimension régionale et internationale, d’autres
régions de la Méditerranée y étant associées, notamment la Catalogne et la Campanie (Naples).
L’opération va donc du local au régional ; l’itinéraire inverse parait difficilement concevable.
2
“Certains de nos détracteurs, y compris et surtout à l’intérieur de l’Institution, disent que notre
fédération fonctionne comme un appareil autoritaire et centralisateur. C’est faux et aberrant. Si
c’était le cas, je pourrais donner un ordre à Paris et le voir s’exécuter à Nice, par exemple. Or c’est
totalement inconcevable”. Entretien avec Jean-Claude Lambert, délégué général de la FFMJC. Cette
appréciation est corroborée par Franck Lepage, directeur du développement culturel à la FFMJC, qui
fait état des plus grandes difficultés à faire fonctionner d’une manière productive les réseaux interMJC qu’il a la responsabilité d’animer.
3
Les directeurs de MJC, notamment quand ils sont dans des situations professionnellement
conflictuelles et difficiles, se plaignent de leur isolement, de l’incapacité fédérative à les soutenir et
à régler leurs problèmes. Ils reconnaissent en même temps la liberté d’initiative et de stratégie qui
leur est laissée.
- 92 Ne pourrait-on pas se demander si par exemple à la FFMJC, il ne sert pas à préserver la position
dominante de certains acteurs, notamment des quelque 600 professionnels fédéraux, directeurs de
MJC pour la plupart ? C’est une question “chaude” à laquelle les différents détracteurs1 de la FFMJC
ont répondu par l’affirmative et qui revient à tous les moments conflictuels et de crise de cette
institution : déjà au moment de la République des Jeunes, ensuite de 1967 à la scission de 1969,
enfin depuis la crise ouverte à l’assemblée générale du Mans (1987).
L’approche scientifique de Catherine Flament apporte une autre réponse à la question de ce
hiatus apparent entre le formalisme de cet appareillage fédératif, et un fonctionnement de base
réticulé. “En fait, dit-elle, les “réticulés” ont en commun d’avoir pu établir un lien fort et autonome,
sans dépendance à leur fédération”2. Sur le versant associatif décisionnel, les responsables
administrateurs participent activement aux travaux et à la réflexion de leur fédération ; ils sont des
membres souvent très actifs des instances de décision et de concertation. Pour eux la “Fédé” est
essentiellement un “lieu d’échanges d’idées” ; elle sert à “s’ouvrir la tête”3.
Sur le versant opérationnel, pour les directeurs principalement, l’appareil fédéral sert à “se
réoxygéner”, à “prendre du recul”, à “se dégager des inévitables contraintes quotidiennes”, à “sortir
du bocal et du local”4. En fait l’appareil fédéral sert essentiellement de dispositif-ressource, de
confrontation et de réactualisation des savoir-faire, plus que d’espace où se décideraient et se
coordonneraient des actions concrètes. Son efficience concerne les savoir-faire, pas véritablement la
production5. Mais en même temps, la “Fédé” remplit vis-à-vis de ses professionnels une fonction
quasi-psychanalytique : elle est à la fois le père et la mère, chargés de tous les maux, responsables
de toutes les difficultés et qui devraient régler tous les problèmes6. C’est pour cela que l’appareil
1
Louis Bériot, dont le discours n’est ni tendre ni scientifique, cloue au pilori ces directeurs de MJC,
“maréchaux à 40 ans”, budgétivores, uniquement soucieux de leurs salaires et avantages acquis (Le
bazar de la solidarité, Éditions J.-Cl. Lattès, 1985).
2
Associations et réseaux, p. 32.
3
Associations et réseaux, p. 32.
4
Paroles de directeurs de MJC dans le cadres des Journées d’Étude.
5
Cette situation permet de comprendre pourquoi la FFMJC a du mal à répondre positivement à une
politique de subventionnement sur projets concertés ou sur opérations engageant l’ensemble des
structures qu’elle fédère. Elle obéit à une logique de la démarche et non du produit, à laquelle ne
peuvent répondre que des subventionnements de structure.
6
Quelques formules : “Parmi d’autres, dont le premier est de garantir la paie, la “Fédé” doit remplir
deux rôles essentiels pour les directeurs de MJC : avant l’action, servir d’éclaireur (entendons
apporter les savoir et savoir-faire) ; après l’action, assurer le repos du guerrier (Jean Irrmann,
directeur de MJC, lors des Journées Régionales d’Étude de février 1990). Une épouse de directeur
de MJC : “Mon mari a deux mères, la sienne et la FFMJC ; c’est la seconde qui me pose le plus de
problèmes ...”. A partir de là, on peut se demander si le modèle familial des relations entre la mère
et les enfants n’éclairerait pas quelque peu les crises de la FFMJC d’autant plus aiguës aujourd’hui
que, depuis la régionalisation, la mère est devenue multiforme, que chaque région est jalouse de la
gestion de ses petits, face à un centre fédéral qui accepterait mal le rôle de grand-mère, même
tutélaire.
- 93 qu’elle constitue a besoin d’être très structuré et bien identifié. Les regroupements nationaux y jouent
un rôle essentiel (assemblées générales, journées d’étude), à la fois d’échange d’informations, de
rencontre et de communication, mais aussi de repos et de moment où l’on se laisse totalement
prendre en charge.
Nous avons vu que l’organigramme de la Fédération UNIREG des MJC avait quelques
différences essentielles avec celui de la FFMJC : pas d’assemblée générale nationale de l’ensemble
des structures de base, pas de relation d’autorité hiérarchique entre le délégué général, les délégués
régionaux et par conséquent les directeurs, pas de gestion nationale du personnel. Les MJC de base
ont également un fonctionnement en réseau local, mais, semble-t-il, sans réel apport structurant du
centre fédéral national où l’on se contenterait, selon certains directeurs interrogés, d’échanger
quelques informations et de “savoir comment on va faire circuler une exposition d’une MJC à
l’autre”1. Vu du côté de l’UNIREG MJC, on est toujours intéressé et étonné par “le côté militant de la
FFMJC”, ses discours et prises de position, son engagement sur des questions de société (le
racisme, l’apartheid, les droits de l’homme, la défense de la vie associative, la lutte contre les
inégalités sociales et culturelles, pour la démocratie et les libertés en France et dans différents pays
du monde). On se demande aussi comment, malgré les crises successives et un coût moyen des
directeurs aussi élevé2, la FFMJC n’a pas une nouvelle fois éclaté et perdu une grande partie de ses
postes fédéraux. Quant aux délégués régionaux de l’UNIREG, ils semblent se satisfaire parfaitement
de leur situation d’employé régional : “Ils tiennent beaucoup trop à leur indépendance”3.
On peut cependant se demander si l’UNIREG, malgré - et avec - son fonctionnement fortement
décentralisé et sa faible articulation institutionnelle entre le local et le national, n’a pas des pratiques
d’appareil plus affirmées que la FFMJC. Un certain nombre de faits auraient tendance à le prouver.
Les MJC de l’UNIREG auraient plus de propension à communiquer, s’organiser et travailler entre
elles que celles de la FFMJC. Deux exemples: dans l’Hérault et le Vaucluse où se sont créées des
unions départementales rassemblant les MJC appartenant aux deux fédérations, ce sont les MJC de
l’UNIREG qui se sont montrées collectivement les plus entreprenantes, qui se sont trouvées à
l’initiative et ont occupé les postes de responsabilité. Prenons également l’exemple des enquêtes
menées respectivement dans les deux fédérations. Malgré l’important dispositif mis en place (relais
régionaux, relances ...), l’enquête sur la FFMJC n’a obtenu que 400 réponses sur plus de 1 000 MJC
affiliées à ce moment-là. A l’opposé, l’étude sur l’UNIREG a pu porter sur 396 réponses, chiffre
proche de l’exhaustivité, ce qui est significatif d’une forte capacité pour le centre fédéral national de
mobiliser l’appareil interne, du moins dans le recueil de l’information.
1
2
3
Entretien avec le directeur de la MJC de Frontignan.
Entre les taux moyens FFMJC et UNIREG, la différence est d’environ 30.000 F par an.
Entretien avec la secrétaire du délégué général de l’UNIREG.
- 94 Alors pourquoi, à la différence d’autres fédérations, l’UNIREG notamment, la FFMJC présente-telle cette image d’appareil ?
Cette image s’explique par plusieurs raisons : par l’organisation institutionnelle laissant encore
une grande place à l’initiative, au rassemblement et à la représentation nationale (congrès puis
assemblées générales nationales rassemblant les structures fédérées de base, recrutement,
formation et gestion nationale des directeurs et des délégués, relative importance du dispositif
national - près de 40 personnes à la FFMJC, en comptant les délégués, contre seulement 3 à
l’UNIREG nationale) ; par le discours souvent combatif sur des questions de société, qui peut donner
une image très militante de la FFMJC ; par l’organisation professionnelle et syndicale nationale très
forte des personnels qui, par effet métonymique, peut faire prendre cette partie, certes essentielle,
pour le tout institutionnel. Cette image d’appareil de la FFMJC est également sans doute fortement
héritée de son histoire : opposition souvent violente avec l’Etat dans les années 70 de la part d’un
centre fédéral et d’un corps professionnel (à travers son syndicat CGT principalement) très combatif.
Image et organisation d’appareil ne veulent donc pas dire pratiques d’appareil. Les choses se
passent comme si c’était précisément le contraire. Tout se joue en effet comme si cette image et
cette organisation libéraient les capacités de fonctionnement en réseau des MJC, et facilitaient leur
développement et leur autonomie locale1. Au contraire, les MJC affiliées à une fédération UNIREG
moins marquée par une organisation et une image d’appareil structurant et contraignant, auraient
une plus grande propension à la communication interne et à une vie fédérative d’appareil.
S’agissant de la FFMJC, on peut se poser cette question : cette institution n’entretiendrait-elle pas
une organisation fédérale nationale, que l’on peut considérer comme coûteuse, source de conflits2,
sans réelle efficacité en matière de cohésion et de dynamisme interne ? Autrement dit, les MJC
affiliées à la FFMJC pourraient-elles avoir l’efficacité de terrain actuelle, et même une efficacité
accrue, continuer à développer un fonctionnement en réseau qui semble renforcer leur emprise
locale, sans cette organisation fédérale qui leur donne une marque et une lourdeur d’appareil sans
les effets positifs de l’appareil ? Comment peut-on avoir les effets positifs de l’organisation sans les
effets négatifs ?
Ces questions sont plus pratiques que scientifiques et nous atteignons là les limites du champ
scientifique. Les débats et les conflits qui agitent la FFMJC, depuis l’assemblée générale du Mans,
sont traversés par ces interrogations même si elles ne sont pas toujours aussi clairement formulées.
Certains y ont répondu et nous verrons à la fin de cette recherche comment chaque protagoniste du
conflit a intérêt à se situer, davantage en fonction des positions qu’il occupe, qu’il défend ou qu’il
entend occuper, qu’en fonction de l’efficacité et du renforcement de l’ensemble institutionnel.
1
Effet d’une sorte de liberté à faire ce que l’on veut, et à prendre des risques sous la protection d’un
encadrement supérieur sécurisant.
2
L’histoire récente de la FFMJC l’atteste.
- 95 Autrement dit, y aurait-il en matière d’organisation une réponse scientifique décisive, qu’elle ne serait
pas forcément suivie d’effet, tant les enjeux de positionnement interne semblent primer sur les
questions du développement, du maintien, voire même de la survie, de l’ensemble de l’entreprise.
Sans sortir du champ de la recherche, on pourra cependant mieux comprendre, par l’approche
historique et d’abord par l’analyse économique des ensembles fédératifs, comment des institutions
différemment organisées ont pu également se développer.
2 - Financements et enjeux sociaux
La longue description que nous venons de faire de l’organisation institutionnelle des MJC et de
leurs fédérations, acquiert une pertinence nouvelle quand on la confronte à l’analyse des
financements de l’ensemble fédératif et au repérage du positionnement social de ceux qui ont la
responsabilité décisionnelle de la gestion des structures. Il relève du bon sens de penser que les
payeurs doivent être aussi les décideurs, et que si les usagers, en tant que payeurs, participent aussi
à la décision, il y a quelque cohérence à penser que ce ne peut être que par l’intermédiaire de
représentants choisis à leur image. Or ce n’est pas forcément le cas dans les Maisons des Jeunes et
de la Culture : les collectivités publiques (municipalités, Etat, conseils régionaux et généraux) n’ont
pas une capacité décisionnelle à la hauteur de leurs engagements financiers1 et les administrateurs
des MJC ne sont pas forcément à l’image des usagers qu’ils sont censés représenter.
Ces deux phénomènes s’expliquent grosso modo, le premier par le choix revendiqué par les MJC
d’être un service public confié aux usagers individuels et collectifs par délégation des pouvoirs
publics2, et le second par les déterminants sociaux de la délégation de pouvoir qui portent aux
postes de responsabilités ceux qui occupent certaines positions sociales et culturelles.
On ne peut cependant pas se contenter de ce discours général qui peut s’appliquer à bien
d’autres structures. S’agissant des MJC, qu’est-ce qui, compte tenu - mais aussi au-delà - des
objectifs déclarés et des modes d’organisation et de gestion choisis, fait que des pouvoirs ont intérêt
à leur confier, moyens à l’appui, des missions importantes de service public, que des bénévoles
animateurs et administrateurs y consacrent un temps non négligeable, et qu’un nombre important
d’usagers choisissent librement de bénéficier de leurs services et par là-même participent à leur
fonctionnement ?
L’analyse des financements divers peut apporter un premier éclairage.
1
De nombreuses municipalités demandent, compte tenu de leurs investissements financiers, une plus
grande place dans les prises de décision et ne se contentent plus de leur simple place de membre de
droit au conseil d’administration.
2
Ce que certains responsables des pouvoirs publics, notamment les maires dans le cadre de la
décentralisation, n’acceptent pas, au nom de la démocratie locale dont ils pensent être les seuls
représentants.
- 96 a) les ressources des Maisons des Jeunes et de la Culture
Les MJC, unions locales ou départementales affiliées à la FFMJC ayant répondu à l’enquête1 ont
un “chiffre d’affaire” total, en 1983, de 280 millions de francs environ. Ce chiffre concerne les
comptes de résultats de 322 associations. Rapporté par extrapolation aux 1.027 associations
existantes en 1983, et en tenant compte du résultat moyen selon la taille de la MJC d’après le
nombre d’adhérents, cela représente un total de 564 millions de francs avec une marge d’erreur
difficile à évaluer, mais que l’on peut situer aux alentours de 10%. Pour la même période, les
comptes de résultat des FRMJC et de la FFMJC s’élevaient à 134 millions de francs. On peut donc
avancer qu’en 1983, le chiffre d’affaire global de l’institution FFMJC représente une somme totale
d’environ 700 millions de francs.
L’extrapolation selon le nombre moyen d’adhérents est évidemment relativement imprécise.
Certaines MJC très “culturelles” ou très “sociales” peuvent avoir un nombre d’adhérents modeste en
comparaison avec leur chiffre d’affaire, dans la mesure où leurs stratégies d’intervention peuvent ne
pas passer par “l’encartement”. En effet, la diffusion culturelle d’un côté, et l’insertion sociale de
l’autre, ne fonctionnent pas forcément selon les logiques de l’adhésion à la structure.
D’autres recoupements et d’autres extrapolations permettent cependant d’arriver à un chiffre
d’affaire comparable. Le budget consolidé de la Fédération de l’académie de Grenoble (FRMJC +
MJC + salaires des directeurs) s’élève pour la même période à 102.586.490 F2, soit à 637.260 F
environ par structure fédérée. Rapporté à 1.027 associations dénombrées en 1983, cela fait un
chiffre global de 650 millions de francs auquel il faut ajouter le budget du centre fédéral. Nous
sommes donc bien dans un ordre de grandeur comparable au précédent3.
En utilisant la même méthode de calcul (référence à la FRAG), le budget de l’ensemble fédéral
serait pour 1987 de 1 milliard et 100 millions de francs environ. Cette augmentation conséquente
(57% environ) par rapport à 1983 s’explique en partie par l’inflation et par l’augmentation du nombre
de structures (+ 10%) mais surtout par leur développement budgétaire.
La Fédération Française des Maisons des Jeunes et de la Culture représente donc un “poids
économique” non négligeable qu’il est, par manque d’informations, très difficile de comparer à celui
des autres fédérations socio-culturelles et d’éducation populaire4. A titre indicatif, on peut rappeler
que pour 1982, le secteur sportif “pèserait” 3 milliards 750 millions de francs, chiffre incluant les
subventions directes ou indirectes de l’Etat et des collectivités locales, le secteur formation 2
1
Les MJC aujourd’hui. Réalités et impact , p. 40.
2
Les Cahiers de la FRAG MJC - Documents et statistiques, 1983.
3
Le chiffre trouvé en prenant pour base la Fédération régionale de l’académie de Grenoble est
légèrement inférieur à celui de l’enquête, ce qui peut s’expliquer par le fait que dans le premier cas
nous avons affaire à l’année 82 alors que dans le second, il s’agit de l’année 1983.
4
Sauf pour l’UNIREG MJC dont nous allons parler plus loin.
- 97 milliards 750 millions de francs et le secteur sanitaire et social 30 milliards de francs1.
Ce chiffre de la FFMJC, raisonnablement estimé à 1 milliard et 100 millions de francs pour 1987,
ne comprend pas les aides en nature et en personnel des collectivités locales (chauffage, électricité
et entretien des bâtiments, mise à disposition de salariés pour l’entretien notamment), ni ce que l’on
appelle le bénévolat valorisé2. Or les aides en nature sont courantes (76% des MJC bénéficient
directement du chauffage, 72% de l’électricité, 73% de l’eau et 57% de l’entretien), ainsi que la mise
à disposition de personnels d’entretien (plus de 50%). D’autres avantages non négligeables sont
cependant moins répandus : téléphone payé directement par les collectivités locales pour 11,5% des
MJC, mise à disposition de personnel de secrétariat pour 14%3.
Il est très difficile d’évaluer ces investissements des collectivités locales, elles-mêmes ne sachant
pas toujours exactement ce que leur coûte la Maison des Jeunes et de la Culture4. Pour ce qui est
du bénévolat valorisé, l’enquête nationale sur la FFMJC ne nous donne aucune estimation chiffrée
de son poids économique.
Selon la recherche dirigée par J.-P. Sirérols5, le poids économique
de l’UNIREG serait
considérablement plus faible. Pour l’année 1986, le chiffre avancé est de 264 millions de francs pour
396 associations dans lesquels on comprend la totalité des “investissements” : personnel mis à
disposition, avantages en nature, subventions d’exploitation, subventions spécifiques, ressources
propres, produits de contrats et bénévolat valorisé. Si l’on veut “réactualiser” ce chiffre pour l’année
1987 et tenir compte du nombre estimé de structures fédérées, on obtient un total de 330 millions de
francs environ.
Il y aurait donc une disparité importante dans le poids économique respectif des deux fédérations
de MJC ; d’abord selon le chiffre global brut : de 330 millions pour l’UNIREG à 1 milliard 100 millions
pour la FFMJC, ce dernier chiffre ne comprenant pas les avantages en nature, les personnels mis à
disposition et le bénévolat valorisé ; ensuite selon le poids économique de chaque structure fédérée :
de 733.000 F à l’UNIREG à 970.000 F à la FFMJC. L’UNIREG fédère donc nettement moins de
structures - ce que la représentation cartographique a déjà révélé - et des structures moins
importantes économiquement, ce qui peut s’expliquer par son implantation plus rurale dans une
France plus pauvre. A l’opposé, l’implantation très urbaine de la FFMJC se traduit par la présence de
1
Geneviève Rey : “Le mouvement associatif et sa réalité économique”. Revue de l’Économie sociale n°
4, avril-juin 1985 (p 113 à 122).
2
Force de travail non rémunérée que l’on peut estimer, et porter à la fois en recette et en dépense
dans le budget d’une association.
3
Les MJC aujourd’hui. Réalités et impact, p. 46-47.
4
Le chauffage, l’électricité et l’entretien de la MJC passent généralement dans le budget des coûts
annuels des bâtiments publics, au même titre que les écoles et autres équipements communaux.
5
Faits, chiffres et images d’associations.
- 98 nombreuse MJC à très gros budget, qui font d’elles de véritables petites entreprises : les MJC
dépassant les 10 millions de francs de budget ne sont pas rares.
Mais ce déséquilibre financier absolu et relatif entre les deux fédérations est tel qu’on est tenté de
chercher d’autres explications. Le nombre de directeurs fédéraux ne joue-t-il pas un rôle
déterminant, dans la mesure où leur présence est à la fois indicative de l’importance de la MJC et
laisse augurer de son développement économique ultérieur1? L’argument ne tient pas. En effet, le
rapport nombre de directeurs/nombre de structures affiliées est plus élevé pour l’UNIREG que pour
la FFMJC : 55 directeurs pour 100 structures contre 44 pour 100.
On est donc tenté d’expliquer ce poids économique supérieur des MJC affiliées à la FFMJC à la
fois par l’implantation géographique et par le mode de recrutement et de formation des directeurs,
c’est-à-dire par l’organisation fédérative nationale de la FFMJC, le mode de gestion de ses cadres et
le développement de leur savoir-faire. En effet, les exigences du recrutement national, liées
essentiellement aux savoirs et savoir-faire et non aux besoins d’opportunité locale, la formation en
deux ans, la stagiairisation d’un an sur poste, la formation permanente, les bilans professionnels, les
journées régionales et nationales d’étude, développent vraisemblablement les compétences et les
capacités d’entreprise d’un corps professionnel qui, depuis longtemps, remplit des fonctions de
maîtrise d’oeuvre, voire d’ingénierie du développement culturel et social, et ne sont plus de simples
animateurs même globaux2.
A combien peut-on donc estimer le poids économique global des MJC affiliées à l’une et l’autre
fédération ? En ajoutant les deux chiffres, on obtient un total de 1 milliard et 430 millions auquel il
faudrait ajouter le bénévolat valorisé de la FFMJC (estimé à 150 millions de francs selon la base de
calcul appliquée pour l’UNIREG3) soit un total général de un milliard et 580 millions de francs dans
lequel on ne compte pas les avantages en nature et le personnel mis à disposition des structures
FFMJC par les collectivités locales.
S’agissant de ces financements hors subventions et pour conclure sur cette évaluation du poids
économique des MJC, on peut faire une estimation raisonnable de 150 millions de francs pour la
FFMJC, année 1987. Ce chiffre moyen est obtenu par extrapolation à partir du chiffre estimé pour
des MJC moyennes (budget d’un million de francs environ) bénéficiant du chauffage, de l’eau, de
1
En effet, une des missions essentielles du directeur est de développer des actions nouvelles,
d’augmenter l’audience de la MJC, donc ses ressources propres, d’élargir le partenariat opérationnel
et financier.
2
Voir l’étude d’Alain Rissel : Directeurs de MJC - L’évolution des contenus de travail des directrices et
directeurs de MJC (Les études de la FFMJC, 1989).
3
J.-P. Sirérols évalue à 2.500 le nombre d’heures de bénévolat dont bénéficie chaque association
fédérée. En valorisant pour 1987 ces heures à 50 F (charges comprises), ce qui est modeste, on
obtiendrait pour la FFMJC un chiffre global de 2.500 h x 50 F x 1.140 structures, soit 142 millions
et 500 mille francs. Cette estimation est raisonnable, car rien n’indique que le bénévolat soit moins
développé à la FFMJC qu’à l’UNIREG.
- 99 l’électricité et de l’entretien des locaux1 ainsi que de celui, calculé à partir de l’enquête de J.-P.
Sirérols, qui évalue ces apports supplémentaires à 38,6% des subventions.
En tenant compte de ce chiffre et du caractère approximatif de nos estimations, on peut donc
évaluer le chiffre d’affaire des MJC et de leurs fédérations, en France, en 1987, les deux institutions
confondues, à un milliard 730 millions de francs2.
En 1990, compte tenu de l’inflation, même modeste, et du développement régulier des structures
en nombre et en chiffre d’affaire aussi bien à l’UNIREG qu’à la FFMJC, on peut supposer que
l’ensemble “pèse” plus de 2 milliards de francs.
Les sources de financement des Maisons des Jeunes et de la Culture sont globalement de trois
ordres :
- les collectivités locales (municipalités essentiellement) et l’Etat sous la forme de
subventions, d’aides en nature et en personnel,
- la participation des ménages : adhésions, cotisations, entrées aux spectacles, paiement de
services divers (hébergement, restauration, vacances, location de salles et de matériel...),
- le bénévolat valorisé, force de travail non rémunérée qui ne modifie pas les équilibres
financiers mais qui augmente d’une manière sensible les possibilités d’action des structures.
Les deux derniers chapitres constituent ce qu’il est courant d’appeler l’autofinancement ou les
ressources propres des MJC. Dans quelles proportions ces trois financements interviennent-ils dans
le développement des actions des structures et de leurs fédérations ?
Là aussi les évaluations brutes et relatives sont très difficiles à effectuer tant le rassemblement
global des données manque, et disparates sont les situations.
En ce qui concerne la FFMJC, les chiffres les plus précis et les plus fiables, même s’ils ne
concernent qu’une région, sont ceux de la fédération de l’Académie de Grenoble. Si l’on considère
l’ensemble ajouté des comptes de résultats de MJC de cette région, qui ne prennent en compte ni le
bénévolat valorisé, ni les avantages en nature, ni les personnels municipaux et fédéraux3 mis à leur
disposition, on constate que les recettes propres (ici la participations des usagers) s’élèvent à 58%
1
En 1987, on évalue à 200.000 F les avantages directs de la MJC Prévert à Aix-en-Provence (eau,
électricité chauffage et personnel d’entretien). C’est également vrai pour la MJC voisine. Si nous
choisissons de prendre un chiffre inférieur, c’est parce que toutes les MJC ne bénéficient pas de
tous ces avantages. 140.000 F par an et par MJC d’avantages, hors subventions, nous paraît
raisonnable.
2
Ce chiffre ne tient pas compte des investissements mobiliers et immobiliers. En évaluant chaque
équipement à 5 millions de francs de moyenne, on peut considérer que les MJC gèrent un patrimoine
- qui, sauf exception, est propriété des collectivités locales - de 8 milliards de francs.
3
Rappelons que les directeurs fédéraux sont gérés par l’appareil fédéral et mis à disposition des
structures de base. Ainsi leur financement et leur coût n’apparaissent pas dans les compte
d’exploitation des MJC.
- 100 des recettes1. Si l’on considère maintenant l’unité économique régionale (FRAG + MJC + taux
moyens des directeurs), les ressources propres s’élèvent à près de 50% (49%) du budget total de
fonctionnement dans lequel on ne tient pas compte ni des avantages en nature et mises à disposition
de personnels (à classer dans les subventions), ni du bénévolat valorisé (à classer dans
l’autofinancement). Dans la mesure où ces deux apports ont été estimés à des montants équivalents
(150 millions de bénévolat valorisé et d’avantages hors subventions à la FFMJC2), on peut
considérer le pourcentage de 49% d’autofinancement comme pertinent.
L’étude sur la fédération UNIREG conclut à un pourcentage d’autofinancement tout à fait
comparable. Dans une approche générale, J.-P. Sirérols classe le produit des contrats de
financement de postes de directeurs dans les ressources propres et obtient ainsi un taux global
d’autofinancement de 64,4%, évidemment plus élevé qu’à la FFMJC. Par contre, en considérant le
financement des conventions de mise à disposition des personnels comme des subventions - ce qui
est beaucoup plus cohérent - et en évaluant l’heure de bénévolat à 50 F, J.-P. Sirérols arrive à un
taux d’autofinancement de 50,4% tout à fait comparable à celui de la Fédération de l’Académie de
Grenoble (49%)3.
A grands traits, on peut avancer que les Maisons des Jeunes et de la Culture et leurs fédérations,
les deux institutions confondues, s’autofinancent à 50%, les autres 50% relevant de subventions
publiques aux associations (MJC et structures fédérales), de financements publics de postes et de
contrats d’objectifs, enfin d’avantages en nature et de mises à disposition de personnels. Dans ces
50% d’autofinancement, on peut évaluer à 11,5% le bénévolat valorisé et à 38,5% les ressources
propres.
Ces propositions constituent un dispositif moyen avec des écarts considérables selon les MJC.
Certains structures peuvent avoir un taux d’autofinancement très élevé (jusqu’à 90%) alors que
d’autres vivent essentiellement de financements publics4. L’enquête sur la FFMJC5 met bien en
évidence ces disparités : les subventions représentent moins de 50% du compte de résultat pour
60,4% des associations, 51 à 75% pour 20% des associations et plus de 75% pour 11,6% des
associations. Par contre, les Fédérations régionales et la Fédération française sont quasi
1
Les Cahiers de la FRAG MJC - Documents et statistiques, 1987, p. 68 (annexe 31).
2
J.-P. Sirérols arrive également, pour l’UNIREG, à une estimation comparable de ces deux masses :
42,2 millions de francs pour le bénévolat valorisé, et 36,3 millions pour les apports publics, hors
subventions (396 MJC pour l’année 1986).
3
Accordons-nous pour dire que l’autofinancement correspond à la somme du bénévolat valorisé et des
ressources propres, constituée pour l’essentiel par la participation des ménages. Les apports du
mécénat et du sponsoring sont à la fois trop modestes et trop mal estimés pour que nous puissions
les prendre en compte. Ils entrent évidemment dans les ressources propres.
4
A titre d’exemple : la MJC de Grasse a un taux d’autofinancement de 85% environ, alors que la MJC
d’Avignon “Croix des Oiseaux” vit à plus de 80% des finances publiques.
5
Les MJC aujourd’hui. Réalités et impact.
- 101 complètement financées par les deniers publics, dans la mesure où elles gèrent rarement des
services rémunérés par les usagers, ce qui explique par exemple que les MJC seules aient 58,1%
de ressources propres et que l’unité régionale (FR, MJC et salaires des directeurs) n’en ait que
49%1.
Si l’on considère les évolutions budgétaires de ces dernières années, il semble bien que l’on aille
vers une augmentation de l’autofinancement. De 1982 à 1987, on passe, pour les MJC de
l’académie de Grenoble, de 56,4% à 58,1% de recettes propres et, pour l’ensemble fédéral
académique, de 46,4% à 49%. Comment faut-il interpréter cette évolution ?
On peut voir dans cette augmentation tendancielle de l’autofinancement un signe d’autonomie,
d’indépendance et de bonne gestion économique des Maisons des Jeunes et de la Culture, qui
n’attendraient plus tout des financements publics. On peut aussi y voir un danger de fragilisation des
structures qui, avec un taux très élevé d’autofinancement, seraient totalement dépendantes de la loi
du marché socio-culturel et ne pourraient plus remplir les missions qu’elles se sont donné, qui
consistent à s’adresser à tous, mais prioritairement aux jeunes et aux plus défavorisés
culturellement, socialement et économiquement. On voit mal en effet comment ces structures
pourraient rendre un véritable service social, éducatif et culturel public sans financements publics
conséquents.
Les Maisons des Jeunes et de la Culture ne se contentent donc pas, ou plus, de dépenser
l’argent que la collectivité publique leur donne. Elles doivent de plus en plus - en ce sens elles
relèvent bien d’une forme d’économie sociale - rassembler des moyens d’origines diverses
(financements publics et privés, bénévolat ...) pour réaliser des objectifs précis dans le cadre d’un
projet général. Le développement de l’autofinancement va sans doute de pair avec l’idée qu’elles se
font d’être de moins en moins des structures de service public par voie associative, et de plus en
plus des entreprises, répondant à la fois à des intérêts privés et publics. En poussant cette logique
d’entreprise jusqu’au bout, on pourrait dire que les MJC ont deux clients essentiels : la collectivité
publique qui leur achète un service d’intérêt général (insertion des populations en difficulté,
développement des réseaux sociaux, élargissement des publics par exemple ...) et les personnes
privées qui paient plus ou moins cher les services proposés (loisirs, spectacles, formation, etc...). Le
développement des financements publics sur contrats d’objectifs, à côté et souvent à la place des
subventions régulières, corrobore cette interprétation de l’évolution économique des Maisons des
Jeunes et de la Culture, évolution qui a nécessairement une influence sur les valeurs de référence2
des structures et des acteurs.
Mais avant d’en arriver à ces considérations qui concernent la phase la plus actuelle de l’histoire
1
2
Les Cahiers de la FRAG MJC - Documents et statistiques, 1987.
Ce que l’on appelle aujourd’hui la “culture d’entreprise” sur laquelle nous reviendrons (à propos du
concept complexe de “culture d’entreprise” voir par exemple le livre de Maurice Thévenet : Audit de
la culture d’entreprise. Les Éditions d’Organisation, 1986).
- 102 des MJC, il est nécessaire d’analyser plus en profondeur leurs logiques d’approvisionnement
financier et humain et ainsi identifier les rapports sociaux qui s’y jouent et les stratégies
généralement inconscientes des acteurs.
1) les ressources publiques
Ces quelque 50% de participation de la collectivité publique au financement des Maisons des
Jeunes et de la Culture concernent à la fois les subventions structurelles, les subventions
spécifiques, les produits des contrats, notamment pour les directeurs, passés avec les collectivités et
l’Etat, les avantages en nature et les personnels mis à disposition. S’agissant de ces ressources
publiques, on peut les analyser sous trois points de vue : leur forme à travers leur composition
organique, autrement dit la part relative de chacune d’entre elles, leur origine socio-économique et
enfin leur source d’approvisionnement.
La composition organique des financements publics est difficile à apprécier avec précision pour
des raisons de difficulté d’enquête exhaustive appliquée à des structures fédérées qui ont chacune
leur autonomie1, d’autre part à cause du caractère souvent inclassable d’un certain nombre de
financements - il est souvent difficile de trancher entre le caractère structurel ou spécifique de
certaines subventions - enfin comme nous l’avons déjà fait remarquer, en raison de la difficulté à
évaluer le coût des avantages en nature et des personnels mis à disposition. Malgré cela, on peut
tenter quelques estimations raisonnables.
Pour l’année 1987, année de référence que nous avons choisie pour estimer le poids
économique des MJC et la part de ses différentes composantes, on a pu évaluer les avantages en
nature et la mise à disposition de personnels à 190 millions de francs environ (150 pour la FFMJC et
40 pour l’UNIREG), soit 22% des ressources publiques. Les produits des contrats - essentiellement
les conventions de financement des postes d’animateurs et de directeurs - peuvent être évalués à
180 millions2, soit 21% des ressources publiques. Pour les 57% restant qui correspondent aux
subventions, il est, rappelons-le, difficile de décider de la part du structurel et du spécifique. On ne
peut que donner des indications qualitatives : les subventions aux fédérations sont de plus en plus
des subventions spécifiques, liées à des contrats d’objectifs3 qui intègrent les frais de structure. Les
Maisons des Jeunes et de la Culture elles-mêmes contractualisent de plus en plus avec les
collectivités locales des moyens pour des objectifs clairement définis : programmation avec cahier
des charges, opérations ponctuelles liées à une discipline (mois du cinéma par exemple..) ou à un
1
Le fonctionnement en réseau, et non en appareil, qu’avec Catherine Flament nous avons mis en
évidence, a une répercussion épistémologique négative. Il est aussi difficile de rassembler des
données fiables de la part des MJC que de les faire travailler ensemble.
2
Environ 780 salariés au taux moyen de 230.000 F.
3
Contrats d’objectifs Jeunesse et Sport, formation avec le soutien de la Caisse d’Allocations familiales,
opérations thématiques... Par exemple, le chiffre d’affaire de la FRMJC Méditerranée n’est fait que de
contrats sur des postes de travail et des opérations.
- 103 public (jeunes en difficulté...), si bien que les formes de subventionnement sont souvent doubles : un
subventionnement structurel pour frais de fonctionnement et organisation de services réguliers
(accueil,
activités
...),
et
des
subventionnements
spécifiques
préaffectés.
On
passerait
progressivement, mais sûrement, de subventionnements structurels pour réaliser des objectifs
généraux, à des financements spécifiques intégrant les frais de structure. Cette évolution qui
s’accentue avec le temps conduit de plus en plus les responsables des MJC, notamment les
directeurs, à une négociation et une contractualisation permanentes avec les partenaires les plus
divers. Les contenus de travail s’en trouvent considérablement modifiés, et nous verrons comment le
directeur de MJC est passé du rôle d’animateur de groupe (jusqu’au début des années 60) à celui de
directeur de structure, pour devenir de plus en plus un chef de projet(s), terme à employer au pluriel
plutôt qu’au singulier.
Le repérage de l’origine socio-économique des financements publics ainsi que de leur itinéraire,
devrait permettre de situer les MJC - et l’ensemble des structures d’intervention socio-culturelle - par
rapport au champ de production de la richesse économique. Le modèle de la rétrocession de la plusvalue appliqué par C. Baudelot, R. Establet et J. Mallemort à la petite bourgeoisie1, peut, semble-t-il,
également s’appliquer au financement public des Maisons des Jeunes et de la Culture.
On pourrait dire que les ressources publiques des MJC sont de la plus-value extorquée au
prolétariat dans le champ de la production économique, et rétrocédée aux associations et
fédérations, cela en deux temps essentiels : d’abord à l’Etat et aux collectivités locales par le biais de
l’impôt sur les particuliers et des taxes sur les entreprises ; puis de l’Etat et collectivités locales aux
MJC et fédérations sous forme de subventions, de financement des contrats, d’aides en nature et de
force de travail salarié.
Pour ce qui est du financement de l’Etat et des collectivités locales sur impôt des ménages, on
peut avancer qu’il s’agit de rétrocession de plus-value en trois temps. Dans la mesure où les petitsbourgeois tirent une part importante2 de leur revenu de la rétrocession de plus-value, et paient une
part également importante de l’impôt sur les ménages, cette plus-value rétrocédée aux MJC est
rétrocédée de la production aux ménages sous forme de salaires, puis des ménages à la collectivité
publique sous forme d’impôt, enfin de la collectivité publique aux associations et fédérations sous
forme de subventions, avantages en nature, personnels et financement des contrats.
1
“Sont petits-bourgeois tous ceux qui, à cause de leur place dans les rapports de production, se voient
rétrocéder par la bourgeoisie une fraction de plus-value [extorquée au prolétariat]. Cela revient à
dire : sont petits-bourgeois, tous ceux qui ne sont pas des capitalistes et qui perçoivent comme
revenu, quelle que soit la forme de ce revenu (salaire, bénéfice commercial, honoraires, traitement),
une somme d’argent supérieure à la valeur de leur force de travail”. La petite bourgeoisie en France.
Petite collection Maspéro, 1981, p. 222.
2
Tout ce qui est au-delà de la valeur de la force de travail, que les auteurs de “La petite bourgeoisie
en France” évaluent à la valeur de base (celle de l’ouvrier qualifié) plus le coût de sa formation
initiale et de son entretien.
- 104 L’itinéraire de cette plus-value rétrocédée peut aussi être particulièrement long et tortueux.
Quelques exemples :
- pour un cadre d’entreprise de production : plus-value extorquée au prolétariat
rétrocession au cadre sous forme de salaire supplémentaire
d’impôt sur le revenu
rétrocession à l’Etat sous forme
rétrocession aux associations sous forme de subventions, d’aides en
nature, personnels et financements des contrats ;
- pour un cadre d’entreprise commerciale : plus-value extorquée au prolétariat à la
production
rétrocession à l’entreprise commerciale pour réalisation de la plus-value
rétrocession au cadre du commerce sous forme de salaire supplémentaire
sous forme d’impôt sur le revenu
rétrocession à l’Etat
rétrocession aux associations sous forme de subventions,
d’aides en nature, personnels et financements des contrats ;
- pour un cadre de la fonction publique : plus-value extorquée au prolétariat à la production
rétrocession à l’Etat sous forme de taxation des entreprises et d’impôt sur les salaires
rétrocession au cadre de la fonction publique sous forme de salaire supplémentaire
rétrocession à l’Etat sous forme d’impôt sur le revenu
nouvelle
rétrocession aux associations sous forme
de subventions, d’aides en nature, personnels et financements des contrats.
Ces quelques exemples montrent bien que les aides et financements publics accordés aux MJC,
comme à l’ensemble du secteur associatif, sont de la plus-value rétrocédée par le patronat et selon
un cheminement particulièrement long. Autrement dit, cette plus-value est prélevée (“pompée”,
disent les auteurs de “La petite bourgeoisie en France”) très en aval de son lieu de production, le
champ économique, et de son lieu de réalisation, l’appareil commercial. Cet éloignement est
particulièrement essentiel pour apprécier l’enjeu du développement des secteurs sociaux, éducatifs
et culturels1 car si, aux yeux du patronat, le service public et ses salariés peuvent apparaître comme
des faux-frais de la production2, c’est à fortiori vrai pour les structures et les salaires de l’intervention
socio-culturelle, d’autant que leur forme d’organisation les rend difficilement contrôlables.
Il n’est pas sans intérêt de savoir (comme l’analyse historique le confirmera3) à quel niveau de
l’appareil d’Etat cette plus-value rétrocédée est prioritairement “pompée”. Les chiffres de 1986-87,
même partiels, que nous avons pour la FFMJC4 et l’UNIREG5, laissent apparaître une réelle
1
“Le mode et le lieu de pompage de la plus-value, c’est à dire la place occupée dans les rapports de
production, ont plus d’importance que le fait même d’en pomper” La petite bourgeoisie en France,
op. cit. p. 280.
2
D’où l’argument de “trop d’État”.
3
La fameuse lutte de la FFMJC et de l’ensemble des fédérations d’éducation populaire contre le
désengagement financier de l’État.
4
Les Cahiers de la FRAG MJC - Documents et statistiques, 1987 - Annexe 31.
5
Faits, chiffres et images d’associations, p 41.
- 105 concordance entre les deux institutions.
Avec 69% pour l’UNIREG et 70,6%1 pour la FFMJC, les communes sont de loin les premiers
financeurs des MJC. Ensuite viennent les conseils généraux (4,6% pour l’UNIREG et 12,5% pour la
FFMJC2), la CAF et l’action sociale réunies (5% pour l’UNIREG et 8% pour la FFMJC), le Ministère
de la Jeunesse et des Sports (4,3% pour l’UNIREG, 3,8% pour la FFMJC). Malgré la participation
importante des MJC au développement culturel3, les financements du Ministère de la Culture sont
ridiculement bas (guère plus de 1%) même si, çà et là, quelques structures importantes ont réussi à
obtenir sur des actions très précises des financements appréciables. Les autres financements ont
des origines diverses (conseils régionaux, Ministères de la coopération, de la recherche, de
l’éducation nationale, de l’agriculture ...).
Le déséquilibre est donc considérable entre l’apport des municipalités et l’apport des autres
niveaux de la collectivité publique, notamment de l’Etat central et de ses services déconcentrés. Les
Maisons des Jeunes et de la Culture ont donc principalement affaire aux pouvoirs décentralisés de
l’Etat. Leur action, essentiellement localisée, les conduit à avoir prioritairement des partenaires
financeurs de proximité : municipalités et, dans une moindre mesure, conseils généraux. Compte
tenu des nouveaux pouvoirs accordés aux collectivités locales dans le cadre de la décentralisation,
les MJC se trouvent généralement dans une relation de négociation voire de marchandage
permanent avec les élus locaux.
Nous aurons l’occasion de revenir, dans la phase historique terminale de notre travail, sur les
effets institutionnels et professionnels (évolution de la cogestion, application des règles, modification
des contenus de travail des professionnels, etc...) de la décentralisation qui, en matière de
financement public des MJC, a sa cohérence4 : renforcement du pouvoir local qui tient en même
temps le robinet de distribution de la plus-value rétrocédée.
Cette logique de redistribution financière connait-elle une évolution repérable ces dernières
années ? A travers le seul exemple - qui ne reste qu’indicatif - de la Fédération régionale de
l’Académie de Grenoble, on peut d’abord constater que, si la participation des municipalités au
1
On peut supposer que si le pourcentage est plus élevé pour la FFMJC, c’est que la base de calcul
n’intègre pas le centre fédéral, alimenté par l’État.
2
Ce pourcentage relativement élevé s’explique par la situation particulière de la FRAG prise ici comme
base. En effet, cette fédération régionale entretient des relations spécifiques avec les conseils
généraux qui participent au financement de nombreux postes de directeurs. Les MJC seules
n’arrivent qu’à 5,4%, pourcentage sûrement plus proche du pourcentage national.
3
63% des personnes touchées par l’UNIREG le sont dans le cadre d’actions et d’activités culturelles et
80% des MJC affiliées à la FFMJC font de l’action culturelle (Faits, chiffres et images d’associations
et Les MJC aujourd’hui. Réalités et impact).
4
Ce qui ne veut pas dire qu’il n’y ait pas des effets pervers comme par exemple le centralisme
municipal, le renforcement du clientélisme, le contrôle de la vie associative gestionnaire de services
d’intérêt général. On ne peut pas dire, également, que la décentralisation ait développé les pratiques
citoyennes ; or, le rapprochement du citoyen et du politique fut un argument souvent invoqué en
faveur de la décentralisation.
- 106 financement des MJC et de leurs fédérations baisse de 1982 à 87 en valeur relative (de 37,5%à
35,4% des recettes globales), c’est essentiellement dû à l’augmentation sensible des ressources
propres (de 46,4% à 49%). On peut cependant observer, pour la même période, qu’en matière de
financement public, l’écart entre l’apport des municipalités et des autres financeurs (autres
collectivité territoriales et Etat) est passé de 21,4 points (37,5% - 6,1%) à 19,8 points (35,4%- 15,6%)
et, pour être précis, que l’écart entre l’apport des collectivités locales (municipalités, conseil
généraux et régionaux) et l’apport de l’Etat et de ses services est passé de 27,7 points (37,5% 9,8%) à 26,1 points (35,4% - 9,3%).
Même si, en valeur relative, la participation de l’Etat et de ses services dans le financement des
MJC a encore diminué (de 9,8% du budget global à 9,3%), elle est cependant maintenue en nombre
de parts de l’ensemble des financements publics (18,2%). Ainsi, de 1982 à 1987 pour la FRAG, la
participation de l’Etat est passée en francs courants de 10.054.800 F à 14.235.580 F, soit une
augmentation de 41,5%.
Est-ce un signe de l’arrêt du désengagement financier de l’Etat que connaissent les MJC
pratiquement depuis leur origine, et d’une manière cruciale depuis la scission de 1969 ? Il est difficile
de répondre à cette question d’autant que la cas de la FRAG n’a qu’une valeur d’exemple, et qu’une
autre lecture de la même réalité fait apparaître qu’au moment où la participation de l’Etat central et
de ses services a effectivement augmenté de 41,5%, la participation des collectivités locales a
progressé de 51,3%, et celle des usagers de 67,8% pour un budget global qui a, lui, augmenté de
59%. Loin d’être vrai en valeur absolue, le désengagement financier du secteur public et notamment
de l’Etat central n’en est pas moins réel en valeur relative, puisque l’Etat et les collectivités locales ne
suivent pas l’augmentation des budgets des MJC.
La participation des usagers rassemblée dans les ressources propres constitue une part toujours
plus importante du financement des MJC. L’appréciation de cette participation sur une plus longue
durée est encore plus significative. De 1979 à 1987, toujours pour la FRAG1, les ressources propres
auraient augmenté de 269% alors que les subventions diverses n’auraient progressé que de 86%.
Qui sont ces usagers qui apportent un concours de plus en plus conséquent au financement et
au développement des Maisons des Jeunes et de la Culture ?
2) la participation des usagers
Notre analyse financière des ressources des MJC nous permet d’estimer à 38,5% l’apport des
usagers (ressources propres venant de la consommation des ménages), ce qui correspond pour
1987 à environ 670 millions de francs, soit à un peu moins de 1.000 F par an et par adhérent
(estimés à 700.000 pour les deux fédérations) ou à 130 F par an et par usager (environ 5 millions de
personnes touchées).
1
Les Cahiers de la FRAG MJC, Documents et statistiques 1987, p. 71.
- 107 Qui sont, parmi ces quelque 5 millions d’adhérents et d’usagers, ceux qui contribuent le plus au
financement des MJC ?
Là aussi, il est bien difficile de répondre très rigoureusement à la question. Tout d’abord, nous
n’avons pas d’estimation précise sur la part de consommation des ménages qui relève des activités
régulières et donc de l’apport des adhérents répertoriés dans les fichiers, et celle qui ressort des
actions ponctuelles ou régulières pour lesquelles la participation n’exige pas l’adhésion, et donc le
paiement d’une cotisation : spectacles, festivals, fêtes, rencontres et manifestations diverses. Or les
personnes simplement “touchées” ou “usagères” sont de loin les plus nombreuses : le rapport entre
celles-ci et les adhérents est quasiment de 10 à 1. D’autre part, pourrions-nous connaître ces
apports financiers respectifs qu’il serait bien difficile de “catégoriser”, de définir un profil-type du
simple usager, et plus précisément - ce qui nous intéresse ici - de celui qui consomme des produits
engageant sa participation financière1.
On peut cependant, là aussi, émettre quelques hypothèses dont la validité est fortement
probable. Même si la disproportion numérique est considérable entre les “usagers” et les “personnes
touchées”, d’une part, et les adhérents cotisants, d’autre part, il n’empêche que ce sont ces derniers
qui contribuent le plus aux ressources des MJC. Certaines MJC, notamment dans les quartiers
populaires, qui pourtant organisent des manifestations touchant un large public, tirent la quasi totalité
de leurs ressources propres des adhérents cotisants inscrits dans des activités régulières. C’est que
précisément ces manifestations (actions de rue, carnaval, fêtes, rassemblements...) coûteuses pour
les MJC et leurs financeurs publics, pouvant rassembler des publics divers et de milieux sociaux
souvent modestes, ne font pratiquement l’objet d’aucune participation financière des ménages2.
Mais, même pour des MJC qui diffusent des produits culturels “payants” (entrées de spectacles ou
de manifestations diverses), la participation de ces usagers y est généralement inférieure à celle des
adhérents des activités régulières. L’exemple de la Maison des Jeunes et de la Culture Bellegarde à
Aix-en-Provence est à ce titre très significatif : cette MJC de plus de 1.000 adhérents, touchant plus
de 20.000 personnes différentes par an, gérant un théâtre, plusieurs festivals, de théâtre et de danse
notamment, a quand même une participation des adhérents d’activités régulières double de celle des
usagers, pour la plupart spectateurs3.
S’agissant donc de ces usagers, pour la plupart spectateurs “payants”, consommateurs de
1
En effet, les MJC organisent de nombreuses manifestations “gratuites” pour les usagers : carnavals,
fêtes, spectacles et manifestations de rue : à titre d’exemple : le Festival de Saint-Victor, organisé
par la MJC Corderie à Marseille, rassemble chaque année plusieurs milliers de personnes qui ne
déboursent pas un centime.
2
Du moins d’une manière directe. On peut toujours dire - ce qui est vrai - que les usagers retrouvent
au niveau socio-culturel une partie du fruit de leur participation à travers l’imposition.
3
C’est ce qui permet de différencier une MJC d’un centre culturel qui n’a que des spectateurs, des
usagers, des abonnés, dont il tire la totalité de ses ressources propres. Ce qui ne veut pas dire, et
l’expérience le montre, qu’une MJC ne puisse pas jouer aussi le rôle d’un centre culturel.
- 108 produits culturels (théâtre, cinéma, danse musique ...), on peut supposer qu’ils ne sont pas
sociologiquement très différents de ceux repérés par le service des Etudes et Recherches du
Ministère de la Culture1 : prioritairement des cadres supérieurs et moyens titulaires de diplômes
égaux ou supérieurs au bac. On peut cependant faire trois remarques qui précisent cette hypothèse :
- Les spectateurs ne sont généralement pas des pratiquants d’activités régulières, y compris
de disciplines artistiques. On peut donc faire du théâtre et de la danse et ne pas aller voir du théâtre
et de la danse. Les enquêtes menées dans les MJC Prévert et Bellegarde à Aix-en-Provence
montrent que, malgré les démarches incitatrices (réduction ou entrées gratuites pour les adhérents),
il n’y a que que 5% de ces pratiquants réguliers d’activités parmi les spectateurs de ces mêmes
MJC, ce qui laisserait à penser que les consommateurs de spectacles sont de catégories sociales
sensiblement différentes de celles des pratiquants d’activités régulières : vraisemblablement cadres
moyens et professions intellectuelles pour les premiers, employés, professions intermédiaires avec
un niveau de formation plus modeste pour les seconds.
- La caractéristique dominante des spectateurs des MJC est évidemment très liée au
contexte local, aux choix et aux contraintes de la structure et de ses partenaires. Dans une petite
ville où il n’est pas rare que la MJC soit encore le seul lieu culturel, celle-ci va rassembler pour ses
spectacles, les cadres moyens, les cadres et professions intellectuelles supérieures ainsi que les
professions libérales. Par contre, dans une ville où il y a à la fois un centre culturel ou un théâtre, et
une ou plusieurs MJC, celles-ci vont surtout accueillir, au cas où elles ont une mission de diffusion
culturelle, des spectateurs appartenant à des classes sociales ou de formation plus modestes que
les spectateurs fréquentant les équipements dit culturels.
- Les choix culturels des Maisons des Jeunes et de la Culture sont également déterminants.
Le concert Rock, le café-théâtre, le cabaret, très souvent proposés par les MJC2, peuvent concerner
des publics d’origine sociale plus modeste, voire populaire.
L’évaluation des ressources propres venant des adhérents cotisant pour la pratique d’activités
régulières est également approximative, aussi bien dans sa détermination quantitative que dans la
définition précise des profils sociologiques des cotisants.
L’observation de nombreux budgets révèle que c’est de l’organisation d’activités régulières que
les Maisons des Jeunes et de la Culture tirent la plus grande partie de leurs ressources propres.
Cette constatation est confirmée par une estimation tirée de l’analyse globale des budgets des MJC
affilées à l’UNIREG3. Dans les 38,9% de ressources propres (101 millions de francs pour 1986), on
1
Données sociales 1984, p. 509 et suivantes (article d’Alain Desrosières).
2
Rappelons que de nombreux festivals sont gérés ou ont été créés par des MJC et des structures
socio-culturelles comparables. Le Printemps de Bourges, les festivals de café-théâtre de ConflansSte-Honorine, Cannes, St-Gervais.... Les MJC d’Aix-en-Provence, à elles seules, assurent la gestion,
ou sont à l’origine, du festival du théâtre satirique, du festival du jeune public, du festival de danse
“Hors Cadre”, du festival “Tous Courts” (courts métrages).
3
Faits, chiffres et images d’associations.
- 109 peut évaluer l’apport des adhérents cotisant pour des activités régulières à 80 millions environ (50
F/mois x 8 mois x 200.000 adhérents)1, soit à 80% de l’apport des ménages.
La répartition par catégories socio-professionnelles des adhérents et de leurs familles,
notamment - ce qui nous intéresse ici - de ceux qui participent le plus, est définie avec une certaine
précision aussi bien pour la FFMJC que pour l’UNIREG, à ceci près, et c’est considérable, que pour
les scolaires et les étudiants (38,6% des adhérents de l’UNIREG) nous n’avons pas d’information
rigoureuse quant à la situation socio-professionnelle des parents. En effet, les cartes d’adhérents
n’informent que sur l’âge, le sexe, l’adresse et l’activité du moment, mais non sur l’activité des
parents. Cette imprécision, dérangeante pour l’enquête, existe également pour les retraités et les
femmes au foyer, pour lesquels nous n’avons généralement aucune information sur la catégorie
socio-professionnelle d’appartenance.
Pour les jeunes et les enfants, nombreux dans les MJC, on peut facilement affirmer que ce sont
ceux qui sont issus des classes moyennes qui contribuent le plus au financement des activités. Ils
sont en effet les plus nombreux dans les activités les plus coûteuses (musique par exemple), les
enfants et les jeunes des classes et quartiers populaires fréquentant généralement plus les centres
de loisirs et les camps d’été, fortement financés par les pouvoirs publics (CAF, FAS, Jeunesse et
Sports), et pour lesquels on applique habituellement le système du quotient familial. Autrement dit,
une MJC peut accueillir des enfants et jeunes de milieux modestes et en même temps réaliser ses
ressources propres sur les activités fréquentées par les classes moyennes.
Parmi les adultes adhérents ayant un emploi, ce sont les employés qui sont les plus représentés :
12% de l’ensemble des adhérents à l’UNIREG (soit 33,3% des actifs ayant un emploi), de 10 à 30%
des adhérents pour 61% des MJC de la FFMJC. Ensuite viennent les cadres moyens et professions
intermédiaires (26,5% des actifs ayant un emploi à l’UNIREG, de 10 à 30% des adhérents pour
46,5% des MJC de la FFMJC), les ouvriers (21% des adhérents actifs ayant un emploi à l’UNIREG,
de 10 à 30% pour 31% des MJC de la FFMJC), les professions libérales, cadres et professions
intellectuelles supérieures (9,5% des adhérents actifs ayant un emploi à l’UNIREG, de 10 à 30%
pour 1% des MJC et moins de 10% des adhérents pour 80% des MJC de la FFMJC), et enfin les
agriculteurs et les patrons de l’industrie et du commerce (5,3% par chaque catégorie à l’UNIREG,
pourcentage non donné pour la FFMJC)2.
Si l’on prend comme référence la représentation de la population active ayant un emploi et
adhérant aux MJC de l’UNIREG, et si on la compare à sa représentation pour l’ensemble de la
1
Ibid. (Dans l’échelle des coûts mensuels par activités, nous avons choisi 50 F par mois sur 8 mois,
correspondant au tarif des activités sportives largement développées dans les MJC et qui sont
situées entre les plus chères (100 F par mois) et les moins chères (10 à 30 F par mois), p. 37.
2
Ces pourcentages sont construits à partir des données des deux enquêtes déjà citées.
- 110 France1, on se rend compte que dans ces MJC, les employés (33,3% contre 17,5%), les cadres
moyens et professions intermédiaires (26,5% contre 14,6%), les professions libérales, cadres et
professions intellectuelles supérieures (9,5% contre 8,6%) sont sur-représentés ; par contre, les
ouvriers et personnels de service (21% contre 42,8%), les agriculteurs (5,3% contre 6,8%), le
patronat de l’industrie et du commerce (5,3% contre 8,2%) y sont sous-représentés2.
Les employés, cadres moyens et professions intermédiaires occupent massivement et
régulièrement les Maisons des Jeunes et de la Culture où ils sont presque deux fois plus représentés
que dans l’ensemble de la société (60% contre 33%). Ils y sont presque trois fois plus présents (60%
contre 21%) que les ouvriers qui sont pourtant, dans la population globale, plus nombreux à eux
seuls (35%) que les deux autres catégories réunies (32%).
Avec un mode différent de présentation de la réalité, on arrive à des proportions comparables à la
FFMJC : il y a 86% des MJC qui ont, soit l’un, soit l’autre ou les deux à la fois, entre 10 et 20%
d’employés, de cadres moyens ou professions intermédiaires, contre seulement 27,5% des MJC
ayant un pourcentage comparable d’ouvriers, soit donc une proportion de 1 à 3.
Dans cette forte représentation de ce que l’on pourrait appeler les petites classes moyennes, les
employés sont largement majoritaires. En comparant cette réalité au profil sociologique dominant du
public des salles de spectacle, MJC comprises, on obtient quasiment l’image inversée : forte
représentation des employés et dans un moindre mesure des professions intermédiaires pour la
pratique d’activités régulières, forte représentation des cadres et professions intellectuelles
supérieures et dans une moindre mesure des professions intermédiaires pour la fréquentation des
salles de spectacle. On comprend ainsi mieux comment on peut avoir des loisirs - y compris culturels
actifs - et ne quasiment jamais fréquenter les salles de spectacle. On comprend également pourquoi,
dans une même MJC, les consommateurs d’oeuvres ne sont pas, sauf de manière marginale, des
pratiquants des activités régulières. On peut ainsi supposer - ce qui relèverait d’une autre étude que les motivations et les enjeux poursuivis dans la pratique amateur du théâtre et dans sa
consommation en tant que spectateur sont radicalement différents.
Même si les employés sont les plus nombreux à pratiquer assidûment des activités dans les MJC
- et là aussi la proportion est comparable pour les deux fédérations - cela ne veut pas dire que ceuxci alimentent dans la même proportion la caisse des ressources propres. Les logiques socioculturelles (niveau économique, social et scolaire) tirent, malgré les efforts des structures, les
catégories des employés et des ouvriers vers des pratiques de loisirs plus sportifs, corporels ou de
simple convivialité, qui donnent lieu à des participations financières plus faibles (sports de
compétition et de loisir, gymnastique volontaire, activités manuelles et récréatives), alors que les
1
Données sociales 1984, figure 5, p. 39 (enquête INSEE, mars 1984).
2
Voir tableau (annexe 32) construit à partir de l’enquête Faits, chiffres et images d’associations et
données de l’INSEE (Données sociales 1984).
- 111 activités les plus “culturelles”, qui sont aussi les plus chères (l’apprentissage de la musique classique
par exemple), sont pratiquées prioritairement par les classes supérieures.
On peut donc supposer, bien qu’en la matière nous ne puissions nous appuyer que sur l’analyse
de simples cas, que les cadres moyens, les professions intermédiaires, les cadres et professions
intellectuelles supérieures (36% au total des adhérents appartenant à la population active pour
l’UNIREG) sont les grand pourvoyeurs de ressources propres des MJC à travers la consommation
d’activités régulières, et aussi de spectacles comme nous l’avons également vu.
Comment peut-on identifier l’origine économique et l’itinéraire social de ces ressources propres ?
Dans la mesure où ces ressources sont majoritairement des versements de ménages appartenant
aux classes moyennes (cadres moyens, professions intermédiaires, cadres et professions
intellectuelles supérieures), on pourrait aussi dire que c’est de la plus-value produite dans le champ
économique et rétrocédée aux associations par un itinéraire également très long1. Car en effet, c’est
de son sur-salaire (somme d’argent supérieure à la valeur de sa force de travail) que le cadre moyen
tire les moyens de financer ses activités culturelles et loisir. Cette interprétation est confirmée à
contrario par la sous-participation financière dans ce même secteur des ménages ouvriers qui, par
l’intermédiaire des aides sociales, bénéficient plus, pour eux-mêmes et leurs enfants, des services
socio-culturels, qu’ils ne les financent2.
3) l’apport des bénévoles
Nous avons évalué l’apport des bénévoles à 11,5% du budget global des MJC et de leurs
fédérations, ce qui correspond en gros à 23% de leur autofinancement, les 72% restant
correspondant aux ressources propres dont nous venons de parler.
Par bénévoles, nous entendons généralement les membres des instances de décision (conseil
d’administration et bureau principalement) et toutes les personnes qui participent activement à
l’encadrement et à l’animation de la MJC pour l’accueil, les activités régulières et les actions
diverses, sans recevoir une contrepartie financière, sauf - ce qui n’est pas toujours le cas - le
remboursement de frais de déplacements et de repas. Ces deux catégories recouvrent ce que
certains appellent les militants.
Une même personne peut appartenir aux deux catégories, à la fois animateur bénévole d’une
activité et administrateur bénévole de la MJC, ce qui rend très difficile l’évaluation du bénévolat.
D’autre part, comment savoir exactement où commence et finit le bénévolat ? Cela va sans doute du
coup de main pour l’organisation d’une soirée à l’encadrement régulier d’une activité. Dans les deux
cas, l’engagement et la responsabilité ne sont évidemment pas de même nature.
1
De la production de la richesse et donc de la plus-value au salaire du fonctionnaire moyen gros
consommateur d’activités socio-culturelles, le cheminement est effectivement long.
2
Juste retour des choses, dira-t-on. C’est en ce sens que l’on peut dire que les MJC et autres
institutions jouent un rôle de rééquilibrage social dans un domaine - le culturel - où les inégalités
sont particulièrement fortes. Nous sommes donc bien dans une démarche d’éducation populaire.
- 112 Nous nous intéresserons ici à ce que nous appelons le bénévolat opérationnel, défini comme
l’encadrement et l’animation de la MJC pour l’accueil, les activités, les actions et même dans certains
cas l’administration1, par opposition au bénévolat décisionnel qui concerne, lui, les administrateurs
bénévoles.
Les enquêtes montrent que l’ensemble des MJC continue à faire largement appel au travail
bénévole. Jean-Pierre Sirérols2 l’évalue à une moyenne de 20 personnes par association, l’enquête
conduite sur la FFMJC3 à un chiffre plutôt plus modeste d’environ 10 bénévoles opérationnels par
MJC. Pour la seule région de Grenoble, leur nombre est de 2.346, soit près de 14 par MJC. On
pourrait donc conclure que les MJC affiliées à l’UNIREG font plus appel au bénévolat, du moins
quant au nombre de personnes, que leurs voisines de la FFMJC, et on serait tenté de l’expliquer par
l’implantation plus urbaine de ces dernières4, leur taille et l’importante professionnalisation de leurs
services.
Il faut cependant rester très prudent aussi bien pour le dénombrement que pour l’interprétation. Il
est en effet, rappelons-le, très difficile de définir à partir de quel service gratuit rendu on peut parler
d’activité bénévole. D’autre part, l’interprétation avancée d’un possible bénévolat moindre à la
FFMJC n’est par fondée : en effet le bénévolat ne disparait pas avec le nombre d’adhérents et, ce
qui va de pair, l’augmentation du nombre de salariés et l’importance de la MJC. Au contraire, le
tableau de variation fait apparaître clairement que le nombre moyen de bénévoles par MJC
augmente avec leur importance5.
Il semble qu’il y ait plus d’hommes que de femmes bénévoles : en effet, pour deux tiers des MJC
de la FFMJC6, les hommes sont majoritaires et donc, pour un tiers, ce sont les femmes, alors qu’en
termes d’adhérents, les femmes sont dans l’ensemble plus nombreuses que les hommes.
Selon la même enquête, la répartition du nombre des bénévoles entre les activités principales est
la suivante : activités sportives, (37,8%), ateliers (32,6%), spectacles (12,7%), animations scolaires
(6,4%), centre de loisirs sans hébergement (5,8%), langues (4,8%). Les bénévoles des activités
sportives et des ateliers (théâtre, artisanat, musique d’ensemble, audio-visuel...) sont donc largement
dominants dans, il est vrai, des pratiques elles-mêmes dominantes dans les Maisons des Jeunes et
1
Un secrétaire ou un trésorier du conseil d’administration (administrateurs bénévoles) peuvent
également remplir des fonctions opérationnelles (frappe à la machine, tenue des comptes et
passages des écritures) dans le cas où la MJC n’a pas de personnel rémunéré pour remplir ces
fonctions.
2
Enquête sur l’UNIREG Faits, chiffres et images d’associations.
3
Les MJC aujourd’hui. Réalités et impact.
4
L’enquête sur l’UNIREG met effectivement en évidence que le bénévolat est plus développé dans les
régions de plus forte implantation rurale (Languedoc-Roussillon et Midi-Pyrénées).
5
Les MJC aujourd’hui. Réalités et impact, p. 60.
6
Ibid. p. 61.
- 113 de la Culture. Une approche plus globale montre également que plus de 60% des MJC ont des
bénévoles dans les activités sportives et les ateliers.
Le nombre d’heures d’intervention en moyenne par mois est évalué à une dizaine par bénévole
dont la fonction est, ici, l’encadrement des activités et des ateliers. Cette définition très restrictive du
bénévolat évaluée à un peu plus de deux heures par semaine - ce qui est effectivement la durée
moyenne d’un atelier - peut également expliquer pourquoi le bénévolat apparaît proportionnellement
de moindre importance à la FFMJC. Il faut y ajouter ce qui dans les MJC constitue souvent
l’implication en temps la plus forte des bénévoles, à savoir la programmation et l’action culturelle, les
festivals, les fêtes et manifestations, l’entretien, l’accueil et l’administration, les actions de solidarité
et de développement1 et bien sûr les heures supplémentaires des professionnels non payées et non
récupérées2.
La catégorie socio-professionnelle dominante des bénévoles “opérationnels” est celle des cadres
moyens et des enseignants (pour plus de 30% des MJC). Ensuite viennent les ouvriers, employés et
techniciens pour 28,6% des MJC et les femmes au foyer ou sans profession pour 12,5% des MJC3.
Même s’il convient d’utiliser avec prudence de telles données compte-tenu de leur imprécision - il
ne s’agit que du poids relatif de telle ou telle catégorie de bénévoles dans une majorité également
relative de MJC - on peut cependant déceler une tendance nette : les premiers dans la participation
financière sont également les premiers dans le travail bénévole. Certes les ouvriers, les employés et
les techniciens occupent une place non négligeable, vraisemblablement dans les activités sportives4,
mais il n’en reste pas moins vrai que du moins dans l’encadrement régulier des activités, l’implication
bénévole des classes moyennes reste dominante et déterminante.
Comment peut-on interpréter ce phénomène ? Peut-on l’identifier également à de la plus-value
rétrocédée sous forme de travail et de temps libre donné “gratuitement” aux Maisons des Jeunes et
de la Culture comme à de nombreuses autres structures et associations ? Cette interprétation
pourrait valoir particulièrement pour les enseignants très présents dans le bénévolat5, et dont l’apport
1
A titre d’exemple : la MJC de Martigues, dont la quasi-totalité des activités régulières est encadrée
par des professionnels, mobilise par ailleurs un bénévolat considérable dans les opérations globales
et les manifestations (carnaval, spectacles, sorties, expositions ...).
2
L’ensemble des études [par exemple celle de Michel Simonot dans : “Approche psycho-sociologique
des activités socio-culturelles” (Traité des sciences pédagogiques n° 8, PUF, 1978)] et des
observations mettent clairement en évidence ce travail supplémentaire, souvent de nuit, non
rémunéré des animateurs et notamment des directeurs de MJC.
3
Les MJC aujourd’hui. Réalités et impact, p. 62.
4
Même si les deux enquêtes sur les MJC ne le précisent pas, on peut supposer que ce qu’y s’y passe
n’est pas très différent de ce qui se passe ailleurs : le ouvriers et les employés sont très présents
dans les sports collectifs (Données sociales 1984, p. 399) et aussi dans leur encadrement (football,
par exemple). Il est vrai également que dans les MJC on a tendance à développer des sports
nouveaux qui ne sont pas d’emblée populaires. Cela demanderait une enquête complémentaire.
5
L’enquête sur la FFMJC éprouve en effet le besoin de distinguer leur présence particulière.
- 114 en force de travail correspondrait à un temps libre supérieur pris sur leur temps de travail
professionnel (vacances plus longues, journées de travail sur poste plus courtes). Autrement dit, on
pourrait affirmer que ces enseignants bénéficient d’une rétrocession de plus-value de deux natures :
en salaire et en temps libre1 dont ils font “bénéficier” les MJC par leur participation financière et leur
travail bénévole.
Cette implication financière et opérationnelle dominante des classes moyennes est à comparer
avec leur implication décisionnelle. Autrement dit, le décisionnel est-il logiquement représentatif des
individus adhérents et usagers des MJC ou, ce qui est différent, de ceux qui ont une forte implication
financière et opérationnelle ? Plus précisément - pour ce qui est des adhérents et usagers directs les instances de décision de la MJC (conseil d’administration et bureau) obéissent-elles à une
logique de représentation démocratique ou à un logique de représentation plutôt sociale et financière
qui, sans être organisée comme telle2 n’en serait pas moins réelle ?
Nous sommes conduits à savoir qui sont les administrateurs bénévoles des Maisons des Jeunes
et de la Culture.
b) les administrateurs bénévoles gestionnaires
18 volontaires en moyenne par association affilée à l’UNIREG y occupent des responsabilités
associatives3. A la FFMJC, ils ne seraient que 11 par association4. Cela signifie-t-il, comme pour le
bénévolat opérationnel, que le bénévolat associatif est moins développé en nombre à la FFMJC qu’à
l’UNIREG ? Là aussi, il faut être très prudent tant la manipulation des chiffres et des définitions est
délicate. Les chiffres de la FFMJC ne concernent que les administrateurs représentants des
adhérents, alors que pour l’UNIREG cela recouvre les volontaires qui consacrent une partie de leur
temps à la vie associative, définition plus large qui peut comprendre les membres associés et
éventuellement des responsables associatifs appartenant à des conseils et commissions divers.
Près de 50% des MJC affiliées à la FFMJC ont par exemple 6 à 9 membres associés qui, ajoutés
aux membres élus représentants des adhérents, font un total comparable à celui des MJC UNIREG.
En ce qui concerne leur âge, ces responsables associatifs des Maisons des Jeunes et de la
1
On pourrait effectivement expliquer - argument de bon sens souvent entendu - les salaires inférieurs
des enseignants par rapport aux cadres (alors qu’ils ont une formation initiale égale et souvent
supérieure) par une compensation en temps libre.
2
La base électorale des MJC est effectivement juridique et ne se définit que par la possession d’une
carte d’adhérent au coût très modeste (généralement moins de 50 F par an) et non “censitaire”
(ceux qui paient le plus). Si cela n’était pas le cas, les gros bailleurs de fonds (municipalités) seraient
en droit de réclamer un pouvoir de décision égal ou supérieur à celui des usagers. Certaines
municipalités, au nom du fait, demandent ce droit, arguant qu’il est incohérent de devoir payer sans
avoir le droit de décider.
3
Faits, chiffres et images d’associations, p. 19.
4
Les MJC aujourd’hui. Réalités et impact, p. 63-64.
- 115 Culture ont, à l’UNIREG, une quarantaine d’années, pour 60% d’entre eux1. A la FFMJC, la moyenne
d’âge des membres des bureaux est assez homogène, la médiane se situant entre 36 et 38 ans. Les
31-39 ans sont 56,6% contre 25,3% pour les 40 à 49 ans et 13,1% pour les 26 à 30 ans. Certaines
tranches d’âge (25 ans et en dessous, 50 à 60 ans) y sont sous-représentées (2,5% chacune), voire
quasi-totalement absentes (les plus de 60 ans)2.
Bien plus importante est la profession et catégorie sociale de ces administrateurs bénévoles. On
repère de saisissantes similitudes entre les MJC des deux fédérations, et ce malgré des disparités
que nous avons mises en évidence (zone d’implantation, taille, par exemple). Les “décideurs”
membres des bureaux, quasi-exclusivement choisis parmi les adhérents, (présidents, trésoriers,
secrétaires et adjoints) se recrutent par ordre de priorité parmi les cadres moyens et enseignants
(27,7% pour la FFMJC, 24,9% pour l’UNIREG), les employés et techniciens (25,7% pour la FFMJC,
21,4% pour l’UNIREG), les cadres supérieurs et professions libérales (12,7% pour la FFMJC, 11%
pour l’UNIREG), les ouvriers (6,08% pour la FFMJC, 8,2% pour l’UNIREG), les retraités (5,7% pour
la FFMJC, 6,8% pour l’UNIREG), les scolaires et étudiants (4,9% pour la FFMJC, 5,3% pour
l’UNIREG). Il n’y a guère que pour les femmes au foyer que la différence est sensible (11,4% pour la
FFMJC, 7,1% pour l’UNIREG).
Si l’on compare ces pourcentages à ceux de la répartition des adhérents par profession et
catégorie sociale, on constate des sur-représentations et sous-représentations flagrantes. Pour le
seul cas de l’UNIREG3, les cadres moyens sont 24,9% d’administrateurs à représenter 9,2%
d’adhérents de la même catégorie, les employés 21,4% pour 12%, les professions libérales et
cadres supérieurs 11% pour 3,4%. Seuls les ouvriers (8,9% pour 7,5%), les retraités (6,8% pour
6,8%) et les femmes au foyer (7,1% pour 6,2%) sont dans une logique de représentation cohérente.
Par contre, la sous-représentation associative des scolaires et étudiants est remarquable (5,3%
des membres des bureaux pour 38,6% des adhérents), ce qui peut s’expliquer de diverses manières:
l’âge, qui ne permet pas d’être électeur en dessous de 16 ans et d’être membre du bureau en
dessous de 18 ans ; la seule prise en compte des bureaux, qui rassemblent des administrateurs à
“haute responsabilité” que des jeunes, même étudiants, ont du mal à assumer ; peut-être aussi la
difficulté pour les MJC à motiver, malgré leur action, l’engagement associatif des jeunes dans de
telles structures.
Les administrateurs bénévoles des Maisons des Jeunes et de la Culture font partie en grande
majorité de la population active. De ce point de vue-là, la situation est comparable pour la FFMJC et
1
Enquête UNIREG, p. 18.
2
Enquête FFMJC, p. 68.
3
On arriverait vraisemblablement à des constats semblables pour la FFMJC tant il est vrai que, malgré
la présentation différente des données (Les MJC aujourd’hui. Réalités et impact, p. 81) nous
aboutissons à une “catégorisation” des adhérents comparable à celle des adhérents de l’UNIREG.
- 116 l’UNIREG : 76% pour l’une et 80,8% pour l’autre. Autrement dit, l’implication collective, sociale et
culturelle dans les MJC est le fait d’abord de catégories fortement insérées dans la vie
professionnelle, et non, comme un jugement bon sens pourrait le laisser supposer, le fait de
catégories libérées des contraintes professionnelles. Ainsi, du moins dans les MJC, l’implication
décisionnelle dans la vie sociale et culturelle ne sert-elle pas majoritairement de substitut à une
absence d’activité professionnelle1.
Si l’on s’appuie sur le tableau que nous avons élaboré à partir d’un rassemblement de données2,
on constate que pour les cadres moyens, enseignants, professions intermédiaires, professions
libérales, cadres et professions intellectuelles supérieures, nous allons, de leur présence dans la
population active française à leur implication dans les instances de décision des MJC, à une
représentation qui va crescendo. C’est particulièrement flagrant pour les MJC affiliées à la FFMJC :
53,6% des sièges d’administrateurs bénévoles contre 23,2% dans la population française active. Les
employés, sur-représentés parmi les adhérents des MJC, perdent du terrain dans les instances de
décision, sauf peut-être à la FFMJC où ils tendraient à se maintenir. Par contre les ouvriers et
personnels de service, déjà moins représentés dans la population adhérente, perdent beaucoup de
terrain dans les instances, notamment à la FFMJC. Pour ce qui est des patrons de l’industrie, de
l’artisanat, du commerce et des agriculteurs-exploitants, leur destin associatif est assez différent
selon qu’il s’agit des MJC de l’UNIREG (18%) ou de la FFMJC (7,8%). Cette différence, comme
d’autres (sur-représentation des classes moyennes dans les instances des MJC affiliées à la FFMJC
par exemple), pourrait s’expliquer par l’implantation respective des deux fédérations. Il y a en effet
une cohérence entre les deux paysages, celui d’une réalité socio-professionnelle et celui de
l’implication bénévole dans les instances de décision des Maisons des Jeunes et de la Culture.
Jusque dans ses instances, l’UNIREG garde une image plus rurale marquée par l’artisanat, le petit
commerce et la petite industrie alors que la FFMJC et ses MJC, implantées majoritairement dans
l’espace fortement industrialisé et urbanisé, se donneraient des instances de décision socialement à
l’image des nouvelles classes sociales qui s’y sont développées à l’extérieur et aussi à l’intérieur
d’elles-mêmes. Au-delà de ces différences, on peut avancer que, sauf pour les ouvriers, les MJC,
notamment dans leurs forces vives, sont quantitativement et qualitativement à l’image des forces
vives de l’espace social sur lequel elles sont implantées.
Il y aurait également beaucoup à dire sur la place respective des différentes catégories sociales
1
Ce fait appelle une remarque : même sans un statut d’élu social qui pourrait dégager pour les actifs
un temps libre rémunéré leur permettant d’assumer leur responsabilité, les actifs sont les plus
nombreux à s’impliquer dans les instances de décision des MJC, ce qui ne veut pas dire qu’il n’y a
pas lieu de revendiquer le statut de l’élu social.
2
INSEE 1981 et les deux enquêtes sur les fédérations de MJC dont nous avons tiré les pourcentages
de ce tableau sur la base de la population active (ce qui exclut les étudiants, les retraités, les
chômeurs, les femmes au foyer) - Voir annexe 32.
- 117 eu égard aux différents postes de responsabilité dans les bureaux des MJC1. On peut en effet faire
quelques remarques :
- Les professionnellement inactifs, sous-représentés comme nous l’avons vu, le sont
particulièrement dans le poste le plus important, celui de président. Ils ne sont un peu plus
représentés que dans les postes considérés comme de moindre responsabilité (trésorier ou
secrétaire ou les postes d’adjoint), où ils ont une représentation supérieure à leur moyenne générale.
C’est particulièrement flagrant pour les élèves et étudiants mais aussi pour les femmes au foyer.
- Dans cette image encore très générale, deux éléments sont à remarquer : les retraités ont
souvent des responsabilités de trésorier (11,5% contre une moyenne générale ce 5,74%) ce qui peut
s’expliquer par l’engagement opérationnel que requiert souvent cette responsabilité. En effet dans de
nombreuses MJC sans professionnels d’administration et de direction, le trésorier fait également
office de comptable, ce qui demande du temps. Les femmes au foyer sont souvent secrétaires du
conseil d’administration, ce qui peut s’expliquer de plusieurs manières : ce poste, pas toujours bien
perçu, est souvent identifié à une fonction technique et opérationnelle (prise de notes, comptes
rendus) ; de ce fait, il a en quelque sorte une image plus liée à la femme qu’à l’homme dans le
mesure où l’on fait facilement un lien direct entre secrétaire d’une instance de décision et secrétaire
administrative d’un service ou d’une entreprise ; de plus, ce poste requiert effectivement dans de
nombreuses MJC une implication opérationnelle (rédaction des comptes rendus, envoi des courriers,
des dossiers, classement ...), ce qui là aussi demande du temps.
- Les cadres moyens et enseignants arrivent en première position dans 4 fonctions sur
7.(président, premier vice-président, second vice-président et secrétaire) et en deuxième position
dans toutes les autres fonctions.
- Les employés et techniciens arrivent en première position dans des fonctions qui
apparaissent souvent plus techniques que “politiques” (trésorier, trésorier-adjoint et secrétaireadjoint), et en dernière position dans toutes les autres fonctions. Dès lors, si les cadres moyens et
enseignants sont les premiers de la classe dans les matières principales, les employés et
techniciens sont de bons seconds et les premiers dans des secteurs jugés souvent de second rôle,
mais qui n’en sont pas moins déterminants.
- Les ouvriers et contremaîtres fortement sous-représentés dans l’ensemble, occupent
cependant une place honorable au poste de premier vice-président : 11% des cas, ce qui les met en
troisième position après les cadres moyens/enseignants et les employés/techniciens. S’agit-il là d’un
signe qui sert de caution “populaire” et “démocratique” à une institution qui, tout en étant largement
dominée par le raz-de-marée des classes moyennes, n’entend pas pour autant abandonner ses
objectifs d’éducation et de responsabilisation populaires ?
1
Annexe 33 (catégories sociales des membres des bureaux, enquête FFMJC).
- 118 - Les cadres supérieurs et professions libérales restent dans une moyenne modeste (12,7%)
mais homogène, dans la mesure où les écarts par rapport à cette moyenne sont faibles.
Remarquons cependant qu’ils sont assez bien représentés au poste de président, où ils arrivent en
troisième position, proches des employés et techniciens, mais évidemment loin des cadres moyens
et enseignants.
- Les artisans, commerçants et agriculteurs très peu représentés dans les instances des
MJC affiliées à la FFMJC, font cependant leurs meilleurs scores dans les fonctions de président et
de vice-président. Comme si, à l’image de leur situation professionnelle, ils entendaient bien occuper
des places prépondérantes dans le domaine social.
- A l’opposé, les jeunes et les étudiants, également très peu représentés, passent au-dessus
de leur moyenne dans des postes jugés secondaires ou d’adjoint.
Au-delà de ces remarques, il apparait très clairement que les cadres moyens et enseignants
occupent largement la place forte de président, loin devant leurs suivants immédiats et avec un écart
positif par rapport à leur propre moyenne (qui est déjà élevée) de 13 points. Ils sont donc bien
dominants dans l’ensemble et fortement dominants dans la fonction dominante.
En ce qui concerne les présidents des MJC affiliées à la FFMJC, un croisement entre leur
appartenance socio-professionnelle et l’importance des associations selon leur nombre d’adhérent
donne des informations complémentaires et nouvelles1 :
- Les cadres moyens sont dominants - quelle que soit la structure locale (MJC ou union
locale) et son importance, avec une pointe à 54% (MJC de 1.000 à 2.000 adhérents) - sauf pour les
MJC de plus de 2.000 adhérents où les cadres supérieurs font jeu égal avec eux (37,5%).
- De leur côté les cadres supérieurs dépassent leur représentation moyenne en tant que
président (16,3%) dans les MJC importantes (plus de 500 adhérents) avec un record pour les MJC
de plus de 2.000 adhérents.
- Les employés présidents sont à leur moyenne (18,7%) ou au-dessus jusqu’à une
importance de 1.000 adhérents, pour ensuite chuter brutalement et même disparaître au seul profit
des cadres moyens et supérieurs.
- Quant aux ouvriers, ils sont représentés dans la fonction de président dans les MJC de
petite importance (moins de 200 adhérents), et ensuite ne sont que quantité négligeable ou nulle
dans les MJC de plus grande taille.
A grands traits, la responsabilité majeure dans les MJC, selon leur importance, suit
sociologiquement l’échelle des catégories socio-professionnelles. Plus les MJC sont importantes en
nombre d’adhérents - ce qui va généralement de pair avec leur poids économique et leur nombre de
salariés - plus la probabilité est grande qu’elles soient présidées par un cadre moyen ou supérieur,
1
Annexe 33.
- 119 même si par ailleurs ces mêmes MJC accueillent des usagers de couches sociales plus modestes,
voire défavorisées.
Les conseils d’administration des Maisons des Jeunes et de la Culture sont donc moins à l’image
- notamment dans les MJC importantes et pour les postes importants - des adhérents définis selon
leur âge et leur profession ou catégorie sociale, qu’à l’image de la nature des ressources des
structures et de ceux qui les “acheminent” par leur participation financière. Autrement dit, les
rétrocédants de plus-value sont aussi les gestionnaires. La représentativité associative suit ainsi plus
une logique socio-économique que démocratique, et ce malgré les statuts et la volonté pédagogique
des MJC et de leurs acteurs. Par contre, les créateurs de plus-value - ces prolétaires ou quasiprolétaires, à qui elle est extorquée selon Baudelot, Establet et Mallemort1 - s’ils peuvent, grâce aux
services des MJC, en bénéficier pour eux-mêmes et leur famille, ils n’en sont pas pour autant les
gestionnaires et les décideurs de son utilisation sociale, culturelle et éducative2.
Ne peut-on pas ainsi considérer que les Maisons des Jeunes et de la Culture sont d’abord des
espaces de constitution d’une culture des nouvelles classes moyennes, des espaces, parmi d’autres,
d’identification et de formation socio-politique de ces nouvelles classes ?3 S’il est bien possible que
nous vivions une période de “révolution sociale”4 due à un intense développement de nouvelles
forces productives (robotique, informatisation ...) qui se traduit par la progression rapide de nouvelles
classes moyennes salariées5, on peut considérer effectivement que les Maisons des Jeunes et de la
Culture sont des espaces privilégiés de constitution socio-culturelle de ces nouvelles classes.
Cette interprétation, qui dans sa dimension générale et prospective nous conduit à une limite de
notre recherche que nous ne franchirons pas, pourrait peut-être éclairer l’important développement
des MJC dans les années 60, leur situation conflictuelle dans les années 70 et peut-être aussi leur
écartèlement ou du moins la diversification de leurs pratiques dans les années 80. En effet, les MJC
ne sont-elles pas de plus en plus tiraillées entre la demande culturelle toujours plus exigeante des
classes moyennes et la nécessité affirmée de s’adresser aux plus défavorisés, voire aux exclus ?6
1
La petite bourgeoisie en France.
2
En reprenant des formules historiques de l’éducation populaire, on pourrait dire que dans la plupart
des cas, les MJC vont “au peuple” “pour le peuple” mais pas “par le peuple”.
3
Sans pour autant s’appuyer sur une analyse quantitative précise, Jacques Ion donne du socio-culturel
une explication comparable (“La fin du socio-culturel”, Cahiers de l’animation n° 56, p. 69 et
suivantes, INEP, 1986).
4
Au sens que lui donne Marx dans la préface de la Contribution à la critique de l’économie politique :
bouleversement matériel des conditions de production économique dû au développement de
contradictions entre les forces productives matérielles et les rapports de production existants.
5
Avec pour contrepartie la “fin des paysans” et le “déclin du prolétariat” (Henri Mendras : La Seconde
Révolution Française 1965-1984, Gallimard, 1988).
6
Toujours selon J. Ion (La fin du socio-culturel), cet écartèlement du socio-culturel pourrait aller
jusqu’à son éclatement (création et diffusion culturelle/prestation de services/travail social), alors
- 120 La situation particulière des MJC entre les sphères de la production économique et du juridicopolitique, ainsi que les transformations professionnelles, sociales, culturelles et administratives
auxquelles elles ont été et sont confrontées, sont génératrices de quelques contradictions, ou pour le
moins ambivalences, qui peuvent expliquer leur histoire mouvementée, et sur lesquelles nous
reviendrons.
En attendant, il est important de comprendre comment ces ressources des Maisons des Jeunes
et de la Culture - autrement dit cette plus-value rétrocédée selon un long cheminement - sont
utilisées, et plus précisément comment elles sont investies en force de travail salarié, divisé, et
finalisé selon des fonctions bien précises.
3 - Division du travail, professions et catégories sociales
Il est bien difficile d’avoir une connaissance exacte du nombre de salariés dans les Maisons des
Jeunes et de la Culture, comme du reste dans l’ensemble des associations. En effet, les deux
fédérations de MJC rassemblent quelque 1.600 employeurs réels ou potentiels et c’est seulement
pour les personnels de la FFMJC et de ses fédérations régionales qu’il est possible de savoir
précisément le nombre de salariés employés, puisqu’ils sont tous gérés par un même service, le
Centre Interrégional de la paie (CIRP).
Les deux enquêtes permettent cependant d’approcher la réalité avec une certaine précision. Pour
la FFMJC (année 1983), le nombre de salariés serait de 9.310, soit une moyenne de 8,78 salariés
par structure, et pour l’UNIREG (année 1987), de 2.425 salariés, soit 6,12 par structure. Pour la
seule Fédération de l’académie de Grenoble, on passe de 9,78 salariés par structure en 1983 à
12,55 en 1987.
La professionnalisation est donc plus importante à la FFMJC qu’à l’UNIREG1, plus importante
dans une région comme l’académie de Grenoble que dans l’ensemble de la FFMJC. Leur moindre
importance, selon l’indicateur du nombre d’adhérents et leur implantation géographique, peut
expliquer
la
moindre
professionnalisation
des
MJC
de
l’UNIREG,
alors
que
la
“sur-
professionnalisation” grenobloise est à mettre en rapport avec le dynamisme socio-économique de la
région.
L’exemple de la FRAG montre également que, pour cette région au moins, la professionnalisation
des MJC est en progression rapide : 28,3% en trois ans, soit plus de 9% par an. L’examen d’une plus
longue durée (1980 à 87) confirme cette rapide progression : alors que le nombre de directeurs ne
que nous avons plutôt perçu sa recomposition (Vers le social-culturel, Cahiers de l’animation n° 56,
p. 55 et suivantes).
1
De plus, la base de calcul n’est pas exactement la même : le chiffre brut de l’UNIREG comprend
également les salariés mis à disposition et non employés directement par les MJC, alors que celui de
la FFMJC ne comprend que les employés des associations affilées et de leurs fédérations. Cela
revient à dire que l’emploi à la FFMJC est encore plus élevé.
- 121 progresse pas, le nombre de personnels à temps plein et à trois-quarts de temps progresse de 135%
(presque 20% par an) et le personnel à mi-temps de 106% (15% par an). Le personnel à temps
partiel progresse pour la même période de 109% alors que le bénévolat progresse de 101%1. La
“professionnalisation” des MJC n’entame donc pas l’implication des bénévoles contrairement à la
crainte souvent exprimée. Mais le développement du bénévolat n’empêche pas non plus le
développement de l’emploi, ce qui rend sans fondement l’inquiétude de certains professionnels de se
trouver en concurrence déloyale avec des “travailleurs” non rémunérés2. Les chiffres tendent au
contraire à montrer que le développement de l’emploi, notamment partiel (intermittents, animateurs
d’activités pour l’essentiel), va de pair avec le développement du bénévolat et qu’il y a fort à parier
que loin d’être négative, la relation entre bénévoles et professionnels est dynamique et fonctionne en
synergie.
Cette “professionnalisation” rapide des Maisons des Jeunes et de la Culture est confirmée par
l’analyse financière. De 1979 à 1987, toujours pour la FRAG, les frais de personnel augmentent de
155% alors que les frais généraux n’augmentent que de 65%. Il est également important de
remarquer que les recettes propres augmentent de 269% alors que les subventions n’augmentent
que de 86%, ce qui revient à dire que le développement de l’emploi dans les MJC est
essentiellement lié à leurs recettes propres réalisées dans les activités régulières et les actions plus
ponctuelles.
L’emploi par les fédérations est proportionnellement plus important - même s’il est dans l’absolu
plus faible (243 contre 664)- à l’UNIREG (13,4% de l’ensemble de l’Institution) qu’à la FFMJC (7,1%)
où, donc, 93% des employés sont salariés des associations locales. Ainsi repérons-nous,
notamment à la FFMJC, un ensemble professionnel constitué de deux sous-ensembles : d’un côté
une minorité de salariés (des directeurs, pour la plupart), gérés par le centre interrégional de la paie,
fortement structurés professionnellement et syndicalement (recrutement, formation et convention
collective nationale, syndicalisation forte) ; de l’autre, une majorité de salariés gérés par une
multiplicité d’employeurs différents, aux statuts souvent précaires, et qui sont très peu syndiqués. Si
l’écart statutaire - compte tenu de l’application de la convention collective nationale de l’animation
socioculturelle de 1988 - tend à se réduire, l’écart numérique, lui, ne fait qu’augmenter. En effet, si
l’on appliquait l’indice d’augmentation de l’emploi de la FRAG à l’ensemble de la FFMJC, on pourrait
considérer que l’ensemble fédératif gère quelque 15.500 salariés en 1990, dont guère plus de 600
employés fédéraux (3,9%)3.
Dans cet ensemble fédératif, la division du travail, ainsi que la diversification des fonctions, sont
1
Tous ces chiffres sont extraits des Cahiers de la FRAG - Documents et statistique 1987.
2
La hache de guerre n’est pas définitivement enterrée entre bénévoles et professionnels…
3
La seule prise en compte de ces données devrait faire réfléchir les responsables de la FFMJC et des
fédérations régionales, notamment ceux qui ont la charge de gérer les “ressources humaines”.
- 122 importantes. Même si, comme nous l’avons vu, les contenus de travail du directeur sont variés, le
temps est révolu où il devait assumer quasiment seul avec des bénévoles, les diverses fonctions :
accueil, secrétariat, comptabilité, animation directe, direction, entretien ...
Les personnels dits permanents (temps complet, trois-quarts, demi, un tiers et un quart de temps)
se répartissent dans l’ensemble des fonctions et des grilles de salaires définies par le convention
collective de l’animation socioculturelle1 : du groupe 1 pour le personnel d’entretien au groupe 9 pour
le délégué général. Les Maisons des Jeunes et de la Culture ont donc leurs cadres supérieurs (les
délégués), leurs cadres moyens et professions intermédiaires (directeurs, animateurs, secrétaires de
direction), leurs employés (personnel administratif essentiellement) et leurs ouvriers et personnels de
service (ouvrier d’entretien et femme de ménage pour l’essentiel), autrement dit leurs cadres,
bénéficiaires de “rétrocession de plus-value”, et leurs “quasi-prolétaires”, TUC, CES...2
On ne sera guère surpris d’apprendre que le nombre de salariés permanents augmente avec le
nombre d’adhérents : d’un demi-permanent pour les MJC de moins de 200 adhérents à une
moyenne de 18 pour les MJC de 2.000 adhérents et plus3. Ces salariés sont à 46% des animateurs,
à 26% des employés pour le secrétariat, l’accueil et la comptabilité, à 7% des techniciens et à 19%
des personnels d’entretien. Les animateurs sont donc les plus nombreux. Si l’on y ajoute les
directeurs-éducateurs de MJC, on obtient un total de directeurs/animateurs de 1.440 + 5.87 = 2.027
sur 4.434 emplois permanents. Un emploi d’“animation” (si l’on considère les directeurs comme des
animateurs) induit donc en moyenne 1,19 emplois connexes (secrétariat, technique, entretien...).
Les animateurs permanents employés directement par les structures de base (MJC, unions
locales ou fédérations départementales) assurent des missions également diverses, à tel point que
l’on peut avancer que les fonctions professionnelles sont divisées à la fois dans leur dénomination,
dans leurs grilles de salaires, dans les savoir-faire exigés et dans leurs missions. Parmi les MJC
ayant répondu à l’enquête4, 24% ont des animateurs dans le secteur enfant, 20% dans le secteur
adolescent, 18,5% ont des animateurs d’ateliers, 17% des animateurs sportifs et 14% des
animateurs chargés de l’animation globale.
Les emplois dits “permanents” sont marqués par une certaine précarité : un tiers d’entre eux sont
des contrats à durée déterminée, et plus de 30% sont des emplois à temps partiel, les mi-temps
étant de loin les plus nombreux (70% des emplois à temps partiel).
Les saisonniers (appelés souvent “vacataires”), généralement payés à l’heure pour encadrer une
activité (“techniciens d’activité” ou “animateurs-enseignants”) sur un temps défini très souvent
1
Rappelons que cette convention collective, dont l’application est obligatoire depuis le 1/1/90, couvre
l’ensemble du secteur de l’animation socio-culturelle.
2
Travaux d’utilité collective, contrats emploi-solidarité ... dans le cadre de la lutte contre le chômage.
3
Enquête FFMJC portant sur l’année 1983.
4
Enquête FFMJC portant sur l’année 1983.
- 123 inférieur au quart-temps1, sont les salariés les plus nombreux : près de 5.000 à la FFMJC pour
l’année 1983, soit 52,4% de l’ensemble.
Comme celui des salariés permanents, le nombre des saisonniers dans les MJC augmente avec
le nombre des adhérents : d’une moyenne de 1,5 pour les MJC de moins de 200 adhérents à 19
pour les MJC de plus de 2.000 adhérents. Leur répartition entre les activités principales est la
suivante : ateliers (34,3%), activités sportives (32,1%), centres de loisirs sans hébergement (16,2%),
spectacles (8,9%), langues (5,9%), intervention en milieu scolaire (2,6%)2. Dans les activités
principales (sport, ateliers et Centres de Loisirs Sans Hébergement), ces saisonniers effectuent entre
10 et 19 heures par mois (pour, dans l’ordre de ces activités, 39%, 45% et 34% des MJC) puis moins
de 10 heures (pour 37,5%, 33,5% et 32,2% des MJC) et enfin de 20 à 29 heures (pour 10,5%, 14%
et 10% des MJC). Le nombre de mois d’activité le plus courant est de 9 mois par an.
Les Maisons des Jeunes et de la Culture n’échappent donc pas dans leur évolution à la logique
des entreprises publiques et privées, à savoir :
- une division de plus en plus importante du travail, des fonctions et des savoir-faire,
- une coupure de plus en plus nette entre le travail relevant du décisionnel (concepteurs,
coordinateurs, directeurs) et le travail d’exécution, qu’il soit administratif, technique et même
pédagogique. Rappelons qu’à la FFMJC en 1983, 7% de cadres dirigeait 93% de salariés employés
à des fonctions diverses. A la FFMJC, ces cadres presque tous directeurs de structures et de projets
sont plus encore qu’à l’UNIREG comparables des chefs de petites entreprises3.
- une échelle des salaires importante même si elle est plus faible qu’ailleurs (de 1 à 4
approximativement).
Ce dispositif professionnel, ainsi que l’ensemble de forces organisées des Maisons des Jeunes et
1
Depuis 1990, ces saisonniers doivent être embauchés sur un statut réglé par un “contrat à durée
indéterminée intermittent” (avenant à la convention collective de l’animation socioculturelle).
2
Les artistes intermittents du spectacle échappent à ces données. Il serait d’un grand intérêt de savoir
ce que représentent les MJC pour la rémunération des artistes.
3
Ce qui pourrait en partie expliquer, et peut-être justifier, des salaires plus élevés (groupe 7
“amélioré” de la convention collective pour les directeurs FFMJC contre groupe 6 pour la majorité
des directeurs de l’UNIREG), et des coûts également supérieurs (pour l’année 1991, le taux moyen
devrait dépasser de 40.000 F le taux moyen UNIREG).
- 124 de la Culture et de leurs fédérations, ont une production sociale et remplissent des missions qu’il est
nécessaire d’identifier et d’évaluer, et ce malgré les difficultés liées à leur caractère essentiellement
socio-culturel et symbolique.
- 125 -
CHAPITRE - IV PRODUCTIONS, PARTENARIAT ET ENJEUX DE SOCIETE
Dans notre “signalement provisoire” des Maisons des Jeunes et de la Culture1, nous avons
annoncé qu’elles se caractérisaient également par des “productions”2 que l’on peut apprécier à deux
niveaux :
• Les réalisations visibles, actions, pratiques assez facilement démontrables : activités
régulières, spectacles, créations, services divers, missions de formation... Ces productions sont
généralement décrites, voire analysées avec plus ou moins de précision dans les rapports d’activité
des assemblées générales des MJC.
• Les effets socio-culturels plus difficilement appréciables et rarement évalués : promotion
sociale, “viabilisation” du tissu social, intégration et insertion des individus, développement de la
sociabilité, des aptitudes individuelles, de la personnalité, de l’initiative, de l’esprit critique et éclairé,
de la responsabilité, de la citoyenneté active, de la vie démocratique...
L’évaluation quantitative et qualitative de ces productions, leur dénombrement même se heurtent
à une série de difficultés :
- Les acteurs, bénévoles ou professionnels, des Maisons des Jeunes et de la Culture sont,
avons-nous dit, particulièrement loquaces sur leurs pratiques, les projets, objectifs et finalités, la
philosophie qui les anime, les cadres de référence qui légitiment leurs action. Ils passent également
beaucoup de temps à décrire les inégalités sociales auxquelles ils sont confrontés, à analyser les
comportements des partenaires, à raconter leur vécu, à “interroger” leurs pratiques en les
confrontant aux ambitions du projet. Par contre, ces mêmes acteurs sont nettement moins prolixes
sur l’analyse des productions sociales de leurs actions. On ne va guère au-delà de la
comptabilisation des résultats immédiatement visibles. Occultation volontaire, ou manque d’outils
d’analyse ? La réponse est peut-être plus simple : les acteurs - les directeurs de MJC notamment sont d’abord des “faiseurs”, des “opérationnels”, voire des “opérateurs”. Malgré les enjeux de société
poursuivis, leur attitude est essentiellement pratique voire pragmatiste. Mais il est vrai aussi que,
pour un certain nombre d’entre eux, l’action culturelle sociale et éducative qu’ils conduisent ne se
mesure pas, et surtout n’a pas de prix3.
1
Introduction, § 3.
2
Le terme de “production” est à employer avec précaution au sens de “production socio-culturelle”
engageant, comme nous l’avons vu, toute une technologie sociale faite de dispositifs, de techniques
pédagogiques et d’une organisation spécifiques. Ce terme de production, comme celui d’entreprise,
est d’une utilisation très récente dans le langage des Maisons des Jeunes et de la Culture.
3
Les conventions, en particulier avec les municipalités, concernent très souvent les missions générales
et surtout les moyens, mais relativement peu les indicateurs d’évaluation des productions. Les MJC,
- 126 Ces productions dans leurs fonctions socio-culturelles ont, pour nombre d’entre elles, un
caractère complexe, polymorphe, ambivalent, voire ambigu et contradictoire. S’il est relativement
possible d’apprécier l’amélioration du climat social d’un quartier (baisse de la délinquance, sentiment
de sécurité, développement de la vie associative et de la communication sociale ....), il est, par
contre, plus difficile de mesurer le développement de la personnalité des individus, leur sens critique,
leur degré d’autonomie et de responsabilité active. Quand on connait les difficultés de la construction
de l’indicateur de la précarité1, on peut imaginer la gageure que représente l’évaluation du rôle d’une
MJC en matière de lutte contre cette précarité professionnelle, sociale, culturelle et affective des
individus.
Les sciences sociales ont encore relativement peu avancé dans ce domaine de l’analyse des
productions sociales de l’intervention socio-culturelle, les évaluations se limitant souvent à l’analyse
quantitative des pratiques culturelles, même si, ça et là, les dispositifs d’intervention “lourds” type
développement social des quartiers (DSQ) ou développement social urbain (DSU) rendent
indispensable, compte tenu des moyens investis et des enjeux, une appréciation sérieuse des
résultats.
S’agissant des Maisons des Jeunes et de la Culture, le dénombrement même des actions et des
pratiques, leur classement, leur importance sont rendus difficile par la multiplicité des structures, qui
ne transmettent pas forcément des comptes à leurs fédérations, et par la diversité des actions.
Sachons que dans une MJC tout est possible, de la création artistique à l’action humanitaire ou
économique, du cours de philosophie à l’organisation du réveillon du premier de l’an, à l’organisation
d’échanges internationaux en passant par l’hébergement, la restauration, et les rencontres sportives.
1 - Activités, actions et publics
80% des Maisons des Jeunes et de la Culture font de l’action culturelle (création, diffusion dans
les disciplines artistiques les plus diverses ...), 75% ont de activités sportives, 70% proposent des
activités d’expression (ateliers, cours, stages), 70% ont des activités au service du développement
associatif (prêt de salle et de matériel, formation des responsables, imprimerie ...), 63% ont des
activités scientifiques, techniques, ainsi qu’audiovisuelles, 50% proposent des actions de formation,
33% font de l’action sociale, 29% des activités de tourisme social, 20% ont des activités
économiques (développement local, entreprises intermédiaires, ventes, services divers…)2, telles
malgré les pressions grandissantes des partenaires financeurs, restent assez rétives à tout ce qui
pourrait ressembler à un cahier des charges et à des évaluations rigoureuses, surtout si elles leur
échappent.
1
2
Voir par exemple André Villeneuve : “Construire un indicateur de précarité : les étapes d’une
démarche empirique” (Économie et Statistique n° 168, juillet-août 1984).
Les MJC aujourd’hui. Réalités et impact.
- 127 sont les pratiques les plus courantes des Maisons des Jeunes et de la Culture affiliées à la FFMJC.
L’approche des activités et des actions des MJC (affiliées à l’UNIREG), selon la fréquentation des
adhérents et usagers1, apporte des informations complémentaires. S’agissant des seuls adhérents
(titulaires d’une carte d’adhérent donnant le droit de vote aux plus de 16 ans dans les assemblées
générales), plus d’un tiers (36,3%) pratique des activités à caractère sportif, de nature ou de plein
air, de détente physique ; moins d’un tiers (30,6%) a des activités artistiques et d’expression
culturelle ; 13,3% a des activités propres à son âge (enfants et adolescents regroupés dans des
centres de loisirs, camps d’été, foyers ...) ; les activités d’accueil, d’information, de développement
associatif, regroupent 6,3% des adhérents ; enfin les activités techniques et scientifiques, ainsi que
les ateliers artisanaux traditionnels intéressent 6% des adhérents.
Si l’on considère maintenant, toujours pour l’UNIREG, la totalité des personnes concernées
directement par les MJC (adhérents + usagers), on obtient des chiffres très significatifs de l’impact
culturel et de communication sociale des Maisons des Jeunes et de la Culture. En effet, 63% des
personnes ainsi comptabilisées sont concernées par des activités de nature culturelle (apprentissage
et pratiques artistiques, “consommation” de spectacles et d’expositions, participation à des
animations culturelles). Ensuite viennent les activités à caractère convivial (développement
associatif, information, etc...) pour 15% de la population touchée, puis le sport et les activités de
détente physique (11%). Les activités artisanales traditionnelles (moins de 1% des usagers) sont
donc très peu “grand public”, ce qui fait tomber une image encore répandue de la MJC poterie,
tissage, peinture sur soie, macramé ...
L’enquête conduite sur la FFMJC fait également bien apparaître la diversité des pratiques des
Maisons des Jeunes et de la Culture ainsi que l’importance des secteurs prioritaires.
a) l’action culturelle
Nous avons vu que 80% des MJC affiliées à la FFMJC font de l’action culturelle. Parmi ces MJC,
près de 50% le font dans le domaine des expositions, et bien plus dans la création d’expositions que
dans l’accueil d’expositions qui circuleraient d’une structure à l’autre. Cette action culturelle se
caractérise donc plus par une démarche d’expression d’artistes locaux, jeunes, amateurs, que dans
la présentation d’oeuvres d’artistes confirmés qu’il s’agirait de rapprocher d’un nouveau public2.
86% des MJC menant des activités culturelles le font dans le domaine du théâtre, aussi bien dans
les activités de création que de diffusion, même si ces activités concernent très souvent le théâtre
1
Faits, chiffres et images d’associations.
2
A titre d’exemple : dans les années 80, la MJC Prévert à Aix-en-Provence n’a présenté dans sa salle
d’exposition qu’un seul artiste de renom (Fernand Léger). Les autres expositions, de plus ou moins
grande qualité artistique, concernaient des artistes locaux, régionaux ou même nationaux et
étrangers, qui en étaient souvent à leurs premières expositions, et ce dans les domaines les plus
divers (dessin, peinture, photo, artisanat ...).
- 128 amateur ou semi-professionnel1. Le spectacle vivant est donc toujours vivace au sein des MJC,
puisqu’il concerne 69% des structures dont certaines ont une programmation digne des centres
culturels les plus performants2.
Plus de 40% des Maisons des Jeunes et de la Culture menant des activités culturelles, le font
dans le domaine musical : jazz, rock, folk, musique classique, chanson, aussi bien dans la création
que dans la simple diffusion. Nombreux sont en effet les chanteurs et groupes musicaux qui ont
commencé leur carrière dans les MJC3. Des festivals, et pas des moindres, sont également nés dans
les MJC ou sont encore gérés par elles (le Printemps de Bourges, par exemple).
La diffusion et la création audiovisuelles concerne près de 30% des MJC menant des activités
culturelles. Certaines disposent de moyens professionnels ou semi-professionnels importants,
notamment en vidéo, et même en cinéma 16 mm et super 8 (prise de vue, prise de son, sonorisation
et montage). Elles occupent en la matière cet espace intermédiaire entre la diffusion
cinématographique commerciale et la diffusion télévisuelle, notamment dans les domaines du court
métrage vidéo et cinéma4.
La diffusion cinématographique concerne 37% des MJC impliquées dans l’action culturelle, que
cela soit dans une programmation régulière ou dans des rencontres plus ponctuelles. De
nombreuses MJC gèrent des salles de cinéma “art et essai” ou ayant le statut commercial (plus
d’une soixantaine peut-être pour la seule FFMJC)5.
Ces disciplines artistiques sont les plus développées et le plus régulièrement pratiquées dans les
MJC. Mais on y rencontre aussi la création et la diffusion en matière de danse, de poésie, de cirque.
De nombreux petits, moyens et grands festivals sont gérés par les Maisons des Jeunes et de la
Culture (plus d’une centaine pour la seule FFMJC6). Beaucoup y sont nés avant d’obtenir la
1
Le semi-professionnalisme concerne des comédiens qui tirent quelque subsistance de leur activité
artistique. Ils peuvent être par ailleurs animateurs ou formateurs, mais de nombreuses MJC
accueillent régulièrement ou ponctuellement des compagnies théâtrales professionnelles. Les cas de
troupes professionnelles en résidence ne sont pas rares.
2
Dans des nombreuses villes moyennes, la MJC joue souvent le rôle de centre culturel ou de théâtre
municipal. Il n’est pas rare qu’elles touche alors plus de 10.000 spectateurs par an. La MJC
Bellegarde à Aix-en-Provence développe par exemple en son sein un Centre d’Action Culturelle pour
l’Enfance et la Jeunesse.
3
Ce fut particulièrement vrai dans les années 70 (voir entretien avec Jacques Bertin dans les cadre
d’une émission “Grand Angle” de France Culture, le 10 mars 1990, intitulée “Où en sont les MJC ?”.
Quelques noms : Lavilliers, Renaud, Higelin, Cabrel, Petrucciani, Stivell, Servat, Leclerc ...).
4
Rappelons par exemple que le Festival “Tous courts” d’Aix-en-Provence, qui consacre déjà des
oeuvres nationales et internationales importantes, est né dans l’atelier cinéma-vidéo de la MJC
Prévert où passent régulièrement de nombreux étudiants en audio-visuel de l’Université de
Provence. Autre exemple : le festival du cinéma des minorités de Douarnenez.
5
Une mission a été confiée à un directeur de MJC pour développer ce réseau de salles associatives
dans le cadre du soutien à la diffusion cinématographique.
6
Pas moins de 4 festivals, certes d’ampleur encore modeste, ont été créés et sont gérés par les MJC
d’Aix-en-Provence (festivals du théâtre des lycées et collèges, du jeune public, du théâtre satirique,
de danse “hors cadre”).
- 129 reconnaissance du Ministère de la Culture et des artistes de renom, si bien qu’ils ont souvent
échappé à ceux, bénévoles et professionnels, qui les avaient imaginés et portés sur les fonds
baptismaux de l’action culturelle.
b) les activités sportives
75% des MJC affiliées à la FFMJC ont des activités sportives qui concernaient en 1983 quelque
105.000 personnes (un peu plus de 20% des adhérents des MJC) réparties dans les disciplines les
plus diverses dont les plus fréquentées sont, dans l’ordre, la gymnastique, le judo, le ski, le tennis de
table, l’alpinisme-randonnée-spéléo, le volley-ball, le football, le canoë, la voile, le karaté, le handball,
la lutte, l’aï kido, le basket-ball, le cyclotourisme. Ensuite viennent une série de disciplines moins
couramment pratiquées : la natation, le tir à l’arc, la musculation, le bi-cross, la canne d’arme, la
boxe française et tous les arts martiaux que nous n’avons pas déjà cités.
Les disciplines les plus couramment pratiquées dans les MJC ne sont pas les grands sports de
masse et/ou collectifs (football, rugby...), mais bien plutôt des sports plus individuels pratiqués d’une
manière collective. De nombreuses disciplines nouvelles (les arts martiaux et les différentes formes
de gymnastique, par exemple) se sont d’abord développées dans les MJC avant d’être prises en
charge par des clubs et des fédérations sportives spécifiques.
L’apport des MJC en matière sportive est tout à fait original et se trouve marqué par quelques
caractéristiques significatives d’un état d’esprit et d’une certaine “culture” sportive :
- l’innovation et l’expérimentation dans un secteur qui est par ailleurs très règlementé (clubs
et fédérations, compétitions…) ;
- la place faite à l’individu, au développement de ses aptitudes, de sa personnalité, de son
bien-être, en dehors de tout esprit de compétition ; il n’y a en effet que 10 à 12% de licenciés parmi
les “sportifs” des MJC ;
- la rencontre et la convivialité1 comme fin essentielle - pas toujours consentie ni avouée des pratiques sportives, qu’elles aient lieu en salle ou dans la nature ; ainsi la vie de groupe faite de
négociations inter-individuelles permanentes y prime sur, d’un côté, l’acte purement individuel, et de
l’autre, la règlementation stricte et incontournable des sports collectifs ; on préfèrera souvent le ski
de fond et de randonnée au ski de piste, le sport-loisir au sport de compétition.
c) les ateliers
Ce qu’on appelle les ateliers, dans les Maisons des Jeunes et de la Culture, correspond en fait à
l’ensemble des activités régulières à l’exclusion des activités sportives. Ces ateliers servent
généralement à l’apprentissage d’une discipline, qui peut déboucher sur un acte créatif individuel et
collectif, même modeste dans sa qualité : théâtre, danse, artisanat, musique ...
1
On a pu observer que des activités comme la randonnée pédestre, le ski de fond et de randonnée,
l’escalade, étaient des espaces de marché matrimonial importants.
- 130 Ces “ateliers” qui constituent souvent l’image-type du “produit” MJC se caractérisent par une
extrême diversité et dispersion : de quelques activités dans une petite MJC à près d’une centaine
dans les plus importantes1, de la guitare ou du théâtre à l’art floral, au crochet ou au Bonzaï ...
L’enquête conduite sur les MJC affiliées à la FFMJC permet, par un regroupement de grands
secteurs, de mettre en évidence la fréquence de ces ateliers ainsi que les activités dominantes en
général et selon la taille des MJC et des villes d’implantation2.
Les activités artisanales et d’arts plastiques (dessin, peinture, sculpture, terre, émaux, tissage,
peinture sur soie, vannerie, coupe-couture, bricolage, sérigraphie) ont une fréquence de 2,10 par
MJC. Ensuite viennent la musique (1,75), les activités scientifiques et techniques (informatique,
archéologie, électronique, modélisme, radio-amateur, astronomie) pour une fréquence de 1,15, puis
le théâtre et les arts du spectacle proches (marionnettes, mime…) avec 0,94 de fréquence, les jeux
de société (0,90), l’audiovisuel (cinéma, vidéo, photo, diaporama) avec une fréquence de 0,45, puis
la danse (0,35), les langues (0,20), et enfin les centres de loisirs sans hébergement à ateliers
multiples (fréquence de 0,25)3.
L’inventaire, activité par activité, avec leur taux de fréquence, serait fastidieux. On peut
cependant faire quelques remarques significatives qui éclairent la réalité des pratiques d’ateliers
dans les Maisons des Jeunes et de la Culture :
- L’indicateur de fréquence des ateliers ne dit évidemment rien sur le nombre de pratiquants.
Un atelier diaporama ou sérigraphie ne rassemble souvent que quelques personnes. A l’opposé, on
sait que la danse, qui n’a pourtant qu’un indice de fréquence de 0,35, regroupe quelque 80.000
danseurs4 pour les seules MJC affiliées à la FFMJC, et ce dans les disciplines les plus diverses
(classique, jazz, moderne, primitive, folk, de salon ...).
- Dans les petites MJC, il y a, bien évidemment, globalement moins d’activités que dans les
grandes. Mais la dispersion est quasiment la même que pour les grandes, si bien qu’il est impossible
de dire qu’il y a un “modèle” petite MJC en matière d’ateliers. La danse moderne y occupe une place
non négligeable, ainsi que la micro-informatique, à côté des activités dominantes (bricolage et jeux
de cartes), ce qui tendrait à montrer que ces petites associations sont bien en prise avec certaines
évolutions des années 80.
- La guitare apparait comme l’activité typique des MJC, avant la photo. Quelle que soit la
1
La MJC “Magnan” à Nice avait, au début des années 80, près de 6.000 adhérents et quelque 80
ateliers.
2
Voir tableaux en annexe 34 et 35.
3
Selon l’enquête Les MJC aujourd’hui. Réalités et impact.
4
Chiffre recueilli par Franck Lepage, directeur du développement culturel à la FFMJC. A titre de
comparaison, la très officielle Fédération Française de Danse ne regroupe que quelque 15.0000
danseurs.
- 131 taille de la commune, elle est dominante, à deux exceptions près : dans les communes de 15 à
30.0000 habitants, la photo dépasse la guitare qui fait par ailleurs jeu égal avec la micro-informatique
dans les villes de plus de 200.000 habitants1.
- Des activités comme le piano, la danse moderne, la danse classique font globalement leur
meilleur score de participation dans petites villes où la MJC est souvent la seule structure à les
proposer. A l’opposé, dans les villes de plus 200.000 habitants où les cours de piano et de danse
classique divers, privés et publics, sont nombreux, la quantité de MJC qui les proposent est réduite
(9%). Par contre, les MJC occupent le terrain de la danse moderne, par exemple.
Dans le domaine des ateliers comme dans celui des activités sportives, les Maisons des Jeunes
et de la Culture se caractérisent par une démarche d’initiative, voire d’initiation, dans des disciplines
qui ne sont pas, ou pas encore2, proposées par le marché privé ou le service public. Ainsi, loin d’être
prioritairement un supermarché d’activités qui se vendraient bien, ces structures restent-elles des
espaces d’initiative, d’invention, d’expérimentation, voire de maintien de pratiques3 que les secteurs
public et privé n’ont pas les moyens - ou ne prennent pas le risque - de développer4.
d) la formation
Plus de la moitié des MJC conduisent des actions de formation. Pour 16,5% des MJC, ces
formations concernent l’insertion sociale, 6% les animateurs en cours de DEFA, 7% des
professionnels en situation de qualification. 41% de la totalité des MJC font ce que l’on pourrait
appeler de la formation “grand public” sous forme de stages spécifiques notamment dans les
activités artisanales et les ateliers (27% des MJC), en danse (20%), en informatique et dans les
nouvelles technologies (31%). Près de 27% des MJC assurent elles-mêmes la formation
d’animateurs bénévoles.
Combien de personnes par an sont concernées par ces actions de formation ? Pour la seule
FFMJC (année 1983), 28.0000 stagiaires seraient touchées par les formations grand public, 8.000
dans le cadre de sessions de formation des bénévoles. A ceux-là il convient d’ajouter 3.000
stagiaires en insertion sociale et professionnelle, 600 stagiaires en qualification et un millier de
“défasiens”. 40.0000 personnes par an environ sont donc concernées par les actions de formation au
1
Voir tableau en annexe 35.
2
“Quand je suis arrivé à Marseille, la MJC Corderie était quasiment la seule à proposer de la danse dans
le quartier. Aujourd’hui il y a une école de danse à chaque coin de rue” Entretien avec Jean Irrmann,
directeur de la MJC.
Autre exemple : la MJC Raimon Trencavel de Béziers est à l’origine de trois écoles de danse privées
que des professeurs de la MJC ont créées, après avoir “fabriqué” leur clientèle à la MJC.
3
Le bénévolat et le travail saisonnier jouent évidemment un grand rôle dans cette dynamique
expérimentale.
4
D’où cette double image contradictoire, mais presque toujours marquée négativement, des MJC : à la
fois “supermarché” de la consommation de loisirs et espace de “bricolage”.
- 132 sein de la FFMJC.
e) l’action sociale
37% des MJC mènent des activités dans le domaine de l’action sociale “directe”1. On peut
évaluer à 50.000 le nombre de personnes touchées par les actions sociales, qui relèvent des
secteurs suivants : actions de prévention pour 15% des MJC concernées par l’action sociale, crèche
et/ou halte-garderie (47,5%), actions en faveur des migrants (alphabétisation, permanence, accueil)
pour 30,5% des MJC faisant de l’action sociale, permanences sociales (12,8%) et toutes autres
activités sociales (46%). Certaines MJC peuvent mener plusieurs activités sociales2, ce qui explique
que le total des pourcentages dépasse 100.
Il convient également de noter que près de 16% des MJC menant des activités d’action sociale
ont l’agrément “prévention” et près de 16% également sont agréées “centre social”3.
Au-delà de ces indications chiffrées, il faut signaler la démarche originale de nombreuses MJC en
matière d’action sociale, démarche qui consiste à faire de l’action culturelle un moyen de “traitement”
des inégalités et handicaps sociaux. La formation, la création et la diffusion culturelles sont souvent
utilisées dans une démarche qui vise à la constitution de l’identité et de la personnalité d’individus en
situation d’exclusion, voire de rupture sociale, à leur reconnaissance, à leur promotion et intégration
sociale. Les moyens culturels les plus sophistiqués (salles de spectacle bien équipées, studios
d’enregistrement musicaux et de création cinématographique...) ainsi que les artistes, sont mis à
contribution dans ces dispositifs, dont nous pouvons donner quelques exemples éclairants et
significatifs.
Dès le début des années 80, la Ville de Pau fait le choix, en accord avec la Fédération régionale
des MJC d’Aquitaine, d’implanter dans un quartier dit “difficile” (“Ousse-des-Bois” où plus de 50% de
la population a moins de 20 ans, et est issue de l’immigration de toute origine) une Maison des
Jeunes et de la Culture qui est en fait un centre culturel doté d’une salle de spectacle et de cinéma
bien équipée, d’un studio d’enregistrement musical. On y fait de l’alphabétisation par projection
cinématographique, et cette structure devient à la fois un lieu de diffusion culturelle et un “tremplin”
pour jeunes créateurs dans le domaine du rock notamment4.
1
“Indirectement” toutes les MJC font de l’action sociale, ne serait-ce qu’en développant des réseaux
sociaux et inter-individuels par leurs actions et la pratique d’activités régulières.
2
Du reste, la conduite d’un “projet social” induit généralement la coordination d’une multiplicité de
dispositifs et d’activités sociales.
3
Rien n’interdit en effet qu’une MJC puisse obtenir de la part des caisses d’allocations familiales un
agrément “centre social”, sans pour autant devenir un centre social affilié à la Fédération des
Centres sociaux. Cette situation est très courante en Poitou-Charente (entretien avec Jean-Claude
Ménard, délégué régional).
4
Entretien avec Garance Lacoste, directrice.
- 133 Autres exemples : une MJC de Calais fait le choix, dans le cadre d’un DSQ (développement
social des quartiers), de mettre en place une action culturelle lourde et coûteuse : formation, création
et diffusion vidéo, danse et arts plastiques, qui permet ensuite aux intéressés de rentrer dans un
dispositif d’insertion sociale et professionnelle avec efficacité et réussite1.
La MJC du quartier de la Croix-des-Oiseaux à Avignon appuie toute sa démarche d’action sociale
et éducative sur l’action culturelle et artistique. Elle participe activement au Festival par des actions
d’animation, d’exposition, de création et de diffusion. Elle met les artistes au service des jeunes du
quartier pour qu’ils se forment, qu’ils créent et qu’ils diffusent leurs productions (photo, théâtre danse,
arts plastiques, notamment). Armand Gatti y crée, avec des jeunes en difficulté, un spectacle qui a
été diffusé dans le cadre du festival d’été 1991. Tout ce travail mobilise autour de la MJC un
partenariat institutionnel, financier et opérationnel large : municipalité, caisse d’allocations familiales,
Fonds d’Action sociale, Ministère de la Culture, Education Nationale, Jeunesse et Sports, Formation
professionnelle ....2
Ces démarches d’action sociale sont significatives du passage du socio-culturel à ce que nous
avons appelé le “social culturel”3 ainsi que d’une redéfinition de l’éducation populaire4 largement
reprise dans les propositions mises en débat5 à la FFMJC dans la perspective de l’assemblée
générale de 1991.
f) tourisme social et relations internationales
Plus de 36% des MJC affiliées à la FFMJC mènent des activités de tourisme social. 62% des
associations concernées ont moins de 100 personnes touchées, mais en raison de l’importance de
cette activité pour certaines MJC, la moyenne s’établit à 420 personnes par structure, soit un total
que l’on peut estimer à plus de 150.000 personnes. Les séjours de vacances concernent 68% des
MJC faisant du tourisme social, et les voyages 57,5% de ces mêmes MJC. Le tourisme social est
inégalement développé selon les régions : de 21% des MJC dans la Fédération de Lyon à 64% en
Aquitaine.
Les relations internationales concernent 19% des MJC qui pratiquent l’accueil sur place dans des
centres de séjour souvent importants ainsi que l’envoi de groupes à l’étranger. Comme pour le
tourisme social, on remarque une grande dispersion des chiffres de population touchée : plus de
68% des MJC ont moins de 100 personnes concernées, tandis que la moyenne est de 520, ce qui
1
2
Entretiens avec le directeur et la présidente de la MJC.
Entretien avec Paul Blanc, directeur, et informations recueillies lors de la participation à divers
conseils d’administration de la MJC.
3
“Vers un social culturel ?”, Cahiers de l’animation n° 56, octobre 1986, p. 55 et suivantes.
4
Propositions pour l’éducation populaire, septembre 1989 (Ronéo, diffusion FRMJC Méditerranée et
publication dans “Avis de recherche” n° 22, IRM Sud).
5
Finalités des MJC et de leurs fédérations, janvier 1991 (diffusion FFMJC).
- 134 fait un public total de 100.000 personnes environ par an.
Les MJC affiliées à la FFMJC gèrent un réseau non négligeable de C.I.S (centres internationaux
de séjour) et ont des actions très diverses et régulières d’échanges internationaux et interculturels,
plus ou moins coordonnées et soutenus par des services régionaux et nationaux. A titre d’exemple,
le service des échanges internationaux et interculturels de la FRMJC Méditerranée facilite des
relations internationales (échanges bi-gouvernementaux, camps de jeunes à l’étranger, jumelages
inter-structures, missions de formation et d’études, échanges de spectacles...) avec les pays du
Maghreb, de l’Europe du Sud, d’Europe centrale, l’ex-Union soviétique, l’Allemagne, l’Angleterre, le
Canada et certains pays d’Afrique noire.
g) activités économiques
Plus de 21% des MJC ont des activités à classer dans le secteur économique. Plus de 20% ont
des activités économiques liées au développement local (actions jeunes, aide au développement de
projets), 12,5% font de la vente de services ou de produits (récupération, restauration, imprimerie,
cinéma), 10,5% développent des entreprises intermédiaires, font de l’édition.
Les disparités sont importantes selon les régions : peu de MJC en région parisienne et près de la
moitié en Normandie. Mais il est, là comme dans d'autres secteurs, difficile de cerner précisément ce
que l’on peut appeler une activité strictement économique, dans la mesure où dans les MJC tout
peut s’acheter et se vendre. Le cinéma et l’édition peuvent, par exemple, être classés à la fois dans
l’action culturelle et l’économique. Remarquons également que nombre d’actions économiques, nées
dans les MJC, se sont développées d’une manière autonome et sous d’autres formes juridiques
(SARL par exemple), qui peuvent garder ou non des liens avec la structure-mère. C’est le cas de la
Maison d’édition “La Manufacture”, actuellement implantée à Lyon, et qui est née à la MJC de Die1,
et de l’ART-n.a.c.2, société de production télévisuelle et gestionnaire du festival international de caféthéâtre de Cannes.
h) les MJC, “centres de ressources”
68,6% des MJC agissent au service de partenaires associatifs, publics ou de particuliers. Ces
ressources, dont la MJC est le centre et le gestionnaire, sont de natures diverses : salles de réunion
pour 64% des MJC, matériel audiovisuel pour 36% des MJC, imprimerie, secrétariat et duplication
pour 35% des MJC, micro-informatique (14% des MJC), matériel de théâtre et d’exposition (15,7%),
point accueil jeunes pour 13% des MJC, restauration et hébergement (3,4% des MJC).
Les Maisons des Jeunes et de la Culture constituent ainsi un service permanent pour les
initiatives individuelles et collectives. Dans les petites villes, c’est souvent le seul lieu d’utilisation
1
A l’initiative de sa directrice Liliane Scotti, actuellement directrice de la MJC Cannes-Centre/Studio
13.
2
“Nouvelles Actions en Communication Artistique” : cette structure garde un lien réel avec l’Institution
dans la mesure où son directeur, J.-P. Carriau, est salarié de la FRMJC Méditerranée.
- 135 facile, souple et “spontanée”, ouvert à la demande et aux horaires les plus divers : semaine et weekend, très tard le soir, mais aussi très tôt le matin.
i) les MJC, créatrices d’autres structures
Le projet des MJC qui est de développer l’initiative et la responsabilité, et leur caractère de lieuressource expliquent sans doute que 36,5% d’entre elles aient été à l’origine de la création d’une
autre structure pour la seule année 19831. Ces structures nouvelles sont à plus de 70% des
associations2, les autres relevant de formes juridiques diverses (SCOP, SARL ...).
Les domaines d’activité de ces nouvelles structures sont variables, mais appartiennent aux
pratiques habituelles des MJC : sport (34% des structures créées), entreprises intermédiaires (23%),
spectacles (16,5%), cinéma (près de 13%), radios (3,7%), récupération (3,7%), tourisme (3,7%),
hébergement (2,7%).
Les liens instaurés entre ces nouvelles structures et la MJC sont bien réels pour 85% des
réponses obtenues : la MJC est présente au conseil d’administration pour plus de la moitié des
nouvelles structures. Pour les autres cas, il peut y avoir présence de la structure au conseil
d’administration de la MJC, ou au moins relations informelles. Autrement dit, création d’une structure
nouvelle ne veut pas dire divorce ni abandon, mais accompagnement, au moins dans la première
période.
La nature positive de ces liens est en cohérence avec les conditions de création de la structure
nouvelle. Dans 72% des cas, la création relève de la volonté positive des deux partenaires. Dans
16% des cas, il s’agit d’une scission conflictuelle et dans 12% des cas, c’est le résultat de la pression
de structures extérieures.
Nous venons de voir la diversité des pratiques des Maisons des Jeunes et de la Culture, ainsi
que l’importance respective des secteurs prioritaires3. Ces secteurs prioritaires sont-ils exactement
ceux qui sont considérés comme tels par les responsables des MJC ?
1
Rappelons que toutes ces données concernent la FFMJC et sont extraites de l’enquête Les MJC
aujourd’hui. Réalités et impact, réalisée sous la direction de Jean Foucault.
2
Dans son projet de développement de pépinières d’associations, le Comité inter-ministériel de la
Jeunesse entend bien s’appuyer sur les MJC (intervention de J.-P. Lanfrey aux Journées régionales
d’étude des directeurs de MJC à Aix-en-Provence, février 1991). On peut également signaler
l’expérience aixoise qui a consisté à soutenir la création d’associations de jeunes des quartiers,
généralement issus de l’immigration (cf. notre étude Réseaux et organisation de la jeunesse à Aixen-Provence, janvier 1990, 60 pages).
3
Et ce ne sont là que les secteurs principaux et prioritaires “grand public” pourrait-on dire. Il y a
également des activités moins répandues mais qui se développent : la recherche et la
communication du savoir, par exemple, à travers des études, des colloques et des publications. Le
“potentiel scientifique” de la FFMJC par exemple n’est pas négligeable. De nombreux professionnels
ont des niveaux de formation universitaire qui les rendent aptes à réaliser des travaux d’étude de
terrain (DEA, DESS, doctorat) et chaque stagiaire doit satisfaire à un travail de recherche qui,
suivant les cas, est de niveau maîtrise ou DESS.
- 136 La question a été posée aux MJC dans le cadre de l’enquête Les MJC aujourd’hui. Réalités et
impact1. Le secteur considéré comme prioritaire est l’action culturelle (33,4% des premiers choix et
29,8% des deuxièmes choix). Ensuite viennent les ateliers (24,5% et 27,10%), l’action sociale (24%
et 12,4%), puis la formation (11,6% et 18,3%). Le développement économique (2,6% et 2,7%) et les
séjours de vacances (respectivement 3% et 8,7%) arrivent très loin derrière.
Ces choix de priorité sont déjà, semble-t-il, assez cohérents avec les pratiques prioritaires des
MJC. On peut simplement remarquer que ce qui caractérise, pour le grand public, l’action
essentielle, voire quasi exclusive des MJC (ateliers, activités régulières), n’est pas, pour leurs
responsables, forcément prioritaire. Ainsi peut-on avancer que les MJC font du développement
culturel, social et éducatif un axe prioritaire qui a sa cohérence, et que les ateliers, très développés
dans leur nombre, leur diversité et leur fréquentation, ne sont qu’un moyen de ce développement. Il
est également important de remarquer que les Maisons des Jeunes et de la Culture sont avant tout,
de fait ou par vocation, des espaces d’expérimentation sociale et culturelle. On a l’habitude de dire
qu’elles savent inventer mais peu “fabriquer en série” et surtout pas “commercialiser”. D’où sans
doute cette image artisanale, de bricolage, d’à peu près, de touche-à-tout. Bien que, même si l’image
reste tenace, elles aient évolué ces dix dernières années vers des productions de qualité, les MJC
sont plus préoccupées par l’initiative même maladroite, l’expérimentation souvent hasardeuse2, la
démarche d’invention, que par le produit fini. La MJC c’est d’abord l’espace des possibles qui,
lorsqu’ils prennent forme bien réelle, risquent rapidement de quitter leurs lieux d’invention3.
2 - Relations et partenariat
Le caractère cogestionnaire des Maisons des Jeunes et de la Culture, aussi bien dans sa
dimension opérationnelle que décisionnelle, met ces structures au centre d’un partenariat très divers
et diversifié, plus ou moins large et formalisé. Ce partenariat est de trois ordres : institutionnel,
1
La réponse dépend de celui qui répond. Un administrateur peut avoir un point de vue différent de
celui d’un directeur, par exemple.
2
“Quand vous habitez dans une petite commune, si vous avez envie de faire quelque chose, vous
pouvez aller voir le directeur de la MJC ou son président et dire : Voilà je voudrais mettre en place
tel type d’activité. En général vous aurez une écoute. Et ces lieux ne sont pas si nombreux”. Franck
Lepage, France-Culture “Où en sont les MJC ?”, Grand Angle (10/3/90).
3
“Je vois que plein de MJC ont été à l’origine des bibliothèques, de clubs de sport, de salles de cinéma,
etc... lesquelles leur ont été systématiquement - je ne dirais pas par hostilité - mais retiré dans la
mesure où on crée des structures ad hoc pour gérer à fond et d’une manière ultra-professionnelle
ces services ; évidemment on a tendance à les retirer du lieu où elles ont été initiées, formées,
imaginées ; là-dessus nous avons donc été dans les années 80 victimes de notre rôle d’initiation,
c’est à dire que nous avons été refoulés - beaucoup n’aiment pas dire leur origine - et refoulés aussi
sur le plan de la qualification culturelle : c’est la maternelle, c’est en dessous de tout ce qui se fait,
c’est le lieu pas pro, pas propre, pas correct ; c’est une espèce de sous-culture que nous faisons
avec l’utilisation contre nous de notre capacité à utiliser les bénévoles, c’est à dire à faire travailler
entre eux professionnels et bénévoles, ce qui est dénié par la quasi-totalité des autres institutions
culturelles”. Gilles Rémignard, directeur de la MJC de Ris-Orangis (Émission “Où en sont les MJC ?”).
- 137 financier et opérationnel. Pour certaines opérations, il peut être les trois à la fois : une municipalité
qui généralement finance et co-décide peut également participer à travers ses services à la mise en
oeuvre, notamment dans les opérations “lourdes” (festivals, actions de développement urbain par
exemple).
Dans ce foisonnement relationnel sans limites ni interdits1, on peut repérer quelques “grands
partenaires”.
Les municipalités sont dans les trois ordres - institutionnel, financier et opérationnel - le premier
partenaire des Maisons des Jeunes et de la Culture. L’évolution de ce partenariat ainsi que
l’évolution concomittante du partenariat avec l’Etat marquent considérablement, comme nous le
verrons dans l’approche diachronique, l’histoire de ces structures et de leurs fédérations.
Ce partenariat est très souvent doublement formalisé : institutionnellement d’abord, par la
présence statutaire du maire ou de son représentant au conseil d’administration, contractuellement
ensuite, par la pratique développée du conventionnement entre les MJC et les municipalités. En
effet, 54% des associations de l’enquête réalisée sur la FFMJC ont signé une convention avec la
municipalité, avec une augmentation constante au fur et à mesure de l’importance des associations :
unions locales et départementales, 24% de conventionnements ; moins de 75 adhérents, 32% ; de
75 à 200 adhérents, 39% ; de 201 à 500 adhérents, 49% ; de 501 à 1.000 adhérents, 69% ; de 1.000
à 2.000 adhérents, 78% ; plus de 2.000 adhérents, 100%. Autrement dit, plus les structures, et donc
les enjeux, sont importants, et plus les conventionnements se généralisent. Ces conventions
concernent essentiellement les missions, plus ou moins précisées, et les moyens (locaux,
subventions et éventuellement personnels et avantages en nature). Elles peuvent dans certains cas
concerner des dispositifs plus précis (évaluation et définition de missions à intervalles réguliers,
cahier des charges ...). Dès lors, si les MJC dans le cadre de leurs instances cogestionnaires ont la
liberté de décider démocratiquement de leurs missions et de leurs choix financiers, il n’en reste pas
moins vrai que, notamment dans le cas des structures les plus importantes, cette liberté de décision
existe dans les limites définies par une convention plus moins précise et évolutive avec un partenaire
principal, la municipalité locale. Il s’ensuit le développement de commissions permanentes mixtes
entre les MJC et les municipalités, dont la mission est d’évaluer et de renégocier les accords
contractuels. L’acte décisionnel prend donc généralement une forme plus complexe que les statuts
ne le laissent prévoir : il se situe dans un aller et retour plus ou moins sophistiqué, entre des
positions municipales qui assignent des missions d’intérêt général à la MJC, et les orientations
propres de la MJC, les choix d’actions et leur financement qui se définissent dans une négociation
1
D’où le caractère “réticulé” du fonctionnement des MJC que Catherine Flament (Associations et
réseaux…) met en évidence et qui leur permet de “résister plus facilement à la panne” et aux
agressions externes. Cette implantation comparable à un rhizome a permis et permet à de
nombreuses MJC de “résister” sans subventions et sans locaux. La MJC de Boulogne-Billancourt a
vécu longtemps sur une péniche et sans subventions municipales.
- 138 où les directeurs sont appelés à jouer un rôle de tout premier ordre.
Ce partenariat avec les municipalités, plus ou moins formalisé selon l’importance des structures,
est-il marqué d’une manière significative par l’étiquette politique des municipalités ? Autrement dit,
l’implantation des MJC et notamment de celles qui, du fait de leur importance, entretiennent des
relations déterminantes et structurées avec les collectivités locales, a-t-elle une relation significative
avec la carte politique de la France locale ?
Une visualisation comparative très rapide et générale entre les grands espaces d’implantation
des MJC et la carte politique de la France1 ne révèle pas, du moins pour la FFMJC, une relation
significative entre les deux faits. On repère cependant une forte implantation des MJC affiliées à
l’UNIREG dans le Languedoc et en Midi-Pyrénées, où le parti socialiste fait ses meilleurs scores en
1978.
Des enquêtes plus précises montrent au contraire le caractère pluraliste de l’implantation des
Maisons des Jeunes et de la Culture. L’enquête dirigée par Jean-Pierre Sirérols2 portant en
l’occurrence sur les élections municipales de 1977 et 1983, montre que l’UNIREG est implantée à
46,7% dans des municipalités RPR, UDF et divers droite, à 37,30% dans les municipalités PS, PC et
divers gauche et à 16% dans les municipalités dites sans étiquette. Les implantations en divers
droite (25,5%) et dans les municipalités PS (24,4%) sont les plus courantes. Par contre les
implantations dans les municipalités à direction communiste sont faibles (à peine plus de 3%). Cette
implantation des MJC de l’UNIREG est cohérente avec d’une part son caractère rural (divers droite)
et d’autre part une présence forte dans le Sud-Ouest très “socialiste”.
S’agissant de la FFMJC, nous avons des données à la fois plus générales et plus partielles. A
l’occasion de l’assemblée générale du Mans (1987), on signale légèrement plus de contrats de
financement de postes de directeurs avec des municipalités dites de droite qu’avec les municipalités
dites de gauche.
Une enquête régionale, donc partielle, confime le phénomène.: en région Méditerranée
(Provence-Alpes-Côte d’Azur, Corse, Hérault et Gard) on remarque une distribution assez équilibrée
entre la droite et la gauche, des postes de directeurs de MJC3.
Si l’on se rappelle par ailleurs que la présence d’un directeur fédéral va de pair avec l’importance
de la structure et que le taux de conventionnement MJC-villes augmente avec l’importance de la
structure, on peut affirmer que le partenariat local ne “souffre” pas d’appartenances politiques
municipales, et qu’il est sans doute le fruit d’intérêts bien compris d’élus, qui choisissent de confier
1
2
3
Voir Emmanuel Todd : La Nouvelle France, p. 113 et suivantes.
Faits, chiffres et images d’associations.
Jean-Claude Leroyer a réalisé une enquête sur cette question. Il ne nous a malheureusement pas été
possible de consulter ses résultats.
- 139 des missions d’intérêt général à des organismes dont ils reconnaissent l’efficacité culturelle, sociale
et éducative, constat qui contredit la thèse répandue d’une FFMJC de gauche, voire dominée par les
communistes, et qui ne serait vraiment en confiance qu’avec les municipalités de ces sensibilités
politiques.
Le partenariat et les relations avec l’Education nationale sont également particulièrement
développés : 59% des MJC affiliées à la FFMJC ont des relations multiples, plus ou moins régulières
et finalisées, avec les écoles primaires (44% d’entre elles), les collèges (33%), les lycées (23%) et
les autres écoles et institutions gérées par l’Education nationale (universités, écoles supérieures,
commissions académiques…). Ces relations sont différemment développées selon les structures
scolaires et l’importance des MJC, la palme revenant aux MJC de 500 à 1.000 adhérents qui arrivent
globalement en tête de ce partenariat (86%), et également pour les relations avec les écoles
primaires (67% d’entres elles), les collèges (50%) et les lycées (36%)1. Les formes de ce partenariat
sont là aussi variables : animations régulières en milieu scolaire, diffusion de spectacles, P.A.E.,
formation des enseignants..., et significatives de relations privilégiées avec l’enfance et la jeunesse,
en plus et en dehors des activités et actions du temps extra-scolaire2.
Les relations avec le Ministère de la Culture et ses services extérieurs (directions régionales de
l’action culturelle notamment) concernent environ 20% des MJC affiliées à la FFMJC, ce qui est à la
fois beaucoup, si l’on considère le nombre de MJC subventionnées par ce ministère (10% environ),
et peu au regard du nombre de MJC qui mènent des activités dans le domaine culturel (80%)3.
Il serait fastidieux de faire l’inventaire des diverses autres relations des Maisons des Jeunes et de
la Culture : les différents ministères, les conseils généraux et régionaux, les syndicats et le monde du
travail, le secteur privé, les travailleurs sociaux et le secteur associatif. Il est tout aussi important de
signaler que les MJC sont souvent reconnues par les pouvoirs publics comme le partenaire capable
de coordonner des actions. En effet, 45% d’entre elles ont pour mission de coordonner des actions
importantes mettant en jeu des opérateurs multiples : festivals, semaines d’animation.... Leur
capacité partenariale les font aussi reconnaître comme structures capables de développer les
pratiques de coordination, capacité qui leur sont plus reconnues au fur et à mesure qu’elles prennent
de l’importance : 16% des MJC de moins de 76 adhérents ont de telles activités de coordination,
36% des MJC de 76 à 200 adhérents, 40% des MJC de 201 à 500 adhérents, 59% des MJC de 501
1
Les MJC aujourd’hui. Réalités et impact. Voir tableau annexe 35.
2
Monsieur Sérusclat, Sénateur-Maire de Bron, a été chargé en 1990 par M. Lionel Jospin, de la mission
d’évaluer les actions conduites par les structures socio-culturelles en direction du milieu scolaire.
3
Situation qui fait dire à Jacques Bertin que le mépris des “culturels” pour les “socio-cu” est
particulièrement grave et préjudiciable au développement culturel lui-même, et à Franck Lepage que
le rattachement des MJC au Ministère de la Jeunesse et des Sports est une “catastrophe”, ce
ministère ne s’occupant pas de culture, comme son nom l’indique. (Émission de France-Culture “Où
en sont les MJC ?”, Grand Angle, 10/3/90).
- 140 à 1.000 adhérents, 54% des MJC de 1.000 à 2.000 adhérents et 67% des MJC de plus de 2.000
adhérents. Ainsi les MJC participent-elles localement à un nombre considérable de commissions ou
de groupes de travail : commissions extra-municipales (près de 50% des MJC), P.A.I.O., conseils
communaux de prévention de la délinquance, offices divers, conseils d’établissements scolaires,
zones d’éducation prioritaire, comités de quartiers ...
Ces capacités de coordination et de développement partenarial ne sont pas sans danger pour
l’avenir des MJC. En effet, l’histoire regorge d’exemples de structures qui, après avoir construit un
partenariat opérationnel favorisant le développement culturel ou socio-culturel (festivals, offices,
organismes de coordination), se trouvent dépossédées de leur “produit” et des moyens qui y sont
affectés, ce qui peut aller jusqu’à la déstabilisation, voire la mise en cause et suppression, de la
MJC-mère1.
Face à ce partenariat que l’on pourrait appeler local, horizontal et exogène, qu’en est-il du
partenariat vertical, endogène des MJC ? Autrement dit, quel est l’état de leur participation à la vie
fédérative ?
S’agissant des MJC affiliées à la FFMJC, deux questions concernant leur participation à
l’assemblée générale de Mâcon (1983) et à l’assemblée générale de leur fédération régionale
permettent une approche de la réalité. 45,25% des MJC ayant répondu à l’enquête disent avoir
participé à l’assemblée générale de Mâcon, contre 54,75% qui disent ne pas y avoir participé. La
participation aux assemblées générales régionales est semble-t-il beaucoup plus forte : 65,5% de oui
pour 34,5% de non. En fait, il y tout lieu de penser que les MJC ayant répondu au questionnaire ne
sont pas en l’occurrence parfaitement représentatives de l’ensemble. Le taux de représentation
global des MJC à l’assemblée générale de Mâcon est en fait plus faible. On peut supposer en effet
que la propension à répondre au questionnaire est liée à la participation à la vie fédérative.
L’autonomie locale des Maisons des Jeunes et de la Culture2, leur fonctionnement
cogestionnaire, leur vocation à servir l’intérêt général par des pratiques multiples, les conduisent à
développer qualitativement et quantitativement le partenariat “de terrain et au service du terrain”3, à
en renforcer et diversifier les liens, à faire passer au second plan, au moins en apparence, les liens
1
Un exemple : la MJC de Chateau-Arnoux-Saint-Auban (Alpes de Haute Provence) se voit, en 1990,
dépossédée des activités culturelles (création, programmation, festival de jazz) au profit d’une
association de coordination du développement culturel qu’elle a contribué à créer, et qui est plus
proche du contrôle municipal. On annonce, dans le même temps, que les activités sociales qu’elle a
également développées seront gérées par un futur centre social. Les subventions municipales à la
MJC sont presque totalement supprimées, et son directeur devient le coordinateur de l’association
de coordination du développement culturel.
2
Ce n’est pas le cas de toute les institutions et mouvements de développement culturel, social et
éducatif. Les Maisons Pour Tous Léo-Lagrange par exemple ont peu d’autonomie locale et sont
directement gérées par la structure fédérative, ce qui modifie considérablement la gestion du
partenariat interne et externe à l’institution.
3
Expression souvent employée dans les MJC.
- 141 fédératifs qui n’ont pas les mêmes vertus opérationnelles. La fédération, c’est loin ; ça “fabrique” peu
; ça n’apporte pas d’argent ; ça aurait même tendance à en prendre, même si, comparativement à
d’autres fédérations, les cotisations fédérales sont relativement faibles1.
Le pragmatisme des MJC, de leurs bénévoles et professionnels, prime, semble-t-il, sur la
“philosophie” institutionnelle2. Et pourtant, l’identification des Maisons des Jeunes et de la Culture,
leur histoire mouvementée, ce qui s’y joue et qui n’est pas de nature purement opérationnelle, sont
indicatifs d’un esprit des MJC3 et sans doute d’une certaine force des liens faibles que les acteurs
tissent entre eux et ont héritée de l’histoire de cette Institution.
3 - L’ambivalence des Maisons des Jeunes et de la Culture
“La part de plus-value redistribuée au cadre de l’appareil économique fait davantage l’objet d’une
transaction, voire d’un marchandage. La plus-value est ici prélevée à sa source : si le contrat de
travail met davantage le cadre privé à la merci directe du patron, il lui fait voir aussi de manière plus
immédiate le rapport qui existe entre le montant de son salaire et la production de l’entreprise, c’est à
dire l’exploitation du travail ouvrier ... La “rentabilité” de l’ingénieur est directement reconnue.
Inversement, de par son éloignement de la sphère productive, et même si son activité est
indispensable, au niveau global, à la reproduction des rapports de production capitalistes, le cadre
des services publics fait partie aux yeux du patronat des faux-frais de la production”4.
Si cette analyse est parfaitement vraie pour le cadre des services publics, que peut-on dire alors
de la MJC, de son coût en fonctionnement et en personnel, compte tenu de son éloignement encore
plus important de la sphère productive5, et surtout de la diversité de ses pratiques, de l’ambivalence,
voire de l’ambiguï té de son rôle social ?
Brutalement, la question peut se poser ainsi : cette rétrocession de plus-value aux MJC - comme
à d’autres structures oeuvrant dans le même domaine - notamment la part importante qui arrive sous
forme de subventions, est-elle le résultat d’un combat de militants ou d’organisations de classe
1
Cotisation de 10 F par adhérent pour la Fédération régionale Méditerranée et de 1 F par adhérent
pour la FFMJC.
2
Raison de plus pour dire que les MJC s’apparentent plus à une institution, à un service public par voie
associative qu’à un mouvement, et encore moins à un parti dans lequel l’adhésion idéologique prime
sur les pratiques.
3
Au sens où l’on a parlé de “l’esprit des auberges” (les Auberges de Jeunesse et l’Ajisme).
4
C. Baudelot, R. Establet et J. Mallemort (op. cit.) p. 281.
5
Le sponsoring et le mécénat industriels, commerciaux et bancaires constituent à l’opposé une
rétrocession directe de plus-value, voire un investissement productif jugé directement utile à la
sphère économique. Mais nous savons que malgré l’incitation des pouvoirs publics et les démarches
des MJC, les ressources restent limitées aux actions spectaculaires et de prestige (rencontres
sportives de haut niveau ou festivals) et ne concernent pas d’une manière significative les actions
sociales et socio-culturelles régulières.
- 142 (syndicats, partis, mouvements sociaux divers et d’abord celui de l’éducation populaire) qui
entendent ainsi contraindre le capital à restituer aux couches populaires exploitées (“les plus
défavorisés”) une part de plus-value “extorquée” par ce capital à ces couches populaires, ou bien
est-ce - aussi - le fait d’un capital conscient de ses intérêts de classe et qui voit dans les pratiques
socio-culturelles organisées un moyen plus ou moins direct d’augmenter la production du travail, et
donc du profit, de garantir la paix sociale et de promouvoir professionnellement et culturellement de
nouvelles couches sociales indispensables au développement des forces productives ?
Cette immense question, qui ne concerne pas uniquement les Maisons des Jeunes et de la
Culture, n’est pas sans fondement ni pertinence historique. Elle concerne l’histoire de l’éducation
populaire, de l’instruction publique, de la formation, de l’action culturelle et du travail social, au moins
depuis la Révolution Française.
Nous ne tenterons pas de répondre à cette question en tant que telle. D’abord parce qu’elle
déborde largement le cadre de notre étude. Aussi parce que sa réponse relève d’une analyse
historique fortement tributaire du point de vue social ou de classe où l’on se situe. Par contre, les
termes mêmes de la question et les manières différentes avec lesquelles ils sont posés selon les
périodes pourront peut-être apporter quelque éclairage sur l’histoire des Maisons des Jeunes et de la
Culture, et notamment sur leurs rapports avec l’Etat et les différentes classes sociales.
S’agissant des MJC, la question est d’autant plus complexe dans sa réponse qu’au-delà des
intentions, la fonction et les productions de ces structures ne sont pas uniformes, clairement établies
une fois pour toutes. Les heurs et malheurs des MJC et de leurs fédérations sont fortement
déterminés, à la fois par les contradictions socio-politiques du moment, et par le rôle socio-culturel
qu’elles ont choisi, ou ont été amenées à y jouer.
Ces ambivalences, voire ambiguï tés des MJC quant à leurs fonctions et productions sociales
sont de plusieurs ordres, de tonalité et d’importance différentes, selon les moments et périodes de
leur histoire. Nous croyons pouvoir en identifier un certain nombre que nous avons déjà mises en
évidence dans un travail antérieur 1.
a) l’ambivalence socio-économique : reproduction et/ou transformation
des modes de production ?
Il n’est en effet pas sans intérêt de se demander si, de par leurs méthodes de gestion et leur
action avec et pour les populations touchées, les Maisons des Jeunes et de la Culture participent à
la reproduction ou à la transformation des modes de production économique dans les secteurs
primaire, secondaire et tertiaire. Quel est par exemple l’apport des pratiques socio-culturelles des
MJC au développement des forces productives ? Apport d’outils d’analyse et pédagogiques, de
1
“Les ambivalences des actions socio-culturelles” (Cahiers de l’animation n° 51, juin 1988, p. 77 et
suivantes).
- 143 méthodes de travail nouvelles, de meilleure adaptabilité des salariés aux mutations sociales,
technologiques et psychologiques ou simple récupération et reproduction de la force de travail
qualifiée ? Qu’en est-il par exemple de cette relation entre la montée des classes moyennes dans le
champ socio-économique et le développement des MJC dans lesquelles ces classes occupent,
comme nous l’avons vu, une place dominante ?1 Quelle relation aussi avec la formation des cadres
comme groupe social ?2
La question de l’ambivalence des pratiques socio-culturelles des MJC prend également sens
quand on entre dans le domaine des rapports de production : facteur, même limité, de transformation
des ces rapports, voire remise en cause, ou tout simplement reproduction des mêmes rapports ?
Cette question, dont on peut contester aujourd’hui la pertinence3, marque cependant, à tort ou à
raison, l’engagement de nombreux acteurs et “doctrinaires” des Maisons des Jeunes et de la
Culture. Jean Rous n’écrivait-il pas en 1945 : “Le style de l’institution des Jeunes doit tendre à faire
aimer et vouloir une société débarrassée de l’exploitation de l’homme par l’homme et basée sur la
propriété commune des grands moyens de production”4, et Jean Laurain, ancien secrétaire national
du syndicat CGT des directeurs de MJC, puis secrétaire général de la FFMJC, ne voit-il pas dans
l’éducation populaire le creuset de la vraie révolution qui conduirait les hommes, à partir de pratiques
communautaires et démocratiques, à vouloir partout, y compris dans le travail, une vie
autogestionnaire ?5 Mais à l’opposé, Ion, Miège et Roux ne concluent-ils pas sans l’ombre d’une
hésitation que l’appareil d’action culturelle, dans laquelle ils classent les MJC, conduit les hommes et
les femmes à mieux s’adapter aux rapports de production, à les perpétuer, et qu’ainsi cet appareil
“participe à la reproduction des conditions de production” ?6
Cependant la réponse n’est pas simple. L’éducation populaire d’une manière générale, et les
MJC en particulier, n’auraient-elles pas - ou n’auraient-elles pas eu - un rôle dans le développement
de l’économie sociale, de l’esprit coopératif et mutualiste, de pratiques de production alternatives,
1
Quelques analyses de cas pourraient être éclairantes mais demanderaient des études spécifiques.
Grenoble, par exemple, où les MJC ainsi que des structures comparables sont fortement implantées.
2
Dans le prolongement du travail de Luc Boltanski (Les Cadres. La formation d’un groupe social,
Éditions de Minuit, 1982).
3
Il est vrai que l’ensemble de ces problématiques renvoie à une conception de l’analyse sociohistorique en termes de classes sociales, modèle que l’on peut idéologiquement contester mais qui
n’en marque pas moins la culture et les pratiques des MJC et le l’ensemble de l’éducation populaire.
4
J. Rous “La Maison de Jeunes” Esprit n° 11, octobre 1945, p. 604-623. Cité également par E. Ritaine
dans Les stratèges de la Culture, Presses de la Fondation nationale des Sciences politiques, p. 59.
5
“Le socialisme autogestionnaire va progressivement apparaître comme la seule formule qui puisse
concilier la justice sociale et la liberté personnelle... l’éducation populaire qui est l’organisation
démocratique et pédagogique de la vie associative me paraît plus spécialement destinée à préparer
ce socialisme-là.” Jean Laurain L’éducation populaire ou la vraie révolution : l’expérience des Maisons
des Jeunes et de la Culture, Éditions de correspondance municipale, ADELS, 1987.
6
J. Ion, B. Miège, A.-N. Roux : L’appareil d’action culturelle, Éditions universitaires, 1974, p. 13.
- 144 remettant ainsi en cause les rapports hiérarchiques autoritaires qui règlent traditionnellement les
rapports de travail et de production ? En quoi la forme sociabilitaire des rapports sociaux et
l’organisation cogestionnaire développées dans les Maisons des Jeunes et de la Culture ont-elles
quelque chose à voir avec les transformations des modes de gestion dans les services publics et
dans les entreprises privées ?1
b) l’ambivalence politique : intégration et/ou subversion ?
Ce débat a effectivement marqué l’approche théorique de l’action culturelle et ses relations avec
les pouvoirs publics dans les années 1970. La question intégration et/ou subversion est datée
historiquement, marquée par le “phénomène 68” et par une idéologie de la “révolution culturelle” ou
de la “contre-culture”.
Pierre Gaudibert pose clairement l’ambivalence : “La lutte idéologique dans les appareils culturels
pourra-t-elle s’articuler avec la révolte anti-autoritaire et cette dite “révolution culturelle” de pays
capitalistes avancés, ainsi qu’avec le thème de la “révolutionnarisation” des appareils idéologiques
venu de l’exemple de la Chine populaire, ou bien s’agit-il de formes opposées de luttes ? Ce débat
ne fait que commencer et va sans doute dominer les années à venir. Il n’est pas possible de
conclure”2.
En fait, le débat ne durera que peu d’années. En 1979, à l’occasion du colloque organisé par
l’Institut National de l’Education Populaire “Action culturelle, action socio-culturelle”, le même Pierre
Gaudibert affirmait : “Je pense que massivement, globalement, c’est l’effet d’intégration qui a été
obtenu, que l’on désigne par intégration soit l’inculcation d’idéologie, soit le normalisation sociale, soit
le colmatage des failles du système. Par contre, les effets que j’ai appelés de subversion, c’est à dire
des effets un peu radicaux d’accentuation, soit de la révolte, soit d’une conscience révolutionnaire,
ne sont pas particulièrement évidents ni majoritaires”3.
P. Gaudibert rejoignait Ion, Miège et Roux qui déjà en 1974 concluaient de manière radicale par
l’équation “AAC=AIE” : l’appareil d’action culturelle se constitue en appareil idéologique d’Etat4 et en
tant que tel, il prend part à la reproduction des rapports de domination sociaux. L’action culturelle
(pour Ion, Miège et Roux, cela recouvre l’action culturelle proprement dite, l’animation socioculturelle et l’éducation populaire : ils font régulièrement référence aux Maisons de la Culture,
1
Catherine Flament commence une recherche sur “Entreprise et cohésion sociale” (thèse en cours
sous la direction de J.-C. Passeron). Il serait important d’étudier l’origine, la généalogie et l’itinéraire
des modes de gestion et de production des biens, ainsi que des modes de sociabilité.
2
Action culturelle : Intégration et/ou subversion ?, Castermann, 1972, p. 38.
3
“Action culturelle, action socio-culturelle”, Cahiers de l’animation n° 30, 1980, p. 39.
4
Reprenant ainsi à leur compte le concept de Louis Althusser développé dans “Idéologie et appareils
idéologiques d’État”, La Pensée, n° 151 (juin 1970), et bien plus tard dans Positions, Éditions
sociales/Messidor (1982).
- 145 Centres d’Action Culturelle et MJC) “est essentiellement productrice d’idées, de représentations, de
valeurs destinées à inculquer ou à renforcer l’inculcation de l’idéologie dominante. Elle apparaît
comme libérale, permissive, mais cette permissivité n’est pas sans limites ; elle n’est admise par la
société bourgeoise que si les idées diffusées ne remettent pas radicalement en cause la société
actuelle en dévoilant son caractère de classe et surtout en appelant à la lutte des classes”1.
Alors, un débat définitivement clos ? un faux problème aujourd’hui et pour l’avenir ? Il est vrai que
sans doute “massivement , globalement, c’est l’effet d’intégration qui a été obtenu”2. Nous verrons
cependant que l’analyse d’Ion, Miège et Roux reste caricaturale : peu de choses sur les relations
conflictuelles entre les institutions culturelles, d’éducation populaire et l’Etat, sur les contradictions
internes qui les traversent et, par exemple, sur la scission de la FFMJC en 1969.
Dans les termes d’une telle problématique, ne peut-on pas avancer que les pratiques
d’intervention culturelle ne sont, en elles-mêmes, ni conservatrices ni subversives ? N’est-ce pas le
contexte socio-politique qui fait que, selon les cas, elles peuvent avoir l’une ou l’autre fonction ? A ce
titre, l’exemple des Maisons des Jeunes et de la Culture est intéressant à analyser. Dans les années
60, ces structures ne se développent-elles pas en cohérence avec la construction d’une France
“gaulliste” où l’on entend leur faire jouer les rôles d’encadrement de la jeunesse, d’éducation civique
et démocratique somme toute bien conservatrice, de démocratisation de la culture légitime ? A
l’opposé, les évènements de 1968 ne les font-elles pas apparaître comme subversives, en tant que
lieux de débat remettant souvent en cause la politique gaulliste, les rapports de production et de
domination, la société de consommation et de classes, également comme lieux d’une certaine
organisation contestataire de la jeunesse et des mouvement sociaux, de l’engagement syndical et
politique d’un certain nombre de salariés et en priorité de leurs animateurs et directeurs ? A ce titre,
“les évènements de mai 68” n’ont-ils pas eu, pour ces institutions et pour d’autres, ce qu’il est
convenu d’appeler la fonction “d’analyseur social” sur laquelle nous aurons l’occasion de revenir ?3.
c) l’ambivalence organisationnelle : intégration et/ou exclusion ?
Dans les années 80, la question de l’intégration ne se pose plus prioritairement par rapport à la
1
L’appareil d’action culturelle, p. 13-14.
2
Les animateurs sociaux et culturels appartiendraient ainsi à cette troisième classe qu’Alain Bihr
appelle “classe de l’encadrement capitaliste” (Entre Bourgeoisie et Prolétariat. L’encadrement
capitaliste, Logiques sociales, L’Harmattan, 1989).
3
Dans un tout autre contexte mais dans le même ordre d’idée, il est intéressant de rappeler l’histoire
contradictoire des centres culturels et MJC en Afrique francophone et en particulier au Sénégal :
d’abord porteurs de la culture et des modèles français, ensuite lieux de lutte d’une certaine jeunesse
pour l’indépendance, enfin structures investies par les partis gouvernementaux, ce qui eut pour
résultat de les voir de plus en plus désertés par le jeunesse (voir à ce sujet deux articles de J.-M.
Mignon : “Jeunesse africaine, crainte et convoitée”, Cahiers de l’animation n° 43 ; “Centres culturels
et MJC en Afrique”, Cahiers de l’animation n° 46).
- 146 subversion mais par rapport à la marginalisation voire à l’exclusion. La notion d’intégration prend ici
un autre sens, celui d’insertion sociale, de socialisation.
Ainsi pouvons-nous apprécier sur une quinzaine d’années l’évolution de la problématique
concernant l’effet social des pratiques d’intervention socio-culturelle.
Dans la période de l’après 68, la question est socio-politique. Au fond, subversion ne signifie pas
remise en cause de tout ordre social, mais d’un certain ordre au profit d’un nouvel ordre plus juste où
le classes dominées auraient pouvoir et initiative. Dans les années 80, on parle encore d’intégration,
mais il y a eu glissement de sens. Le concept d’intégration n’est plus ici connoté négativement ; il
signifie insertion à l’ordre social et s’oppose au concept purement négatif d’exclusion1. La question
de socio-politique devient ainsi clairement sociale, “sociétale” dira-t-on souvent. Ce n’est plus tel
ordre social qui est en cause, mais l’ordre social lui-même face au développement des phénomènes
d’exclusion2.
Ainsi structures et acteurs de l’intervention socio-culturelle sont-ils invités à jouer le rôle de
“démons de Maxwell” du social, qui auraient en charge de remonter une entropie sociale croissante3.
Mais ces acteurs sociaux travaillent généralement à partir d’institutions plus ou moins lourdes et
structurées que les exclus refusent le plus souvent. Comment en effet assurer une intégration
sociale des exclus à partir de structures gérées et contrôlées par des classes sociales organisées et
parfaitement intégrées, les fameuses classes moyennes, qui occupent le champ social dans son
ensemble et les MJC en particulier ?
Face à cet enjeu qui, à la fin des années 80, domine la question de la gestion du social et
concerne fondamentalement la mission des structures d’intervention socio-culturelle, les Maisons
des Jeunes et de la Culture déploient souvent une énergie considérable en matière
d’expérimentation sociale, de pédagogie, de réflexion sur leur finalités, stratégies et modes
d’organisation et redéfinition des compétences des acteurs4.
d)
l’ambivalence
culturelle
:
démocratisation
de
la
culture
et/ou
1
Nous préférons exclusion à marginalisation et à fortiori à marginalité, lesquels peuvent avoir un sens
positif et être revendiqués, comme ce fut souvent le cas dans “l’idéologie post-soixante-huitarde”.
2
Phénomènes d’exclusion que l’on a tendance à expliquer essentiellement par “la crise économique” et
à sa suite “la crise sociale” et enfin “la crise du politique” qui s’accentuent dans les années 80
(chômage chez les jeunes des milieux défavorisés notamment, rejet de la citoyenneté, intolérance,
racisme...).
3
En d’autres termes (tissage de réseaux sociaux, développement de liens de sociabilité, organisation
de la communication sociale...), c’est ce que l’État demande aux structures de type MJC dans le
cadre d’une gestion cohérente de l’urbain et en relation avec le Ministère de la Ville.
4
Ce n’est sans doute pas un hasard si, en 1990-91, la FFMJC s’attache à animer un débat interne
(Finalités et stratégies des MJC et de leurs fédérations), à repenser les contenus de travail des
professionnels (critères de recrutement, formation initiale et permanente) et à formaliser les
expériences originales dites porteuses.
- 147 démocratie culturelle ?
Les pratiques des structures d’intervention socio-culturelle et notamment les Maisons des Jeunes
et de la Culture sont prises dans les logiques et les problématiques de la domination culturelle. S’il
est bien vrai que la domination sociale des classes dominantes sur les classes dominées domination que les MJC se donnent, entre autres objectifs, comme projet de combattre (la fameuse
réduction des inégalités sociales et culturelles) - se double d’une domination de la culture dominante
sur les cultures dominées dites populaires, on peut légitimement s’interroger sur le rôle des actions
socio-culturelles des MJC dans l’évolution de ces rapports de domination culturelle et symbolique.
L’idéologie de la démocratisation de la culture en vigueur dans les années 60 (Malraux et le
projet des Maisons de la Culture) part de manière évidente d’une culture légitime “cultivée” - ce qui
n’exclut pas la nouveauté, la diversité et l’avant-garde - qu’il s’agit de faire partager à l’ensemble de
classes sociales, avec pour finalité consciente ou non de “solidariser” tous les individus autour de la
classe et de la culture dominantes : parler le même langage, partager la même symbolique, faire
communier toutes les classes dans la même culture.
A l’opposé, l’idéal de la démocratie culturelle tente de dépasser “l’ethnocentrisme de classe” vers
un “relativisme culturel”1 qui pose comme principe que tout groupe social possède sa culture et son
symbolisme irréductibles qu’il s’agit de faire reconnaître et s’exprimer.
Les pratiques socio-culturelles des Maisons des Jeunes et de la Culture ont toujours, peu ou
prou, oscillé entre ces deux schémas-limites avec souvent, en point de mire, l’idéal de la rencontre
inter-cultures. Dans les années 70 notamment, les responsables des MJC ont eu le souci de
réhabiliter et de promouvoir les cultures populaires et dominées : cultures régionales, expression des
minorités ethniques et immigrées, création des jeunes, des femmes…
e) l’ambivalence socio-politique : école de la démocratie et/ou du
pouvoir ?
Les Maisons des Jeunes et de la Culture ont formé et forment de nouveaux cadres sociaux qui
prennent des responsabilités associatives et politiques au niveau municipal mais aussi
départemental, régional et national. Les élections municipales de 1977 et les législatives de 1981
sont marquées par l’arrivée de nouveaux “notables” issus du champ de l’intervention socio-culturelle
et notamment des MJC2 .
1
Les modèles mis en évidence par C. Grignon et J.-C. Passeron (Sociologie de la culture et sociologie
des cultures populaires, Séminaire de l’EHESS, 1982, Document du GIDES n° 4) peuvent
parfaitement éclairer les pratiques d’intervention culturelle et leurs dérivés possibles : déni culturel,
misérabilisme, populisme, assistanat…
2
L’observatoire du changement social et culturel dirigé par M. Lautman avait très tôt mis en évidence
ce phénomène à classer dans ce que l’on pourrait appeler “les nouveaux itinéraires de
notabilisation”. En effet, on a connu en 1977 de nombreux cas de conseils d’administration de MJC
qui se sont retrouvés en grande partie à la direction des municipalités nouvellement élues.
- 148 Ces nouveaux acteurs sociaux et hommes politiques sont-ils d’une autre facture que les notables
et hommes politiques traditionnels ? Autrement dit, les pratiques d’intervention socio-culturelle
“produisent”-elles de nouveaux démocrates ou tout simplement des hommes de pouvoir ? Y a-t-il
une culture civique, citoyenne et politique spécifique aux responsables issus des structures
associatives de type MJC ? La mise en oeuvre d’un projet d’éducation populaire, à travers la
cogestion notamment, a-t-elle pour effet de favoriser le développement d’une démocratie
participative, différente d’une démocratie purement représentative ?
La réponse à de telles questions exigerait une recherche spécifique. On peut cependant
remarquer, à partir de l’observation de quelques cas, la volonté de démocratie participative de
nombreux élus issus des structures socio-culturelles et d’éducation populaire, volonté marquée par
une consultation régulière du milieu associatif et de la population locale, par la mise en place de
structures de concertation (commissions extra-municipales, offices, comités de quartier...). On a
aussi vu certains conseils municipaux remettre en cause, au nom de la démocratie locale, les
prérogatives du mouvement associatif dont ils étaient pourtant majoritairement issus...
Voilà donc pour ce que nous avons appelé les ambivalences des Maisons des Jeunes et de la
Culture. Ainsi, au-delà du caractère scientifiquement opérationnel - qu’il s’agirait de tester - de cette
problématique complexe des MJC quant à leur production sociale1, peut-on affirmer que ces
interrogations, plus ou moins clairement formulées, jalonnent l’histoire de ces structures. Elles font
en quelque sorte partie du patrimoine culturel des Maisons des Jeunes et de la Culture, et en raison
de leur caractère ambivalent, elles laissent entrevoir cette difficulté bien réelle d’être animateur
bénévole ou professionnel d’une institution dont les effets sociaux sont, au-delà de la difficulté qu’il y
a à les identifier, vraisemblablement contradictoires. “Incertains animateurs” avons-nous dit2,
“impossible métier” concluait Michel Simonot peu auparavant3.
4 - La culture des Maisons des Jeunes et de la Culture
Comme tous mouvements ou institutions, les Maisons des Jeunes et de la Culture se définissent
par une “culture”, des valeurs, certains diront une idéologie, propres et spécifiques. En effet,
comment concevoir l’existence de fédérations appuyées sur la libre affiliation des associations de
base sans qu’il existe un esprit - une sorte de “Geist” au sens hégélien du terme - fédérateur de
l’ensemble ?
1
Nous avons le sentiment d’ouvrir quelques chantiers de recherche - que d’autres avant nous, et en
premier lieu tous ceux qui ont collaboré aux Cahiers de l’animation, ont abordés - sans prétendre,
dans le cadre de ce travail, apporter des réponses ni même affirmer que ces interrogations sont les
seules ni les plus pertinentes.
2
“Les ambivalences des actions socio-culturelles” Cahiers de l’animation n° 51.
3
“Le devenir des animateurs”, Cahiers de l’animation n° 44-45.
- 149 On pourrait certes se demander si ce fédéralisme et sa pérennité, même conflictuelle et
cahotique, ne s’expliquent pas par l’existence de liens purement utiliaires. Cette seule explication,
surtout pour la fin des années 80, est très insuffisante. Les moyens financiers dont disposent les
MJC ne viennent pas des échelons fédéraux. Comme nous l’avons vu, ces moyens financiers sont
perçus localement, sans intermédiaire fédéral. Les quelques moyens financiers dont peuvent
bénéficier les MJC venant des conseils généraux, des conseils régionaux, des caisses d’allocations
familiales, du Fonds d’Action Sociale, des services centraux ou déconcentrés de l’Etat, sont
directement négociés et perçus par les associations de base. En matière purement financière, même
si les cotisations restent faibles en comparaison d’autres institutions, les fédérations régionales
reçoivent plus des MJC qu’elles ne leur apportent. Face à celà, les services fédéraux, “matériels” et
“utilitaires” sont modestes comparés, là aussi, à ceux d’autres fédérations et mouvements. A titre
d’exemple, la Fédération régionale méditerranéenne des Maisons des Jeunes et de la Culture
comprend seulement un délégué régional, une secrétaire de direction et un demi-poste de chargée
de mission aux échanges internationaux et interculturels pour près de 80 structures fédérées, 30
cadres de direction et un espace géographique allant de Béziers à Briançon, et à Bastia. Les sièges
fédéraux d’autres grands mouvements et fédérations sont nettement plus consistants et divisés en
services agissant directement pour le développement des associations ou structures de terrain.
Une question revient souvent : à quoi sert la fédération, et qu’est ce qui pousse les MJC à se
fédérer et à rester affiliées ? La réponse à cette question relève, nous semble-t-il, de deux éléments
essentiels d’explication.
La fédération négocie et gère les postes de directeurs, recrute, forme et met à disposition ces
professionnels1 dont on sait qu’ils constitutent, historiquement et encore actuellement, une des
armatures essentielles de l’Institution, certains même diront sa colonne vertébrale. Colonne
vertébrale particulièrement sensible puisque, comme nous le verrons dans l’analyse historique, les
différents enjeux et crises de cette institution concernent généralement la place et la gestion de ces
personnels. Certes, moins de la moitié des MJC sont concernées directement par la mise à
disposition d’un directeur fédéral. Mais très souvent, les directeurs ont un rayon d’action large, soit
en vertu de missions définies comme telles (directeurs-coordonateurs locaux ou départementaux
intervenant sur plusieurs MJC sans permanent fédéral), soit par des interventions plus ou moins
régulières, en plus de la direction d’une stucture particulière, qui font d’eux des représentants
permanents locaux de la fédération.
Le deuxième ingrédient du ciment fédéral est un certain esprit complexe, souvent contesté par
les acteurs eux-mêmes ; c’est un système de valeurs2 où cohabitent non sans difficultés, les grands
1
De manière différente selon que l’on est à la FFMJC ou à l’UNIREG, où la gestion du personnel
d’encadrement administratif et pédagogique relève quasi totalement des fédérations régionales.
2
Ces dernières années, la FFMJC, notamment, reviendra régulièrement sur la question des valeurs et
du sens (Journées nationales d’étude de Bordeaux en 1988, par exemple).
- 150 référents idéologiques (solidarité, égalité, démocratie) et les catégories du pragmatisme social et
économique (efficacité et rentabilité, équilibres financiers, rigueur de gestion des biens et des
personnes, organisation...) ; c’est aussi un agencement particulier entre “des sous-cultures”1, par
exemple celles des bénévoles et des professionels, des directeurs et des autres salariés avec leurs
savoir-faire professionnels, celles de tel ou tel syndicat avec ses valeurs et revendications propres,
agencement qui suivant les moments et évènements peut faire cohérence ou être conflictuel.
Quelles sont les grandes lignes de force de la “culture” de ces différentes structures
juridiquement indépendantes mais institutionnellement liées selon des règles fédérales ? Cinq
éléments apparaissent déterminants pour la cohérence d’un ensemble presque toujours marqué par
une certaine instabilité.
a) un humanisme fonctionnel
La culture des Maisons des Jeunes et de la Culture est faite d’une certaine conception implicite
ou explicite de la culture. La culture pour les MJC ne se limite pas aux oeuvres de l’art et du savoir
qui, de plus, ne sont pas une fin en soi. A la différence des structures d’action culturelle (Maisons de
la Culture, Centres culturels divers), les MJC se posent, dans leur travail de développement culturel,
la question du public et des rapports sociaux, bien avant celle des objets culturels et de leur valeur
esthétique. Leur projet est politique et social avant d’être artistique et éducatif, ce qui ne veut pas
dire que le savoir et la création n’y occupent pas une place centrale à titre opérationnel et
pédagogique. Les artistes, les créateurs divers y ont leur place plus par leur fonction sociale que par
leurs oeuvres. A ce titre, la conception spécifique de la culture véhiculée par les MJC est significative
:
“Nous nous refusons à réduire la Culture aux Beaux-Arts ; nous défendons une conception
globale et dynamique de la culture, capable de prendre en compte l’homme dans son
environnement. L’homme “cultivé” est celui qui est en possession du savoir et des méthodes,
des modèles esthétiques et d’organisation qui lui permettent de comprendre sa situation dans
le monde, de la décrire, de lui donner un sens et d’agir éventuellement sur elle pour la
transformer”2.
En fait, contrairement à ce que la présence de l’“éventuellement” laisse penser, la transformation
des rapports entre l’individu et le collectif, social ou politique, constitue l’essentiel, le sens du projet
culturel des Maisons des Jeunes et de la Culture. Plus précisément, les MJC ne considèrent pas que
1
Au sens de Maurice Thévenet (Audit de la culture d’entreprise, Éditions d’organisation, 1986) et de
R. Sainsaulieu (L’identité au travail, Presses de la Fondation nationale des Sciences politiques,
1977).
2
Finalités et stratégies des MJC et de leurs fédérations (réflexions et propositions présentées et mises
en débat au Conseil d’administration de la FFMJC le 30/09/90).
- 151 leur mission est de transformer directement les rapports de domination sociale et politique - rôle qui
est reconnu comme celui des syndicats et des partis politiques - mais bien plutôt de faciliter, par
l’action culturelle et le savoir, les prises de conscience1 permettant à l’individu de rentrer sciemment
dans cette démarche de transformation. La culture pour les MJC est ce qui rend possible les
transformations sociales et politiques, sans que pour autant elles les conduisent elles-mêmes2.
La pierre angulaire de cette culture consiste en une conception et une pratique particulière de la
laï cité : ni fermée (chacun a ses opinions et les garde pour soi), ni anticléricale (d’abord combat
contre toutes formes de religion et d’Eglise), la laï cité des MJC est ouverte, respectueuse de la
diversité des opinions et des courants de pensée, tolérante sauf pour l’intolérable, c’est à dire pour
tout ce qui met en cause les droits de l’homme et du citoyen, la liberté de pensée et d’expression.
Cette laï cité n’est pas formelle. Ce n’est pas un simple concept. Par vocation éducative et
culturelle, en vertu précisément de cet humanisme fonctionnel, la MJC suscite et organise la
rencontre, le dialogue, la confrontation ouverte à tous les courants de pensée et d’opinion
philosophiques, religieux ou politiques qui désirent s’y exprimer. Elle n’est inféodée à aucun d’entre
eux et ne peut en écarter aucun. Mais elles n’est pas neutre, notamment quant elle affirme sa
volonté de lutte contre toute forme de fascisme et de racisme.
Cette laï cité prend une forme institutionnelle et structurelle qui peut conduire, non sans difficulté,
des partenaires d’opinions et d’engagements différents voire opposés, à cogérer un projet culturel,
éducatif et de développement local commun3.
Ainsi,
sans
que
cette
conception
fonctionnelle,
opérationnelle,
transformatrice,
voire
révolutionnaire, de la culture et de la laï cité véhiculée par les MJC et d’une manière plus générale
par l’éducation populaire ait peut-être jamais réellement fait preuve de cette efficacité4, il n’empêche
qu’elle a marqué et marque encore l’esprit des Maisons des Jeunes et de la Culture.
1
Le “conscientisation” dont parle Jean Laurain (L’éducation populaire ou la vraie révolution).
2
On peut comprendre cependant, au moment où certains espéraient - et d’autres craignaient - que
l’agitation culturelle ne prépare l’agitation sociale, l’enjeu qu’ont pu représenter les MJC et leur
fédération.
3
Aussi n’est-il pas rare de rencontrer au conseil d’administration de la MJC un représentant de la CGT,
le curé ou le pasteur du quartier, des représentants de la jeune chambre économique, des parents
d’élèves de sensibilités très différentes. Cette conception et surtout cette pratique de la laï cité
tranchent avec celles de la Ligue de l’Enseignement par exemple, même si aujourd’hui, cette
dernière se réclame de la “laï cité plurielle”. En fait, pour la FFMJC du moins, c’est le terme de
“laï cité ouverte active” qui convient le mieux, et qui a valu et vaut encore à cette institution de
nombreux conflits quand il y a passage à l’acte. A titre d’exemple : l’accueil de “France-Palestine” et
de certains mouvements juifs à la MJC Bellegarde d’Aix-en-Provence, au début des années 80, a bien
failli coûter, dans le contexte municipal de l’époque, l’existence même de la MJC et du poste du
directeur.
4
Le résultat est peut-être bien plus la gestion des contradictions sociales que leur transformation. En
effet, l’éducation populaire, modèle MJC, ne serait-elle pas plus “un mode de restructuration des
rapports entre classes et fractions de classes sociales”, et leurs animateurs “les gérants d’une
cohérence sociale en mal de participation” ? (J. Ion, Cahiers de l’animation n° 38, 1982, p. 42).
- 152 -
b) un pragmatisme au quotidien
Même si la parole est un outil essentiel des acteurs bénévoles et professionnels des MJC, les
exigences du faire priment sur la production discursive. Il y a en effet un primat du décisionnel et de
l’opérationnel sur le conceptuel1. A la différence de mouvements comme la Ligue de l’Enseignement
ou de Peuple et Culture dont la production intellectuelle est considérable2, les MJC et leurs
fédérations se donnent rarement les moyens de produire le savoir de pratiques qui exigent pourtant
une grande activité intellectuelle.
La production théorique nationale des Maisons des Jeunes et de la Culture est faible, pour ne
pas dire inexistante. Les responsables régionaux et nationaux, bénévoles et professionnels, viennent
tous du terrain. Les différents présidents et délégués fédéraux qui se sont succédés étaient issus de
la base militante ou professionnelle de l’Institution, sauf peut-être André Philip, Président-fondateur
de la FFMJC jusqu’en 1968, qui tout en étant un théoricien de l’économie et du socialisme, faisait
preuve d’un solide pragmatisme politique.
On pourrait même aller jusqu’à dire, à la différence d’autres mouvements d’éducation populaire et
d’action culturelle, que les intellectuels n’ont jamais véritablement eu droit de cité dans cette
Institution. Un réseau aussi important ne s’est par exemple jamais doté d’un conseil pédagogique et
scientifique, ni du reste d’un véritable service d’études et de recherche. L’intervention d’intellectuels
venus de l’extérieur dans les assemblées générales, congrès, journées d’étude des directeurs, est
toujours un exercice périlleux pour les organisateurs et évidemment pour les intervenants euxmêmes3.
A quoi tient ce pragmatisme teinté d’un certain anti-intellectualisme, notamment chez les
directeurs de MJC ? Vraisemblablement à l’immersion localisée permanente des structures, à leur
responsabilité totale, sans secours financier réel possible de la part de l’appareil fédéral, à
l’impérieuse nécessité d’assurer la sécurité des espaces, des biens et des personnes, aux
contraintes inhérentes à la gestion quotidienne du bâti, aux exigences incontournables, compte tenu
des moyens engagés, de rentabilité sociale, d’équilibre économique, de gestion d’équipes de
personnel souvent importantes. La consolidation très contemporaine de ce pragmatisme socioéconomique s’explique à la fois par le développement structurel des MJC et par la domination
1
Les directeurs de MJC se considèrent d’abord comme des “faiseurs”.
2
“Pléthorique” dit même Michel Leroy secrétaire général des A.I.L. (Amis de l’Instruction Laï que) des
Bouches du Rhône. Les cercles Condorcet éditent en effet 10 brochures par an.
3
François Dubet, sociologue, garde un souvenir cuisant de son intervention à l’assemblée générale de
la FFMJC du Mans en 1967, qui s’est déroulée, il est vrai, dans un contexte de tension extrême :
“Quand je suis rentré à Paris, je me suis demandé ce que j’étais venu faire et pourquoi on m’avait
demandé de venir...” Entretiens.
- 153 ambiante d’une esprit d’entreprise marqué par le nécessaire respect des lois de la concurrence, de
l’efficacité et de la rentabilité1.
c) une culture professionnelle forte mais multiforme
Même si le bénévolat et le militantisme sont particulièrement développés dans les Maisons des
Jeunes et de la Culture, même si l’engagement des personnes marque considérablement l’histoire
d’une institution qui n’a pourtant jamais revendiqué d’être un mouvement mais un service, il est
indéniable que la professionnalisation des structures va de pair avec leur propre développement. A
la différence de la plupart des autres institutions et mouvements d’éducation populaire, l’apparition
des permanents, des professionnels, notamment les directeurs-éducateurs et avant eux les chefs de
maison2, est contemporaine de la création d’abord des Maisons de Jeunes, puis de la République
des Jeunes et enfin de la FFMJC3.
Ce phénomène de professionnalisation occupe et préoccupe beaucoup l’ensemble des acteurs
des associations de base et des fédérations, les professionnels d’abord et les administrateurs
bénévoles ensuite, à tel point qu’à l’intérieur, et également pour les observateurs extérieurs, on a le
sentiment que ces institutions ont plus le souci de la gestion de leurs propres structures que de
définir leurs missions et d’évaluer le résultat de leurs actions.
S’il est bien vrai que la professionnalisation reste le levier essentiel du développement des MJC, il
est tout aussi vrai et cohérent que ce phénomène se traduise par une culture dominante, voire un
culte du professionnel pas toujours faciles à vivre ou même à accepter par les bénévoles4.
Cette culture professionnelle, très fréquente dans les MJC et leurs fédérations, quelle est-elle ?
La division du travail induit une diversité culturelle dont il serait bien long de faire l’inventaire et
l’analyse : la culture professionnelle des directeurs, ses valeurs et ses représentations, ne sont pas
les mêmes que celles de l’encadrement, du personnel administratif, des animateurs globaux ou
sectoriels, des animateurs-enseignants, des techniciens d’activité, des artistes, du personnel
1
C’est de plus en plus sur ces bases-là que se négocient et se contractualisent la création d’une MJC
et la mise à disposition d’un directeur, la gestion municipale directe étant présentée comme non
dynamique, peu innovante et déresponsabilisante pour les acteurs et les usagers.
2
Sous le gouvernement de Vichy, période sur laquelle nous reviendrons en détail dans l’analyse
historique.
3
Les effets de cette démarche de professionnalisation sont particulièrement évidents encore
aujourd’hui. Les plus petites MJC n’hésitent pas à embaucher des salariés et à se transformer en
employeurs alors que les foyers ruraux ont les plus grandes réticences à le faire et s’accommodent
facilement du seul bénévolat (entretien avec le délégué régional PACA des Foyers Ruraux).
4
Cette situation a plusieurs effets possibles : l’exaspération de certains administrateurs bénévoles qui
acceptent mal qu’on se préoccupe tant des salariés et de leurs revendications permanentes, le refus
de nombreux administrateurs jeunes de prendre des responsabilités dans des instances de décision
qui, pour eux, se préoccupent plus de personnel et de gros sous que d’actions. A l’opposé, le
sentiment gratifiant d’administrateurs qui se perçoivent comme des patrons d’entreprise,
gestionnaires de personnels et interlocuteurs reconnus des pouvoirs constitués.
- 154 technique et d’entretien. Cette culture professionnelle est faite de sous-cultures dont l’une est à
l’évidence dominante et joue le rôle de grand intégrateur : celle des directeurs, situés à l’articulation
du décisionnel et de l’opérationnel dans les MJC, à l’articulation de la fédération et des structures de
base dans l’ensemble institutionnel.
Or cette culture professionnelle des directeurs de MJC n’est pas - c’est le moins que l’on puisse
dire - homogène, ce qui est vraisemblablement un élément essentiel d’explication de la crise de la
FFMJC ouverte à l’assemblée générale du Mans en 1987.
Cette diversité culturelle des directeurs de MJC tient à de nombreux facteurs : les origines et les
itinéraires de plus en plus diversifiés de ces professionnels, leur période de recrutement, leur niveau
de formation initiale, leur appartenance syndicale (CGT, CFDT et non-syndiqué), la nature, la
mission et l’importance des structures qu’ils gèrent, la diversité de leurs productions, par ailleurs
difficiles à évaluer et à identifier1.
Ne peut-on pas cependant mettre en évidence, dans cette diversité, des cadres de référence
culturels communs qui, nous semble-t-il, sont aujourd’hui plus liés à une position structurelle dans
l’Institution et à des savoir-faire communs, qu’à des valeurs et des projets partagés par tous ?2
La situation de “mise à disposition” des directeurs leur donne en quelque sorte un statut de “chef
d’entreprise-fonctionnaire”3 : “chefs d’entreprises” en vertu des rôles, missions qu’ils assument dans
les structures qu’ils dirigent ; “fonctionnaires” de par leur statut professionnel (recrutement, formation,
gestion et mouvement national, grille unique sans promotion ni sanction, avancement à la seule
ancienneté). Ainsi un directeur, employé de la FFMJC, peut-il tout à fait fonctionner selon un double
registre de valeurs : celles du syndicaliste de base, défendant bec et ongles ses intérêts face à
l’employeur fédéral4 ; celles du directeur, chef d’entreprise et de personnel, avec ses exigences
1
Quelles peuvent être les valeurs professionnelles de référence communes à tel directeur préoccupé
quotidiennement d’insertion sociale de jeunes en situation d’exclusion et à tel autre, gestionnaire de
plusieurs festivals et réalisateur d’émissions de télévision ?
2
S’agissant de la FFMJC, l’analyse historique montrera vraisemblablement une évolution considérable
dans ce domaine entre les années 70 et la fin des années 80. On passerait, en dix ans, d’un primat
des valeurs “politiques” (démocratie locale, lutte, revendication, changement ...) à celui des valeurs
“techniques” (développement, gestion, communication, image, savoir-faire, compétence,
évaluation). Les Journées nationales d’étude de Bordeaux (1988) animées par le Groupe Français
d’Éducation Nouvelle ont mis en évidence à la fois la cohabitation de ces deux systèmes de valeur et
cette évolution axiologique. La dernière définition des compétences et missions du directeur de MJC
est à ce titre significative (travail réalisé sous la direction de P. Paupy, délégué chargé de la
formation, du recrutement et de la gestion des ressources humaines).
3
L’expression est de Catherine Flament, lors de son intervention dans les Journées régionales d’étude
(Aix en Provence, février 1991). A la FFMJC, les directeurs sont employés des fédérations
régionales, recrutés et gérés nationalement, mis à disposition de structures indépendantes très
variables (MJC, offices divers, municipalités, services municipaux ...). A l’UNIREG, la situation n’est
pas très différente, même s’il n’y a pas de véritable statut national.
4
A la FFMJC. les relations syndicats-employeurs peuvent en effet, prendre des formes aiguës, violentes
même : grèves, interventions massives dans les instances de décision, écrits virulents et attaques
personnelles.
- 155 d’efficacité, d’équilibres financiers, de développement, de productivité ; à la fois donc les référents et
pratiques du syndicalisme ouvrier et ceux du patron responsable de la bonne marche d’une petite
entreprise. Ces deux systèmes de valeur, ces deux “cultures”, semblent tout à fait bien cohabiter
dans les mêmes individus. On va même jusqu’à dire que les meilleurs “patrons” dans les structures
qu’ils dirigent, les plus exigeants avec leur personnel, sont souvent les syndicalistes les plus
efficaces et les plus virulents1.
La culture des Maisons des Jeunes et de la Culture est donc faite de la cohabitation étonnante de
ces systèmes de valeurs, souvent portés par les mêmes hommes, d’un mélange d’individualisme
forcené et de collectivisme, d’une sorte, donc, d’anarcho-syndicalisme2 générateur des attitudes et
des discours les plus contradictoires3 et les plus imprévisibles4.
Cette mobilité - ambivalence pourrait-on dire là aussi - axiologique et pratique, loin d’être vécue
comme une contrainte et un handicap, est considérée plutôt comme un atout et une richesse. Cela
fait en quelque sorte partie du projet et des pratiques des Maisons des Jeunes et de la Culture que
de devoir à la fois défendre des valeurs humanistes, sociales, culturelles et d’éducation populaire,
progressistes, voire humanitaires, et prendre des décisions apparemment contradictoires (sanctions,
licenciements, suppression de secteurs d’activités trop couteux...)5.
Mais il y a d’autres éléments déterminants de cette culture professionnelle :
• D’abord l’immatérialité et l’indétermination des productions pour des publics (les moins fortunés
1
Nous ne citerons pas de noms.
Les délégués régionaux, notamment à la FFMJC, ont, étonnamment, une marge de manoeuvre
“entreprenariale” ou patronale comme l’on voudra, beaucoup plus faible avec ce qui est leur “outil”
de développement essentiel (les directeurs), contraints qu’ils sont par la gestion d’un corps unique
de professionnels dans le cadre de règles qu’ils ne peuvent contourner ou transgresser qu’au prix
d’une gymnastique ou de conflits toujours éprouvants. Au contraire, les directeurs de MJC,
particulièrement opposés en tant que syndicalistes à la hiérarchisation et à la diversification des
fonctions de leur propre corps professionnel, ont une extraordinaire facilité à diviser le travail, à
hiérarchiser les fonctions et les salaires dans les structures qu’ils dirigent (de l’animateur-cadreadjoint-de-direction au TUC).
2
Georges Rouan (L’animation socio-culturelle, une institution en action, 1979) parle de valeurs de
socialisme utopique proche du fouriérisme, remarque qui a toute sa pertinence pour l’animation
socio-culturelle et les MJC des années 70, mais qui serait à revoir pour comprendre l’évolution qu’a
connue ce secteur dans les années 80.
3
C’est ce que l’on appelle à la FFMJC les “changements de casquette” sans que pour autant l’on
suppose, sauf en cas de polémique, qu’il y ait malhonnêteté ou duplicité.
4
C’est ainsi qu’il n’y a rien d’étonnant ni d’incohérent à entendre, de la part d’un directeur responsable
syndical, un discours attaquant violemment la fédération sur ses pratiques patronales, et réclamant
en même temps des sanctions contre des salariés qui ne rempliraient pas leur mission ou ne
respecteraient pas les règles.
5
Jean-Jacques Queyranne, député-Maire de Bron, mettait bien en évidence cette fonction éducative
de la MJC qui pouvait conduire le même homme à être salarié, défendant syndicalement ses intérêts
dans l’entreprise qui l’emploie, et à la fois “président-employeur” à la MJC (Intervention à l’occasion
du 25ème anniversaire de la MJC de Bron).
- 156 en priorité) dont les besoins réels et exprimés sont d’abord matériels, et des partenaires (les élus
locaux principalement) qui n’en perçoivent pas forcément avec précision ni la nécessité ni les enjeux,
si bien que les professionnels et les structures sont en permanence contraints à valoriser et à justifier
des pratiques de production dont l’utilité et l’évaluation sont loin d’être évidentes (le relationnel, la
sociabilité, le loisir, la culture, la prise de responsabilité, l’insertion, l’intégration, l’identité,
l’expression…)1. Cette situation explique en grande partie les discours et les jugements les plus
différents et les plus contradictoires portés sur les MJC et le travail de leurs professionnels2, discours
et jugements qui sont en eux-mêmes constitutifs de l’esprit de ces structures : “bricolage et sousculture” (discours des “cultureux”), “foyers d’agitation inutile ou dangereuse” (certains hommes
politiques), “repaire de petits-bourgeois consommateurs d’activités” (certains travailleurs sociaux),
“baba-cool et ringard” (discours des jeunes “branchés-communicants”), mais aussi espace
d’initiative, de liberté, d’insertion , ouvert, décontracté, sympa, où il se passe des choses très
diverses, où à la limite tout est possible à condition de s’en donner les moyens ou de les
revendiquer, où l’on peut à la fois faire, parler, proposer et décider, où l’on peut à son goût agir ou
consommer en respectant quelques règles communes que les responsables sont d’ailleurs prêts à
vous expliquer ...
• Ensuite la nécessaire gestion de la complexité, dictée par la diversité des actions, la multiplicité
des partenaires réels ou possibles, des savoir-faire et des contenus de travail3, la nécessité de
répondre à plusieurs commandes en tenant compte du potentiel de la structure (commande sociale,
commande politique, commande institutionnelle). Cette situation professionnelle, décrite ici à grands
traits, a connu des évolutions considérables rattachées à des valeurs tellement différentes qu’il est
plus facile aujourd’hui de parler d’une culture des différences professionnelles que de sa cohérence.
Quels sont les référents communs, sinon l’exigence d’une efficacité qui se paie4, entre le “permanent
engagé” des années 60, le “spécialiste de la généralité”5, directeur de structure touche-à-tout des
1
“Il s’agit d’aller vers l’invention de nouveaux modes de valorisation du travail - le travail pour produire
des biens, mais aussi le travail pour produire du relationnel, du culturel, de l’environnement”. Félix
Guattari : “La révolution moléculaire”, Le Monde du 7/12/90. Les MJC sont encore dans cette nonvalorisation, voire illégitimité, de leur travail, à la différence des structures d’action sociale et de
création culturelle dont les services et les objets sont soit de première nécessité, soit parfaitement
identifiables et évaluables, par la critique d’art par exemple.
2
Une simple anecdote : après une longue explication d’un directeur de MJC sur son activité, la diversité
des missions qu’il remplit, son interlocuteur lui demande : “mais à part ça, qu’est ce que vous faites
comme métier ?”. La remarque d’un autre directeur de MJC : “J’ai abandonné tout espoir de faire
comprendre à mon père, ancien ouvrier, en quoi pouvait bien consister mon métier”.
3
Les enquêtes de Christian Lucie et d’Alain Rissel, que nous avons en partie reprises, mettent bien en
évidence cette diversité en évolution.
4
Le directeur de MJC est un des rares professionnels à savoir au centime près ce qu’il coûte et par
conséquent à combien on le vend (287.568F = taux moyen FFMJC 1991).
5
L’expression est de Gérard Sanvicens, délégué chargé de la formation à la FFMJC au début des
années 80.
- 157 années 70, et le gestionnaire de la complexité, négociateur de projet et stratège de la fin des années
80 ?
Ainsi la culture des MJC - les transformations successives des référents professionnels ainsi que
l’histoire houleuse des structures l’attestent - est-elle plus faite de ses ruptures que de ses traits de
longue durée.
d) une conception dominante du lien social et du politique
Même si des formes “organicistes” de type corporatif existent et si des formes “contractuelles”
sont définies institutionnellement entre les individus et les partenaires, il apparait que la forme
“sociabilitaire”1 de lien social devient dominante au fur et à mesure que l’on se rapproche des
pratiques localisées et quotidiennes des structures.
En effet - malgré l’organisation de plus en plus hiérarchisée et complexe des MJC, compte tenu
du développement de la majorité d’entre elles - une certaine démocratie participative, une
communication très horizontale, le développement de liens concrets ouverts2, généralement régulés
par des valeurs humaines et de confiance commune où l’on fait la place aux différences, sont les
pratiques de sociabilité valorisées, référentielles, même si elles ne sont pas forcément toujours et
partout réalisées. C’est ce qui constitue l’esprit, l’accueil, la convivialité, l’ambiance MJC, cette sorte
de modèle de vie en société dont on trouve les concepts essentiels dans les statuts même :
formation de la personnalité, développement des aptitudes individuelles, mais aussi responsabilité,
citoyenneté et finalement communauté vivante par opposition au corporatisme, à la dépendance,
voire au clanisme (forme organiciste) et au formalisme abstrait des rapports simplement
contractuels.
Cette conception dominante du lien social va de pair avec des pratiques et des conceptions
particulières de la prise de décision, du pouvoir, de la démocratie et finalement du politique, qui
peuvent se définir par quelques principes là aussi précisés dans les statuts et les grands textes
“historiques”3 : la participation active au quotidien des adhérents et usagers, la cogestion entre les
différents partenaires concernées par le projet et les actions de la structure, l’implication régulière
dans la démocratie locale aussi bien au niveau opérationnel que propositionnel et décisionnel, autant
1
“Organicistes”, “contractuelles” et “sociabilité”, typologie du lien social que nous empruntons à
Catherine Flament (premiers travaux de sa thèse Entreprise et cohésion sociale, 40 pages, ronéo),
qui elle-même la construit à partir des travaux de différents sociologues, Simmel, Durkheim et Ion
notamment.
2
Nous retrouvons là le modèle réticulaire d’organisation et d’implantation sociale mis en évidence plus
haut.
3
Le discours d’André Philip à l’assemblée générale constitutive de la FFMJC (janvier 1948), les textes
préparatoires au congrès de la FFMJC de Nanterre (novembre 1977), de Reims (mai 1982) et de
l’assemblée générale de la FFMJC (novembre 1991).
- 158 de principes et de pratiques différents de ceux du monde du travail, de l’administration publique et de
la démocratie purement représentative.
Ainsi à certaines périodes, le mode de décision et de gestion type MJC est-il apparu comme un
modèle de société en rupture avec les pratiques établies1.
e) une histoire mouvementée et un jeu avec la mort
L’ambivalence des productions et des fonctions sociales des Maisons des Jeunes et de la
Culture, cette incertitude fondamentale, font partie, avons-nous dit, de leur patrimoine culturel. Et
comme si cette situation inconfortable ne suffisait pas, on a le sentiment que ces structures et les
fédérations qui les gèrent éprouvent un malin plaisir à jouer avec les crises, et finalement avec la
mort2.
A moins que le conflit local ou fédéral ne soit conçu comme un outil pédagogique3 et de
développement qui voudrait que l’on mette en jeu la vie des structures elles-mêmes ! Et il est bien
vrai qu’à certaines périodes et qu’encore en de nombreux cas, les acteurs bénévoles et
professionnels considèrent que le projet ne se réalise jamais aussi bien que dans le conflit, la lutte, la
remise en cause d’ordres établis à l’intérieur comme à l’extérieur de l’Institution, situations dans
lesquelles l’existence même des structures est en jeu.
De fait, cette institution, pour de multiples raisons idéologiques, politiques, structurelles,
économiques même, qu’il nous appartient d’analyser maintenant, a une histoire mouvementée,
complexe, à multiples entrées, faite d’images partielles, partiales, voire fausses, portées par les
différents acteurs internes ou externes et qui marquent chaque période de crise, de conflit ou de
développement.
On pourrait donc écrire les multiples histoires des Maisons des Jeunes et de la Culture, et
essayer de construire le système de ces regards croisés, qui sont eux aussi constitutifs de la culture
de ces institutions. On se rendrait vraisemblablement compte qu’il n’existe pas véritablement, à la
FFMJC ou à l’UNIREG, de mémoire collective très structurée, largement connue et partagée par
l’ensemble des acteurs qui pèsent dans les décisions locales, régionales et nationales. Par contre, il
existe, du moins à l’intérieur de la FFMJC, une histoire dominante quasi-officielle, de l’Institution,
appuyée sur ce qu’il faut bien appeler un mythe fondateur, un âge d’or puis une grande crise avec
1
D’où l’image contestataire, libertaire, voire révolutionnaire, repaire de communistes et de gauchistes,
de nombreuses MJC, notamment dans les années 70, période de conflits locaux souvent violents
entre ce type de structures et certaines collectivités locales.
2
Certains parlent de “masochisme institutionnel”.
3
Certains textes mettent en évidence et revendiquent cette pédagogie du conflit, voire de
l’affrontement (textes préparatoires au congrès de Reims, 1982).
- 159 ses bons et ses méchants, dont on sentirait encore les effets1 L’histoire des faits, quant à elle, n’a
jamais véritablement été écrite2.
1
Les documents de présentation de cette histoire sont assez rare (le plus récent et le plus concis
étant la plaquette de la FFMJC de 1985). Il s’agit en fait surtout d’une histoire orale.
2
Le travail le plus concis et le plus rigoureux qui a donné lieu à quelques articles (Cahiers de
l’animation et Cahiers de la FFMJC) est celui de Claude Paquin. Les autres spécialistes ont plutôt
traité de l’éducation populaire et de l’animation socioculturelle en général (B. Cacérès, G. Pujol, P.
Bénard, G. Rouan, etc...). De son côté, Jean-Claude Leroyer, malgré un important travail
d’investigation et de recherche de documents que nous utiliserons, s’est fourvoyé - à trop vouloir
démolir le mythe - dans une analyse polémique qui occulte les faits et l’analyse sérieuse des
données (Histoire et sociologie de la FFMJC dans sa phase des gestation - La création ambiguë des
MJC, 1991).
- 161 -
DEUXIÈME PARTIE
L’INVENTION DES MAISONS DES JEUNES ET DE
LA CULTURE
- 163 -
CHAPITRE - I LA PRÉHISTOIRE DES MAISONS DES JEUNES ET DE LA
CULTURE
D’une manière générale, et au-delà des multiples approches et interprétations possibles, on
pourrait diviser le développement des Maisons des Jeunes et de la Culture en quatre grands
moments :
- d’abord ce que nous appellerons “la longue émergence du concept” qui arrive, nous
semble-t-il, à son terme avec la création de la FFMJC en janvier 1948 et la définition des statuts,
règlements et textes fondamentaux1 ;
- ensuite la période du “formalisme pédagogique” avec deux grands moments : une
traversée du désert jusqu’en 1959, puis une croissance prodigieuse jusqu’en 1968 ;
- puis les années de “l’engagement démocratique” - du moins pour les MJC affiliées à la
FFMJC - qui s’étend de 1969 (la scission) à 1983 ;
- enfin la dernière période que nous appellerons du “management social et culturel local”.
Cette histoire peut également s’accommoder d’un autre découpage non contradictoire avec le
premier :
- la préhistoire, qui se termine en 1940,
- l’antiquité qui va de 1940 à la création de la FFMJC (1948),
(ces deux périodes correspondent à la “longue émergence du concept”),
- le moyen-âge, qui s’étend jusqu’à la fin de la IVe République et qui correspond à la
première période du “formalisme pédagogique”,
-
les
temps
modernes,
de
1959
à
1968,
moment
de
croissance
rapide
et
d’institutionnalisation des MJC,
- le temps des crises et des révolutions, qui se prolonge par une période de
repositionnement dans la gestion du développement local liée à la décentralisation étatique (de 1969
à 1983, puis les années récentes).
“L’archéologie” des Maisons des Jeunes et de la Culture demanderait une investigation longue et
complexe que l’on devrait conduire à deux niveaux : dans le champ des pratiques où il faudrait
repérer toutes les expériences de structures collectives à vocation éducative, sociale et culturelle ;
1
Un document référentiel largement diffusé rassemble en effet le discours d’André Philip lors de
l’assemblée générale constitutive de la FFMJC (15/01/48), la réponse de M. Naegelen, Ministre de
l’Éducation Nationale, les statuts-type d’une MJC, d’une fédération départementale, les statuts de la
FFMJC, les règlements intérieurs de ces structures, les statuts des directeurs de MJC, des extraits
de circulaires ministérielles.
- 164 dans le champ théorique où se formulent depuis longtemps les grandes questions du savoir et du
pouvoir, de la démocratisation de la culture, des intellectuels et du peuple, de l’apprentissage de la
citoyenneté, des meilleures formes de gouvernement, du passage de l’enfance à l’état d’adulte, de la
transmission et de la transformation des règles de société.
Afin d’éviter le piège d’une analyse historique récurrente sans limite, nous nous contenterons
pour l’essentiel d’une généalogie contemporaine de la naissance de l’Institution.
1 - La Maison pour tous de la “Mouffe”
Nombreux sont les témoins, chroniqueurs et historiens1 qui s’accordent à reconnaître que la
“Maison pour tous de la Mouffe” est bien l’ancêtre des Maisons des Jeunes et de la Culture.
Il y a en effet une filiation directe. André Lefèvre, dit “vieux castor”, qui prend le relais de
Catherine Descroix en 1910 et présidera avec Marthe Levasseur notamment (“mère louve”) aux
destinées de la Mouffe, deviendra commissaire national des Eclaireurs de France et l’un des
créateurs de la première école des cadres, chefs de Maisons de Jeunes (Chamarges en 1941).
D’autre part, la Maison pour tous de la Mouffe rejoindra la FFMJC après la guerre et sera “dotée”
d’un directeur, Georges Bilbille (mieux connu sous le nom de “Bill”)2.
A notre connaissance, l’histoire de la Mouffe n’a pas été écrite. Il existe cependant de nombreux
documents et témoignages. Une association des anciens et amis de la Mouffe se propose de
rassembler les éléments qui permettraient à une étudiant de réaliser “une thèse universitaire
retraçant l’oeuvre de la Maison pour tous de la rue Mouffetard”3. Une émission de télévision, diffusée
par Antenne 2, a été consacrée à cette longue expérience de plus de 70 années.
En 1906, une étudiante, Cathe Descroix, venue se loger au 6 de la rue Mouffetard avec deux
autres étudiantes, “sillonistes” comme elle, décide de cesser ses études pour se consacrer
entièrement à ce Ve arrondissement de Paris dans lequel les conditions de vie sont particulièrement
difficiles. Elle crée un petit groupe qui s’appelle “Chez nous”4. Pour gagner de l’argent, elle gère rue
de l’Epée de Bois un dépôt de chaussures en accord avec une coopérative de Fougères. Grâce à
l’argent de ses ventes, elle constitue des groupes, rattachées au Sillon, commence à organiser des
colonies de vacances, des conférences, une bibliothèque, des sorties appelées “caravanes”. Ses
1
“La maison pour tous de la rue Mouffetard [....] associait déjà des laï ques, des protestants et des
catholiques. Elle mérite bien le titre d’ancêtre des MJC”. G. Poujol (Cahiers de l’animation n° 32,
page 128).
2
“Bill”, ancien salarié de la FFMJC actuellement à la retraite, participe encore régulièrement aux
assemblées générales de la FFMJC et aux journées nationales d’étude des directeurs.
3
4
Courrier reçu en janvier 1990.
“Chez nous” est le nom du restaurant du XVIIe arrondissement de Paris où les délégués de la FFMJC
se rendent régulièrement pour prendre leur repas. Simple coï ncidence !
- 165 réflexions en matière pédagogique l’amènent à constituer des groupes mixtes, l’éducation des
garçons et des filles devant se faire ensemble - ce qui est très novateur à l’époque1.
Cathe Descroix, endettée, accepte en 1910 un poste à Alexandrie pour trois ans. Ensuite elle
sera infirmière à l’armée d’Orient, si bien que de 1911 à 1921, elle ne se préoccupera plus
directement de “Chez nous”. C’est alors André Lefèvre qui prend le relais jusqu’à la guerre. Dans
une espèce de baraque qu’il a louée rue Gracieuse, il organise tous les mercredis un cercle
d’études. Pendant la guerre, le groupe des garçons se disloque, et aucun de ceux qui participent au
groupe choral et musical du Sillon du quartier Mouffetard ne reviendra. Le lien n’est cependant pas
rompu. Une correspondance se crée. On tire une lettre circulaire tous les mois qui arrive dans les
tranchées, et que Cathe Descroix elle-même reçoit.
Marguerite Walther, envoyée par Cathe Descroix et venue de l’armée d’Orient, rejoint “Chez
nous” en octobre 1919. Elle met en place un cinéma dans un quartier non électrifié (on utilise un
moteur de l’armée, récupéré par Vieux Castor), se lance dans le scoutisme (louveteaux et éclaireurs
constituent la “tribu du gui”), prend en charge les jeunes enfants grâce à une nouvelle arrivée, Renée
Sainte Claire Deville, se penche sur les difficultés de la condition féminine2, ouvre un restaurant.
“Chez nous” s’est alors installé dans un local plus vaste au 76, rue Mouffetard, qui avait été le siège
d’une Maison des syndicats et d’une Université Populaire avant la première guère mondiale. Lucien
Herr, Léon Bloy, Jean Jaurès et Trotski venaient y parler aux ouvriers parisiens. Lénine lui-même y
aurait pris la parole, avec Montehus, vedette de l’époque, en premier partie3.
Ainsi en 1920, huit volontaires et de nombreux amis, entraînés par eux, gèrent “Chez nous” :
quatre femmes bénévoles à temps plein (Marguerite Walther pour le cinéma, les familles, les
mouvements féminins ; Marie-Madeleine Ricard pour le restaurant ; Renée Sainte Claire Deville qui
est trésorière, et Marie Raimbault qui gère le bar) ; quatre volontaires à temps partiel quotidien
(André Lefèvre, dessinateur en béton armé, Marthe Levasseur, couturière en chambre, Marguerite
Levasseur, fourreuse ; Henriette Devillers qui s’occupe du secrétariat est employée). De nombreux
amis (20 à 30) donnent chacun une ou deux soirées par semaine. A ces personnes s’ajoute la
participation financière de plus de 100 personnes ayant acheté des actions de 100 F lancées par
l’association d’éducation populaire “Chez nous”.
1
La question de la mixité dans l’histoire de l’éducation plonge ses racines, semble-t-il, dans les
mouvements d’éducation populaire : après le Sillon et l’expérience de la Mouffe, les Auberges de
Jeunesse joueront un rôle important dans ce domaine...
2
“Je ferai quelque chose pour les filles. Il faut leur apprendre à se battre” dit Marguerite Walther,
surnommée “la Patronne”. (La majorité de ces informations sont extraites d’une conférence de
Marthe Levasseur, silloniste dès 14 ans, pilier de la Mouffe jusqu’à plus de 80 ans, et de la
publication qui lui a été consacrée en 1988 avec le soutien des Eclaireuses et éclaireurs de France,
des Centres d’entraînement aux méthodes d’éducation active, des Francs et franches camarades, de
ses collèges et amis de la Caisse d’Allocations familiales de la région parisienne. Nous nous inspirons
également du témoignage de Georges Bilbille sur le théâtre Mouffetard, Ronéo, 54 p.).
3
D’après le témoignage de “Bill”.
- 166 Cette première naissance de ce qui deviendra la Mouffe appelle quelques remarques. L’esprit du
Sillon de Marc Sangnier y est déterminant. Mouvement à la fois catholique et démocratique, branche
progressiste de l’Action catholique de la Jeunesse française, fondée par Albert de Mun à la fin des
années 1880, le Sillon de Marc Sangnier en 1906 se situe dans le prolongement d’un catholicisme
social, où “l’éveil démocratique”1 prend le pas sur les intérêts directs de l’Eglise catholique. La
dimension sociale, du moins au tout début, et l’implication des femmes, y sont importantes. Mais
rapidement les activités culturelles, éducatives et de jeunesse y occupent une place considérable, si
bien qu’on peut avancer que l’expérience de la Mouffe se situe quasi immédiatement après le départ
de Cathe Descroix, en rupture à la fois avec la démarche des universités populaires, caractérisées
par l’action d’intellectuels qui vont au peuple, et avec l’esprit et les pratiques des mouvements, ici le
Sillon, qui a pourtant donné naissance à l’expérience.
Du reste, ce basculement, du mouvement à l’Institution en quelque sorte, ne tardera pas à
s’opérer. Il prendra la forme d’une rupture, A la fin de 1921, Cathe Descroix réapparaît. A la
stupéfaction de tous, elle désapprouve l’action menée en son absence. Elle reproche notamment la
laï cité dans laquelle “Chez nous” s’est engagée. Pour elle, “il faut avoir le souci constant de se
conduire en parfaits chrétiens et en parfaits démocrates ... fidèles au serment de vivre pour la gloire
du Christ et pour le bien du peuple”2.
Pour André Lefèvre, Marguerite Walther et les autres, pour ces chrétiens, y compris pour l’abbé
Viollet, aumônier du groupe, un autre cheminement a été accompli pendant et peut-être à cause de
la guerre :
“Si nous faisons toutes ces choses (mettre le Christ dans la salle du cercle, faire la prière à
haute voix et dire le Bénédicité avant le repas en colonie de vacances), notre tendance est
confessionnelle. Si nous voulons être neutres, il faut supprimer tout cela. Il y a tout un travail
moral, social, syndicaliste que nous devons faire avec tous et pour tous quelles que soient
leurs opinions religieuses” [L’abbé Viollet, 19 mai 1919].
“Après la guerre, des camarades se sont rendu compte de la difficulté de l’éducation … Même
le contact perpétuel des bonnes âmes est impuissant à faire perdre de mauvaises habitudes
enracinées. Voyez le groupe d’éclaireurs mis en train et dirigé par deux protestants et un libre
penseur. Est-ce que pratiquement nous n’avons pas senti la possibilité, même la bienfaisance
du travail ainsi réalisé en commun ? … Ce qui semble donc rester, c’est faire en effet de
l’éducation sans vouloir faire de l’éducation chrétienne” [André Lefèvre, 5 avril 1921].
“Nous voulons, n’est-ce pas, nous occuper d’éducation populaire et d’éducation à la
démocratie. Eh bien commençons par être nous-mêmes organisés, nous-mêmes disciplinés,
et au 30 octobre (date d’ouverture du cinéma de Chez nous) que pas un de nous ne manque !
1
Voir photos d’archives retranscrites dans les Cahiers de la FFMJC n° 4, décembre 1980, p. 6.
2
“Correspondance des volontaires” in Marthe Levasseur, mère louve de la Mouffe, p. 5.
- 167 [Marguerite Walther, 30 septembre 1919]1.
Dans l’action, une autre conception éducative dite de “neutralité religieuse”, que bien plus tard on
appellera “laï cité ouverte”, s’est élaborée, une conception éducative moins faite d’engagement
idéologique que d’un pragmatisme au quotidien reposant sur des valeurs communes : tolérance,
respect des opinions et des engagements qui se confrontent, organisation et discipline
collectivement choisis, le tout au service d’un projet éducatif et démocratique.
A la différence de Cathe Descroix, Marguerite Walther et la majorité de l’équipe pensent que les
sections du mouvement de Marc Sangnier sont “clairement orientées, que c’est autre chose mais
que ça n’est pas leur travail”2. C’est donc la rupture. Au début de 1923, une nouvelle association est
déclarée à la Préfecture de la Seine sous le nom de “Maison pour Tous”. Le “patron” (André Lefèvre)
et “la patronne” (Marguerite Walther) restent à la tête de la Maison.
Dès lors, la Maison pour tous fonctionnera selon des principes relativement simples, ce qui
n’exclut pas, bien au contraire, la multiplicité et la richesse de ses expériences. Principes et missions
qui marqueront son histoire jusqu’à sa disparition du quartier Mouffetard à la fin des années 70 et à
“sa nouvelle greffe”3 à Marcoussis :
“Qu’est-ce qu’une Maison pour tous ? C’est une maison ouverte à tout le monde : les enfants,
les jeunes, les parents ; pas de ségrégation d’âge ou de race naturellement. Mais c’est aussi
un centre social, une Maison de Jeunes et centre culturel qui constituent un bloc”4.
Et Georges Bilbille, 67 ans plus tard, ne dit pas autre chose :
“Cette maison reconnue d’utilité publique, d’abord appelée “Chez nous”, se présente dans le
quartier Mouffetard si agissante, si inventive, si particulière, dont l’imagination créative a
continué jusqu’à son expropriation. Cette Maison, ne ressemblant à nulle autre, n’avait de
cesse que de faire profiter de ses expériences, sans le moindre esprit de thésaurisation [...]
quel que soit par ailleurs leur lieu d’implantation, qu’il s’agisse de centres éducatifs, de MJC,
de centres sociaux, de clubs de prévention ou de Maisons de la Culture ; la Mouffe a été la
première à être tout cela …”5.
Avec les réserves critiques qui s’imposent vis à vis de paroles de militants et professionnels
engagés, on doit évidemment faire le partage entre ce qui relève des objectifs ou des intentions, des
visions rétrospectives, et, finalement, des reconstructions mythologisantes d’un part, et les faits
d’autre part.
Tout en sachant que l’engagement des militants, leur vision de la réalité et la définition des
1
Marthe Levasseur, mère louve de la Mouffe, p. 5.
2
Ibid. p. 6.
3
Claude Mollard, Président de la Maison à partir de 1978 (Marthe Levasseur…, p. 29).
4
Marthe Levasseur. Extrait du rapport moral de 1924 (Marthe Levasseur…, p. 11).
5
Le théâtre Mouffetard, p. 5.
- 168 projets font partie des faits, qu’en est-il des pratiques de cette Maison pour tous Mouffetard jusqu'en
1940 ?
C’est d’abord une action importante en direction des enfants et des jeunes, qui vise à lutter contre
l’enfermement d’un quartier misérable et sans horizon. Ce sont des camps de jeunes organisés
selon les règles de la vie scoute, d’où l’on s’efforce déjà de chasser les relents militaristes et
obsolètes. On y développe les camps volants, la découverte de la nature dans toutes ses
dimensions, en altitude et en sous-sol, la rencontre avec des jeunes d’autres pays. La mixité des
groupes est couramment pratiquée1. C’est également la colonie de vacances de Mont-Martin en
Normandie qui fonctionne régulièrement sous la responsabilité de Marthe Levasseur. Les grands
principes de ces différentes activités sont l’épanouissement des enfants et des jeunes, le bien-être
physique et moral, l’acquisition de l’habitude de l’hygiène, la responsabilité individuelle et collective,
la discipline librement acceptée, tout cela devant se réaliser “sans laï us pédagogique mais en
pratique ... sans faire de la morale, sans imposer des règles sévères, sans longues exhortations,
mais par l’atmosphère de bien-être moral et d’harmonie”2. Les deux principaux responsables de ce
“secteur jeunes”, vraisemblablement le plus important de la Mouffe jusqu’en 1945, sont André
Lefèvre (Vieux Castor), devenu le commissaire national des Eclaireurs de France, et Marthe
Levasseur (Mère Louve), nommée commissaire régionale des Louveteaux et Eclaireurs de France3.
L’action sociale est également importante. Marie Raimbault a ouvert un bar anti-alcoolique à
l’intérieur de la Maison pour tous. Marthe Levasseur reconnait avec le recul4 que “c’était une douce
illusion”. Les ivrognes ne sont évidemment pas venus mais, dit-elle, “si on n’a pas converti les
ivrognes, on a appris à leurs enfants - ce qui était beaucoup plus important - à vivre autrement et
surtout à boire autrement. Et je dois dire que nous avons eu là une certaine réussite”5.
Dans le domaine social, la Mouffe organise une caisse des loyers du Ve arrondissement. Une
des grandes causes de misère est le moment du terme rarement prévu au budget familial. Pour
remédier à cela, toutes les familles peuvent chaque semaine venir verser une partie de leur terme.
L’argent, qui rapporte, permet de payer les loyers et le cas échéant d’organiser la solidarité envers
des familles particulièrement nécessiteuses. On organise également des opérations de collecte de
1
“Tout était mis en oeuvre pour favoriser l’épanouissement. Nous étions traitées de la même façon
que les garçons. Dans la vie courante, le sexe féminin était presque toujours dévalorisé ; à la Maison
pour Tous, nous avions tous la même valeur” (Denise Lambert-Pigelet, dite Belette, in Marthe
Levasseur…, p. 13).
2
Textes divers in Marthe Levasseur…, p. 14 et 15. Ajoutons que la Maison pour tous recevra le
2/1/1930 l’annonce officielle de sa reconnaissance d’Utilité Publique.
3
Ce qui permet aux Éclaireurs et Éclaireuses de France d’affirmer qu’ils sont les fondateurs de la
première MJC de France (entretien avec Françoise Tétard, historienne au CNRS, spécialisée dans
l’histoire de la politique de la jeunesse en France).
4
Enregistrement vidéo de 1983.
5
Enregistrement vidéo de 1983.
- 169 vêtements et d’objets que l’on revend dans de grandes braderies, ce qui permet à la fois de secourir
les plus défavorisés et d’alimenter quelque peu la caisse de la Maison pour tous.
Le restaurant, longtemps conçu comme une table familiale, accueille à la fois des gens du
quartier qui travaillent et des étudiants. Les responsables de la Mouffe en mesurent rapidement
l’intérêt pédagogique et culturel :
“...On a eu immédiatement un public extrêmement intéressant parce qu’il était mélangé de
travailleurs manuels, d’étudiants et d’intellectuels. Et la table familiale a fonctionné de cette
façon jusqu’en 1940”1.
L’ouverture à tous, quelles que soient les origines de classe et le niveau de connaissance, et plus
précisément le rêve de la rencontre des intellectuels et du peuple, prend corps pour ces militants de
l’éducation populaire, même si vraisemblablement l’envergure de l’expérience reste modeste.
En matière proprement culturelle, la Maison pour tous gère le cinéma, la bibliothèque et continue
à organiser des cercles d’études sur des questions souvent très pratiques : la vie sociale,
l’apprentissage, les assurances, la solidarité. Mais c’est surtout après la deuxième guerre mondiale,
notamment avec l’arrivée de Georges Bilbille, que la Mouffe prendra une ampleur culturelle
considérable, tout en gardant sa dimension de structure d’éducation populaire, et cela jusqu’à sa
disparition. Une grande partie des acteurs et créateurs, dans les domaines les plus divers (théâtre
surtout mais aussi cinéma, arts plastiques, musique, chanson, poésie), y feront leurs premiers pas2.
Les grand intellectuels du moment, Sartre et Simone de Beauvoir entre autres, viendront y parler
politique, littérature, condition féminine...
Le principe de cette action culturelle est que la création est essentielle, et que chacun peut
apprendre de tous :
“Le cercle d’études était ouvert à tout le monde. Il a étudié des problèmes politiques, littéraires,
notamment la condition féminine avec Simone de Beauvoir. Notre ami Jacques Bador, qui était
en 1947 secrétaire du Ministre de la Reconstruction Claudius Petit, vint nous parler du rôle du
chef de cabinet de ministre. On peut dire aussi que la parole était donnée à chacun pour
présenter son métier, son intérêt, ses difficultés”3.
Mais dans le même temps, les soeurs Levasseur continuent à organiser camps d’été et colonies
de vacances.
Pendant la période d’avant 1940, d’où vient l’argent ? Sur un budget de 29.700 F (année 1922,
vraisemblablement au moment où Ronald Seydoux prend la trésorerie), la participation des
cotisations et des familles représente seulement 8.700 F, les dons et les concerts 21.000 F. Le
travail des bénévoles est considérable ainsi que l’apport des membres fondateurs et de quelque 200
1
Enregistrement vidéo de 1983.
2
Voir pour cela le témoignage de G. Bilbille (Le théâtre Mouffetard).
3
Marthe Levasseur…, p. 11.
- 170 membres donateurs, qui participent pour des sommes moindres et variables. Il faudra attendre 1945
pour qu’interviennent des financements publics et externes dans une proportion approchant les 50%
du budget1.
2 - L’expérience des Auberges des Jeunesse
Nous n’avons pas, là non plus, la prétention de faire l’histoire - elle aussi particulièrement agitée des Auberges de Jeunesse, mais de repérer, en nous méfiant des illusions rétrospectives, les
éléments relevant à la fois de l’esprit2 et des pratiques qui, selon nous, balisent le chemin conduisant
aux Maisons des Jeunes et de la Culture. Nous nous y sentons d’autant mieux autorisé que la
première véritable définition des MJC se fera par rapport aux “auberges”3 et que d’anciens Ajistes
jouent un rôle important dans la création de la FFMJC4
Au-delà du rôle déterminant, là aussi, de Marc Sangnier qui crée la première auberge de
jeunesse “française” à Bierville en 1930, puis la “Ligue Française des Auberges de la Jeunesse” en
1933, quelques liens généalogiques entre l’expérience des auberges et celle des futures MJC nous
semblent bien réels.
D’abord une préoccupation déterminante pour la jeunesse, la reconnaissance de cette classe
d’âge, de son identité, de son importance, de l’enjeu social, culturel, économique, et surtout politique,
qu’elle représente dès les années 30, préoccupation et conscience des enjeux qui, dans cette
période s’exprimeront d’une manière claire, percutante et contradictoire dans le champ politique,
avec toutes les répercussions facilement repérables dans les auberges elles-mêmes. Il serait long et
hors de notre propos de relater les faits dans toutes leurs dimensions, notamment dans l’Allemagne
et la France des années 30. On peut se contenter de rappeler les déclarations de Léo Lagrange dont
le soutien a permis le fulgurant développement des Auberges de Jeunesse5 :
“Nous voulons que croissent et se multiplient les Auberges de Jeunesse. Non seulement pour
offrir aux nouvelles générations des hôtels à bon marché, mais pour que dans chaque auberge
se crée un foyer de vie collective où le jeune intellectuel et le jeune ouvrier, la jeune dactylo et
1
“L’aide considérable que nous apportèrent la Caisse d’Allocations Familiales et la Fédération des
Maisons des Jeunes et de la Culture en prenant en charge les salaires des directeurs ou directrices
nécessaires fut déterminante pour notre équilibre financier” Fernand Bouteille (in Marthe
Levasseur…, p. 16).
2
Pour les MJC comme pour les Auberge de Jeunesse, nous préférons parler “d’esprit”, de “climat”, de
“culture”, voire “d’idéologie” que de doctrine.
3
Jean Rous : “La Maison de Jeunes”, Esprit n° 11, octobre 1945. Texte essentiel sur lequel nous
reviendrons longuement.
4
Jean et Germaine Bellec par exemple.
5
En 1939, il y aurait 900 auberges de jeunesse en France fréquentées par 60.000 jeunes, souvent
organisés en clubs ou en groupes d’usagers.
- 171 la jeune paysanne forgeront cette unité morale de la jeunesse de notre pays et du monde sans
laquelle il n’y a pas de salut possible. Notre ambition commune est de sauver les valeurs
spirituelles du monde et pour cela nous comptons spécialement sur le jeunesse, cette réserve
d’or des nations, parce qu’elle a profondément le sentiment de l’amitié et de l’amour”1.
Ce texte, saturé de sens, est en effet très significatif à la fois de l’esprit des auberges et de l’enjeu
socio-politique que représente la jeunesse, dans cette période, mais aussi dans les contextes très
différents qui vont suivre et marquer l’émergence véritable des Maisons de Jeunes puis des Maisons
des Jeunes et de la Culture (1940, 1944 puis 1947).
Cet esprit particulier, c’est d’abord une pédagogie très pratique, et non un enseignement
livresque et théorique, de l’autonomie des jeunes, de la vie collective et sociale selon des valeurs de
démocratie, de fraternité, de tolérance, de rencontre, de mixité, où les structures, la hiérarchie sont
réduites au minimum2. Cet esprit se réalise concrètement dans la gestion collective du quotidien,
dans une expression culturelle et sportive spécifique des jeunes ajistes et dans l’organisation de
clubs et groupes d’usagers. De là il est facile d’établir un lien avec les conseils de maison, conseils
de jeunes et assemblées générales d’adhérents et usagers qui caractériseront l’expérience des
MJC.
Autre élément essentiel de l’esprit des auberges, que l’on retrouvera dans les pratiques, ou du
moins le projet, des MJC : la rencontre au niveau de la jeunesse des différentes classes sociales (“le
jeune intellectuel et le jeune ouvrier, la jeune dactylo et la jeune paysanne...”). De ce point de vue-là,
les auberges, et plus tard les MJC, entendent se démarquer des mouvements de jeunesse construits
selon des repères sociaux ou idéologiques précis, dont les plus beaux exemples sont la Jeunesse
Ouvrière Chrétienne, la Jeunesse Agricole Chrétienne et la Jeunesse Etudiante Chrétienne, mais
aussi les jeunesses communistes, les jeunesses socialistes.
Dans le même temps, les préoccupations du politique en matière de jeunesse apparaissent
clairement et pour de longues années. Il s’agit - d’abord pour Léo Lagrange et plus tard pour le
gouvernement de Vichy, certes avec un projet de société très différent - de “forger une unité morale
de la jeunesse de notre pays et du monde, sans laquelle il n’y a pas de salut possible”3. Ainsi c’est
l’intervention de l’Etat qui permettra, aussi bien pour les Auberges de Jeunesse en 1936 que pour les
Maisons de Jeunes en 1940 puis en 1944 et surtout à partir de 1959, de développer une politique de
la jeunesse appuyée sur ce type de structures, ce qui ne veut pas dire pour autant que ni les unes ni
1
Sixième conférence internationale des Auberges de Jeunesse en 1937 (cité par P. Gaudibert in
Cahiers de l’animation n° 32, p. 79).
2
Pierre Gaudibert parle même d’expérience d’autogestion de la jeunesse et établit un lien entre l’esprit
des auberges de 1930 et le mouvement étudiant de 1968 (Cahiers de l’animation n° 32 ).
3
Léo Lagrange. Texte déjà cité qui pourrait s’appliquer aux projets politiques les plus opposés : le
Front Populaire, la Révolution nationale vichyste et le projet du Conseil national de la Résistance (ce
qui peut expliquer aujourd’hui le malaise que crée le terme même de “politique de la jeunesse”).
- 172 les autres aient été, compte tenu de leur organisation et de leur esprit, inféodées aux décisions et à
l’autorité de l’Etat.
Autres éléments comparables, et ceux-là plus prosaï ques, entre les Auberges de Jeunesse et
les futures Maisons des Jeunes et de la Culture : d’une part une action éducative en direction des
jeunes appuyée sur un équipement, d’autre part la présence de ce qui deviendra rapidement un
permanent, voire un professionnel attaché à la gestion et à l’animation de cet équipement (le père
aubergiste pour les auberges de jeunesse, le chef puis le directeur pour les Maisons des Jeunes et à
leur suite les MJC).
3 - “L’effet 36”
En matière de développement des actions en direction de la jeunesse et de la culture, on accorde
généralement un rôle considérable au Front populaire, à ses choix et à ses hommes. Les écrits sur
cette question sont nombreux1 et il ne nous appartient pas ici de juger globalement “l’effet 36” dans le
secteur qui nous concerne comme dans d’autres.
S’agissant de ce qui peut préfigurer les Maisons des Jeunes et de la Culture, nous nous
contenterons de signaler quelques faits et initiatives, significatifs et déterminants pour l’avenir.
La Ligue de l’Enseignement - il s’agit là d’une initiative associative de terrain pourrait-on dire - se
mobilise sur le projet de “foyer rural”. L’implantation de ce mouvement, dont les conceptions sont très
proches de celles du Front populaire, lui permet d’avancer l’idée d’une nouvelle Institution appuyée
sur un équipement qui, dans chaque commune, viendrait animer et gérer la vie collective après
l’Eglise, la Mairie et l’Ecole. L’exposition de 1937 sera l’occasion pour la Ligue de l’Enseignement de
présenter un modèle de foyer rural, initiative qui n’aura pas immédiatement de suite, en raison
vraisemblablement de la fin du front populaire et de l’arrivée de la guerre.
Autre expérience significative : la première Maison de la Culture créée en 1935 par André
Malraux mobilise des intellectuels qui entendent s’adresser au peuple et ouvrir les portes de la
culture, jusqu’alors réservée à une élite de privilégiés. Cette organisation, semble-t-il très liée au
Parti communiste2, à sa nouvelle conception unanimiste et patrimoniale de la Culture, va essaimer
1
Parmi bien d’autres, le livre de Benigno Cacérès : Allons au devant de la vie. La naissance du temps
des loisirs en 1936, Maspéro, 1981, permet une approche facile et concrète de cette période.
2
Le Parti communiste a joué un rôle considérable dans le développement de l’action culturelle en
France, aussi bien dans les conceptions que dans la pratique. Il semble qu’à partir de 1934, le PCF
passe d’une conception “culture de classe” à une conception “culture patrimoniale et unanimiste”
qu’il s’agirait de faire partager à tous et prioritairement à ceux qui n’y accèdent pas facilement. Ainsi
les conceptions d’un Malraux, y compris à partir de 1959, et celles du PCF ne sont-elles pas si
éloignées, à tel point que l’on peut dire que les communistes et les gaullistes se retrouvent à ce
moment-là sur deux terrains : la politique étrangère de la France et la Culture.
Sur cette question du Parti communiste et de la culture on peut citer quelques textes : Pascal Ory
(L’action culturelle du Front populaire. Cahiers de l’animation n° 32), Marc Lazar (Le parti
communiste et la culture. Cahiers de l’animation n° 57/58), et Roland Leroy (La culture au présent,
Éditions Sociales, 1972).
- 173 en France et même en Algérie. Albert Camus crée la Maison de la Culture d’Alger. La Maison de la
Culture de la rue Navarin, puis de la rue d’Anjou, donnera naissance à un certain nombre
d’associations qui tenteront de “populariser” - aujourd’hui on dirait “démocratiser” - la culture1. Même
si l’émergence et le développement des Maisons de Jeunes puis des Maisons des Jeunes et de la
Culture sont plus liés à une problématique de la jeunesse que de la culture, il nous apparaît
important de faire état de l’existence de ces premières expériences des Maisons de la Culture, ne
serait-ce qu’à cause des confusions qui existent, dans les esprits et dans les pratiques même, entre
ces deux institutions2.
Au-delà de ces intentions et de ces expériences qui connaîtront dans le temps court de l’après 36
un développement modeste, ce qui nous parait beaucoup plus déterminant pour l’avenir, c’est la
nouvelle attitude de l’Etat, même si dans l’immédiat il y a peu de réalisations concrètes, du moins
pour ce qui concerne directement notre objet.
Déjà le 21 avril 1919 devant le congrès national extraordinaire du parti socialiste réuni à
Strasbourg, Léon Blum disait 3 :
“J’aurais été tenté d’insister également sur l’organisation du loisir. C’est un point qui a une
grande importance. Car je ne crois que ni la révolution, ni l’état intermédiaire qui la prépare et
en rapprochera le moment, doivent avoir uniquement pour objet de procurer au prolétariat un
bien-être matériel. Le prolétariat, qui est la force agissante du monde par son travail, a droit, si
je puis dire, à toutes les fleurs que ce travail fait naître, à toutes jouissances de la culture, à
toutes les jouissances de l’art. C’est un problème capital.”
Et Léo Lagrange précise le 10 juin 1936 à l’émission “la voix de Paris”4 :
“Nous allons attaquer de front tous ces problèmes. Nous ne voulons pas que notre action ait
pour seul objet de mettre dans les mains de nos jeunes un fusil.
C’est en messager de vie et non pas de mort que nous voulons nous présenter. D’ailleurs, je
Il nous appartiendra également de saisir l’influence des communistes dans l’éducation populaire et
notamment à la FFMJC.
1
Sur la question des premières expériences de Maisons de la Culture, nous n’avons pas fait de
recherche particulière. Nous nous appuyons sur les informations communiquées par Pascal Ory et
Raymond Labourie (Cahiers de l’animation n° 32).
2
Quelques éléments très éloignés les uns des autres dans le temps sont très significatifs de ce que
nous pourrions appeler un télescopage dans les esprits et sur le terrain entre Maisons des Jeunes et
de la Culture d’un côté, et Maisons de la Culture ou Centres culturels divers de l’autre : la circulaire
du 13/11/44, le courrier d’André Malraux de 1959 demandant à la FFMJC d’abandonner le mot
culture, l’émission de France Culture de 1990 que nous avons déjà citée. Il est vrai que dans de
nombreuses villes, les MJC sont amenées à remplir les fonctions de Maisons de la Culture ou de
Centres d’action culturelle inexistants.
3
Cité par José Baldizzone (De l’éducation populaire à l’animation globale, Éditions de la Ligue de
l’Enseignement, non daté).
4
Cité par Eugène Rand et Gilbert Prouteau (Le message de Léo Lagrange, Éditions la Compagnie du
Livre, Paris, 1950, p. 117).
- 174 suis sûr qu’en agissant ainsi nous servirons à la fois les intérêts permanents et solidaires de la
civilisation et de notre pays...
Nous demanderons aux athlètes déjà couronnés par la gloire sportive de ne point oublier que
leur mission n’aura un sens réel que le jour où ils seront devenus les animateurs d’une
jeunesse pour laquelle, selon la forte parole de l’écrivain André Malraux, aura cessé le temps
du mépris.
La semaine de quarante heures, les congés payés, l’accession de la classe ouvrière et des
masses populaires de notre pays à une vie que le travail n’absorbera pas intégralement, pose
devant nous le problème de l’organisation des loisirs.
Loisirs sportifs, loisirs touristiques, loisirs culturels où doivent s’associer et se compléter les
joies du stade, les joies de la promenade, du camping et du voyage et les joies des spectacles
et des fêtes.
Nous voulons que l’ouvrier, le paysan et le chômeur trouvent dans le loisir la joie de vivre et le
sens de leur dignité.
Pour mettre debout cette oeuvre immense, pour l’animer du souffle puissant de la vie
populaire, je compte sur la collaboration active de toutes les organisations qui existent et
notamment sur celle des organisations de la classe ouvrière.
Je compte surtout sur le concours de la jeunesse elle-même pour créer avec elle les
instruments de sa force, de sa santé, de sa joie.”
Il ébauche un projet de club de loisirs :
“Il faut une salle ; point n’est besoin qu’elle soit grande, mais elle doit être ouverte à des
heures régulières, aménagée et gérée par les usagers eux-mêmes. Des tables pour jouer et
pour lire ; une radio, un phonographe, une table de ping-pong ; un billard au besoin.
Au club on viendra d’abord pour lire, pour se distraire, pour jouer, pour réunir la chorale, pour
préparer une fête, pour organiser la sortie du dimanche, les vacances heureuses. On y viendra
ensuite pour échanger sans contrainte les fruits des expériences différentes. Le mineur,
l’artisan, le maçon, l’employé, l’instituteur, le paysan sentiront ainsi, peu à peu, plus profonde
au-delà de la diversité des techniques, l’unité du travail humain.
Le Club organisera des conférences ; des visites de musées, des visites d’usines. Il sera le
protecteur bienveillant, naturel des Auberges de la Jeunesse dont ses jeunes adhérents seront
les hôtes, et l’animateur nécessaire d’une vie sportive ouverte aux masses populaires de notre
pays.
Le Club des Loisirs sera bientôt, à mon sens, aussi nécessaire aux travailleurs que le Syndicat
lui-même dont il doit être le complément.
Mais il serait détourné de son rôle, il mériterait un rapide échec s’il devenait une sorte de
patronage pour adultes recherchant un équilibre savant entre la pédagogie et la bienfaisance
pour préparer une insipide corvée de joie et de culture.
Ce Club des Loisirs ne doit vivre qu’en étant une manifestation nouvelle de la maturité sociale
- 175 des masses populaires. C’est aux travailleurs eux-mêmes qu’il appartient de le créer, de le
diriger, de le faire vivre sans contrainte sinon sans appui.
Et l’Etat remplira son rôle en suscitant les initiatives, en aidant les bonnes volontés, en
coordonnant les efforts.
La joie ne s’impose pas, elle s’acquiert et elle se mérite.
Le Club des Loisirs sera pour l’ouvrier, le paysan, le chômeur un moyen nouveau d’acquérir la
joie et de conquérir la dignité.
Il n’y a rien de plus spontané que la joie. Elle n’existe pas lorsqu’elle est créée, imposée
artificiellement, lorsqu’au lieu de s’épanouir librement, la personnalité des jeunes doit prendre
un moule déterminé par le Gouvernement. Et l’unification n’est-elle pas contraire à la liberté, à
la dignité humaine ? C’est pourquoi je suis opposé à une politique de loisirs dirigés. Il faut
mettre à la disposition des masses toutes les espèces de loisirs. Que chacun choisisse pour
soi. Aux jeunes il ne faut pas tracer un seul chemin, il faut ouvrir toutes les routes.
Mon objectif politique … c’est de rapprocher les différents éléments de la jeunesse, le jeune
ouvrier des jeunes intellectuels, le jeune paysan du jeune ouvrier. A l’heure actuelle, entre eux
existe un mur invisible : ils ne se connaissent pas ; ils ne se comprennent pas.
Les rapprocher dans les Auberges de Jeunesse, les faire se rencontrer sur les mêmes stades,
les associer aux mêmes jeux, aux mêmes représentations populaires, c’est les amener peu à
peu à se comprendre, à se connaître, à constater leurs différences, mais aussi découvrir leurs
similitudes et leurs affinités. Le jour où les différentes parties de la jeunesse auront pris
contact, chacune d’entre elles pourra prendre une route différente ; pourtant entre elles il n’en
restera pas moins des liens assez forts pour que ces différentes parties conservent les unes
vis à vis des autres l’attitude de sympathie et respect nécessaire au fair play, au jeu libre et
équitable de la démocratie.”
Ces déclarations appellent quelques remarques.
L’intervention de Léon Blum en 1919 et les projets de Léo Lagrange en 1936 ne sont évidemment
pas à mettre sur le même plan. Dans le premier cas, c’est le militant socialiste révolutionnaire qui
parle, dans le deuxième cas, c’est le Sous-secrétaire d’Etat à la Jeunesse aux Sports et aux Loisirs
qui s’exprime au nom d’un gouvernement de Front populaire dirigé par l’ancien militant socialiste
révolutionnaire. Il y a cependant des lignes d’action communes. Il s’agit, d’une part pour le parti de la
classe ouvrière, d’autre part pour l’Etat et son gouvernement de Front populaire, de prendre en
charge l’organisation d’un secteur nouveau : les loisirs sportifs, touristiques, artistiques et culturels et
non plus seulement le bien-être matériel du peuple et plus particulièrement du prolétariat.
Le fait déterminant, décisif pour une longue durée, et que l’on peut dater de 1936, est
l’intervention de l’Etat dans un domaine qui jusque là ne semblait relever que de l’initiative privée,
voire même des choix intimes des individus ; c’est la dimension politique donnée aux loisirs comme
moyens de transformation de la société ; c’est l’intervention prioritaire en direction des jeunes qui
portent les espoirs de la nouvelle société de demain. Ainsi commence à se construire une logique de
- 176 concepts et de structures hybrides qui associent pour une longue durée une génération prioritaire (la
jeunesse) avec des pratiques et des contenus : jeunesse/sports et loisirs en 1936, jeunesse et
culture, jeunesse, culture et éducation populaire, jeunesse et sports à partir de 1944. A partir de
1936 le secteur de la jeunesse, de la culture, des loisirs et du sport, le destin des structures,
mouvements ou institutions qui l’animent, seront indissociablement liés à l’attitude de l’Etat.
En effet, déjà en 1936, l’Etat, pour mener à bien sa politique de la jeunesse et des loisirs,
s’appuie sur la collaboration active des organisations existantes, celles de classe ouvrière et celles
de la jeunesse, autrement dit les organisations qui portent prioritairement les aspirations des jeunes
et des ouvriers. L’Etat se fait à la fois coordonnateur et soutien des forces organisées existantes,
incitateur, voire instigateur plus qu’organisateur autoritaire1, ce qu’il deviendra plus tard, dans un
autre contexte avec un autre gouvernement, à partir de 1940.
S’agissant plus particulièrement de ce qui deviendra les Maisons de Jeunes puis les Maisons des
Jeunes et de la Culture, on ne peut nier que le Club des Loisirs imaginé par Léo Lagrange en soit
une préfiguration qu’il s’agirait de réaliser à grande échelle.
D’abord dans son projet : la rencontre, dans le respect des différences, de toutes les
composantes actives qui font le peuple laborieux : “Mon objectif politique ... c’est de rapprocher les
différents éléments de la jeunesse, le jeune ouvrier des jeunes intellectuels, le jeune paysan du
jeune ouvrier”.
Ensuite dans son infrastructure et ses activités. Le Club des Loisirs est un lieu, une salle, pas
forcément très grande mais ouverte à des heures régulières, où l’on vient “pour lire, pour se distraire,
pour jouer, pour réunir la chorale, pour préparer une fête, pour organiser la sortie du dimanche, les
vacances heureuses ... pour échanger sans contrainte les fruits des expériences différentes”. Le
Club des Loisirs doit organiser des conférences, des visites de musées, des visites d’usines. Il est le
complément des Auberges de jeunesse dont il est le protecteur bienveillant, du syndicat ; il est
“l’animateur d’une vie sportive ouverte aux masses populaires”.
Enfin dans sa gestion et son fonctionnement, le centre de loisirs doit être aménagé et géré par les
usagers eux-mêmes. “C’est aux travailleurs eux-mêmes qu’il appartient de le créer, de le diriger, de
le faire vivre sans contrainte sinon sans appui”. Le seul rôle de l’Etat est de “susciter les initiatives,
en aidant les bonnes volontés, en coordonnant les efforts”.
La joie dans sa spontanéité, l’épanouissement libre de la personnalité des jeunes, la dignité
humaine, le choix, après confrontation de routes différentes, le “jeu libre et équitable de la
démocratie” interdisent “une politique de loisirs dirigés” et l’application “d’un moule déterminé par le
1
Pascal Ory (L’action culturelle du Front populaire) rappelle à ce sujet que “le grand argument de
l’opposition de droite était de dire, on s’en doute, que le gouvernement voulait embrigader la
jeunesse, mettre au pas ce qui est par excellence le domaine de la gratuité, du désintéressement”,
critique qui ne manque ni d’intérêt ni de sel très amer en comparaison avec ce qui se passera quatre
années plus tard.
- 177 Gouvernement”1. La plupart des principes, des valeurs et des pratiques pédagogiques qui fonderont
les Maisons des Jeunes en 1944, puis en 1948 à la création de la FFMJC, sont déjà présents dans
le projet des clubs de loisirs de Léo Lagrange en 1936.
L’“unification de la jeunesse”, “contraire à la liberté et à la dignité humaine”, n’est pas l’objectif de
la politique de la jeunesse du Front populaire, malgré ce que certains détracteurs affirment à ce
moment-là.
Par contre “l’enrégimentation de la jeunesse”2, la tentation et même la tentative de créer une
jeunesse unifiée, voire même unique, caractériseront la politique du gouvernement de Vichy qui se
met en place à partir de l’été 1940.
1
Ce qui est totalement nouveau, c’est que ce projet libéral d’organisation des loisirs et de politique de
la jeunesse est défini dans ses grandes lignes par l’État lui-même.
2
Comme le dit Wilfred D. Halls dans Les jeunes et la politique de Vichy (Éditions Syros, Alternatives,
octobre 1988).
- 179 -
CHAPITRE - II LES MAISONS DES JEUNES SOUS VICHY
“...il est impossible dans l’affaire qui
nous occupe de remonter à l’envers
le film de l’évolution et à plus forte
raison de procéder à une coupure
correspondant à celle des années
q u i n o u s p l a i s e n t l e m o i n s ” . Fenêtre
ouverte n ° 2 0 , j u i l l e t 1 9 4 4 .
Bien des travaux, y compris les plus sérieux, portant sur les questions de jeunesse et d’éducation
populaire pendant la période de Vichy ne concernent que d’une manière très marginale la création et
le développement des Maisons de Jeunes pendant cette période.
Le numéro 49-50 des Cahiers de l’Animation, publié en avril 1985, (Education populaire Jeunesse dans la France de Vichy - 1940-44)1, ne consacre aucun article ni débat à l’émergence des
Maisons de Jeunes, même si par ailleurs les indications chronologiques de Raymond Labourie font
clairement état de la création de ce dispositif essentiel dans la politique de la jeunesse de Vichy. Par
ailleurs, l’important travail de Wilfred D. Halls (Les jeunes et la politique de Vichy) ne consacre que
quelques lignes aux Maisons de Jeunes2 sur les 500 pages que contient l’ouvrage. Seul Bernard
Comte (Une utopie combattante - L’école des cadres d’Uriage 1940-42)3 revient à 17 reprises sur les
Maisons des Jeunes. Mais sa bibliographie, pourtant particulièrement consistante, ne signale aucune
étude spécifique sur les maisons de jeunes sous Vichy.
Les Maisons de Jeunes, leur création, leurs structures et leur évolution mériteraient donc une
recherche spécifique approfondie et autant d’intérêt que l’école des cadres d’Uriage, dans la mesure
où elles constituent un de dispositifs4 importants, non seulement de la politique de la jeunesse de
Vichy, mais aussi du projet de Révolution nationale du Maréchal Pétain.
1 - Une politique d’encadrement de la jeunesse
Là aussi, pour comprendre la dynamique ultérieure des Maisons des Jeunes et de la Culture, il
faut distinguer ce qui relève des initiatives individuelles et collectives, en quelque sorte privées et de
terrain, et ce qui est à mettre au compte des décisions de l’Etat et de son gouvernement.
1
Il s’agit de la publication des communications des Journées d’Étude et de Recherche des 5, 6 et 7
décembre 1983, consacrées à cette question.
2
Op. cit., p. 162.
3
Fayard, octobre 1991.
4
Avec les écoles de cadres et les chantiers de la jeunesse.
- 180 Au titre des initiatives de terrain, relevons l’exemple de l’Office municipal de la Jeunesse de
Caen. En mai-juin 1940, des jeunes de toutes sensibilités et de tous les groupements se dépensent
pendant des jours et des nuits pour secourir les français chassés de leurs foyers par l’avance
allemande et accueillir à leur passage à Caen des familles évacuées des départements du Nord et
de la région parisienne. Quand se termine cette tâche sociale d’urgence, ils décident de “maintenir
l’union réalisée et quelques uns d’entre eux en délégation demandèrent à Monsieur le Maire de
Caen la création d’un organisme géré par la municipalité et susceptible de réunir tous les services
utiles à l’action et à l’éducation des jeunes de la ville. Le conseil municipal approuva la création de
cet organisme et vota une subvention de 120.000 F pour le fonctionnement des services en 1940 ;
l’Office municipal de la Jeunesse était né”1. Selon E. Colin, son directeur, cet office n’eut, pendant
l’occupation, et pour des raisons que l’on peut comprendre, qu’un rôle purement social. En créant un
restaurant et un centre d’accueil, il reste cependant au service des jeunes. Mais en même temps “il
servit de camouflage aux mouvements de jeunesse dissous par l’occupant et apporta l’aide
nécessaire à ceux qui voulaient se soustraire à la déportation et au travail obligatoire”2.
Le véritable essor de cette structure date en fait de la Libération. Car comme le dit E. Colin, “une
Maison de Jeunes est l’expression de la liberté. Elle ne peut vivre que dans la liberté”3.
L’équipement, incendié dans la nuit du 13 au 14 juin 1944, éventré par les bombes et les obus, est
remis en état par les jeunes qui reconstruisent murs et escaliers, remettent portes et fenêtres
récupérés en ville. Dès les premiers jours de décembre de la même année, le restaurant de l’O.M.J.
pouvait servir 400 repas aux sinistrés de la ville.
Après la guerre, cette structure eut un fonctionnement de Maison des Jeunes et de la Culture et
se rapprochera de la Fédération. “La gestion de l’O.M.J. est assurée par la ville de Caen avec l’aide
de la Fédération des Maisons des Jeunes”4. Les représentants locaux des mouvements de jeunesse
y sont très impliqués. Les activités sont très variées comme l’atteste le programme de janvier 19475 :
culturelles, sportives, loisirs et vacances, sociales, associatives, récréatives. Les conférences sur
l’armistice de 1940 ou sur la politique économique mondiale cohabitent avec les arbres de Noël, les
cours d’Anglais, les concerts et représentations théâtrales, les réunions du photo-club et du groupe
plein-air, les regroupements locaux des mouvements les plus divers et la visite aux enfants de
l’hôpital de Caen. Les jeunes occupent une place centrale. Ce sont eux que l’on accueille en priorité.
1
Note d’Édouard Colin, instituteur, directeur de l’Office municipal de la Jeunesse de Caen (Ronéo, 10
pages, non daté - 1948 probablement).
2
Ibid. p. 1.
3
Ibid. p. 1.
4
Ibid. p. 8.
5
Ibid. p. 4-5-6.
- 181 Le foyer en reçoit 200 à 300 par jour, ouvriers, employés et étudiants, filles et garçons. 200 d’entre
eux fréquentent la bibliothèque. Certains ont récupéré sur le champ de bataille la carcasse d’un
avion anglais et l’ont aménagée en local.
On peut donc affirmer, en l’occurrence, que c’est dans la pratique et le vécu d’une expérience
balbutiante et tumultueuse que se sont forgés les principes et les valeurs d’une pédagogie du
passage à l’état d’adulte. “La grande raison d’être de la Maison des Jeunes est de permettre aux
jeunes, à tous les jeunes, l’essai de leurs audaces et de leurs forces naissantes, dans la
connaissance totale de leur âge et de leur état, dans l’entière liberté d’expression. Il faut avoir assisté
à toutes les étapes de cette transformation de l’adolescent timide en jeune homme responsable et
décidé, avoir été spectateur de ses hésitations et de ses tâtonnements et soudain de sa propre
découverte pour affirmer la nécessité vitale de créer partout le climat de travail et cette ambiance de
liberté qui sont ceux d’une Maison des Jeunes et de la Culture”1.
De son côté la Maison pour tous de la rue Mouffetard continua à vivre malgré les difficultés et les
interdictions. Les activités des Eclaireurs de France interdits par l’occupant ont pu continuer “à l’abri
de la fonction d’aide et d’action sociale de la Maison, le théâtre, la bibliothèque, les cours du soir
protégeant la troupe d’éclaireurs qui continuait ses réunions, ses sorties et ses camps”.2 Ainsi les
actions en direction des enfants et des jeunes purent-elles peu ou prou continuer malgré des
passages de ligne de démarcation un peu périlleux, des convocations par la Gestapo pour activités
interdites et la disparition en déportation de Mademoiselle Cahen, chargée de l’alimentation des
enfants. “On fit du théâtre de marionnettes dans différentes salles et dans les hôpitaux, si bien qu’à
la Libération, deux tournées très réussies, en Alsace en 1945, en Auvergne en 1946”3 furent
organisées. Après le bombardement de 1944, toute l’activité de la maison fut momentanément
tournée vers le service (déblaiement des maisons et accueil des prisonniers libérés à la gare
d’Orsay) avant que la Mouffe ne reparte en 1945 en retrouvant ses anciennes activités et en
développant des actions nouvelles, notamment dans le domaine culturel :
“L’action clandestine m’ayant propulsé à la Mairie du Ve à la libération de Paris, je devins
aussi maire de la Mouffe. J’ai vu très vite que la rue Mouffetard avait un centre, la Maison pour
tous, que ce centre était un lieu de rencontre exceptionnel où l’on pouvait croiser des femmes
et des hommes de toutes conditions, de toutes obédiences et de qualité rare : des
pédagogues tels que Georges Bertier, André Basdevant, Ronald Seydoux, Pierre Kergomard,
des comédiens tels que Raymond Rouleau, des poètes comme Pierre Emmanuel ...”4.
1
Note d’Édouard Colin, p. 10.
2
Francis Lafon (témoignage) dans Marthe Levasseur…, p. 18.
3
Jean-René Kergomard (témoignage) dans Marthe Levasseur…, p. 18.
4
Raymond Pédrot, Maire du Ve arrondissement de Paris de 1946 à 1977 (témoignage) dans Marthe
Levasseur…, p. 20).
- 182 Pour ce qui est de la zone occupée, nous nous arrêterons à cette description de cas. Si l’on en
croit certains témoignages que nous n’avons pas pu vérifier, quelque 350 Maisons des Jeunes
auraient fonctionné pendant l’occupation, dont 200 en zone nord, ce qui parait peu probable,
notamment pour la zone nord. On comprend en effet assez mal comment un tel développement
aurait pu avoir lieu en si peu de temps dans un espace où l’occupant n’était pas enclin - c’est le
moins que l’on puisse dire - à accepter l’implantation de structures pouvant favoriser l’organisation
autonome des jeunes. Du reste, l’arrêté de dissolution des associations de jeunesse du 9 janvier
1945, signé de René Capitant, ne concerne que quelque 12 structures implantées en zone nord,
dont, pour certaines d’entre elles, la dénomination ne fait aucune référence directe aux Maisons de
Jeunes.
Mais le plus important n’est pas là. De son côté, dans le droit fil de son projet de reconstruction,
de rénovation et de Révolution nationale, le gouvernement de Vichy met en place une politique de la
jeunesse qui passe par trois dispositifs essentiels : les écoles de cadres ou de chefs, les chantiers
de jeunesse et la Maisons des Jeunes.
Ces trois dispositifs seront conçus, décidés et mis en route dans les premiers mois du
gouvernement de Vichy : les chantiers de jeunesse projetés le 4 juillet 1940 seront créés le 30 en
zone sud ; Dunoyer de Segonzac quitte Vichy le 17 août de la même année et installe son école de
cadres à la Faulconnière près de Gannat (Allier) ; dès le début septembre on met en place un
secrétariat général de la jeunesse, en même temps qu’on définit le projet de création de Maisons des
Jeunes.
Comment le gouvernement de Vichy conçoit-il le rôle, l’organisation et l’action des Maisons des
Jeunes ? Parmi de nombreux textes publiés notamment dans Fenêtre ouverte1, il nous paraît
important de nous pencher sur l’un d’entre eux2 qui, semble-t-il, a l’avantage de faire synthèse et de
pouvoir ensuite être mis en parallèle avec celui de Jean Rous3 qui, lui, définit la conception que l’on
se fera de la Maison de Jeunes à la Libération.
La création des Maisons des Jeunes s’inscrit en effet très précisément dans “le besoin d’une
rénovation totale, d’une révolution” qui, selon les responsables de Vichy, se justifie par “l’insuffisance
des institutions et la décadence des moeurs”4. Le législateur a un rôle important à jouer mais “ce ne
1
Fenêtre ouverte : bulletin des chefs de Maisons des Jeunes publié par le secrétariat général à la
jeunesse, publication sur laquelle nous aurons l’occasion de revenir.
2
Texte cité par J.-C. Leroyer qui le tient d’Albert Léger, et dont il pense qu’il a été en grande partie
rédigé par André Lefèvre, alors délégué général aux Maisons des Jeunes. En effet, certains textes
contenus dans Fenêtre ouverte (n° 7 de juin 1942, par exemple) reprennent les grandes dispositions
définies dans ce texte intégralement cité par J.-C. Leroyer sous le titre “Texte de Vichy” (Histoire et
sociologie de la FFMJC dans sa phase de gestation, Romans, avril 1991).
3
“La Maison de Jeunes” (Esprit, octobre 1945).
4
“Texte de Vichy” (op. cit.).
- 183 sont pas des textes de lois qui changeront les hommes s’ils n’ont pas eux-mêmes la volonté arrêtée
de changer de mentalité et de devenir meilleurs”. Il faut donc s’atteler à un “travail d’éducation qui
n’est vraiment efficace que lorsqu’il s’applique à la jeunesse”, car “même si les résultats se font
attendre un peu plus longtemps... le travail se fera avec de bien plus grandes garanties de solidité et
de profondeur”1.
Pour réaliser ce grand projet, le “gouvernement du Maréchal” a pris des décisions. Après avoir
“prodigué un encouragement moral et matériel considérable” aux mouvements de jeunesse
existants2, le gouvernement a créé un secrétariat général à la jeunesse avec tout un réseau de
délégués, dispositif qui doit “coordonner tout ce qui concerne les jeunes”. En créant les écoles de
cadres, “il a entendu organiser le moyen d’intégrer dans l’esprit de la Révolution nationale un nombre
sans cesse croissant de jeunes et surtout atteindre certaines catégories qui offrent un intérêt spécial
telles que les jeunes chômeurs”. Cette oeuvre est couronnée par l’obligation imposée à tous les
jeunes de vingt ans de mener pendant huit mois la vie rude et vivifiante des chantiers. Enfin,
l’efficacité maximum de cette action auprès de la jeunesse passe par la mise en place et le
développement des Maisons des Jeunes auxquelles il faut confier “une mission bien distincte” et
“une place de choix” entre la fin de la scolarisation, le chantier de jeunesse et au-delà.
Les objectifs sont donc assez clairs. Il faut agir sur les mentalités pour les transformer, condition
indispensable de la rénovation des institutions et des rapports politiques et sociaux. Il s’agit de
gagner les jeunes à l’esprit de la Révolution Nationale dans l’espoir d’y associer, à terme, l’ensemble
de la population. Même s’il ne s’agit pas, du moins dans les déclarations et les intentions, de
remettre en cause l’originalité et les prérogatives des mouvements de jeunesse existants ou à venir,
il n’empêche que l’ensemble du projet dans sa définition et sa mise en oeuvre dépend de la volonté
bien arrêtée de l’Etat et des services mis en place, qui, à tout le moins, veulent “coordonner tout ce
qui concerne les jeunes” et “organiser les moyens d’intégrer dans l’esprit de la Révolution Nationale
un nombre sans cesse croissant de jeunes”.
Même si le terme employé est le même, on est loin de la simple organisation des loisirs du Front
populaire. On a affaire à une véritable politique de la jeunesse dans la mesure où l’éducation des
jeunes se donne un objectif clairement politique, qui concerne la promotion de nouveaux rapports
entre l’individu et la société. La transformation des mentalités devient donc clairement une question
politique ; elle est l’affaire de l’Etat, même s’il entend s’appuyer sur des mouvements de jeunesse
d’initiative privée. A partir de ce moment-là, et pour une longue durée, on peut clairement dire que la
question de la transformation des mentalités, de leur contrôle et de leur gestion, concernera peu ou
prou l’Etat ainsi que les structures qui se donnent une mission d’intérêt général et, au premier chef,
1
2
Ibid. p. 74.
Cf. notamment la déclaration du Maréchal Pétain du 13 août 1940.
- 184 les futures Maisons des Jeunes et de la Culture, même si elles ont toujours refusé toute volonté de
prosélytisme. Les textes les plus significatifs des périodes ultérieures sont - certes avec des objectifs
tout à fait opposés à celui de la Révolution nationale - celui de Jean Rous1 et celui de Jean Lorrain2
qui, eux aussi, articulent clairement acte éducatif, transformation des mentalités et réalisation d’un
projet de société.
Revenons aux Maisons des Jeunes de Vichy. La manière avec laquelle doit s’effectuer cette
éducation de la jeunesse passe par le choix d’un certain pluralisme, “c’est à dire la coexistence de
plusieurs mouvements de jeunesse permettant d’intégrer au travail d’éducation des jeunes les
ressources si riches et si variées qu’offrent dans leur diversité les différentes familles spirituelles de
la France”3.
Ainsi a-t-on préféré le pluralisme au mouvement unique. La jeunesse doit être dans un même
esprit de rénovation nationale, de réforme des moeurs et des mentalités sans que, pour autant, il
apparaisse opportun pour le Maréchal Pétain, du moins jusqu’en 1943, de mettre en place un
mouvement unique, obligatoire et contraignant, de la jeunesse4.
Cependant ce pluralisme des mouvements de jeunesse doit être limité : “Autant un pareil
pluralisme est de nature à enrichir la spiritualité de la jeunesse française, autant un foisonnement
anarchique de groupements éphémères ou sans assises réelles et profondes serait contraire aux
véritables intérêts de la jeunesse et à l’avenir de la Révolution Nationale”5.
C’est dans un tel contexte que le projet de Maisons des Jeunes peut se comprendre. La Maison
des Jeunes, “trait d’union entre les mouvements”, devrait favoriser une jeunesse unie, tout en
respectant d’une part un pluralisme limité dans le cadre des principes de la Révolution Nationale, et
d’autre part en écartant les tentatives de mouvement unique. La Maison de Jeunes est, sous le
contrôle du gouvernement de Vichy, un dispositif garantissant à la fois l’union, voire l’unité de la
jeunesse dans le respect d’une certaine diversité, dont il est bien difficile, malgré les pleins pouvoirs
donnés au Maréchal, de ne pas accepter l’héritage. Car à vrai dire, le gouvernement de Vichy est
bien contraint d’accepter, du moins dans un premier temps, cette diversité héritée du passé des
mouvements de jeunesse : “Malgré leurs imperfections, ces mouvements ont réalisé un effort tel que
les artisans de la Révolution Nationale n’ont pas pu ne pas tenir compte de leur existence et ne pas
1
La Maison de jeunes.
2
L’Éducation populaire ou la vraie révolution. L’expérience des MJC, qu’il faut prendre plus comme un
document que comme un travail de recherche.
3
“Texte de Vichy”, p. 75.
4
5
Sur la tentation et les tentatives de mise en place d’un mouvement unique style “jeunesses
hitlériennes” sous Vichy, voir W. D. Halls (op. cit.).
“Texte de Vichy”, p. 75.
- 185 compter sur eux pour collaborer étroitement à l’oeuvre du relèvement par la jeunesse”1.
Les mouvements de jeunesse existants - dont les conditions d’expression ne vont pas
s’améliorer, c’est le moins que l’on puisse dire, avec le temps - se voient donc imposer des devoirs
impérieux et immédiats dans le cadre du projet de Révolution Nationale, devoirs dont il est bien
difficile de ne pas penser qu’il s’agit du tribut à payer pour leur existence, même si les chefs de ces
mouvements réunis à Uriage à deux reprises, début mars et début juin 1941, ont reconnu ces
devoirs et déclaré solennellement leur engagement auprès de Pétain.
En fait, la Maison de Jeunes, trait d’union tolérant et souvent protecteur des différents
mouvements de jeunesse dans leurs activités locales, suscite “hésitations, incompréhension ou
même opposition” comme le reconnait Vichy : “De nombreux chefs de le jeunesse, ont eu, en
entendant parler des Maisons des Jeunes, le sentiment d’un double emploi, d’une concurrence, et
bien souvent les dirigeants locaux des mouvements ont accueilli assez froidement, ou même avec
une hostilité ouverte, l’annonce d’un projet de Maisons des Jeunes”2.
Cette méfiance - ou cette hostilité - des mouvements de jeunesse et d’éducation populaire vis à
vis des Maisons de Jeunes, et plus tard des MJC, n’est pas seulement liée au contexte politique du
moment. L’histoire de ces structures est, comme nous le verrons, faite de relations complexes et
contradictoires avec les différents mouvements, ce qui peut expliquer aussi pour une part l’histoire
mouvementée des MJC, institution souvent soupçonnée d’impérialisme ou de volonté d’hégémonie
par des mouvements plus spécialisés.
Qu’est ce qui conduit le secrétariat général à le jeunesse de Vichy à imaginer et à promouvoir
des Maisons des Jeunes et à ne pas s’appuyer tout simplement sur les mouvements de jeunesse ?
La première raison invoquée est que la richesse des mouvements, la diversité des familles
spirituelles dont ils émanent n’ont pas que des avantages. Le sectarisme, l’intolérance et l’esprit de
chapelle qui marquent aussi les mouvements de jeunesse seraient une des causes de la défaite et
des abîmes qui séparent de nombreux citoyens, ce qui est bien évidemment peu favorable à l’unité
et à la Révolution Nationale. La deuxième raison, qui va de pair avec la première, est que ces seuls
mouvements qui touchent pourtant, selon Vichy même, un nombre important de jeunes, “ne
sauraient de par leur nature même espérer rallier l’ensemble de la jeunesse française”3 4. Et comme
les mouvements sans base confessionnelle, théoriquement ouverts à tous, laï ques en quelque sorte
1
“Texte de Vichy”, p. 75.
2
Ibid. p. 76.
3
“Texte de Vichy”, p. 77.
4
Selon des statistiques faites par le secrétariat général à la jeunesse peu de temps après l’armistice, il
résultait qu’à ce moment-là, un septième à peine de la jeunesse française avait été atteint par les
mouvements. C’est en utilisant un argument comparable que François Missoffe, Secrétaire d’État à
la jeunesse de 1966 à 1968, remit en cause la crédibilité et la légitimité des MJC, et décida de créer
un dispositif nouveau (les Mille Clubs).
- 186 et à cause de cela souvent taxés d’anticléricalisme1, ne sauraient davantage rallier l’ensemble de la
jeunesse, il faut “créer, du neuf, le créer immédiatement sur une base tellement large qu’aucune
étiquette ne puisse en limiter le champ d’action”2.
Ce dispositif nouveau, c’est la Maison des Jeunes “ouverte à tous les Français sans distinction
aucune”, la situation du moment ayant conduit les responsables de Vichy à “réserver provisoirement
la question des jeunes étrangers”3.
Comment la Maison des Jeunes est-elle administrée ? la Maison est gérée par une association et
un conseil d’administration qui doit être “un miroir aussi fidèle que possible de la population du lieu.
On doit y trouver des représentants des différents milieux professionnels aussi bien que des libres
penseurs, des patrons et des salariés, des intellectuels et des artisans et, si la population de l’endroit
en comporte, des agriculteurs”4.
L’association - à part les membres honoraires, spécialement désignés comme tels par le conseil
d’administration en raison de leurs mérites particuliers - comprend des membres actifs âgés de 14 à
21 ans à l’intention desquels fonctionne la maison, et les membres adhérents qui sont d’anciens
membres actifs devenus majeurs, ou des sympathisants.
L’association est administrée par un conseil de 5 à 12 membres, “en principe élus par
l’assemblée générale mais pour garantir dès le début une sage administration, éliminer autant que
possible les intrigues personnelles ou politiques ainsi que les élections par surprise et surtout pour
pouvoir assurer ce dosage [...] qui permet précisément à la Maison des Jeunes d’apparaître vraiment
comme un organisme placé au-dessus de toutes les factions et de toutes les tendances, les statuts
ont prévu certaines mesures de précaution : tout d’abord le premier conseil est, avant le vote des
statuts, nommé pour un an”51. Les statuts-types ne disent pas par qui mais il est clair qu’il s’agit là du
fruit de ce dosage savant que devra réaliser, dès ses premières démarches, le directeur désigné par
le Secrétariat. “Après la première année, le conseil est élu pour trois ans et renouvelable par tiers
tous les ans. Le conseil comprend obligatoirement un tiers de membres actifs, c’est à dire de jeunes.
Ce conseil, pour être vraiment un organe actif, doit se réunir au moins une fois tous les mois et en
plus chaque fois que le jugera utile son président, le quart de ses membres ou le délégué régional”6.
1
Faut-il voir là une préfiguration de la distinction, voire de l’opposition, entre les mouvements de
jeunesse et d’éducation populaire laï ques, souvent marqués par l’anticléricalisme (la Ligue de
l’Enseignement, par exemple), et les institutions comme les MJC qui se réclament d’une “laï cité
ouverte” ?
2
“Texte de Vichy”, p. 76.
3
Ibid. p. 76.
4
Ibid. p. 77.
5
“Texte de Vichy”, cité par Jean-Claude Leroyer, p. 83.
6
Ibid. p. 83.
- 187 Cette forme d’administration appelle quelques remarques.
a) Même s’il est prévu qu’à terme le conseil d’administration “soit en principe élu par
l’assemblée générale”, les responsables de Vichy ont surtout le souci qu’il soit représentatif bien plus
de la population du lieu, autrement dit de la communauté locale, que des usagers eux-mêmes. Cette
volonté de faire de la maison l’expression de la volonté de tous et non de quelques-uns1, fussent-ils
membres adhérents et actifs, est, nous semble-t-il, significative de cette méfiance vis à vis de la
gestion démocratique des usagers et du souci qu’a l’Etat de contrôler la Maison par la mission qu’il
donne au directeur d’effectuer le bon dosage dans la composition de l’instance dirigeante.
b) L’Etat joue en fait un rôle de contrôle considérable que du reste il ne cache pas :
“La plupart des personnes, en entendant parler pour la première fois de la` Maison des
Jeunes, ont le sentiment qu’il s’agit là d’un organisme d’Etat, de quelque chose qui dans
l’esprit de la Révolution Nationale, devrait faire suite à l’école primaire publique et servir de
complément d’éducation générale pour ceux qui continuent leurs études au-delà de l’âge de
14 ans. Cette conception n’est vraie qu’en partie.... En réalité, la Maison des Jeunes tient à la
fois de l’organisme d’Etat et de l’institution privée. L’Etat intervient surtout initialement. C’est de
lui tout d’abord, c’est à dire du Secrétariat Général à la Jeunesse qu’émane la conception.
C’est par l’Etat aussi qu’est nommé le directeur qui doit avoir été formé dans une Ecole de
Cadres ; les délégués régionaux ou leurs représentants exercent sur les maisons un contrôle
effectif. Le conseil d’administration lui-même qui doit représenter par excellence l’élément
décentralisé est plus ou moins effectivement nommé par le délégué ou le directeur. Enfin,
l’Etat intervient par l’octroi d’une subvention”2.
Pour naître, la Maison de Jeunes “demande le concours des volontés locales, s’épanouissant
grâce à la tutelle du pouvoir. Seule en effet la puissance publique possède la plénitude totale ; seul
l’Etat peut présider à la naissance des Maisons de Jeunes ; seule son aide financière et sa tutelle
administrative sont assez pures et détachées des intérêts particuliers pour assurer aux institutions
communautaires naissantes les garanties d’indépendance nécessaires [...] Emanation d’une
communauté naturelle concrétisée en forme juridique, la Maison des Jeunes est aussi une
manifestation du pouvoir [...] le pouvoir apportera aussi l’appui de sa compétence en formant pour
elle un chef grâce à une école et grâce à des maîtres qu’aucune collectivité locale ne pourrait
obtenir. Avec la formation post-scolaire, elle lui donnera la direction politique nécessaire à l’unité de
la nation. Ainsi dans le cadre de la Maison des Jeunes se trouve mieux qu’en un autre lieu, réunis
harmonieusement le concours de la communauté locale la plus fragile avec l’autorité suprême”3.
1
Autre texte très significatif : “... la Maison des Jeunes est une institution. Elle n’est pas le fait de
volontés associées ; elles n’est pas le résultat de campagnes ou de mots d’ordre, elle n’est pas
oeuvre artificielle imposée ou provoquée, mais produite du milieu, du cadre naturel, du groupe
ethnique, des croyances, des destinées historiques et sociales, elle est attachée à une portion de
terre bien déterminée.” Fenêtre ouverte n° 8, décembre 1942, p. 2.
2
“Texte de Vichy”, p. 82.
3
Fenêtre ouverte n° 8, p. 2.
- 188 c) Ainsi se trouve justifié - par la conception que se fait le gouvernement de Vichy des
relations entre les individus, les communautés locales et l’autorité de l’Etat - le contrôle par ce
dernier de la Maison des Jeunes conçue comme une machine à intégrer, à caporaliser ou à
enrégimenter la jeunesse. Le directeur ou le chef est un maillon central de ce dispositif, intermédiaire
mandaté entre l’Etat qui le paie et le met à disposition et l’association, expression de la communauté
locale1.
Le directeur organise à proprement parler le travail d’éducation. “Aussi le recrutement et la
formation de ce personnage seront-ils l’objet de soins particulièrement vigilants”2. Il devra avoir une
maturité suffisante, tout en restant par son âge proche des jeunes (de 23 à 45 ans environ). Il devra
avoir un niveau de culture générale, pas nécessairement attestée par des diplômes. Il devra être
sportif et considérer son travail comme une véritable vocation. Salarié et si possible logé dans la
Maison des Jeunes - ce qui facilite le travail du directeur, sa vie de famille, et “est de nature à avoir
une influence favorable sur l’ambiance générale de la maison”3 - il “devra être tout à sa tâche sans
ménager ni sa peine si son temps”4. Les engagements antérieurs auprès des jeunes, la capacité à
s’intéresser à autre chose qu’à des questions strictement matérielles, permettront aux délégués
régionaux et à leurs adjoints de “dépister” des hommes possédant les qualités nécessaires à la
fonction de direction de Maison des Jeunes, et de les signaler au Secrétariat Général à la Jeunesse
qui décidera de leur admission à l’Ecole spéciale de Chamarges5.
Le directeur, qui est avant tout un éducateur et un organisateur, ne peut pas être, malgré sa
formation, compétent en toutes choses. Il devra donc s’entourer de spécialistes professionnels ou
amateurs intervenant bénévolement. Il devra confier des responsabilités aux jeunes en les
répartissant par activités ou par équipes, comme c’est le cas dans le scoutisme par exemple.
d) Autre élément essentiel dans la pédagogie et la gestion de la Maison de Jeunes qui, en
soi, peut apparaître anodin mais qui, nous semble-t-il, préfigure le futur conseil de maison ou le
1
La position actuelle des directeurs de MJC est bien évidemment, comme nous l’avons vu, toute
différente entre des instances décisionnelles émanant d’une base et un opérationnel qui s’adresse à
la même base (les usagers, la population).
2
“Texte de Vichy”, p. 83.
3
Ibid. p. 86.
4
Ibid. p. 84.
5
Pendant longtemps, et dans un contexte idéologique et institutionnel totalement différent, les
critères de recrutement des directeurs de MJC ne seront pas si différents. La FFMJC (ce n’est
évidemment plus l’État) tentera de dépister des hommes et des femmes engagés, prêts à donner de
leur temps au projet, avant d’assurer, plus ou moins bien selon les périodes, leur formation dans des
centres spécifiques et au contact de directeurs plus anciens. Un texte ronéoté de Jean Destrée,
directeur de MJC puis délégué régional, actuellement à la retraite, parle avec humour de ses
premiers jours de directeur stagiaire (tribulations d’un vocataire). Dans les années 60, un jury de
recrutement s’inquiète encore qu’une candidate n’ait pas les dispositions physiques pour animer les
activités sportives et de pleine nature, et conclut qu’elle serait plus à sa place comme hôtesse
d’accueil (dossier de recrutement de Michèle Destrée, actuellement directrice de MJC à Martigues).
- 189 conseil de jeunes : le conseil d’administration doit comprendre obligatoirement un tiers de membres
actifs, c’est à dire de jeunes. Et en effet dès les premières années de la période de Vichy, la
participation des jeunes sera, comme nous le verrons plus loin, la préoccupation des Maisons de
Jeunes et de leurs chefs.
Ainsi organisée, que fait la Maison de Jeunes ? Que propose-t-elle ?
La nature de ses actions est déterminée par son caractère “localiste” : c’est un local, un bâtiment
plus ou moins important (cela peut aller de la simple baraque à un équipement conçu et aménagé
spécifiquement pour sa mission), implanté dans un espace clairement localisé (ville, village, quartier)
dans lequel on propose aux jeunes1 des activités que l’on peut répartir en trois catégories :
- L’éducation physique et les sports selon quelques méthodes et orientations précises. On
met en avant la méthode Hébert qui, par l’entraînement progressif, “amène les garçons non pas à
battre les records des autres, ce qui provoque un esprit de compétition malsain et décourageant pour
ceux que la nature a moins bien doués, mais à battre leurs propres records, ce qui permet même
aux plus faibles de constater et de rechercher les progrès”2. On a également une nette préférence
pour les sports collectifs, où c’est moins l’individu qui compte que l’équipe, considérée comme point
de départ du sens communautaire. Enfin la marche, surtout en montagne, est considérée comme un
excellent sport qui “procure au garçon un changement d’air” et “développe en lui la connaissance et
l’amour de la nature”3.
- Le travail manuel qui “ouvrira au garçon des horizons” et lui permettra “de se découvrir
essentiellement du goût pour telle ou telle activité, ensuite à le débrouiller”. Ainsi on “enseignera les
éléments du travail du bois et du fer, de l’installation électrique, de la décoration sous ses formes si
diverses (dessin, peinture, modelage, sculpture sur bois, cuirs et métaux repoussés, pyrogravure,
papier à la cuve, etc...)”4. De son côté, la construction de modèles réduits d’avions, de navires, a une
valeur éducative toute particulière parce qu’elle exige soin et minutie, ce “qui donne au garçon
l’habitude du travail bien fait”5.
- L’éducation intellectuelle et artistique qui, dans le cadre de la Maison des Jeunes “doit
avant tout éveiller l’intérêt, suggérer des activités et, la curiosité une fois éveillée, orienter le garçon
1
Dans le texte de Vichy qui nous occupe on ne parle que de garçons, comme si c’était le seul public
des Maisons de Jeunes. Nous verrons que des Maisons de Jeunes féminines seront également
créées.
2
“Texte de Vichy”, p. 88. Signalons que dans les années 70, et aujourd’hui encore, de nombreuses
MJC marquent une nette méfiance à l’égard de la compétition sportive.
3
“Texte de Vichy”, p. 88.
4
Ibid. p. 89.
5
Ibid.
- 190 vers les sources qui lui permettront d’augmenter son savoir et d’approfondir sa pensée”1. Les
activités d’éveil artistique et intellectuel pourront être très diverses : la bibliothèque, des cercles
d’étude, la connaissance des “beautés de la foi”, de l’histoire, de la géographie, des questions
sociales et économiques, des traditions et du folklore local, la pratique des jeux dramatiques et de la
musique, notamment la flûte douce et la guitare “car ces instruments sont à la fois faciles à
apprendre, d’un prix abordable et d’une parfaite musicalité”2.
Mais la mission de la Maison des Jeunes va bien au-delà. Elle doit avoir “une action bien plus
profonde encore que celle résultant des différentes activités physiques, manuelles, intellectuelles ou
artistiques”3. Ce n’est donc pas une simple structure de loisirs s’occupant des jeunes pendant leur
temps libre. La Maison des Jeunes doit se préoccuper de leur activité professionnelle actuelle et
future, de la place qu’ils prendront dans la société en leur donnant le sens du devoir civique. L’action
sociale et éducative de la Maison des Jeunes est aussi de trois ordres :
- L’orientation professionnelle et le placement. La Maison des Jeunes accueille ces
derniers à partir de 14 ans, âge qui est précisément celui où commence à se poser la question de
l’orientation professionnelle, notamment pour ceux issus des familles nombreuses aux revenus
modestes. Le jeune a besoin de trouver à côté de ses parents souvent mal informés une autre
personne mieux documentée, susceptible de donner des conseils sur les métiers et les carrières.
Sans se substituer aux offices de placement et aux directeurs des établissements scolaires, le
directeur de la Maison des Jeunes pourra jouer un rôle de liaison entre les différents organismes, le
jeune, ses goûts et aptitudes, et la famille avec ses besoins et ses possibilités matérielles. Après
entretien avec chacun, “le directeur de la Maison des Jeunes sera alors à même de donner au
garçon un conseil vraiment utile. Enfin, grâce aux relations nombreuses qu’il se sera faites peu à
peu, il pourra bien souvent procéder au placement proprement dit”4.
- L’hygiène et la santé, mission déjà clairement affirmée en 1936 - le sous-secrétariat d’Etat
à la jeunesse, aux sports et aux loisirs était rattaché à la Santé publique - est ici, en partie du moins
et dans sa dimension éducative et de dépistage, confiée au directeur de la Maison des Jeunes qui
devra organiser des cours faits par un médecin, des cercles d’étude, mettre à disposition quelques
ouvrages bien choisis, “faire prendre à ses garçons des habitudes salutaires” qui pourront se
communiquer à la famille “auprès de laquelle les jeunes pourront jouer un rôle de missionnaire
1
Ibid. p. 90.
2
Ibid. p. 92.
3
Ibid.
4
“Texte de Vichy”, p. 93. Cette mission qu’aujourd’hui nous appelons d’insertion sociale et
professionnelle entre très souvent, notamment depuis 1982, dans les fonctions de la Maison des
Jeunes et de la Culture, de son personnel et des ses partenaires.
- 191 d’hygiène”1. La démarche du directeur pourra être en la matière particulièrement incisive. Il devra
exercer une “surveillance étroite” sur les jeunes qui à l’âge de la croissance “sont particulièrement
exposés à certaines maladies”. Il orientera, si nécessaire, vers le dispensaire, facilitera l’entrée dans
un sanatorium, collaborera étroitement avec l’assistante sociale.
- Le service civique. Il faut apprendre aux jeunes à rendre des service à la collectivité, à la
communauté locale et nationale, en aidant le Secours National, en offrant ses bras à l’agriculture à
un moment où celle-ci manque de main d’oeuvre, en se formant par exemple au secourisme, à
l’écriture Braille, en organisant des manifestations de solidarité. La Maison des Jeunes et son
directeur doivent promouvoir l’indispensable esprit de solidarité et de communauté, combattre
“l’individualisme égoï ste qui a fait tant de mal à la France”, faire s’épanouir la tendance à la
générosité des jeunes “pour le plus grand bien de l’individu et de la société”2.
2 - Action et implantation des Maisons des Jeunes
Pour créer, gérer et animer des Maisons de Jeunes, on a besoin de directeurs, appelés
habituellement chefs, qui sont, comme nous l’avons vu, les acteurs essentiels de leur
développement et des missions qu’elles doivent accomplir.
Du 9 au 17 décembre 1940 a lieu à Uriage - où l’équipe de Dunoyer de Segonzac vient de
s’installer après un court passage à la Faulconnière - un stage réservé aux responsables des
Maisons des Jeunes. Ce stage rassemble trente-trois personnes : deux avocats, un pasteur, des
officiers, un auteur dramatique, un jeune acteur, un écrivain-traducteur, des employés, deux
pharmaciens, des étudiants et deux épouses de stagiaires. S’agit-il déjà de futurs chefs rapidement
formés pour prendre en charge les premières Maisons des Jeunes, ou de responsables en quelque
sorte bénévoles de ces structures ? Nous n’avons pas poussé suffisamment loin notre investigation
pour le dire3. Ce qui est plus important, sans doute, c’est que ce stage, d’abord placé sous la
responsabilité d’un marin, le chef Bourgau, sera dirigé à partir du 11 décembre par Joffre
Dumazedier, ancien stagiaire de la Faulconnière “qui a une idée plus ouverte de la pédagogie et
sauvera le stage”4 et deviendra, selon Segonzac, “un rouage précieux du Bureau des études
1
2
3
4
“Texte de Vichy”, p. 93. Toutes ces interventions sont, depuis, plutôt dévolues aux travailleurs
sociaux et structures sociales, mais il n’est pas rare que des MJC, agréées ou non par la Caisse
d’Allocations Familiales, interviennent sur l’hygiène et la santé : toxicomanie, sida, malnutrition...
Ibid. p. 95.
Antoine Delestre (Uriage, une communauté et une école dans la tourmente. 1940-1945, Presses
universitaires de Nancy, 1989) parle simplement de “stage réservé aux responsables des Maisons de
Jeunes”, ce qui pour nous reste assez vague. Bernard Comte, malgré un développement plus
complet, ne répond pas mieux à notre question (op. cit., p. 86-87).
Antoine Delestre, op. cit. p. 35.
- 192 d’Uriage”1.
Mais dès 1941, on ouvre dans la zone Sud à proximité de Die, dans le château de Chamarges2
sommairement réaménagé, une école de cadres, chefs de Maison de Jeunes. La première session
se déroule à partir de mars 1941. Joffre Dumazedier3 en est en quelque sorte le responsable
pédagogique et le directeur des études. L’école est dirigée par Maurice Rouchy, responsable des
CEMEA, avec “en arrière-plan, comme délégué général des Maisons des Jeunes, André Lefèvre,
Vieux Castor”4. Cette première promotion, la promotion Péguy, a formé trente chefs qui sont sortis de
l’école le 11 mai 1941, et ont été envoyés dans les Maisons des Jeunes pour les diriger. La
promotion suivante et - selon les témoignages - la dernière, formera dix-sept stagiaires nouveaux,
parmi lesquels on comptera Paul Jansen, futur directeur de la Maison des Jeunes de Romans et
délégué général de la FFMJC, de 1969 à sa retraite.
L’enseignement dispensé à Chamarges ressemble beaucoup à celui des cadres d’Uriage où
Joffre Dumazedier continue à être instructeur et chargé des études. La formation est à la fois morale,
intellectuelle et physique. On apprend la sociologie, la pédagogie et la psychologie, tout en
entretenant son corps dans des conditions assez dures et quasi militaires. Il y a des épreuves
sportives, et le dérouillage ou décrassage le matin avant le petit déjeuner ne fait, semble-t-il, pas que
des adeptes. Les stagiaires doivent sortir de la formation “gonflés à bloc”, être de “véritables
parachutistes de l’éducation populaire”5.
Il y a en effet une cohérence et un parallèle évident, aussi bien à Chamarges qu’à Uriage, entre
l’entraînement physique et l’entraînement intellectuel et mental. “Il faut beaucoup de temps et de
répétition pour que le corps du sportif devienne ce qu’il veut qu’il soit ; il ne faut pas moins de temps
ni de répétition pour que la personnalité soit ce que nous voulons qu’elle soit [...] La personnalité est
au centre de la culture vraie, son développement et son entraînement sont comparables au
développement et à l’entraînement du corps”6. L’action et l’expérience sont premières. “En
éducation, ce n’est pas la personnalité qui doit être au service de l’action, mais l’action qui doit être
1
Cité par A. Delestre, p. 35.
2
Pour être plus précis, cette école est fondée en 1940 à Martouret, près de Die, puis transférée à
Chamarges en 1941.
3
Rappelons que Joffre Dumazedier sera cofondateur de Peuple et Culture et, en tant que chercheur et
universitaire, l’initiateur de la sociologie des loisirs.
4
Paul Jansen dans Éléments pour l’histoire de l’éducation populaire (document INEP n° 21, octobre
1976) p. 44. André Lefèvre est, rappelons-le, cofondateur de la Maison pour tous de la Mouffe,
responsable des Éclaireurs de France. Il aurait été en quelque sorte le premier délégué général des
Maisons des Jeunes.
5
Éléments pour l’histoire de l’éducation populaire (op.cit.), p. 45. La dernière promotion se soldera par
l’exclusion de plusieurs stagiaires et le départ, par solidarité avec eux, de P. Jansen, fait qui n’est
peut-être pas étranger à la fermeture prématurée de l’école (entretien avec P. Jansen).
6
Joffre Dumazedier “Jeunesse France”, Cahiers d’Uriage n° 33, juillet 1942, p. 29 et 30.
- 193 au service de la personnalité”1. “La culture ainsi acquise offre à tout homme digne de ce nom la
possibilité de dominer sa vie, de la situer dans le monde pour la mieux conduire”2. Ainsi l’influence
d’Uriage sur l’éducation populaire tout entière, en particulier sur les Maisons de Jeunes, puis sur les
futures MJC, est-elle indéniable3.
Comment dans le concret du quotidien ces Maisons des Jeunes sont-elles créées et se
développent-elles ? Que font-elles et comment vivent-elles ? En la matière, les témoignages directs
et le bulletin des chefs de Maisons des Jeunes, Fenêtre ouverte, sont les sources d’information
essentielles.
“Fruit d’un groupe, la Maison ne peut être l’oeuvre ni d’un mouvement, ni d’un parti, ni d’un
homme ; pour naître, elle demande le concours des volontés locales, s’épanouissant grâce à la
tutelle du pouvoir. Seule en effet, la puissance publique possède la plénitude totale, seul l’Etat peut
présider à la naissance des Maisons des Jeunes...”4. Autrement dit, structure à vocation de
développement communautaire, la Maison des Jeunes doit être l’expression de la communauté
locale sous la tutelle de l’Etat garant de la communauté nationale. A vrai dire, la création d’une
Maison des Jeunes tient le plus souvent de l’initiative locale portée par la municipalité et des
notables, initiative locale animée par une volonté de rénovation nationale, soutenue par l’Etat, ses
délégués régionaux à la jeunesse et des mouvements qui sont censés agir dans l’esprit de Vichy. Le
chef, quant à lui, arrive généralement un peu plus tard pour donner forme au projet ou tout
simplement pour diriger la structure.
Quelques exemples : La Maison des Jeunes de la Motte d’Aveillans (Isère) est fondée par un
pharmacien, M. Germain, qui en est le premier animateur bénévole. Il a suivi le premier stage à
Uriage en décembre 1940. Un dénommé Léon Rosa arrivera plus tard pour en assurer la direction,
M. Germain ne pouvant pour des raisons professionnelles y consacrer le temps nécessaire5. On doit
la Maison de Cromac, petit village de la Haute Vienne à une famille : M. Paintendre, maire de
Cromac et délégué cantonal de la corporation paysanne, sa femme qui l’animait, sa belle-mère et
son fils. La Maison de Rive-de-Gier (Loire) aurait été créée par les Compagnons de France6,
1
Ibid. p. 30.
2
Ibid. p. 28. Il s’agit d’une définition très fonctionnelle de la culture que l’on retrouve souvent dans
l’histoire de l’éducation populaire et notamment dans les Maisons des Jeunes et de la Culture.
3
“...L’évolution de l’éducation populaire, à laquelle Dumazedier et Cacérès, deux anciens d’Uriage,
attachèrent leur nom constitue un autre exemple de l’influence que l’école a exercée dans le
domaine de la pédagogie. Et enfin, la fondation des Maisons de Jeunes doit également quelque
chose à Uriage.” W. D. Halls Les jeunes et la politique de Vichy, p. 332.
4
Fenêtre ouverte n° 8, décembre 1942, p. 2.
5
Le nouveau local spacieux, doté d'un logement pour le futur chef, sera inauguré le 9 mars 1941 en
présence de M. Lamirand, Secrétaire général de la Jeunesse.
6
Selon Jean Destrée (entretiens).
- 194 mouvement fondé en juin 1940 par Henri d’Havernas, commissaire national des Scouts de France,
soutenu par le gouvernement de Vichy avec lequel le mouvement eut plus tard des différends, et qui
finit par prononcer sa dissolution (21/1/44)1.
Ces Maisons des Jeunes sont à la fois implantées dans le monde rural et dans le milieu urbain. Il
y a des Maisons des Jeunes masculines et des Maisons des Jeunes féminines, ou comme à Cromac
des sections de jeunes filles et sections de “garçons”. Mais, à notre connaissance, même s’il existait
des écoles de cadres pour les femmes2, il ne semble pas qu’elles aient formé des chefs de maison
du sexe féminin avec un statut professionnel comparable à celui des hommes.
Les activités pratiquées et les actions conduites sont très diverses. On opère les choix en
fonction des demandes et des compétences locales. Il ne semble pas, malgré les principes
contraignants qui sont avancés et la volonté de contrôle de l’Etat, que l’on impose ou interdise telle
action plutôt que telle autre. Les Maisons des Jeunes restent en quelque sorte des espaces de
relative liberté et d’initiative, dans un cadre défini plus par des principes moraux et civiques que par
des obligations de contenu. Il y a cependant quelques passages obligés que se charge de rappeler
Fenêtre ouverte, le bulletin des chefs de maisons : la fête de Jeanne d’Arc, la fête des mères, les
actions de secours en direction des familles...
Au compte, en quelque sorte, de cette pratique de la liberté et de l’initiative encadrées, il faut
signaler l’expérience des premiers conseils de maison.: les textes prévoient en effet que le conseil
d’administration de la Maison des Jeunes doit comprendre un tiers de membres actifs, c’est à dire de
jeunes. Mais on ne dit pas comment ces jeunes sont désignés et il y a tout lieu de penser qu’il sont
choisis par le chef de maison. Il semble bien que le conseil de maison, espace d’initiative quotidienne
et de gestion des jeunes par eux-mêmes, ait été conçu à Chamarges et d’abord expérimenté dans le
cadre de leur formation par les futurs chefs.
Ce que l’on appellera plus tard la pédagogie institutionnelle - autrement dit cette adéquation entre
l’objectif d’apprentissage et le cadre institutionnel dans lequel s’opère l’acte pédagogique - est en
effet conçue et déjà expérimentée à Chamarges, pour pouvoir être pratiquée dans les Maisons des
Jeunes sous la direction pédagogique du chef. Paul Jansen en témoigne :
“A Chamarges, le chef Rouchy était appelé directeur-chef ; moi j’étais le chef de maison et les
garçons m’appelaient “chef” [...] lorsque l’on parle de pédagogie institutionnelle dans mon
association actuellement, eh bien je souris. Ce sont les jeunes psychologues actuels ou les
jeunes pédagogues qui parlent de pédagogie institutionnelle ; c’est beau, eh bien c’était
simplement ce que nous faisions à Chamarges. On disait : il faut vivre dans l’école de cadres
1
Au sujet des compagnons de France, voir notamment Éducation populaire et jeunesse dans la France
de Vichy. 1940-1944 et Les jeunes et la politique de Vichy.
2
À Ecully-les-Lyon par exemple.
- 195 comme vous vivrez dans votre Maison des Jeunes ; les mêmes problèmes doivent se
retrouver de façon que vous puissiez transposer - bien sûr il y a une transposition nécessaire et pour cela on se fie à votre intelligence et à votre sensibilité. Mais il faut vivre dans les
mêmes conditions. Vous aurez des équipes, aurez des activités, vous ferez des sorties, vous
organiserez tout vous-mêmes, etc.. etc...”1.
En fait ce conseil de maison était “un conseil parallèle de jeunes”2 qui n’avait ni statut ni pouvoir
juridique. “Ce conseil parallèle obtenait quand même de la part du conseil d’administration des
assurances sur un certain nombre de domaines ; par exemple sur la marche interne de la Maison, il
avait le pouvoir d’organiser les horaires, l’entretien, toutes les tâches relativement mineures”3.
Le bulletin Fenêtre ouverte fait effectivement état de ce conseil de maison, de son rôle et de son
fonctionnement :
“Dans une petite salle, dix jeunes sont maintenant autour d’une table et discutent. C’est le
conseil de maison. Mais vous ne pouvez savoir ce qu’est un conseil de maison ? En un mot,
c’est une réunion hebdomadaire de jeunes qui dirigent eux-mêmes leur Maison. C’est la
direction, le cerveau de la M.J. de Romans”4.
Ce conseil de maison constitue une expérience novatrice et “en fait assez révolutionnaire”5 dans
le domaine de l’éducation des jeunes. En effet jusqu’à ce moment-là “toutes les associations quelles
qu’elles soient, même et surtout les associations de jeunesse, étaient dirigées par des notables. Les
notables étaient en général des gens sympathiques, ouverts, qui se penchaient avec générosité sur
les jeunes, comme les intellectuels se penchaient sur les ouvriers ...”6
Il semble que là l’éducation populaire ait fait un nouveau pas - et dans une période qui, de prime
abord, ne se caractérise pas par le progrès - dans ses méthodes pédagogiques en essayant de
dépasser institutionnellement et dans la pratique, l’opposition entre ceux qui ont le savoir et le
pouvoir, et ceux qu’il s’agit d’éduquer (les jeunes, les ouvriers, les couches populaires en général).
Et de fait, ce conseil de maison, où des jeunes peuvent prendre collectivement des décisions
avec l’aide pédagogique du chef de maison, a eu rapidement des effets, pas toujours favorables à
l’esprit de Vichy et aux fondateurs des Maisons des Jeunes. L’expérience de Romans est à ce titre
1
Éléments pour l’histoire de l’éducation populaire, p. 49.
2
Ibid. p. 50.
3
Ibid. p. 50.
4
Bulletin de décembre 1943.
5
Paul Jansen, op. cit. p. 49. Révolutionnaire, pas forcément au sens de la Révolution nationale, mais
plutôt au sens d’école élémentaire de la démocratie et de la responsabilité, qui pouvait déboucher
sur la contestation du pouvoir et des hommes des conseils d’administration. C’est le rôle que jouera
souvent le conseil de maison dans les MJC des années 50 et 60.
6
Paul Jansen, op. cit. p. 49.
- 196 significative1. Dès 1942 et après l’organisation de camps dans le Vercors tout proche, les jeunes vont
exiger de s’organiser eux-mêmes dans un conseil de maison, dont ils vont contester les statuts
élaborés à Chamarges et mis en place par leur chef. En s’inspirant d’autres expériences décrites
dans des livres de la bibliothèque, ils vont élaborer de nouveaux statuts et règlements. Ce sont ces
mêmes jeunes que l’on retrouvera avec leur chef, les années suivantes, dans les maquis du Vercors
et dans les combats de la Résistance2.
A quel rythme et selon quelle répartition géographique ces Maisons des Jeunes s’implantent-elles
? Pendant les deux premières années se créent un peu plus de trente Maisons des Jeunes3 dans
des localités d’importance très diverse : dans des grandes villes comme Lyon ou Toulouse, dans des
petites villes comme Romans ou Thonon, mais aussi dans des petites localités et des villages
comme Pouzols (Hérault) ou Condat (Cantal). Déjà la région Rhône-Alpes fait figure de leader en
matière d’implantation, puisqu’elle regroupe à elle seule plus du tiers des premières Maisons des
Jeunes créées en zone Sud4.
La carte des associations gestionnaires de Maisons des Jeunes dissoutes par René Capitant en
1945 confirme la répartition géographique des premières années : la région Rhône-Alpes regroupe
près du tiers des associations de l’ensemble du territoire, que le nouveau gouvernement a jugé bon
de dissoudre. Mais déjà la région Midi-Pyrénées connait une implantation qui préfigure son
développement et son dynamisme à venir5. A partir des documents en notre possession, il est bien
difficile de donner le nombre exact des Maisons des Jeunes réellement vivantes et reconnues
comme telles à la libération du pays. Le décret de dissolution de R. Capitant concerne aussi bien des
associations départementales voire régionales que des associations locales, si bien qu’il est tout à
fait cohérent de conclure que le nombre de Maisons est bien supérieur à celui des associations
dissoutes, chacune d’entre elle pouvant en gérer plusieurs. Mais à l’inverse, on peut supposer que
des associations ne gèrent ou ne coordonnent aucune Maison de Jeunes en réelle activité et qu’elles
aient été seulement créées pour assurer leur développement futur6. Le compte rendu de l’assemblée
générale de l’association nationale “Les amis des Maisons des Jeunes” annonce “130 maisons
1
Même si elle est vraisemblablement exceptionnelle et isolée.
2
Entretiens avec Paul Jansen et témoignages rassemblés dans Les adhérents de la MJC de Romans
dans la Résistance, J.-C. Leroyer, Romans, 1991.
3
Selon B. Comte (op. cit. p. 48). Le Secrétariat général à la jeunesse en prévoyait une par canton.
4
Selon la carte dressée par J.-C. Leroyer Histoire et sociologie de la FFMJC dans sa phase de
gestation, p. 111 (annexe 37).
5
Toujours selon la carte dressée par J.-C. Leroyer, op. cit. p. 112 (annexe 38).
6
Ce sont les missions que se donnent l’“Association pour la création et l’organisation des Maisons des
Jeunes de la Haute Garonne” et l’“association pour la création et l’organisation des Maisons des
Jeunes de l’Ariège” (arrêté de dissolution de R. Capitant).
- 197 environ” pour la seule zone sud, sans qu’à notre connaissance une liste précise ait été dressée.
Au-delà des chiffres, il est à remarquer que se sont créées des associations départementales et
régionales qui préfigurent une vie fédérative territoriale ainsi qu’une association nationale, “Les amis
des Maisons des Jeunes”, dans laquelle on peut voir la forme embryonnaire de la future fédération
française. Mais, comme nous allons le voir, d’autres évènements et évolutions marqueront l’histoire
des Maisons des Jeunes, notamment à partir de 1943.
3 - Organisation, troubles et basculements
Les prérogatives de l’Etat en matière de création, de développement et de contrôle des Maisons
des Jeunes encore affirmées en décembre 19421 vont rapidement connaître une sensible
atténuation. En effet, dès les 27 et 28 mai 1943, l’association des amis des Maisons des Jeunes,
réunie au siège social à Lyon, a d’autres prétentions que celles d’une simple amicale. Elle rassemble
“des représentants régionaux de l’association de Toulouse, Marseille, Lyon, Montpellier, Limoges”.
L’Etat y est effectivement représenté par MM. Prat et Bay, du Secrétariat à la Jeunesse qui
“assistaient à cette réunion”2. Mais les objectifs de cette association nationale sont ambitieux et
significatifs de la place que l’organisation associative fédérative doit occuper dans le développement
des Maisons des Jeunes qui pourtant semble relever de l’intervention directe de l’Etat, de ses
services et fonctionnaires.
Avec l’accord au moins formel de l’Etat qui donne à l’association des amis des Maisons des
Jeunes une habilitation administrative et financière de gestion, on va donc rapidement passer d’un
ménage à deux (l’Etat et les Maisons de Jeunes) à un ménage à trois (l’Etat, les Maisons des Jeunes
et un appareil fédératif fonctionnant d’une manière associative). Et donc, dès le mois de mai 1943,
on convient de “créer des associations locales et des fédérations départementales en vue d’aboutir à
une assemblée nationale constitutive d’une fédération nationale des Maisons des Jeunes”3.
On insiste plus dans le numéro 10 de Fenêtre ouverte4 sur l’union de la jeunesse dans sa
diversité et sur les principes de l’associationnisme et du fédéralisme que sur la Révolution Nationale,
à laquelle l’éditorial ne fait explicitement aucune référence. On renvoie par contre à l’expérience
passée du syndicalisme français : “Nous aimons à nous référer à ces pionniers du syndicalisme
1
“Seule en effet la puissance publique possède la plénitude totale, seul l’État peut présider à la
naissance des Maisons de Jeunes ; seule son aide financière et sa tutelle administrative sont assez
pures et détachées des intérêts particuliers pour assurer aux institutions communautaires les
garanties d’indépendance nécessaires”. Fenêtre ouverte n° 8.
2
Fenêtre ouverte n° 10, juillet-août-septembre 1943, p. 2.
3
Ibid. p. 2.
4
Bulletin qui déjà rend des comptes à l’association des amis des Maisons des Jeunes dont il est,
semble-t-il devenu l’organe. “M. Savio rendit compte de la situation de “Fenêtre ouverte” et de
l’orientation sociale et civique qu’il entendait donner au bulletin de l’association”. Ibid. p. 2.
- 198 français qui, au prix d’un long apostolat, affirmèrent l’institution des Bourses du Travail. Nous ne
cachons pas notre satisfaction de voir que les Maisons des Jeunes peuvent être comme les Bourses
de l’espérance active de la Nation”1.
Et l’on met en avant le succès et le bien fondé de l’“associationnisme”. L’assemblée régionale des
Maisons des Jeunes de la région Haut-Languedoc-Gascogne a en effet rassemblé huit cent jeunes
les 31 juillet et 1er août de la même année et, dit l’éditorial2, “ce succès rehausse les principes de
l’associationnisme dont nous nous réclamons. Loin de considérer que les associations pouvaient
concurrencer leur autorité, le délégué régional et son adjoint chargé des Maisons des Jeunes ont, au
contraire, visé à créer et à faire vivre ces communautés indépendantes où les élites officielles et
actives sont mobilisées au service de la jeunesse. De ce concours réciproque de l’autorité et de la
liberté est résulté un grand bénéfice. Les Maisons y ont trouvé une aide matérielle, morale, humaine
que l’Etat n’est pas toujours en mesure de fournir”.
Ainsi cette articulation difficile mais supposée dynamique de l’un et du multiple, de l’autorité de
l’Etat et de la liberté d’initiative3 est-elle au principe de la vie associative et fédérative qui se structure
d’une manière nouvelle, notamment lors de l’assemblée générale de l’association nationale “les amis
des Maisons des Jeunes” le 10 septembre à Lyon au Palais de la Mutualité.
Cette assemblée générale est à nouveau l’occasion de réaffirmer les attributions, présentées
comme simplement “techniques”4, particulièrement importantes de l’association nationale.
“Elle est avant toute chose la personne morale qui assume soit directement, soit par
l’intermédiaire des associations locales ou départementales, la gestion administrative et
financière des Maisons des Jeunes Sud, soit 130 maisons environ. En outre, elle doit être, à
côté de la Maison, le centre destiné à faciliter les rencontres et les efforts des personnalités les
plus diverses du monde de l’éducation, de l’instruction, de la presse, des mouvements. Elle ne
vise à se substituer ni aux organismes responsables de l’Etat ni aux mouvements spécialisés.
Elle requiert, pour assurer cette oeuvre d’union respectueuse des diversités et de l’autorité, un
personnel de militants ayant par tradition le souci de l’équilibre, du contre-poids, un
fédéralisme positif.”5
Pour asseoir ce “fédéralisme positif”, elle se donne un président de poids, M. André, viceprésident de la Mutualité française et président de l’Artisanat français qui représente “une
association où 9 millions de familles françaises sont unies par les affinités les plus diverses, pour le
1
Fenêtre ouverte n° 10, p. 1.
2
Ibid. p. 1-2.
3
“L’union respectueuse des diversités et de l’autorité”. Compte rendu de l’assemblée générale de
l’association nationale “les amis des Maisons des Jeunes”, 10 septembre 1943 (Fenêtre ouverte n°
11, octobre 1943).
4
Il s’agit sans doute de ne pas prétendre clairement empiéter sur les attributions politiques de l’État.
5
Compte rendu dans Fenêtre ouverte n° 11.
- 199 service commun”1.
En outre, l’association nationale en s’adjoignant présidents et représentants des principales
associations locales ou départementales devient une sorte de pré-fédération en attendant la création
d’une plus vaste “Fédération Nationale des Maisons des Jeunes”2.
Autre élément nouveau et d’importance : cette assemblée générale décide de constituer aux
côtés de l’équipe de direction un conseil national consultatif “destiné à élargir l’association”3. En plus
de présidents d’associations départementales ou régionales de Maisons de Jeunes, ce conseil est
constitué de M. André, président de la Mutualité du Rhône, de M. Fabrègue, directeur du journal
“Demain”, de M. Dupouey, des Compagnons de France, de M. Auclerc des Auberges de Jeunes, de
M. Guiraud, des cercles de jeunes travailleurs, de M. Thiébaut, de l’école des cadres de Marly, de M.
le représentant des chantiers de le Jeunesse.
Ainsi cette association nationale passe-t-elle d’une simple amicale à une structure partenariale,
cogestionnaire dira-t-on plus tard, à vocation fédérative, où sont associés des représentants des
associations locales et territoriales, des représentants d’institutions et de mouvements de jeunesse,
des représentants de l’Etat.
L’administration, par l’intermédiaire de MM. Vion et Prat, témoigne de son intérêt pour cette
association nationale dans la mesure où il “doit y avoir entre les deux une collaboration tout à fait
précieuse dans l’intérêt de la jeunesse”4. Les représentants du Secrétariat général de la Jeunesse
affirment en effet que “l’orientation de l’association ne s’oppose nullement aux intérêts de
l’administration. C’est à l’administration qu’appartiennent les responsabilités de l’orientation et du
contrôle. C’est à l’association qu’appartient la gestion. Les cas particuliers où se révélaient tout à la
fois une confusion de ces attributions et une incompréhension des justes rapports de l’autorité et de
la liberté ont été vivement regrettés par tous et il a été décidé d’y mettre fin”5.
L’association nationale a une tâche d’union, de rapprochement des mouvements dans le respect
de leur diversité, de rejet de toute tentative de monopoliser la jeunesse dans un but particulier et par
des structures particulières (partis, organismes syndicaux ou corporatifs). Il conviendra en effet de
“faire à toutes les organisations syndicales ou corporatives une place correspondant à leur
importance dans les diverses Maisons des Jeunes. Mais l’initiative et l’orientation des Maisons des
Jeunes ne peuvent appartenir qu’à une organisation propre de la jeunesse”6.
1
Ibid.
2
Ibid.
3
Compte rendu de l’Assemblée Générale des Amis des Maisons des Jeunes, Fenêtre ouverte n° 11.
4
Ibid.
5
Ibid.
6
Ibid.
- 200 “Cette organisation nationale propre à la jeunesse indépendamment des classes, milieux, partis,
etc...”1 dont on doit reconnaître la nécessité, que doit-elle être et comment doit-elle fonctionner ? Ne
s’agit-il pas dans dans l’esprit des Amis des Maisons de Jeunes d’un élargissement fédérateur de
l’association nationale qui rassemblerait les associations locales et territoriales, les grandes
institutions et mouvements concernant la jeunesse et qui, concrètement et localement, agirait dans le
cadre des Maisons des Jeunes, lieux de rencontre et d’initiative des jeunes et de tous les
mouvements ? Mais dans ce cas-là ne peut-on pas entrevoir les évolutions les plus contradictoires :
le développement d’une organisation impérialiste qui pourrait limiter et réglementer l’initiative des
mouvements et à terme, si elle était fortement contrôlée par l’Etat, dériver vers un dispositif
d’institution et de jeunesse uniques ? ou à l’opposé la constitution d’une organisation à la fois
impérialiste vis à vis des mouvements et autonome vis à vis du pouvoir politique et qui ainsi pourrait
devenir une sorte d’Etat dans l’Etat ?2
Cette organisation propre de la jeunesse ne vit pas le jour, ni sous Vichy, ni plus tard, du reste.
On pourrait même avancer que les tentations vichystes d’enrégimenter la jeunesse - soit, comme ce
fut le cas à partir de 19433, en soutenant les tentatives de mouvement unique de type nazi, soit en
voulant contrôler une organisation nationale fédérant initiatives et mouvements - ont rendu difficile
voire impossible et pour longtemps tout projet de mettre en place une politique de la jeunesse4.
Pour en revenir à l’association nationale des Amis des Maisons de Jeunes, il est important de
constater, contrairement à ce que le contexte de l’époque laisserait facilement supposer, qu’un
fédéralisme encore embryonnaire se construit par le bas. Il ne semble pas en effet que cette
association nationale rassemblant en peu de temps associations locales et territoriales et
mouvements, soit une association para-étatique organisée par le haut, même si ses responsables
ont l’assentiment du secrétariat général à la jeunesse qui, bien sûr, pose des limites et met des
garde-fous.
Et malgré la répartition des responsabilités entre l’administration d’Etat (orientation et contrôle
des Maisons de Jeunes) et l’association (gestion), il est clair que rapidement, le contexte aidant5, les
relations entre l’Etat et les Amis des Maisons de Jeunes vont devenir difficiles. On n’en veut pour
1
Ibid.
2
Comme nous le verrons, l’histoire ultérieure des MJC s’inscrira souvent dans ces interrogations et
enjeux.
3
Voir W. D. Halls (op. cit.). Déat semble représenter la tendance la plus extrémiste : jeunesse unique,
organisation et parti unique, camps de travail pour les jeunes “comme en Italie et en Allemagne”.
4
Aujourd’hui encore on peut envisager d’élaborer une politique de tous les secteurs y compris et
surtout les plus brûlants : la culture, l’immigration, le troisième âge, les rapatriés, les handicapés...
mais le projet d’une politique de la jeunesse fait rapidement frémir.
5
Lamirand n’est plus secrétaire général à la jeunesse ; la milice de Darnand a créé son école de cadres
à Uriage que Dunoyer de Segonzac et son équipe ont dû quitter ; la collaboration et le pouvoir se
durcissent.
- 201 preuve qu’un texte de décembre 19431 qui oppose un schéma idéal et la réalité.
On rappelle en effet un certain nombre de principes intangibles : il ne peut y avoir de Maison de
Jeunes sans association dont les missions sont de gérer la structure, “d’organiser la liberté dans le
domaine de l’éducation”, d’être le centre de liaison des initiatives prises et de tous ceux qui “peuvent
concourir à l’éducation : syndicats, mutualité, presse, enseignement, associations sportives,
municipalités, etc...”2. La place de l’Etat qui “à l’origine devait être l’animateur et l’initiateur de ces
communautés” ne doit avoir qu’un rôle de contrôle limité : “contrôle du directeur de la Maison dans le
domaine général, contrôle de la gestion en tant qu’il s’agit des subventions de l’Etat”3.
On rappelle également que l’association nationale des Amis des Maisons de Jeunes s’était fixé
pour tâche de faire respecter ces principes et qu’à dater du 10 septembre 1943 elle s’est réorganisée
“pour être autre chose qu’un simple appendice du Secrétariat à la Jeunesse et devenir une véritable
association”4. Il est bien précisé qu’elle avait été habilitée et en quelque sorte émancipée
juridiquement par une sorte de délégation reçue de l’Etat pour être soit directement, soit par
l’entremise des associations autonomes dans le cadre fédéral, la personne morale gestionnaire
nationale en zone sud et qu’“elle entendait tirer toutes les conséquences de cette émancipation
juridique”5.
La réalité est bien différente. Les responsables de l’association et le directoire des mouvements
ont appris, sans avoir été consultés, qu’une circulaire du Secrétaire à la Jeunesse du 11 novembre
1943 enlevait à l’association nationale l’habilitation générale qu’elle avait reçue pour la gestion des
Maisons de Jeunes de la zone sud.
Les responsables, son président notamment, ne s’avouèrent pas vaincus. Il ne ménagèrent pas
leurs efforts pour sauvegarder les droits de l’association nationale : “Nous entendons assumer sur le
plan national la tâche de défense des principes de l’associationnisme, de conseiller et de défendre
toutes les associations de jeunesse, de faire respecter en un mot l’organisation de la liberté dans le
domaine de la jeunesse ...”6.
Les relations entre l’Etat vichyste et les Maisons des Jeunes qu’il a fortement contribué à créer et
à développer ne vont donc plus de soi, notamment au moment où, d’une part, la situation nationale
se durcit et où, d’autre part, les responsables des Maisons des Jeunes entendent bien s’organiser
1
“Les associations au service des Maisons”, Fenêtre ouverte n° 13.
2
Fenêtre ouverte n° 13, décembre 1943..
3
Ibid.
4
Ibid.
5
Ibid.
6
Ibid.
- 202 selon des principes qui marquent leur différence et leur prise d’autonomie par rapport à la politique
de l’Etat.
Ces évolutions, troubles, basculements, ruptures même, sont également repérables dans Fenêtre
ouverte. Initialement, Fenêtre ouverte1 est le bulletin des “chefs de Maisons des Jeunes” qui, comme
nous l’avons vu, ont pour mission de développer l’esprit “Révolution Nationale” dans les Maisons
qu’ils dirigent. La rédaction et l’administration du bulletin sont au grand casino de Vichy. Fin 1942,
l’administration et la rédaction de Fenêtre ouverte se déplacent à Lyon tout en restant sous le
contrôle du Secrétariat général à la Jeunesse2. Jusqu’à ce moment-là, l’emprise directe de l’Etat et
de son idéologie est évidente : directives précises quant à la mission et à l’organisation des Maisons
des Jeunes, textes du Maréchal Pétain et même de Salazar.
Mais au printemps de 19433, Fenêtre ouverte ne s’intitule plus “bulletin des chefs de Maisons des
Jeunes”. Cette “nouvelle série”4, rédigée et administrée à Lyon, ne fait plus mention dans sa “carte
d’identité” du Secrétariat général à la Jeunesse. Elle est déjà devenue l’organe de l’Association
nationale des Amis des Maisons des Jeunes, à qui son rédacteur, Léonard Savio5, rend des
comptes6. Les textes de Vichy ont disparu pour laisser la place à des éditoriaux des responsables de
la revue7 ou de l’Association nationale, le Président André notamment. On y développe par exemple
des analyses sur le syndicalisme (“Les grandes étapes du mouvement ouvrier en France”) ou sur la
condition féminine (“Pourquoi des Maisons des Jeunes féminines ?”) qui sont, pour le moins, en
rupture avec l’esprit de la Révolution Nationale. On compare, comme le fera plus tard Jean Rous, les
Maisons des Jeunes aux Bourses du Travail : “Sauvegarde de la diversité de leurs méthodes à
l’égard des mouvements, la Maison des Jeunes jouera sensiblement le même rôle que la Bourse du
Travail par rapport aux grands syndicats ouvriers”8. On s’oppose même clairement à l’étatisme :
“Aucune Maison de Jeunes ne peut servir de mainmise de l’Etat sur la jeunesse”9.
1
Le numéro 1 est d’octobre 1942.
2
Il s’agit du n° 8, seul numéro, semble-t-il, qui, tout en restant sous le contrôle du Secrétariat général
à la Jeunesse, soit édité à Lyon.
3
Il s’agit du n° 9 de mai 1943. Il n’y a donc pas eu d’édition entre décembre 1942 (n° 8 publié sous le
contrôle de Vichy) et mai 1943 (n° 9 rédigé et administré au 25, rue de la Tête d’Or à Lyon).
4
Nouveau sous-titre de Fenêtre ouverte.
5
Ronald Seydoux, un des responsable de la Mouffe, était le premier rédacteur de Fenêtre ouverte.
6
“M. Savio rendit compte de la situation de “Fenêtre ouverte” et de l’orientation sociale et civique
qu’il entendait donner au bulletin de l’association” (réunion du conseil d’administration de
l’Association des amis des Maisons des Jeunes des 27 et 28 mai 1943). Fenêtre ouverte n° 10,
juillet-août-septembre 1943.
7
Signés tout simplement F.O. (Fenêtre ouverte).
8
Fenêtre ouverte n° 16, mars 1944.
9
Fenêtre ouverte n° 17, avril 1944.
- 203 Autrement dit, au moment où le gouvernement de Vichy entre clairement dans une pratique de
collaboration qui devrait justifier de sa part un contrôle strict des structures qu’il a soutenues et de
leur organe d’expression, il y a au contraire un certain relâchement qui, au-delà du retrait de
l’habilitation à l’association nationale, laisse une certaine marge de manoeuvre aux Maisons des
Jeunes et à leurs responsables. C’est que, sans aucun doute, en matière d’encadrement de la
Jeunesse, le gouvernement de Vichy a fait d’autres choix plus fiables et plus efficaces dans ce
combat ultime qui opposera de nombreux jeunes Français.
Sur le terrain des Maisons des Jeunes, comme dans les mouvements de jeunesse1, on est loin,
en effet, de suivre à la lettre les consignes de la Révolution Nationale. Certes, contrairement à ce
qu’un mythe de l’origine des MJC véhicule, les Maisons des Jeunes ne s’engagèrent pas
massivement et spectaculairement dans la Résistance. Mais après tout, résister n’est pas forcément
spectaculaire, et là comme ailleurs, des hommes et des femmes, des jeunes, firent à un certain
moment des choix souvent individuels que ces structures, à la fois de rencontre et normalement très
contrôlées, purent faciliter et couvrir.
Cependant, s’il y a un mythe fondateur héroï que des MJC, c’est bien qu’il y a un fondement au
mythe. Il faut aller le chercher dans la Drôme, à Romans, où Paul Jansen est chef de la Maison des
Jeunes masculine à partir de février 1942. Dès l’été de la même année, et à la faveur de
l’organisation de camps de vacances dans le Vercors tout proche, certains jeunes de la Maison des
Jeunes et leur chef entrent en contact avec les premiers maquisards et mouvements de Résistance.
Dès lors, la Maison des Jeunes de Romans a une double vie : une vie au grand jour, officielle en
quelque sorte, pendant laquelle on répond sans zèle excessif2 aux exigences de Vichy (actes de
solidarité par exemple3), et une vie cachée faite de transport d’armes, de sabotages, de longs
séjours dans le Vercors.
Durant cette période on fait également l’expérience de l’éducation populaire :
“Pendant les hivers nous montions pour ravitailler les jeunes ayant échappé au S.T.O. ou les
prisonniers évadés d’Allemagne et nous avons fait des soirées d’éducation populaire sans le
savoir. Nous discutions de tout ; on reconstruisait le monde, et je me suis rendu compte - cela
a été la naissance de ma propre vocation - qu’il était tout à fait facile de faire cohabiter des
gens qui avaient des tendances et des âges différents, lorsqu’on discutait de problèmes qui les
1
Voir W. D. Halls (op. cit.).
2
“.... Plusieurs fois des conflits ont éclaté entre la municipalité et la direction de la Maison lorsque par
exemple la municipalité exigeait que les discours du chef de l’État, le Maréchal Pétain, soient
retransmis par des haut-parleurs fixés sur l’ensemble de la Maison... C’est là que commença sans
doute la première manifestation de Résistance. Certains jeunes de la maison ont pris des
dispositions pour saboter les retransmissions du maréchal Pétain”. (Paul Jansen, op. cit.).
3
“Très souvent, la Maison de Romans a été sollicitée pour servir de point d’appui avec les opérations
du gouvernement de Vichy pour le sens de l’action civique et la maison n’a répondu que s’il
s’agissait d’opérations très précises comme la recherche de bois pour les vieillards, la construction
d’objets pour les enfants déshérités”, selon P. Jansen cité par J.-C. Leroyer.
- 204 touchaient particulièrement, comme le travail après guerre, la reconstruction du pays, la
famille, etc... Les idéologies disparaissaient et on trouvait des cheminements qui nous
permettaient de travailler très correctement ensemble ... sur les grands problèmes, on trouvait
des points communs, un accrochage commun et c’était passionnant. Nous nous sommes dit,
en faisant la même réflexion que les futurs animateurs de Peuple et Culture : il doit y avoir làdedans quelque chose pour l’avenir ...”1.
Paul Jansen descend cependant très régulièrement à la Maison des Jeunes pour sauver les
apparences, jusqu’au 6 juin 1944 où lui et son équipe prennent véritablement le maquis et entrent
dans la lutte armée. Sur une soixantaine de jeunes du groupe, seize garçons de moins de vingt ans
disparaîtront dans les combats2.
Avec toutes les précautions nécessaires liées à une approche de la diversité des points de vue
des acteurs et des périodes où l’on se place, quel bilan peut-on tirer de l’expérience des Maisons
des Jeunes de Vichy ? Etonnamment, un texte “à chaud” de juillet 19443 nous éclaire sur ce bilan
sans tomber dans des appréciations violemment opposées et caricaturales.
D’abord sur l’opportunité pour des hommes de s’impliquer dans une opération initialement portée
et contrôlée par le gouvernement de Vichy. L’argumentaire, nécessairement auto-justificatif à un
moment de bilan devant l’Histoire, voire de règlement de comptes, ne manque pas d’intérêt :
“Certaines personnes qui pratiquent l’art de regarder la lorgnette par le petit bout se prennent
à penser qu’il eût mieux valu qu’“elles se missent en sommeil”, selon l’expression classique,
pendant quatre ans au lieu d’avoir tenté avec difficulté et insuccès de se mêler au présent. La
question se pose ainsi : toute appréciation critique sur l’expérience elle-même étant réservée,
était-il bon par soi-même de se mêler à ladite expérience ou fallait-il au contraire imiter la
position illustrée par Ponce Pilate ? ... Ce qui comptera en définitive ce sera l’acquis technique
et humain, si faible soit-il et non l’opinion légère et fluctuante qui sera portée sur la question.
C’est pourquoi il fallait et il faut se mêler au présent, c’est à dire à la vie et tenter, dans les
difficultés du réel, de penser et d’agir bien. Seul le présent est révolutionnaire”4.
Cet “acquis technique et humain” quel est-il, et comment est-il évalué en 1944 par les acteurs
1
Paul Jansen : Éléments pour l’histoire de l’éducation populaire, p. 46-47.
2
Pour suivre l’itinéraire de cet engagement, voir J.-C. Leroyer : Les adhérents de la MJ de Romans
dans la Résistance 1942-44 (Romans, 1991).
3
Éditorial de Fenêtre ouverte n° 20 (dernier numéro de la revue), intitulé “Vertus révolutionnaires du
présent”.
4
Fenêtre ouverte n° 20, p. 1. On remarque des attitudes comparables chez certains “animateurs”
d’Uriage : “Des relations de collaboration confiante s’ébauchent avec des militants de gauche qui
choisissent la présence dans les nouvelles institutions de jeunesse, avec la volonté de faire respecter
leur autonomie et leurs convictions. Ces anciens des Auberges laï ques et des organisations liées au
Front populaire estiment les dangers de l’abstention pires que les risques de compromission avec les
éléments réactionnaires du régime”. (B. Comte, op. cit. p. 89).
- 205 mêmes, et plus précisément par les responsables de Fenêtre ouverte dont on connaît maintenant
l’évolution ? Au-delà de l’aspect politique propagandiste du projet vichyste de Révolution Nationale
que l’immense majorité des Français, surtout en 1944, s’accordent à faire passer définitivement aux
poubelles de l’Histoire, l’acquis donc purement technique et humain est, malgré le contexte qui invite
à tout jeter, présenté de la manière suivante :
“- Qu’on juge cela bien ou mal, les problèmes de la jeunesse ont subi depuis quatre ans des
modifications et parfois des bouleversements dont certains sont irrévocables parce que liés à
la nature de l’évolution.
- Tout d’abord, la question de la jeunesse est-elle une affaire d’Etat et d’intérêt national ?
Toute une administration dont on peut penser ce qu’on voudra (nous ne nous gênons pas trop
ici-même pour formuler notre avis) existe et fonctionne.
- En ce qui concerne ensuite le rassemblement de la jeunesse elle-même, le problème du seul
mouvement est partiellement dépassé (qui dit dépassé dit inclus et non supprimé !) par celui
des institutions de jeunesse, un peu comme dans le domaine ouvrier, l’action syndicale
traditionnelle doit être prolongée par l’intégration institutionnelle dans la nation. Nous sommes
à l’époque où les activités de gestion s’ajoutent positivement aux activités de propagande. Nos
lecteurs ont pu voir quelle était notre contribution commençante dans le débat, mieux dans
cette lutte. On sait que nous souhaitons pour notre part que les institutions de gestion soient
des institutions de liberté, nullement caporalisées...
- En ce qui concerne les institutions proprement dites, l’existence d’auberges, de centres de
jeunes travailleurs, de maisons, est un début qui s’est enraciné dans le réel ...
- En bref, et pour conclure, il est impossible dans l’affaire qui nous occupe de remonter à
l’envers le film de l’évolution et à plus forte raison de procéder à une coupure correspondant à
celles des années qui nous plaisent le moins...”1.
Et en effet, pour ce qui concerne le développement et l’organisation d’une politique de la
jeunesse en général et des futures Maisons des Jeunes et de la Culture en particulier, l’expérience
de ces quatre années apparait considérable. Une administration d’Etat s’est mise en place ; la
question de la jeunesse est devenue une affaire d’intérêt national ; on a concrètement développé
une politique d’intervention appuyée sur l’équipement et non plus seulement sur les mouvements ;
une profession nouvelle, certes d’une manière embryonnaire a vu le jour : celle de directeuréducateur de Maison de Jeunes ou d’animateur de Maison Pour Tous, avec laquelle il faudra
compter localement en plus du curé et de l’instituteur ; malgré le contexte, ces Maisons des Jeunes
ont réussi quelque peu à se dégager de l’autorité contraignante de l’Etat pour affirmer des principes,
un mode d’organisation et une pédagogie appuyés sur l’associationnisme et le fédéralisme ; jusque
dans le détail même de l’organisation et des pratiques quotidiennes, il semble que l’ensemble des
1
Fenêtre ouverte n° 20, juillet 1944, p. 1.
- 206 dispositifs futurs qui feront l’originalité des MJC soient, sinon en place, du moins fortement anticipés :
le conseil de maison, la cogestion, la formation, le statut et même le logement de fonction du
directeur de MJC.
En 1945, Mademoiselle Andrée Laforêt sera nommée liquidateur de chacune des associations
gestionnaires de Maisons des Jeunes dissoutes1 et Jean Rous, conseiller juridique de l’association
nationale des Amis des Maisons des Jeunes, assurera le transfert du patrimoine de la structure à la
République des Jeunes nouvellement créée2. En raison de la nécessaire exorcisation du passé, les
effets liquidateurs et de rupture furent dans l’immédiat plus forts, semble-t-il, que les effets de
transfert et de capitalisation des acquis. C’est que déjà le Conseil National de la Résistance, le
Comité Français de Libération nationale et à leur suite le Gouvernement Provisoire de la République
Française, entendent conduire une politique de la jeunesse et de la culture novatrice, qui doit rompre
radicalement avec les errances du passé. En effet, dès le 2 octobre 1943 à Alger, le gouvernement a
créé un service de la Jeunesse et des Sports au sein du Commissariat à l’Intérieur, a donné un statut
aux organisations de la jeunesse3 et a mis en place un Conseil des Sports et un Conseil de la
Jeunesse. Enfin André Philip, commissaire à l’Intérieur puis chargé des rapports entre l’assemblée
provisoire consultative et le Comité Français de Libération Nationale, crée le 4 octobre 1944 à Lyon
la République des Jeunes considérée comme la véritable préfiguration de la Fédération Française
des Maisons des Jeunes et de la Culture. Même si l’expérience des hommes ne se dissout pas par
décret - nombre d’entre eux, acteurs des Maisons des Jeunes sous Vichy, continueront à la
Libération4 - il semble qu’à ce moment-là on veuille recommencer à zéro. Et la nécessaire rupture
1
Arrêté du 9 janvier 1945 en vertu de l’ordonnance du 2 octobre 1943 portant statut provisoire des
groupements sportifs et de jeunesse.
2
Selon Claude Paquin : “De la République des Jeunes à la FFMJC” dans “L’espérance contrariée Éducation populaire et jeunesse à la Libération (1944-1947)”, Cahiers de l’animation n° 57-58,
décembre 1986.
3
Notamment la définition d’un agrément officiel indispensable pour l’obtention d’une subvention d’État
ou d’une collectivité publique après consultation du Conseil de la Jeunesse.
4
Paul Jansen, Jean Rous par exemple, ainsi que de nombreux responsables des mouvements de
jeunesse.
- 207 avec un passé immédiat peu glorieux indique qu’on le dise haut et fort, alors et encore aujourd’hui.
- 209 -
CHAPITRE - III LES MAISONS DES JEUNES A LA LIBERATION
L’histoire officielle de la Fédération Française des Maisons des Jeunes et de la Culture veut que
ce soit les mouvements de jeunesse de la Résistance et certains syndicats, la CGT en tête, qui se
regroupant, aient créé la République des Jeunes, véritable préfiguration de la FFMJC.
Sans minimiser le rôle de ces différents mouvements et organisations sur lesquelles nous
reviendrons, il semble difficile d’affirmer que la création de la République des Jeunes ainsi que cette
seconde naissance des Maisons des Jeunes auraient été possibles sans l’action d’André Philip et, à
travers lui, sans la volonté de l’Etat et du Gouvernement Provisoire de la République Française.
C’est qu’André Philip a des responsabilités importantes et entretient des relations privilégiées et
déterminantes avec le général de Gaulle1. Ce brillant économiste, docteur en économie politique puis
en sciences juridiques, reçu premier à l’agrégation, élu S.F.I.O., s’est refusé à voter les pleins
pouvoirs à Pétain en 1940. Engagé dans la Résistance dès 1941 dans le cadre du mouvement
“Libération Sud”, recherché par la Gestapo et accusé de trahison par Vichy, il rejoint de Gaulle à
Londres en juillet 1942. Celui-ci lui confie alors une mission auprès de Roosevelt (le convaincre de la
légitimité du général) et le nomme commissaire national à l’Intérieur.
Ainsi la création en octobre 1944 de la République des Jeunes et la reprise du projet des
Maisons des Jeunes prennent-elles une dimension d’ordre national, légitimée par l’intervention de
l’Etat de la Libération. Les Maisons des Jeunes et l’ensemble des mouvements de jeunesse
semblent donc à ce moment-là promis à un bel avenir.
1 - André Philip et la République des Jeunes
La préoccupation n’est, semble-t-il, pas totalement nouvelle. Lorsqu’il était commissaire national à
l’Intérieur dans le gouvernement provisoire, André Philip “avait étudié avec les mouvements de
jeunesse de la Résistance le problème de la transformation des Maison des Jeunes de Vichy”2. Ainsi
malgré la volonté affirmée à la Libération d’opérer une rupture avec la période de Vichy, il apparait
qu’on veuille se saisir de l’expérience acquise et peut-être aussi reprendre sous un autre nom le
projet de 1936, en lui donnant une dimension qui dépasse le cadre de la seule organisation des
loisirs.
1
Une preuve parmi d’autres : la lettre qu’André Philip adresse au général de Gaulle le 27 juin 1943
dans laquelle il ne mâche pas ses mots sur les “erreurs” du chef de la France libre (Loï c Philip dans
André Philip par lui-même, Éditions Bauchêne, avant-propos p. 14-15-16).
2
Loï c Philip dans André Philip par lui-même, p. 20.
- 210 La République des Jeunes est donc créée à Lyon le 4 octobre 19441.
Les principes de fonctionnement et les objectifs de cette nouvelle organisation sont les suivants :
“- organisation de la liberté. Pas de mouvement unique mais une libre fédération où chaque
mouvement désigne son représentant ;
- gestion associationniste de foyers, maisons et cercles. Pas d’étatisme. L’Etat contrôlera par
des commissaires délégués ;
- pas de paternalisme. L’activité de la jeunesse sera dirigée par les jeunes eux-mêmes élisant
leurs conseils par maison. Le conseil d’administration de la personne morale aura un rôle de
soutien dans tous les domaines.
- [...] l’association fédérative “La République des Jeunes” doit être une fédération d’institutions
(“la Fédération des Bourses de travail de la Jeunesse”) qui sera partie intégrante d’une plus
vaste confédération de la Jeunesse”2.
Ce texte fait clairement état d’une double attitude : la reprise des acquis de l’expérience des
Maisons des Jeunes sous Vichy (l’organisation associationniste et fédérative, la gestion des jeunes
par eux-mêmes dans le cadre de conseils de maison, la liberté dans les actions déjà revendiquée et
pratiquée avant la Libération) ; le rejet des principes et des tentatives vichystes (le mouvement
unique, l’étatisme et le paternalisme). Le maître mot qui inspire le projet de République des Jeunes
est “l’organisation de la liberté”3 avec ce que cette expression peut avoir de contradictoire d’un point
de vue théorique mais aussi d’opérationnel dans la pratique. La préoccupation essentielle est celle
de la jeunesse, du rôle qu’elle devra jouer dans la reconstruction de la République, de sa
coordination ainsi que celle des différents mouvements et organisations. En effet, “cette jeunesse
diverse, libre et responsable, ne doit pas se répartir en mouvements rivaux s’ignorant les uns les
autres, d’où la nécessité d’institutions ayant pour but de rapprocher les diverses organisations en
vue d’une coopération féconde et de mettre à leur disposition, à tous, certains moyens d’action”4.
Cette République des Jeunes est composée de représentants de mouvements de jeunesse
1
Selon Claude Paquin (“La Genèse de la FFMJC”, Cahiers de l’animation n° 47, octobre 84, p. 92)
s’appuyant sur les témoignages de René Porte et de Jean Kounitsky, la création de la République des
Jeunes aurait été décidée conjointement par André Philip, René Porte, alors secrétaire général des
Jeunesses de Libération Nationale et André Basdevant, secrétaire général du scoutisme français de
1940 à 43 et chargé de mission à la jeunesse auprès du Conseil National de la Résistance.
2
Lettre adressée par André Philip au Ministère de l’Éducation nationale, René Capitant, et lue au cours
du premier conseil d’administration de la République des Jeunes, le 4 octobre 1944 (cité par Claude
Paquin dans De la République des Jeunes à la FFMJC, p. 232).
3
Les questions de la liberté, de la tutelle, de la réglementation et de la contrainte à l’intérieur de
l’Institution et dans les rapports avec les partenaires extérieurs (l’État principalement) sont
centrales dans l’histoire des MJC. Aujourd’hui on parle régulièrement, à la FFMJC notamment, des
MJC comme “espaces de liberté”.
4
André Philip, dans un texte publié en juillet 1945 (selon Claude Paquin qui le cite dans De la
République des Jeunes à la FFMJC, p. 232) dans un bulletin national des Maisons de Jeunes qui
s’intitulait “Cahier de documentation”.
- 211 (Auberges de Jeunesse, Conseil Protestant de la Jeunesse, Eclaireurs de France), d’organisations
syndicales (CGT et CGA1) et de mouvements de résistance (Forces Unies de la Jeunesse
Patriotique). Puis viendront s’y adjoindre les Jeunesses Socialistes, l’Union de la Jeunesse
Républicaine de France2, la Ligue de l’Enseignement, le Syndicat National des Instituteurs,
l’Association Catholique de la Jeunesse Française et les Scouts de France. Le but de cette
organisation nationale est de susciter et de coordonner le développement de Maisons des Jeunes,
institutions qui doivent permettre le rapprochement des diverses organisations et mouvements, leur
apporter des moyens d’action, mais aussi accueillir les jeunes inorganisés.
Force est de constater que ce sont des représentants de certaines organisations qui manifestent
le plus grand scepticisme - changé pour certains bientôt en critique - vis à vis de la République des
Jeunes et des Maisons des Jeunes qu’elle entend promouvoir. Le Conseil Protestant de la Jeunesse
et les Eclaireurs de France soutiennent, semble-t-il, sans réserve le projet, alors que SNI, l’ACJF et
la Ligue de l’Enseignement sont particulièrement réticents. Ainsi, c’est plus à l’Etat qu’à l’ensemble
des mouvements de jeunesse, souvent en retrait, notamment ceux qui ont déjà une longue tradition
historique en matière de jeunesse et d’éducation populaire, que l’on doit cette seconde et véritable
naissance des Maisons des Jeunes et de la Culture telles qu’elles ont pu se développer dans les
décennies qui ont suivi. A ce titre, deux circulaires ministérielles, l’une du 13 novembre 1944 et
l’autre du 8 mai 1945, indiquent assez clairement l’esprit, la direction à suivre et les structures à
mettre en place.
La circulaire du 13 novembre 1944 signée, pour le Ministère de l’Education nationale, par Jean
Guéhenno, alors Inspecteur Général chargé de mission aux mouvements de jeunesse et à la culture
populaire, éclaire “les fins poursuivies par la nouvelle direction de la culture populaire et des
mouvements de jeunesse”3.
En plus des services anciens qui jusqu’alors relevaient de l’ex-commissariat général à la
jeunesse (colonies de vacances, formations des jeunes, mouvements de jeunesse, maisons et
auberges de la jeunesse, service de l’action civique et sociale) et des services relevant directement
de l’instruction publique (oeuvres post- et péri-scolaires), cette nouvelle direction couvrira “des
services nouveaux destinés à promouvoir, à la faveur de l’évènement, la culture populaire, c’est à
dire la culture de tout le peuple”4.
Sans “laisser se perdre l’effort entrepris depuis des années par des organisations de jeunesse”5,
1
Confédération Générale des Agriculteurs devenue depuis le CNJA - conseil national des jeunes
agriculteurs.
2
Organisation de jeunesse du P.C.F. devenue depuis Mouvement de la jeunesse communiste.
3
Circulaire du 13 novembre 1944.
4
Circulaire du 13 novembre 1944.
5
Ibid.
- 212 l’Etat, dans ce domaine comme dans d’autres, doit occuper toute sa place : il doit “intervenir - selon
de toutes nouvelles règles et une doctrine rénovée - dans leur surveillance et leur contrôle”1.
Cette attitude très interventionniste de l’Etat entend évidemment se démarquer clairement de
celle du Commissariat Général à la Jeunesse de Vichy qui “était un organisme politique avant tout
préoccupé de faire une propagande, sa propagande”2. La direction de la culture populaire et des
mouvements de jeunesse au Ministère de l’Education nationale doit être “un organe professionnel”3
qui “aidera les diverses jeunesses du pays car il y a des jeunes en même temps qu’une jeunesse”4.
Un certain nombre de principes et de directions sont clairement affirmés qui situent l’attitude de
l’Etat et de son oeuvre éducative dans une tradition républicaine interrompue par quatre années de
gouvernement de fait. “Une administration démocratique” doit donner au jeunes gens “le moyen de
prendre conscience” à la fois de la variété et de l’unité de “la jeunesse de France” qui est “comme la
France elle-même diverse et une”5. Les jeunes ne doivent pas être “les dupes d’une propagande” car
“le préjugé politique ne peut jamais être le fondement d’une éducation”6. Une “éducation humaniste
et critique” de la jeunesse doit simplement l’“aider respectueusement selon ses divers caractères et
non en mettant en oeuvre une mécanique de l’enthousiasme, l’avilir et l’exploiter”7. Loin de mettre les
jeunes “tous ensemble sur un seul chemin”, elle “en fera les citoyens d’une démocratie”8.
Le présent et l’avenir de ce projet éducatif et politique se construit en référence avec deux
grandes dates républicaines :
“Il nous plairait que l’année 1945 fût, pour l’Education nationale, une aussi grande année que le
fut l’année 1792, cette année où Condorcet proclamait la nécessité - dans une république “de rendre
la Raison populaire”, les années 1880 qui virent les écoles publiques fleurir dans toutes les
campagnes de France. Les évènements mêmes doivent favoriser notre entreprise. Il faut tout mettre
en oeuvre pour provoquer parmi les masses elles-mêmes un appel, un désir de lumière et, ensuite,
pour y répondre”9.
Ce projet historique suppose “une profonde réforme de l’état d’esprit de tous ceux qui ont la
1
Ibid.
2
Ibid.
3
Ibid.
4
Ibid.
5
Ibid.
6
Ibid.
7
Ibid.
8
Ibid.
9
Circulaire du 13 novembre 1944.
- 213 charge et la chance de la culture, artistes, éducateurs, savants”1. Il est en effet “proprement
intolérable qu’on puisse opposer ce que certains appellent ‘l’esprit primaire’ à une prétendue culture
qui serait réservée à des mandarins des sciences, des lettres et des arts. Il n’y a qu’une culture et
tous les hommes y ont droit”2. Il faudra donc démocratiser la culture, condition d’une véritable
démocratie de citoyens, en cherchant ensemble “les moyens d’action de cet humanisme militant”3.
La réalisation de ce projet passe par une série de dispositions et de dispositifs :
- la revalorisation de la fonction d’instituteur qui “arraché à son isolement”, doté “des moyens d’un
enrichissement continu”, formé “comme le maître qu’il doit être de la culture populaire”, fait “de lui au
village vraiment le représentant de l’esprit”4
- la récupération des écoles de cadres du “pseudo-gouvernement de Vichy” qui “n’ont servi à
quelques exceptions près qu’à mieux enraciner la sottise” mais qui “‘laissent au moins l’héritage
d’immeubles” où le gouvernement de la Libération compte “installer des centres éducatifs de
pédagogie active, de culture populaire” animés “par de vrais maîtres dont la compétence sera autre
que celle que confère la soumission à une doctrine officielle”5
- enfin la mise en place de nouvelles structures prolongeant la mission de l’école.:
“Nous voudrions qu’après quelques années, une maison d’école au moins dans chaque ville
ou village soit devenue une Maison de la culture”, une “Maison de la jeune France”, un “Foyer
de la nation”, de quelque nom qu’on désire la nommer, où les hommes ne cesseraient plus
d’aller, sûrs d’y trouver, un cinéma, des spectacles, une bibliothèque, des journaux, des
revues, des livres, de la joie et de la lumière.
Cette maison serait en même temps une maison des jeunes. C’est eux qu’il faut servir d’abord,
lancer vivement dans la vie pour qu’ils ne vieillisent pas et ne s’endorment pas trop tôt. Elle
serait le point d’appui de ces grandes organisations de jeunes dont par ailleurs nous avons la
charge. Et ainsi, dans les faits mêmes, se ferait reconnaître l’unité de notre entreprise”6.
Il s’agit donc de provoquer l’organisation sur des modes divers de “maisons de culture”, supports
de “ce grand mouvement d’éducation populaire” pour le lancement duquel le gouvernement adresse
à tous “le plus puissant appel”7.
L’Etat a donc à ce moment-là une réelle politique de la jeunesse et de la culture caractérisée par
1
Ibid.
2
Ibid.
3
Ibid. On retrouvera ces thèmes dans le manifeste de Peuple et Culture du 15 janvier 1946.
4
Ibid.
5
Ibid.
6
Circulaire du 13 novembre 1944.
7
Ibid.
- 214 un certain nombre de principes, une certaine philosophie repoussant toute démarche doctrinaire,
garantissant donc la liberté d’initiative sans exclure cependant une “unité de l’entreprise” par
l’exercice d’une certaine surveillance et contrôle. Et une fois de plus dans un projet de société
radicalement différent de celui du gouvernement de Vichy, la Maison des Jeunes apparaît comme la
structure le mieux à même d’assurer “l’organisation de la liberté” dont parle André Philip, d’articuler
une politique unitaire nationale en matière de jeunesse et de culture, tout en facilitant la diversité des
initiatives et des mouvements indispensable à la reconstruction d’une démocratie, dont l’élément de
base doit être le citoyen.
C’est ce que confirme la circulaire du 8 mai 19451 qui ne concerne, elle, que les Maisons de
Jeunes dont la direction des Mouvements de Jeunesse et d’Education Populaire a l’intention de
“favoriser le développement sur le territoire français”2.
La Maison des Jeunes y est définie très simplement. C’est d’abord un “lieu où les jeunes de
milieux les plus divers d’une même ville, d’un même quartier ou d’un village, peuvent se rencontrer
pour y trouver des distractions, des avantages matériels, et des possibilités de culture”3. “Il ne peut y
avoir de formule unique de maisons des jeunes” mais selon les publics et les milieux “des types de
maisons très différents”4 : dans certains cas - dans un village par exemple - quelques salles suffiront
; dans d’autres cas, la maison pourra comprendre des salles de réunions, de jeux, d’activités, une
bibliothèque, une salle de restaurant ...
La Maison des Jeunes doit cependant répondre à un critère précis dont l’Etat, par le truchement
de l’agrément, reste juge : “Ne seront considérées comme Maisons des Jeunes et subventionnées à
ce titre, que les entreprises n’ayant aucun caractère politique ou confessionnel”5. Les mouvements
de jeunesse politiques ou confessionnels peuvent par exemple ouvrir des foyers leur permettant
d’accueillir et de réunir des jeunes mais ne peuvent, de ce fait, prétendre au titre de “Maison des
Jeunes”.
Incitation, agrément, aide financière ; l’intervention de l’Etat semble s’arrêter là. On aurait en effet
pu concevoir que “l’Etat crée directement des Maisons de Jeunes, y place des fonctionnaires, y
développe certaines activités conformément à un programme qu’il se serait tracé et cherche à y
attirer les jeunes. Cette solution n’a pas été retenue”6. Et il y a quelques bonnes raisons à cela :
1
Toujours de Jean Guéhenno, alors directeur des Mouvements de Jeunesse et d’Éducation Populaire
pour le Ministre de l’Éducation nationale, René Capitant.
2
Circulaire du 8 mai 1945.
3
Ibid.
4
Ibid.
5
Circulaire du 8 mai 1945.
6
Ibid.
- 215 -
• une raison de prudence : les maisons des jeunes n’en sont encore qu’à leur phase
expérimentale et “il serait dangereux pour l’Etat de généraliser systématiquement des expériences
qui demeurent d’inégale valeur”1 ;
• une raison plus politicienne liée au contexte historique : “De telles maisons risqueraient
d’apparaître comme des instruments d’une politique d’Etat et il convient à cet égard de rompre
entièrement avec certaines tendances qui s’étaient déjà manifestées au sein de l’ex-Commissariat
général à la Jeunesse”2 ;
• une raison politique liée à un certain modèle de société : “La conception qui doit prévaloir est
essentiellement celle qui convient à un pays de tradition démocratique”3. Leur implantation ne doit
pas suivre en quelque sorte une logique administrative (une par chef-lieu de canton par exemple)
mais répondre à “un besoin suffisamment caractérisé”4. Ainsi conviendra-t-il “d’aider les initiatives
spontanées tendant à assurer l’éducation des jeunes gens et jeunes filles actuellement isolés”5.
Cette naissance en quelque sorte par le bas, dépendant des initiatives locales, que l’Etat a en
charge d’encourager, de reconnaître et de soutenir, justifie qu’en matière d’organisation et de gestion
la Maison des Jeunes prenne “la forme d’une association selon la loi du 1er juillet 1901, cette
association ayant précisément pour objet soit de gérer une maison déterminée, soit l’ensemble des
maisons ouvertes dans un département”6.
S’agissant des moyens d’action, l’association devra se procurer des “ressources personnelles,
l’aide de l’Etat n’étant que complémentaire”7. Ces aides pourront être demandées aux départements,
aux communes et d’une façon générale aux collectivités publiques ou privées sachant qu’il est
rappelé que “l’ordonnance du 2 octobre 1943 (art. 6) portant statut provisoire des groupements
sportifs et de jeunes, interdit aux collectivités publiques de verser des subventions aux organismes
qui ne sont pas agréés”8. Il n’est cependant pas fait allusion, dans les ressources, à la participation
financière des usagers et des ménages9.
1
Ibid.
2
Ibid.
3
Ibid.
4
Ibid.
5
Ibid.
6
Ibid. A ce moment-là comme au moment de Vichy, les deux possibilités existent : gestion locale ou
gestion départementale. Le développement ultérieur des MJC verra se généraliser la gestion locale
(une association par maison), ce qui n’exclut pas la création de fédérations départementales avec
mission de coordination et de représentation des MJC de base.
7
Circulaire du 8 mai 1945.
8
Ibid.
9
Ibid. Pense-t-on à ce moment-là, au niveau de l’État du moins, que les services fournis par les Maisons
des Jeunes doivent être totalement gratuits ou que la participation des usagers, des jeunes en
- 216 Autre élément essentiel de la circulaire du 8 mai 1945 : la reconnaissance et l’appui apporté à
“l’action entreprise par la République des Jeunes (adresse : 57, avenue de Neuilly) qui se présente
sous l’aspect d’une Fédération nationale de Maisons de Jeunes”1. Il est rappelé que “cette fédération
groupe en son sein des représentants des mouvements de jeunesse les plus divers, des militants
syndicalistes et des techniciens de l’éducation2. Aussi bien les demandes d’agrément et de
subventions des associations seront-elles présentées par l’intermédiaire de la République des
Jeunes. Les initiatives locales dont le support juridique ne pourra être constitué immédiatement,
seront rattachées à titre provisoire directement à la République des Jeunes selon des dispositions
structurelles de cette organisation”3.
Ainsi la mission dévolue par l’Etat à la République des Jeunes, conçue comme organe fédérateur
national des Maisons des Jeunes, est-elle importante : demande d’agrément des maisons, demande
et - nous le verrons - gestion et redistribution des subventions de l’Etat, gestion de structures locales
avant qu’elles accèdent à l’autonomie juridique. Ce nouvel acte de naissance des Maisons des
Jeunes et de leur fédération nationale porte le sceau de l’Etat qui, tout en gardant l’initiative de
l’agrément, et par là-même du soutien financier, délègue à une nouvelle institution une mission
d’intérêt général qui aurait pu relever de l’intervention directe de l’Etat et de ses services. Il s’agit
véritablement de la mise en place de ce que l’on appellera pendant longtemps un “service public par
voie démocratique”4 c’est-à-dire ne fonctionnant pas d’une manière hiérarchique comme l’école mais
organisé d’une manière associative et fédérative5.
La tutelle de l’Etat, face à la liberté des initiatives de terrain, est cependant importante et
clairement affirmée, notamment à ce moment-là. Par l’intermédiaire de ses inspecteurs régionaux et
départementaux, l’administration centrale est juge de l’attribution du titre de “Maison des Jeunes”, et
donc du soutien financier. Ses différentes initiatives (arrêté de dissolution du 9/1/45 des Maisons des
Jeunes existant avant la Libération, circulaires du 13/11/44 et 8/5/45) la rendent seul juge des
bonnes et des mauvaises initiatives. D’abord, par la mesure de dissolution, la Direction des
Mouvements de Jeunesse et d’Education Populaire “a voulu que ne puissent subsister sous le nom
particulier, ne peut être que très exceptionnelle ? C’est tout à fait possible. La Maison des Jeunes,
de ce point de vue-là du moins, pourrait être comparée à l’école laï que, gratuite, ouverte à tous mais non obligatoire - ce qui est dans l’esprit de la circulaire du 13 novembre 1944.
1
Circulaire du 8 mai 1945.
2
La place des professionnels dans la gestion fédérale est donc reconnue par l’État.
3
Circulaire du 8 mai 1945.
4
Formule régulièrement entendue de la bouche des acteurs professionnels et bénévoles de la FFMJC.
5
Il ne s’agit donc pas d’un mouvement ou d’une organisation de jeunesse de plus, en quelque sorte
étatique, ce qui serait complètement contradictoire avec le projet et l’état d’esprit de la Libération
qui entend bien ne pas retomber, y compris avec un autre projet de société, dans les errements
vichystes.
- 217 de “Maisons des Jeunes” et avec l’appui de l’Etat, que des organismes répondant aux exigences
précisées ci-dessus”1. Ensuite, le liquidateur désigné par l’arrêté de dissolution a pour mission
d’apprécier la situation de chacune des maisons, afin de déterminer les conditions dans lesquelles
les initiatives heureuses pourront être continuées, et de mettre fin à l’activité des autres”2. Enfin, dans
“tous les cas où la maison sera reprise, il conviendra que se forme à l’échelon local ou
départemental une association qui, pour solliciter son agrément, se mettra simultanément en rapport
avec la République des Jeunes et l’inspecteur des Mouvements de Jeunesse et d’Education
Populaire. Cette association devra présenter notamment un budget de fonctionnement faisant
connaître le montant de ses ressources propres et celui de la participation financière demandée à
l’Etat”3.
Ainsi le nouvel Etat issu de la Libération gérera-t-il, dans ce domaine comme dans d’autres, sa
volonté de rompre avec le gouvernement de Vichy et reformulera-t-il un projet, celui des Maisons des
Jeunes, qui semblait condamné par l’Histoire.
2 - Principes, actions et organisation de la Maison des Jeunes
Dans un texte4 dense et d’une grande portée si on le lit avec le recul du temps, Jean Rous, qui fut
partie prenante de l’association des Amis des Maisons de Jeunes et, semble-t-il5, chargé de
transférer son patrimoine à la République des Jeunes, décrit “les principales activités concrètes et
démonte, en quelque sorte sur table, les diverses pièces d’une Maison de Jeunes”6.
L’activité de la Maison des Jeunes s’appuie essentiellement sur les loisirs : “Le jeu, c’est l’art du
jeune. Mener le jeu est l’art suprême de l’éducateur”7, ce qui rompt en matière éducative et
pédagogique avec la tradition de la pratique scolaire appuyée sur le travail et l’apprentissage. Et
quand Jean Rous parle de jeu, il ne se réfère pas seulement aux jeux classiques, loisirs simples qui
“occupent notamment à la campagne les longues veillées d’hiver” (cartes, échecs...), mais à l’art
dramatique et à la danse. Pour lui, “il ne s’agit pas tant de fabriquer des chefs d’oeuvre que de viser
à l’éducation de l’expression”8. Mais il conviendra aussi de proposer aux jeunes des spectacles de
1
Circulaire du 8 mai 1945.
2
Ibid.
3
Ibid.
4
“La Maison de Jeunes”, Esprit (octobre 1945).
5
Selon Claude Paquin dans De la République des Jeunes à la FFMJC.
6
La Maison de Jeunes, p. 604.
7
Ibid.
8
Ibid. Le soutien à l’expression, le développement de la “créativité” seront au centre des pratiques
quotidiennes des MJC notamment dans les années 70.
- 218 choix suivis de débats car “dans la discussion s’affine le goût et l’esprit critique”1. On enseignera
également la pratique “des arts dits mineurs : la reliure, la linogravure, la pyrogravure, la poterie”
sans oublier, là où elles sont restées vivaces, “les traditions, les moeurs anciennes, la langue, l’art
choral et poétique”2. Ainsi “les maisons deviendront tout naturellement le centre de rayonnement des
originalités régionales”3. Enfin, la Maison des Jeunes favorisera la pratique de tous les sports, soit en
les organisant elle-même, soit en prêtant ses locaux à une association sportive déjà constituée. “Les
techniques sportives les plus coûteuses peuvent ainsi être mises à la disposition de tous les
jeunes”4.
La Maison des Jeunes doit aussi offrir des “services éducatifs”. Le jeu, le folklore, le plein air ne
suffisent pas “quoiqu’on ait semblé le croire ces dernières années”5 à la culture des jeunes. Il faut
également mettre en oeuvre “tout ce qui peut contribuer à accroître cette culture du jeune sur le plan
humain et professionnel”6. Sans se substituer aux divers enseignements, la Maison des Jeunes “sera
le plus précieux auxiliaire du professeur et de l’instituteur non en les rejetant” (il faut employer son
tact “à faire oublier l’atmosphère de l’école” !) mais en ajoutant “tout un rayonnement de beauté et de
vie profonde”7. Ainsi les activités proposées par les Maisons de Jeunes seraient-elles un “précieux
adjuvant du travail de formation des élites ouvrières et paysannes”8. En matière de formation du
citoyen - objectif essentiel et ultime de la Maison des Jeunes - on veillera, notamment dans les
espaces éloignés des grandes villes, à constituer un centre d’information et de documentation
(bibliothèque, journaux, revues, T.S.F.), à préparer les jeunes à la vie syndicale ouvrière, paysanne,
artisanale, par le témoignage, la conférence, la participation à l’expérience concrète et, “dans le
même esprit, tous le rouages de la vie civique, à la ville et au village, pourront être révélés d’une
manière vivante, à la fois dans leur présent et dans leur histoire”9. Il s’agit de susciter l’engagement
du jeune y compris dans des services sociaux et civiques qu’il pourra animer lui-même ou avec son
équipe : secrétariat social, information juridique, technique et professionnelle, entraide au projet des
réfugiés, sinistrés, malades, indigents, tout cela en relation directe avec les divers milieux sociaux
1
Ibid. Il s’agit là aussi d’une pratique traditionnelle des MJC.
2
Ibid.
3
Ibid.
4
Ibid.
5
Ibid. Jean Rous fait évidemment référence à la conception que l’on se fait de la culture notamment
dans les Maisons de Jeunes pendant la période Vichy.
6
Ibid.
7
La Maison de Jeunes.
8
Ibid. p. 606.
9
Ibid. p. 607.
- 219 intéressés (ouvrier, paysan, étudiant).
Ce dénombrement des activités et services n’est pas limitatif et il ne saurait présenter un
caractère de monopole. La Maison des Jeunes “n’a pas à concurrencer les activités et services
existant dans le quartier ou le village et orientés dans le même sens. Elle est avant tout un centre de
coordination”1. Plutôt que de créer ses propres services, elle a à susciter les structures et
compétences locales : associations sportives, syndicats, médecins et travailleurs sociaux, orienteurs
professionnels, écoles, auberges de jeunesse, mouvements .... “Créée pour donner plus d’ampleur
et de cohésion aux entreprises favorables aux intérêts de la jeunesse, la Maison est comparable sur
ce point à la Bourse du Travail : elle admet toutes les activités comme la Bourse admet tous les
syndicats sans en concurrencer aucun. Mais elles entend être une “Bourse du Travail” comme la
voulait Pelloutier : une personne morale vivante et d’une haute tenue éducative”2.
Car la Maison des Jeunes ne se réduit pas à une simple organisation de services : “elle est avant
tout une collectivité morale animée par un directeur assisté d’un conseil de maison et gérée par une
association”3. Le directeur ou chef de maison4 apparaît comme la pièce maîtresse du dispositif. C’est
“une sorte d’instituteur promu à l’éducation”5 qui doit connaître les activités pour les diriger mais
aussi savoir s’entourer de spécialistes. “Son grand art consistera à se lier au milieu local”6 et pour
cela il ne doit pas être qu’un éducateur mais avant tout “un militant, un créateur, un organisateur”. La
tâche est complexe, le métier s’apprend et “il est souhaitable qu’existent des écoles de formation
spécialisées”7. Leur nom importe peu. “L’expérience de Vichy condamne l’enseignement servile et
réactionnaire. Mais le principe des écoles de cadres n’a rien à avoir avec le contenu de leur
enseignement. C’est un grand malheur pour notre jeunesse qu’on lui refuse les grands moyens, sous
prétexte que les totalitaires en ont fait un usage pernicieux. A ce compte, il faudrait conclure que
seules les institutions comme le Sénat sortiront grandies de l’épreuve, attendu qu’il n’en a point
existé (à notre connaissance) en Allemagne hitlérienne”8.
Aux côtés du directeur, “les jeunes sont représentés par un conseil de maison élu”9. Cette
1
Ibid.
2
Ibid.
3
Ibid.
4
J. Rous emploie indifféremment les deux appellations.
5
La Maison de Jeunes. L’instituteur devant être chargé essentiellement de “l’instruction”.
6
Ibid.
7
Ibid. p. 608.
8
Ibid. A ce sujet, Jean Rous est, un peu plus loin (p. 621), tout aussi clair et clairvoyant : “Nous
sommes devant ce terrible dilemme : ou bien l’État veut caporaliser les jeunes et dans ce cas, il leur
consacre quelques crédits, ou bien il est pour la liberté et laisse tomber la jeunesse”.
9
Ibid.
- 220 formule, torpillée selon Jean Rous par le paternalisme vichyssois, permet au jeune de faire
l’apprentissage de la République : “Les jeunes garçons et filles délibèrent de leurs propres affaires,
forment des équipes pour animer les services de la maison, contrôlent et critiquent leur propre
activité sous l’arbitrage amical du chef de maison”1.
Indépendamment de ce dispositif dont la fonction est essentiellement pédagogique, la Maison est
ordinairement gérée par une association déclarée selon la loi de 1901 ou un conseil de gestion qui
mobilisent “les élites et ressources locales et régionales”, assurent “l’intégration organique des corps
sociaux par les délégués de l’éducation (mouvements), des syndicats ouvriers, paysans, d’artisans,
de l’enseignement, des associations d’étudiants, des mutualités”. Ainsi par ce moyen, “la jeunesse
n’est point coupée de ses milieux naturels et cependant elle demeure libre dans ses maisons et
foyers de se gérer elle-même”2, d’autant que les usagers se trouvent représentés au conseil de
gestion et d’association par certains de leurs membres, délégués par les conseils de maison euxmêmes.
Cette collectivité morale qu’est la Maison des Jeunes doit-elle pour autant rassembler ses
usagers et responsables autour d’une doctrine déterminée ? La réponse est non. La doctrine de
quelque ordre qu’elle soit, politique, sociale, religieuse, est du ressort des mouvements et des partis.
La Maison des Jeunes “est par excellence le rond-point d’union, le havre de conciliation aux côtés
des remous de la bataille”3. Mais cela ne signifie cependant pas qu’un état d’esprit de neutralité soit
de rigueur. La maison doit se situer dans un certain climat, climat de justice et de liberté, favorable à
ce que Jean Rous appelle “la création institutionnelle”4, mais qu’il s’attache peu à définir sinon à la
situer par différence avec “l’ardeur militante du domaine spirituel ou politique5” des mouvements et
des partis.
Le moins que l’on puisse dire, c’est que “ce climat”, qui doit présider selon J. Rous au
développement et à l’action des Maisons des Jeunes, n’est pas tempéré, mais porteur de
changement voire de turbulences. Jugeons-en : “Il ne sera pas, en définitive, possible d’assister à un
puissant essor institutionnel dans un régime qui demeurerait, sous la coquille “démocratique”,
foncièrement capitaliste. Le style de l’Institution de Jeunes doit tendre à faire aimer et vouloir une
société débarrassée de l’exploitation de l’homme par l’homme et basée sur la propriété commune
des grands moyens de production. En l’espèce, ce “socialisme” ou syndicalisme ou coopératisme n’a
pas à se référer à une école particulière. Dans le domaine éducatif, il les faut admettre toutes, dans
1
Ibid.
2
Ibid.
3
La Maison de Jeunes, p. 610.
4
Ibid. p. 609.
5
Ibid.
- 221 leur libre compétition. Tirant positivement les leçons de l’expérience capitaliste et réactionnaire, il
faudrait surtout s’attacher à composer les personnes morales de nos institutions de représentants et
d’amis du progrès social et de la liberté. Les “patrons” tout désignés, aux côtés du monde de
l’éducation populaire, s’appellent CGT en coordination avec la CFTC, CGA, artisanat, mutualité.
Mieux que les proclamations abstraites, ces présences situeront l’orientation générale des maisons
et associations”1.
Les Maisons des Jeunes peuvent, avec cet état d’esprit, servir l’homme et son épanouissement,
respecter “l’éminente dignité de sa personne”2. Ainsi, un humanisme fondamental, transposant sur le
plan de la cité les valeurs dont se revendiquent aussi bien le socialisme que le christianisme, sera le
lien spirituel commun des Maisons”3.
Ce climat pour le moins engagé qui doit présider au développement des Maisons des Jeunes et à
leurs modes d’action, Jean Rous a l’occasion d’en préciser la portée historique plus loin, dans sa
comparaison entre mouvements et maisons. Rappelant que “la Maison est aux mouvements ce que
la Bourse du Travail est aux syndicats” et, par suite, qu’“elles ne sauraient être l’Institution d’un seul
mouvement, mais de tous”4, il donne la clé des rapports entre mouvements et maisons dans une
perspective socio-politique très précise : “Nous sommes entrés dans l’époque où les activités de
gestion doivent s’ajouter positivement aux activités purement propagandistes ou éducatives. Le
mouvement, quel qu’il soit, est dépassé par l’Institution. L’important, c’est que ce dépassement
s’accomplisse en conservant la liberté et la diversité des mouvements. Cette loi n’est d’ailleurs pas
particulière au domaine de la jeunesse. Le pluralisme parlementaire et libéral est partout dépassé.
Tout le problème est de savoir s’il le sera dans la voie progressive et civilisée d’un fédéralisme et
d’un associationnisme qui est (ce qui ne gâte rien) dans la stricte tradition française, ou si, sous une
forme nouvelle ou ancienne, nous ne serons pas à nouveau menacés par le totalitarisme. Pluralisme
fédéraliste ou totalitarisme, tel est le dilemme. C’est aux mouvements de comprendre le sens de
l’histoire”5.
La définition d’un grand destin promis aux Maisons des Jeunes conduit Jean Rous à préciser
certaines relations avec un certain nombre de structures et d’autres institutions. D’abord les
Auberges de Jeunesse, particulièrement chères à Léo Lagrange, avec lesquelles on pourrait les
1
Ibid. p. 610.
2
Ibid. p. 611 (entre guillemets dans le texte).
3
Ibid. On rencontre peu de texte ou de prise de position affirmant aussi fort l’engagement
pédagogique et, pourrions-nous dire faute d’un terme meilleur, “sociétal” des Maisons des Jeunes et
de la Culture, sinon le livre de J. Laurain (L’éducation populaire ou la vraie révolution - L’expérience
des MJC) qui, lui aussi, se réfère à un humanisme tentant de rassembler les valeurs du socialisme et
du christianisme pour en faire les lignes de force d’une pédagogie.
4
La Maison de Jeunes, p. 612.
5
Ibid.
- 222 confondre. L’Auberge est liée à la route et attachée à l’idée d’évasion ; la Maison des Jeunes est liée
à la cité et attachée à l’idée d’enracinement. Les qualités pour l’action ne sont pas les mêmes. Le
militant “ajiste” sera le plus souvent “un artiste en action, un idéaliste qui essaie de construire son
rêve d’une cité meilleure au-delà des taudis de la cité capitaliste, sensible à toutes les beautés mais
ayant plutôt tendance à fuir les laideurs qu’à les vaincre par le corps à corps de la lutte quotidienne”1.
Le chef de maison au contraire “doit être rompu à toutes les techniques de la vie civique et sociale. Il
doit être essentiellement un mainteneur ou un créateur d’institutions, un animateur de relations
sociales, de manière à faire de sa construction l’expression de la cité ; en un certain sens, sa qualité
dominante devra être le sens politique, ce mot étant débarrassé de son acceptation partisane [...]
C’est un animateur et un créateur d’institutions sédentaires avec ce que cela comporte de sens des
réalités”2.
C’est que les Maisons de Jeunes doivent “s’infléchir à l’existence des classes et milieux sociaux
divers [...] Expression du milieu local, la maison sera en même temps l’expression du milieu social
[...] Cette élévation au-dessus de l’horizon coutumier qu’implique la culture partira du lieu où le jeune
vit, travaille, agit, grandit. Si par une volonté vaine on voulait sauter par dessus la réalité, cette
dernière ne tarderait pas à prendre sa revanche”3. Et l’auteur de faire l’inventaire des différentes
sortes de maisons en fonction des milieux sociaux dominants (maisons ouvrières, paysannes,
étudiantes, maisons de petites villes accueillant des publics mélangés, qui, par des rassemblements
périodiques et le fédéralisme, peuvent favoriser la rencontre des jeunes de divers milieux.
Les Maisons de Jeunes doivent également permettre la rencontre entre jeunes de sexes
différents. Même si certaines activités ont plutôt un caractère masculin et d’autres un caractère
féminin, on favorisera la mixité. “Si on l’admet pour les Auberges qui impliquent la cohabitation, à
plus forte raison doit-on l’admettre pour les Maisons qui n’impliquent que la co-activité”4. La mixité
sera aussi “une des formes de l’apprentissage de la vie et de la préparation au mariage et à la vie
familiale. La Maison sera, dans le plein sens du mot “un lieu de rencontre” incomparablement plus
décent que les lieux clandestins ou improvisés. Elle contribuera même au renouvellement de la
morale, par delà l’hypocrisie organique et la pourriture du monde capitaliste”5.
Pas plus qu’on ne doit confondre ni opposer Maisons des Jeunes et Auberges de Jeunesse, on
n’opposera ni ne confondra école et Maisons des Jeunes. On a chargé l’école de l’instruction, ce qui
est sa raison d’être, mais aussi de l’éducation sans lui donner pour cette dernière tâche ni moyens ni
1
Ibid. p. 613.
2
La Maison de Jeunes.
3
Ibid. p. 616.
4
Ibid. p. 218.
5
Ibid.
- 223 doctrine. Seule la juxtaposition de la Maison des Jeunes et de l’école peut aider à résoudre le
problème de l’éducation nationale en France. En complément de l’école qui représente pour les
jeunes l’effort et la contrainte, la maison, “leur maison” sera pour eux un domaine de libre culture et
de loisir. Le chef de maison n’empiètera pas sur les attributions du maître d’école car il ne saurait
faire de sa maison une autre école, la collaboration entre les deux institutions pouvant trouver sa
plus grande efficacité dans le détachement des instituteurs et professeurs pendant leurs premières
années à la direction de maisons de jeunes.
Autres relations importantes à préciser : celles des Maisons des Jeunes et de l’Etat. La question
est difficile et les dangers nombreux. La tentation est grande pour l’Etat de régenter l’éducation d’une
manière autoritaire : “C’est la voie de la facilité, et c’est pourquoi elle n’est pas spéciale aux états
totalitaires”1. L’expérience récente de Vichy a clairement démontré qu’un étatisme tatillon est
contradictoire avec l’existence même des institutions de jeunes. Toutes les fois que les associations
gestionnaires usaient de leur liberté, elles entraient en conflit avec l’administration si bien qu’elle ne
pouvaient survivre “qu’en tant qu’appendices et instruments de l’Etat”2. Aujourd’hui, dans la liberté
retrouvée, on serait menacé du danger inverse. “L’Etat qui accepte volontiers de n’être que
conseiller, soutien et arbitre, a tendance à interpréter sa fonction dans le sens du laisser-faire alors
qu’il lui faudrait faire preuve de décision sur la base d’un plan rigoureux”3. Face à ces deux dangers,
autoritarisme ou laisser-faire de l’Etat, Jean Rous définit une attitude tout à fait prémonitoire de
l’histoire ultérieure des Maisons des Jeunes et de la Culture : “...quelles que soient les perspectives
d’avenir, ne nous lassons pas de lutter pour que les Maisons soient librement gérées par des
associations et non par l’Etat, ... que l’Etat lui-même ait un rôle efficace et de soutien. Nous
proposons non une opposition mais un équilibre. Et cet équilibre sera lui-même le produit d’une lutte
incessante”4.
Un des critères décisifs de l’engagement de l’Etat et de la Nation dans les oeuvres de jeunesse et
de liberté est la politique financière. “Après avoir engouffré des centaines de milliards pour des
oeuvres de mort et de barbarie, l’humanité s’avèrera-t-elle capable de sacrifier des dizaines de
milliards pour les oeuvres de vie et de civilisation ? Est-ce toujours le même problème qui se repose
tous les vingt ans ?”5. Et dès 1945, Jean Rous pousse un cri d’alarme : “Un des principaux critères
de la valeur de toute politique nouvelle sera : combien y a-t-il en France de milliers de Maisons et
auberges de jeunesse ? Malheureusement, à ce jour, en 1945, nous sommes obligés d’enregistrer
1
La Maison de Jeunes, p. 614.
2
Ibid. p. 615.
3
Ibid.
4
Ibid.
5
Ibid. p. 620.
- 224 que les moyens mis à la disposition des Maisons de Jeunes sont encore plus faibles que ceux
qu’octroyait Vichy (13 millions au lieu de 22 millions). Nous sommes devant ce terrible dilemme : ou
bien l’Etat veut caporaliser les jeunes, et dans ce cas, il leur consacre quelques crédits, ou bien il est
pour la liberté, et laisse tomber la jeunesse. N’y a-t-il pas place pour une audacieuse politique de la
jeunesse édifiant pour elle et avec elle des institutions de liberté ? Au départ, l’Etat doit faire le
principal et premier effort de lancement. Il doit doter (sans cesser de les contrôler) les associations
gestionnaires de moyens destinés à permettre la réalisation d’un plan de grande ampleur : mille
maisons de jeunes par an”1.
Un certain optimisme est cependant de rigueur. Indépendamment des critiques que l’on peut
adresser à l’expérience récente, il faut souligner que “l’orientation de principe n’a jamais été
meilleure”2. L’Etat a compris “du moins dans l’abstrait”3 que la jeunesse avait le droit de se gérer ellemême. L’initiative lyonnaise “La République des jeunes” étendue au niveau national a été habilitée
par la Direction de la Jeunesse et de l’Education populaire avec missions de développement et de
fédération des Maisons des Jeunes. “Dès maintenant, on peut voir qu’elles sont les lignes de force
d’un heureux destin”4 : l’abandon, dans le travail commun, des préoccupations partisanes,
l’articulation de la structure générale à partir des organismes représentatifs des milieux sociaux, la
création d’un type propre et nouveau de militant “sorte de mutuelliste de la jeunesse, sachant
équilibrer tous les apports dans une voie créatrice”5. Il ne fait aucun doute que si elle sait éviter les
écueils du paternalisme et du bureaucratisme passés, du sectarisme et de l’opportunisme toujours
possibles et avoir les concours qui lui sont dus, “la République des Jeunes sera dans quelques
années une des plus rayonnantes institutions populaires de la France”6. Ainsi pourra-t-on former un
“type d’homme nouveau”7 pour une société nouvelle, par là-même préparer la “révolution socialiste”,
seul remède à la contradiction permanente du régime social actuel et à l’exploitation de l’homme par
l’homme. “L’éducation doit préparer cette révolution pour que, le moment venu, elle ne soit pas
exposée à toutes défigurations et dégénérescences [...] A cet égard, le rôle de la Maison des Jeunes
est éminent et irremplaçable [...] dans la bienfaisante atmosphère de l’institution de jeunes,
l’humanisme et le socialisme seront donc conciliés en permanence. Et la reconstruction nationale
1
Ibid. p. 621.
2
La Maison de Jeunes, (p. 621). A preuve, en effet, les circulaires du 13 novembre 1944 et du 8 mai
1945 dont nous avons parlé plus haut.
3
Ibid.
4
Ibid. p. 622.
5
Ibid.
6
Ibid.
7
Ibid. p. 623.
- 225 ainsi que la révolution sociale trouveront dans la jeunesse ‘leur flamme la plus pure’ et leur plus
noble élan”1.
Même si l’analyse, souvent très engagée, de J. Rous est en partie à mettre au compte de ses
convictions personnelles et d’un certain climat du moment2 (en effet, rarement dans son histoire la
FFMJC reprendra les orientations de société très explicites dans ce texte), il n’empêche que ce
propos reste un document historique significatif à plusieurs titres : de l’espérance de la Libération en
une véritable politique de la jeunesse et de la culture tournant délibérément le dos au passé et
porteuse d’un avenir radieux, des enjeux de société dans lesquels seront prises les futures Maisons
des Jeunes et de la Culture, des difficultés, heurs et malheurs, y compris à très court terme,
auxquels la République des Jeunes et plus tard la FFMJC seront confrontées, et par là-même des
combats que leurs responsables militants et professionnels auront à livrer.
3 - Premières réalisations, premières difficultés
Si l’on en juge par les circulaires gouvernementales des 13 novembre 1944 et 8 mai 1945, et par
l’importance de leur mission définie par J. Rous, les Maisons des Jeunes sont promises à un destin à
la dimension du grand dessein de société porté par les hommes et les courants issus de la
Libération3. Mais qu’en est-il dans les faits de la réalisation du plan de grande ampleur (1.000
Maisons de Jeunes par an) dont rêvait Jean Rous ?
L’implantation progresse lentement : 62 Maisons des Jeunes en 1945, 76 en 19464, 77 en 19475,
dont certaines existaient déjà sous le gouvernement de Vichy6. Mais déjà, dès 1945, se dessine à
1
Ibid.
2
Rappelons l’influence que le seul parti communiste, sorti grandi des combats de la Libération,
exercera à ce moment-là et jusqu’à la fin des années 70 sur les élites de la culture, de la jeunesse et
de l’éducation populaire. S’agissant de Jean Rous nous n’avons cependant fait aucune recherche sur
ses possibles engagements politiques partisans.
3
A ce titre, on peut effectivement dire que les Maisons des Jeunes et de la Culture sont issues de la
Libération, ou du moins de l’esprit de la Libération et de la reconstruction nationale qui doit suivre.
4
Pour 1945 et 1946, la liste de ces Maisons est donnée par un document non signé, qui a pu être
réalisé par Albert Léger, alors délégué général, ou par un administrateur (le trésorier de la
République des Jeunes, par exemple), et non daté (vraisemblablement de décembre 1947 pour la
tenue de l’assemblée générale constitutive de la FFMJC). (Archives de la FFMJC).
5
Le chiffre est donné par André Philip en personne (discours prononcé à l’assemblée générale
constitutive de la FFMJC, Saint-Cloud, 15/1/48).
6
Il est difficile de comptabiliser, en l’état de nos recherches, les Maisons des Jeunes “de Vichy” qui,
après dissolution de l’association, ont été agréées par la Direction de la Jeunesse et de l’Éducation
populaire et se sont affiliées à la République des Jeunes puis à la FFMJC, d’autant que les
associations dissoutes par arrêté du 9 janvier 1945 étaient souvent des associations
départementales gérant plusieurs Maisons des Jeunes, et que la liste des années 45 et suivantes ne
concerne que des structures locales.
- 226 grands traits le futur paysage des Maisons des Jeunes et de la Culture : 24 maisons pour la seule
région Rhône-Alpes, dont 9 pour le département du Rhône ; 11 en Midi-Pyrénées ; viennent ensuite
4 en Languedoc-Roussillon et en Ile-de-France, 3 en Lorraine, Aquitaine, 2 en Basse-Normandie,
Poitou-Charentes et Nord-Pas-de-Calais, une enfin en Picardie, Champagne-Ardennes, Alsace,
Franche-Comté, Provence-Alpes-Côte-d’Azur, Bretagne et Pays-de-Loire, aucune pour les autres
régions. L’implantation un peu plus importante en 1946 s’explique en grande partie par la création de
quelques Maisons en Auvergne, dont 3 dans le Cantal, et par la montée en force du Tarn (16
maisons contre 3 seulement l’année précédente), certaines maisons ayant par ailleurs disparu.
L’ensemble institutionnel (Maisons des Jeunes et Fédération nationale) est doté d’un corps
professionnel de 71 personnes en 19471 : 9 attachés au centre fédéral (dont 4 délégués couvrant les
grandes régions d’implantation2), 36 directeurs salariés plus trois adjoints, et enfin 24 directeurs
différemment indemnisés (de 650 F à 4.000 F). Le corps professionnel des directeurs salariés est
d’une moyenne d’âge de 27 ans et 8 mois (le plus jeune a 22 ans et le plus âgé 41 ans). Le moins
que l’on puisse dire est qu’il est peu impliqué dans le boum démographique de l’après-guerre : 22
enfants seulement.
Cette progression lente de l’Institution s’explique en partie par la faiblesse des moyens d’Etat.
Alors qu’en 1945 la République des Jeunes semblait assurée d’une première subvention de 18
millions de francs et qu’elle étoffait le centre national de manière à lancer dans la Nation un
mouvement favorable aux Maisons de Jeunes, elles voyait sa dotation amputée de 4 millions de
francs et subissait un retard important dans le versement (19 millions en septembre 1945 et 5
millions le 5 mars de l’année suivante). Ainsi, “dès le début, cette contradiction entre les prévisions et
la réalité mettait les premières maisons de la République des Jeunes dans une situation
extrêmement difficile”3.
L’exercice 1946 ne fut pas plus gai. Après avoir envisagé une subvention probable de 30 millions
de francs en janvier, ensuite de 15 millions, celle-ci fut fixée officiellement à 10 millions pour être, en
définitive, réduite à 7 millions de francs. 15 Maisons, dites de “valeur contestable”4, furent
abandonnées ou fermées ; les associations départementales furent averties de ne plus compter sur
les subventions fédérales ; le centre national fut ramené de 32 personnes à 16. Le personnel ne
recevait pas les augmentations de salaires légales (plus d’un million de francs) et les maisons étaient
endettées pour une somme totale de 6.300.000 F. Grâce aux interventions du président de la
République des Jeunes et à celles du syndicat du personnel soutenu par le SNI, la FEN et le
1
Propositions du conseil d’administration national du 22/10/47 et décision de la Direction des
Mouvements de Jeunesse et d’Éducation populaire du 20/11/47 (Archives FFMJC).
2
Sud-Est, Sud-Ouest, Nord-Est, plus la Région parisienne.
3
Document non signé et non daté (Archives FFMJC), cité p. 368, note 2.
4
Ibid.
- 227 représentant de la CGT au conseil d’administration, un crédit supplémentaire de 4.800.000 F fut
obtenu au Parlement, et la catastrophe évitée.
Au début de 1947, la situation semblait s’améliorer, la Direction des Mouvements de Jeunesse et
d’Education populaire ayant l’assurance d’une subvention de 20 millions pour frais de
fonctionnement et de 15 millions pour frais de premier aménagement des maisons nouvellement
créées. Malheureusement le Parlement n’ayant voté le budget qu’en juillet, les subventions
n’arrivèrent qu’au compte-goutte, si bien qu’en novembre, la fédération n’avait reçu, en tranches
successives, que 16 millions dont 13.450.000 dus pour l’exercice précédent. Seuls, deux prêts d’un
million de francs, consentis par le service de liquidation des anciennes Maisons de Jeunes,
permirent d’échapper de justesse à la faillite. Une fois de plus le personnel se sacrifia, qui ne toucha
son traitement de juin que fin juillet, attendit jusqu’au 2 juin 1947 son rappel d’augmentation légale de
25% pour 1946 et jusqu’au 26 novembre 1947 celui de 19471.
Les difficultés financières répétées du jeune ensemble institutionnel conduit les responsables à
faire certaines analyses et propositions dans la perspective de l’assemblée générale constitutive de
la FFMJC. En effet, “ce n’est pas dans une perpétuelle incertitude du lendemain qu’un travail éducatif
de longue haleine et l’expression souhaitable de notre oeuvre pourront se faire”2. Et de rappeler les
engagements pris : “si la culture populaire est essentielle au relèvement de la France comme le
proclament les représentants du Parlement et Gouvernement, et si, comme l’indique le préambule de
la Constitution, ‘la nation garantit l’égal accès de l’enfant et de l’adulte à l’instruction, la formation
professionnelle et la culture’, il est juste et nécessaire que l’Etat finance une oeuvre comme la
nôtre”3. Force est en effet de constater qu’en 1947, si la subvention d’Etat est redevenue
globalement la même qu’en 1945, les dépenses essentielles ont été multipliées par le coefficient
2,66. Ainsi, aux 18 millions de 1945 devraient correspondre 45 millions en 1948, et “si l’on estime
qu’une expérience comme la nôtre peut s’étendre, c’est une centaine de millions qu’il serait
raisonnable d’obtenir ...”4.
Les responsables fédéraux admettent cependant qu’il ne faut pas compter sur la seule aide de
l’Etat et que les maisons “doivent d’abord être soutenues par leurs usagers et trouver des ressources
locales”5. Du reste, communes et départements sont invités par la circulaire ministérielle du 30 mai
1947 à participer au financement des Maisons des Jeunes et de la Culture. L’expérience montre par
1
Une lettre d’un directeur, au nom de ses camarades, adressée au délégué général fait clairement état
de leurs réelles motivations, mais aussi des conditions de travail catastrophiques et de l’insécurité
salariale qu’ils connaissent.
2
Document cité p. 368, note 2.
3
Ibid.
4
Ibid.
5
Ibid.
- 228 ailleurs que les maisons implantées artificiellement, ne vivant que de subventions nationales,
échouent et disparaissent (Besançon, St-Germain, Figeac, Albi… ). L’effort local, encore inégal mais
jugé “en nette progression”, est donc significatif de l’enracinement de la maison et de sa vitalité, à
condition que ses responsables veillent à prouver, chiffres en mains, cette vitalité1, et à administrer
l’association “avec la même vigoureuse exactitude que nos établissements d’enseignement public et
donner aux fonctionnaires qui les contrôlent la garantie d’une gestion irréprochable”2.
Mais les difficultés de la République des Jeunes ne sont pas uniquement financières. Dès le
début 1945, elle connait des dissensions puis une crise grave. C’est que les représentants de
nombreux mouvements qui la composent ont marqué d’emblée leur scepticisme à la fois sur les
objectifs et sur l’organisation. L’Union de la Jeunesse Républicaine de France sera assez
rapidement hostile à une organisation nationale des Maisons des Jeunes perçue comme
concurrente de la Direction des Mouvements de Jeunesse et d’Education populaire, suivie en cela
par une partie des inspecteurs de la Direction dont certains sont très liés à la Ligue de
l’Enseignement3. De son côté, l’Action Catholique de la Jeunesse Française, qui se retirera, est en
désaccord sur les modalités d’intervention des Maisons des Jeunes très différente du principe
d’intervention par milieux sociaux (ouvriers, agriculteurs, étudiants) qu’elle défend4.
Quant à la Ligue de l’Enseignement et au Syndicat National des Instituteurs, le désaccord
s’établit, officiellement du moins, sur la question de la laï cité, mais aussi sur l’avenir de l’éducation
nationale, sujet sur lequel ces organisations ont quelques raisons récentes d’avoir des griefs à
l’encontre d’André Philip lui-même. Elles considèrent que ce dernier soutient le confessionnalisme.
C’est qu’en effet, André Philip, en tant que président de la commission d’étude du problème des
rapports entre l’enseignement public et l’enseignement privé (novembre 1944, février 1945), s’est
opposé aux thèses de la Ligue de l’Enseignement et du SNI, et a soutenu le ministre démocratechrétien René Capitant, attitude qui correspond, comme le rappelle très justement Claude Paquin, “à
ses convictions de toujours”, déjà exprimées dans des débats internes à la SFIO en 19295.
Le SNI quittera la République des Jeunes. Dans sa lettre de démission du 8 mars 1946, “le SNI
1
“Certains conseil d’administration croient en effet fort habile de dissimuler leurs ressources et de
faire à appel à la pitié plutôt qu’à l’estime. C’est une erreur grave” (ibid.).
2
Document cité p. 368, note 2.
3
Claude Paquin (Cahiers de l’animation n° 47, op. cit., p. 93) cite notamment un certain Pierre Arents.
Cette attitude, très tôt acquise, des cadres de l’administration, marquera longtemps leur attitude de
méfiance vis à vis de l’encadrement de la FFMJC, des délégué régionaux notamment, perçus comme
un danger pour leur position qu’ils veulent dominante dans le secteur de la jeunesse et de
l’éducation populaire, et ce, même si la circulaire du 30/11/46 fait des inspecteurs de la Jeunesse
des membres de droit des associations régionales et départementales des Maisons des Jeunes.
4
Ce n’est pas totalement vrai si l’on se réfère à Jean Rous, qui défend le principe de Maisons en phase
avec les milieux sociaux dominants (étudiants, ouvriers, paysans). Mais il est vrai que l’objectif final
des Maisons des Jeunes est la rencontre de toutes les jeunesses.
5
Selon Georges Lefranc, Le mouvement socialiste sous la IIIe République (1875-1940), Payot, 1963.
- 229 regrette que le rapport du délégué général [il s’agit d’A. Léger] établisse une confusion regrettable
entre les notions de “neutralité” et de “laï cité”. Pour le SNI, la laï cité implique la neutralité
confessionnelle mais exige une prise de position hardiment républicaine. Il n’apparait pas qu’il soit
dans les projets de la Fédération des Maisons de Jeunes de développer dans les maisons l’esprit
républicain, l’amour de la liberté, la pratique du rationalisme”1. André Philip opposera la notion de
“laï cité ouverte”2, attitude décrite de la manière suivante :
“Nous prévoyons dans nos programmes une formation civique résolument républicaine en
faisant pratiquer la démocratie par les activités et dans l’organisation des maisons et une
formation objective sur les problèmes sociaux, politiques et moraux qui sont posés à notre
époque”3.
La Ligue de l’Enseignement ne tardera pas à emboîter le pas au SNI. La raison invoquée est
également un conception différente de la laï cité. Ce n’est sans doute pas la raison principale, mais
bien plutôt une grande méfiance à l’endroit de la concurrence possible des Maisons des Jeunes, de
leur projet et leur organisation nationale. C’est que déjà la Ligue de l’Enseignement n’entend pas être
traitée comme n’importe quel autre mouvement : “Nous ne sommes pas une famille spirituelle parmi
d’autres familles spirituelles, une tendance idéologique parmi d’autres tendances idéologiques : nous
représentons, au dessus de toutes les diversités d’opinion, l’unité de la République”4. Ce n’est sans
doute pas une hasard si le général de Gaulle honore de sa présence le 56ème congrès de la Ligue
de l’Enseignement (25-29 novembre 1945) où il dira “qu’elle a reparu tout naturellement avec la
République”5. Les associations affiliées à la Ligue sont dispensées de l’avis du Conseil de la
Jeunesse pour obtenir l’agrément et le mouvement bénéficie de personnels mis à disposition par
l’Etat (plus de 200). La Ligue de l’Enseignement tient par dessus tout à son monopole sur le secteur
du périscolaire que “nul ne songe au fond à disputer sérieusement aux laï ques”6 sauf peut-être les
Maisons des Jeunes qui sont souvent présentées comme l’auxiliaire et le prolongement de l’école7. A
ce titre, la délibération du Bureau de la Ligue du 26 juin 1946 est sans équivoque : “Les documents
1
Cité par Jean-Paul Martin, L’univers laï que face aux remaniements de la tradition républicaine dans
les Cahiers de l’animation n° 57-58, note n° 18, p. 53.
2
Dans certains textes, on trouve le terme de “laï cité active”, ce qui signifie comme pour la “laï cité
ouverte” qu’il faut favoriser, dans l’acte éducatif, la confrontation de toutes les opinions. La Ligue
de l’Enseignement, quant à elle, défend une laï cité dite républicaine souvent anticléricale avant d’en
arriver très récemment à la notion de “laï cité plurielle”.
3
Réponse au SNI en date du 21 mars 1946.
4
L’action laï que n° 90 (février 1947).
5
Cité par Bruno Jung, Cahiers de l’animation n° 57-58, p. 23. Précisons que la FFMJC ne se verra
jamais honorée de la présence d’un chef de l’État...
6
Jean-Paul Martin (op. cit.).
7
Circulaires des 13/11/44 et 8/5/45, textes de Jean Rous (op. cit.).
- 230 laissés par M. Léger tendent à montrer que les Maisons des Jeunes veulent prendre en main la
formation culturelle de la jeunesse. C’est là une tâche que la Ligue a entreprise depuis de longues
années et qui est sa raison même de vivre. Toute collaboration avec les Maisons de Jeunes ne peut
se faire qu’en posant très nettement ce principe et en réservant à leur fédération le rôle d’organisme
technique [... Aussi la ligue ne pourrait continuer sa collaboration avec elle...] qu’à condition qu’elle
se cantonne dans un rôle technique et nous laisse celui de grouper les usagers”1. Autrement dit, aux
responsables des Maisons des Jeunes la gestion et l’entretien des locaux, et la pédagogie à la Ligue
de l’Enseignement !
Les Maisons des Jeunes et leur organe fédératif entendaient bien regrouper et soutenir tous les
mouvements mais ne voulaient porter les valises, même pédagogiques, d’aucun, fut-ce de la Ligue
de l’Enseignement avec laquelle la FFMJC cherchera cependant à resserrer les liens2. Mais pour
l’heure, compte tenu de toutes ces dissidences d’importance, la République des Jeunes est bien mal
en point3, si mal que son président A. Philip est amené à dire “que c’est le principe même de
l’existence de la République des Jeunes qui est mis en cause ainsi que celui de la structure des
Maisons des Jeunes susceptibles de se fédérer”4. Jusqu’au représentant du Centre Protestant de la
Jeunesse et des Eclaireurs Unionistes, proches d’André Philip et soutiens de la première heure, qui
déclarera que “si d’ici trois ou quatre mois les buts de l’organisation et de la Direction n’ont pas
acquis une stabilité plus grande”, il se retirera, “ne voulant pas participer aux querelles et aux
rivalités mesquines dont toutes les institutions de jeunesse en France sont actuellement l’objet”5.
Ne rassemblant plus les mouvements et institutions de jeunesse qu’elle avait pour mission, par
l’intermédiaire des maisons, de soutenir et au niveau national de fédérer, la République des Jeunes
n’a plus de raison d’être, sinon à se transformer radicalement pour ne devenir, peut-être, qu’une
institution de jeunesse par d’autres. La crise va être dénouée et des perspectives nouvelles définies,
en partie, grâce à la nomination au poste de délégué général d’Albert Léger en janvier 1946.
1
Cité par Jean-Paul Martin : “L’univers laï que face aux remaniements de la tradition républicaine” dans
les Cahiers de l’animation n° 57-58, note n° 18, p. 54.
2
Notamment dans les années 50, comme l’attestent les archives de la FFMJC.
3
Paul Jansen signale dans plusieurs textes (Éléments pour une histoire de l’éducation populaire, par
exemple) qu’un certain nombre de jeunes et de responsables venus des Auberges de Jeunesse
étaient des trotskistes, ce qui ne facilitait pas les relations avec certaines organisations. D’autre
part, P. Jansen raconte avoir été “choqué par leur attitude très désinvolte, par leurs propos, car
nous étions quand même un peu bourgeois” (ibid. p. 52).
4
Cité par Claude Paquin : De la République des Jeunes à la FFMJC, Cahiers de l’animation n° 57-58, p.
233.
5
Lettre de janvier 1946, citée également par Claude Paquin (ibid. p. 233).
- 231 4 - La FFMJC, quand même
Albert Léger, inspecteur principal de la Jeunesse et des Sports mis à disposition en quelque sorte
par Albert Châtelet, successeur de Jean Guéhenno à la Direction des Mouvements de Jeunesse et
d’Education populaire, prend donc ses fonctions le 6 janvier 1946.
Le conseil d’administration de la République des Jeunes entérine cette mise à disposition le 7
janvier 1946 dans une réunion qui rassemble encore les représentants des principales organisations
constitutives de la Fédération nationale des Maisons des Jeunes : CGT, ACJF, Ligue de
l’Enseignement, Eclaireurs de France, SNI, CGA, Scouts, UJRF, Auberges de Jeunesse. Sont
présents également André Philip, M. Cortat, représentant M. Châtelet, MM. Lecuyer et Vendroux,
intérimaires en attendant l’arrivée du délégué général. Guy de Boisson, secrétaire des Fédérations
Unies de la Jeunesse Patriotique (FUJP), qui aurait déclenché les négociations aboutissant à la
désignation d’A. Léger comme délégué général1, est absent.
Quelle est la mission de celui que les anciens de la FFMJC appellent encore dans un mélange de
nostalgie et d’affection le “petit père Léger” ? Une idée couramment admise à la FFMJC veut qu’il ait
été nommé par l’administration d’Etat pour “liquider” la République des Jeunes, et à sa suite les
Maison des Jeunes. Selon le témoignage de l’intéressé lui-même, la mission qui doit être décisive
pour l’avenir des Maisons des Jeunes ne présente pas le caractère impératif de liquidation qu’on
tend à lui attribuer. L’entretien entre André Basdevant, Directeur-adjoint des Mouvements de
Jeunesse et d’Education populaire, et Albert Léger avant sa prise de fonctions, en témoigne :
“- Tu as tous les pouvoirs. Tout, c’est tout.
- Bien, ce sont les instructions officielles. Mais de toi à moi : que me conseilles-tu ?
- Eh bien, liquide ! C’est la pétaudière et tout le monde t’approuvera. C’est dommage car les
principes étaient excellents ; si tu trouvais quelque chose digne d’être conservé, alors essaie ;
il y a peut-être une grande chose à faire”2.
Les pouvoirs confiés à Albert Léger sont effectivement importants, et l’avenir de l’Institution est
sans doute à ce moment-là entre ses seules mains. C’est qu’André Philip est momentanément dans
l’impasse et conduit à accepter l’arbitrage de l’Etat pouvant découler de la mission d’A. Léger. Il
participera certes à quelques réunions de directeurs et de la commission consultative, mais sa
situation de Ministre des Finances3 et de responsable politique, qui pouvait être gênante dans sa
défense des Maisons des Jeunes, le conduisit à faire largement confiance à Albert Léger.
Même si ses premières propositions peuvent présenter un aspect liquidateur (mais pouvait-il faire
1
Selon Albert Léger en personne (Réponses à J.-C. Leroyer le 2/06/91, Ronéo, 16 pages).
2
Toujours selon Albert Léger lui-même (op. cit.).
3
A. Philip fut en effet Ministre de l’Économie et des Finances (Gouvernements Gouin janvier-juin 1946
et Blum décembre 46-janvier 47) et Ministre de l’Économie nationale (Gouvernement Ramadier
janvier-mai 1947).
- 232 autrement ?), Albert Léger choisir d’assainir la situation et de reconstruire. Dès le 14 janvier 1946,
dans une lettre adressée au Directeur des Mouvements de Jeunesse et d’Education populaire, il
formule des demandes, propose de prendre des mesures radicales qui devraient favoriser les
“réformes qui s’imposent”1. D’abord il faut que les subventions d’Etat prévues pour l’exercice 1945
soient enfin versées. Sur les 18 millions de francs initialement prévus, 9 millions ont été
effectivement versés, 4 millions ont été virés aux Foyers Ruraux et 5 millions sont attendus. Albert
Léger demande que le contrôleur des dépenses qui, “en raison de la mauvaise administration de
l’équipe dirigeant la République des Jeunes n’a pu autoriser jusqu’ici ce versement”, soit désormais
invité à le faire. Cela permettrait de payer l’arriéré des dépenses engagées et d’assurer le
fonctionnement de la République des Jeunes en attendant le versement de la première subvention
prévue au titre de l’exercice 1946.
D’autre part, le processus de réforme et de restructuration est en route. Sur proposition de la
Direction des mouvements de Jeunesse et d’Education populaire, le conseil d’administration fédéral
a désigné Albert Léger comme délégué général, ce qui assure dorénavant une participation
constante de cette Direction à l’administration de la République des Jeunes, et un comité directeur
de quatre membres a été chargé d’étudier de près les réformes nécessaires. Mais, plus important
encore, A. Léger propose de prendre un certain nombre de mesures draconiennes :
- Le renvoi “en bloc de l’équipe dirigeante dont la faillite est patente et [son remplacement]
par une équipe restreinte et composée de personnes de valeur”2.
- La suppression du service “contentieux” de la République des Jeunes. “Les questions qu’il
a à examiner ne justifient pas le traitement d’un docteur en droit, d’où une économie de 118.220 F.
Toutes questions seront soumises au service compétent de la Direction des Mouvements de
Jeunesse et d’Education populaire, ce qui permettra un contrôle plus effectif de l’Etat sur notre
gestion”3.
- La suppression du service de propagande “pour raison d’économie (123.000F) et parce
que c’est avec des réalisations et non par des discours ou des papiers que j’entends faire ma
propagande”4.
- La suppression du service de formation des cadres. “J’ai l’intention de recruter désormais
des directeurs de Maisons des Jeunes et leurs assistants parmi les éducateurs déjà éprouvés
1
Lettre du 14 janvier 1946 (documents communiqués par P. Jansen).
2
Lettre du 14 janvier 1946. En réponse à Jean-Claude Leroyer (Histoire et sociologie de la FFMJC ....
p. 56) qui l’affuble du qualificatif de dictateur, A. Léger répond qu’il n’a “qu’une seule pièce à son
tableau, Lécuyer”, délégué administratif, qu’il a licencié. “Les autres, conscients de leur faillite
étaient déjà partis ou sont partis d’eux-mêmes” (Réponse à J.-C. Leroyer).
3
Lettre du 14 janvier 1946.
4
Lettre du 14 janvier 1946.
- 233 (instituteurs et chefs de mouvements de jeunesse), de les former par des stages dans les meilleures
Maisons de Jeunes et par des stages d’information que je dirigerai avec mes adjoints et pour
lesquels je ferai appel à la Direction des Mouvements de Jeunesse et d’Education populaire, ainsi
qu’aux mouvements et institutions de jeunesse plus compétents que nous en certaines activités et à
qui la République des Jeunes ne doit plus avoir la prétention de se substituer”1.
- La suppression du service de “liaisons-Province” composé d’un chef de service, de cinq
inspecteurs nationaux et de quatre inspecteurs régionaux. Ces inspecteurs, dit A. Léger, font double,
voire triple emploi. “Le service sera assuré dorénavant par les inspecteurs de la Direction des
Mouvements de Jeunesse et d’Education populaire”2.
- La réduction du nombre des dactylos, du montant des frais de service, notamment de
déplacements.
Par contre, il a l’intention de recruter trois ou quatre adjoints à qui il proposera “des traitements
comparables à ceux des inspecteurs des Mouvements de Jeunesse et d’Education populaire [et
d’augmenter les salaires] du personnel conservé, à compter du 1er janvier 1946”3.
Grâce à ces mesures, “il est raisonnable d’envisager en définitive une réduction d’environ 50% de
la somme actuellement dépensée [et] d’effectuer une administration rigoureuse et à l’échelon
national et dans chaque Maison de Jeunes”4.
La portée de ces nouvelles dispositions est importante à court et à plus long terme. La tutelle de
l’Etat, sa capacité d’arbitrage, arrivent en force dans une Institution jeune et affaiblie par ses
dissensions internes et, semble-t-il, selon A. Léger du moins, par la faillite de son équipe dirigeante5.
La Direction des Mouvements de Jeunesse et de l’Education populaire reprend du poids : contrôle
de la gestion, service “liaisons-Province” confié aux inspecteurs de la Direction. La formation initiale
des cadres est abandonnée et il faudra attendre les années 60, moment de développement
important des MJC et de l’emploi de directeurs, pour que la FFMJC se lance dans une politique de
formation audacieuse. Enfin les prétentions de la République des Jeunes par rapport aux autres
organisations de jeunesse sont réduites.
Cependant le recrutement de trois ou quatre adjoints, l’augmentation des salaires, la
recentralisation nationale de la République des Jeunes et le souci de clarté dans la gestion attestent
de cette volonté de reconstruction et de développement, qui passe également par la mise à l’étude
1
Ibid.
2
Ibid.
3
Ibid.
4
Ibid.
5
A. Léger vise, semble-t-il, uniquement les cadres administratifs permanents, et non les responsables
des organisations et mouvements de jeunesse qui composent le conseil d’administration de la
République des Jeunes, ni bien sûr les directeurs et directrices des Maisons des Jeunes.
- 234 des statuts et règlement définitifs - sinon cohérents et précis - des Maisons des Jeunes, des
fédérations départementales, de la Fédération nationale et des directeurs.
En effet, pendant les années 46 et 47, on élaborera les statuts-types d’une Maison des Jeunes et
de la Culture, d’une fédération départementale, de la FFMJC, le règlement intérieur de ces trois
structures ainsi que les statuts des directeurs de MJC, autant de textes qui seront, après approbation
ministérielle, adoptés par l’assemblée générale constitutive de la Fédération Française des Maisons
des Jeunes et de la Culture, réunie à Saint-Cloud le 15 janvier 1948.
Même si le vocable de “maison des jeunes” ou de “maison de jeunes” reste, et pour longtemps1,
couramment employé, il est à remarquer que ces statuts, règlements et textes fondamentaux2
concernent des structures appelées désormais Maisons des Jeunes et de la Culture. Pourquoi donc
l’ajout du mot “culture” au vocable “maison des jeunes” qui conduit à l’assemblage hétéroclite d’un
lieu, d’une génération et d’un concept complexe et sujet à multiples interprétations ?3
On peut avancer plusieurs explications, des plus simples aux plus sophistiquées, qui ne sont pas
exclusives les unes des autres. Il s’agit sans doute de se démarquer, un peu plus et définitivement,
des Maisons des Jeunes de Vichy en définissant les statuts et règlements de structures locales et
fédérales concernant désormais des Maisons des Jeunes et de la Culture. Il y a aussi une autre
explication plus simple : on n’a pas trouvé une appellation meilleure que Maisons des Jeunes et de
la Culture pour dire que ces structures ne devaient pas être réservées au jeunes, mais aussi
ouvertes à tous. On a finalement inventé “MJC” pour ne pas employer “Maison Pour Tous”4. Mais ce
qui est sans doute plus déterminant, c’est le contexte de l’époque. Le décret du 18 août 1945 portant
organisation de la Direction Générale de l’Enseignement prévoit de “promouvoir dans toute la Nation
la pensée, la culture et la conscience”5 et le préambule de la Constitution de 1946 dit que “la Nation
garantit l’égal accès de l’enfant et de l’adulte à l’instruction, à la formation professionnelle et à la
culture”6. De son côté, la commission ministérielle, dite Langevin-Wallon, préconise que “l’éducation
populaire [qu’il s’agit de promouvoir] n’est pas seulement l’éducation pour tous [mais] la possibilité
1
Encore aujourd’hui, dans le langage courant de nombreux usagers, partenaires, et même
responsables, on entend toujours parler de la “M.J.”.
2
Ces documents, longtemps utilisés, sont rassemblés dans une brochure d’une quarantaine de pages
et constitueront pour de longues années la “bible des MJC”.
3
Le “logo” lui-même, qui apparaît, semble-t-il, à ce moment-là, pourrait donner libre cours à une
importante production de sens : le M de Maison, auquel on a ajouté la toiture abrite les Jeunes (J)
tandis que le C, parcouru de vagues, englobe, de manière ouverte et orientée, le tout, et donne à
l’ensemble une forme d’oeil.
4
C’est l’interprétation de Lucien Trichaud, futur délégué général (entretiens). Rappelons qu’au congrès
de la FFMJC de Metz (1975), on décidera d’employer désormais le vocable de Maison Pour Tous
(MPT).
5
Ce texte fait partie des fameux “Statuts règlements et textes fondamentaux” de la FFMJC.
6
Également dans Statuts règlements et textes fondamentaux.
- 235 pour tous de poursuivre, au-delà de l’école et durant toute leur existence, le développement de leur
culture intellectuelle, esthétique, professionnelle, civique et morale”1. Dans un tel contexte, le vocable
de Maison des Jeunes parait en effet bien inapproprié d’autant que ces structures se donnent pour
mission la prise de conscience, la responsabilité et le développement de la démocratie, et que
l’appellation de MJC, même si elle n’est pas totalement satisfaisante, peut à la fois dire, “maison de
la culture”, “maison de la jeune France”, “foyer de la Nation”, “maison des jeunes”2 et finalement
“maison pour tous” “où les hommes ne cesseraient plus d’aller, sûrs d’y trouver un cinéma, des
spectacles, une bibliothèque, des journaux, des revues, des livres, de la joie et de la lumière”3.
C’est bien l’ensemble de ces projets assortis de principes d’action que reprennent, dans leurs
statuts et règlements, les Maisons des Jeunes et de la Culture rassemblées à Saint-Cloud en janvier
1948. Les statuts des MJC font état des multiples services et activités proposés “à la population et en
particulier à la jeunesse”4 : accueil (salles de réunion, restaurant, bar, hébergements...), activités
récréatives et éducatives (éducation physique, formation familiale, formation pratique, culturelle,
intellectuelle et artistique, formation et information civiques, économiques et sociales. Si “la MJC est
également ouverte à tous : individus isolés, mouvements de jeunesse, sociétés et institutions
d’éducation populaire [...] dans le respect des convictions individuelles et dans l’indépendance à
l’égard des partis politiques et des groupements confessionnels”5, il est bien précisé que “toute
propagande politique ou religieuse est interdite à l’intérieur de la maison”6. Ce que l’on appellera la
cogestion entre les différents partenaires (membres de doit, associés, représentants des personnels)
et usagers majoritaires au niveau des MJC, entre les différents partenaires et MJC affiliées au niveau
fédéral, est institutionnalisé. Le conseil d’administration de la Fédération Française “nomme avec
l’approbation du gouvernement aux emplois de délégué général, délégués et délégués-adjoints de la
Fédération Française et, avec en plus l’accord des conseils d’administration respectifs des Maisons
des Jeunes et de la Culture, à ceux de directeur, directrices, adjoints et adjointes des Maisons des
Jeunes et de la Culture”7.
Le règlement intérieur apporte des précisions sur les principes, les objectifs et les missions de
1
Texte rappelé également dans les documents de référence : L’espérance contrariée - Éducation
populaire et jeunesse à la Libération (1944-1947).
2
Autant de termes employés, rappelons-le, dans la circulaire du 13 novembre 1944.
3
Ibid.
4
Article 2 (Statuts règlements et textes fondamentaux, p. 11).
5
Article 3 (Statuts règlements et textes fondamentaux).
6
Article 4 (ibid.). Cet article est considérablement plus rigoureux et strict que l’article 5 actuellement
en vigueur : “La MJC est laï que, c’est à dire respectueuse des convictions personnelles. Elle
s’interdit toute attache avec un parti ou une confession”.
7
Statuts .de la FFMJC, article 13 (ibid., p. 25) approuvé par le décret ministériel n° 48-764 du 24 avril
1948.
- 236 chaque niveau fédéral. Il est rappelé que “la Constitution dans son préambule garantit l’égal accès
de tous à la culture [et que] avec l’aide et sous le contrôle du Ministère de l’Education nationale,
s’inspirant de l’idéal démocratique et social de la IVe République, les Maisons des Jeunes et de la
Culture groupées en fédérations départementales et en Fédération Française, ont pour mission de
diffuser la culture dans toute la Nation...”1. Il s’agit de laisser à chaque association et à chaque
individu, les jeunes notamment, “le maximum d’initiative et de liberté [et de] donner à l’Institution tout
entière le maximum d’efficacité éducative”2. La pédagogie s’appuie essentiellement sur l’organisation
des usagers eux-mêmes en activités, selon leurs goûts, si bien que la formation s’opère par
l’exercice même des responsabilités. Les fédérations départementales, échelons non administratifs
et facultatifs, doivent jouer un rôle de “patronage”, de “liaison”, de “développement”, de
représentation et de défense “des intérêts communs des Maisons”3. La Fédération Française, elle,
est investie de missions importantes : représentation et défense des intérêts communs des Maisons
et des fédérations départementales, préparation du budget général qu’elle soumet au Ministère de
l’Education nationale, élaboration des méthodes qu’elle diffuse et fait appliquer, recrutement,
formation et suivi des directeurs, directrices et adjoints. Tout en visant “non à imposer ses décisions
mais à dégager des expériences particulières, les enseignements valables pour tous, [...] son but
essentiel est [...] de grouper tous les responsables des conseils de maison [...] en une équipe
fraternelle et enthousiaste, résolue à offrir au Peuple entier la possibilité d’accéder à toute la culture
à laquelle il a droit”4.
Autre avancée d’importance : la définition, la détermination des attributions et des règles de
gestion des directeurs de MJC, pièces maîtresses de l’ensemble institutionnel. Les directeurs ou
directrices de MJC ont d’abord des attributions éducatives et d’animation : “Les connaissances, la
pratique pédagogique active et le sens des contacts humains [les] rendent aptes à maintenir, et au
besoin à créer, l’esprit de liberté, de tolérance politique et religieuse, de fraternité sociale et
d’enrichissement mutuel qui doit être la caractéristique des maisons agréées par la FFMJC”5. Le
conseil de maison dont il doit favoriser le fonctionnement démocratique efficace, “examiner,
approuver, corriger ou rejeter [… ] les plans d’activités [… ] les projets d’avenir, les enseignements”6,
est l’outil pédagogique primordial du directeur. Ce dernier remplit également des missions
1
Statuts, règlements et textes fondamentaux, Règlement intérieur, article 1, p. 29.
2
Ibid. p. 29.
3
Ibid. p. 30.
4
Statuts, règlements et textes fondamentaux, Règlement intérieur, article 1, p. 30.
5
Statuts, règlements et textes fondamentaux, Statuts des directeurs des Maisons des Jeunes et de la
Culture (p. 33).
6
Ibid.
- 237 administratives et d’organisation qui le rendent “capable de créer et de gérer l’institution la plus
adaptée aux besoins des jeunes”1. Cela passe évidemment par des activités plus terre à terre :
application des décisions administratives de l’association, information, gestion, comptabilité, entretien
des locaux, sécurité… Enfin, les directeurs accèdent à un véritable statut professionnel et salarial. Le
conseil d’administration fédéral du 24 mai 1947 admet le principe de l’assimilation de la fonction de
directeur de MJC à celle d’instituteur chargé de la direction d’un cours complémentaire. Les
conditions d’embauche, de changement de poste, de rupture de contrat, et éventuellement de
reclassement professionnel, sont précisées.
La circulaire ministérielle du 4 juillet 1947, tout en définissant le rôle de l’Etat, de la Direction des
Mouvements de Jeunesse et de l’Education populaire et de ses fonctionnaires, apporte son crédit à
la future Fédération Française des Maisons des Jeunes et de la Culture. Se référant à la circulaire
du 13 novembre 1944, prévoyant que se crée dans chaque ville et village une Maison où les
hommes ne cesseraient plus d’aller ... et que cette maison soit en même temps le point d’appui des
organisations de jeunesse, la circulaire du 4 juillet 1947 précise que c’est cette double mission que
s’est efforcée de réaliser la Fédération Française des Maisons des Jeunes et de la Culture, dont les
nouveaux statuts sont désormais communiqués aux inspecteurs de la Jeunesse et de l’Education
populaire. Il est notifié que ceux-ci sont “statutairement membres de droit avec voix délibérative des
conseils d’administration des Maisons des Jeunes et des fédérations départementales”2 et qu’ils sont
investis d’une triple mission de contrôle de ces structures : l’administration (gestion, respect des
obligations statutaires), la laï cité, la valeur éducative et morale des activités qui doivent permettre
“de développer l’esprit d’initiative et le sens des responsabilités”3. Il est ensuite rappelé, comme le
préconisait la circulaire du 8 mai 1945, que les Maisons doivent “naître d’un besoin suffisamment
caractérisé”4 et que les fonctionnaires de l’Etat n’ont pas à les créer eux-mêmes, mais à veiller à leur
qualité, leur viabilité, à leur bonne implantation, ainsi qu’au “regroupement à l’intérieur de la
Fédération Française des oeuvres diverses, actuellement isolées et qui, par leur esprit laï que et la
valeur éducative de leurs résultats, s’efforcent de réaliser les mêmes fins”5. Ainsi tous les espoirs
sont-ils à nouveau permis : “Le jour où notre pays sera doté d’un bel équipement de Maisons des
Jeunes et de la Culture, urbaines ou rurales, mais actives, vivantes, prospères, sera en grande partie
résolu le problème qui s’offre à la IVe République, celui de l’Education populaire”6.
1
Ibid.
2
Ibid.
3
Circulaire du 4 juillet 1947.
4
Extrait de la circulaire du 8 mai 1945, repris dans la circulaire du 4 juillet 1947.
5
Circulaire du 4 juillet 1947.
6
Ibid.
- 238 C’est donc fort du travail accompli, des restructurations opérées et d’une légitimité retrouvée,
qu’André Philip peut s’adresser dans un langage clair à M. Naegelen, Ministre de l’Education
nationale, lors de l’assemblée générale constitutive qui se tient au centre d’éducation populaire de
Saint-Cloud le 15 janvier 1948. André Philip rappelle d’abord l’objectif essentiel de la FFMJC “réaliser une éducation et une culture générale des jeunes par eux-mêmes, par les méthodes
d’éducation moderne, par une initiative venant de la jeunesse elle-même prenant conscience de ses
besoins, de ses désirs, de ses possibilités”1 - et les principes fondamentaux qui l’animent. D’abord la
liberté, c’est à dire le rejet de tout paternalisme, autoritarisme et étatisme au profit de la diversité la
plus grande des idées, des initiatives et des activités. La laï cité ensuite “entendue dans un sens
positif… [favorisant]… la véritable éducation de l’esprit démocratique, c’est à dire la recherche en
groupe d’une solution à tous les problèmes envisagés, la recherche de la vérité dans l’esprit
d’humilité qui est celui de la véritable recherche scientifique avec le sentiment qu’aucun d’entre nous
n’est capable d’atteindre jamais la vérité totale, mais que chacun peut la chercher”2.
André Philip fait aussi longuement état des difficultés (“Jusqu’ici nous n’avons guère connu que
des difficultés”3) d’ordre moral (faire comprendre le projet), mais surtout d’ordre matériel. Les moyens
ne sont pas à la hauteur des besoins de cette institution nouvelle qui devrait “devenir pour la
Quatrième ce que l’école laï que a été pour la Troisième”4. S’appuyant sur l’analyse de la situation
financière de la Fédération depuis sa fondation5, il rappelle que la condition des Maisons est
“véritablement tragique, [qu’il] faudrait pour fonctionner normalement quatre ou cinq fois plus de
crédits que ceux dont nous disposons à l’heure présente”6 et, qu’en plus, la régularité des
versements soit assurée. André Philip demande avec insistance au Ministre de se “pencher sur ce
problème, de faire le maximum [… ] pour une Institution [… ] animée par une véritable vocation,
[celle de permettre aux jeunes] de constituer les fondements d’une démocratie saine, solide, et qui
ne craindra plus rien dans l’avenir”7.
1
Discours d’André Philip à l’assemblée générale constitutive de la FFMJC (Statuts, règlements et
textes fondamentaux, p. 1).
2
Statuts, règlements et textes fondamentaux, p. 2 et 3. On est donc bien loin du projet des Maisons
des Jeunes de Vichy qui proclamaient dans leurs statuts : “L’objet de la Maison des Jeunes est de
donner aux jeunes le sens toujours plus vif de la communauté française, de les rassembler, qu’ils
appartiennent ou non à un mouvement de jeunes, en vue de leur éducation civique et de leur
développement physique et moral”.
3
Statuts, règlements et textes fondamentaux, p. 1.
4
Ibid. p. 3.
5
Voir document longuement analysé plus haut (compte-rendu financier, archives de la FFMJC).
6
7
Discours d’André Philip à l’assemblée générale constitutive de la FFMJC (Statuts, règlements et
textes fondamentaux).
Ibid. p. 5).
- 239 Après des remerciements appuyés, notamment de lui “avoir parlé tout à l’heure avec franchise”1,
le Ministre, dans sa réponse, fait longuement état des difficultés financières de la quatrième
République, de la lourdeur de son administration2, du dénuement du système éducatif, notamment
des universités. Conscient de l’insuffisance des subventions versées aux MJC, il s’engage à faire la
maximum et à accélérer les procédures de versement. Il se dit réconforté par l’enthousiasme des
représentants des Maisons et par la pertinence des objectifs et des principes qui les animent,
notamment la conception avancée de la laï cité et de la liberté : “Laï cité, cela signifie pour nous
respect de toutes les opinions, de toutes les croyances.[… ] Vous avez le droit, et je dirai que vous
avez le devoir de les confronter. Il n’est pas de véritable liberté s’il n’est pas de confrontation des
idées et des croyances”3. Et le Ministre de conclure, malgré les difficultés du moment, sur une
parabole qui invite à l’optimisme :
“Lorsqu’un danger menaçait nos lointains ancêtres, un signal s’allumait pour prévenir du
danger, ou aussi pour annoncer un rassemblement ou une fête : c’était le feu. On l’allumait sur
un lieu élevé, pour qu’il fût aperçu de loin et que tous les hommes comprennent.
Eh bien, lorsque vous créez une de vos Maisons des Jeunes dans quelqu’un de nos
faubourgs, dans quelqu’un de nos villages, vous allumez un de ces feux. Faites-en jaillir le
plus possible, et si vous ne voyez pas l’aurore, un jour ils se seront rejoints et l’aurore
resplendira sur l’humanité”4.
1
Réponse de M. Naegelen (ibid. p. 6).
2
“Trois années se sont écoulées et il ne semble pas que cette oeuvre de rénovation ait été accomplie
et qu’un sang plus jeune et plus vigoureux coule dans les veines de la quatrième République” dit-il
(Réponse de M. Naegelen, ibid. p. 6).
3
Réponse de M. Naegelen (Statuts, règlements et textes fondamentaux), p. 9.
4
Réponse de M. Naegelen (Statuts, règlements et textes fondamentaux), p. 10.
- 241 -
CHAPITRE IV LA QUATRIÈME RÉPUBLIQUE : MOYEN-ÂGE DES MJC ?
On s’étend généralement peu sur le développement et la place des Maison des Jeunes et de la
Culture pendant la quatrième République ainsi que, du reste, sur le sort réservé à l’éducation
populaire dans cette période. En quelques pages, José Baldizzone1 se contente de mettre surtout en
évidence le peu d’intérêt que les gouvernements successifs portent à l’éducation populaire, la course
aux subventions qui “épuise les animateurs des grands mouvements”2 et d’une manière générale le
refus de toute innovation de la part des pouvoirs publics, alors que déjà les transformations sociales
“commencent à poser des questions nouvelles au secteur socio-éducatif”3, et que s’accroissent les
besoins d’une jeunesse plus nombreuse. De son côté, Claude Paquin tout en reconnaissant que
“cette décennie est importante comme période de maturation des bases sur lesquelles la politique
d’expansion du socio-culturel va se constituer au début des années 60”4, se limite dans un court
paragraphe à quelques remarques : le faible développement des MJC qui se battent pour survivre, la
quasi-absence de politique de l’Etat dans le domaine de la jeunesse et de l’éducation populaire, les
projets sans lendemain contenus dans le plan Monnet et dans les propositions des gouvernements
que dirigent Pierre Mendès-France et Edgar Faure en 1954 et 55.
Cette décennie de latence - pour certains d’immobilité, de vide, voire même de recul - souvent
considérée comme marquée par un certain obscurantisme5, est en fait une période de réflexion,
d’expérimentation et de maturation qui prépare, du moins pour les MJC, l’expansion de la décennie
suivante.
1 - “Une lente et sûre progression”
C’est ainsi6 que le trésorier fédéral, R. Piatti, qualifie l’évolution de la FFMJC lors de l’assemblée
générale nationale de Lézignan le 14 avril 1957. En effet, les chiffres témoignent de cette “lente et
sûre progression” que les responsables opposent régulièrement aux promesses et espoirs formulés
1
De l’éducation populaire à l’animation globale, p. 59 et suivantes.
2
Ibid. p. 60.
3
Ibid.
4
“Approche historique de la FFMJC” dans Cahiers de la FFMJC n° 4, p. 12.
5
J. Baldizzone dit par exemple que les institutions et organismes nouveaux, nés à la Libération, sont
confrontés à des conditions politiques qui “éloignent toute réflexion de fond”, qu’“ils évoluent
souvent vers la distribution de services, perdant de vue leurs finalités éducatives”. (op. cit., p. 59).
6
Rapport financier, p. 3 (Archives de la FFMJC).
- 242 depuis 1944, et même pendant les années 50.
Les Maisons des Jeunes et de la Culture sont au nombre de 118 en 1950, de 120 en 1951, de
128 en 1952, de 129 en 1953, de 138 en 1954, de 156 en 1955, de 176 en 1956, de 196 en 1957, de
200 en 1958, de 206 en septembre 1959. Ces maisons, à la fois implantées dans le monde rural et
en milieu urbain, se créent généralement grâce aux initiatives locales. La FFMJC n’a ni les moyens,
ni sans doute la volonté affirmée de conduire une véritable politique d’implantation. En effet, même si
on formule souvent le projet1 soit de décider l’installation au niveau départemental ou cantonal de
maisons-pilotes qui, en quelque sorte, pourraient faire école, soit de créer plusieurs maisons de
quartiers dans une même ville, il n’en reste pas moins vrai que les créations relèvent essentiellement
de la libre initiative, et que les délégués régionaux, peu nombreux, condamnés à couvrir d’immenses
espaces, ne peuvent que soutenir les structures existantes ou naissantes. Mais, comme le fait
remarquer le secrétaire général dans son rapport moral, lors de l’assemblée générale de Vincennes,
“consolidation, stabilisation et approfondissement” sont les tâches que la Fédération essaie de
remplir.
La fréquentation des MJC progresse elle-même lentement, et suit globalement la courbe
d’implantation des structures. En 1950, les 118 MJC rassemblent un peu moins de 25.000 usagers
régulièrement inscrits, soit environ 210 par maison. En 1957, le chiffre total est d’un peu plus de
50.000, soit une moyenne de 258 par maison2. Le nombre de personnes touchées passera de
227.000 en 1952 à 320.000 en 19573. Dans un document de synthèse daté de 19594, on trouve des
chiffres tout à fait similaires. Les quelque 200 MJC alors en fonctionnement rassembleraient 40.000
inscrits et cotisants, 25.000 non inscrits mais fréquentant régulièrement les équipements, et 35.000
personnes “intéressées occasionnellement”5. Ainsi en 1959 chaque MJC accueillerait-elle en
moyenne 325 usagers réguliers et, en y ajoutant les intéressés occasionnels, un peu plus de 2.000
personnes par an.
La population accueillie reste, pendant cette même décennie, majoritairement masculine. En
1954, les MJC reçoivent encore deux garçons pour une fille, mais les comparaisons de chiffres
montrent que l’on va progressivement vers une équivalence. En 1956, les garçons représentent 65%
des usagers alors qu’en 1957 et 58, il s ne sont plus que 60%. La préoccupation des responsables
de voir les MJC fréquentées aussi bien par les filles que par les garçons semble donc satisfaite, et,
dans les rapports préparatoires à l’assemblée générale de Rouen (30 avril 1958), on peut lire que
1
Notamment aux assemblées générales de Caen (4 avril 1955) et de Vincennes (13 mai 1956).
2
Rapports préparatoires à l’assemblée générale de Rouen (3 avril 1958), p. 10 (Archives de la FFMJC).
3
Ibid. p. 10.
4
Document réalisé par Paul Jansen, Ronéo 31 pages (archives personnelles de l’intéressé).
5
Ibid. p. 11.
- 243 “cette proportion est encourageante si l’ont tient compte que la participation de l’élément féminin aux
activités de culture et de loisir offertes à une population déterminée est le plus souvent très inférieure
à celle de l’élément masculin”.
Dans les années 50, conformément aux objectifs fixés, les MJC restent avant tout des Maisons
de Jeunes. En 1956, les 14-25 ans représentent 63% des usagers réguliers chez les garçons et 65%
chez les filles. Parmi eux, les 18-21 ans sont les plus nombreux, chez les garçons comme chez les
filles (28% de l’ensemble des usagers). Cependant une évolution déjà repérée les années
précédentes s’est confirmée : en 1954, soit deux années auparavant, les 14-25 ans représentaient
67% des usagers masculins et les 18-21 ans 29%. D’autre part en 1957, les plus de 25 ans
dépassent le quart des effectifs (27% des hommes et 29% des femmes) alors que l’année
précédente ils n’étaient que 20%. Face à cette évolution due aux classes creuses et à l’allongement
de la durée du service militaire d’une part, au développement dans les maisons des activités
culturelles intéressant de plus en plus les adultes d’autre part, les responsables se posent une fois
de plus la question du “recrutement de jeunes usagers”1.
Toujours pour les usagers réguliers, les scolaires et les étudiants représentent 31% chez les
garçons et 33% chez les filles. Ensuite viennent les ouvriers (30% des garçons et 21% des filles)
puis les employés (respectivement 16% et 26%), les agriculteurs, les artisans, les commerçants et
autres professions ne représentant en moyenne que 5% des usagers chacune. Cette
comptabilisation ne permet évidemment pas de savoir l’origine sociale des scolaires et des étudiants
sauf à prendre le risque de faire une hypothèse appuyée sur les statistiques générales mettant en
évidence le pourcentage faible de fils d’ouvriers qui suit un enseignement long. D’autre part, les
chiffres en notre possession permettent de déceler une évolution indicative d’un tassement,
notamment chez les garçons, de la présence des ouvriers. De 1956 à 1957, les ouvriers perdaient 7
points, baisse confirmée et stabilisée en 1958.
Malgré les difficultés rencontrées dans le recueil des données2, les responsables nationaux et les
représentants des MJC ont un réel souci de suivre ces évolutions et de réfléchir à des solutions
pratiques. A titre d’exemple, les participants à l’assemblée générale de Vincennes se posent
longuement la question du recrutement des jeunes et de la cohabitation des générations. Selon eux,
“il faut avant tout que les Maisons de Jeunes soient des maisons des jeunes”3 et comprendre que,
dès qu’une maison est envahie par des adultes, il y a un problème de générations, et qu’à ce
moment-là les jeunes ont tendance à quitter les lieux.
1
Paul Jansen : Les MJC, Ronéo, p. 11.
2
A l’assemblée générale de Colmar, les 17 et 18 mai 1959, on regrette de ne posséder que des
chiffres partiels et on se demande quelle signification on peut leur accorder (textes préparatoires, p.
8).
3
Rapport de l’assemblée générale de Vincennes, p. 141.
- 244 On évoque également les difficultés de l’accueil des travailleurs manuels, des jeunes ouvriers et
agriculteurs dont la proportion tend à baisser au profit des scolaires et des étudiants. A ce sujet, on
fait longuement état des conditions de vie de ces jeunes travailleurs, de la nécessité de leur proposer
des activités et des services qui répondraient à leurs attentes. Les MJC sont ainsi confrontées aux
inégalités sociales et culturelles qu’il est bien difficile de réduire quand, dans le même temps, on
s’efforce d’être ouvert à tous.
Le “recrutement des jeunes” est lié également à la question de leur participation aux décisions et
de leur droit de vote dans les assemblées générales. Certes, les jeunes peuvent s’exprimer et
prendre des initiatives dans les activités, le foyer et le conseil de maison. Mais ils doivent attendre
l’âge de 18 ans pour avoir le droit de voter à l’assemblée générale. Après un long débat, les
représentants de MJC1 décident de faire connaître leur proposition à la Direction de la jeunesse : il
faudra avoir 18 ans pour être élu au conseil d’administration, mais seulement 16 ans pour voter à
l’assemblée générale.
Les activités et les services proposés sont d’une extrême variété. Les activités sportives et de
pleine nature sont les plus nombreuses, les plus souvent pratiquées, et celles qui touchent le plus
d’usagers. Sur 106 MJC ayant fourni des renseignements précis en 1958, 92 proposent du pingpong (près de 2.500 pratiquants), 44 du camping (plus de 2.000 pratiquants), 39 du ski (1.200
pratiquants), 36 de l’éducation physique (1.400 pratiquants), 33 des camps de vacances (2.100
pratiquants)… Mais on propose aussi des sports encore peu pratiqués à cette époque : judo et arts
martiaux, escrime, tennis, badmington, tir, alpinisme, patinage, canoë, kayak, vol à voile, spéléo. Par
contre les sports collectifs les plus pratiqués, football (640 usagers) et rugby (115 usagers) sont très
peu développés dans les MJC, ce qui est significatif de leur volonté de ne pas se substituer aux
clubs sportifs mais, par contre, d’ouvrir les jeunes à des pratiques nouvelles, moins couramment
pratiquées ou encore réservées à une minorité, voire à une élite.
Les “ateliers”, dont certains sont très fréquemment proposés, touchent un public plus restreint. La
photo est l’activité la plus pratiquée : dans 50 MJC sur 106 par près de 800 usagers. Ensuite
viennent le bricolage (41 MJC et près de 600 participants), la peinture-décoration (30 MJC et près de
300 participants), la reliure (21 MJC, 180 pratiquants), la radio (20 MJC, 170 pratiquants),
l’aéromodélisme (12 MJC et 120 adhérents)2.
Les cours et les activités culturelles rassemblent les disciplines les plus diverses : 85 MJC sur
106 ont une bibliothèque (5.000 usagers), 67 organisent des conférences (1.400 participants), 57
des auditions musicales (2.800 participants), 34 des sorties-spectacles (1.600 personnes) ; 29
proposent des ciné-documentaires (2.700 personnes) et 25 des ciné-jeunes (4.200 spectateurs). Les
1
2
Lors de l’assemblée générale de Vincennes (13 mai 1956).
Tous ces chiffres sont extraits du rapport préparatoire à l’assemblée générale de Rouen (3 avril
1958)
- 245 cours de coupe-couture, de langues, de solfège, de dessin, d’enseignement ménager, d’éducation
civique et sociale sont assez répandus. On organise également des visites de musées et d’usines,
des enquêtes, des cours d’enseignement agricole et artisanal, de secourisme et beaucoup de MJC
ont un télé-club. Les cercles d’études et la rédaction de journaux rassemblent un nombre non
négligeable de participants (près de 1.500 personnes). Par contre, les activités musicales, la danse,
et les activités corporelles d’intérieur (gymnastique sous toute ses formes), qui connaîtront un essor
considérable à partir des années 60, sont quasi-inexistantes dans les années 50.
Les manifestations, également très diverses, touchent beaucoup d’usagers “occasionnellement
intéressés” et permettent aux MJC de se donner une image de structure culturelle, de création et de
rencontre ouverte à tous, qui les distingue des simples foyers de jeunes. Pour bien mettre en
évidence la double démarche à la fois de création et d’organisation d’une part et de diffusion d’autre
part, l’enquête dont les résultats sont communiqués à l’assemblée générale de Rouen distingue bien
les participants à la préparation et à la présentation, et les spectateurs. Le théâtre, le cinéma-débat,
les expositions, le chant choral, la danse, la musique sont régulièrement proposés, touchent un réel
public et mobilisent un nombre important de bénévoles : près de 45.000 spectateurs de théâtre,
16.000 de ciné-club, 13.500 pour le chant choral, 50.000 pour les spectacles de danse. Le nombre
de participants actifs approche les 10.000. Les manifestations plus festives et conviviales
(kermesses, rencontres de jeunes, bals et sauteries) sont proposées par la grande majorité des MJC
et rassemblent des usagers nombreux, mais dont il est difficile de donner un chiffre, même
approchant.
Les MJC proposent également des espaces de rencontre quasi-permanents et des services. Le
foyer, plus ou moins structuré, et l’accueil informel de jeunes sont les “activités” de base des
maisons, notamment celles qui sont dotées d’un directeur permanent. Près du tiers des MJC ayant
répondu à l’enquête1 disait gérer un bar2 et une dizaine des douches publiques. Une quinzaine de
MJC gèrent des restaurants où elles disent disposer de 1.100 places, accueillir près de 13.000
personnes différentes et servir près de 500.000 repas par an. Les utilisateurs sont en majorité des
“touristes”, mais parmi les utilisateurs locaux, les ouvriers et les employés sont de loin les plus
nombreux. Ainsi, dans quelques villes, les MJC offrent-elles un service de restauration social à la
disposition des jeunes travailleurs, des entreprises et des services.
Sans pour autant vouloir se substituer aux Auberges de Jeunesse ni aux centre d’accueil et de
séjour dont c’est l’unique vocation, trente MJC ayant répondu à l’enquête gèrent un centre
d’hébergement. Ces centres d’hébergement, d’importance inégale (de quelques lits à 200, avec un
total de 1.300), disent avoir géré en 1957 près de 100.000 nuitées et accueilli près de 25.000
1
Op. cit., p. 15
2
Ce qui pose souvent quelques problèmes de relation avec les débits de boisson traditionnels, comme
en témoignent certains responsables de MJC.
- 246 personnes, dont un nombre quasi-équivalent de Français et d’étrangers.
A partir de ces quelques indications chiffrées, quelle image des MJC peut-on dégager pour les
années 50 ? La Maison des Jeunes et de la Culture, initialement “maison de jeunes” (pour les
jeunes) et “maison des jeunes” (appartenant aux jeunes)1 ne se réduit pas à un foyer de jeunes.
C’est un lieu où se côtoient dans des activités, des manifestations et des services les plus divers,
des populations d’âges et de conditions sociales de plus en plus diversifiés. A la différence de la
majorité des mouvements de jeunes, des associations et services thématiques, des équipements
spécialisés (théâtre, musées, centres de séjour), les MJC se caractérisent par la polyvalence dont
elles feront, au début des années 602, avec la laï cité, les deux principes essentiels. Et en effet la
revendication de la polyvalence des missions, des actions et des activités a pris le pas sur la
revendication de la liberté mise en évidence dans le contexte très différent de l’après-guerre.
Cette polyvalence, souvent stigmatisée et contestée (MJC “touche-à-tout”, “fourre-tout”, sans
compétence particulière, “généraliste” ou “hégémonique” voire “totalitaire”) est, dès les années 50, à
la fois un principe, un objectif, une revendication et un combat. A preuve ce texte :
“… Nous devons tous insister sur les caractéristiques essentielles des MJC :
- d’une part leur polyvalence. C’est en effet une tendance naturelle dans l’administration (qu’il
s’agisse des différents ministères - au sein d’un même ministère, des différentes directions au sein d’une même direction des différents bureaux) de cloisonner jalousement son activité et
de la défendre âprement contre les empiètements des voisins : il en résulte qu’à chaque
instant nous sommes invités, même par les amis les mieux intentionnés, à abandonner une
part importante de nos activités : tantôt c’est le secteur social (restaurant, chambres pour
jeunes célibataires) tantôt ce sont les activités sportives [… ], et ce serait même les activités
culturelles si, suivant certains conseils, nous nous résignions à n’être plus que “des maisons
des jeunes” à côté des “centres culturels” ou des “maisons de la culture” milliardaires dont il
est de plus en plus question,
- d’autre part, notre conception et notre pratique de la laï cité ouverte ...”3.
Mais ce souci de préserver et d’élargir l’espace opérationnel n’empêche pas les MJC et leurs
responsables de préciser, pendant cette longue décennie de latence, leurs principes, leurs modalités
d’organisation et méthodes d’intervention.
1
Rappelons-nous la devise de l’Office municipal des Jeunes de Caen : “Jeune, qui que tu sois, cette
maison est ta maison”. (Rapport d’E. Colin, 1948, archives personnelles de P. Jansen).
2
Projet de rapport moral pour l’assemblée générale nationale de Chambéry (5/6 juin 1960), p. 7
(Archives de la FFMJC).
3
Projet de rapport moral pour l’assemblée générale de Chambéry, p. 7.
- 247 2 - Douze années de maturation
La lente mais régulière progression des Maisons des Jeunes et de la Culture a un avantage : elle
permet, comme dans un laboratoire, de suivre, souvent cas par cas, les expériences, de redéfinir à
chaque rassemblement les principes d’action et de modéliser les pratiques d’intervention. Le rapport
moral de l’assemblée générale de Chambéry qui clôt cette décennie (5-6 juin 1960) rappelle que
jusqu’à ce moment-là, “il fallait suivre de très près les expériences en cours dans les MJC pour
définir en commun les principes de notre action”1. En effet pendant ces années, la FFMJC fait un
important travail de formalisation institutionnelle : elle se construit un mental, éprouve ses principes,
affine et affirme ses structures.
Deux questions générales mais essentielles dans une période où le bien-fondé des MC est
encore à démontrer, animent la réflexion des responsables, bénévoles et professionnels : l’éducation
populaire et la culture d’une part, la laï cité d’autre part. S’agissant de l’éducation populaire, de la
culture et de la culture populaire2, les responsables, très pragmatistes, des maisons ne l’abordent
souvent qu’en pointillé, au détour d’une analyse de leur propre expérience. Par contre, les
responsables nationaux, André Philip et Albert Léger notamment, abordent ces questions d’une
manière très construite et, à partir de 1955, la revue “Pas à Pas”, alors véritablement prise en charge
par Lucien Trichaud3, fait régulièrement et largement état de textes théoriques, dont certains sont
produits par de plus lointains collaborateurs des MJC.
Un certain Maurice Eymard, présenté comme un professeur qui collabore avec la MJC de Metz et
avec Peuple et Culture, s’étend longuement sur les conditions d’une véritable culture populaire4.
L’inégalité est flagrante dans ce qu’il appelle le “partage des biens de culture”5 : 35 à 40 % des
enfants de France n’iraient pas au-delà de l’école primaire et près la moitié d’entre eux n’ont même
pas en poche “le fameux, le modeste, le dérisoire certificat d’études primaires”6. Sur mille étudiants
1
Ibid. p. 1.
2
On rencontre régulièrement tous ces termes, mais pas encore celui d’animation socio-culturelle. Par
contre, au même moment, Joffre Dumazedier introduit le concept d’action socio-culturelle (“mode
conscient intentionnel organisé voire planifié de culturation s’opposant aux modes de
conditionnement socio-culturels aveugles et anarchiques”) dont l’éducation populaire serait une
modalité : “mode organisé d’action socio-culturelle qui s’exerce sur les travailleurs de toutes
conditions sociales et de tous niveaux d’instruction par le moyen d’activités et d’organisations de
plus en plus variés afin de provoquer l’adaptation optimale de tous aux changements techniques et
sociaux de la société”. Aspects collectifs de la mobilité sociale et sociologique de l’éducation
populaire, Actes du 3e Congrès mondial de Sociologie, Amsterdam, 1954 (cité par C. Paquin).
3
Lucien Trichaud, futur délégué général de la FFMJC, puis de l’UNIREG, signe dès 1955 la plupart des
éditoriaux de Pas à Pas, l’organe de la FFMJC qui, à partir de mai-juin 1953, a pris la suite du Bulletin
du Liaison.
4
Pas à Pas n° 54, mai 1955, p. 14 et suivantes.
5
Ibid. p. 14.
6
Pas à Pas n° 54, mai 1955, p. 14.
- 248 d’université, 37 seulement sont fils d’ouvriers agricoles ou d’industrie. Il y a “prolétarisation
intellectuelle” et grave injustice sociale qui empêchent une grande partie des Français de maîtriser
leur pensée, de s’exprimer, de sortir de la domination et de l’humiliation.
Il est donc indispensable de mettre au point des méthodes de culture populaire. Si en la matière
l’objectif est assez clair - “rendre le peuple à la culture et rendre la culture au peuple”1 - les écueils
sont nombreux et difficiles à éviter : création d’une fausse ou sous-culture, attitude condescendante
et humiliante de celui qui, après avoir enfilé une une chemise sale, “va au paysan et à l’ouvrier”,
vanité de l’intellectuel qui s’adresse aux travailleurs manuels comme à des écoliers” avec l’arrière
pensée de faire de la pêche à la ligne, d’extraire deux ou trois individus de leur milieu réel qui bientôt
d’ailleurs les renierait comme traîtres à leur classe”2.
Car la culture populaire n’est pas une distribution de connaissances “mais une initiation à un art
de vivre la vie quotidienne”3 pour laquelle Maurice Eymard propose précisément une démarche
initiatique, en quelque sorte par paliers : le but doit être tôt ou tard l’initiation aux grandes oeuvres ;
dans un foyer de culture, institution de loisirs, on met d’abord en place une infrastructure qui veille à
l’éducation par les loisirs sportifs, les activités corporelles, les activités manuelles ; puis une suprastructure oeuvre à l’éducation par les loisirs proprement culturels offerts à un public étendu (cinéclub, conférences, récitals) ou volontairement plus restreint (cercles d’étude, entraînement mental) ;
on débouche enfin sur l’activité personnelle (lecture par exemple) “car, qu’on le veuille ou non,
l’essentiel sera toujours le travail personnel que chacun fera pour se cultiver”4. L’animateur de culture
populaire doit “rester assez humble pour que l’on sente le moins possible sa présence”5, aider les
jeunes travailleurs à vaincre progressivement leurs difficultés, leur permettre d’organiser eux-mêmes
leurs loisirs, ce qui serait la meilleure manière de gravir lentement et sûrement “les échelons d’une
promotion humaine”6. Cet animateur qui, à la différence de l’enseignant diffusant des connaissances,
doit s’atteler avec le jeune travailleur à la “compréhension de son mode de vie”7, est à recruter dans
le monde du travail et Maurice Eymard reconnait que ce n’est pas facile.
De son côté, André Philip dans son ouvrage La démocratie industrielle est amené à poser les
1
Maurice Eymard reprend ici les mots d’ordre de Peuple et Culture.
2
Maurice Eymard (op. cit., p. 15). Sont là, rapidement pointées, les difficultés de toute pensée qui ne
voudrait pas “faire injustice interprétative” aux cultures populaires (C. Grignon et J.-C. Passeron :
Sociologie de la culture et sociologie des cultures populaires), ainsi que les effets pervers de la
volonté, en soi louable, de cultiver le peuple.
3
Maurice Eymard (op. cit., p. 15).
4
Ibid.
5
Maurice Eymard (op. cit., p. 15).
6
Ibid. p. 15.
7
Ibid. p. 15.
- 249 principes de l’éducation ouvrière et plus largement de l’éducation populaire. La revue Pas à Pas en
offre, en mai 19561, avec l’aimable autorisation de l’auteur et des Presses Universitaires de France,
un long passage à ses lecteurs, qui “y retrouveront les principes des Maisons des Jeunes et de la
Culture”2.
La question soulevée par André Philip est la suivante : “Dans un monde où les techniques sont
de plus en plus compliquées, l’évolution n’est-elle pas fatalement vers une technocratie plus ou
moins brutale, plus ou moins corrigée par des institutions démocratiques ?” La réponse dépend de la
capacité de l’homme, du travailleur en particulier, “de vivre son expérience quotidienne, de prendre
des responsabilités dans le cadre qui lui est habituel et partant de cette expérience, d’être capable
de la dépasser pour se poser des problèmes généraux de gestion économique et politique”3. Pour A.
Philip, cela suppose un grand effort d’éducation ouvrière, et plus généralement d’éducation populaire
s’adressant à toutes les catégories de travailleurs.
L’éducation populaire, ce n’est pas une éducation professionnelle qui vise “à donner à tous les
travailleurs la connaissance réelle du métier pour leur permettre de s’adapter à toute situation de la
conjoncture [mais qui] ne suffit pas pour donner la conscience d’une responsabilité dans la gestion
d’ensemble de la vie économique”4. Ce n’est pas non plus une “culture au rabais”, “pseudobourgeoise”, “permettant de parler de tout sans rien connaître en réalité”5. Au contraire, la culture
populaire doit être précise, concrète, conçue pour passer à l’action. Elle est essentiellement “un
éveil”, un “art de vivre”, “une prise de conscience de problèmes et de responsabilités afin de se
mettre en état de comprendre et d’agir”, “une connaissance de l’absence actuelle de liberté”6.
Cette conception de la culture populaire et, comme nous allons le voir, de la manière de
l’acquérir, tranche avec la définition de la culture cultivée et avec une conception, largement
répandue déjà à cette époque, de l’action culturelle visant à démocratiser, à populariser un
patrimoine artistique jusque-là réservé à une élite7. André Philip, dans ce texte du moins, est très
clair : “[La culture populaire] n’est pas une culture littéraire ou artistique séparée de la vie
quotidienne. Il ne s’agit pas d’une assimilation passive, même des éléments les plus valables de la
culture traditionnelle, car elle représenterait pour le travailleur une évasion hors de son expérience
1
2
“Éducation populaire, éducation ouvrière”, Pas à Pas n° 64, p. 2 et suivantes.
Ibid. p. 2.
3
Ibid. p. 2.
4
Ibid. p. 3.
5
Ibid. p. 3.
6
Pas à Pas n° 64, p. 3.
7
Conception que l’on rencontre aussi bien chez les communistes, chez Jeanne Laurent, et chez André
Malraux.
- 250 réelle et une consolation par rêve dans des domaines où il n’est pas capable de prendre des
responsabilités”1.
A partir de là, il n’y a rien d’étonnant à ce que les méthodes d’éducation et de culture populaire
soient guidées par des valeurs et des principes différents de la culture artistique, et que les
démarches pédagogiques soient également différentes de celles de l’action culturelle. Ici le beau et
l’appropriation des oeuvres d’art sont secondaires par rapport à la recherche de la vérité et à la prise
de conscience. L’enjeu de la culture ouvrière et de l’éducation populaire est plus social et politique
qu’esthétique. L’exemple du cinéma est à ce titre significatif. C’est, pour André Philip, “le moyen de
formation le plus puissant de notre époque” ; il “transmet des mythes”, véhicule des valeurs
généralement “liées à des conceptions capitalistes de la vie” ; il “forme et déforme les consciences”2.
C’est pour cela qu’il faut multiplier les ciné-clubs qui, en faisant suivre la projection d’une discussion
“tant sur la valeur esthétique du film que sur les conceptions sociales ou philosophiques qu’il
présuppose”, sont “un moyen précieux de formation de l’esprit critique”3. Une appropriation intime de
l’oeuvre d’art, sans confrontation des différents regards que chacun peut porter sur elle, serait donc
nocive à la culture du peuple4.
La confrontation des opinions, dans un esprit de tolérance soucieux de rechercher
scientifiquement la vérité avec la certitude qu’on ne l’atteindra jamais véritablement5 - ce qu’André
Philip appelle la laï cité active - est la démarche centrale de l’éducation populaire qui doit partir des
préoccupations concrètes des travailleurs, permettre d’accéder à la maîtrise de soi et de son milieu
de travail, de s’assumer comme membre d’une famille, d’être un citoyen conscient et actif, d’oeuvrer
à une solidarité ouvrière internationale et à une politique généreuse d’immigration.
Les buts ultimes de l’éducation populaire sont de faire des hommes libres “vis à vis de tout, y
compris du mouvement ouvrier”, “d’atteindre l’objectivité sans la neutralité, de réaliser une prise de
parti sans parti pris, de maîtriser son destin [d’] homme responsable dans une société responsable”6.
Mais toutes ces démarches supposent l’affirmation de certaines valeurs universelles abandonnées
par la bourgeoisie.: les valeurs morales du travail, la liberté, l’esprit d’initiative et de création.
1
Pas à Pas n° 64, p. 3.
2
Ibid. p. 5.
3
Ibid. p. 5-6.
4
Le débat après la projection ou la représentation resta pendant longtemps un passage obligé de la
pratique des MJC, alors que c’était très rarement le cas dans les Maisons de la Culture et les centres
culturels.
5
Cette conception est chère à André Philip. Souvenons-nous qu’elle était déjà formulée deux fois dans
son discours prononcé à l’assemblée générale constitutive de la FFMJC. La recherche de la vérité
(démarche platonicienne) est pour lui préférable à sa possession (démarche aristotélicienne). Il y
aurait du reste des parallèles intéressants à établir entre la dialectique platonicienne et la démarche
d’éducation populaire jusque dans leurs dimensions politiques (mythe de la caverne).
6
Pas à Pas n° 64, p. 6.
- 251 Albert Léger, quant à lui, considère1 que dix ans après la déclaration solennelle contenue dans le
préambule de la Constitution (“la Nation garantit l’égal accès de l’enfant et de l’adulte à l’instruction, à
la formation professionnelle et à la culture”) l’éducation populaire est encore à créer, et même à
définir. Les milieux cultivés, universitaires et dirigeants la dédaignent, l’expression même d’éducation
populaire évoquant souvent et seulement, chez les gens sérieux, “les marionnettes, les jeux scouts
et les amusements puérils”2.
Et pourtant les enjeux sont d’importance : les conditions actuelles d’existence au travail et dans
les loisirs occasionnent fréquemment des déséquilibres individuels et collectifs ; les techniques
modernes de travail à l’usine, au bureau et dans les champs, demandent des hommes capables de
s’adapter, de dépasser leur formation première mais en même temps, elles les spécialisent dans des
tâches monotones et parcellaires qui atrophient leur personnalité. Le travail “enfermerait donc
l’homme dans une étrange et tragique contradiction exigeant de lui une valeur toujours plus grande
et détériorant cette valeur même”3.
Face à cette évolution de la condition des travailleurs, il faut réviser notre conception du loisir et
mieux définir une éducation populaire permettant “de rendre aux hommes leur monde, de les
réconcilier avec lui, et d’abord dans leur travail”4. Le loisir n’est plus “le privilège du riche” ou “la
paresse du pauvre” ; ce n’est même plus “le repos du travailleur”. Il ne s’oppose pas au travail ; il en
est le complément nécessaire; Il faut donc l’“organiser avec le même sérieux que le travail même”5.
S’agissant de l’éducation populaire, A. Léger reprend globalement les conceptions rencontrées
plus haut chez Eymard et Philip. Il insiste particulièrement sur la priorité au jeune travailleur rural ou
urbain, qui, abandonné à la sortie de l’école primaire “est déconcerté par le désordre social dont il
est la première victime : rupture des traditions morales et sociales, désagrégation du lien familial,
incertitude du lendemain…”. Selon A. Léger, nous accusons un retard humiliant et on ne peut plus
temporiser : “la course est ouverte entre la catastrophe et l’éducation”6.
La MJC et l’éducation populaire tout entière, dont la mission consiste au fond à remonter une
entropie sociale accélérée, à reconstruire en permanence l’homme et la société, à jouer les
démiurges du quotidien, ne peuvent trouver en elles seules les savoirs de leurs pratiques. La revue
Pas à Pas rend assez souvent compte des réflexions conduites ailleurs (séminaires de l’UNESCO,
1
“Qu’est ce que l’éducation populaire ?” Pas à Pas n° 70, janvier 1957, p. 2 et suivantes.
2
Ibid. p. 2.
3
Ibid.
4
Jean Guéhenno, cité par Albert Léger (ibid. p. 2).
5
Ibid. p. 2.
6
Ibid. p. 3.
- 252 colloques divers). Dans un article intitulé “Education populaire et sociologie”1, Albert Léger, suite à un
stage européen réunissant sociologues et éducateurs (Wégimont, Belgique, du 25 avril au 7 mai
1954), fait état de ce qu’il attend des chercheurs en sciences sociales.
Pour les éducateurs, l’instruction, la réflexion personnelle et le simple bon sens ne suffisent pas :
“Nous ignorons nos ignorances, dit A. Léger ; la psychologie de l’adolescent, la psychanalyse ont fait
de tels progrès que celui qui ne les a pas étudiées passe à côté de faits importants sans les
remarquer”2. L’éducateur ne sera plus moralisateur mais enquêteur : en connaissant les causes, il
pourra s’attaquer à la racine du mal et agir efficacement. Les éducateurs ont également besoin
d’observateurs étrangers pour organiser leur travail, avoir une connaissance globale des
phénomènes et des comportements, éviter de prendre le conjoncturel et l’accidentel pour le général.
Ils leur faut donc acquérir une solide formation psychologique et sociologique.
Les usagers eux-mêmes ont besoin des apports des sciences humaines dans leur vie
quotidienne de parents (psychologie de l’enfant et de l’adolescent), dans leur vie professionnelle
(économie, droit) et civique (droit et politique). Cette acquisition de savoir peut être très active et il est
nécessaire d’initier les participants aux techniques de l’enquête dont “les méthodes sont en ellesmêmes directement éducatives et trouvent de ce fait leur place dans l’éducation populaire”3. Selon A.
Léger, ces enquêtes sont éducatives, plus par la “tournure nouvelle qu’elles donnent à l’esprit”4, que
par leurs résultats : elles font reculer l’obscurantisme, la croyance à la fatalité, sensibilisent à la
notion de loi sociologique, et forment un esprit critique. Ainsi les hommes sauront-ils mieux voir et
tolérer, mieux comprendre leur destin pour le dominer.
Autre apport des sciences sociales à l’éducation populaire : le contrôle des résultats5. L’animateur
1
Pas à Pas n° 84, mai 1958, p. 2.
2
Ibid. p. 2.
3
Pas à Pas n° 84, p. 3. En 1957, sur 106 MJC questionnées, 13 disent réaliser des enquêtes, qui
mobilisent près de 300 participants. Les conférences et cercles d’études concernent pus de 15.000
personnes.
4
Ibid. p. 3. L’idée que l’éducation populaire engage une sorte de conversion intérieure aussi bien pour
l’éducateur que pour l’usager, est assez répandue. On la trouve chez André Philip (Pas à Pas n° 64,
p. 5) ; on la retrouvera chez les pédagogues et les animateurs de l’après 68. Cette conversion est
avant tout intellectuelle ; plus précisément, elle touche la posture intellectuelle, alors que, pour
l’action culturelle, elle est essentiellement esthétique. “La conversion de l’homme aveuglé passera
par les images” (L’État culturel, Marc Fumaroli, Ed. de Fallois, 1991, p. 123).
L’enjeu de cette conversion, générée par l’éducation, est de dimension historique et apparaît, de ce
fait, disproportionné avec les moyens dont disposent les structures. Qu’on en juge ! Dans un libre
propos intitulé “Pour la Révolution” (Pas à Pas n° 67, octobre 1956, p. 6), un certain Gilbert Allan
écrit : “Je suis pour la Révolution. Comme beaucoup de Français, beaucoup d’hommes et de femmes
du monde entier, je pense qu’il faut que ça change ... Partout portons la Révolution nécessaire,
consentie, libératrice ... Une révolution n’est digne de s’appeler ainsi que si elle menée par des
hommes nouveaux. Pour que ça change, il faut des hommes nouveaux... Le goût de la Révolution
peut prendre naissance sous l’impulsion de son animateur dans un foyer culturel tel qu’une Maison
des Jeunes”.
5
Ce que nous appelons aujourd’hui l’évaluation.
- 253 essaie de mesurer les effets de son action et de comprendre les raisons de son succès ou de son
échec. Il attend des scientifiques qu’ils viennent apporter méthodes et exemples de contrôle,
analyses de résultats et suggestions, en espérant - ce qui n’est peut être pas une attitude
scientifique, reconnait volontiers A. Léger - qu’ils feront ainsi “apparaître plus clairement à tous les
organismes publics et privés intéressés, la portée de l’éducation populaire et l’urgence de ses
besoins”1.
En cette période de désintérêt flagrant de l’Etat pour l’éducation populaire (choix délibéré ou
impossibilité ?), les MJC ont en effet autant besoin de légitimité que d’idées claires dans leurs projets
et méthodes. Cette légitimité que ne leur confère pas l’autorité de tutelle, elles vont la chercher chez
les intellectuels (André Philip est aussi un éminent économiste) et dans les rencontres
internationales. A. Léger se plaît à rappeler2 l’intérêt soutenu que portent les spécialistes des pays
étrangers à l’expérience française des Maisons des Jeunes et de la Culture.
Mais il y a une autre question qui préoccupe les responsables des MJC : la laï cité et la manière
de la mettre en oeuvre.
La laï cité ouverte ou active dont se réclame la FFMJC n’est pas celle de l’école qui doit
transmettre les savoirs rationnels et les principes républicains à l’exclusion de toutes les autres,
religieux ou politiques. Pour la MJC, la laï cité n’a pas de réel contenu, tout au plus des principes ;
c’est essentiellement un acte, une attitude à visée pédagogique devant favoriser le développement
de la démocratie3. C’est qu’en effet, “la liberté ne se prêche pas, elle ne s’acquiert que par l’exercice
[de même que] l’expérience ne se transmet pas des adultes aux adolescents ; chacun doit acquérir
la sienne et ne peut l’acquérir que par l’action, avec ses succès et ses échecs”4.
Malgré la certitude du bien-fondé de leur conception de la laï cité et des méthodes pédagogiques
qui en découlent, les MJC ont besoin pendant cette période de revenir régulièrement sur cette
question. C’est que, compte tenu de la modeste implantation des Maisons, la reconnaissance de
cette idée, somme tout assez nouvelle5, de laï cité, est un enjeu important. Si les MJC veulent être le
complément et le prolongement de l’école, devenir pour la quatrième République ce que fut
1
Stage de Wégimont, cité par A. Léger in Pas à Pas n° 84, p. 4.
2
Réponse à Jean-Claude Leroyer (02/06/91), p. 9. A. Léger fait ici état de rencontres du Palais de
l’Europe à Strasbourg, au Canada et d’un séminaire de l’UNESCO à Grenoble.
3
On pourrait ainsi faire la différence - ce qui demanderait une réflexion approfondie - entre la laï cité
républicaine (celle de l’école et de la Ligue de l’Enseignement) et la laï cité démocratique dont se
revendiquent notamment les MJC. L’opposition dont A. Touraine est coutumier entre république et
démocratie est éclairante si on l’applique au développement des mouvements sociaux dans les MJC
des années 70.
4
Bulletin du liaison n° 4, avril 1950, p. 4 et suivantes. Ce qui permet de mieux comprendre que les
acteurs, bénévoles et professionnels, des MJC soient avant tout des “faiseurs”, préoccupés par
l’action.
5
Claude Paquin dit qu’elle vient des mouvements protestants, ce qui est possible mais à démontrer.
- 254 l’institution scolaire pour la troisième République, il faut véritablement clarifier l’articulation des
principes et des méthodes qui en découlent, et d’abord faire reconnaître le principe qui préside au
développement de cette Institution jeune, nouvellement entrée dans le champ pédagogique et
politique1.
Cette clarification et cette reconnaissance sont d’autant plus nécessaires que de nombreux
responsables et professionnels sont des enseignants, principalement instituteurs ou anciens
instituteurs. Les directeurs de MJC, bénévoles ou simplement indemnisés, sont généralement des
instituteurs
qui assurent cette fonction en plus de leur profession, et à la place d’un directeur
permanent fédéral qui n’a pu être proposé par manque de moyens financiers2. Certains ont, du reste,
fait le choix de prendre des distances, voire de quitter les mouvements et institutions périscolaires, la
Ligue de l’Enseignement notamment, pour créer et gérer une Maison des Jeunes et de la Culture.
En effet, les mouvements qui tiennent le haut du pavé dans le champ scolaire et péri-scolaire ne
sont pas prêts, bien au contraire, à soutenir le développement de cette nouvelle Institution et de sa
conception de la laï cité. Malgré la recherche permanente de rapprochement de la FFMJC avec la
Fédération de l’Education nationale, le Syndicat National des Instituteurs et la Ligue de
l’Enseignement3, les relations sont distendues, voire mauvaises. André Philip porte à la
connaissance des participants à l’assemblée générale de Pau (6 avril 1952) la démission de la FEN
et du mouvement laï c des Auberges de Jeunesse qui estiment “que notre structure et notre action
ne sont pas suffisamment laï ques ni démocratiques”4. Il rappelle les principes qui jusqu’à ce jour ont
été ceux des MJC et invite l’assemblée générale à discuter de cette conception de la laï cité et de la
structure de la Fédération. Après avoir constaté unanimement qu’“aucune difficulté n’existe chez
eux”, les représentants des Maisons estiment “qu’aucune modification n’est actuellement
nécessaire”5. Le congrès des directeurs des 24, 25, 26 mai 1951 avait abouti à la même conclusion:
1
Le combat n’est pas terminé. La FFMJC vient de se voir refuser en 1991 l’agrément de l’Éducation
nationale, alors que l’intervention des MJC dans les secteurs péri- et post-scolaires est régulière et
que d’autres mouvements, plus éloignés de l’école et bien moins présents, l’ont obtenu depuis
longtemps.
2
C’est pour cela que, dans les années 50, les journées de regroupement des directeurs sont
généralement fixées pendant les vacances scolaires afin que les directeurs indemnisés puissent y
participer, ce qui pose un autre problème, celui de l’encadrement des jeunes en périodes de
vacances. On trouve souvent trace de discussions sur ce problème, difficilement soluble.
3
“Le Comité directeur décide de mettre à l’étude la question des rapports entre la Fédération et la
Ligue de l’Enseignement, un accord lui paraissant nécessaire” Bulletin de Liaison n° 1 (1949). “Il
s’agit aussi de définir notre position laï que au point de vue politique comme au point de vue
confessionnel et de la comparer à celle de la Fédération de l’Éducation Nationale, du Syndicat
National des Instituteurs et de la Ligue de l’Enseignement, afin de rétablir avec ces organisations la
collaboration que nous souhaitons unanimement”. Intervention d’A. Léger au congrès des directeurs.
Bulletin de Liaison n° 17, p. 2. A. Léger vient de l’Éducation nationale où il a été enseignant,
inspecteur et directeur d’École Normale.
4
Bulletin de Liaison n° 32 (supplément), p. 7.
5
Ibid.
- 255 tout en souhaitant sincèrement un rapprochement avec le SNI, la FEN et la Ligue de l’Enseignement,
on avait estimé “qu’aucune modification profonde ne [pouvait] être apportée à l’esprit ni à la structure
de [notre] Institution”1.
Mais la fermeté, malgré les attaques, sur la question de la laï cité n’empêche pas la FFMJC de
débattre régulièrement et profondément de son fonctionnement, de sa pédagogie, et d’opérer les
modifications statutaires et règlementaires qui semblent opportunes. Par exemple, l’article 4 des
statuts de la MJC qui prévoit que “toute propagande politique ou religieuse est interdite au sein de
l’association” suscitera de nombreux débats quant à son interprétation et à sa mise en oeuvre. Suite
à l’assemblée générale de Paris (21 janvier 1951) et au conseil d’administration qui a suivi (25 février
1951), le bureau fédéral finira par faire sienne l’interprétation, qu’il traduira en directives, du
représentant du Conseil Protestant de la Jeunesse, M. Friedel : il faut faire la différence entre d’une
part “l’information et la discussion qui sont un des aspects des activités éducatives normales de nos
maisons [et d’autre part] l’action et la propagande, interdites par nos statuts et qui sont du domaine
de la vie civique”2 ; ainsi faut-il mettre à la disposition de usagers toutes les informations sur les
sujets qui peuvent les intéresser, leur “donner la possibilité de discuter et de confronter
courtoisement leurs divers points de vue [… mais] en aucun cas un cercle d’études, un conseil de
maison ou un conseil d’administration n’ont à prendre parti sur une question politique ou religieuse”3.
Il serait fastidieux de faire état de tous les débats sur les questions réglementaires et statutaires.
Nous nous contentons donc d’en citer certains, essentiels pour les responsables du moment et pour
une Institution qui, ce faisant, se construit progressivement un mental et asseoit son organisation et
son fonctionnement : le mode de représentation des MJC à l’assemblée générale nationale4, la
participation et le vote des jeunes dans les instances de décision5, le droit de vote des
administrateurs fédéraux à l’assemblée générale6, les missions et l’organisation des fédérations
départementales7.
1
Bulletin de Liaison n° 17, p. 7.
2
“Directives”, texte d’André Philip, vraisemblablement de 1951 (Archives FFMJC), p. 2.
3
Ibid. p. 4.
4
Assemblée générale de Paris (21/01/51), qui propose une représentation des MJC au prorata du
nombre d’usagers, disposition encore en vigueur aujourd’hui à la FFMJC.
5
Directives fédérales de 1950 in Bulletin de Liaison n° 4, et Assemblée générale de Vincennes
(13/5/56).
6
Assemblée générale de Vincennes (13/5/56). La question est de savoir si les administrateurs
fédéraux qui doivent rendre compte de leur mission aux représentants des MJC réunis en assemblée
générale peuvent voter. Dans l’affirmative, ils seraient juge et partie, ce qui pose effectivement une
question importante de démocratie représentative.
7
Bulletin de Liaison n° 5 (mai 1950), Assemblées générales de Caen (4/4/55) et de Vincennes
(13/5/56).
- 256 Les conseils de maison, dispositifs centraux de la pédagogie des MJC méritent qu'on s’y attarde
un peu plus. En 1950, s’appuyant sur quatre années d’expérience, la FFMJC, après mise à l’étude
au centre national, à la commission consultative et approbation du bureau, adresse une circulaire
“pour étude et application”1 aux directeurs, aux conseils de maison et aux conseils d’administration
des MJC. Ceux-ci sont invités à faire connaître leur point de vue sur les conseils de maison au
centre fédéral qui pourra ensuite apporter les modifications nécessaires à un texte soumis à nouveau
au conseil d’administration national pour qu’il devienne enfin une instruction2.
Que dit cette circulaire à laquelle se réfère encore mot pour mot Paul Jansen en 19593 et qui sera
régulièrement appliquée dans les MJC jusqu’à la fin des années 60 ? Le conseil de maison tire sa
légitimité des buts essentiels de la MJC et de ses principes d’éducation : la MJC doit viser la
formation civique et démocratique des jeunes ; or comme “la liberté ne se prêche pas” mais
“s’acquiert par l’exercice”, il faut “offrir aux usagers le maximum d’initiative et d’autonomie”4 ; les
usagers, selon leurs goûts, s’organisent en activités, les responsables de ces diverses équipes se
groupent et s’organisent selon le règlement intérieur propre de la maison et prennent les décisions
nécessaires à la marche quotidienne de la structure ; c’est cela le conseil de maison.
Le conseiller de maison est en principe un jeune, responsable d’une activité, ce qui ne veut pas
dire qu’il en soit l’animateur même lorsque celui-ci est bénévole. C’est donc un jeune qui a la
confiance de ses camarades, est désigné par eux, et joue ainsi le rôle de trait d’union entre les
usagers, le professeur, moniteur ou animateur d’une part, et le conseil de maison d’autre part. Les
modalités de constitution du conseil de maison dépendent du “degré de maturité”5 de la structure, de
ses usagers et responsables. Le directeur qui assume la responsabilité éducative joue là un rôle
essentiel6 : en période de démarrage, il désigne lui-même les responsables d’activités ; en période
de transition, il les choisit en accord avec les usagers concernés ; enfin les responsables d’activités
sont désignés par les usagers eux-mêmes avec l’approbation du directeur ; des représentants
d’usagers non inscrits dans des activités particulières peuvent renforcer le conseil de maison et
“défendre aussi les intérêts généraux de la maison à côté des intérêts particuliers de chaque
1
Bulletin de Liaison n° 4, p. 4.
2
Ce long cheminement d’une réflexion, qui doit aboutir à une décision applicable, est déterminé par
une double exigence : le souci d’une prise de décision collective et démocratique, la nécessité qu’il y
a, dans un système fédératif et non hiérarchique, que les directives soient largement débattues si
l’on veut qu’elles soient suivies d’effet. En 1990-91, la FFMJC s’est engagée, dans un contexte
institutionnel très différent, dans une démarche comparable (“Finalités et stratégies des MJC”).
3
Les MJC, Ronéo, p. 23 et suivantes.
4
Bulletin de Liaison n° 4, p. 4.
5
Ibid. p. 5.
6
Liberté, initiative et autonomie ne signifient pas, bien au contraire, absence d’éducateur. Avec les
directeurs de MJC, il semble bien que naisse un autre type d’éducateurs, très différents des
enseignants, même de ceux qui se réclament de la pédagogie Freinet.
- 257 activité”1.
Mais quel que soit le mode de désignation, les conseillers de maison sont responsables devant
les usagers qui les ont désignés et ils doivent leur rendre compte de leur mandat. Le conseil de
maison, qui désigne lui-même son propre président, peut délibérer, seul ou en présence du
directeur, mais ses décisions ne sont valables qu’après approbation du directeur. Il s’agit là d’éviter
la situation de double pouvoir, celui du conseil d’administration et du conseil de maison qui, livré à
lui-même et sans contrôle, pourrait prendre des décisions en totale contradiction avec l’instance
dirigeante.
Les relations entre le conseil de maison et les usagers sont fort variables. Il peut délibérer seul
mais ses décisions sont affichées dans la maison ou communiquées aux personnes intéressées qui
en font la demande. Il peut également délibérer en présence des usagers qui le désirent, ces
derniers restant muets ou participant seulement avec voix consultative. Le conseil de maison peut
aussi inviter à ses réunions des membres du conseil d’administration ou d’autres personnalités. Pour
“se pénétrer de l’esprit des MJC” et prendre les décisions les plus pertinentes dans le cadre de sa
mission, le conseil de maison doit bénéficier d’une documentation, connaître les statuts, règlements,
circulaires et instructions de la FFMJC et recevoir le bulletin de liaison.
Les responsabilités et missions du conseil de maison sont multiples. Il doit étudier, rédiger,
modifier, appliquer son propre règlement intérieur et celui de la maison. Il est responsable du climat
qui règne dans la MJC, du programme, du fonctionnement et du renouvellement des activités et
actions. Il prononce l’admission des usagers, désigne son représentant à la fédération
départementale, propose des représentants au conseil d’administration de la maison et à
l’assemblée générale fédérale. Il rédige un rapport trimestriel de son action, le remet au directeur
pour être transmis au conseil d’administration de la maison et, par l’intermédiaire du délégué, à la
Fédération française.
Selon la circulaire 1950, le fonctionnement du conseil de maison présente peu de dangers et
beaucoup d’avantages. Certes des conflits peuvent naître entre le conseil de maison d’une part, et le
directeur ou le conseil d’administration, d’autre part. C’est au délégué régional, et dans les cas les
plus difficiles au délégué général, de proposer des solutions. Le conseil de maison peut également
former un clan, exclure de fait des membres nouveaux, voir s’éterniser des conseillers souvent très
compétents et à qui on fait trop longtemps confiance. Dans ces cas, c’est au règlement intérieur de
fixer les règles de représentation des usagers, soit en limitant la durée du mandat de conseiller, soit
en fixant un âge maximum2.
1
2
Bulletin de Liaison n° 4, p. 5.
La circulaire préconise cette dernière solution, suivant en cela le règlement intérieur fédéral qui
conseille “de donner ce rôle à des jeunes qui renouvellent les activités de la maison”. Ainsi les
conseils de maison ont-ils été souvent des conseils de jeunes.
- 258 Mais le conseil de maison a de multiples avantages favorables au projet éducatif et culturel. Il
exprime effectivement, et pas simplement formellement, la volonté concrète des usagers. Il se
renouvelle fréquemment et maintient ainsi la maison “dans une perpétuelle adolescence, avec ses
enthousiasmes et son dynamisme, mais aussi avec ses tâtonnements et ses erreurs”1, qu’il faut
accepter comme une richesse, car “l’expérience ne se transmet pas des adultes aux adolescents [et]
… chacun doit donc acquérir la sienne”2. Et de fait, jusqu’à la fin des années 60, les conseils de
maison, dont les rapports seront régulièrement étudiés par le centre fédéral national, assureront la
vitalité des maisons et permettront le renouvellement des administrateurs locaux, départementaux et
même nationaux.
Les directeurs sont bien le maillon central du fonctionnement et de la réalisation du projet
pédagogique des MJC. Le nombre de ceux qui sont réellement rémunérés par la FFMJC augmente
peu dans les années 50 et ne suit pas le développement pourtant modeste des structures. A la fin de
l’année 1947, on en compte 36 pour moins de 80 MJC, alors qu’en 1959, ils ne sont que 47 pour plus
de 200 MJC. La présence de directeurs bénévoles ou plus ou moins indemnisés pallie cette carence,
explicable par le manque de moyens financiers.
Malgré une définition précise de leur statut3 qui tient lieu de contrat collectif, les conditions de
travail et de rémunération des directeurs restent difficiles et précaires dans les années 50. On se
rappelle la lettre, vraisemblablement de 1946 ou 1947, envoyée par un directeur, au nom de ses
collègues de la région Sud-Est, au délégué général, lettre dans laquelle il décrit longuement les
difficultés extrêmes de leur situation professionnelle et personnelle. Dans un texte qui ne manque
pas d’humour4, Jean Destrée raconte son expérience de stagiaire à Annecy et de directeur à part
entière de la MJC de Rive-de-Gier en 1953, où il doit gérer un bâtiment de 1.600 m2 de surface
développée, chauffé par 32 poêles à bois, sans mobilier ni logement équipé. Il devra d’abord
débarrasser cette vieille maison de maître de forge de plusieurs tonnes de vieux lits, caisses et
morceaux de ferraille, et passera ses premières nuits dans la pièce qui deviendra son bureau, et où il
a installé son duvet.
Les représentants de la CGT, seul syndicat des directeurs à ce moment-là, attirent régulièrement
l’attention de la FFMJC et, à travers elle, de l’Etat sur leur situation professionnelle. La motion
déposée par M. Bombourg à l’assemblée générale d’Annecy le 27 mai 1957 résume assez bien cette
situation :
1
Bulletin de Liaison n° 4, p. 8.
2
Bulletin de Liaison n° 4, p. 8.
3
Élaboré en 1947 et janvier 1948 et adopté par l’assemblée générale constitutive de la FFMJC.
4
Les tribulations d’un vocataire, Ronéo, 6 pages.
- 259 “Constatant les nombreux départs de camarades (en 1950, démission de 25% d’entre eux), la
section syndicale attire l’attention du conseil d’administration fédéral et de Monsieur le
représentant du Ministère sur la nécessité de payer régulièrement le personnel de la
Fédération et de se pencher particulièrement sur les difficultés professionnelles qui ne leur
permettent pas d’avoir une vie familiale normale et risquent souvent de briser celle qui leur
reste”1.
Pourtant les directeurs de MJC ne sont pas particulièrement exigeants ni arc-boutés sur des
acquis syndicaux et professionnels qu’il est, à ce moment-là, bien difficile d’apprécier2. Ce sont avant
tout des pionniers engagés aux côtés des militants et qui acceptent, pour ceux qui durent, de mettre
souvent leur vie personnelle au service d’une cause, et ce malgré l’incertitude de leur fonction et
l’insécurité de leur statut de salarié. La “mission militante des directeurs”3 est régulièrement prônée
par l’Institution et acceptée comme telle par des professionnels qui sacrifient souvent leurs vacances
légales et leur sommeil à la réalisation du projet et au développement de la maison. Cependant les
responsables nationaux eux-mêmes - le président et le délégué général notamment - rappellent
régulièrement que “tout directeur a le droit et le devoir de prendre les congés réglementaires sans
lesquels il n’est ni vie personnelle ou familiale, ni équilibre dont tout éducateur doit donner
l’exemple”4. Tout récemment, Albert Léger rappelle cet engagement militant et professionnel des
directeurs :
“Ils ne comptaient pas leurs heures de présence. J’ai dû exiger qu’ils prennent un jour de
repos par semaine et quand, préparant le contrat collectif, j’envisageai un mois de vacances,
j’essuyai des récriminations : “… mais c’est le moment des randonnées et des camps”.
Désirant nous rencontrer nous avions choisi le moment de Noël puisqu’alors les Maisons ne
sont guère fréquentées. Cette fois, c’est Philip qui se fâcha et interdit ce stage”5.
Même si les conditions de travail et de vie restent aussi difficiles jusqu’à la fin des années 50, on
a cependant progressé sur les questions de gestion des directeurs, de règlementation et de défense
de leurs droits. Le témoignage écrit de Pierre Moraine, secrétaire syndical, en fait foi : “Etaient
successivement crées la commission consultative, le syndicat du personnel, la commission paritaire
et enfin la commission des nominations de Marly en 1959. Tout ceci dans le cadre d’un contrat
collectif et de règlement administratif lentement mûris”6.
1
2
Compte-rendu de l’assemblée générale d’Annecy, p. 4 (Archives FFMJC).
Néanmoins, certains esprits malveillants et même des responsables ministériels considèrent qu’ils
sont dans une situation de fonctionnaires confortablement installés.
3
Compte-rendu du congrès des directeurs (24-25-26 mai 1952). Bulletin de liaison n° 17, p. 3.
4
Ibid.
5
Réponse à Jean-Claude Leroyer, op. cit., p. 3.
6
“Considérations sur la fonction de directeur de MJC de 1946 à nos jours” Pas à pas n° 100, janvier
1960, p. 4.
- 260 Le manque de formation initiale et permanente de ces directeurs est également une
préoccupation pendant cette période des années 50. La qualité pédagogique et le développement
des maisons s’en ressentent. A l’assemblée générale de Caen (4 avril 1955), un représentant de
Metz rapporte comment une maison, pourtant bien implantée dans la vie messine, est désormais,
après le passage de deux directeurs manquant de formation, presque réduite à néant. L’année
suivante, à l’assemblée générale de Vincennes (3 mai 1956), la même question revient en débat. Un
délégué de Reims précise que “la difficulté majeure, pourrions-nous dire la seule, est l’absence de
personnel qualifié [...] et qu’un grand effort est à faire sur le plan fédéral pour le recrutement et dans
la rémunération des directeurs”1.
Ce manque de formation initiale et permanente tient en grande partie au manque de moyens. Il
est en effet très difficile d’assurer les salaires des actifs et donc encore plus difficile de financer une
formation initiale et permanente, même de courte durée. Après le recrutement, on fait, dans le
meilleurs des cas, un stage pratique aux côtés d’un directeur expérimenté avant de prendre la
direction d’une maison, souvent nouvellement créée ou même en difficulté2. Les journées d’étude
nationales rassemblent les directeurs quelques jours par an pendant lesquels ils peuvent tout au plus
confronter leurs expériences, avec un souci très pragmatiste d’échanger des savoir-faire, voire des
recettes, plus que d’acquérir un réel savoir théorique.
Ce manque de formation tient également à la difficulté de construire le savoir d’une profession
nouvelle qui fait appel à une multiplicité de disciplines, et à fortiori de le transmettre. On sent bien
que le directeur de MJC doit être à la fois psychologue, sociologue, pédagogue, juriste, mais aussi
gestionnaire, comptable et si possible sportif, comédien, musicien… , et également graphiste,
électricien, plombier… Il apparait donc bien difficile de lui inculquer même les rudiments dans chaque
discipline et, y serait-on parvenu qu’on n’aurait pas forcément formé un bon professionnel3. La
motivation tient donc souvent lieu de savoir-faire et les journées d’étude servent avant tout à
“regonfler” les directeurs4.
Mais malgré ces carences et ces longs tâtonnements, la formation des directeurs de MJC va faire
1
Rapport d’assemblée générale de Vincennes, p. 59.
2
“Mais bien souvent le candidat partait nanti du “Pas à pas” de l’époque, des fiches de documentation
et tentait de s’implanter dans quelque far-west de la culture populaire”. Pierre Moraine, secrétaire
syndical dans “Considérations sur la fonction de directeur de MJC de 1946 à nos jours” Pas à pas n°
100, janvier 1960, p. 4.
3
La question reste encore aujourd’hui presque entière dans les MJC et dans les structures
universitaires qui, depuis longtemps déjà, forment des praticiens de l’intervention sociale et
culturelle en articulant des stages pratiques et un enseignement pluridisciplinaire.
4
“Lorsque je dis ‘formation des cadres’, je ne pense pas seulement à la formation de nouveaux
éléments mais celle des directeurs en place depuis plusieurs années. En effet, lorsque je vois des
directeurs qui depuis des années luttent contres des difficultés financières de tous ordre, je peux
penser qu’ils éprouvent une certaine lassitude et qu’il serait bon de les reprendre de temps en
temps dans des stages pour - ce que j’appellerai - les regonfler”. Assemblée générale de Caen, 4
avril 1955, p. 26, intervention de R. Piatti.
- 261 un bond en avant considérable à la fin des années 50. En effet, en 1959-60 est organisé le premier
stage de longue durée préparant les nouveaux directeurs à leurs futures fonctions. Le programme a
été établi en tenant compte de l’expérience acquise les deux années précédentes dans la formation,
par la FFMJC, de directeurs et de cadres d’éducation populaire d’Afrique noire. Les responsables
des MJC ne peuvent que se réjouir que “pour la première fois à leur connaissance, non seulement
dans leur Fédération mais en France, une formation sérieuse d’éducateurs populaires vienne d’être
instituée”1, d’autant qu’elle bénéficie de l’appui financier du Haut Commissariat à la Jeunesse et aux
Sports et de la collaboration de nombreux mouvements et spécialistes.
Cette première formation de longue durée, dirigée par Lucien Trichaud assisté d’Armand
Buisson, est l’occasion pour la FFMJC de préciser les compétences et missions des directeurs de
MJC : ces professionnels doivent nécessairement associer “les qualités d’un animateur à celles d’un
éducateur et d’un administrateur ; … [ils doivent posséder] une connaissance non seulement des
méthodes d’éducation populaire et d’enseignement mais encore des problèmes sociaux,
économiques et culturels de leurs pays. Ils doivent être le ferment d’une mise en valeur globale et
progressive des hommes et du milieu”2.
La définition de cette dernière mission, que nous appellerions aujourd’hui de “développement
local”, apparait aussi essentielle que nouvelle dans l’action des MJC. On la retrouve du reste dans
les objectifs et les contenus de la formation : “Les stagiaires doivent acquérir une information
sérieuse sur les lois sociales, sur la législation des associations, sur l’histoire du XXe siècle, sur les
réalités économiques et sociales de notre temps, sur les diverses expériences poursuivies en
matière d’éducation de base dans un certain nombre de pays, ainsi que sur les expériences de mise
en valeur et d’aménagement”3.
Le programme de ce premier stage se subdivise en deux grandes parties : les études et travaux
pratiques d’une part, les voyages d’étude d’autre part. Dans la partie études et travaux pratiques, on
aborde le domaine de l’éducation populaire et des activités de jeunesse, la connaissance du milieu
(méthodes d’enquête et applications), les grandes questions économiques et sociales (monde
contemporain, mouvement ouvrier, la démographie, le sous-développement, l’aménagement du
territoire, l’urbanisme ...), l’entraînement mental, les techniques d’animation culturelle et d’éducation
populaire (cercles d’études, information, documentation, bibliothèque, la diffusion et le “montage
culturel”, l’audio-visuel, le théâtre, cinéma, etc...). On accorde également une place importante à
l’administration, à la gestion, à la connaissance des structures et des institutions.
Le programme de voyages d’étude apparait imposant pour cette première formation : France,
1
Assemblée générale fédérale de Chambéry (5-6 juin 1960). Projet de rapport moral, p. 3.
2
Pas à pas n° 100, p. 12.
3
Souligné dans le texte (ibid. p. 12).
- 262 mais aussi Belgique, Allemagne et Italie. Les expériences et les structures d’intervention en direction
des jeunes, mais aussi la gestion des rapports entre le développement économique et l’action sociocultuelle sont les thèmes d’observation et d’étude les plus couramment abordés1.
Avec ce premier stage, la FFMJC entend répondre à des demandes pressantes de création de
MJC et de postes de directeurs et en même temps promouvoir “une future école de cadres”
comparable, dans un autre contexte, à celle d’Uriage et de Chamarges. Et il y a en effet des points
communs, au moins dans le fonctionnement : on y fait cohabiter la formation théorique, les activités
pratiques, la vie communautaire et l’éducation physique et sportive.
3 - Un combat de tous les instants
La lente progression et maturation que nous venons de décrire se fait dans la douleur et les pires
difficultés. Il faut toute la détermination des militants et de quelques professionnels, toute la vitalité
des MJC et de leurs conseils de maison pour ne pas se décourager devant autant
d’incompréhension et accepter les affres de ce qu’il faut bien appeler un combat.
L’Etat et sa Direction de la Jeunesse et de l’Education Populaire ne sont pas, par principe,
opposés au développement des Maisons des Jeunes et de la Culture. Ils ont même souvent un
discours qui augure d’un avenir radieux et font des promesses qui apparaissent d’une extrême
naï veté si on les compare à la stagnation, voire à la récession, des moyens consentis. Par exemple,
à l’assemblée générale de Pau (6 avril 1952), M. Dussedat, chef du Cabinet, représentant de M.
Jean Masson, Secrétaire d’Etat à l’Enseignement technique, à la Jeunesse et aux Sports, annonce
sous le sceau du secret le projet de “création de 350 Maisons urbaines et de 1.400 Maisons rurales
dans le plan quadriennal”2.
En fait, les MJC ressentent une incompréhension de l’Etat et subissent son désengagement
financier. Sous une forme ou sous une autre, de la bouche du trésorier national ou des représentants
des Maisons, la question financière revient à chaque rassemblement et dans les documents publiés
par la FFMJC, le Bulletin de liaison, puis ensuite Pas à pas ...
A l’assemblée générale d’Annecy (27 mai 1951), le président André Philip expose le point de vue
fédéral :
“Nos craintes viennent des difficultés financières parfois tragiques de la Fédération : le centre
fédéral est maintenant représenté par une équipe réduite et accablée de travail ; malgré des
suppressions de postes, il n’est toujours pas possible de payer les traitements des directeurs.
1
Un voyage d’étude en Italie concerne la mise en valeur économique et les structures socio-culturelles
et un autre voyage dans le Tarn porte sur l’action socio-culturelle et ses rapports avec l’évolution
économique. Remarquons que là apparaît très clairement le terme d’“action socio-culturelle” mis en
évidence quelques années plus tôt par Joffre Dumazedier.
2
Bulletin de liaison, supplément au n° 32, p. 11.
- 263 Le conseil d’administration fédéral s’est même parfois demandé si dans ces conditions, il
serait possible de maintenir la Fédération [d’autant que] la Direction générale [de la Jeunesse
et de l’Education populaire], sur le même chapitre budgétaire, verse maintenant elle-même
aux Maisons - et sans l’avis de la Fédération - les subventions de fonctionnement que la
Fédération, jusqu’alors, avait versées elle-même et que, en tout cas, elles est statutairement et
légalement habilitée à proposer. Dans ces conditions, certains d’entre nous ne pouvaient pas
ne pas se demander si la Direction générale ne cherchait pas à supplanter progressivement la
Fédération auprès des Maisons”1.
A l’assemblée générale de Brive (11 avril 1954), le trésorier fédéral, J.-M. Le Fournier, dit dans la
conclusion de son rapport financier :
“Depuis plusieurs années, aussi bien en assemblée générale qu’en conseil d’administration,
nous voyons que les mêmes mots servent à désigner les mêmes problèmes toujours posés de
la même manière, sans qu’il soit jamais apporté de solution susceptible de changer quelque
peu le cours de nos préoccupations quotidiennes [...] situation terriblement angoissante pour
ceux qui croient en l’utilité de l’oeuvre entreprise [...]. Or il est quelquefois nécessaire que des
esprits neufs s’essaient à résoudre d’anciennes difficultés. Une équipe sera donc constituée
dans ce but. Souhaitons-lui dès maintenant le courage nécessaire au combat qu’il lui faudra
mener”2.
Trois ans plus tard, à l’assemblée générale de Lézignan (14 avril 1957), le trésorier R. Piatti
pousse un cri d’alarme et invite au combat :
“... ce qui importe aujourd’hui, c’est de relever quelques unes de nos imperfections en
souhaitant que l’on puisse rapidement y apporter remède. Au rang de ces insuffisances, je
citerai en premier lieu notre passivité en face de l’indifférence et de l’inconscience dont font
preuve certains services ou bureaux de l’administration [...]. Nous allons à une asphyxie
certaine - et on parlera bientôt de notre propre suicide - si nous ne secouons pas cette torpeur
qui déjà nous envahit. D’autres ont trouvé les moyens d’en sortir. A nous de nous en inspirer”3.
Et pourtant, pendant cette décennie, les motions, appels au secours, protestations, pétitions et
démarches auprès des autorités officielles n’ont pas manqué. En 1950, le conseil d’administration
fédéral s’est élevé contre les propositions budgétaires de la commission des Economies. Il ne s’est
pas contenté de défendre les intérêts des MJC ni même ceux de l’éducation populaire et sportive. Il a
soulevé le problème de l’éducation nationale dans son ensemble et a “fait appel à tous les
mouvements et à toutes les organisations de jeunesse pour qu’une protestation générale s’élève
contre cette tradition déshonorante de placer la France, quant à son budget de l’éducation nationale,
1
Rapport d’assemblée générale d’Annecy (p. 3-4).
2
Rapport financier à l’assemblée générale de Brive (p. 20).
3
Assemblée générale de Lézignan. Rapport financier, p. 1.
- 264 au dernier rang des pays civilisés”1. Le conseil d’administration fédéral demande à toute les Maisons
de s’associer à cette protestation, d’alerter toutes les organisations locales de jeunesse et
d’éducation populaire, de rédiger leur propre motion et de l’adresser à tous les élus de leur
département - députés, conseillers de la République et conseillers généraux - ainsi qu’aux
administrations compétentes (directions départementales de la Jeunesse et des Sports, préfectures
...). Huit ans après, à l’assemblée générale de Rouen (30 mars 1958), la Fédération des MJC de la
Seine propose une motion qui soulève des problèmes tout à fait similaires ...
La Fédération Française des MJC, laï que, ne reste donc pas neutre sur ce qu’elle pense être les
grands problèmes de société. Il est vrai que la situation qui lui est faite, ainsi qu’à la majorité des
institutions et mouvements de jeunesse et d’éducation populaire, est inquiétante. Les chiffres parlent
d’eux-mêmes. L’analyse financière de 1945 à 1953, présentée dans le rapport financier de
l’assemblée générale de Brive, est éclairante : la subvention de l’Etat au centre fédéral passe de 14
à 46 millions, alors que dans le même temps le coût de la vie a été multiplié par six, et que le nombre
de MJC a plus que doublé. Si la participation de l’Etat s’était maintenue au même niveau, c’est 170
millions de francs environ que la FFMJC aurait dû recevoir. Les chiffres témoignent également de
l’évolution rapide des ressources de la Fédération par rapport à l’aide de l’Etat : en 1945, ces
ressources ne sont qu’une fraction de l’aide de l’Etat, mais dès 1946, les ressources propres
dépassent l’aide de l’Etat et, de 1949 à 1953, elles croissent régulièrement pour atteindre plus du
triple des subventions d’Etat...
Certes les MJC et la Fédération n’attendent pas tout de l’Etat. Elles savent qu’elles doivent
solliciter les collectivités locales et leurs propres usagers. Mais ce désengagement brutal de l’Etat en
francs constants par rapport à l’augmentation du nombre de MJC, non seulement freine le
développement, mais réduit les capacités des structures existantes. Le nombre des directeurs, dont
les postes sont totalement financés par l’Etat, stagne ; leur situation salariale ainsi que les équilibres
financiers fédéraux restent toujours aussi précaires. Aucune réelle amélioration ne se fait jour les
années suivantes : en 1957, la FFMJC reçoit 63 millions de l’Etat alors que le coût de la vie ne cesse
d’augmenter et que les MJC sont au nombre de 196.
Le passé historique du président Philip, sa verve, sa position de député et d’ancien ministre, ne
lui permettront pas d’améliorer, pendant cette période, le quotidien de la Fédération. Tout au plus
réussira-t-il à la maintenir dans une situation de survie financière, ce qui n’empêchera pas les MJC,
comme nous l’avons vu, de progresser sur de nombreux terrains. D’une certaine manière, la
Fédération s’arme dans la rigueur et les difficultés, tandis que son président défend ses modestes
subventions d’Etat et réclame une loi sur l’éducation populaire.
Le bulletin de liaison n° 7 fait largement état du débat du 16 juillet 1950 au Parlement, qui porte
1
Bulletin de liaison n° 5 (mai 1950), dans un éditorial intitulé “ALERTE !”.
- 265 sur la situation et l’avenir des Maisons des Jeunes et de la Culture. André Philip n’est pas le seul à
défendre les MJC et l’ensemble des mouvements et organisations de jeunesse et d’éducation
populaire. Messieurs Farine pour le M.R.P., et Giovoni pour le P.C.F., interviennent pour mettre en
évidence des situations et poser des questions assez semblables.
Le représentant du M.R.P. souligne “combien des hommes d’opinions politiques différentes
tiennent à ce que soit défendue cette oeuvre de culture et d’éducation populaire”1 et s’inquiète de
voir des Maisons directement subventionnées par les inspecteurs départementaux, ce qui lui “parait
en contradiction avec le décret du 24 avril 1948 qui a approuvé les statuts de la Fédération
Française des Maisons des Jeunes”2. On pourrait se trouver à terme “en présence d’une poussière
de maisons qui risquent de dévier de la ligne directrice des Maisons des Jeunes, soit de s’appauvrir
intellectuellement, parce qu’elles ne seront pas rattachées à un tronc qui les vivifierait”3. M. Farine
craint que les inspecteurs régionaux ou départementaux n’aient “le désir de prendre eux-mêmes en
mains la direction des Maisons des Jeunes, [pratique qui] aboutirait à un étatisme larvé [...] très
grave pour l’avenir de l’Institution”4.
Le représentant du parti communiste insiste tout particulièrement sur les réductions budgétaires.
Compte tenu de l’augmentation de leur nombre et de l’indice du coût de la vie, les MJC devraient
avoir “184 millions de subvention en 1950 pour qu’elles reçoivent de l’Etat, toute proportion gardée,
l’aide obtenue en 1945”5. De plus, une partie de ces maigres crédits sont redistribués directement
par les inspecteurs régionaux et départementaux. M. Giovoni fait remarquer que plusieurs autres
mouvements et institutions “voient leurs subventions mutilées dans des proportions scandaleuses.
Peuple et Culture reçoit 2.400.000 F contre 4 millions de francs en 1949 ; la subvention de Travail et
Culture tombe de 2.400.000 F à un million de francs … Les Eclaireurs de France, la Fédération des
Eclaireuses, les Francs et Franches Camarades sont frappés par des mesures identiques”6. Autre
difficulté signalée par le représentant du P.C.F. : les diminutions sont signifiées en juin alors que les
organisations ont déjà arrêté, souvent réalisé, leurs programmes et engagé les dépenses. Il faut
alors envisager le licenciement d’une grande partie du personnel.
1
Bulletin de liaison n° 7, p. 2.
2
Ibid. p. 2.
3
Ibid. p. 3.
4
Ibid. p. 3.
5
6
Ibid. p. 3. Si l’on s’en tient au tableau élaboré par la FFMJC pour la période 1945-53 (rapport
financier pour l’assemblée générale de Brive du 11 avril 54), on obtiendrait pour l’année 1950 un
chiffre assez inférieur. Les MJC et leur fédération auraient du recevoir 140 millions de l’État, alors
qu’elles ont reçu un peu moins de 25 millions.
Ibid. p. 3.
- 266 Après avoir rappelé le grand projet1 de culture populaire initié par Léo Lagrange dans les années
d’avant-guerre et impulsé par Jean Guéhenno à la Libération, André Philip, pour la S.F.I.O., décrit la
situation “tragique ... dramatique”2 dans laquelle se trouvent les organisations de jeunesse et
d’éducation populaire et spécialement les MJC dont il a la responsabilité.
En raison de l’augmentation du coût de la vie et du nombre des maisons, “une réduction de près
des sept huitièmes [...] a été opérée sur le montant des subventions”3 d’Etat depuis 1945. Avec le
crédit de 19 millions de francs prévu pour 19504 (en 1949 il était de 27 millions), la FFMJC ne pourra
assurer les salaires des quelque 40 directeurs permanents, à moins que ceux-ci ne renoncent à
l’augmentation à laquelle ils ont droit par suite du reclassement général des fonctionnaires. Les
directeurs semi-permanents ne seront plus indemnisés. On ne pourra plus équiper les Maisons ni
leur apporter l’aide exceptionnelle prévue au moment de leur création. Sans volant financier à la fin
de l’année, on ne pourra garantir le paiement des salaires après le 1er janvier. Bien pis : “si des
ressources supplémentaires ne sont pas dégagées, la Fédération nationale des Maisons des Jeunes
sera obligée au 1er octobre de prononcer sa dissolution faute de moyens suffisants”5. A la fin de son
allocution, André Philip précise que “face à l’effort accompli dans les pays voisins même les plus
pauvres, notre carence est vraiment indigne de la France [et que l’insuffisance de crédit pour
l’éducation populaire] risque de conduire à l’échec ce qui avait été une des plus grandes promesses
au lendemain de la Libération”6.
Dans sa réponse, le Secrétaire d’Etat à l’Enseignement technique, à la Jeunesse et aux Sports
conteste à André Philip que la culture populaire connaisse en France un sort si funeste : les chiffres
des stages seraient en augmentation sensible et des succès très vifs ont été rencontrés dans le
domaine du chant choral, dans le théâtre universitaire et d’amateurs. Après avoir donné l’assurance
que tout serait fait pour que les MJC ne disparaissent pas, le Secrétaire d’Etat se demande si elles
“ne peuvent pas fonctionner sans ces directeurs permanents qui, dans un modeste budget,
représentent tout de même une dépense voisine de 16 millions de francs”7. Il conteste que les MJC
aient toujours une gestion parfaite et rigoureuse, et que les principes de laï cité dont elles se
1
André Philip rappelle une fois de plus que l’éducation populaire devait être pour la IVe République ce
que l’école laï que a été pour la IIIe République (Bulletin de liaison n° 7, p. 4).
2
Ibid. p. 4.
3
Ibid. p. 4.
4
La FFMJC a effectivement reçu 24.915.000 F pour 1950.
5
Bulletin de liaison n° 7, p. 5.
6
Ibid. p. 6.
7
Ibid. p. 7.
- 267 réclament aient toujours et partout été respectés1.
Dans une nouvelle intervention, André Philip précise sa position. Il y a certes un essor marqué de
la culture populaire, mais encore faut-il lui apporter “un peu d’aide effective qui dégagerait les
hommes qui s’y consacrent du souci quotidien de l’organisation matérielle et des nécessités
impérieuses de l’existence”2. Il n’y a que 40 directeurs permanents pour 125 Maisons, les autres ne
“touchant que des indemnités dérisoires qui ne couvrent même pas les frais qu’ils engagent”3. Or
l’expérience prouve que lorsqu’on supprime le directeur permanent, la Maison risque de disparaître,
“car c’est lui l’animateur, c’est lui l’éducateur, c’est lui qui trouve localement les ressources,
maintenant doubles de celles que l’Etat fournit”4. La FFMJC est prête à accepter tous les contrôles
financiers mais sa survie ne peut dépendre de subventionnements irréguliers. Il faut faire voter “une
loi établissant un statut définitif de l’éducation populaire française”5. Et une fois de plus, André Philip
établit un parallèle avec l’école publique : “Quand on a créé l’école publique, on l’a créée non pas
avec des organismes divers, fonctionnant à l’aide de subventions ; on l’a créée dans le cadre même
d’un effort général de la Nation”6.
Ce débat parlementaire est significatif des incompréhensions, voire des divergences, qui existent
à ce moment-là entre les conceptions et les pratiques d’éducation populaire prônées par la FFMJC
et celles de l’Etat. En ne donnant comme exemple de réussite de culture populaire que des pratiques
artistiques d’amateurs, en contestant l’utilité des directeurs et en suspectant la laï cité des Maisons,
le Secrétaire d’Etat remet en cause, même s’il s’en défend, le projet des MJC, son originalité, son
caractère de service public qui, à travers des pratiques diverses, doit favoriser la prise de
responsabilité lucide des individus et la transformation de la société.
C’est que déjà les MJC, pourtant peu nombreuses, dérangent. Elles dérangent d’abord par leurs
pratiques. En plus des tenanciers de bar qui considèrent la MJC et son foyer comme une
concurrence déloyale7, de nombreux responsables locaux y voient déjà “une tentative d’emprise
idéologique sur la jeunesse”8. Ils nient souvent l’activité culturelle de la MJC, stigmatisent la mixité,
1
“Sur différents points du territoire, des critiques ont été apportées sur le fonctionnement des
Maisons de Jeunes, les principes de laï cité qui ont été définis tout à l’heure ayant été ça et là, me
dit-on, plus ou moins entamées par une action qui ne serait plus une action laï que, mais une action
partisane qui n’a pas à s’exercer dans ce domaine”. Bulletin de liaison n° 7, p. 7. Le Secrétaire d’État
ne cite cependant aucun fait concret.
2
Ibid. p. 8.
3
Ibid.
4
Ibid.
5
Ibid.
6
Ibid.
7
On signale des faits à l’assemblée générale de Vincennes (13 mai 1956).
8
Rapport d’assemblée générale de Vincennes, p. 55.
- 268 n’acceptent pas que les jeunes eux-mêmes gèrent la maison.
D’autre part, les MJC et leur fédération ne sont pas neutres. Elles prennent position sur les
grands problèmes de société et sur les questions nationales du moment. C’est le cas, nous l’avons
vu, sur les questions touchant à la jeunesse, à l’éducation populaire et à l’enseignement en général.
La FFMJC se fait, par exemple, l’écho des revendications de l’Union Nationale des Etudiants de
France et de l’Union des Grandes Ecoles qui, sous la plume d’un certain Jacques Balland,
demandent le vote “d’une loi instituant une allocation d’étude en faveur des étudiants de
l’enseignement supérieur ayant satisfait à de strictes critères universitaires”1 et critiquent une
“politique de la jeunesse [qui devrait] assurer ‘le libre accès de tous à la culture’ que la constitution
proclame mais que la législation n’organise pas”2.
Mais ce sont la question algérienne et les retombées de la guerre qui préoccupent le plus les
MJC et leur Fédération pendant cette période. Le conseil d’administration réuni le 22 avril 1956 a
adopté une motion qui sera communiquée aux Maisons. Elle concerne à la fois la situation des
jeunes appelés et de leurs familles, et l’attitude à adopter vis à vis de la guerre elle même. Cette
motion, tout en précisant “que les statuts de la Fédération Française ne lui permettent pas de
prendre position sur une question spécifiquement politique et lui interdisent toute motion aux
pouvoirs publics3, [déclare que le conseil d’administration fédéral] prend sa part des angoisses qui
sont celles des familles des mobilisés et comprend le poignant problème de conscience qui est posé
aux mobilisés eux-mêmes”4. Les attitudes préconisées ne sont pas neutres et entendent bien
favoriser des actions, des prises de conscience et de position collectives et individuelles dans le
cadre de la conception de la laï cité que se font les MJC. Ainsi le conseil d’administration “soucieux
de l’importance de cette question des peuples en évolution qui revendiquent leurs responsabilités
civiques propres :
- recommande aux Maisons des Jeunes et de la Culture de faire place dans leurs études à
ces préoccupations nationales,
- félicite celles qui se sont déjà soucié de garder le contact avec les jeunes mobilisés et
d’aider leurs familles dans toute la mesure du possible,
- demande que la Fédération Française soit prévenue au cas où des membres mobilisés des
Maisons des Jeunes et de la Culture auraient, à titre individuel, besoin de notre aide dans des
situations particulières,
- informe les Maisons des Jeunes et de la Culture que si elles ne peuvent, en tant que
1
“Les étudiants demandent une allocation d’étude” Pas à pas n° 54, p. 32.
2
Ibid. p. 32.
3
Souligné dans le texte.
4
Motion du 22 avril 1956 (Archives FFMJC).
- 269 maisons, prendre une position publique sur ce problème, leurs membres des conseils de maison et
des conseils d’administration sont absolument libres de prendre toute position personnelle qu’il
jugeraient moralement utile ou politiquement efficace”1.
En se souciant aussi fortement du sort des jeunes appelés et en invitant aussi clairement à la
réflexion et à la prise de position, les Maisons des Jeunes et de la Culture contestent en fait la
légitimité de cette guerre et la politique gouvernementale. A preuve cette déclaration du président de
séance de l’assemblée générale de la FFMJC du 13 mai 1956 à Vincennes :
“Nous sommes, en tant que Français, engagés dans un angoissant conflit où déjà en Algérie
coule le sang de peuples frères et peut-être aussi celui de quelques jeunes de nos Maisons.
Nous voulons penser aux problèmes que pose à leur conscience d’homme et de Français
cette action dont le moins que l’on puisse dire est qu’elle ne réunit pas une totale unanimité
nationale”.2
C’est que la FFMJC est directement et institutionnellement concernée. La question algérienne
touche prioritairement les jeunes. Le jeune, au retour d’Algérie, “a d’énormes difficultés à se
réadapter. Parti adolescent, il revient ancien combattant [et les organisations de jeunesse] ne
peuvent rester indifférentes aux méfaits de la guerre”3. Les MJC doivent donc “limiter les effets
néfastes de cette guerre, [aider le jeune] à se réadapter à la vie normale et à reprendre conscience
de son rôle à jouer dans la société”4.
D’autre part des MJC sont implantées en Algérie. En 1956, l’Algérie compte une demi-douzaine
de Maisons affiliées à la FFMJC : Oran, Béni-Saf, Tlemcen, Nemours, Sidi-Bel-Abbès, Alger,
Mostaganem. A l’assemblée générale de Vincennes, le délégué général A. Léger rend longuement
compte de la situation de ces Maisons et des difficultés à faire appliquer les principes qui doivent les
régir. A Tlemcen, où l’on accueillait tous les jeunes (un tiers de Musulmans, un tiers d’Israélites et un
tiers d’origine européenne), le général commandant la Région s’est installé dans le local. Le
directeur, après un long interrogatoire, doit se replier sur Oran ; “les jeunes Musulmans, les
Israélistes et les Européens qui étaient là ont pleuré devant l’effondrement de cette volonté d’union
morale qui existait”5.
Les MJC d’Algérie essayeront jusqu’au bout, avec le soutien de la FFMJC, de maintenir cet esprit
de rencontre et d’entente entre jeunes d’opinions et d’origines différentes. La MJC d’Oran
1
Motion du 22 avril 1956 (Archives FFMJC).
2
Rapport Assemblée générale de Vincennes, p. 10.
3
Texte élaboré par la commission sur la situation des jeunes à leur retour d’Algérie et voté à
l’unanimité moins 1 voix et 3 abstentions par l’assemblée générale plénière de Chambéry, le 6 juin
1960 (p. 43).
4
Ibid. p. 44.
5
Compte-rendu Assemblée générale de Vincennes, p. 94.
- 270 accueillera, y compris dans la période la plus difficile de la guerre, une troupe d’expression arabe
animée par le comédien et marionnettiste Saï d Hamidi. Pendant cette période, la FFMJC propose
régulièrement l’organisation en métropole de tournées de troupes venues d’Algérie et regroupant des
Français et des Musulmans. Tout cela jusqu’au jour où, la situation devenant intenable, les
directeurs fédéraux d’Algérie devront regagner la métropole1.
En 1960, la position de la FFMJC sur la question algérienne est alors parfaitement explicite. Pour
certains, il est “moins question de préparer les jeunes à cette guerre ou de s’organiser pour les
recevoir à leur retour, que de tout mettre en oeuvre pour que cette guerre cesse”2. L’assemblée
générale nationale des MJC invite les 53 organisations de jeunesse rassemblées dans le GEROJEP3
à organiser sur le plan national, et le plus largement possible, une pétition condamnant cette guerre
néfaste. C’est que déjà, quelques années plus tôt, le président André Philip a donné le ton. Alors
membre du comité directeur de la SFIO, il avait condamné publiquement le détournement de l’avion
de Ben Bella et exprimé son désaccord avec la politique de Guy Mollet. Exclu du parti en 1957, il
1
“Mon expérience de comédien professionnel et d’instructeur CEMEA avait conduit Christiane Faure,
responsable des questions de jeunesse et d’éducation populaire en Algérie - et pour la petite
histoire, belle-soeur d’Albert Camus - à me demander de prendre la direction de la MJC de Tlemcen à
son ouverture en juin 1955. Les MJC étaient quasiment le seul endroit public où des jeunes et
adultes européens et arabes pouvaient parler sereinement, sinon en sécurité, des “évènements”.
Après l’occupation de la MJC de Tlemcen par l’armée française et un long et pénible interrogatoire
par les services de police (nous accueillions de nombreuses jeunes élites engagées ou proches du
FLN), j’ai regagné prestement Oran, où Christiane Faure m’a confié la direction de la MJC. Nous
gérions des locaux éclatés, un théâtre qui accueillait des artistes aussi bien d’expression arabe que
française. Au moment de l’O.A.S., les locaux ont été plastiqués. J’ai été sommé de choisir mon camp
; j’ai reçu des menaces de mort et ma voiture a été incendiée. En novembre 1961, j’ai regagné la
France avec femme et enfants et j’ai pris la direction de la MJC d’Epernay avant d’être nommé à Aixen-Provence” (Entretiens avec Jean Nehr qui sera plus tard délégué régional de la FFMJC auprès de
la Région Méditerranée).
2
Compte-rendu de l’assemblée générale de Chambéry (5-6 juin 1960), p. 44.
3
Groupe d’Études et de Rencontres des Organisations de Jeunesse et d’Éducation Populaire.
- 271 rejoindra bientôt le Parti Socialiste Autonome puis le Parti Socialiste Unifié.
Mais nous sommes déjà entrés dans une nouvelle ère pour les Maisons des Jeunes et de la
Culture. Le général de Gaulle préside aux destinées de la France et Maurice Herzog s’engage
résolument dans une politique nationale de la jeunesse.
- 273 -
TROISIÈME PARTIE
L’INSTITUTION ACHEVEE
- 275 -
CHAPITRE - I LE DÉVELOPPEMENT DES MJC DANS LES ANNÉES 60
1 - Une politique nationale de la jeunesse
Octobre 1958 voit la création d’un Haut Commissariat à la Jeunesse et aux Sports. Maurice
Herzog, qui en est le Haut Commissaire, en même temps que le secrétaire général du Haut
commissariat à la Jeunesse, fait rapidement connaître les intentions d’un gouvernement qui entend
rompre, dans ce domaine comme dans d’autres, avec l’apathie des équipes d’une quatrième
République empêtrée dans les difficultés liées à l’instabilité gouvernementale et aux problèmes de la
décolonisation.
Dans son principe, la politique de la jeunesse que préconise Maurice Herzog s’appuie à la fois
sur la tradition et l’innovation :
“Tout ce qui est entrepris en faveur de la jeunesse doit procéder d’une même intention. Notre
action commune est définie par cette tradition de civilisation et de culture qui a donné naissance à
l’humanisme, source et but de toute formation intellectuelle, physique et morale.... Servir la jeunesse,
c’est continuer, en l’amplifiant, en l’adaptant aux nécessités présentes, un travail qui remonte aux
sources même de nos traditions universitaires : l’innovation n’est durable que dans la
reconnaissance de ce qui, au cours des siècles, a été si honnêtement et si brillamment accompli”1.
Cette politique se réfère à quelques observations et valeurs simples : le progrès technique met en
péril la qualité humaine ; la France sera bientôt un des pays les plus jeunes par sa population ; il faut
donc former “des hommes meilleurs, plus complets, mieux assurés pour la vie et aussi pour le
bonheur”2 ; l’homme ne peut s’épanouir que dans un climat de liberté, d’autant que “le destin du
monde moderne est lié à l’éducation à la sauvegarde de la liberté”3.
Cette politique de la jeunesse est sans aucun doute constitutive de l’idée de la France que se fait
le général de Gaulle :
“La France en a conscience : son avenir, plus que toute autre richesse, est dans la valeur de
ses enfants. Nous voulons faire en sorte que sa jeunesse, dans tous les domaines de l’action
et de la pensée, renouvelle constamment l’élan créateur que notre pays se doit à lui-même et
1
Extrait de l’allocution prononcée par M. Maurice Herzog aux Inspecteurs d’Académie (Pas à pas n° 89,
décembre 1958, p. 2).
2
Extrait de l’allocution prononcée par M. Maurice Herzog aux Inspecteurs d’Académie (p. 2).
3
Ibid.
- 276 que le monde attend de nous”1.
Cette politique éducative et culturelle doit être globale et coordonnée : “L’homme se cultive
également sur les stades, à la Maison des Jeunes et sur les bancs de l’école, [et les solutions aux
enjeux de notre temps] doivent être recherchés avec les représentants des organisations de
jeunesse et des administrations intéressées”2. D’où l’institution à la Présidence du Conseil, d’un Haut
Comité à la Jeunesse de France et d’Outre-Mer, dont le Haut Commissaire à la Jeunesse et aux
Sorts assure le secrétariat général. Ainsi a-t-on tout à fait le sentiment qu’au niveau consultatif du
moins, la politique de la jeunesse gardera et englobera la politique éducative alors que jusqu’à ce
moment-là elle n’a été, sous la forme d’une Direction de la Jeunesse et de l’Education populaire,
qu’un modeste service de l’Education nationale.
Le Haut Comité à la Jeunesse de France et d’Outre-mer, dans sa réunion du 17 décembre 1958
présidée par le général de Gaulle, est investi des missions suivantes :
“- Commission consultative pour les ministères intéressés, notamment le Haut Commissariat à
la Jeunesse et aux Sports, pour toutes les questions relatives à la jeunesse.
- Lieu de rencontre où doit s’établir un dialogue entre les pouvoirs publics et la jeunesse.
- Cercle d’étude où peuvent s’élaborer différentes conceptions concernant le rôle de la
jeunesse dans le pays, où peuvent naître les suggestions dont seront saisis les différents
ministères intéressés, et particulièrement le Haut Commissariat à la Jeunesse et aux Sports”3.
Pour les domaines qui le concernent directement (l’éducation populaire, les colonies de
vacances, l’éducation physique et sportive), le Haut Commissariat à la Jeunesse aura pour mission
d’ “associer la jeunesse aux réalisations du pays [par] une politique d’animation, d’expression et de
déconcentration qui se substituera à la politique de répartition et de centralisation des années
antérieures”4. Ses moyens sont dès 1959 très sensiblement augmentés : 30% de plus pour
l’ensemble des missions du Haut Commissariat, près de 75% pour les actions auprès de la
jeunesse, 50% pour l’éducation populaire, 20% pour l’éducation physique et sportive, 10% pour les
équipements en attendant que ne soit programmé un plan pluriannuel d’équipement.
L’Etat, tout en adoptant à nouveau une attitude interventionniste et très innovatrice, affirme par la
bouche de M. Maurice Herzog “sa volonté de favoriser les initiatives prises au sein des mouvements
de jeunesse et d’apporter son aide en respectant les libertés, l’indépendance et la pluralité de la
jeunesse”5. Ainsi s’agit-il d’encourager “non pas une jeunesse organisée par l’Etat, mais une
1
Allocution prononcée par M. Maurice Herzog aux Inspecteurs d’Académie (p. 2).
2
Ibid.
3
Conférence de presse de M. Maurice Herzog du 17 décembre 1958, dont la revue Pas à pas publie
l’intégralité du texte (n° 90, janvier 1959, p. 1 à 3).
4
Ibid. p. 1.
5
Conférence de presse de M. Maurice Herzog du 17 décembre 1958 (p. 3).
- 277 jeunesse lucide et consciente qui s’associera d’elle-même aux réalisations du pays”1.
Ce pari d’une autonomie participative de la jeunesse favorable au développement et au
rayonnement de la France2 a besoin, pour réussir, de structures susceptibles à la fois de rassembler
localement les organisations de jeunesse et d’accueillir la grande majorité des jeunes inorganisés
dont une frange non négligeable connait des difficultés d’intégration sociale et morale. En effet, la
jeunesse de la fin des années 50, en plus d’être plus nombreuse, se caractériserait à la fois par
“l’instabilité” mais aussi une certaine “lucidité”, par “l’isolement moral” et un “tourment permanent” de
telle sorte que “l’esprit qui l’anime a subi une dégradation civique grave au cours de ces dernières
années [et que] condamnant et méprisant les moeurs politiques, la jeunesse [se serait] réfugiée dans
l’abstention ou les excès”3.
D’emblée, le Haut Commissaire à la Jeunesse et aux Sports s’est particulièrement intéressé à
l’expérience des Maisons des Jeunes et de la Culture qui accueillent des jeunes pas encore
organisés, dans des structures permanentes, ouvertes et repérables, et qui, là où elles sont
implantées, ont généralement le soutien financier des municipalités. La revue Pas à pas relate avec
précision, documents photographiques à l’appui, les différentes visites de M. Maurice Herzog dans
les MJC, notamment à Alger4 et à Château-du-Loir où un équipement vient d’être construit5.
L’interview que M. Maurice Herzog donnera au journal Le Monde le 18 septembre 1959 sonnera
le coup d’envoi du développement des Maisons des Jeunes et de la Culture. De nombreux maires
demanderont la création d’une MJC : dans la semaine qui suit la parution de l’article, la FFMJC
enregistrera 60 demandes au lieu de 3 ou 4 habituellement6.
De ce long entretien avec Eugène Mannoni, le journal extrait trois idées maîtresses qu’il met en
évidence dans la présentation :
“• L’une des chances de la France est de posséder une jeunesse exceptionnelle.
• Les véritables “blousons noirs” existent mais ils sont peu nombreux.
• Un programme en voie d’élaboration prévoit notamment la multiplication des “Maisons de
Jeunes”.
Maurice Herzog se penche en effet longuement sur le phénomène des “Blousons noirs” qu’il ne
faut ni sous-estimer, ni exagérer. Les Blousons noirs ne sont qu’une infime partie de la jeunesse, qui
1
Ibid. p. 3.
2
Maurice Herzog affirme qu’au renouveau démographique et économique de la France doit répondre
“un renouveau politique”. (Ibid. p. 1).
3
Ibid. p. 1.
4
Pas à pas n° 90, janvier 1959.
5
Pas à pas n° 97/98, octobre 1959.
6
Entretien avec Paul Jansen.
- 278 se recrute généralement dans les milieux très défavorisés où les conditions matérielles et morales
d’existence sont difficiles pour des jeunes, par ailleurs vulnérables et victimes de l’influence néfaste
d’un certain cinéma et d’une certaine presse1. Mais le phénomène peut s’amplifier car les causes
sont bien réelles : les banlieues des grandes villes sont sous-équipées sur le plan sportif et socioculturel, et, pour de nombreux jeunes, “l’éducation n’est souvent qu’enseignement à l’école et routine
à la maison”2.
Le Haut Commissaire à la Jeunesse et aux Sports préconise quelques remèdes dont “l’expansion
rapide des Maisons des Jeunes”, la création d’équipements socio-culturels dans les groupes
d’habitations modernes”, “le développement des sports dans les milieux déclarés vulnérables,
notamment des sports d’équipe virils (rugby) et tout particulièrement des sports de risque”, le soutien
“aux métiers saisonniers”... -“puisqu’on constate durant les vacances une recrudescence des
bandes”- , le développement “des associations de cogestion”.
Les Maires sont particulièrement sollicités, notamment pour l’extension des Maisons des Jeunes
et des équipement collectifs qui doivent relever d’une étroite collaboration entre l’Etat et les
collectivités locales : “[Les maires] peuvent prendre de larges initiatives dans ce domaine en faisant
les propositions jugées par eux les plus adéquates. Le Haut Commissariat subventionnera au
maximum, dans le cadre de ses possibilités, leurs efforts”3.
Les maires, plus habitués à gérer du béton et du bitume que des problèmes éducatifs, culturels et
sociaux, sont en effet souvent désemparés devant la montée des jeunes. Ils redoutent les
phénomènes de bandes que les médias, notamment la presse, ont tendance à exagérer. Les
propositions de collaboration de l’Etat et de soutien financier à leurs initiatives, conduiront
rapidement nombre d’entre eux à s’engager dans ce nouveau secteur de l’action municipale4.
Dès lors et jusqu’en 1966, la FFMJC bénéficiera, en la personne de M. Herzog, d’une oreille
particulièrement attentive de l’Etat. “Il est agréable au secrétaire fédéral de présenter cette année le
rapport moral : jamais en effet notre situation n’a été aussi favorable, lit-on dans le rapport de
l’assemblée générale de Chambéry5 ; nous étions au bord du fossé... Mais en automne 1958, le Haut
Commissariat à la Jeunesse et aux Sports nous assurait que les Maisons des Jeunes et de la
Culture conserveraient leur structure, maintiendraient leurs principes et continueraient leur action ;
1
Pour M. Herzog, James Dean et “La fureur de vivre” aurait été incontestablement un mauvais
exemple pour toute une catégorie de jeunes livrés aux loisirs inactifs.
2
Interview au Monde.
3
Ibid.
4
C’est en effet à partir de ces années-là que les collectivités locales développeront réellement une
politique de la jeunesse, de la culture et de l’animation socio-culturelle, d’autant que, dans un
domaine proche, la politique culturelle conduite par André Malraux est également fortement
incitatrice.
5
5-6 juin 1960 (op. cit., p. 2).
- 279 par un complément de subvention de 5 millions d’anciens francs, il couvrait une partie du déficit”.
Depuis fort longtemps, les MJC et leur fédération mettaient en évidence les difficultés
d’intégration sociale d’une jeunesse de plus en plus nombreuse. Dans les textes préparatoires à
l’assemblée générale de Colmar (17-18 mai 1959), les responsables de la FFMJC faisaient une large
place à une situation particulière mais facilement généralisable à l’ensemble de l’espace urbain : la
population actuelle de la ville de Caen s’élève à 85.000 habitants dont 14.000 enfants d’âge scolaire
(6-14 ans), ce qui donnera 12.000 adolescents de 14 à 20 ans dans les prochaines années : or les
jeunes sont de plus en plus en rupture avec la société des adultes ; les mutations sociales se
traduisent par une emprise de plus en plus faible de la famille sur les jeunes qui ont une propension
à se rassembler et à former des bandes. Ils ont en fait besoin “de point d’appui, de dialogue avec des
adultes compréhensifs”1 ; la MJC doit donc créer un maximum de points d’appui, c’est dire de locaux
et de postes d’éducateurs.
Mais jusqu’à ce moment-là, l’Etat n’avait jamais réellement répondu aux projets d’équipement et
de développement de la FFMJC. Le premier plan d’équipement quinquennal correspondant aux
années 1952 à 56, déposé sur invitation du Secrétariat d’Etat par la FFMJC en octobre 1951, était en
effet resté lettre morte. Même chose pour le deuxième, déposé le 13 mai 1956, qui prévoyait la
création de 468 Maisons nouvelles entre 1957 et 1961. A l’opposé, les lois-programme d’équipement
proposées par Maurice Herzog et votées à la quasi unanimité par le parlement auront un effet très
sensible, voire spectaculaire, sur le développement des MJC : au milieu des années 60, on construit
deux MJC par semaine et la deuxième loi-programme (1966-70) prévoit de construire 750 maisons
nouvelles.
Comment les Maisons des Jeunes et de la Culture traduisent-elles en actes, en pratiques
éducatives quotidiennes, la politique de la jeunesse voulue par le Haut Commissaire à la Jeunesse
et aux Sports ? Vraisemblablement, pour deux raisons essentielles et concomitantes - d’une part
l’originalité, la pertinence, et l’efficacité avérée de leur projet expérimenté dans les années
antérieures, d’autre part la confiance, que certains ont qualifiée de sans bornes, du Haut
Commissaire - les Maisons des Jeunes et de la Culture ont conduit une action qui, tout en restant
attentive à la volonté de l’Etat, s’est développée selon les principes, les pratiques éducatives et les
structures élaborées intellectuellement et dans l’expérience, depuis leur fondation en 1944, et fixées
dans les textes fondamentaux de 1948.
Il serait faux de dire que les MJC n’ont pas évolué dans leurs pratiques pendant toute cette
période de forte croissance ; elles l’ont fait dans les domaines les plus divers : les activités, les
relations avec les collectivités locales et l’Etat, l’accueil de publics plus nombreux et diversifiés, le
recrutement et la formation des bénévoles et des professionnels. Mais ce qui domine, c’est leur
1
Rapport de l’assemblée générale de Chambéry, p. 20.
- 280 capacité à mettre en oeuvre des principes constitutifs de leur identité (laï cité ouverte, liberté) et à
faire fonctionner des structures et des dispositifs pédagogiques élaborés pendant la traversée du
désert (vie fédérative, développement des activités culturelles en plus des simples activités de
rencontre et de loisir, conseil de maison). C’est en fait une institution jeune, forte de la certitude et de
l’expérience de nombreux de ses pionniers, qui entre, sans concession véritable1, dans cette
nouvelle ère politique, sociale et économique qu’est la France de la Ve République.
Dans les années 60, l’originalité de l’apport des MJC aux questions de jeunesse et d’éducation
populaire se résume globalement dans le concept de développement communautaire que l’on
retrouve dans de nombreux textes de cette période. Les concepts de responsabilité, d’initiative, de
formation et de réflexion individuelle, de démocratie n’ont pas été abandonnés. Ils sont articulés dans
un concept à la fois plus large et plus opérationnel qui décrit et guide tout un itinéraire pédagogique
conduisant de l’individu au collectif.
L’un des textes les plus explicites de ce développement communautaire se trouve dans les
documents préparatoires à l’assemblée générale nationale de Nancy (1-2-3 juin 1963)2 qui
reproduisent sur cette question un rapport réalisé par l’une des commissions des précédentes
journées d’études des directeurs. Le développement communautaire y est décrit moins comme un
modèle d’organisation sociale que comme un mode d’intervention socio-culturelle appuyé sur un
certain nombre de principes et de dispositifs pédagogiques et structurels.
D’abord pour les principes : l’individu ne peut appréhender les problèmes sociaux, économiques
et culturels que dans le cadre d’une démocratie. La mission d’une démarche d’éducation populaire
est “d’amener chaque individu à être capable de formuler un jugement sur les problèmes généraux
et à se sentir responsable de leurs solutions”3, ce qui exige que l’on mène deux formations
complémentaires, “chacune puisant dans l’autre un complément d’enrichissement et de dynamisme :
1) la culture personnelle destinée à développer la curiosité, le souci d’information, l’esprit
d’analyse et de synthèse, le jugement, le choix débouchant sur l’action ;
2) le sens communautaire”4.
Ensuite, la démarche pédagogique. La vie au sein de la MJC étant avant tout de forme
communautaire, la cohabitation constante de l’individu avec une collectivité doit amener, peu à peu,
celui-ci à se poser les problèmes inhérents à cette communauté, puis à toute communauté. Cette
1
Sauf sans doute sur le financement des postes de directeurs dans le cadre du FONJEP, décision très
débattue dans le FFMJC (1963-64), qui permettra le développement du corps des directeurséducateurs mais ouvrira également la porte au désengagement financier de l’État.
2
Rapport moral - rapport d’activité 1962. Textes et études pour 1964 : “Quelques idées sur les
Maisons des Jeunes et de la Culture et le développement communautaire”, p. 31.
3
Textes préparatoires à l’assemblée générale de Nancy, p. 31.
4
Textes préparatoires à l’assemblée générale de Nancy, p. 31.
- 281 pédagogie institutionnelle, qui se donne les dispositifs éducatifs et les structures qu’elle juge les plus
à même de réaliser le projet, a ses passages obligés dans une sorte d’initiation par étapes. L’accueil
est le premier contact de l’usager avec la MJC, “le premier moyen d’introduction d’un individu dans
un milieu collectif, le premier point commun entre une individualité et un groupement”1. Ce moment
doit être particulièrement soigné : climat, ambiance, cadre, réception amicale mais sans démagogie,
doivent faciliter l’entrée de l’individu dans la collectivité. L’activité est le deuxième espace de ce
cheminement à la fois individuel et collectif. Le jeune adhérent ne devra pas se cantonner dans la
seule activité répondant à son intérêt personnel premier. On lui suggérera de se diriger vers des
activités nouvelles favorables à son épanouissement personnel et au développement d’aptitudes
individuelles et collectives qu’il ne soupçonnait pas lui-même : activités culturelles, d’expression, de
création collective (art dramatique, chant choral, audio-visuel...). L’étape suivante consistera à le
faire participer à des services intérieurs (foyer, bar, accueil de spectacles) et à le rendre actif au sein
de groupes d’animation : “peu à peu, du rôle de participant, il passera au rôle de responsable”2.
A ce moment-là, “le ‘leader’ aura pris corps ; il faudra alors le fixer dans le cadre du conseil de
maison, du conseil d’administration où il aura des responsabilités de gestion financières et
créatrices”3. A ce stade, l’usager fait l’expérience de la délégation de pouvoir dont il devra rendre
compte. Il a pris conscience de ses aptitudes, de sa valeur de responsable au sein d’une collectivité.
La question est désormais la suivante : “comment l’amener à une participation active au
développement de la commune et de la région ?”
Après l’accueil, les activités, les prises de responsabilités ponctuelles puis institutionnelles dans
les instances de représentation, de concertation et de décision de la MJC, l’individu doit être à même
de s’impliquer dans la société, d’autant que le caractère ouvert et le fonctionnement co-gestionnaire
de la MJC ont favorisé ce passage. En effet, dans le cadre des activités du conseil de maison, du
conseil d’administration et des diverses commissions, le responsable a eu à étudier des problèmes
qui débordent largement le seul cadre limité de la MJC : animation et développement global,
finances, urbanisme..., toutes questions qui concernent la démocratie locale. Il a participé à des
actions concertées avec les associations, mouvements et institutions locales et a eu à débattre avec
les représentants municipaux locaux.
Le maillon institutionnel central de ce long cheminement de formation politique est le conseil de
maison, structure intermédiaire entre une vie collective - où l’individu entretient avec autrui des liens
sociabilitaires encore peu formalisés et où les prises de responsabilité restent ponctuelles ou très
sectorielles - et l’organe de décision et de concertation avec les partenaires publics qu’est le conseil
1
Ibid. p. 31.
2
Ibid.
3
Ibid. p. 32.
- 282 d’administration. C’est également dans cette instance, sorte d’école élémentaire de la démocratie
participative et représentative1, que s’organisent les rapports entre jeunes et adultes, et ce n’est pas
un hasard si les responsables de la FFMJC ont pendant les années 60 un souci permanent, dans
leur analyse des résultats, de comprendre le rôle joué par les conseils de maison2.
L’articulation pourtant sophistiquée entre le conseil de maison et le conseil d’administration rappelons que le conseil d’administration a droit de veto par l’intermédiaire du directeur sur les
décisions du conseil de maison, lorsqu’elles sont contradictoires avec celles de l’organe de décision,
mais que dans le même temps les membres élus représentant les usagers doivent être pris pour un
tiers d’entre eux parmi les membres du conseil de maison - a eu des résultats que l’on peut
considérer comme particulièrement positifs, tant du point de vue de la réalisation du projet
pédagogique que du dynamisme des MJC. En effet, dans cette période de grand développement de
l’Institution, les MJC sont d’abord gérées par des conseils d’administration généralement composés
de notables locaux à titres divers : élus municipaux, responsables de mouvements de jeunes,
hommes et femmes de bonne volonté qui veulent faire quelque chose pour les jeunes. Le dispositif
‘conseil de maison’ et le rôle pédagogique qu’y joue le directeur-éducateur auront pour effet
bénéfique de revitaliser des conseils d’administration qui, sans cela, auraient périclité, et avec eux
l’ensemble institutionnel. En effet l’ancrage fort des conseils de maison dans les activités et auprès
des usagers, leur donnait un poids qui compensait largement leur dépendance institutionnelle vis à
vis du conseil d’administration et qui pouvait, lors des assemblées générales, modifier les
orientations et faire basculer des majorités souvent appuyées sur le consensus des fondateurs.
Ces toniques transformations, prises de responsabilité et de pouvoir ne se font pas toujours dans
la douceur, d’autant que, compte tenu de l’importance grandissante des MJC et de la mission
d’intérêt général qu’elles entendent remplir, les enjeux deviennent localement et même
nationalement plus importants. L’analyse de 260 rapports sur 425 MJC réellement en exercice au
31/12/65, fait longuement état des relations généralement dynamiques mais aussi conflictuelles entre
le conseil de maison, d’une part, le conseil d’administration, éventuellement les pouvoirs publics et
même le directeur, d’autre part. Mais tout compte fait, une pédagogie du conflit, voire de
l’affrontement, reste préférable à un statu quo qui maintiendrait chaque partie dans les positions
acquises, charge au directeur-éducateur de trouver les solutions favorables à la réalisation du projet
pédagogique et qui ne mettent pas en cause l’existence de la structure3.
1
Le conseil de maison relève des deux formes : l’individu est très participatif dans les activités et
actions quotidiennes de la Maison ; mais en même temps il représente une partie plus ou moins
importante des usagers dont il est issu et dont il a mandat.
2
L’analyse des résultats de 1965 intitulée “Les jeunes et les adultes” ne concerne guère que le rôle du
conseil de maison dans le développement communautaire.
3
Dans les années 70, l’affrontement et le conflit seront souvent érigés en méthode pédagogique de
l’éducation populaire : “Très souvent, l’expérience a prouvé que le conflit agissait comme révélateur,
permettait de mieux comprendre la situation qui l’avait provoqué et celle ainsi créée, conduisant à
- 283 En fait, malgré la volonté affirmée du Haut Commissariat à la Jeunesse et aux Sports de conduire
une politique nationale de la jeunesse et de faire confiance à la FFMJC pour sa mise en oeuvre, les
Maisons des Jeunes et de la Culture ne voudront jamais être de simples maisons de jeunes et
encore moins des maisons des jeunes. Le contact entre générations et l’accueil des adultes seront
une préoccupation constante des responsables bénévoles et professionnels. On pense que la
collaboration des générations, même si elle n’est pas chose aisée, est fructueuse. On fait référence
aux fondateurs en citant Jean Guéhenno : “Il n’y a pas de problèmes spécifiquement jeunes ; il y a
des problèmes généraux qui peuvent être étudiés d’un point de vue jeune”1. D’autre part, on pense
que “la jeunesse avec un grand “J” séparée du pays est un concept totalitaire”2 ; on rejette ainsi toute
tentative interne ou externe d’embrigader la jeunesse, de la traiter à part et à des fins
antidémocratiques, de la mettre en tutelle des adultes voire d’un quelconque pouvoir politique
comme ce fut le cas dans la période d’avant 1946.
Le souci constant des responsables et des éducateurs est de satisfaire à une double exigence,
anthropologique et politique, qui est à la fois de faciliter “le passage délicat et important de l’état
d’adolescent à l’état d’adulte”3 et de former des citoyens pour une société plus communautaire, plus
démocratique où responsabilités et pouvoirs seraient plus partagés et pas attribués d’avance. Les
MJC sont et doivent être “des pépinières de membres ou de responsables d’associations, de
syndicats, de partis, de conseils...”4. Pour cela, les individus, les générations et les classes sociales
doivent se côtoyer, communiquer, éventuellement s’affronter dans le cadre de structures où la
définition et le respect des règles et décisions communes font force de loi5.
Tant du point de vue de leurs pratiques et activités que du point de vue du public accueilli, les
l’évolution nécessaire. A ce point que l’on peut conclure que bien souvent cette pédagogie de
l’Institution est aussi une pédagogie de l’affrontement.” Texte préparatoire au rassemblement des
MJC (Reims 29-30-31 mai 1982), qui fait le point sur les expériences des années antérieures.
1
Rapport moral de l’assemblée générale nationale de Villeurbanne (5 juin 1965), p. 22. La référence
du texte dont est extraite cette citation n’est pas donnée.
2
Ibid. p. 22.
3
Ibid. p. 22.
4
Ibid. p. 23.
5
“Une MJC réclame, pour vivre, le pluralisme des opinions et leur affrontement... Le principe de la
rencontre et du dialogue s’il implique le refus du dogmatisme de la vérité unique ou du parti unique
ou de la famille spirituelle unique n’implique pas pour autant la reconnaissance du droit de n’importe
quelle opinion à équivaloir n’importe quelle autre. [...] Le dialogue suppose une base commune :
cette base, la FFMJC la voit dans l’acceptation de l’esprit coopératif. Qui n’accepte pas cela ne peut
dialoguer valablement dans une MJC... Il y a sans doute quelque difficulté à maintenir une tension
féconde entre les deux exigences... Orientées par la seule exigence de la rencontre et du dialogue,
les MJC ne seraient en effet que des auberges et les directeurs des hôteliers. Orientées par la seule
exigence de la coopération, les MJC pourraient vite glisser sur la pente de l’intégration et de
l’enrégimentement (de gauche ou de droite). La logique de chacune des deux exigences doit être
corrigée par celle de l’autre”. Michel Amiot, Les jeunes et les adultes , supplément à Pas à pas n°
164, 2ème trimestre 1966 (p. 16-17).
- 284 MJC des années 60 ne se laissent pas enfermer dans le secteur limité des loisirs, spontanément
pratiquées par les jeunes : activités sportives, de rencontre, de pleine nature, foyer, soirées
récréatives et surprise-parties... Les “Maisons des Jeunes”, comme on les dénomme couramment à
ce moment-là, sont et veulent être des Maisons des Jeunes et de la Culture. Dans les années 50
déjà, la revue Pas à pas se veut une revue culturelle incitant au développement d’activités culturelles
dans les MJC, auprès des jeunes qui n’y ont pas “spontanément accès”. La tendance se confirme
dans les années 60. On y traite à la fois de la connaissance des autres civilisations, de cinéma, de
poésie, de théâtre, de musique, d’échanges culturels internationaux, d’arts plastiques, de littérature...
Malgré la tentative du nouveau Ministère de la Culture, qui est de cantonner les MJC à la
jeunesse pour réserver la culture aux Maisons de la Culture1, les MJC ne cesseront de pratiquer et
revendiquer une polyvalence sans limite de leurs activités dans les domaines du loisir, de la
formation, de la création, et de la diffusion. Le titre d’un des articles de Lucien Trichaud, alors
délégué général et rédacteur en chef de la revue Pas à pas, est significatif : “De la jeunesse à la
culture”2, rappelant par là que la MJC est bien polyvalente, tant dans ses activités que dans les
publics accueillis. La différence fondamentale avec la Maison de la Culture - et c’est sans doute cela
l’éducation populaire - c’est que pour la FFMJC, la culture ne se limite pas aux beaux-arts, que toute
discipline artistique peut faire l’objet d’une appropriation par le faire et pas seulement par le voir, que
la culture ainsi conçue et pratiquée entre nécessairement dans la formation du citoyen et concourt
au développement communautaire à condition, comme c’est le cas dans les MJC, que cette culture
soit acquise dans une structure favorisant la décision collective, la participation, la prise de
responsabilité. Ainsi la FFMJC se préoccupe-t-elle tout autant et même sans doute plus, des
conditions structurelles de la pratique culturelle que des contenus artistiques et de leur valeur
esthétique. Comme on le rappelle à l’assemblée générale de Lisieux3, “il n’y a pas de maisons des
jeunes : il y a des Maisons des Jeunes et de la Culture”. Il faut donc que la FFMJC aide les MJC à
développer leur action culturelle, et c’est la fonction du service culturel déjà mis en place dix années
auparavant.
Cet engagement concret dans une forme originale d’action culturelle qui tend à privilégier la
promotion sociale et politique des publics plutôt que celle des oeuvres, conduit les MJC, pourtant
historiquement premières, à ne pas voir dans les Maisons de la Culture une concurrence déloyale et
inopportune mais bien une complémentarité. Plutôt que d’entrer en concurrence avec ces futures
cathédrales du monde moderne, il faut oeuvrer pour la synergie entre MJC et Maisons de la Culture :
1
A la fin des années 50, la FFMJC aurait reçu une lettre du tout jeune Ministère de la Culture lui
demandant de supprimer le mot “culture” à MJC et ce dans le souci d’éviter toute confusion entre
Maison de la Culture et Maison des Jeunes et de la Culture. La FFMJC n’accepta pas et le Ministère
de la Culture n’insista pas.
2
Pas à pas n° 162, mars 1966, p. 2 et suivantes.
3
Les 13-14-15 mai 1967. Rapport de la Commission n° 8, “Action culturelle”, p. 1.
- 285 “Dès maintenant, il n’est plus question de modifier notre titre ni notre action et il semble acquis
que dans les petites villes et les localités plus modestes, la MJC sera considérée par le
Ministère de la Culture comme son point d’appui... Si dans une très grande cité, une Maison
de la Culture est toutefois créée parallèlement à une MJC, nul doute que leurs positions
respectives et leurs fonctions réciproques ne soient aisément établies : des deux côtés une
même volonté loyale, confiante et efficace nous assure que seront trouvées les meilleures
solutions pour les unes et pour les autres”1.
C’est que sans doute les enjeux des Maisons de la Culture et de leur ministère de tutelle ne sont
pas explicitement les mêmes que ceux des MJC, quoique certaines de leurs pratiques se
ressemblent à s’y méprendre. Les enjeux esthétiques et de communion fusionnelle de l’ensemble
des hommes dans les oeuvres, qui caractérisent le projet des Maisons de la Culture, tranchent avec
les objectifs plus clairement politiques et engagés des Maisons des Jeunes et de la Culture qui
apparaissent déjà, par la dynamique de confrontation qu’elles mettent en jeu, comme des espaces
de revendication, voire de contestation. Et il est vrai que, dans les années 60, elles enfourchaient
déjà quelques chevaux de bataille : la guerre d’Algérie d’abord, la liberté d’expression2, la
revendication de la majorité à 18 ans3, avant d’être considérées, aux grands moments de 1968,
comme des repaires de gauchistes.
2 - Conditions et atouts d’un développement
Des déterminations sociales profondes ainsi que des atouts historiques et structurels, hérités des
années de maturation,
expliquent que dans ces années 60 se développe jour après jour une
institution, qui n’était pas promise au fulgurant destin annoncé des Maisons de la Culture, mais qui,
pourtant, s’étend en un maillage particulièrement dense de structures. Pourquoi en effet ce
formidable développement des MJC à cette période précise ? Quel est le faisceau des conditions qui
sont réunies pour qu’une institution se développe brutalement à un tel rythme ?
a) les conditions sociales
Les raisons invoquées par les acteurs comme autant de justifications à cet accroissement ont
effectivement des fondements objectifs. Dans son mouvement séculaire, l’urbanisation connait un vif
accroissement entre 1954 et 1968. L’augmentation moyenne passe de 0,9% par an entre 1851 et
1954 à 2,5% par an entre 1954 et 19684. Par contre, le recensement de 1982 permet de constater
1
2
Rapport moral de l’assemblé générale de Paris (21 mai 1961), p. 11.
A propos de l’interdiction du film “La religieuse”, l’assemblée générale de Troyes (28-29-30 mai
1966) vote une motion sur la liberté d’expression à l’unanimité des 600 votants moins 2 voix
contre et 9 abstentions.
3
Également à l’assemblée générale de Troyes (compte-rendu, p. 32 et suivantes).
4
Données sociales 1984, p. 234.
- 286 l’arrêt de la croissance urbaine, phénomène amorcé au cours de la période 1968-75 et qui prend
déjà les formes d’un net ralentissement. N’y a-t-il pas là une correspondance très nette avec le
rythme de développement des MJC ? Ne peut-on pas conclure de la simple correspondance à la
détermination quand on sait que le développement des MJC par région est lié à l’industrialisation,
l’agglomération et l’urbanisation? Les MJC auraient ainsi mission de faciliter l’intégration de la
population - notamment des jeunes - brutalement transplantée dans le tissu urbain, style ville
nouvelle.
Et précisément, les années 60 correspondent à un période marquée par la “montée” des jeunes
et des classes d’âge non actives. Là encore, la courbe d’évolution est claire : les 0-24 ans sont
37,7% de la population en 1946, 38,1% en 1954, 39,1% en 1962, 40,9% en 1968, 40,8% en 1973,
40,2% en 1975, 38,6% en 1979, 38,4% en 19831. L’arrivée massive de ces jeunes dans les années
60 correspond évidemment au “boum” démographique de la fin des années 40. Il y a plus de jeunes
dans les villes nouvelles, ou nouvellement transplantés dans les villes. La Maison des Jeunes
devient un outil de socialisation. De culture aussi, car, dans le même temps, le nombre de bacheliers
fait plus que tripler, et celui des étudiants plus que doubler2.
En même temps, il y a une nette baisse en pourcentage de la population active dans les années
60 (45,4% en 1954, 42,5% en 1962, 41,6% en 19683) si bien que la charge des actifs devient plus
lourde alors que les non-actifs sont plus nombreux. L’équipement collectif, notamment d’éducation et
de loisirs, apparait comme un palliatif des effets de cette évolution. On remarque qu’effectivement, la
croissance de la consommation des loisirs est nette dès la fin des années 60, d’une manière
absolue, mais aussi relativement aux autre secteurs. En 1980, son rythme de progression vient juste
après celui de la santé ; elle gagne 1,1 point de 1959 à 1982, alors que l’alimentation perd 14,7
points dans le même temps4.
Evidemment, toute consommation de loisirs ne passe pas par les MJC, loin s’en faut, mais on a
pu remarquer que, pour une grande partie des pratiques socio-culturelles, le mouvement de masse
fut lancé dans ce type de structures (danse jazz, moderne, gymnastique douce, arts martiaux,
expression corporelle, ateliers musicaux, théâtre, photo...) avant de se développer dans le marché
privé5.
Autre phénomène d’importance pour comprendre le développement des structures socio-
1
Ibid. p. 6.
2
Ibid. p. 478-479. S’agissant des bacheliers, la pointe de 1968 est, en partie, à mettre au compte des
conditions particulières d’examen, liées aux évènements.
3
Ibid. p. 26.
4
Données sociales 1984, p. 285-286.
5
A notre connaissance, il n’existe aujourd’hui aucune étude sur l’origine et le développement
institutionnel du loisir de masse.
- 287 culturelles dans les années 60 et notamment des MJC : la montée des classes moyennes salariées.
L’addition des professions libérales, des cades supérieurs et des cadres moyens connait une
progression fulgurante depuis le début des années 50 : ils représentent 9% des actifs en 1954 et
23% en 1981. Dans cet ensemble, les cadres moyens (ancienne nomenclature de l’INSEE) sont
passés de 6% des actifs à 15%. La représentation graphique de cette évolution est claire. Alors que
de 1968 à 1981 les ouvriers, les personnels de service, les patrons de l’industrie et du commerce,
les agriculteurs et les salariés agricoles sont en stagnation ou en diminution, les autres professions
ne cessent d’augmenter, notamment les cadres moyens (+4,2%)1. Cette évolution sociale largement
amorcée au début des années 60 emporte vraisemblablement, et dès cette même période, les MJC
vers de nouvelles destinées : l’accueil et la promotion de ces nouvelles classes moyennes qui
trouveront dans ces structures ouvertes et inventives de quoi étancher une soif de loisirs, de
reconnaissance et de légitimité que des structures soit plus culturelles (musées, Maisons de la
Culture, centre culturels), soit carrément à vocation sociale (centre sociaux tournés vers les
populations plus défavorisées), ne peuvent satisfaire. De ce point de vue, bien plus que le chiffre de
32% d’ouvriers masculins, et 12% pour les femmes, touchés par la MJC, ce sont les 37% de
garçons, étudiants et scolaires, et les 43% de filles de la même catégorie2 qui importent : ils sont les
classes moyennes de demain qui investiront ces espaces sociaux, et bien d’autres, et qui accèderont
majoritairement aux instances de décision de ces structures avant, pour certains d’entre eux, d’aller
frapper aux portes du pouvoir municipal.
b) les limites des appareils traditionnels d’intégration sociale
La société française de la fin des années 50 se trouve donc confrontée à des recompositions
sociales accélérées (urbanisation, montée des classe d’âge non actives, montée des classes
moyennes salariées, transformation des grandes tendances de la consommation, phénomènes
migratoires internes et externes au territoire) alors que, précisément, les appareils traditionnels
d’intégration sociale sont en crise ou ne peuvent plus répondre à de nouvelles exigences.
On assiste notamment à une baisse brutale des pratiques religieuses. L’extension du temps de
scolarisation obligatoire jusqu’à seize ans met à mal l’apprentissage, qui correspondait à un espace
d’initiation, de passage à l’état adulte et d’intégration socio-professionnelle.
Dans ce contexte de transformations accélérées, la famille, première structure d’intégration
sociale, est, elle-même, en pleine évolution. La population féminine active ne cesse de croître depuis
les années 60. L’urbanisation rapide provoque un recul de la famille traditionnelle - par exemple
communautaire dans le Sud-Ouest - et la généralisation de la famille mono-nucléaire. S’agissant du
divorce, de 1885 jusqu’au milieu des années 60, le nombre annuel s’est accru lentement, selon une
1
Données sociales 1984, p. 39.
2
Pourcentages pour l’année 1962. Assemblée générale de Nancy, 1-2-3 juin 1963 (rapport d’activité,
p. 24).
- 288 tendance linéaire assez régulière. Mais à partir de 1964, la croissance devient beaucoup plus rapide
pour s’accélérer encore dans les années 701.
L’école de son côté, même si elle touche la quasi-totalité des jeunes jusqu’à 16 ans et un grand
nombre d’entre eux jusqu’à 20 ans, n’apparaît pas comme un espace d’intégration sociale
parfaitement fiable, compte tenu de son mode de fonctionnement et d’encadrement : elle laisse
autour d’elle des espaces de plus en plus larges de temps libre2, qu’elle essayera timidement de
combler3, dans les années 70, avec la création de foyers socio-éducatifs. Dans cet espace de temps
libre, les mouvements péri-scolaires comme la Ligue de l’Enseignement jouent un rôle important,
cependant très limité à l’action ponctuelle et aux loisirs péri- et post-scolaires.
Dans un tel contexte, les MJC n’apparaissent-elles pas comme ces nouvelles institutions
d’intégration sociale et de passage initiatique à l’âge adulte ? Leur projet pédagogique,
essentiellement centré sur la jeunesse dans les années 604, permet de mettre en place des
pratiques originales de formation civique, de responsabilisation, de développement d’aptitudes
individuelles et collectives. Le conseil de maison où le jeune adhérent fait sa première expérience de
la responsabilité sera en effet, pendant longtemps, la structure de base des MJC, l’école élémentaire
de la vie sociale et démocratique. Et on pourra dire que beaucoup de ces jeunes jetés dans un
monde en rapide transformation, ont désormais deux maisons : la leur et la MJC, formule que l’on
retrouve dans de nombreux textes de la FFMJC pendant cette période.
Ainsi et rapidement dit, les MJC d’un côté et les Maisons de la Culture de l’autre, apparaissent
comme ces nouvelles institutions d’intégration et d’unification nationale, face aux effets des
transformations sociales et aux limites des appareils d’intégration traditionnels, les unes (les MJC)
comme structures d’encadrement de la jeunesse5, les autres (les Maisons de la Culture) comme
“nouvelles cathédrales des temps modernes”6.
1
Données sociales 1984, p. 428.
2
La population scolaire est de moins en moins interne et de plus en plus externe ou demi-pensionnaire.
3
Il y a une allergie certaine chez de nombreux enseignants (notamment les plus diplômés, capésiens et
agrégés) à remplir ce rôle éducatif que, régulièrement, on tente de leur proposer. Cela s’est
particulièrement bien vu au moment de la tentative de rénovation des collèges (Rapport Legrand),
et précisément sur la question du tutorat.
4
A la fin des années 60, et surtout dans les années 70, on assiste à un net basculement idéologique
et aussi praxéolologique du générationnel (la jeunesse) au spatial (le local, l’environnement),
basculement qui correspond au passage éducation populaire/animation socio-culturelle (voir
l’évolution sémantique de la revue de la FFMJC, Pas à pas).
5
C’est bien à propos de la question des blousons noirs qu’Herzog incite les municipalités à créer des
MJC.
6
Sur les notions de consensus et de salut culturel, voir P. Gaudibert : L’action culturelle : intégration
et/ou subversion ?, Casterman Poche, 1973.
- 289 c) références aux origines et projet de société
Les conditions sociales et la crise des appareils traditionnels d’intégration sociale n’expliquent
pas, à elles seules, le formidable développement des MJC dans les années 60. Pourquoi par
exemple plutôt les MJC que les foyers Léo-Lagrange ?
Ici l’explication passe par une volonté politique qui a, elle aussi, sa propre logique. Essayons de
comprendre pourquoi le gaullisme par l’intermédiaire de son Haut Commissariat à la Jeunesse et
aux Sports dirigé par Maurice Herzog fait le choix des MJC pour développer sa politique de la
jeunesse dans les années 60.
Les Maisons des Jeunes et de la Culture bénéficient d’une bonne référence historique liée à la
Résistance, au programme du C.N.R. et au Président-fondateur de la FFMJC, André Philip. L’origine
des MJC fonctionne ici comme un mythe fondateur, positif et sélectif. La légitimité historique qui est
en oeuvre, est celle de la Résistance dans le Vercors, puis de la République des Jeunes. Face à
cela, les autres institutions ou mouvements de jeunesse et d’éducation populaire ne bénéficient pas
des mêmes atouts.
La référence à Léo Lagrange, et aux foyers du même nom, est empreinte d’une partialité
socialisante, d’autant qu’on ne masque pas son projet de société. la Ligue de l’Enseignement,
malgré son projet de foyer de jeunesse et d’éducation populaire, reste très liée à l’école, à un
discours “laï card” qui apparait souvent dépassé et sectaire. Les mouvements de jeunesse, dont
certains sont marqués par des positions confuses pendant la collaboration, prennent difficilement en
compte les nouvelles aspirations de la jeunesse, et n’ont pas de politique novatrice en matière
institutionnelle et pédagogique. Peuple et Culture apparait plus comme un laboratoire
d’expérimentation, de formation et de recherche que comme un mouvement de masse et de terrain.
Les foyers ruraux, pourtant en plein développement, agissent dans le seul espace rural alors que les
difficultés sociales sont surtout urbaines. Quant aux centres sociaux, ils s’adressent essentiellement
aux familles et pas spécialement à la jeunesse ; leur basculement socio-culturel des années 70, et
leur rapprochement du domaine de l’intervention socio-culturelle, se feront dans un autre contexte
socio-politique.
Le deuxième atout des MJC, c’est un projet de société qui se manifeste dans leur pratique
quotidienne et institutionnelle : la cogestion, le partenariat, la tolérance, le respect des règles
démocratiques et collectives, la responsabilisation, la laï cité ouverte, autant de valeurs et de
pratiques qui devraient favoriser une société participative et le dépassement des affrontements de
classe. Le film de présentation des MJC, “Les trois messieurs”, dans les années 60, met en scène
trois personnes de classes différentes, isolées dans leur appartement respectif, et qui se rencontrent
par bonheur dans la MJC, zone franche de tout affrontement violent. De plus, cette pratique
participative est concrète ; elle passe par la gestion associative d’équipements collectifs, dans
laquelle le directeur a la double fonction d’éducateur et de directeur et convient bien à la politique de
développement des équipements collectifs du début de la cinquième République.
- 290 L’organisation fédérative nationale des MJC, leur polyvalence, leur pragmatisme, qui passe par
des services concrets et quotidiens rendus à la population, sont autant d’atouts supplémentaires
d’une instituion qui, malgré les difficultés, s’est par ailleurs dotée très tôt de dispositfs utiles pour les
acteurs de terrain : édition, service culturel, équipement, urbanisme et aménagement, matériel et
documentation, échanges internationaux, formation et gestion du personnel. Rappelons-le, parmi
tous ces dispositifs, le recrutement, la formation et la gestion nationale de personnels capables de
remplir à la fois les fonctions éducatives et gestionnaires, sont l’atout essentiel de la FFMJC : les
directeurs en poste et en formation, la présence des délégués - certes encore peu nombreux - sont
la garantie d’une pérennisation de l’action et des structures ; ils consitueront la colonne vertébrale du
développement et de la consolidation de l’ensemble institutionnel.
Les conditions sociales et politiques sont donc réunies, au début des années 60, pour que les
MJC se développent. Elles ne sont pas seulement nécessaires ; elles sont légitimes, estampillées
du sceau de la légitimité gouvernementale, sans pour autant apparaître, de par leur discours et leur
fonctionnement, comme inféodées à une idéologie quelconque. D’autre part, l’efficacité de leur
action, pourtant encore modeste en raison de leur implantation à la fin des années 50, leur donne du
crédit.
Nous verrons comment cette légitimité éclatera à la fin des années 60. Des hommes se
sépareront, et les institutions s’affronteront. Les MJC auront alors besoin de tout leur crédit, de leur
organisation militante et professionnelle, locale et nationale, pour résister puis reprendre le chemin
d’un certain développement.
3 - La constitution d’un Etat dans l’Etat ?
“Il est possible que l’administration éprouve quelque crainte à cause de notre extension : la
Fédération risque de se laisser dépasser, la Fédération risque de devenir un Etat dans l’Etat, etc...
Qu’on se rassure. Si l’on nous donne les moyens nécessaires, nous saurons réaliser la
déconcentration et la décentralisation qui s’imposent”1. Certains ne retiendront que le premier aspect
: croissance prodigieuse, institution “trop gâtée”, développement “impérialiste”, “en vase clos comme
si [la FFMJC] était seule au monde... revendiquant pour elle le monopole quasi-absolu de l’éducation
populaire... demandant une concession de service public”...2 D’autres retiendront surtout une
décentralisation imposée par l’Etat, réalisée avec des moyens considérablement réduits.
Il est vrai que la FFMJC connait dans les années 60 un développement fulgurant que certains
ressentent comme arrogant voire totalitaire. De 1958 à 1968, le budget de la Jeunesse et des Sports
1
2
Rapport moral pour l’assemblée générale de Troyes (28-29-30 mai 1966), p. 8 et 9.
Jeunesse-Education, dossier n° 362, décembre 1969, p. 2, qui reprend ce que l’on entend
régulièrement à ce moment-là.
- 291 a été multiplié par 14 ; la FFMJC à elle seule reçoit la moitié des subventions allouées aux
organisations de jeunesse et d’éducation populaire ; ses responsables entretiennent des relations
privilégiées avec le pouvoir : Olivier Philip, fils d’André Philip, Président de la FFMJC, est chef de
cabinet de Maurice Herzog ; de là à penser que les projets de lois de financement et d’équipement
sont élaborés à la FFMJC… 1
L’Institution tisse sa toile : 262 MJC en 1960, 293 en 1961, 350 en 1962, 455 en 1963, 505 en
1964, 784 en 1966, 1.030 en 1967, près de 1.200 en 1968. La progression régulière s’accélère
considérablement à partir de 1965, pour prendre jusqu’en 1968 un rythme galopant. Les graphiques
élaborés par le bureau d’études de la FFMJC2 mettent en évidence cette progression, ainsi que celle
des subventions d’Etat et du nombre des directeurs-éducateurs. A la différence de l’implantation des
structures, ces deux dernières progressions connaissent un rythme régulier mais encore modeste
jusqu’en 1963-64, une accélération assez remarquable jusqu’en 1966, puis un évolution réelle mais
moins soutenue jusqu’en 1968. A partir de 1966, la croissance du montant des subventions et du
nombre des directeurs ne suit plus celle de la création des MJC. L’avenir devient alors de toute
évidence moins radieux.
Mais revenons un peu plus dans le détail sur ce développement. Suite aux prises de position
publiques de M. Maurice Herzog, des MJC sont un peu partout en projet et de nombreuses
municipalités désirent créer la leur. Une soixantaine de demandes, rappelons-le, dans la semaine qui
suit l’interview donnée au journal Le Monde par le Haut Commissaire à la Jeunesse et aux Sorts. Le
besoin de directeurs permanents se fait également sentir : les services fédéraux signalent en avril
1959 que 32 nouveaux professionnels sont nécessaires ; en février 1960, ce chiffre monte à 40 ; en
juin 1960, il est de 563.
A partir de ce moment-là, la FFMJC se prend à rêver. Persuadés qu’ils mettent au service de
l’éducation populaire un instrument qui parait correspondre, mieux que tout autre, aux besoins
locaux, les responsables fédéraux s’efforcent de répondre dans les meilleurs délais et conditions aux
demandes des jeunes, des municipalités urbaines et rurales, chaque jour plus nombreuses : “Nous
devons faire face à ces demandes ; nous devons à tout prix suivre cet essor. Il faut avoir les moyens
de cette action, car ce qui existe aujourd’hui n’est que l’embryon de l’institution que la Direction des
Mouvements de Jeunesse et d’Education populaire se proposait en, 1945 de développer sur le
1
2
3
“C’est vrai que dans le Haut Comité à la jeunesse et aux Sports, nous jouions un rôle important,
jouissions d’un certain prestige et bénéficiions d’une attention toute particulière de la part de
Maurice Herzog. La politique de la jeunesse et de l’éducation populaire s’élaborait là. Mais la FFMJC
n’était pas seule. Il y avait les autres grandes organisations de jeunesse et d’éducation populaire,
Pierre Mauroy par exemple pour la Fédération Léo-Lagrange”. Entretien avec Lucien Trichaud.
Rapport moral pour l’assemblée générale, qui devait se dérouler à Vichy les 1er et 2 juin 1968, et qui
eut lieu à Grenoble les 10-11 novembre 1968 (p. 22).
Assemblée générale de Chambéry (4-6 juin 1960).
- 292 territoire français”1.
En 1961, les rapports des délégués régionaux totaliseraient 220 projets nouveaux. Et la
prospective va bon train. On avance en effet le nombre de 6 MJC pour 9.000 logements, c’est à dire
pour quelque 36.000 personnes, soit une maison pour 6.000 habitants. Pour les 976 communes
comptant plus de 5.000 habitants en 1954, il faudrait donc créer 3.540 MJC urbaines. Pour les
37.000 autres comptant moins de 5.000 habitants, en estimant qu’il faille au moins une maison pour
4 communes, cela nous conduit à 9.300 maisons rurales, soit au total plus de 13.000 MJC. Ces
chiffres sont avancés par la FFMJC et l’on propose que ce vaste programme “soit réalisé dans un
délai qui ne saurait guère dépasser dix années”2 .
Il y a du chemin entre les besoins estimés, le rythme d’implantation souhaitable et un plan de
développement plus réaliste, plus conforme aux moyens publics et aux capacités fédératives. En
1963, on va vers les 400 maisons affiliées et on affilie 10 à 12 maisons nouvelles par mois. Cent
cinquante équipements nouveaux seront construits avant la fin du plan. Et une étude plus sérieuse
du centre fédéral que celle qui ne prendrait en compte que les seuls besoins, laisse à penser que
l’on atteindra “un total de 550 MJC en 1964-65, 750 en 1966, plus de mille en 1967”3, chiffres
finalement assez conformes au développement réel mis en évidence plus haut.
En 1964, la FFMJC a affilié 100 MJC. A ce moment-là, la répartition géographique par académie
est toujours aussi inégale. L’académie de Paris arrive largement en tête avec 75 MJC suivie de
l’académie de Grenoble (50 MJC), de l’académie de Strasbourg (49 MJC), de l’académie de
Toulouse (46 MJC). Au milieu du tableau, on compte l’académie de Caen (24 MJC), les académies
de Rennes et d’Orléans (22 MJC), l’académie de Lyon (20 MJC), l’académie de Nancy (19 MJC),
l’académie de Besançon (14 MJC). En queue de peloton arrivent les académies de Dijon (9 MJC),
de Bordeaux et de Clermont-Ferrand (8 MJC chacune), les académies d’Aix-Marseille (7 MJC), de
Rennes (3 MJC) et de Nantes (2 MJC).
Dans le même temps, la création de postes de directeurs, le recrutement et la formation du
personnel permanent suivent une courbe de plus en plus ascendante : 13 directeurs formés en
1959-60 (plus 4 Africains et un Marocain), 15 en 1960-61 (plus 3 Tunisiens et 2 Suisses), 13 en
1962-63 (plus 10 directeurs de clubs de prévention), 20 en 1962-63 (plus 4 Nigériens et 10
directeurs de clubs de prévention), 50 en 1963-64 en deux stages (plus 5 Tunisiens, 4 Nigériens, 4
Centre-Africains, un Marocain), 65 en 1964-65 (plus 6 Tunisiens). En juin 1965, les directeurs sont
au nombre de 379 (200 permanents, 117 semi-permanents, 62 stagiaires) et on estime que pour
l’année, il en faudrait 80 de plus. Les maisons se créent à un tel rythme que ni les financements ni la
1
Rapport moral pour l’assemblée générale de Paris (21 mai 1961), p. 17.
2
Ibid. p. 17-18-19.
3
Rapport moral pour l’assemblée générale des 1-2-3 juin 1963 à Nancy, p. 4.
- 293 formation ne peuvent suivre. Un fait encourageant cependant : l’information est maintenant mieux
faite, et nombreux sont ceux qui portent de l’intérêt à cette nouvelle profession (300 candidatures
pour le dernier recrutement de 1965).
C’est donc dans un climat de grande satisfaction, quelque peu euphorique même, que la FFMJC
fête le XXe anniversaire de la création de la République des Jeunes, à Lyon les 5, 6 & 7 juin 1965.
Le 10 avril a eu lieu l’émission “premier jour” d’un timbre-poste commémoratif représentant la
maquette de la Maison des Jeunes et de la Culture de Troyes, structure considérée comme le
prototype architectural de la MJC d’avenir, et que M. Maurice Herzog a inaugurée le 24 avril 1965.
Le ton est en effet à la satisfaction et tous les documents de grande qualité de présentation (rapport
moral, numéro spécial de Pas à pas préfacé par L. Pradel, Maire de Lyon, numéro 206 de la
Documentation française illustrée) témoignent de cet état d’esprit :
“Disons-le nettement, en 1964, la Fédération Française des Maisons des Jeunes et de la
Culture a bien travaillé. La marche en avant s’est poursuivie. Nous sommes plus nombreux,
plus grands, plus forts .[...] notre position est solide. Sur le plan national d’abord : la presse, la
radio, la télévision en témoignent largement. La Maison des Jeunes et de la Culture a pris sa
place dans la vie quotidienne des Français ; notre idée à fait son chemin .[...] Les relations
entre le Secrétariat d’Etat à la Jeunesse et aux Sports et la Fédération sont de tous les
instants, courtoises, profitables, et l’estime qui nous est portée se matérialise en une
subvention importante...
Sur le plan international aussi notre action est reconnue, suivie, sollicitée. Nous organisons de
nombreux stages de formation de directeurs pour une douzaine de pays, nous recevons des
visites, nous en rendons, nous apportons notre témoignage, notre doctrine, nos principes, nos
conseils un peu partout maintenant à travers le monde ...”1
Ce succès s’accompagne de difficultés qui mobilisent quotidiennement les responsables.
L’expansion très rapide de la Fédération, à laquelle personne - ni l’Etat, ni la Fédération elle-même n’était parfaitement préparé, est déjà décrite comme une crise de croissance qui se manifeste de
différentes manières : les maisons et les municipalités doivent attendre souvent plusieurs mois le
directeur ou l’adjoint indispensables ; le recrutement et la formation des professionnels, qui devraient
précéder la croissance, ne permettent, au mieux, que de répondre à l’urgence et “dans les cas les
plus désespérés, la Fédération ne peut qu’envoyer un suppléant, rempli de bonne volonté
assurément, mais peu préparé à son métier”2 ; les services fédéraux, malgré leur développement
rapide, ne sont plus à la mesure des besoins et s’essoufflent à tenter de suivre l’expansion ; les
délégués sont trop peu nombreux ; certains couvrent 100.000 km carrés et parcourent 60.000 km par
an en voiture, sans compter leurs déplacements à Paris ou à l’étranger. On a conscience qu’il faut
1
Rapport moral, assemblée générale de Lyon-Villeurbanne, p. 27-28.
2
Ibid. p. 52.
- 294 faire très vite et très grand, qu’il faut donc beaucoup plus plus d’argent et que par conséquent, il va
falloir se tourner plus souvent et avec plus d’insistance encore vers l’Etat.
La croissance s’accentue encore en 1966. Le dernier mois de l’année 1965 a vu l’affiliation de dix
maisons par semaine. En 1965, on affilie en moyenne une MJC tous les trois jours ; en 1966, le
rythme est de une par jour. En 1968, la FFMJC regrouperait environ 1.153 structures parmi
lesquelles on compte les MJC de la métropole, des territoires et départements d’outre-mer, les
associations correspondantes, les unions locales et fédérations départementales. Elle gère quelque
420 directeurs-éducateurs, une soixantaine d’employés administratifs, le tout coordonné par une
vingtaine de cadres, chefs de services ou délégués régionaux.
Mais le rayonnement national et international de la FFMJC ne tient pas à la seule implantation de
ses structures. Dans la plupart des domaines d’un secteur de l’intervention socio-culturelle encore
balbutiant, la FFMJC marque ces années 60, éclipse quelque peu d’autres institutions et
mouvements pourtant plus anciens, fait même ombrage - c’est du moins comme cela que certains le
ressentent - au Secrétariat de tutelle et à ses services qui, cependant, conduisent une politique
ambitieuse.
Dans le domaine du recrutement, de la formation, de la gestion des professionnels et du
financement de leurs postes de travail, alors que la plupart des institutions et mouvements
fonctionnent quasi-uniquement avec des bénévoles ou, dans le meilleurs des cas, avec des
permanents, issus du militantisme ou mis à disposition par l’Etat1, la FFMJC, fidèle à son
fonctionnement original se dote d’un corps professionnel, recruté et formé nationalement selon des
critères qui, tout en prenant en compte des motivations et un engagement spécifique, cherchent à
évaluer et à définir des savoir-faire adaptés à la fonction : gestion, communication, négociation,
pédagogie institutionnelle, direction d’équipe et de structure. Autrement dit, avec la FFMJC et le
développement de son corps de directeurs-éducateurs, le secteur de la jeunesse et de l’éducation
populaire se dégage considérablement du seul militantisme pour entrer dans une démarche de
professionnalisation - et de professionnalisme - qui ira partout en se confirmant. On peut dire que la
FFMJC a réellement inventé la profession de cadre du développement éducatif et culturel et impose,
à partir de ce moment-là, cette idée que la conduite d’une action durable ne peut se concevoir sans
l’embauche ou la mise à disposition, à très court terme, d’un véritable salarié dont c’est le métier et
qui en fait profession.
La formation nationale des directeurs-éducateurs mise en place dès la fin des années 50, la
réflexion régulière de la commission éducative et permanente de la FFMJC d’une part et des
professionnels d’autre part dans le cadre des journées nationales d’étude, sont déterminantes dans
la mise en place d’un diplôme d’Etat. A titre d’exemple, les documents préparatoires à l’assemblée
1
C’est généralement le cas des mouvements péri-scolaires (Ligue de l’Enseignement, CEMEA, Francs
et Franches Camarades).
- 295 générale de Nancy1 font largement état de la réflexion des directeurs réunis en Journées nationales
d’étude du 27 au 30 mai 1963 et qui ont tenté d’apporter des réponses aux questions posées au
début de la saison par la commission éducative permanente. L’obtention d’un diplôme national est
conçue en deux temps : accès à une formation en deux ans ouverte prioritairement aux animateurs
d’éducation populaire dans une logique de promotion sociale, formation comprenant une partie
théorique
(français,
sciences
sociales,
humaines,
économiques,
juridiques,
législation,
administration, communication, langues, sciences physiques, chimiques et naturelles), et une partie
plus pratique (initiation aux arts, activités sportives, stages divers, formation aux techniques de
communication, audiovisuelles par exemple) ; examen de contrôle évaluant l’itinéraire du candidat,
ses aptitudes intellectuelles, humaines et physiques, son engagement personnel. On suggère que la
formation soit assurée prioritairement par l’Université2 et financée, traitement des stagiaires compris,
par un Office national, alimenté intégralement par l’Etat.
Cette expérience et cette réflexion pousseront à la création, en septembre 1964, du diplôme
d’Etat de conseiller d’éducation populaire (DECEP) conçu en deux parties, la première générale,
épreuves écrites et orales, la seconde plus spécialisée et plus pratique (entretiens, rapports de
stages pratiques). Son obtention, même si elle exige un certain niveau de culture générale, n’est pas
suspendue à la possession d’un quelconque diplôme de type classique : le DECEP est donc
largement ouvert aux autodidactes. Mais son contenu de formation reste faible dans la mesure où
l’on se contente surtout d’évaluer des connaissances et des expériences acquises en amont. La
FFMJC, même si elle accueille favorablement la création de ce diplôme qui sanctionne la
reconnaissance d’une profession encore nouvelle, considère que le DECEP ne constitue qu’“une
case de départ ...,[qu’il reste] à étudier pour l’avenir une formation théorique et pratique beaucoup
plus complète [et qu’il] faut donc songer dès à présent à une véritable Ecole de cadres”3.
La FFMJC jouera également un rôle déterminant dans la recherche de méthodes de financement
1
Les 1-2-3 juin 1963. Rapport moral - rapport d’activité 1962. Textes et études pour 1964.
2
Il faudra véritablement attendre les années 70 pour que les directeurs de MJC commencent à être
formés dans un dispositif négocié avec l’Université (Paris VII), et les années 80 pour que ce
dispositif arrive à son ultime élaboration (formation en deux ans à l’Université de Rennes de
directeurs de MJC, chefs de projet du développement social et culturel, titulaires d’une Licence et
Maîtrise d’Administration Économique et Sociale).
3
Assemblée générale de Lyon-Villeurbanne, 5-6-7 juin 1965, rapport moral p. 33. L’étude de l’apport
de la FFMJC dans la politique de formation des cadres du développement social, culturel et éducatif
reste à faire. On peut émettre l’hypothèse que cette formation, considérée par certains comme
essentiellement “maison”, a plus marqué le développement des professions et des formations de
haut niveau dans l’Université et dans les ministères successifs de la Jeunesse et des Sports que les
attitudes souvent suivistes de nombreux mouvements et fédérations, qui ont fait de la formation un
objectif, voire une source de financement, et qui se sont généralement contentés de mettre en
oeuvre les projets ministériels (BAFA, BAFD, CAPASE, DEFA, BEATEP). L’actuelle formation des
cadres de la FFMJC ne préfigure-t-elle pas ce que pourrait être le cursus universitaire d’ingénieur,
maître du développement social et culturel, dans le cadre des récents Instituts Universitaires
Professionnalisés ?
- 296 nouvelles des postes d’animateurs et, par là-même, dans le développement de la profession,
notamment dans cette période où les financements d’Etat, pourtant en très sensible augmentation,
s’essoufflent à suivre la croissance du secteur. Les réflexions et les travaux du Haut Comité de la
Jeunesse pendant les années 62, et surtout 63, conduiront à la création du Fonds de coopération de
la Jeunesse et de l’Education Populaire (FONJEP), dispositif encore en place aujourd’hui, qui
associe l’Etat et les collectivités locales, principalement les municipalités, dans le financement de
nombreux postes d’animateurs, dont les directeurs de MJC.
La FFMJC par son délégué général, Lucien Trichaud, fut très active à rechercher une solution
dans le cadre du Haut Comité à la Jeunesse. De plus, M. Maurice Herzog, alors Secrétaire d’Etat à
la Jeunesse et aux Sports, ainsi que de nombreux dirigeants d’associations, trouvèrent pertinent de
s’appuyer sur l’expérience de la FFMJC qui avait, au cours des années précédentes, commencé à
mettre sur pied un système de financement des postes de directeurs associant l’Etat et les
communes. En effet, celles-ci pouvaient être amenées à prendre en charge 25, 50, 75 ou même
100% du coût moyen des postes, fixé chaque année par la FFMJC. Un petit groupe de travail
composé de représentants de l’administration et d’associations nationales, réuni dès mai 1963,
conduisit Maurice Herzog à donner son accord et à permettre l’aide financière pour la création d’un
organisme géré selon le statut de la loi 1901. Le FONJEP fut donc créé le 31 janvier 1964 et Lucien
Trichaud lui-même prit la présidence de son bureau provisoire.
Ce dispositif nouveau qui, en sollicitant la participation financière des communes, permettait un
développement plus rapide, fut fortement contesté à l’intérieur de la FFMJC notamment par les
directeurs et leurs organisations syndicales. C’est qu’il institutionnalisait ce que l’on commencera, à
partir de ce moment, à stigmatiser sous le vocable de “désengagement financier de l’Etat”. En effet,
ce qui avait été accepté parce que conjoncturel et provisoire pouvait maintenant devenir la règle.
Ainsi la décision d’adhérer au FONJEP ne fut-elle prise, lors de l’assemblée générale de
Châteauroux (17 mai 1964), que par 186 voix contre 181 et 10 abstentions, si bien que le conseil
d’administration fédéral décida, dans un premier temps, par 20 voix contre 3 et un blanc, de
l’adhésion pour une année seulement. Mais même si cette première grande bataille interne avait été
rude et laissait présager d’autres tensions plus importantes encore, il apparaissait cependant que la
FFMJC avait joué là un rôle décisif pour l’ensemble du domaine de la Jeunesse et de l’éducation
populaire, et pour ses relations à venir avec l’Etat et les collectivités locales.
Pendant cette même période, le rayonnement international de la FFMJC renforce également
cette image de puissance que plus rien ne semble devoir limiter et que, rappelons-le, certains
considèrent comme hégémonique. Depuis fort longtemps, le Bureau d’Accueil et de Rencontre
(BAR) organise des échanges réguliers, avec l’ensemble des pays d’Europe mais aussi avec de
nombreux autres pays d’Afrique et d’Amérique. La revue Pas à pas, diffusée à 25.000 exemplaires,
est lue un peu partout dans le monde - même si elle touche prioritairement des personnes averties dans tous les pays d’Europe, dans la plupart des pays d’Afrique et d’Amérique, et également en Asie
- 297 et aux antipodes. Les stages du service de formation des cadres accueillent régulièrement des
participants venus majoritairement des autres pays d’Europe occidentale et de l’Afrique francophone.
Des missions d’études rentrant dans le programme de formation sont réalisées dans l’ensemble de
ces pays avec une extension en 1966 et 1967 au Moyen-Orient, au Canada et à l’Amérique du Sud.
L’expérience des Maisons des Jeunes et de la Culture, comme ce fut le cas pour les Auberges de
Jeunesse trente années plus tôt, commence à faire école dans le monde entier. On évoque
régulièrement l’idée d’une fédération internationale des maisons et foyers culturels, ainsi que d’une
fédération nationale des animateurs qui pourrait - pourquoi pas ? - favoriser la création d’une
fédération internationale de cette profession en développement1. On suppose en effet que dans ces
futures organisations favorisant les échanges, la FFMJC, et avec elles l’initiative française,
occuperait le rôle de leader. La FFMJC occupe déjà une place de choix dans le bureau européen de
l’éducation populaire. Son délégué général, Lucien Trichaud, considéré comme un spécialiste de la
question2, est, pendant toute cette période, membre du bureau permanent du Haut Comité de la
Jeunesse, Président du FONJEP, mais aussi secrétaire général du Centre d’Education et
d’Information pour la Communauté Européenne, et membre élu de la commission française de
l’UNESCO. En 1964, il est choisi par le Secrétariat d’Etat à la Jeunesse et aux Sports pour
représenter la France à la conférence mondiale de l’UNESCO sur les problèmes de jeunesse, qui a
lieu à Grenoble au mois de septembre de cette année3.
Dans de telles conditions, la FFMJC ne peut que continuer à rêver. Et, jusqu’en 1966 du moins,
elle a quelques bonnes raisons de le faire. A l’occasion du XXe anniversaire de sa création, on se
prend à imaginer ce qu’elle sera en 1985 : une implantation de 2.500 MJC réparties sur l’ensemble
du territoire, une restructuration départementale et régionale favorisant le dynamisme local, le
soutien d’un “ministre de l’éducation populaire” à l’écoute, et qui aurait résolu les grandes difficultés
financières, une fédération internationale en pleine vie4. Pour les responsables de la FFMJC, les
besoins d’éducation et de culture dans une société en évolution rapide sont tels que le mouvement
auquel ils participent est irréversible5.
Mais dès 1966, année correspondant au départ de Maurice Herzog et à l’arrivée de François
Missoffe, de gros nuages commencent à s'amonceler et la tension ne cesse de monter, même si,
1
Ces idées sont déjà avancées à l’assemblée générale fédérale de Châteauroux (17 mai 1964).
Rapport moral, p. 7.
2
Il est en effet l’auteur de nombreuses études, presque toutes publiées aux éditions ouvrières,
notamment L’éducation populaire en Europe, en trois tomes : La Grande Bretagne, les pays
scandinaves, l’Italie et les pays méditerranéens.
3
Jean Nehr raconte avoir participé à une mission avec Lucien Trichaud en Tunisie en 1968. Celui-ci
était reçu comme un représentant de l’État.
4
Conclusion du rapport moral de l’assemblée générale de Lyon (5-6-7 juin 1965).
5
Conclusion du rapport moral de l’assemblée générale de Lisieux (13-14 mai 1967).
- 298 dans le même temps, le développement s’accentue. Avant de se pencher plus précisément sur le
cheminement d’une crise qui atteindra son paroxysme en 1969, il n’est pas sans intérêt de décrire,
chiffres en main, le paysage de la FFMJC en 1968.
Si l’on s’en tient à l’annuaire de la Fédération Française des MJC édité au premier trimestre 1969
et qui rend compte de la situation au 31 décembre 1968, on dénombre quelque 974 MJC
métropolitaines dont la majeure partie est réellement affiliée, les autres étant des MJC stagiaires en
fonctionnement et en création, ou même des filiales. A cela il faut ajouter 33 MJC implantées à la
Réunion, à la Martinique et en Guadeloupe, soit un total de 1.007 MJC. Le chiffre annoncé à cette
même date du 31/12/69 par la FFMJC est un peu plus élevé : 1.021, mais la différence peut
s’expliquer par des créations récentes qui n’auraient pu encore être répertoriées dans l’annuaire. De
plus, la FFMJC regroupe 75 structures dites simplement “correspondantes” en raison de la nonconformité de leurs statuts aux statuts-type des MJC : clubs et foyers de jeunes, centres culturels,
associations d’éducation populaire diverses, structures comparables aux MJC mais implantées à
l’étranger... Enfin, la FFMJC a favorisé la création de 57 unions locales et fédérations
départementales, ce qui fait un total de 1.253 associations affiliées ou correspondantes. Ainsi, selon
les dénombrements, on peut dire qu’à la fin de 1968, la FFMJC rassemble 1.200 structures, ou un
peu plus de 1.000 MJC1.
La cartographie d’implantation que nous proposons ici2 concerne les 974 MJC de la France
métropolitaine recensées dans l’annuaire. Si l’on considère les chiffres bruts, on remarque que les
grands bastions régionaux des années 80 sont généralement préfigurés en 1968 : l’Ile-de-France
avec 159 MJC, puis Rhône-Alpes (154), la Lorraine (92), Midi-Pyrénées (64), l’Alsace (60),
Champagne-Ardennes (50). Certaines régions faiblement implantées aujourd’hui le sont déjà en
1968 : le Limousin et l’Auvergne par exemple. Certaines régions, qu’elles soient restées fidèles à la
FFMJC ou qu’elles aient majoritairement rejoint l’UNIREG, se sont particulièrement développées
depuis la scission, ce qui tendrait à prouver que cet évènement, particulièrement traumatisant pour
les acteurs, n’a pas forcément freiné le développement général : la Lorraine où l’on passe entre 1968
et 1987 de 92 à 216 MJC, Midi-Pyrénées (de 64 à 101), le Languedoc-Roussillon (de 34 à 112), la
Picardie (de 21 à 80), Provence-Alpes-Côte d’Azur (de 40 à 88). Par contre, certaines régions ont
stagné ou régressé : le Nord (de 39 à 34), le Centre (de 44 à 42), la Basse-Normandie (de 34 à 21).
Remarquons également que les deux départements “historiques”, le Rhône et l’Isère, connaissent
déjà en 1968 une implantation particulièrement forte : 36 pour le premier et 61 pour le second. D’une
manière assez générale, la vague d’implantation des années 60 se situe prioritairement à l’est de la
1
Jean Destrée affirme qu’en 1968, on a inauguré la millième MJC à Thonon-les-Bains. Par contre, on
considère qu’au moment de l’assemblée générale de Sochaux (23 mars 1969), la FFMJC fédère près
de 1.200 MJC.
2
Annexe 40.
- 299 ligne Marseille-Le Havre et couvre l’espace fortement industrialisé et urbanisé.
La carte d’implantation des MJC en 19681 (nombre de MJC rapporté à la population par région),
tout en confirmant les appréciations portées à partir des données brutes, permet quelques
remarques complémentaires. Avec moins de clarté, il est vrai, que dans les années 80, on voit déjà
se profiler un développement en tenaille dont l’articulation se situe en Alsace et Lorraine, qui battent
tous les records : 1 MJC pour 23.000 habitants pour la première et 1 MJC pour 24.000 habitants
pour la seconde. Viennent ensuite la région Champagne-Ardennes pour la partie supérieure (1 MJC
pour 25.000 habitants), et la région Rhône-Alpes pour la partie inférieure (1 MJC pour 28.000
habitants). Au-delà se profilent des zones de forte implantation future : Midi-Pyrénées par exemple et
même Languedoc-Roussillon. Certaines régions de moyenne importance et situées dans des
espaces intermédiaires, ont pour ainsi dire atteint une implantation comparable à celle des années
80 : le Centre avec 1 MJC pour 45.000 habitants, la Franche-Comté (1 MJC pour 47.000 habitants),
la Bourgogne (1 MJC pour 62.000 habitants), la Haute-Normandie (1 MJC pour 55.000 habitants).
Par contre, la Basse-Normandie, qui, avec 1 MJC pour 37.000 habitants en 1968, arrive en sixième
position, connaîtra par la suite un net recul (1 MJC pour 64.000 habitants au milieu des années 80).
A l’opposé, certaines régions, ayant atteint quinze ans plus tard une bonne implantation en MJC,
sont délaissées en 1968. La région Provence-Alpes-Côte d’Azur n’a encore à cette date qu’une MJC
pour 82.000 habitants contre une pour 45.000 au milieu des années 80. Autre exemple encore plus
spectaculaire : la Picardie, à la traîne en 1968 (1 MJC pour 75.000 habitants), atteindra, 15 ans
après, une implantation de 1 pour 20.000 habitants. De son côté, l’Ile-de-France (1 MJC pour 62.000
habitants) progressera peu (1 MJC pour 58.000 habitants).
Au-delà, on repère quelques espaces de très faible implantation. L’Auvergne (1 MJC pour
220.000 habitants) et la Corse (aucune MJC) sont quasi “désertiques”. Les extrémités
géographiques sont, c’est le moins que l’on puisse dire, encore peu touchées par la vague MJC :
une pour 120.000 habitants en Bretagne, une pour 98.000 en Aquitaine et dans le Nord-Pas de
Calais, une pour 86.000 habitants en Pays-de-Loire, une pour 92.000 habitants en Limousin, qui
semble faire équipe avec l’Aquitaine d’un côté et l’Auvergne de l’autre.
Si l’on en juge par les indices et leur représentation graphique, les MJC semblent gagner
l’ensemble du territoire à partir de deux épicentres : l’Alsace et la Lorraine - et là on pense
nécessairement au développement de l’alphabétisation en France2 ; la région Rhône-Alpes, berceau
historique de l’Institution. A la fin des années 60, l’Ile-de-France joue cependant un rôle essentiel,
notamment Paris, qui rassemble un nombre important de MJC (plus de 20). Mais cette place tient
autant à la présence d’un centre fédéral en pleine expansion, insuffisamment alimenté pour certains,
1
Annexe 41.
2
Voir annexes 26 et 27.
- 300 boulimique pour d’autres.
Le siège social de la FFMJC rassemble quelque 45 salariés auxquels il faut ajouter une douzaine
de délégués régionaux. Même si ce dernier chiffre est bien loin de celui des années 801, il constitue
un progrès considérable2 par rapport à celui de la fin des années 50. La FFMJC gère une douzaine
de services fédéraux à disposition des MJC et de leur développement : la délégation générale avec
son service juridique et contentieux et son service promotion, la délégation générale adjointe et son
bureau d’études, les services administration et finances, du personnel, de formation des cadres et
questions rurales, d’animation culturelle et documentation, d’architecture et d’équipement, jeunesse
et culture, enfin le bureau d’édition et le bureau d’accueil et de rencontres.
Alors, la FFMJC : Etat dans l’Etat ? Les responsables s’en défendent et contestent la formule
qu’ils prennent pour une attaque. Certes jusqu’en 1968, les MJC bénéficient d’une grande partie des
subventions d’Etat allouées au secteur de la jeunesse et de l’éducation populaire, mais on fait en
même temps remarquer que ce subventionnement ne représente qu’un cinquième du financement
des MJC et qu’il ne suit pas le rythme de croissance de l’Institution : en 1966, l’augmentation des
subventions d’Etat serait de 14% pour une croissance fédérale de 40%3. Ces deux derniers chiffres,
bien réels, sont cependant inquiétants pour l’Etat et les autres mouvements et institutions : que serait
en effet la FFMJC, et que restait-il pour les autres initiatives si les financements d’Etat suivaient la
croissance des MJC ?
Mais, plus que son développement exponentiel, ce sont son organisation et l’importance de son
armature professionnelle qui accréditeront cette inquiétante image d’Etat dans l’Etat de la FFMJC.
Cette institution est à la fois très centralisée (importance de son centre fédéral, gestion nationale du
personnel) et très décentralisée (autonomie associative de structures locales dont certaines ont déjà
des budgets importants). Son corps professionnel n’exclut pas, bien au contraire, une dynamique
bénévole et militante complémentaire qui donne cette impression de mouvement irréversible. En
1967, on évalue en effet à plus de 15.000 le nombre d’animateurs bénévoles des activités, sans
parler de ceux qui oeuvrent dans les conseils de maison et les conseils d’administration4.
Ce qui fait, à ce moment-là, la force de la FFMJC, au-delà du soutien financier privilégié de l’Etat,
c’est sa capacité à capter - vraisemblablement à cause de la permanence de ses structures et de
1
La FFMJC compte, à elle seule, dans les années 80, environ 20 délégués pour un nombre de
structures affiliées à peu près comparable à celui de 1968, mais, il est vrai, sur un espace plus limité
compte tenu de l’implantation de l’UNIREG. Ces délégués ont cependant, du fait de la régionalisation,
des missions plus lourdes (gestion et administration, services décentralisés).
2
On a à ce moment-là plaisir à raconter l’histoire suivante : “Il y a un lion rue de la Condamine (siège
social de la FFMJC). Mais le nombre de délégués est si important que ce lion en dévore un chaque
matin et qu’on ne s’en rend pas compte”. Entretien avec Bernadette Dumont et Inès Staï ner,
secrétaires à la FFMJC.
3
Chiffres communiqués à l’assemblée générale de Troyes, rapport moral, p. 30.
4
Rapport moral de l’assemblée générale de Lisieux, p. 26-27.
- 301 leur polyvalence - les financements locaux, les bonnes volontés et les savoir-faire dans un secteur
en pleine évolution. C’est cette position dominante dans un champ en construction - mais du fait de
son organisation, difficilement contrôlable par un Etat qui pourtant le finance - qui renforce cette
image conquérante, inquiétante, voire hégémonique, de la FFMJC. Etat dans l’Etat ? Disons plutôt
institution indépendante1 de l’Etat, et bientôt dressée contre lui.
1
“Les principes de l’Institution, gage d’indépendance et de vitalité”, titre d’un des paragraphes du
rapport moral de l’assemblée générale de Lisieux (13-14-15 mai 1967), p. 33.
- 303 -
CHAPITRE - II L’ÉCLATEMENT DE LA FFMJC
1 - Crise de croissance et montée des tensions
Assurément, la FFMJC a de plus en plus de difficultés à gérer son propre développement, malgré
l'importance d'un centre fédéral qui fait de nombreux envieux. Elle va en effet rapidement crouler
sous les charges occasionnées par sa propre réussite. Et cela dès 1965. Ainsi, dans le rapport moral
de l'assemblée générale de Lyon peut-on lire la phrase suivante : “C'est notre crise de croissance qui
doit mobiliser notre attention [...] ; nous devons former un plus grand nombre de directeurs que nous
ne le faisons, mais nous n'en avons pas les moyens [...] ; nos services s'essoufflent [...] actuellement
à suivre le courant [...] ; les délégués sont trop peu nombreux”1.
Les mêmes inquiétudes sont réaffirmées et précisées en 1967 à l'assemblée générale de Lisieux
: “La cadence des créations nouvelles ne permet plus à la Fédération de contrôler et d'aider avec
efficacité les MJC en démarrage [...]. Les services fédéraux ne peuvent plus suivre une cadence
aussi rapide. Les délégués régionaux succombent sous la tâche [...] . La multiplication des MJC
favorise l'éloignement relatif du centre fédéral. Les contacts humains, les rencontres, possibles
autrefois, sont remplacés par une liaison administrative aride et décevante [...]. La machine est trop
lourde et le moteur insuffisant”2.
Face à ces maux, on prescrit deux remèdes ; l'un financier : l'augmentation des moyens par l'Etat
renforcerait l'appareil fédéral, permettrait un développement plus rapide du corps des directeurs, et
préviendrait un autre danger, celui du clivage entre petites MJC sans permanent et MJC importantes
dotées d'un permanent ; l'autre structurel : une déconcentration voire une décentralisation de la
FFMJC et d'une partie de ses services.
Les réformes de structures ont très tôt été envisagées et, contrairement à ce que l'on dit et pense
souvent, ce n'est pas Joseph Comiti seul qui a imaginé et décidé le processus de régionalisation de
l’Institution, même si, comme nous le verrons plus loin, il s'est réalisé sous son ministère et sous sa
pression. C'est à l'assemblée générale de Nancy en 1963 que pour la première fois, semble-t-il, le
principe de la régionalisation a été officiellement formulé. Avant cette assemblée générale, des MJC
de l'Ouest s'étaient réunies en assises régionales et avaient rédigé une motion proposant la
modification des structures fédérales, pour permettre une plus grande participation de la base, une
1
Op. cit. p. 52.
2
Rapport moral, p. 12-13.
- 304 gestion administrative et une animation culturelle régionales. La motion fut appuyée par une
candidature au conseil d'administration national. La motion fut acceptée et le candidat élu. L'année
suivante, en 1964, on pense à nouveau qu'il va falloir en venir très vite à une certaine
déconcentration du travail, [que] “l'actuel découpage des délégations régionales ... devra rapidement
se faire plus précis, plus serré, [qu'] une certaine part du travail administratif devra être faite à cet
échelon [et que par conséquent si l'on veut être efficace], toute une réorganisation administrative de
notre fédération doit dès maintenant être pensée”1.
En 1965, on parle déjà de “décentralisation” : “Il va falloir, dès que cela sera possible [...] lancer
les fédérations départementales puis régionales là où elles n'existent pas. Elles préfigurent l'avenir.
[...] Il faudra bien, par force, que nous y venions et bien des actes de la Fédération auront à se tenir,
dans un très proche avenir, au plan régional, sinon départemental. De plus, et c'est là un argument
qui a sa valeur, ces fédérations pourront obtenir des collectivités locales des subsides auxquels les
maisons isolées auront à prétendre... ”2.
En 1966, à l'assemblée générale de Troyes, on conçoit à la fois et dans le même mouvement une
déconcentration (mise en place de services administratifs et techniques régionaux dotés de
personnel) et une décentralisation (dévolution de pouvoirs à un conseil d'administration régional élu
par des assises régionales regroupant les représentants des MJC, des associations locales et
départementales). Lors de cette assemblée générale, deux commissions (6A et 6B)3 ont réfléchi à
cette question des structures qui, annonce-t-on, sera mise à l'étude au sein de la commission
consultative nationale du 28 juin de la même année.
L'assemblée générale de Lisieux (13-14 mai 1967) prend la question de la réforme des structures
à bras le corps. Dans un document de travail préparatoire4, la Fédération Française engage une
réflexion globale sur la restructuration de la vie fédérative à tous les niveaux : la MJC, l'union locale,
la fédération départementale, la fédération régionale, la fédération française. On s'efforce également
de définir ou de préciser les rôles respectifs du directeur permanent de MJC, du directeur permanent
de l'union locale, du directeur permanent départemental et du délégué régional. Nombre de ces
instances et fonctions existent ; il s'agit simplement de repréciser leurs compétences et missions
dans le cadre d'une restructuration générale qui, rappelle-t-on, “est imposée par les faits [et] doit être
réalisée avec méthode”5. D'autres sont à construire de toutes pièces : la fédération régionale, le
conseil national, les fonctions de directeur permanent départemental ou d'union locale.
1
Assemblée générale de Châteauroux, rapport moral, p. 7.
2
Assemblée générale de Lyon, rapport moral, p. 35.
3
Voir rapport de l’assemblée générale de Troyes, p. 56 à 60.
4
Organisation interne - structures, 8/5/67, ronéo, 41 pages, 1.000 exemplaires.
5
Ibid. p. 1.
- 305 L'échelon régional fait l'objet d'une attention toute particulière car “c'est là que se situe l'essentiel
de l'étude que nous devons amorcer et mener à bien”1. On propose de donner aux régions (régions
académiques plutôt que régions de programme économique, soit un total de 23) des responsabilités
réelles propositionnelles et décisionnelles d'abord, dans le cadre d'instances juridiquement
autonomes (études et recherches, gestion d'un budget de développement et de création d'emplois,
négociations avec les partenaires, désignation de représentants à l'assemblée fédérale nationale… ),
des responsabilités opérationnelles ensuite (services administratifs, du personnel, techniques et
pédagogiques par exemple : animation, documentation, formation, édition... ). Ces 23 fédérations
régionales pourraient constituer une confédération nationale.
Les directeurs de MJC sont mobilisés pour faire avancer la réflexion notamment à l'occasion des
journées nationales d'études des 2 et 3 novembre 1967. Les propositions débattues lors de
l'assemblée générale de Lisieux sont réexaminées avec cependant quelques éléments nouveaux
intéressants pour l'avenir, et qui concernent plus particulièrement la gestion du personnel. On
imagine que pourront se créer, un “bureau”, un “office interne à la fédération”, une “caisse”, un
“conseil spécialisé”, un “organisme spécial”2, structure qui aurait pour seule mission de gérer le
personnel et la masse salariale. Cette structure serait composée de représentants du personnel
éducatif élus par leurs collègues, des représentants des 23 fédérations régionales et du conseil
d'administration national, enfin de représentants de financeurs (Etat, communes, conseils généraux).
Elle “aurait la responsabilité de tout ce qui concerne la vie du personnel permanent et ses rapports
avec les employeurs : conventions collectives, indices, avances, mutations, litiges etc... , et ses
décisions ne seraient soumises au conseil d'administration national qu'en cas de désaccord
(proportion à fixer) entre ses membres”3. Cette structure permettrait de conserver une gestion
nationale du personnel dans le cadre de la régionalisation : “un service comptable effectuerait toutes
les opérations sur ordonnancement de chaque région. On économiserait ainsi le prix de revient d'une
déconcentration complète en matière de comptabilité du personnel”4.
Pendant cette année 1968, riche en bouleversements qui, comme nous le verrons, traverseront
les MJC et leur fédération, la réflexion sur la modification des structures a encore avancé, si bien
qu'on pourra prendre une décision de principe et donner un mandat impératif au conseil
1
Organisation interne - structures, p. 13.
2
Autant de dénominations que l’on retrouve dans l’exposé introductif du délégué général, Lucien
Trichaud, aux Journées nationales d’étude des directeurs des 2 et 3 novembre 1967 (Ronéo, 10
pages, 1.250 exemplaires).
3
Ibid. p. 8. Ironie de l’histoire : ce projet ressemble étonnamment à toutes les structures nationales
mises en place ou imaginées par la FFMJC après la scission de 1969 : CIRP (Centre Interrégional de la
paie), SIRP (Service interrégional de la paie) et surtout Conseil d’employeurs, décidé par l’assemblée
générale de la FFMJC à Châlons-sur-Marne (10-11 novembre 1989).
4
Ibid. p. 9.
- 306 d'administration national pour préparer, avant Pentecôte 1969, un projet de modification statutaire.
Lors de l'assemblée générale de Grenoble (10-11 novembre 1968), trois commissions ont réfléchi
sur le rapport de commission nationale des structures1. De la synthèse, se dégagent les points
suivants : la régionalisation est nécessaire ; la MJC reste la cellule de base fondamentale ; la
fédération nationale définit la politique générale ; l'assemblée régionale serait formée de
représentants des MJC et des fédérations départementales ; l'assemblée générale fédérale serait
plus réduite et ne rassemblerait que les représentants des régions, porteurs d'un certain nombre de
mandats. Les compétences des deux instances sont assez clairement définies : la politique
générale, la représentation nationale et internationale, les statuts, la formation et la gestion du
personnel pour l'échelon national ; l'affiliation des MJC, unions locales et fédérations
départementales par délégation de pouvoir, le relais entre la fédération des MJC, la création des
postes, la pré-formation, la formation des adjoints éducatif pour l'échelon régional. Le principe de la
cogestion avec le personnel n’est à aucun niveau remis en cause. Après débat, l'assemblée de la
FFMJC peut procéder à des votes impératifs : pour le principe de la régionalisation (unanimité moins
4 abstentions), mandat impératif au conseil d'administration pour préparer le projet avant Pentecôte
(unanimité moins trois abstentions), et également à des votes indicatifs : région économique ou
académique ? (unanimité moins 28 voix en faveur de la région académique), fédération ou
confédération ? (unanimité moins 10 voix contre et 10 abstentions pour la fédération), gestion du
personnel par le conseil d'administration ou un organisme distinct (unanimité moins 9 abstentions en
faveur du conseil d'administration), expérimentation régionale structurée ou informelle ? (unanimité
pour l’expérimentation informelle avec réunions de travail et de recherche). Quant à la place et à la
fonction des délégués régionaux, elles devront faire l'objet d'une étude en commission.
Lentement mais sûrement, la FFMJC a donc progressé sur cette difficile question de la réforme
des structures. Bien plus - et les votes de l'assemblée générale le démontrent - elle a, semble-t- il, su
garder une unanimité de vue que ni la croissance rapide, ni la décentralisation annoncée, ne
semblent devoir perturber.
Et pourtant, les choses ne vont pas aussi bien. Les MJC et leur fédération n'ont pas le soutien
financier et moral de l'Etat que les responsables espèrent en cette période d'accélération de la
croissance. En janvier 1966, François Missoffe est devenu ministre de la Jeunesse et des Sports en
remplacement de Maurice Herzog, qui avait assuré jusque là, successivement, les fonctions de Haut
Commissaire, puis de Secrétaire d'Etat. La création d'un véritable ministère laisse espérer aux
responsables des mouvements et institutions de jeunesse et d'éducation populaire, notamment à la
FFMJC, un soutien encore plus important de la part de l'Etat et une confiance soutenue du ministre
et de l'administration.
1
Qui s’était réunie les 8-9 mars et 20-21 avril 1968.
- 307 Dès son arrivée au gouvernement, François Missoffe entend bien conduire une politique de la
jeunesse originale, et qui ne serait pas la simple confirmation de celle de son prédécesseur. Il choisit
une démarche qui consiste dit-il “à associer les jeunes eux-mêmes à la recherche et à la définition
d'une politique les concernant”1, et qui prendra la forme d'un “livre blanc de la jeunesse”, pour lequel
une campagne d'information est lancée dès le mois de mai 1966.
Dans un premier temps, la FFMJC joue le jeu. Pas à pas incite ses lecteurs à répondre à
l'enquête lancée par le ministre et propose même un schéma de réflexion sous forme d'un
questionnaire. Mais la situation va rapidement se dégrader d'autant que François Missoffe depuis
son arrivée à la rue de Châteaudun n'a pas ménagé ses critiques à l'égard des MJC (“conçues par
les adultes pour les jeunes”, où “les jeunes ne sentent pas chez eux”2) et de leurs animateurs qui, au
bout de quelques années, risquent d'être inadaptés à leur fonction.
François Missoffe pense que les jeunes ont besoin, à la place ou à côté des MJC, “de petits lieux
de rencontres qui remplaceraient le bistrot [et que] cela correspond à cette cellule naturelle qu'on
appelle la bande”3. Il conçoit le projet des “mille clubs” qu'il lance dans le mois qui suit la campagne
d'information sur “le livre blanc de la jeunesse”. A l'issue d'un concours entre constructeurs, cinq
maquettes ont été retenues. Deux d'entre elles doivent servir de modèle à ce millier de microéquipements d'une superficie au sol de 150 m2, que des équipes de jeunes recevront en pièces
détachées et qu'ils devront monter d'après une notice, sur des terrains fournis et aménagés par les
municipalités. Après assemblage, le local sera meublé par les jeunes eux-mêmes.
Le livre blanc d'abord, puis et surtout le projet d’implantation de Mille clubs, sont évidemment mal
accueillis par de nombreux responsables bénévoles et professionnels des MJC qui voient là une
remise en cause très directe du travail éducatif et culturel qu'ils conduisent depuis de nombreuses
années. On conteste le projet démagogique du ministre qui court-circuite les institutions oeuvrant en
direction de la jeunesse. On pense que ces mini-clubs rapidement livrés aux bandes risquent d'avoir
une existence éphémère, conduire à la ségrégation de la jeunesse ou “fabriquer des enfants attardés
qui jouent sous bonne garde”4.
Les projets du ministre sont d'autant plus inquiétants que, dans le même temps, les subventions
à la FFMJC pour 1967 ne sont ni connues ni versées. Déjà, dès l'assemblée générale de Troyes, soit
moins de 5 mois après l'arrivée de François Missoffe, les MJC étaient montées au créneau. Dans
une motion, la FFMJC s'était montrée “inquiète des récentes déclarations prêtées par la presse et la
1
Débat à l’assemblée nationale à l’occasion du vote du budget du Ministère de la Jeunesse et des
Sports pour l’année 1967 (Pas à pas n° 168, p. 4).
2
Extraits d’interventions à l’assemblée nationale et d’interview (Le Progrès de Lyon du 7 février 1967,
p. 13).
3
Ibid.
4
Propos d’un adhérent de MJC (Le Progrès de Lyon du 7 février 1967, p. 13).
- 308 radio à Monsieur le Ministre de la Jeunesse et des Sports, déclarations qui semblent mettre en
cause la structure, la gestion, l'animation, l'action et le financement de l'ensemble des organisations
de jeunesse et d’éducation populaire”1. Elle avait rappelé les principes qui l'animent et l'efficacité de
son action, avait invité “les mouvements de jeunesse, les syndicats, les organisations sociales et
culturelles à défendre et à affermir une politique de la jeunesse et de l'éducation populaire
démocratique qui réponde à l'évolution du monde moderne”2, et demandé au ministre de “tenir un
juste compte de l'action menée, de définir le rôle nécessaire et légitime de l'Etat dans ce domaine...,
d'apporter à ceux qui en auront la compétence et la responsabilité les moyens qui permettraient à
nos institutions de sortir enfin d'une situation précaire”3.
Début 1967, la tension monte encore d'un cran. Le conseil d'administration du 29 janvier 1967
décide, sur proposition du syndicat CGT des directeurs, après un long débat et avec le soutien du
délégué général, de réunir dans les plus brefs délais une assemblée générale convoquée en session
extraordinaire. Pourquoi une telle décision ? C'est que le représentant du Ministère de la Jeunesse et
des Sports présent au conseil d'administration est dans l'incapacité de répondre à trois questions :
quel est le montant de la subvention attribuée à la FFMJC pour 1967 ? Quand sera-t-elle mandatée ?
Le ministère peut-il au moins s'engager à subventionner, ce qui permettrait à la FFMJC de contracter
auprès d’une banque privée le prêt nécessaire aux traitements du personnel pour les mois à venir ?
Cette assemblée générale a lieu à Paris, à la MJC Maurice Ravel, le 19 février 1967. Sans
attendre, une action a été engagée. Dans un texte diffusé à l'intérieur de la FFMJC4 et signé du
délégué général, le conseil d'administration fédéral conseille aux adhérents des MJC d'écrire
directement au ministre, demande aux maires et conseils municipaux qu'ils fassent connaître leur
étonnement de s'apercevoir que la position du ministre empêche notre fédération d'honorer les
contrats qu'ils ont signés avec elle “[et qu'enfin] les élus et les candidats de tous les partis écrivent au
ministre, avec double au premier ministre, que la presse locale, régionale et nationale soit informée
du problème”5.
Le texte introductif à l'assemblée générale de Paris-MJC “Ravel” précise les raisons de cette
réunion extraordinaire - à savoir la non connaissance du montant des subventions de l'Etat pour
l'année 1967 - et prévient toutes les attaques portées contre les MJC, notamment par le ministre de
la Jeunesse et des Sports : impérialisme, fédération organisée comme un Etat dans l'Etat,
1
Compte-rendu de l’assemblée générale de Troyes, p. 21.
2
Ibid. p. 22.
3
Ibid. p. 22.
4
Commentaires pour préparer l’assemblée générale du 19 février 1967 et engager les actions locales,
1/02/67, 1.000 exemplaires, ronéo, 4 pages.
5
Commentaires pour préparer l’assemblée générale du 19 février 1967 et engager les actions locales.
p. 3-4.
- 309 engagement politique de l'Institution du fait de la syndicalisation du personnel et du caractère
alarmiste de l'action conduite en période préélectorale. On y remet clairement en cause la politique
ministérielle de la jeunesse, celle du livre blanc et des Mille clubs.
La motion, votée à l'issue des débats, à l'unanimité moins une abstention, marque autant par le
ton que par son contenu. Les représentants des MJC “protestent” et “s'insurgent”. La presse
régionale et nationale se fait largement l'écho de cette assemblée de plus de sept cents personnes
qui a remis en cause en termes “vifs” le ministre et lui a reproché “de négliger le dialogue avec les
représentants des mouvements”1.
Entre temps, François Missoffe a tenté de rassurer les responsables des MJC en leur signifiant
qu'il allait “faire procéder à l'engagement de la moitié de la subvention qui avait été attribuée à la
FFMJC en 1966”2, et en leur certifiant que le montant de la subvention en 1967 ne serait en aucun
cas inférieur à celui de l'année précédente. La motion votée en assemblée générale, réunie en
session extraordinaire, s'est contentée de prendre acte du fait, si bien que le ministre a jugé
nécessaire de répondre sur un ton qui ne laisse pas augurer d'une amélioration des relations. Il dit
en effet comprendre mal les raisons d'une telle émotion et d'une telle inquiétude, et reproche à la
FFMJC “le caractère volontairement alarmiste de la campagne d'agitation”3 entreprise. Il considère
que la date de la conférence de presse projetée par la FFMJC (2 mars 1967) “ne peut que confirmer
aux yeux de l'observateur le moins averti le caractère politique d'une action menée dans un contexte
électoral”4, et signifie au délégué général que dans ces conditions, il ne lui paraît pas souhaitable
d'accorder au bureau de la FFMJC l'entretien qu'il sollicite.
Il est vrai que, depuis plus d'un an, on ne compte plus les lettres sans réponses et les rendezvous manqués. Dans une lettre du 14 décembre 1966, Lucien Trichaud rappelait déjà les six
correspondances sans suite adressées au ministre, et sollicitait un nouveau rendez-vous. Dans la
même année, la proposition de la FFMJC de construire un centre d'hébergement, qui serait en
même temps un centre de formation des directeurs, était restée sans suite5. André Philip aurait, lui,
été reçu entre deux portes par le jeune ministre.
L'Assemblée Générale de Lisieux rappelle les inquiétudes de la FFMJC. “Le dialogue ne s'est
pas établi - dit-on - entre les responsables fédéraux et le ministère”6. L'Institution continue cependant
1
Le Monde du 21/02/67.
2
Lettre du 15 février 1967.
3
Lettre du 27 février 1967.
4
Ibid.
5
“Nous nous étions habitués à l’attitude d’Herzog qui accueillait toujours positivement nos projets.
Pour la Grande Motte, F. Missoffe nous a répondu qu’il verrait. Nous nous sommes alors dit que
quelque chose avait changé”. (Entretien avec André Jager, responsable du service ArchitectureEquipement).
6
Rapport moral de l’assemblée générale de Lisieux, p. 3.
- 310 à se développer et la réflexion s'approfondit sur la question de la modification des structures. Les
MJC et leurs responsables ont su faire bloc dans les moments difficiles, et chacun pense que le
mouvement auquel il participe est irréversible.
Cette montée des tensions a d’autres explications. Dans la deuxième partie des années 60,
élément compréhensible mais nouveau, le personnel éducatif occupe une place de plus en plus
importante dans la gestion de la FFMJC mais aussi dans les prises de position et de décision. Ce
corps professionnel est de plus en plus nombreux, même si tout le monde s’accorde, à l'intérieur et
même à l'extérieur de la fédération, à reconnaître qu'il est insuffisant et que son statut reste
précaire1. Sans posséder d'indications très précises, on peut cependant affirmer que le recrutement
est très diversifié, que sa composante “enseignant”, très marquée dans les années 50, est en
régression au profit d'une dominante “promotion interne”2, dans laquelle le type militant à la fois
syndical ouvrier et d'éducation populaire occupe une place déterminante, sinon numérique du moins
emblématique3.
Ce personnel, après avoir dans la première période des années 40 et 50 fait corps avec les
militants bénévoles des MJC, en vient dans les années 60 à se positionner également en défenseur
de ses intérêts professionnels. Les directeurs de MJC, à mesure qu'ils deviennent plus nombreux,
s'organisent mieux syndicalement. Pour beaucoup d'entre eux, la défense de leurs intérêts et de
ceux de l'Institution relèvent d'un même combat qui, dans les périodes de tension, désigne le même
adversaire, l'Etat, attitude qui accrédite l’idée entretenue par certains esprits malveillants, d'une
confusion entre l'engagement éducatif et culturel d'une part, et le combat politique et syndical d'autre
part.
1
François Missoffe reconnaît lui-même à plusieurs reprises “la précarité de leur statut” ou plutôt
“l’absence de statut” et, comme la grande majorité d’entre eux, il “pense que l’avenir devrait
permettre de donner aux directeurs en poste et aux futurs directeurs une sécurité et une stabilité
de leur emploi, assorties de garanties de carrière qui font actuellement défaut”. Il écrit souhaiter
très vivement que “ce problème essentiel puisse être résolu dans les prochains mois”. Le Monde du
15/2/67.
2
Ceux que l’on appelle dans les jury de recrutement de la FFMJC les “purs produits de l’Institution”. On
connaît des cas, souvent cités en exemple, de militants socio-éducatifs qui après avoir gravi tous les
échelons de la MJC (activités, conseil de maison, CA, bureau) sont devenus ensuite directeurs de
MJC.
3
“Un sondage au hasard, opéré sur une centaine de dossiers de directeurs permanents parmi les 400
que salarie la FFMJC, nous a révélé qu’environ 70% de ces derniers étaient issus de métiers autres
que l’enseignement (20% ayant exercé dans l’industrie après avoir obtenu un CAP ou un B.E.I., les
50% restant ayant occupé des emplois dans le secteur tertiaire après avoir acquis un niveau de
culture égal au certificat d’étude primaire pour 10%, et s’étendant dans les divers degrés de
l’enseignement secondaire, première partie du baccalauréat incluse, pour les 40% restant). Auxquels
il faut ajouter 10% d’enseignants issus du premier degré ou de l’enseignement technique, 15%
d’étudiants, et ... 5% d’anciens séminaristes. Au total, les cadres des MJC viennent pour 80% de la
vie active [...]. On observe que le recrutement des premières générations de directeurs se fit par un
écrémage des équipes dirigeantes des mouvements de jeunesse de la Libération auxquels
succédèrent des militants ayant fait l’apprentissage de leurs responsabilités au sein des “conseils de
maison”. Michel Amiot, “L’État et la Jeunesse. La Fédération Française des MJC démantelée par son
Ministère de tutelle”, Esprit n° 387, 1969.
- 311 Ces directeurs de MJC sont majoritairement organisé à la CGT, le syndicat “autonome
Fédération Education nationale” ne recueillant guère que 20 % des voix aux élections des délégués
du personnel1. La décision d'adhérer au FONJEP (Assemblée générale de Châteauroux, 17 mai
1974 ) avait déjà donné une bonne occasion au personnel de se manifester syndicalement, ce qui
explique en grande partie que cette décision n'ait été prise qu'à une courte majorité alors que le
mode de financement des postes d'animateurs s'inspirait de l'expérience de la FFMJC elle-même. La
CGT combattait déjà le désengagement financier de l'Etat2 qu'augurait un tel dispositif, même si dans
le même temps le développement de la FFMJC s'en trouvait favorisé.
L'attitude de François Missoffe à l'égard des MJC aura pour effet quasi-immédiat de mobiliser un
peu plus le personnel autour de la CGT qui, en janvier 1967, joue semble-t-il un rôle décisif dans le
choix d'organiser dans le plus bref délai une assemblée générale en session extraordinaire. La CGT,
par la voix de son bureau syndical3, dit avoir elle-même proposé l'organisation de cette assemblée
générale. Le contenu des déclarations et le ton employé posent les problèmes en des termes
significatifs des équivoques sur lesquelles les MJC continuent à se développer, ainsi que des
contradictions grandissantes qui déjà semblent ne devoir se résoudre que dans le conflit :
“L'épreuve de force, Monsieur Missoffe la recherche depuis son avènement. Il a été mis en
place pour cela. Le remplacement de Monsieur Herzog ne fut pas fortuit. Il avait échoué dans
un certain nombre de ses entreprises, mais surtout les associations de caractère
démocratique, comme la nôtre, ne furent pas muselées comme l'entendait le pouvoir. La
jeunesse, les sondages le prouvent, ne va pas dans le sens que souhaite celui-ci. Non ce n'est
pas nous qui politisons le problème. Mais le pouvoir nous intente un procès politique”4.
Même si la situation, notamment financière, s'est entre temps améliorée, l'intervention du syndicat
CGT à l'assemblée générale de Lisieux (14 mai 1967) a des tonalités toujours aussi virulentes :
“Monsieur Missoffe peut bien dire qu’il faut “être saint ou raté”5, les directeurs de MJC lui font
savoir aujourd'hui qu'ils n'acceptent pas ce genre de parure.
Le personnel de la FFMJC préférerait qu'une discussion immédiate avec des gens qui ne sont
ni des saints ni des ratés, traite de la convention qui réglerait leur situation autrement que par
quelque ordonnance gouvernementale.
1
Entretiens avec Lucien Trichaud.
2
“Le FONJEP a été notre premier grand combat. A ce moment-là, nous sommes définitivement passés
d’une sorte de syndicat-“amicale” à un syndicat luttant sur des principes et avec des méthodes de
classe” (Entretien avec Claude Dade-Brenjot, ancien salarié de Renault, directeur de la MJC de
Colombes, déjà responsable syndical CGT dans les années 60, et actuellement le plus ancien
directeur en exercice).
3
Déclaration d’appel à participer à l’assemblée générale de Paris-Ravel.
4
Déclaration d’appel à participer à l’assemblée générale de Paris-Ravel, p. 2.
5
Référence à une déclaration du ministre sur les éducateurs, parue dans plusieurs journaux.
- 312 Profondément conscient du mépris dans lequel l'Etat et son ministre de la Jeunesse et des
Sports le tient, le personnel de la FFMJC, dont le sort est lié à celui des travailleurs, participera
sans hésitation et avec enthousiasme à la grève nationale du 17 mai !”1.
Le processus d'escalade des tensions entre d’un côté la FFMJC et son personnel, et de l'autre le
ministre et l'administration d'Etat, met progressivement à nu l'ambiguï té voire même l'équivoque sur
laquelle s'est développée la FFMJC. Au fond, sans le dire explicitement, l'Etat a vraisemblablement
toujours attendu que les MJC participent à l'intégration de la jeunesse dans le cadre des règles
sociales existantes, tout en répondant en même temps à un besoin grandissant d'animation de loisir
manifesté par les adultes. A l'opposé, certains responsables de MJC et de nombreux directeurs
n’excluent pas que la réalisation du projet pédagogique ne se traduise par des prises de
responsabilités et des engagements qui remettraient explicitement en cause les rapports sociaux
existants. Michel Amiot ne cite-t-il pas, en 19662, Jean Rous qui affirmait 20 ans plus tôt :
“Il est indispensable de définir le climat de justice et de liberté qui sera celui des Maisons de
Jeunes [...]. Il ne sera pas, en définitive, possible d'assister à un puissant essor institutionnel
dans un régime qui demeurerait sous la coquille “démocratique” foncièrement capitaliste. Le
style de l'institution de jeunes doit tendre à faire aimer et vouloir une société débarrassée de
l'exploitation de l'homme par l'homme et basée sur la propriété commune des grands moyens
de production [...]. Les “patrons” tout désignés aux côtés du monde de l'éducation populaire
s’appellent CGT en coordination avec la CFTC, CGA, Artisanat, Mutualité”.
D'un côté, celui du ministre, on pense surtout loisir et intégration de la jeunesse ; de l'autre, celui
de la FFMJC et de ses professionnels, on pense toujours plus éducation populaire, prise de
responsabilité et liberté d'engagement. Les tensions se nourrissent mutuellement et les discours se
radicalisent jusqu'à générer des divergences, y compris à l'intérieur de la FFMJC. Le premier
évènement véritablement spectaculaire de ces divergences internes est la démission brutale du
président André Philip.
Cette démission marque, par l'acte lui-même du premier fondateur de la FFMJC, par le charisme
du personnage mais aussi par les attendus de la décision et par la virulence du ton. Après avoir
rappelé dans quel contexte et selon quels objectifs il avait pris l'initiative de créer ce qui est devenu
depuis la FFMJC - il s'agissait de prendre le contre-pied “du régime de Vichy qui aurait fait de la
jeunesse une classe à part encadrée par l'administration et conditionnée par la propagande”3- André
Philip explique que “depuis deux ans tout a changé”4 et stigmatise dans un langage direct les
initiatives ministérielles : on considère “comme au temps de Vichy” la jeunesse “comme une classe
1
Intervention à l’assemblée générale de Lisieux, ronéo, p. 8.
2
Les jeunes et les adultes, p. 7.
3
Lettre de démission d’André Philip. Le Monde, 3 avril 1968.
4
Ibid.
- 313 séparée, confinée dans un ghetto” ; on attaque les mouvements de jeunesse et les institutions
d'éducation populaire et on bloque leurs crédits, cependant qu'“on gaspille des ressources rares
dans la création de mini-clubs sans éducateurs, soumis directement pour leur gestion à
l'administration d'Etat”1. Et André Philip de conclure sur ce sujet : “J'ai tenté à deux reprises
d'expliquer au ministre de la Jeunesse, les problèmes de l'éducation permanente ; j'ai dû constater
que rien ne l'intéressait en dehors de sa publicité personnelle, ce qui ne me permet plus de le
respecter”2.
Mais pour le président de la FFMJC les difficultés n'ont pas seulement une origine ministérielle :
“Les progrès même de la Fédération ont ossifié sa structure ; les maisons en expansion, accaparées
par leur activité propre, ont peu à peu perdu le sens de la solidarité fédérale”3. Bien plus, “les
directeurs de maison au lieu d'être les serviteurs des usagers sont devenus leurs guides, et leur
influence croissante dans le conseil d'administration fédéral tend à substituer à l'auto-gestion
démocratique l'autoritarisme d'un corporatisme professionnel”4.
André Philip critique notamment l'attitude du syndicat CGT du personnel qui, “renforcé par le
mécontentement général suscité par l'attitude du ministre, a substitué à la co-responsabilité
gestionnaire un esprit de revendication et d'agitation permanente”5 : blocage au conseil
d'administration de la proposition de demander aux municipalités un financement des postes à 50%,
opposition, à la dernière assemblée générale, à la création d'une cotisation individuelle des usagers
ainsi qu'à l'augmentation des cotisations des maisons, mise à profit des instances “pour se livrer à
une propagande politique qui déconsidère la Fédération”6. Et André Philip conclut ainsi sa lettre de
démission :
“Tout se passe comme s'il y avait objectivement une collusion entre un ministre désireux de
détruire la Fédération et un syndicat soucieux de profiter de cette destruction pour favoriser la
propagande d'un parti politique. Or, ayant été appelé à des fonctions internationales
importantes, je ne dispose plus du temps nécessaire pour combattre à la fois un ministre
hostile et un syndicat irresponsable”7.
Cette décision de démission qu'André Philip annonce au conseil d'administration fédéral du 31
1
Ibid.
2
Ibid.
3
Ibid.
4
Ibid.
5
Ibid.
6
Lettre de démission d’André Philip.
7
Ibid.
- 314 mars “provoque un émoi dans la Fédération tout entière”1. Pour mettre fin aux polémiques qui
commencent à se développer à l'intérieur comme à l'extérieur de l'Institution, la majorité du bureau
publie une déclaration dont le but est de préserver l'unité fédérale et rétablit l'équilibre budgétaire en
répartissant le déficit antérieur sur trois ans. Mais il n'empêche que quelques jours avant les
évènements de mai-juin 1968, la FFMJC a été secouée de soubresauts dont les effets n'ont pas fini
de se faire sentir.
L'assemblée générale fédérale ordinaire qui devait se dérouler les 1er et 2 juin 1968 n'aura pas
lieu. L'organisation matérielle eut été difficile dans une France paralysée et les MJC, ainsi que la
Fédération, sont de fait - et aussi par choix - fortement impliquées dans les évènements du moment.
Le 19 mai, le conseil d'administration fédéral demande aux MJC “de favoriser sous la responsabilité
de leurs propres conseils d'administration toutes les rencontres et discussions concernant les
problèmes actuels”2.
En mai et juin 1968, les MJC se sont manifestées de façons très diverses3 suivant le contexte
local, le secteur géographique ou sociologique, la personnalité des animateurs, des conseils
d'administration et des conseils de maison. La revue Pas à pas de juin 1968 fait largement état de la
diversité des attitudes des MJC, qui dans la majorité des cas ont pu et su faire respecter la liberté
des expressions les plus diverses et la laï cité ouverte : ici on a accueilli les organisations syndicales
ou corporatives les plus diverses ; là on a organisé débats, colloques sur les questions concernant
les jeunes (l'éducation, la politique, le travail...) ; ailleurs, pour éviter tout débordement, le personnel
de la MJC s'est organisé en comité de grève et a pris la maison momentanément en charge en
accord avec le directeur et le conseil d'administration. Les MJC sont généralement restées ouvertes
et on ne relève “que quelques cas d'occupation, souvent par des jeunes étrangers à la MJC”4.
Sans entrer plus dans le détail, on peut cependant comprendre les raisons du rôle joué par les
MJC pendant les évènements de mai-juin 1968, rôle qui leur confèrera une place identifiable dans
l'histoire de la période et des années suivantes, mais qui également explique en grande partie les
turbulences à venir. Première raison : les MJC sont des espaces ouverts où l'on peut entrer
librement. Ainsi dans de nombreuses villes, lorsque l'usine et le lycée ont fermé leurs portes parce
que les responsables craignent l'occupation des locaux, la MJC reste-t-elle souvent le seul lieu
ouvert où l'on va pouvoir se rencontrer et se réunir. De lieu d'intégration de la jeunesse, la MJC
devient alors dans ce contexte nouveau et exceptionnel, un lieu d'explosion, de contradiction, de
contestation, que les responsables politiques en place peuvent considérer et stigmatiser comme
1
Rapport moral pour l’assemblée générale de Vichy, qui devait avoir lieu les 1er et 2 mai 1968, p. 15.
2
Note complémentaire d’information : La Fédération de mai à octobre (8/10/68).
3
Le rôle des MJC pendant cette période justifierait une étude spécifique.
4
Note complémentaire d’information, p. 10.
- 315 espace d'agitation politique. Deuxième raison : le projet, les modes d'organisation et de gestion de la
MJC correspondent assez bien aux aspirations d'une certaine jeunesse de mai-juin 1968 : critique de
la consommation basée sur le profit, place pour l'aventure, l’initiative et l’imagination, besoin de
communication et de fraternité, refus des dispositifs autoritaires et hiérarchiques de gauche comme
de droite, autogestion et cogestion du projet et des actions... Ainsi, tout en gardant une attitude de
recul critique, les responsables des MJC prendront-ils acte de cette sorte de connivence entre les
aspirations de la jeunesse et le dispositif institutionnel de la MJC :
“En ce qui nous concerne, nous nous félicitons de ce que nos textes fondamentaux, les
structures démocratiques de cogestion de nos MJC répondent aux exigences exprimées au
mois de mai ...
Si nous avons envisagé surtout les aspects positifs, il ne faut pas cependant nous faire trop
d'illusions. Tout ne fait que commencer. Des dangers demeurent. Le balancier du pendule
risque de remettre tout en place sans tenir compte des évènements pour nous replacer tôt ou
tard dans des circonstances analogues aggravées. On peut mettre en place une simulacre de
dialogue avec la jeunesse, sans pour autant tenir compte de ses avis. Il y a le risque de
démagogie, d'utilisation à des fins inavouées et inavouables. Enfin, loin de nier les effets
constructifs de l'élan révolutionnaire, affirmons cependant que nous ne pourrions accepter un
totalitarisme qui refuse les contradictions de la liberté”1.
Troisième raison enfin, expliquant la position originale des MJC en mai-juin 1968 : elles sont
quasiment les seuls endroits où cohabitent et se rencontrent une fraction de la jeunesse ouvrière (ce
que l'on appelle les jeunes travailleurs) et une fraction de la jeunesse intellectuelle (lycéens et
étudiants). Ces espaces de rencontre2 entre de futurs intellectuels - ou à tout le moins de futurs
travailleurs intellectuels - d'une part, et des travailleurs d'exécution (ouvriers et petits employés) ne
sont finalement pas si nombreux. Ce ne sont ni l'université, qui ne rassemble que des étudiants, ni
l'usine, qui reste réservée aux travailleurs organisés par le patronat et les syndicats traditionnels, qui
peuvent favoriser ce genre de rencontre.
Le comportement des Maisons des Jeunes et de la Culture, de leurs responsables et
professionnels, fut diversement apprécié. Certains reconnurent dans ces structures des espaces
d'apprentissage de la prise de parole et de la démocratie. D'autres ne virent que “foyers de désordre
et d'anarchie”3. L'invitation de la FFMJC à “favoriser toutes les rencontres et discussions concernant
les problèmes actuels”4 fut largement suivie et perçue par certains comme un appel à l'agitation, non
1
Ibid.
2
Selon une étude citée par M. Amiot (Les MJC - analyse des tableaux statistiques par le Groupement
d’Étude pour l’Équipement Rural, 26 bd Raspail, Paris, mai 1969), les MJC rassembleraient à ce
moment-là 15 à 20% d’ouvriers et 20% d’employés, pour un total à peu près équivalent d’écoliers
et d’étudiants (L’État et la Jeunesse, op. cit., p. 180).
3
M. Mondon, député-Maire de Metz (Le Républicain lorrain, 16 juillet 1968).
4
Conseil d’administration du 19 mai 1968.
- 316 conforme à la mission des MJC. Les “votes-tests” organisés auprès des jeunes dans certaines
d'entre elles font réagir Monsieur Nungesser, prédécesseur de Monsieur Comiti, qui demanda aux
préfets de les interdire. “On vit des MJC fermées et gardées par la police, des maires ceints de leur
écharpe tricolore venant, au soir de deux dimanches d'élection, saisir les urnes”1.
Dans le rapport moral présenté à l'assemblée générale des 10 et 11 novembre 1968 à Grenoble,
le secrétaire général, Monsieur Hillairet, explique l'attitude des MJC pendant les mois de mai et juin
et repousse les attaques :
“On a beaucoup parlé des Maisons des Jeunes et de la Culture au cours des évènements de
mai. Quand les esprits se sont calmés, certains n'ont pas ménagé les violentes attaques qui,
largement diffusées et répandues, donnent une image fausse et de la Fédération et de nos
MJC. On nous reproche d'avoir été mêlé aux évènements, mais qui, dites-moi, n'y a pas été
mêlé ? Alors que les problèmes de la jeunesse, l'inadaptation de nos systèmes d'éducation
face à un monde en pleine mutation, la hantise d'une civilisation technicienne, froide et
inhumaine où tout est prévu, où il n'y a plus place pour l'aventure, étaient au coeur même de la
révolte, il eût été impardonnable, inconcevable même que nos MJC n'aient pas participé au
débat. Tous ces problèmes, nous les avons largement évoqués au cours de nos assemblées
générales, dans nos écrits, dans Pas à pas et nos esprits, nos structures de participation et de
cogestion répondirent parfaitement aux aspirations de Mai. Imaginons le cas contraire et on
nous aurait fait le reproche de notre propre inadaptation face aux besoins et aux désirs de la
Jeunesse… Les Maisons des Jeunes et de la Culture n'ont pas été créées pour qu'on y
apprenne à jouer à la marelle, à chanter ou à tenir une marionnette. Leurs activités ne sont
pas une fin en soi et leur ambition est beaucoup plus noble. Dans le cas contraire, Monsieur le
Ministre, il faudrait tout de suite les supprimer, nous n'aurions plus rien à y faire”.
Il n'empêche que pour les MJC, les évènements de mai ont joué le rôle d'analyseur social.
L'équivoque de leur fonction s'est dévoilée un peu plus... Il y a désormais les pro- et anti-MJC. On
affuble d'autant plus facilement les MJC d'une image politique partisane que le successeur d'André
Philip, Paul Jargot, est engagé au parti communiste2. Après les élections législatives de juin 1968, le
balancier revient. Il frappera la FFMJC de plein fouet.
2 - Histoire d’une rupture
Les premiers rapports entre la FFMJC et le secrétaire d'Etat chargé de la Jeunesse et du Sports,
Joseph Comiti, sont semble-t-il bons et empreints d'une volonté de dialogue. Après plus de deux
années de relations difficiles avec F. Missoffe, les responsables fédéraux se félicitent3 de cette
1
La Croix, 15 novembre 1969 (Les jeunes et la société des adultes. Le dossier des Maisons des
Jeunes et de la Culture).
2
Dans les années 70, il sera sénateur-maire de Crolles (Isère).
3
Note complémentaire d’information préparatoire à l’assemblée générale de Grenoble, p. 10.
- 317 reprise de dialogue avec l'Etat. Joseph Comiti a reçu le bureau fédéral le 2 septembre et, d'un
commun accord, il a été décidé la création d'une commission de travail rassemblant des
représentants du secrétariat d'Etat et des représentants de la Fédération. Cette commission s'est
réunie plusieurs fois ; les problèmes financiers ont été évoqués et ont reçu un début de solution pour
l'année 1968. On a le sentiment que la mise en forme d'un statut des animateurs, et qu'une
convention entre l'Etat et les grandes associations, sont en bonne voie.
Monsieur Joseph Comiti conçoit déjà un projet de contrôle des structures, du reste prévu par les
statuts des MJC et de la Fédération, et que les responsables eux-mêmes disent souhaiter car il
pourrait constituer une garantie. On souhaite cependant “que les modalités et l'esprit du contrôle ne
soient pas appliqués dans un sens restrictif voire primitif [et que ce contrôle n'aboutisse pas trop vite]
à des solutions définitives”1.
L'assemblée générale de Grenoble (10-11 novembre 68) a adopté le principe de la
régionalisation. Le projet doit être prêt avant Pentecôte. Le personnel sera géré par le conseil
d'administration lui-même et non par un organisme distinct. Les nouvelles structures feront d'abord
l'objet d'une expérimentation informelle contrôlée par des réunions de travail et de recherche. Le
secrétaire d'Etat, de son côté, veut aller plus vite et plus loin. Il le fait rapidement savoir. Le 21
novembre, les services ministériels remettent à la fédération le texte des propositions de Joseph
Comiti pour une réforme des structures de la FFMJC, texte qui, selon le témoignage du président
Paul Jargot, est “accompagné verbalement d'une menace grave concernant le versement de la
subvention de l'Etat”2.
Le département ministériel désire voir mettre en oeuvre par la Fédération, dès le mois d'avril, un
plan qui concerne trois domaines : la gestion, la position des directeurs et la refonte des structures.
De quoi s'agit - il ? Il faut d'abord revenir “à la gestion de la fédération par ses adhérents [...] ce qui
implique que soit mis fin à la présence au conseil d'administration fédéral des représentants des
agents permanents de la fédération et des associations membres”3. Il faut ensuite - et c'est, nous
semble-t-il, l'aspect essentiel de la demande - radicalement modifier la position des directeurs : ils
deviennent employés des associations locales, la création des postes se faisant par accord entre les
associations et le secrétariat d'Etat, représenté par les chefs de services académiques et
départementaux. Le FONJEP rassemblant les fonds nécessaires les versera directement aux
associations. On étudiera par ailleurs “les dispositions statutaires des directeurs à la lumière d'un
1
Ibid. p. 19.
2
Rapport d’ouverture à l’assemblée générale de Sochaux (23 mars 1969), p. 1.
3
Plan de réformes de la FFMJC présenté par le Secrétaire d’État auprès du Premier Ministre chargé de
la Jeunesse et des Sports (Ronéo, FFMJC, 200 exemplaires), daté du 22/11/68, ainsi que Le Figaro
des 23-24 novembre 68, qui reproduit intégralement ce texte.
- 318 statut plus général des animateurs”1. De là il découle - et c'est le troisième volet du projet - que “les
structures fédérales seront allégées et assouplies [...]. Leur finalité sera profondément repensée en
fonction d'une mission prioritaire : fournir des prestations éducatives et culturelles aux MJC en
premier lieu, mais aussi à toutes les associations d'éducation populaire qui en expriment le besoin
suivant un système de cogestion. La Fédération redeviendra ainsi un centre de conception et
d'incitation pour le développement de l'éducation populaire”2.
Le secrétaire d'Etat a jeté d'emblée le bouchon suffisamment loin pour pouvoir, dans les mois qui
suivent, faire des concessions sans revenir sur l'essentiel. L'essentiel, c'est la suppression de
l'emploi et de la gestion nationale des directeurs ainsi que de leur représentation avec voix
délibérative dans les conseils d'administration des futures structures fédérales. La régionalisation
n'est pas, en fait, l'enjeu essentiel du plan de réforme ministériel ; elle est évoquée une seule fois, et
comme simple hypothèse3. Car en fait, la question est bien plus de savoir ce qui sera régionalisé,
voire localisé, que d'imposer une régionalisation dont le principe a par ailleurs été accepté par
l'assemblée générale de la FFMJC elle-même.
Sur le contenu de la refonte des structures proposé par Joseph Comiti, qui concerne
essentiellement, comme nous venons de le voir, la gestion et la place du personnel éducatif, le
conseil d'administration national de la FFMJC est divisé4. Certains administrateurs sont sensibles “au
retour à la gestion de la fédération par ses adhérents [et à l'idée] que soit mis fin à la présence au
conseil d'administration fédéral des représentants des agents permanents de la fédération”5, d'autant
que ces représentants sont majoritairement membres de la CGT. Que la Fédération, débarrassée de
la gestion du personnel, redevienne “un centre de conception et d'incitation pour le développement
de l'éducation populaire”6, une sorte de superstructure de réflexion, de proposition et de prestation,
au service des MJC d'abord mais aussi de l'ensemble des associations d'éducation populaire,
1
Plan de réformes de la FFMJC.
2
Ibid.
3
“Dans l’hypothèse d’une régionalisation des structures, les fédérations régionales peuvent également
fonctionner suivant ce principe” (i.e. le retrait des représentants du personnel). Ibid.
4
Division manifeste lors du conseil d’administration qui suivit l’assemblée générale de Grenoble et qui
avait pour but le remplacement d’André Philip à la présidence et la constitution d’un bureau. Lors du
premier tour de scrutin, P. Jargot était arrivé légèrement en tête, puis G. Hillairet avait obtenu la
majorité absolue (19 voix contre 17 à P. Jargot). Il avait notamment obtenu les cinq voix des
ministères tandis que P. Jargot avait les quatre voix des représentants du personnel. Mais G. Hillairet
n’arriva pas à constituer un bureau, les personnes qu’il avait sollicitées s’étant récusées (P. Jargot
n’a pas accepté le secrétariat général que G. Hillairet lui proposait). Après de longues discussions, le
conseil d’administration avait donné mission aux deux leaders de s’entendre pour constituer un
bureau, qui fut présenté en bloc aux suffrages et élu à la quasi-unanimité des voix, moins quelques
abstentions. C’est ainsi que P. Jargot, G. Hillairet et J. Laurain furent élus respectivement président,
secrétaire général et trésorier.
5
Plan de réformes (op. cit.).
6
Ibid.
- 319 pourrait conférer une légitimité et une audience nouvelle à l'Institution et à certains de ses
responsables. Le secrétaire d'Etat laisse entendre qu'ainsi restructurée la Fédération entretiendrait
une relation privilégiée avec l'Etat. Ainsi aurait-on, d'un côté un FONJEP qui, avec les différents
employeurs - entendons les MJC - aurait la responsabilité de la gestion d'un personnel, et de l'autre
une Fédération Française qui, avec l'Etat et les autres institutions, ne parlerait qu'éducation,
animation et culture.
Par contre, même si le secrétaire d'Etat donne le change sur les statuts du personnel (étude des
“dispositifs statutaires des directeurs à la lumière d'un statut plus général des animateurs”1), le
syndicat CGT des directeurs et une bonne partie des administrateurs s'opposent à ce projet de
restructuration : le corps professionnel serait divisé, émietté, sans possibilité de faire front pour
défendre son statut déjà précaire ; le bon privilège de la réflexion et de la prestation culturelle confié
à la Fédération ne serait qu'un leurre si dans le même temps elle n'avait plus autorité sur les forces
opérationnelles, et en premier lieu les salariés, pour passer à la mise en oeuvre. Ainsi ce projet de
réforme est-il rapidement perçu par certains comme un plan de démantèlement2.
Les propositions ministérielles ont donc pour premier effet de diviser le conseil d'administration
fédéral, d'affaiblir la Fédération et de faire craindre une scission3. L'unité sera cependant préservée
encore quelques mois. Après une série de rencontres et de consultations (délégués nationaux et
régionaux, syndicats de directeurs, membres du bureau et du conseil d'administration), le président
fédéral aboutit le 18 janvier à une solution tant recherchée : “Nous nous présenterions devant les
MJC et l'opinion publique, non plus les uns contre les autres mais ensemble pour ce qui nous
rassemblait et côte à côte pour ce qui nous séparait”4.
L'assemblée générale de Sochaux est donc programmée. Une consultation préalable des MJC
sur les options relatives aux réformes des structures fédérales est organisée, et les réponses sont
consignées dans un document largement diffusé5. Une rencontre avec le secrétaire d'Etat et ses
collaborateurs a ensuite lieu. Le conseil d'administration du 15 mars décide qu'un rapport unique
d'ouverture doit permettre à chaque partie de développer ses arguments et que par exemple le
secrétaire général présentera l'argumentation en faveur des options contradictoires, car chacun
convient qu’“une information juste exige le développement des points de vue différents [et que dans]
1
Ibid.
2
Les réactions de la presse nationale sont significatives. Le Figaro se contente de présenter le plan de
réformes ministériel. L’Humanité du 23 novembre 1968 titre : “Brutale attaque gouvernementale
contre la Fédération des Maisons de Jeunes”.
3
C’est du moins ce qu’affirme Paul Jargot. (Rapport d’ouverture à l’assemblée générale de Sochaux, p.
1).
4
Rapport d’ouverture à l’assemblée générale de Sochaux, p. 2.
5
Consultation des MJC sur les options relatives aux structures fédérales. Relevé par région, 27/02/69,
Ronéo, 19 pages, 1.700 exemplaires.
- 320 une organisation éducative comme la nôtre, la thèse et l'antithèse doivent être présentées avec une
égale objectivité”1.
Il semble donc que malgré le temps court, et compte tenu de l'importance des enjeux, cette
assemblée générale de Sochaux soit préparée avec soin et rigueur. Le projet de modification des
statuts de la FFMJC et le projet des statuts-type d'une association régionale des MJC sont présentés
article par article, suivis d'un commentaire rendant compte du vote du conseil d'administration
national du 23 février et de la position ministérielle. Les articles sur lesquels le conseil
d'administration est divisé sont présentés avec des choix optionnels. C'est d'abord le cas de l'article
3, alinéa h, des nouveaux statuts de la FFMJC qui est proposé avec deux options :
“Option A1 :
Elle (la FFMJC) assure le recrutement et l'emploi du personnel administratif technique du
centre fédéral, et le recrutement, la formation et l'emploi, en accord avec les associations
membres, d'un personnel éducatif et d'encadrement, ces responsabilités étant définies dans le
cadre d'un contrat collectif et d'une convention nationale.
Option A2 :
Elle (la FFMJC) assure le recrutement et l'emploi du personnel technique administratif du
centre fédéral et du personnel d'encadrement national. Le personnel éducatif est employé par
les fédérations régionales dans le cadre des règles établies par le conseil d'administration
national en ce qui concerne la qualification, et dans le cadre d'un contrat collectif ou d'une
convention nationale”2.
Le vote du conseil d'administration national s'établit comme suit : 20 voix pour l'option A1, 24 voix
pour l'option A2 et une abstention, l'option A2 ayant recueilli l'accord du ministère de tutelle.
L'article 6 qui concerne les membres de la FFMJC est présenté avec trois options pour la partie
portant sur la représentation du personnel :
“Option B1 :
Avec voix délibérative, les représentants du personnel d'encadrement, du personnel éducatif
et du personnel administratif de la FFMJC faisant partie du conseil d'administration, comme il
est dit ci-après à l'article 9 paragraphe 2.
Option B2 :
Avec voix consultative, les représentants du personnel d'encadrement, du personnel éducatif
et du personnel administratif de la FFMJC faisant partie du conseil d'administration, comme il
est dit ci-après à l'article 9 paragraphe 2.
Option B3 :
1
Rapport d’ouverture, p. 5.
2
Assemblée générale extraordinaire de Sochaux (23 mai 1969). Texte de propositions, p. 6.
- 321 Pas de représentants du personnel”1.
Au conseil d'administration national, l'option B1 a obtenu 20 voix, l'option B2, 12 voix, l'option B3,
13 voix, cette dernière ayant reçu l'accord du ministère de tutelle.
Des options comparables portant sur la représentation du personnel sont proposées dans l'article
9 paragraphe 2, consacré à la composition du conseil d'administration :
“Option C1 :
Avec voix délibérative, désignés respectivement par l'ensemble de leurs collègues sur
présentation libre :
- un représentant du personnel d'encadrement de la FFMJC,
- quatre représentants du personnel éducatif,
- un représentant du personnel administratif de la Fédération.
Option C2 :
Avec voix consultative, désignés respectivement par l'ensemble de leurs collègues sur
présentation libre :
- un représentant du personnel d'encadrement de la FFMJC,
- quatre représentants du personnel éducatif,
- un représentant du personnel administratif de la Fédération.
Option C 3 :
Pas de représentation”2.
Le vote du conseil d'administration a donné 21 voix en faveur de l'option C1, une en faveur de
l'option C2, 21 voix en faveur de l'option C3, qui a recueilli l'accord du ministère de tutelle.
Dans l'article 14 portant sur les prérogatives du conseil d'administration, deux options sont aussi
proposées :
“Option D1 :
Il nomme, avec l'accord des conseils d'administration locaux, aux emplois de directeur,
directrice, adjoints et adjoints des MJC.
Option D2 :
Paragraphe supprimé”3.
Le conseil d'administration national a donné 21 voix à l'option D1 et 23 voix à l'option D2. L'option
D2 a été approuvée par le ministère de tutelle. Dans le cas où cette dernière option serait adoptée, le
paragraphe supprimé serait placé dans les statuts-type des fédérations régionales, article 18.
1
Ibid. p. 6.
2
Textes de proposition à l’assemblée générale extraordinaire de Sochaux, p. 8.
3
Ibid. p. 9.
- 322 Dans le projet de statuts-type d'une association régionale des MJC, on retrouve à l'article 14
(composition du conseil d'administration) les options B1, B2 et B3 :
“Option B1 :
Les représentants du personnel éducatif et administratif avec voix délibérative.
Option B2 :
Les représentants du personnel éducatif et administratif avec voix consultative.
Option B3 :
Pas de représentant du personnel”1.
Les votes des membres du conseil d'administration national sont les suivants : 18 en faveur de
B1, 2 en faveur de B2, 20 en faveur de B3 qui a obtenu l'accord du ministère de tutelle.
Les choix proposés aux représentants des MJC concernent donc essentiellement la gestion du
personnel et sa place dans les organes de décision nationaux et régionaux. De son côté le secrétaire
d'Etat a accepté le principe que le personnel éducatif soit géré par l'appareil fédéral et non
directement par les MJC elles-mêmes, ce qui peut apparaître comme un recul par rapport à ses
propositions de novembre 1968. Cependant en soutenant avec force les options A2 (emploi du
personnel éducatif par les fédérations régionales), B3 et C3 (absence de représentants du personnel
dans les assemblées et conseils d'administration régionaux et nationaux), et enfin l'option D2 (refus
de voir les directeurs nommés par le conseil d'administration national), Monsieur Joseph Comiti
entend bien aboutir à ce qu'il appelle une vraie régionalisation, et rendre la gestion de la Fédération
à ses adhérents, en partenariat avec les représentants de l'Etat, des mouvements de jeunesse et
d'éducation populaire et même des grandes centrales syndicales2. Autrement dit la représentation de
l'Etat ne remet pas en cause la cogestion dans son principe, y compris avec le mouvement syndical.
Il remet par contre en cause la cogestion avec le personnel salarié de l'Institution et avec ses
organisations syndicales représentatives. Rien n’interdit d'autre part que les directeurs mis à
disposition des MJC soient membres de droit des conseils d'administration - le projet de réforme des
structures ne concerne pas les MJC - mais dans ce cas, c'est à titre de professionnel, de technicien
porteur du projet pédagogique et non au titre de représentant du personnel défendant ses intérêts de
salarié. Il ne peut du reste en être autrement puisque le projet de réforme des structures ne prévoit
pas que les directeurs puissent être salariés des MJC.
Autre élément essentiel : les administrateurs nationaux sont, c'est le moins que l'on puisse dire,
1
Ibid. p. 15.
2
Le ministère de tutelle a marqué son accord avec l’article 6 alinéa 3 des statuts de la FFMJC, qui
prévoit notamment que les représentants des grandes centrales syndicales aient un statut de
membre associé à l’assemblée générale, et à qui rien n’interdit d’être aussi membres associés au
conseil d’administration (Article 6 : “de 1 à 6 membres associés définis à l’article 9. Les membres
fondateurs et les membres associés sont élus par l’assemblée générale sur proposition du conseil
d’administration fédéral”, disposition qui a également reçu l’accord du ministère de tutelle).
- 323 divisés sur ces options fondamentales. Le conseil d'administration national est donc loin de faire
front, face aux exigences ministérielles. De leur côté, les Maisons des Jeunes et de la Culture ellesmêmes se divisent, sur ces options, entre celles qui ont une tendance très “régionaliste” qui va de
pair avec la suppression de la représentation du personnel avec voix délibérative dans les instances,
et celles qui restent très “centralisatrices” et qui dans le même temps entendent maintenir la
participation délibérative des représentants du personnel dans les instances nationales. Mais entre
les deux cas de figure diamétralement opposés, on rencontre toutes les variantes : certaines MJC
favorables à la gestion régionale des directeurs pensent qu'ils doivent être représentés avec voix
délibérative ; d’autres MJC favorables à la gestion nationale, optent pour une représentation
simplement consultative, voire même, comme par exemple la Fédération départementale du Tarn1,
par une absence totale de représentation.
C'est dans ce contexte que s'ouvre donc le 23 mars 1969, l'assemblée générale extraordinaire de
Sochaux2. Un nombre très important (723)3 de MJC ayant droit de vote4 et disposant de 1.100
mandats environ, est présent. Le président Paul Jargot ouvre la séance en présentant une partie du
rapport introductif, l'autre partie étant, comme prévu, présentée par le secrétaire général, G. Hillairet.
Le directeur de la Jeunesse et des Activités socio-éducatives Jean Maheu, représentant le secrétaire
d'Etat à la Jeunesse et aux Sports, exprime le point de vue du gouvernement. Trente-quatre
personnes prennent la parole pendant la discussion, mais le secrétaire général G. Hillairet et le
délégué général L. Trichaud retirent leur demande d'intervention5, attitude que regrette un
administrateur national (M. Bourret). Les 29 articles généraux - options non comprises - sont adoptés
par la majorité requise des deux tiers, et ce de manière généralement très confortable (1.050
mandats environ). Par contre, les modifications des statuts fédéraux portant sur le fait de l'employeur
(option A), la présence des représentants du personnel aux assemblées générales et aux conseils
d'administration (options B et C) n'obtiennent pas la majorité requise des deux tiers, si bien que le
statut quo est maintenu sur ces points. Cependant les statuts-type des FRMJC sont adoptés dans
leur totalité ainsi que les règlements intérieurs des assemblées générales régionales et nationales.
Les décisions majoritaires de l'assemblée générale de Sochaux qui conduisent, sur les questions
essentielles du statut du personnel, au maintien de la situation (employeur national et présence avec
1
Voir Consultation des MJC sur les options relatives aux structures fédérales.
2
En fait, pour être plus précis, cette assemblée générale extraordinaire est “doublée” d’une assemblée
générale ordinaire qui porte sur l’adoption des statuts-type des fédérations régionales ainsi que sur
les règlements intérieurs des assemblées générales de la FFMJC et des FRMJC.
3
“Près de la totalité”, dit le compte-rendu.
4
Les autres MJC ont, selon le règlement, un statut de MJC stagiaire ou en création, qui ne leur donne
pas le droit de voter.
5
“Nous avons refusé de parler car la salle était noyautée. Dès lors j’ai compris qu’il faudrait inventer
autre chose”. Lucien Trichaud (entretiens).
- 324 voix délibérative des représentants dans les instances) sont diversement appréciées. L'Humanité
considère que la “Fédération des MJC refuse la régionalisation gaulliste [et] son plan de
démantèlement”1. De son côté, le Figaro du même jour pense qu'il s'agit “d'une assemblée générale
extraordinaire pour rien ou presque” tandis que le Monde titre dans sa rubrique “Jeunesse” : “La
Fédération des Maisons de Jeunes rejette les réformes proposées par Monsieur Comiti”2. Quant à la
réaction du secrétaire d'Etat lui-même, elle est rapide et brutale : “Le problème des Maisons des
Jeunes et de la Culture est devenu un problème national”3 ; il doit donc faire l'objet d'un traitement
national que l'Etat, à défaut d'une décision majoritaire et statutaire des MJC, va devoir administrer.
Le 26 mars 1969, Monsieur Joseph Comiti reçoit une délégation de la FFMJC et lui signifie les
décisions qu'il a prises suite à l'assemblée générale extraordinaire de Sochaux. Dans une interview
exclusive au Figaro4, il fait connaître ces mesures et son appréciation de la situation. Il explique
notamment que “les renseignements recueillis montrent que dans la plupart des MJC, il y avait des
éléments gauchistes, qu'elles n'avaient plus l'audience qu'elles auraient dû avoir et que les jeunes
n'y allaient pas”5. D'autre part, “les MJC semblaient réduites au problèmes des directeurs”6, ce qui
l'avait conduit à proposer dans un premier temps que ces professionnels soient directement
employés par les MJC, et enfin à accepter que l'employeur devienne la fédération régionale. Enfin,
Monsieur Joseph Comiti conteste la légitimité de l'assemblée générale de Sochaux où la proposition
ministérielle n'a recueilli que “les suffrages de 400 mandats contre 600 à l'option du personnel : dans
cette réunion syndicale bien préparée [dit-il], prise en main par la CGT et le parti communiste, ceux
qui défendaient notre point de vue n'ont pas pu parler”7. Il a donc décidé des mesures qui vont
prendre effet immédiatement et qui sont les suivantes :
“1) le refus d'approuver les statuts qui n'ont pas réuni la majorité nécessaire et qui sont une
caricature de régionalisation. C'est en effet une fausse régionalisation de l'institution qui a été
adoptée puisqu'on a créé un échelon supplémentaire qui n'aura aucun pouvoir de décision.
2) l'obligation d'alléger le fonctionnement fédéral en supprimant des postes de personnel.
3) la limitation des subventions aux activités justifiant l'aide de l'Etat, c'est-à-dire l'animation et
la diffusion culturelles en fonction d'un programme précis à présenter par la Fédération et qui
1
Édition du 24 mars 1969.
2
Édition du 25 mars 1969.
3
Paroles rapportées par P. Jargot (Rapport de l’assemblée générale de Sochaux, p. 6).
4
Édition du 27/03/69 (De plus, Le Monde, dans ses éditions datées du 28 puis du 29 mars, s’étend
longuement sur cette question. Voir l’article de Jean-Marie Dupont : “Monsieur Comiti et la
Fédération des Maisons de Jeunes. Mesures administratives ou opération politique ?”).
5
Le Figaro (ibid.).
6
Ibid.
7
Ibid.
- 325 sera contrôlé à priori et à posteriori.
4) la suppression des postes du Fonds de Coopération de la Jeunesse et de l'Education
Populaire (FONJEP) à certaines MJC qui n'observent pas les statuts, en particulier en ce qui
concerne l'obligation de neutralité.
5) la suppression des subventions d'équipement pour la construction de Maisons de Jeunes
pour celles qui adhéreraient à la FFMJC”1.
Ces mesures immédiates sont assorties de menaces pour l'avenir.
“Ces réductions de crédit, ce contrôle, doivent être considérés comme une première étape
pour cette année. C'est à la FFMJC qu'il appartient de décider de son attitude. S’il n'y a pas de
changement, nous supprimerons totalement la subvention de sept millions de francs en 1970
et la répartirons entre les autres associations : les demandeurs ne manquent pas”2.
Dès lors, la FFMJC se retrouve institutionnellement dans une impasse. Le voudrait-elle qu'elle ne
pourrait même pas mettre en application les articles des statuts qui ont fait l'objet d'un vote par plus
des deux tiers des mandats puisque ces statuts n'ont pas reçu l'approbation nécessaire du ministère
de tutelle, comme le prévoit l'article 27 des statuts de la FFMJC. L'Institution est donc condamnée à
garder les règles de fonctionnement antérieures, prise qu'elle est entre l'absence d'une majorité des
deux tiers des mandats pour les modifications réclamées par l'Etat et le refus de ce dernier
d'accepter les dispositions statutaires majoritairement adoptées. D'autre part - autre impasse, celle-ci
financière - les mesures draconiennes du secrétaire d'Etat menacent la FFMJC d'une asphyxie
rapide si elle reste dans ses structures actuelles. Pour Jean-Marie Dupont, “deux issues seulement
paraissent possibles : nouvelle assemblée de la Fédération revenant sur les décisions de Sochaux
par 60% des mandats et acceptant les réformes exigées par M. Comiti ; éclatement de la Fédération
et mise en place dans certaines régions de fédérations autonomes acceptant les règles du jeu
acceptées par l'Etat”3.
C'est à croire que ce journaliste était particulièrement perspicace ou bien qu'il avait eu vent de
stratégies en cours d'élaboration. En effet, quatre jours plus tard, Lucien Trichaud décide de
démissionner de son poste de délégué général. “Le mardi 1er avril, écrit Paul Jansen, je rentrais à
11heures à la Fédération. Trichaud me fit part de sa décision de démissionner. Il avait écrit en ce
sens une lettre recommandée la veille au Président ; par sécurité, il avait doublée cette lettre d'une
copie non recommandée, de façon qu'en cas de retard de la première, Jargot soit prévenu. C'était
d'autant plus indispensable que la presse était avisée. La première édition du Monde datée du 2
avril, par conséquent paraissant le 1er avril en début d'après-midi, publiait la démission. A 12h10, le
1
Le Figaro du 27 mars 1969. La plupart de ces mesures sont notifiées par écrit (lettre de M. Joseph
Comiti à la FFMJC du 31 mars 1969).
2
Le Figaro du 27 mars 1969.
3
Le Monde du 28 mars 1969.
- 326 délégué général donnait lecture de sa lettre de démission qu'il avait l'intention d'envoyer à tout le
personnel fédéral”1. Dans sa lettre de démission au Président, le délégué général déclare
notamment :
“... Le fait que notre ministère de tutelle ait choisi, quant à lui, telle ou telle option, n'est jamais
entré dans notre raisonnement. Vous le savez bien, et c'est un détail qui eut mérité d'être
clairement dit à Grenoble et à Sochaux : nos propositions de réformes datent de trois ans et
ne sont que le résultat d'une réflexion qui s'est voulue honnête en vue d'un meilleur
développement de la Fédération des MJC et de l'éducation populaire. Notre réforme
nécessairement profonde émanait de l'intérieur pour des raisons techniques. Par entêtement
ou par calcul, on en a fait une querelle politique, essentiellement appuyée sur un corps
syndical, oubliant les intérêts des adhérents, le dévouement des animateurs bénévoles et la
mission même de notre fédération et de nos MJC. Il m'est impossible de travailler plus
longtemps dans un tel malentendu ...”
Après la démission de Lucien Trichaud, Paul Jansen, délégué général adjoint, assume de fait un
intérim qui est transformé en nomination au poste de délégué général lors de la réunion du conseil
d'administration fédéral du 13 avril. On enregistre des démissions en cascade de membres du
conseil d'administration, de personnels fédéraux et de délégués régionaux. Parmi les
administrateurs, on note les démissions de G. Hillairet (secrétaire général), d'A. Viala, R. Fareng, A.
Rouge, J. Yche, d’A. Philip lui-même2. Démissionnent également des chefs de service (par exemple
Bruno Cuvellard, responsable de Pas à pas), des délégués nationaux (A. Buisson, P. Mulet et P.
Demaison) ainsi que de huit délégués régionaux (J. Bézu, R. Bombourg, G. Celariès, J. Denviolet, A.
Legrand, M. Sala, J. Urbanek et J. Brasselet) et treize membres du personnel administratif. Pendant
ces journées, la confusion et la tension sont extrêmes. “Le climat, écrit Paul Jansen, devient
intenable rue La Condamine. B. Dumont, seule, met sous enveloppe le texte du Président Jargot aux
MJC ... Je souhaite avec Jager que le conseil d'administration soit ferme, dur. Licenciement général
et départ à zéro. Il est impossible de redresser la situation au comité fédéral d'une autre manière ...”3.
Lucien Trichaud serait allé le 4 avril à Narbonne pour créer une fédération autonome qui prend
d'abord le nom d'APREREG (Association des présidents des régions) avant de devenir, un an plus
tard, l'UNIREG. Des fédérations régionales autonomes sont créées, à Paris par exemple, ainsi que
des services, notamment le Centre des Echanges culturels internationaux (C.E.C.I) présidé par
G.Hillairet, et qui est la réplique du Bureau d'Animation et de Rencontre (B.A.R). Mais d'autres MJC
1
2
3
Compte rendu de Paul Jansen (Ronéo, 8 pages).
Après sa démission de la présidence, André Philip était resté membre du conseil d’administration
fédéral, dont il démissionne avec ces mots : “L’assemblée générale de Sochaux a une fois de plus
écarté la réforme fondamentale qui seule aurait pu assurer le salut de la Fédération. Dans ces
conditions, je ne puis plus prendre aucune part à une administration qui me parait engagée dans une
voie sans issue.” (Lettre au Président).
Compte-rendu de Paul Jansen.
- 327 et fédérations départementales décident de créer des Fédérations régionales “fidèles” à la FFMJC et
selon “les mesures prises démocratiquement”1 à Sochaux. Les représentants des huit fédérations
départementales parisiennes ont, par exemple, désigné un bureau provisoire chargé de convoquer
une assemblée générale constitutive le dimanche 11 mai à la MJC de Colombes, et condamnent “la
position de ceux qui, sciemment, d'une manière non démocratique, s'efforcent de faire accepter aux
maisons ce qu'elles ont refusé à Sochaux, en démissionnant ou en créant des fédérations
autonomes”2. Initiative comparable à Grenoble, où cent cinquante représentants des MJC de
l'académie se sont réunis le 20 avril pour examiner la situation de la Fédération Française et
préparer l'installation d'instances régionales, cette assemblée maintenant “sa confiance au conseil
d'administration et au personnel qui poursuivent leur travail au sein de la Fédération Française”3.
D'autres initiatives, pourrait-on dire médianes, ajoutent à la confusion dans laquelle nombre de MJC
se trouvent : la Fédération départementale des MJC du Loiret publie un manifeste déclarant
l'ancienne FFMJC morte et annonçant l'existence d'une nouvelle FFMJC ; elle demande aux
fédérations départementales de convoquer immédiatement les assises des MJC de leurs régions, de
créer 21 fédérations régionales qui prendront pour “base de travail les textes élaborés par les
commissions FFMJC et proposées à Sochaux”4. Elle ajoute cependant : “Nous nous abstiendrons de
toute initiative scissionniste et condamnons toute initiative illégale de création de fédération régionale
autonome telle que la fédération de la région parisienne instituée arbitrairement par sept présidents.
Nous affirmons avec force notre entière indépendance. Il existe une et une seule fédération
Française”5.
On peut facilement imaginer la perplexité, le désarroi même, dans lequel se trouvent bon nombre
de responsables des MJC, notamment dans les régions où les tenants de la FFMJC et de la
fédération autonome s'affrontent. Pendant plusieurs mois une sorte de guerre de tranchées
s'instaure. On convoque des assemblées générales où les adhérents doivent opter pour la fédération
de leur choix. Les partisans des deux fédérations, élus et délégués, battent la campagne et
échangent arguments et invectives, font feu de tout bois : rencontres diverses, pression sur les élus,
les directeurs et les municipalités. Il arrive même que dans la même assemblée générale, on assiste
à des revirements, lorsque par exemple, un directeur annonce qu'il a choisi de travailler pour l'autre
fédération et qu'il devra donc quitter son poste. Dans cette scission de la FFMJC, les délégués
1
Déclaration des unions et fédérations départementales des MJC de l’Essonne, des Hauts de Seine, de
Paris, Seine Saint Denis, Val de Marne, Val d’Oise, Yvelines et Seine et Marne (Le Figaro du
23/04/69).
2
Déclaration des unions et fédérations départementales... (Le Figaro du 23/04/69).
3
Ibid. Déclaration de Marc Malet, délégué régional de la Fédération de l’académie de Grenoble.
4
Ibid.
5
Ibid.
- 328 régionaux semblent jouer un rôle déterminant. Et il est vrai que les démissions de Legrand,
Bombourg, Urbanek, Denviolet, Celariès, Sala, Bésu et Brasselet vont faciliter, au moins dans les
premiers temps, la constitution de l'UNIREG. Mais l'attitude des individus, fussent-ils à la fois fidèles
au délégué général et fortement implantés dans leurs espaces respectifs, n'explique pas tout. Malgré
la démission de Legrand, les MJC d'Ile-de-France resteront en majorité affiliées à la FFMJC et Sala
ne réussira pas à ramener à l'UNIREG l'ensemble des MJC du pourtour méditerranéen - notamment
dans l’Hérault, les Bouches du Rhône, le Vaucluse et les Alpes Maritimes. Entre les espacesbastions des deux fédérations, vont se dessiner des lignes de partage moins précises qui resteront
pendant longtemps et jusqu'à aujourd'hui, des zones de friction sensibles.
3 - Le partage des Maisons des Jeunes et de la Culture
S'agissant de l'éclatement de la FFMJC en 1969 en deux fédérations, on en reste souvent à des
explications simples et simplistes. On peut certes être d'accord sur les origines clairement
repérables, pourrait-on dire factuelles, de la crise et de la scission : l'Etat par l'intermédiaire de son
secrétaire d'Etat à la Jeunesse et aux Sports, entend imposer une forme de régionalisation à une
fédération centralisée puissante, et cela en prenant appui sur un certain nombre d'administrateurs
nationaux et surtout un délégué général qui fait autorité dans l'Institution.
Les raisons d'une telle initiative ? Elles sont de plusieurs ordres que nous pouvons rappeler.
L'attitude des MJC, de leurs directeurs et de leur fédération en mai-juin 1968 donne l'image d'une
institution qui à l'évidence ne satisfait pas un Etat qui a pourtant et préalablement facilité son
développement. Le secrétariat d'Etat revient régulièrement sur la “politisation des MJC [que] les
évènements de mai 1968 ont démontrée à l’évidence”1. A cette attaque qui vise une conception et
une application d'un des principes fondamentaux des MJC - la laï cité ouverte - la FFMJC répond
qu'il s'agit d'une “affirmation totalement gratuite” et qui “frise la calomnie”2. Sur 1.200 écrit-elle, “il y a
eu moins de 10 MJC où des difficultés se sont présentées. Par contre, le ministre oublie de signaler
les centaines de MJC où se sont déroulés des carrefours, répondant ainsi rigoureusement à la
vocation des MJC”3. En fait, les évènements de Mai jouent, de ce point de vue, le rôle d'analyseur
social en éclairant l'équivoque politico-pédagogique des MJC : appareil d'intégration sociale et
politique de la jeunesse, ou espace de débats contradictoires et de pratiques subversives - ou
perçues comme telles - favorisant des transformations sociales ? Il apparait à ce moment précis que
derrière le projet des MJC qui est de “former des citoyens actifs et responsables d'une communauté
1
Circulaire n° 2998 du 17 septembre 1969.
2
Réponse à la circulaire du 17/09/69 (document interne du 17/10/69, 150 exemplaires, ronéo, 14
pages).
3
Ibid. p. 1.
- 329 vivante”1, tout le monde ne met pas la même vision de la société.
Autre raison : le centre fédéral est devenu trop important et dès lors qu'il favorise des pratiques
pouvant contredire les attentes de l'Etat, il n'est plus le partenaire fiable d'une politique de la
Jeunesse. Le centre fédéral apparait comme un Etat dans l'Etat, comme “une administration
parallèle”2 dotée de moyens humains et d'une légitimité comparables à ceux de son autorité de
tutelle. Il regroupe à Paris près de 50 personnes, sans compter les délégués régionaux, alors que la
Direction de la jeunesse et de l'éducation populaire n’en compte guère qu’une vingtaine de plus.
Dans certains départements, il a plus de directeurs de MJC que de fonctionnaires du secrétariat
d'Etat, ce qui donne aux délégués régionaux un pouvoir et une audience auprès des autorités locales
comparable, voire supérieure, à ceux des cadres ministériels. Dès lors, la régionalisation autoritaire,
la déconcentration de la gestion des personnels et leur retrait des organes de décision sont à la fois
un enjeu de reprise de position tutélaire pour l'Etat et un moyen sûr d'affaiblissement de la
Fédération.
Dernière raison enfin et d'importance qui explique grandement la scission de 1969 comme la
montée de tension à partir de 1966. Le personnel, notamment les directeurs de MJC, viennent très
souvent à la fois du monde du travail et des organisations d'éducation populaire où ils ont acquis,
dans leurs engagements, une expérience syndicale culturelle militante qui marque leur pratique
professionnelle dans un métier neuf où tout est encore possible, où l'initiative et l'engagement sont
rois. Derrière le gentil éducateur qui est appelé à gérer les contradictions d'une société, se dévoile
aussi un militant syndical et politique qui revendique d'autant plus légitimement la reconnaissance de
son emploi et de son statut qu'il a à charge de former des citoyens actifs responsables et engagés.
De plus, ces directeurs de MJC sont majoritairement - ce qui ne veut pas dire exclusivement regroupés autour du syndicat CGT. Au lendemain de mai-juin 1968, c'est trop pour l'Etat. Le
personnel ne devra plus avoir de représentants avec voix délibérative dans les structures fédérales.
Cette cogestion avec le personnel qui constitue l'originalité fondatrice des MJC est remise en cause3.
La majorité des directeurs et, avec eux, des MJC, ne l'acceptera pas.
A la lumière de ces différentes explications, qu'est-ce qui est donc en jeu dans cette crise de la
FFMJC qui aboutira à la scission de 1969 ? Pour des raisons sur lesquelles nous nous sommes
1
Statuts des MJC, article 2.
2
Marc Malet essaie d’expliquer les raisons qui ont pu donner cette fausse image de la FFMJC : “Cette
organisation un peu lourde a paru aussi constituer une administration parallèle” (Réflexion sur les
problèmes actuels de la FFMJC. Leur origine, leur évolution, leur situation actuelle. L’avenir des MJC
et de la Fédération, 25/08/69, ronéo, 21 pages, p. 19).
3
Le secrétaire d’État invoque souvent un argument juridique. Dans le cadre de la loi 1901, les salariés
de l’association ne pourraient pas avoir de voix délibérative qui leur donnerait en même temps un
pouvoir d’employeur. Par contre, la co-gestion pédagogique (présence du directeur comme membre
de droit avec voix délibérative dans les conseils d’administration des MJC) n’est, semble-t-il, dans
aucun texte remise en cause.
- 330 longuement penchés, les Maisons des Jeunes et de la Culture et leur fédération sont en passe de
devenir dans les années 60, l'institution dominante dans le champ de l'intervention sociale et
culturelle en formation et en transformation, dominante par rapport aux autres organisations et par
rapport à l'Etat. Or, cette institution, à la différence de beaucoup d'autres oeuvrant dans le même
secteur, est fortement structurée autour d'un corps professionnel agissant à la fois au niveau local et
au niveau national, corps professionnel lui-même très organisé syndicalement et, qui en plus est,
autour de la CGT. A l'évidence, l'influence du parti communiste sur une institution qui oeuvre dans
les domaines de la jeunesse, de la culture et de l'éducation est perçu par l'Etat comme un danger
réel dans une période mouvementée où le parti communiste, bien que contesté par les organisations
d’extrême-gauche, apparait précisément comme la force d'opposition dominante au pouvoir en
place1.
A partir de là, une chape idéologique rendant impossible toute analyse rigoureuse de la scission
et de la partition en deux fédérations, va peser aussi bien à l'intérieur des institutions qu'à l'extérieur,
au point de ne produire que des opinions caricaturales, fausses et polémiques. La Fédération
UNIREG et ses MJC affiliées seraient “de droite” et la FFMJC “de gauche”, infiltrée, suivant les
périodes, par les communistes, les gauchistes et les socialistes2.
La réalité est bien différente. La FFMJC est plutôt plus implantée dans des municipalités dites de
droite, surtout depuis les élections municipales de 1983, et la succession de ses présidents révèle un
pluralisme incontestable : depuis la scission se sont succédés un sénateur communiste de l'Isère, un
élu CDS du Nord, deux administrateurs de l'académie de Grenoble sans engagement politique
affirmé, et enfin un militant de longue date des MJC de Lorraine. Il est vrai aussi - et c'est un
argument utilisé d'une manière polémique et outrancière - que le syndicat CGT est toujours
majoritaire3 parmi les personnels fédéraux, malgré la progression de la CFDT, et que pendant
longtemps le parti communiste fut bien implanté parmi les directeurs de MJC4.
Cependant, si l'on arrive à expliquer la scission des MJC et l'image socio-politique qu'on leur
attribue, une grande question reste entière : pourquoi la partition des deux fédérations passe-t-elle
par le Languedoc et plus précisément par le Narbonnais ? La partition spatiale des MJC correspondelle à une partition politique de type droite-gauche, les régions “de gauche” opposés à l'Etat en 1969
1
Souvenons-nous du score électoral réalisé par Jacques Duclos aux législatives de 1969.
2
Louis Bériot, qui opère par classification sauvage et argumentation lapidaire, met l’UNIREG dans
l’opposition (c’est-à-dire à droite au moment où est écrit Le Bazar de la Solidarité, J.-C. Lattès,
1985) et la FFMJC dans le camp des socialistes.
3
Ce qui constitue une exception dans les corps professionnels du secteur social et socio-culturel, où la
CFDT est généralement majoritaire.
4
En 1976, aux Journées Nationales d’Étude de Saint-Étienne, sur un peu moins de 400 directeurs
présents, on pouvait dénombrer environ 120 personnes inscrites ou proches du PCF, 30 du PS, 15
du PSU, 30 des organisations d’extrême-gauche.
- 331 restant fidèles à la FFMJC, alors que les régions “de droite” seraient passées à l'UNIREG, plus
conciliante avec la majorité politique du moment ?
Les cartes d'implantation politique dressées à partir des consultations électorales des années 60
et 70 contredisent globalement cette hypothèse. En effet, la carte de forte implantation de l'UNIREG,
notamment pour le Languedoc et le Midi-Pyrénées, correspond pour une bonne partie à la carte des
départements ayant donné la majorité des suffrages à F. Mitterrand dès 1965, et à avoir marqué très
tôt leur opposition au gaullisme. En 1978, les socialistes sont toujours fortement implantés dans ce
même espace à l'exception du Roussillon où précisément l'UNIREG n'est pas implantée1. Jusqu'au
P.C.F. qui fait ses meilleurs scores dans des départements où l'UNIREG domine : Aude, Hérault,
Bouches-du-Rhône et certains départements de l'espace central2. Le Nord-Pas de Calais, à la fois
ouvrier et marqué par le parti communiste, est précisément très modestement pénétré par les MJC
ici affiliées à la FFMJC.
Les MJC affiliées à l'UNIREG se trouvent étonnamment implantées sur cette ligne à la fois de
partage et de rencontre entre les espaces celtes à l'Ouest, germains à l'Est et latins au Sud. Le
bastion languedocien et midi-pyrénéen correspond assez précisément à l'espace d'une gauche non
déchristianisée3 qui remplit sans doute le vide anthropologique laissé par la famille communautaire
large en voie de dégénérescence.
Etonnant itinéraire que celui de ce midi rouge, traditionnellement socialiste et opposé à la
politique gaulliste, qui choisit, dans sa dimension socio-culturelle, d'accepter l'injonction d'un
gouvernement - qui n'avait pas ses faveurs ni ses voix - et de rompre, par une scission brutale, avec
la majorité fédérale de l'assemblée générale de Sochaux. Cette prise de position en décalage exige
une explication.
Le projet de régionalisation des MJC se donne les formes d'une plus grande autonomie des
régions et d'une plus grande liberté démocratique des administrateurs bénévoles, d'autant que la
suppression de la cogestion avec le personnel “allège” l'Institution du poids organisationnel,
hiérarchisé et centralisé du syndicat CGT des personnels4. Or le prédécoupage5 régionaliste et anticentralisateur existe traditionnellement dans le Midi. Dans les années 60, il prend les formes d'un
1
L’invention de la France, p. 357.
2
Ibid. p. 357 et 359.
3
Ibid. p. 398 (Annexe 42).
4
En l’occurrence, l’effet gauche non déchristianisée, souvent anti-cégétiste et anti-communiste, a dû
jouer sur cette question de la remise en cause de la cogestion avec le personnel. Du reste, dans
l’Hérault, les MJC situées dans les municipalités à forte implantation communiste et cégétiste sont
généralement restées affiliées à la FFMJC : Béziers, Bédarieux, Balaruc, Sète, Montblanc, Murviel-lesBéziers.
5
L’espace de la scission languedocienne et pyrénéenne est assez bien préfiguré lors de la consultation
des MJC qui prépare l’assemblée de Sochaux. Les options A2, B2, BC, C2, G3 y sont généralement
majoritaires.
- 332 vote négatif contre le général de Gaulle. Au moment de la crise des MJC, il s'exprimera par une
attitude clairement scissionniste vis-à-vis de la Fédération Française. Ces méridionaux sont un peu
comme ces paysans de l'Ouest sarthois analysés par Paul Bois, qui, dans le contexte révolutionnaire
de 1792-93, passeront rapidement d'une attitude anti-nobiliaire à une attitude anti-républicaine et
donc pro-vendéenne1.
La scission institutionnelle des MJC est prédécoupée en pointillés. Il n'y manque plus que le
ciseau tenu par l'Etat, quelques administrateurs et le délégué général du moment, Lucien Trichaud.
Ce prédécoupage dessine les contours de cette Occitanie profonde, organisée en coopératives dans
le midi producteur de vin, de cette Occitanie des comités d'action viticoles de l'Aude animés par
Cazes, Maffre-Baugé, Occitanie du Mouvement d'Intervention Viticole Occitan de Jean Huillet et des
soirées chaudes de Montredon où l'on n'hésite pas à faire donner la poudre. Le souvenir de 1907,
cette révolte des gueux, animée par Marcellin Albert et qui fit plusieurs morts, dont une jeune fille de
vingt ans, à Narbonne, est ravivée à la fin des années 60, dans son aspect mythique, par les Marti,
Rouquette, Alranc et le théâtre de la Carriera.
Voilà pour les fractures de surface, celles qui se donnent aux regards, affleurent encore à la
conscience. Mais le prédécoupage est sans doute plus profond ; il est inscrit dans la longue durée ; il
remonte à la nuit des temps. La scission languedocienne et midi-pyrénéenne des MJC ne
correspond-elle pas assez exactement à l'espace de l'influence cathare2 soutenue par le Comté de
Toulouse contre l'acharnement sanguinaire du nord capétien et parisien ? Cette étonnante facilité à
s'engouffrer dans un projet de régionalisation radicale de la FFMJC, ne tient-elle pas à une attitude,
à peine consciente, de rejet d'une institution française, centralisée ailleurs, à Paris, selon les formes
d'un Etat dit “jacobin”3, qui pourtant ne la soutient pas ?
Décidément, les évènements du présent peuvent trouver leur explication dans une histoire
profonde, qui ainsi éclaire ce qui ne se présente que comme actuel. Et inversement, ces évènements
“portent témoignage, éclairent un coin du paysage, parfois des masses profondes d'histoire”4.
1
Les paysans de l’Ouest, Editions Champs Flammarion, 1978.
2
Voir notamment La Nouvelle France d’Emmanuel Todd, p. 20 (Annexe 42).
3
Nous écrivons “dit jacobin” parce que l’on sait que la fameuse centralisation française n’est pas une
invention jacobine. Elle est bien antérieure.
4
F. Braudel : La Méditerranée et le monde méditerranéen à l’époque de Philippe II, p. 223.
- 333 -
- 335 -
CHAPITRE - III LES MJC DANS LES ANNÉES 70 : ENGAGEMENT ET
RECHERCHE D’UNE NOUVELLE LÉGITIMITÉ
Pendant les années 70, les deux fédérations ainsi que les MJC qu'elles regroupent sont, au
moins pendant un certain temps, conduites à suivre des exigences ministérielles comparables. Et
pourtant, les deux institutions vont rapidement donner une image radicalement différente de
l'éducation populaire, de la vie associative et fédérative. L'une, l'UNIREG, reprend complètement à
son compte les injonctions ministérielles en régionalisant radicalement et définitivement la vie
fédérative et en supprimant toute participation statutaire des représentants du personnel dans les
instances de décision. L'autre, la FFMJC, même si elle est, sous peine de disparition,
momentanément contrainte à appliquer les décisions ministérielles, n'acceptera véritablement jamais
de voir remise en cause sa liberté intellectuelle, pédagogique et organisationnelle. Aussi a-t-on d'un
côté une UNIon des fédérations REGionales de MJC semble-t-il sans histoire, calme, certains
diraient docile, voire soumise, et de l'autre, une FFMJC combative, rebelle, contestataire, en
perpétuelle agitation, qui fait régulièrement parler d'elle et que certains considèrent comme engagée
et de parti pris1. Sans pour autant minimiser l'audience de l'UNIREG et le dynamisme de ses
structures, force est de reconnaître l'impact, dans les années 70, d'une FFMJC certes
numériquement, humainement et financièrement affaiblie, mais qui, malgré cela, va continuer à se
développer.
1 - La reformulation du projet
Alors qu'à l'UNIREG, de l'aveu même des responsables, on en reste souvent à “des professions
de foi très humanistes”2 et à des discussions sur les affiliations, les animations collectives, les fêtes
inter-MJC et les relations avec les municipalités, la FFMJC dès l'assemblée générale qui suit la
scission, à Versailles les 8 et 9 novembre 1969, s'engage sur une analyse de société et sur une
reformulation de son projet. Les termes et les attitudes qui marqueront la décennie à venir de
l'ensemble institutionnel sont déjà formulés et définis. Les 1.200 représentants des MJC, réunis à
Versailles, débattent du “nouveau visage de l'éducation populaire permanente… des mutations du
1
C’est l’image qu’en ont encore Lucien Trichaud (“c’est un mouvement et non une institution”) et J.P. Sirérols, actuel délégué général de l’UNIREG (“à la FFMJC, on est de parti pris”). Entretiens.
2
Cf. J.-P. Sirérols (entretiens) et également ce texte très significatif de Lucien Trichaud : “... J’étais du
parti des hommes et pas du parti des partis”. Assemblée générale de l’UNIREG, Amboise 14-15 juin
1986, Synchro n° 113-114, p. 18.
- 336 monde… des orientations nouvelles”1. On y parle des effets de la concentration urbaine, de la
mobilité dans le travail, le loisir et la résidence, de l'évolution des conditions de travail, des
techniques (automation et informatique), du développement industriel, mais aussi de la
transformation des mentalités et de la capacité de résistance des hommes à la puissance militaire et
économique, notamment dans la guerre du Vietnam. Ainsi les enjeux sociaux et culturels sont-ils
posés et livrés à la réflexion de congressistes, encore mal remis d'un éclatement brutal de la FFMJC
:
“Un homme social nouveau commence à naître. Ces mutations, ce devenir doivent être
intégrés dans un système éducatif et culturel nouveau. Aussi réfléchissons-nous sans rêve
aux grandes orientations à donner à notre institution, si nous voulons encore faire oeuvre utile
et conserver dans le siècle futur la place et le rôle que notre association avait su conquérir
après la libération. Si nous refusons cette réflexion et cette anticipation, ayons alors le courage
d'aller jusqu'au terme de notre refus, en cessant de prétendre aux bienfaits et à l'efficacité de
nos actions ; si nous n'avons pas la vigueur et les moyens de réinventer notre fonction,
cessons de nous prendre au sérieux et ne venons pas renforcer la cohorte déjà bien fournie
des organismes sclérosés et marginaux”2.
La volonté de réinvention de la fonction des MJC et la reformulation de leur projet se traduit par
une inflation de concepts somme toute assez nouveaux dans les MJC mais aussi dans le domaine
de l'intention socio-culturelle. Les mots s'entrechoquent et se superposent, les anciens - éducation
populaire, développement communautaire - et les nouveaux -développement social et culturel,
aménagement et développement urbain, loisir récréatif éducatif et créateur, information et animation
culturelle. Le directeur de MJC ne sera pas seulement éducateur mais aussi animateur social et
culturel du plus grand nombre. La MJC n'est plus seulement polyvalente dans ses activités et actions
; elle doit remplir une mission globale dans un espace social défini (village, ville, quartier) et en
cohérence avec le contexte qui marque les populations qui y habitent : travail, cadre de vie,
disparités sociales et générationnelles, inégalités culturelles. On est en même temps convaincu, et
cela fait partie de la réinvention du projet, que seule “la lutte portera ses fruits [...] , que l'Institution se
débarassera d'une part appréciable de ses difficultés si [on présente] clairement nos buts, notre
orientation générale, nos méthodes et nos moyens”3. Pour réussir cette entreprise, on appelle donc
les jeunes et les adultes “à cette nouvelle action militante”4.
A l'assemblée générale suivante (Colombes, 7 juin 1970), on pense qu'“il faut réinventer une
1
Rapport moral, p. 11 et suivantes.
2
Assemblée générale de Versailles, rapport moral, p. 17.
3
Ibid. p. 16.
4
Ibid.
- 337 pédagogie de l'éducation, et de l'insertion sociale”1 et, lors du premier congrès qui suit la
régionalisation (Epernay, 29-30 mai 1971), on s'interroge très précisément sur ce que sont les MJC,
leur raison d'être, et la manière avec laquelle elles conduisent leur action. Des éléments de réponse
sont apportés par Bernard Stasi, ancien membre de conseil de maison et député-maire d'Epernay :
face à ce qu’il croit être réellement une crise de civilisation qui frappe d'abord les jeunes, les MJC
doivent chercher à comprendre, s'adresser d'abord à l'individu, développer la solidarité et la
responsabilité, être “un carrefour où s'élabore une culture pour notre temps, [et enfin] contribuer à
animer la cité”2. De son côté, le président Paul Jargot définit quelques principes et démarches : il faut
répondre au besoin légitime des élus qui tiennent à gérer eux-mêmes le développement socioculturel de leur cité, mais aussi au besoin, non moins légitime, des mouvements et institutions qui
entendent garder leur indépendance ; dans le même ordre d'idée, il faut “concilier la mentalité d'un
service public, que nous avons la prétention d'être, et le développement de la conscience politique,
qui est l'un de nos rôles essentiels”3 ; pour cela, il faut revoir les méthodes ; les MJC doivent se sentir
davantage solidaires des autres associations car “une chose est certaine ... le monopole du passé
est terminé”4.
S'agissant de ce projet repensé d'éducation populaire et d'animation socio-culturelle (deux termes
que pendant deux ans au moins, on essaiera de faire cohabiter), on se pose la question de savoir
qui doit légitimement avoir l'initiative de guider un nécessaire partenariat : la municipalité ? les
associations de regroupement et de gestion des équipements ? les forces vives indépendantes
(mouvements, partis, syndicats) ? les établissements traditionnels d'enseignement ? le commerce et
l'industrie ? On se pose également les questions suivantes : “Quel est, dans ce domaine, la part du
privé et celle du public ? Doit-on, à notre époque, bâtir le développement socio-culturel sur des
bénévoles ou des professionnels ? Y-a-t-il possibilité d'un développement culturel sans moyens
publics et sans autogestion par les intéressés ?”5
Il semble donc que la crise de la FFMJC et le contexte socio-culturel de l'après 68, aient eu pour
effet de faire émerger des questions nouvelles dans cette institution qui, compte tenu des attaques
dont elle est l'objet,aurait pu se replier sur elle même et chercher à préserver ses acquis et ses
certitudes. On va également jusqu'à remettre en cause ce qui a fait, dans les décennies suivantes, le
dynamisme des MJC : le conseil de maison, au sujet duquel on se demande si “c'est encore une
1
Rapport moral et d’orientation, p. 20.
2
Compte rendu des débats du premier congrès des MJC. Supplément à Pas à pas n° 14, p. 3-4.
3
Ibid. p. 5.
4
Ibid. p. 5.
5
Rapport d’ouverture au congrès d’Epernay. Supplément à Pas à pas n° 12, p. 8. Nous retrouvons là
autant de questions encore d’actualité en 1992.
- 338 institution valable”1.
Toujours au sujet de cette mission éducative et socio-culturelle des MJC, de leur fonction sociale,
certains posent les questions en termes de projet de société et de lutte de classes. Un responsable
de la FRMJC Nantes-Rennes (Francis Le Hérissé) demande, par exemple, qu’“on réfléchisse sur les
finalités de notre action. La pédagogie part nécessairement d'une cogestion de la vie et de la société.
Alors, au nom de quelle société veut-on former des hommes ?”2 De son côté, la MJC de Garchesles-Gonesses montre “que l'éducation populaire est un combat de classe et a essentiellement une
signification politique”3.
Cette reformulation du projet, on la retrouve également, d'une manière souvent plus incisive
encore, dans les Journées Nationales d'Etude des Directeurs. En juin 1974 à Dieppe, on s'interroge
sur le “projet démocratique d'animation éducative et culturelle des Maisons des Jeunes et de la
Culture”4 en des termes très politiques, qui engagent un choix de société. A preuve ces quelques
phrases très significatives :
“Constater cette capacité de résistance et de vie, souligner comment les MJC ont su résister
aux plus incroyables mesures et bombardements idéologiques, font que les MJC ne peuvent
plus s'expliquer comme un phénomène coupé des grands courants démocratiques et
populaires que féconde notre pays... Nous sommes de ceux qui expliquent qu'il n'y a pas
d'activité n’ayant rien à voir avec la politique...
Les MJC ne peuvent et n'ont pas vocation de changer la société. Mais leur vocation ne peut
consister à rendre cette société plus acceptable alors que rien ne serait changé...”5.
Les commissions n° 4 et n° 5 vont très loin dans la définition de la mission des MJC et de la
responsabilité du directeur. On mesure le chemin parcouru en quelques années :
“Le rôle passé de l'institution (FFMJC) était un rôle de collaboration de classe. Actuellement,
son rôle est de faire découvrir la réalité sociale en vue de la satisfaction des besoins... A
présent, nous paraissent réunies en plus grand nombre les conditions permettant une véritable
transformation de la société. La prise de conscience clairement exprimée qu'un réel
changement est possible se traduit par un développement de la lutte des classes dont une des
conséquences, qui touche directement à notre pratique professionnelle, est l'importance
accrue de la lutte idéologique. La MJC n'est évidemment pas l'outil de transformation de la
société mais étant un terrain de rencontres, d'échanges et d'actions, elle participe à cette lutte
1
Compte-rendu des débats du congrès d’Epernay (commission n° 3 : Pédagogie des MJC),.p. 10
2
Rapport congrès d’Epernay, p. 6.
3
Ibid. p. 6.
4
Il s’agit du thème de ces journées nationales d’étude.
5
Intervention de Claude Dade-Brenjot, responsable du syndicat CGT des directeurs de MJC, et qui, à ce
moment-là, est déjà pressenti pour occuper le poste de délégué général (Cahiers des directeurs de
MJC n° 1, avril 1975, p. 1).
- 339 idéologique. Le directeur de MJC peut-il en être le neutre observateur ? Cette neutralité
reviendrait à laisser libre cours à l'idéologie dominante opposée à la transformation souhaitée.
Il n'est donc aujourd'hui qu'une voie possible. Un projet démocratique d'animation éducative et
culturelle ne peut se concevoir que dans la définition des modalités pratiques de l'insertion de
la MJC, de son directeur dans le processus de transformation de société”1.
Dans la commission n° 5 notamment, en fin de discussion sur le contenu et les méthodes de
mise en oeuvre du “projet démocratique”, les “axes politiques suivants” sont dégagés :
“- donner la possibilité aux gens de s'exprimer
- favoriser la relation et la communication
- créer une force assiociative de pression par rapport au pouvoir
- faire prendre conscience aux gens de la lutte des classes pour transformer la société
- développement de l'individu par la participation
- réflexion et prise de conscience collective
- rencontre-élaboration-décision-réalisation-contrôle
- accentuer les contradictions et les conflits”2.
Dès lors s'exprime régulièrement la volonté de positionner les MJC et leurs directeurs par rapport
aux enjeux économiques, sociaux et politiques du moment. Aux journées nationales d'études du
Havre (13-16 décembre 1977), les directeurs réfléchissent sur “la profession d'éducateur-directeur
de MJC et le développement de la démocratie locale dans la perspective et la mise en oeuvre du
programme commun”3. Les thèmes des carrefours sont clairement situés dans cette nouvelle
perspective politique : “Pourquoi et comment le Programme Commun est utile au secteur des
activités éducatives et culturelles (carrefour n°1) ; la place objective du personnel et notamment du
personnel éducateur-directeur de MJC dans une Fédération qui se doit d'être ouverte à tous les
progrès démocratiques (carrefour n°2) ; dans la perspective des changements nécessaires, quels
doivent être l'organisation et le fonctionnement de l'Institution pour que vive une Fédération refusant
toutes les formes et structures autoritaires, centralisatrices et bureaucratiques qui ne font que
perpétuer les schémas et les contenus idéologiques d'éducation et de culture du passé ? (carrefour
n°3)...”4. Enfin, et pour s'arrêter aux dernières journées nationales d'études de directeurs de MJC de
la décennie, l'ensemble de la profession est invitée à réfléchir, à Mâcon (12 au 15 juin 1979), sur le
1
Cahiers des directeurs de MJC n° 1, avril 1975, p. 5.
2
Ibid. p. 5.
3
Cahiers des directeurs de MJC n° 2-3, avril 1979, p. 5. Le délégué général du moment, Gérard Kolpak,
condamnera le choix par la CGT de ce thème qu’il juge trop engagé, non conforme aux statuts de la
Fédération, et refusera de participer à ces Journées Nationales d’Étude.
4
Ibid. p. 5-6.
- 340 thème suivant : “Les MJC face à la crise du système capitaliste”1.
Il apparaît donc clairement qu'à la FFMJC, on soit passé d'une sorte de formalisme pédagogique,
somme toute assez conservateur, à un engagement culturel et éducatif, dit démocratique - posé
souvent en terme de classes et même de lutte de classes2 - qui se situe par rapport à deux éléments
déterminants des années 70 : le développement de la crise économique et la perspective de mise en
oeuvre du programme commun de la gauche. Les MJC n'ont ni la force, ni la mission de changer la
société mais elles ont vocation de favoriser l'expression, l'échange, la confrontation des individus et
des groupes sociaux dans la cité, ce qui les situe dans l'objectif culturel que Gérard Kolpak, alors
délégué général, donne à l'éducation populaire : “L'homme cultivé [est] celui qui est en possession
du savoir et des méthodes qui lui permettent de comprendre sa situation dans le monde, de la
décrire et d'agir éventuellement sur elle pour la transformer”3.
Dans le même mouvement, les méthodes pédagogiques de cette éducation populaire refinalisée
et reformulée changent. Les conseils de maison, statutairement très codifiés, même s'ils ne l'étaient
pas toujours dans la pratique, disparaissent progressivement au profit de commissions et de
collectifs plus ou moins informels. Une pédagogie du conflit voire de l'affrontement prend le pas sur
une pédagogie de la simple confrontation qui était conduite généralement dans le cadre strictement
règlementaire.
Tout se passe comme si les attaques, dont les MJC sont l'objet de la part de l'Etat et de certaines
municipalités, étaient utilisées de manière réactive comme méthodes pédagogiques, appuyées sur la
revendication, le conflit et l'affrontement. C'est en effet souvent le cas sur le terrain4, et nombreux
sont les textes qui “théorisent” cette attitude, notamment dans la deuxième partie des années 70. A
preuve ce document proposé en débat au congrès de Nanterre (11, 12 et 13 novembre 1977) et qui
sera quasi intégralement repris au rassemblement des MJC de Reims (29, 30 et 31 mai 1982) :
“L'expérience nous indique que les relations MJC-Municipalité ou élus-salariés ne sont pas
toujours faciles, qu'elles sont parfois contradictoires voire conflictuelles. Très souvent,
l'expérience a prouvé que le conflit agissait comme révélateur, permettait de mieux
comprendre la situation qui l'avait provoqué, exigeait une évolution nécessaire. A ce point
qu'on peut conclure que, très souvent, cette pédagogie de l'Institution est aussi une pédagogie
de l'affrontement. Conflit, affrontement, dont il faut dire qu'ils sont rarement liés, contrairement
1
2
Cahiers des directeurs de MJC n° 4, décembre 1979, p. 4 et suivantes.
L’assemblée extraordinaire de Poitiers (2 mai 1978) confirme par exemple, par 1.868 voix et 3
abstentions, l’orientation suivante du congrès de Nanterre : “participation sans restriction des
immigrés dans les conseils d’administration”.
3
“L’action culturelle aujourd’hui : le point de vue de la FFMJC”. Cahiers de l’Animation n° 30, p. 30.
4
Pendant les années 70, Michel Mayer, alors délégué régional en Champagne-Ardennes, avait l’habitude
de dire, à l’occasion d’un conflit interne ou externe aux MJC : “On a vécu un grand moment
d’éducation populaire !”
- 341 à l'expression qu'on en donne parfois, à des problèmes psychologiques, affectifs ou de
personne, mais beaucoup plus à des données objectives qui tiennent à des divergences
idéologiques ou d'intérêts relevant étroitement du contexte économique, social et politique qui
nous régit”1.
La revendication est étroitement liée à l'action pédagogique et culturelle, à tel point que dans
certains textes on peut lire qu'elle est “synonyme de notre action… : nous avons pu constater que
l'action éducative, sociale et culturelle que nous voulons conduire nous force à la revendication. Rien
d'étonnant à cela. La progression démocratique est exigeante à tous les niveaux”2.
Au-delà de cette modification très sensible du discours pédagogique institutionnel et des
nouvelles méthodes préconisées au niveau national, qu'en est-il sur le terrain, dans les pratiques
quotidiennes des MJC, de leurs acteurs bénévoles et professionnels ? Les pratiques sont très
diverses et disparates. Malgré un discours qui se veut généralement militant, combatif et
mobilisateur, de nombreuses MJC vont continuer leur petit bonhomme de chemin, se tenir loin des
agitations fédératives et fonctionner encore longtemps selon les principes, structures et habitudes
des années 60 : développement des activités traditionnelles, accueil des jeunes dans le foyer,
conseil de maison, relations sans histoire avec les municipalités. A l'opposé, certaines - certes peu
nombreuses - considèrent que la pédagogie des décennies précédentes est totalement dépassée,
que la MJC, au mépris des règles élémentaires de la concertation et de la cogestion, est avant tout
un lieu de remise en cause des systèmes établis et donc de production d'une culture politique
totalement nouvelle et subversive3.
Dans cette diversité d'attitudes, déterminées généralement par les contextes locaux, la
personnalité et l'engagement des acteurs, on peut cependant repérer des traits généraux. Et d'abord
des décalages de langage évidents. Même si au niveau national, dans un premier temps (Congrès
de Versailles en 1969, puis de Colombes en 1970) on introduit une série de termes nouveaux
(développement social et culturel, animation socio-culturelle par exemple), il apparait rapidement, et
pour longtemps, que le projet reformulé des MJC s'articule toujours autour du concept d'éducation
populaire qui, dans l'ensemble du domaine de l'intervention socio-culturelle y compris dans les MJC
de base, est supplanté par celui d'animation socio-culturelle, ou tout simplement d'animation.
Autrement dit, ce qu'il faut bien appeler la “socio-culturalisation” des MJC n'est pas reprise dans le
1
Quatre points pour demain, textes préparatoires au congrès de Nanterre, p. 10, et également
L’éducation populaire et le changement, texte préparatoire au rassemblement des MJC à Reims
(page intérieure du journal mural).
2
Pour une réforme de structure, texte préparatoire à l’assemblée générale extraordinaire de Marly le
Roi (17-18 janvier 1981), p. 7.
3
“Nous avons été un certain nombre à penser à ce moment-là que la MJC devait être avant tout un
lieu d’agit-prop”. Entretien avec Jean-Jacques Mitterrand qui était, pendant ces années, directeur de
la MJC de Viry-Châtillon, partiellement et brutalement rasée à coup de bulldozer, à cause
précisément de ses activités considérées comme subversives.
- 342 discours institutionnel fédéral, comme si les responsables rassemblés voulaient - au moins dans le
discours - échapper à une certaine dérive du langage et des pratiques de leurs structures. Cette
situation de décalage conduit à deux paradoxes : les instances fédérales ne parlent pas toujours de
ce que font les MJC, de ce que vivent leurs acteurs et usagers, ou, si elles en parlent, ce n'est pas
avec le même langage ; d'autre part l'image, certes caricaturale, accrochée de l'extérieur aux MJC
des années 70, perçues comme l'espace même de l'animation socio-culturelle que l'on ne tardera
pas à stigmatiser, n'est précisément pas celle que théorise et véhicule dans son discours l'institution
qui fédère ces structures.
Mais après tout, c'est peut-être aussi dans cet écart de langage et ces paradoxes que se
construisent la richesse, la vivacité et le dynamisme des MJC des années 70. Les structures
pédagogiques traditionnelles - le conseil de maison par exemple - sont bousculées, éclatent,
disparaissent même, à l'UNIREG comme à la FFMJC du reste, et ce pour plusieurs raisons. La
première, c'est que ces structures ne sont plus uniquement appuyées sur les activités régulières et le
foyer. Elles sont de plus en plus fréquentées par les adultes et ouvertes sur le quartier, la cité, les
forces vives de l'environnement social. Elles deviennent et veulent être des maisons pour tous1, se
débarrasser définitivement d'une étiquette qui leur colle souvent à la peau, celle de n'être souvent
perçues que comme des maisons de jeunes. Les conseils de maisons, considérés comme trop
étriqués et ne répondant souvent qu'à la gestion d'intérêts très parcellaires (le foyer, les activités),
sont déjà progressivement remplacés par des commissions diverses, ouvertes sur l'extérieur :
commissions d'animation, de programmation, à thème ou à vocation de développement global et
général (commissions formation, information, finances...).
Mais ce qui est, sans aucun doute, le plus marquant dans l'évolution des MJC des années 70 et
qui explique également l'éclatement de ses structures pédagogiques traditionnelles, tient à quatre
points essentiels repérés dans grande majorité des structures, notamment dans le milieu urbain.
D'abord le développement fulgurant des activités de loisirs culturels et sportifs pour tous les âges,
enfants, jeunes et adultes, et dans les domaines les plus divers. On assiste notamment à un regain
des activités artisanales et à une multiplication des activités corporelles : gymnastique, danse, arts
martiaux... Les MJC qui, dans les années 60, étaient fréquentées majoritairement par des jeunes et
un public de sexe masculin, s'ouvrent rapidement dans les années 70 aux adultes - y compris le
troisième âge - et aux femmes. En raison de cette diversification des publics, les heures d'ouverture
sont plus nombreuses, peuvent couvrir l'ensemble de la journée et ne se limitent plus aux période de
non-travail (fin d'après-midi, vacances, soirées...). Les usagers augmentent en nombre, exigent plus
de qualité technique et de disponibilité de la part des animateurs. Le salariat remplace
progressivement le bénévolat. Les MJC deviennent de plus en plus des structures employeurs qui
1
Aux États Généraux de Metz (17-18 mai 1975), elles décideront de s’appeler MJC/MPT (Maison des
Jeunes et de la Culture/Maison Pour Tous).
- 343 voient leurs budgets augmenter régulièrement, en raison surtout de la participation des usagers au
financement des activités. Certaines MJC rassemblent ainsi plusieurs milliers d'usagers fréquentant
la structure aux heures les plus diverses et selon un emploi du temps et de l'espace très précis,
usagers qui ne se rencontrent pas forcément, sinon dans leur activité, et qui ne se sentent pas
nécessairement partie prenante de ce que devrait être la vie collective, communautaire et
démocratique de l'association. Les populations touchées par ce développement des activités
appartiennent majoritairement aux nouvelles classes moyennes salariées, situation que la FFMJC
met bien en évidence quand elle écrit :
"Elles [les MJC] s'adressent à toute la population sans exclusive, mais visent d'abord à la
formation culturelle et sociale des couches les plus défavorisées, y compris les travailleurs
immigrés et leurs familles. Elles doivent mettre tout en oeuvre pour atteindre cet objectif. Elles
ne peuvent se satisfaire de la réalité économique et sociale actuelle qui les amène à toucher
principalement les couches moyennes.”1
Deuxième trait marquant : le développement de pratiques pédagogiques qui privilégient le
collectif, le groupal, l'expression, la créativité, la non-directivité, et se réfèrent à une idéologie
libertaire qui entend rompre avec toutes les pratiques éducatives, sociales et culturelles de
l’inculcation et du renoncement. Le “différent”, “l'ailleurs”, “l'autrement”, favorisant l'épanouissement
et le plaisir individuels et collectifs sont les maîtres-mots de cette éducation nouvelle, bien dans la
ligne de ce que l'on a pu appeler “l'idéologie contre-culturelle”. Ce vent libertaire va bousculer, voire
balayer, les pratiques d'animation et de gestion encadrantes et jugées autoritaires, aussi bien dans
les activités que dans les modes de prises de décision. En théâtre par exemple on préférera
l'expression corporelle, la dynamique du groupe et la création collective, aux techniques individuelles
et à l’appropriation du texte d'auteur. Dans les centres de loisir pour enfants, on va privilégier le jeu,
l'expression libre, souvent sans apprentissage préalable, le plaisir de dire, de faire et de défaire.
Dans les prises de décision et la mise en oeuvre de choix, on va multiplier les “collectifs”, les
“commissions”, les "conseils”. Dans la réflexion, on va s'appuyer plus sur l'auto-formation, sur la
dynamique du groupe, que sur l'apport extérieur d'un spécialiste livrant son savoir2. “Transformer un
instrument de jouissance en instrument pédagogique” : c'est en reprenant cette formule de Brecht
que la FFMJC exprime le mieux3 l'orientation pédagogique des MJC dans les années 70.
1
Texte du congrès de Nanterre (11-12-13 novembre 1977) régulièrement repris par la suite,
notamment dans le rapport d’orientation de l’assemblée générale de Villeurbanne (12-13 décembre
1982).
2
Il est à remarquer qu’à aucun moment pendant les années 70 on n’a fait appel à des intervenants
extérieurs pour animer les journées nationales d’étude des directeurs, sauf, semble-t-il, une seule
fois, au Groupe Français d’Éducation Nouvelle (GFEN) qui n’a pas précisément pour méthode et
mission d’apporter du savoir mais de libérer les compétences et savoir-faire de chacun. Par contre,
depuis plusieurs années, les journées régionales et nationales d’étude débutent toujours par des
interventions magistrales de spécialistes.
3
Rapports préparatoires à l’assemblée générale de Colombes (12-13 juin 1976), Jeunesse et Culture
n° spécial 127, p. 37.
- 344 Troisième trait de ce tableau : le bouillonnement culturel des MJC qui deviennent, dans ces
années là des lieux1 d'expression pour les artistes les plus divers, de diffusion de formes artistiques
expérimentales nouvelles, tâtonnantes ou en réhabilitation : théâtre d'avant-garde, café-théâtre,
chanson, musiques pop, rock, folk, expressions artistiques régionales, tiers-mondistes, des peuples
en oppression ou en voie de libération (Chili, Portugal, Espagne, par exemple). Des artistes peu
connus, à l'avenir incertain, généralement non acceptés dans les grandes structures culturelles
privées et publiques, s'expriment dans les MJC où l'on a souvent plus le souci de l'accueil, de la
chaleur de l'ambiance, que de l'importance numérique du public. L'essentiel est que ça soit
“chouette”, qu'on communique, que cela se termine par la fête aussi bien pour le directeur et les
bénévoles qui organisent et mobilisent le public, que pour les artistes, qui se produisent souvent
dans des conditions matérielles et financières modestes, et logent éventuellement chez l'habitant.
Ces MJC sont alors le point d'appui et le carrefour d'une culture différente, échevelée, aux
techniques approximatives et incertaines. Des groupements influents comme “action-chanson”, et
l'association du jeune théâtre (A.J.T) prennent appui sur les MJC pour promouvoir de jeunes artistes,
souvent socialement et esthétiquement très engagés2.
Dernier élément de ce nouveau visage des MJC, et sans aucun doute le plus important : les MJC
entrent dans l'histoire de la France des années 70 parce qu’une partie de l'histoire de ces années là
entre en elles, s'élabore dans leur murs. Localement, dans chaque lieu où elles sont implantées, les
mouvements sociaux et culturels les plus divers - et pas seulement les mouvements de jeunesse et
d'éducation populaire - prennent appui et trouvent refuge dans les MJC : associations de défense de
tous ordres, mouvements anti-nucléaires, antiracistes, antimilitaristes, écologiques, mouvements de
libération de la contraception et de l'avortement, groupes femmes, associations pédagogiques et
culturelles, mouvements régionalistes, etc..., autrement dit, autant d'organisations qui remettent
généralement en cause localement et nationalement les idéologies dominantes, les réglementations
en vigueur et les pouvoirs installés. Ces mouvements, particulièrement florissants dans la décennie
qui précède les changements politiques de 1981, sont souvent des partenaires opérationnels des
actions conduites par les MJC elles-mêmes, ce qui ne met pas toujours ces dernières dans un
rapport confortable avec les pouvoirs locaux, y compris ceux qui se veulent progressistes.
Ces différents traits, caractéristiques nous semble-t-il des MJC des années 70, font en effet de
ces structures des Maisons pour tous et des maisons pour tout, des lieux où l'on peut se distraire,
consommer du loisir, créer, s'exprimer, s'engager, revendiquer ou tout simplement séjourner, des
1
“Carrefour où s’élabore une culture pour notre temps” disait déjà Bernard Stasi (1er congrès des
MJC, Epernay 29-30 mai 1971).
2
C’est cet aspect des MJC que Jacques Bertin met le plus en évidence et ce malgré le mépris de
nombreux “culturels” pour ces pratiques dites “socio-cu” (Émission de France-Culture “Où en sont
les MJC”, Grand Angle, 10/3/90).
- 345 espaces où des individus très différents se côtoient, cohabitent, ou même s'ignorent tant leurs
intérêts, leurs motivations et leur utilisation de la structure différents.
A titre d'exemple la MJC de Béziers, de taille pourtant modeste et dotée de locaux peu adaptés à
sa mission (elle est en effet logée dans une petite école primaire), est, à la fin des années 70,
l'espace d'actions et d'activités les plus diverses : elle connaît un développement rapide des activités
de loisirs corporels et culturels (gymnastique, danse jazz, théâtre, pleine nature, artisanat
notamment) ; elle est à l'initiative d'opérations culturelles d'envergure (l’Ivern occitan, la renaissance
du carnaval, programmation jazz et musique pop), coordonne des opérations thématiques (la
quinzaine sur le nucléaire par exemple), est le point d'appui des actions revendicatives plus larges
(le manifeste "mon paï s escorjat" et les états généraux du Languedoc) ; elle accueille et soutient de
nombreuses associations et mouvements sociaux (groupes femmes, planning familial, ASTI, collectif
anti-raciste, école occitane "la calendreta"...), prend une part active à la création (soutien au “théâtre
à emporter” et à la grande marche du théâtre régional) et à la libération des ondes (elle est le lieu
d'enregistrement des émissions d'une radio, alors interdite, “Radio Pomarède”). Certaines de ces
opérations inquiètent quelquefois la majorité municipale qui se veut pourtant progressiste,
notamment lorsque une semaine sur le nucléaire se transforme en semaine antinucléaire, et qu'un
débat précédé d'un film sur le thème “Etre homosexuel en 1978” déchaîne la colère de quelques
conseillers municipaux.
Confrontée à ces pratiques diverses, tant dans leur forme que dans leur contenu, la FFMJC
essaie d'avoir une attitude cohérente consistant à les prendre en compte, à en comprendre les
enjeux, à reformuler le projet des structures et des hommes qui les mettent en oeuvre, à en faire
reconnaître le bien fondé par une majorité politique que ces agissements inquiètent souvent et
qu'une opposition, qui a tendance à se servir de ces structures comme point d'appui possible d'une
gestion des affaires publiques, surveille.
A l'UNIREG, par contre, même si, ça et là, des MJC se sont trouvées engagées dans des actions
comparables, on a soigneusement évité, semble-t-il, de construire institutionnellement le discours qui
aurait pu légitimer et donc favoriser le développement de ces pratiques nouvelles. D'où, d'un côté
l’image d'une UNIREG sans histoire1 et de l'autre, l’image opposée d'une FFMJC engagée et en
proie à des affrontements permanents.
1
“Nous avons essayé de faire une institution nouvelle sans nous préoccuper de ce que devenait la
FFMJC. Nous avons eu une vie nationale sans histoire à une seule exception près : nous avons dû
dissoudre une fédération régionale qui était noyautée par un parti politique et créer une association
nouvelle. Autant nous n’avions pas accepté que la FFMJC soit noyautée par la CGT et le parti
communiste - c’est pour cela que nous sommes partis - autant nous n’avons pas accepté non plus
que la Fédération de Normandie soit noyautée par le RPR.” (entretien avec Lucien Trichaud).
- 346 2 - Une FFMJC combative
Combative, combattante même, la Fédération Française des Maisons de Jeunes et de la Culture
le devient assurément dans les années qui suivent la scission de 1969. En reprenant les formules de
Jean Laurain, alors secrétaire général national, on peut dire qu’ “après le splendide isolement du
temps de la prospérité et la triste solitude du temps de crise, [la FFMJC] a sauvé l'essentiel alors que
tout pouvait être perdu...”1. Combative, la FFMJC l'est d'abord, comme nous l'avons vu, dans son
projet, dans ses discours, ceux qui portent sur l'évolution de la société comme ceux qui analysent la
situation qui est faite à l'éducation populaire en général et aux MJC en particulier. Les choses se
disent souvent en terme de lutte et de combat, même si le principe de cogestion indique qu'il faille
adopter une attitude de négociation et de conciliation avec les différents partenaires. Mais dès lors
que l'Etat refuse de reprendre sa place dans cette cogestion - il faudra attendre le congrès de
Nanterre (1977) pour voir un ministre participer à une instance nationale majeure - les responsables
nationaux se sentent autorisés à utiliser les seules armes qui leur restent pour sauver l'Institution : la
mobilisation, la lutte, la revendication, le discours musclé porté haut et fort. Un texte parmi d'autres
est très significatif de cette attitude et de cet état d'esprit :
“L'époque où un système fondé sur l'exploitation et l'oppression fait la preuve qu'il a fait un
temps. L'époque où s'inscrit à l'ordre du jour de la société française la nécessité de
changements fondamentaux.[… ] Dans le pays grandit l'idée que cette situation ne pourra
continuer indéfiniment et qu'il faut songer sérieusement à des solutions vraiment nouvelles.
Nul ne peut prédire les aléas de cette bataille, ni le temps qu'il faudra, mais c'est bien de cela
qu'il s'agit...
“La bataille des idées est à la mesure de l'enjeu idéologique de la FFMJC et de l'éducation
populaire ... Les exigences concrètes de la bataille des idées se retrouvent dans tous les
aspects de notre action ... et d'abord dans la lutte revendicative, dans les conditions présentes,
pour notre droit à l’existence.
“La France est un pays riche d'un puissant potentiel économique, de compétences
nombreuses et de talents variés. Elle possède les moyens et les forces nécessaires pour
soulager la peine des hommes, améliorer leur vie, libérer la création dans toute sa diversité.
Mais ces potentialités sont tenues en bride, stérilisées, étouffées, gâchées par un système
économico-social qui fait de la loi du profit pour une étroite minorité le critère et la justification
de toute activité humaine. En effet, comment les tenants du capital pourraient-ils assister
passifs à la montée d'une association d'éducation populaire qui participe à la prise de
conscience du citoyen, d'où l'étranglement et l'asphyxie financière.
“Il faut répondre à ces questions avec le souci de faire progresser la conscience de chacun,
d'autant que sur ce terrain le système en place n'hésite pas à employer la démagogie quitte à
1
Rapport moral, assemblée générale d’Epernay (31 mai 1971), p. 5-6.
- 347 utiliser toutes les critiques, pourvu qu'elles détournent les individus de la prise de conscience
véritable. Quand nous soulignons le caractère de masse que doit prendre nécessairement
dans tous les domaines l'action de la FFMJC, nous ne faisons que constater une réalité. Qu'il
s'agisse de la défense de nos justes revendications ou bien des problèmes politiques
importants auxquels l'ensemble des MJC ne saurait être indifférent, ou encore des
perspectives, ce sont des masses immenses de militants qu'il faut mettre en mouvement.
“Porter à ce niveau la bataille des idées, c'est bien entendu, mettre à la hauteur l'ensemble de
nos moyens d'expression, écrits et oraux, utiliser les méthodes les plus modernes de
l'information. Et pourquoi pas le droit à un temps de parole à l'ORTF pour les associations ?
[...] Et pourquoi pas enfin un face à face Jargot-Comiti ?”1.
Il ne s'agit sans doute là que d'un rapport de commission qui ne fait pas office de charte ni force
de loi. Les textes d'orientation et les motions qui engagent l'action sont généralement un peu moins
virulents. Cependant, les assemblées générales et congrès se terminent le plus souvent par le vote
massif de textes qui indiquent clairement l'esprit et la direction à suivre. La motion de synthèse finale
votée au congrès de Thonon-les-Bains (9-10 juin 1973) par 800 participants mandatés par les MJC,
moins 10 voix contre et 20 abstentions, dit notamment :
“Engagement politique des MJC - Le congrès réaffirme l'un des principes fondamentaux, qui
est que la MJC une institution et non un mouvement : la vocation des MJC est d'éveiller les
adhérents et la population sur leur propre situation, le rôle de la MJC s'arrêtant à leur faire
prendre conscience de la totalité et de la globalité des problèmes que pose cette situation
(problèmes politiques, économiques, sociaux, culturels… ), prise de conscience devant
normalement déboucher pour chaque individu sur un choix libre et personnel d'engagement
politique... Le congrès demande à la FFMJC de se joindre à tout mouvement qui revendique
pour les associations culturelles, la liberté d'expression et de création”2.
Et dans la résolution finale du congrès de Nanterre (11-12-13 novembre 1977), on peut lire les
déclarations suivantes :
“Les MJC disent aujourd'hui : depuis des années nous luttons à notre manière, nous luttons en
existant,
- nous existons contre la pénurie organisée
- nous existons contre l'éloge de la pauvreté
- nous existons contre les atteintes aux libertés
- nous existons contre les détournements mercantiles
- nous existons contre les tentatives de récupérations idéologiques.
1
Rapport de la commission fédérale information-édition, établi par Lionel Deschamps, président de la
FRMJC Région parisienne, vice-président de la FFMJC, président de la commission information-édition
(11 novembre 1972).
2
Pas à pas n° 24, p. 15.
- 348 “Avec Jean Ferrat, les MJC crient aujourd'hui : “Ce sont nos frères et nos soeurs qu'on
assassine”,
- ce sont nos frères et nos soeurs qui sont maintenus hors nos murs par une scolarité
incomplète, par la limitation de leurs connaissances, par la fatigue du transport et du travail,
par l'insuffisance du sommeil.
- ce sont nos frères et nos soeurs qui sont maintenus hors nos murs par le malheur d'être
handicapés, émigrés, par le travail sous-payé, par le chômage avec un CAP, un brevet
professionnel, une licence ou une maîtrise, par la pauvreté.
Avec notre spécificité et notre identité, nous sommes nous aussi impliqués dans ce processus
pour le changement ...
Inventons avec eux, pour eux et pour nous, les formes nouvelles de la réflexion, de l'action, de
la lutte ...
Apprenons ensemble à connaître l'origine des conflits que nous vivons, trouvons ensemble les
capacités de les dépasser…”1
Chaque rassemblement national - congrès, assemblées générales - est l'occasion de reformuler
et d'adopter une plate-forme revendicative adressée à l'Etat, et qui porte principalement sur la
question des moyens nécessaires au développement de l'action culturelle de l'éducation populaire et
de la vie associative : doublement du budget de la Jeunesse et des Sports, 1% à la Culture,
exonération de la taxe de 4,25% sur les salaires, de la TVA sur les équipements et le matériel
éducatif et culturel, financement de la formation des professionnels et des bénévoles, des postes de
délégué et de directeur (50% dans le cadre du FONJEP)...
La FFMJC est combative également - ou c'est du moins l'image qu'elle donne - en raison de son
activité et de son organisation fédérale nationale. Malgré une régionalisation imposée par le
gouvernement dans des formes finalement aussi radicales que celles que l'UNIREG a adoptées, la
FFMJC maintient et même développe une activité nationale qui lui permettra de restructurer une vie
fédérative forte. De 1970 à 1981, la FFMJC a organisé six congrès nationaux rassemblant
généralement plus d'un millier de personnes sur plusieurs jours, 19 assemblées générales
nationales ordinaires ou extraordinaires, 9 rassemblements nationaux de directeurs de 4 jours en
moyenne, sans compter les multiples réunions de conseils d'administrations, bureaux, de
commissions de toutes natures (information, formation, paritaires...) et les instances du centre interrégional de la paie. De son côté, le corps professionnel lui-même a, par ses organisations
syndicales, une vie collective nationale importante à travers ses congrès, ses assemblées de
syndiqués et ses commissions administratives. Malgré les divergences, voire même les
affrontements internes, qui font que cette fédération est loin d'être monolithique, il y a un esprit de
corps et de combat aussi bien chez les élus nationaux que chez les professionnels, en quelque sorte
1
Spécial congrès Nanterre (11-12-13 novembre 1977). Résolutions finales, p. 2 et 3.
- 349 un “fighting-spirit” qui engage l'adhésion à l'Institution avec un grand I et à la Fédération avec un
grand F1.
Ce combat - on s'en doute et on l'a remarqué - se livre essentiellement contre l'Etat et ses
gouvernements successifs. On attaque cependant rarement les formations politiques qui les
soutiennent, de peur sans doute de sortir d'une certaine laï cité et de se voir reprocher, un peu plus,
une attitude partisane. On accepte et on recherche tous les soutiens des plus modérés et
consensuels aux plus partisans. L'association des Maires de France - la FFMJC stigmatise le
désengagement de l'Etat et le transfert de charges sur les collectivités locales - est un soutien
régulièrement recherché ainsi que celui du CNAJEP (Comité National des Associations de Jeunesse
et d'Education Populaire, qui a pris la suite du GEROJEP) dont la FFMJC est membre, et qui porte
les revendications de l'ensemble des organisations de son secteur d'intervention. Mais la FFMJC a
aussi régulièrement le soutien, lors de ses congrès et dans ses actions, des organisations syndicales
du monde du travail (mouvement ouvrier, enseignants, chercheurs, artistes), des associations et
mouvements culturels, de jeunesse et d'éducation populaire, de certains partis politiques,
principalement de gauche et d'extrême gauche.
Le corps professionnel, notamment celui des directeurs, joue un rôle considérable dans cette
attitude revendicative et combative de la FFMJC. Rappelons qu'au cours des années 70, ce corps
professionnel est quasi intégralement syndiqué, majoritairement à la CGT, partiellement à la CFDT,
qu'il est traversé par tous les courants politiques de gauche ou d'extrême gauche, et que le parti
communiste rassemble une fraction appréciable et très organisée de ce personnel. Très souvent, les
actions revendicatives des organisations syndicales, dirigées contre la fédération employeur,
poussent un peu plus cette dernière à se retourner contre l'Etat, ce qui accrédite l'idée, déjà bien
installée à la scission, d'une institution manipulée par son personnel, inféodée à son syndicat
majoritaire, la CGT, et donc courroie de transmission du parti communiste.
Pourtant la réalité est bien plus complexe. Les sensibilités internes sont très diverses. L'Institution
est loin d'être monolithique. Elle est beaucoup plus composite et pluraliste que cette image,
construite dans le combat et de l'extérieur2, pourrait le laisser croire. Les affrontements internes sont
souvent sans concessions et même très violents. On n'hésite pas à se mettre en grève aux journées
d'étude de Saint-Etienne (printemps 1976) contre un président national - et par ailleurs sénateur-
1
Georges Rouan, dans L’animation socio-culturelle : une institution en action, a bien mis en évidence
ce phénomène d’attachement quasi fusionnel entre l’Institution et nombre de ses membres. “La
fédé, c’est comme maman, et on ne touche pas à maman” (Entretien avec une épouse de directeur
de MJC).
2
Par exemple par les responsables des fédérations autonomes. Après l’assemblée générale de
Versailles (8-9 novembre 1969), Jean Beaugrand, président de l’APREREG, parle à propos de la
FFMJC “d’immobilisme monolithique”, de poursuite d’un “rêve totalitaire et de mégalomanie”, de
prétention à “s’appuyer sur la ‘masse’ afin de faire plier le ministère de tutelle et de démontrer que
tous ceux qui osent être en désaccord sont des valets du pouvoir”. Le Figaro du 12/11/69.
- 350 maire communiste - qui a, avec son conseil d'administration, décidé de licencier 30 directeurs
stagiaires auxquels il apparait impossible de proposer un poste. Un délégué régional est séquestré
pour avoir licencié - abusivement et au mépris de toutes les règles, selon la CGT - un directeur de
MJC, et partout en France, les sièges des fédérations régionales sont occupées par le personnel.
La CGT et la CFDT s'opposent régulièrement et les rares moments d'unité d'action sont acquis
dans la sueur, sur des points bien précis ou dictés par une conjoncture particulièrement difficile.
Même en 1976 où, face à des licenciements programmés, la volonté d'unité d'action du personnel
est forte, c'est la surenchère syndicale qui prime. La CGT elle-même, est aux prises avec de fortes
oppositions internes. Le bureau national est violemment et régulièrement contesté par une
opposition considérée comme irresponsable, gauchiste, accusée de vouloir faire le jeu de la CFDT et
de diviser le personnel.
L'attitude de la FFMJC vis à vis de l'Etat n'est pas non plus toujours celle de la revendication et
du combat. On sait, comme le gouvernement lui-même, se prêter au jeu de la négociation, faire
souffler le chaud et le froid, si bien que généralement les rassemblements nationaux se terminent par
l’expression de revendications fermement défendues et par l'affirmation d'une volonté de dialogue
constructif avec l'Etat. Le secrétaire d'Etat, lui-même, y compris au moment des tensions les plus
fortes, adopte les deux attitudes directement ou par l'intermédiaire des directeurs de cabinet et de la
presse. Joseph Comiti, par exemple, attaque violemment la FFMJC dans les congrès de son parti, lui
impose une régionalisation draconienne en la menaçant d'étouffement financier, mais en même
temps finit par agréer les fédérations régionales qui sont restées fidèles à la Fédération Française et
accepte, en définitive, une gestion nationale du personnel par l'intermédiaire du Centre InterRégional de la Paie.
Les responsables nationaux de la FFMJC élus et salariés, considèrent que c'est grâce à cette
attitude de vigilance, à la fois combative et responsable, que l'Institution a finalement conservé ses
acquis essentiels et a pu continuer à se développer. Même au moment de l'assemblée générale
extraordinaire de Paris-Belleville (22 février 1970) où, contrainte et forcée, elle accepte les règles
imposées par le Secrétariat d'Etat, la FFMJC sait rester unie, soudée, “faire échec à la tentative
d’anéantissement”1 et ainsi reprendre un combat qu'elle considère comme essentiel : la
reconstitution d'une organisation et d'une vie fédérative nationales fortes.
Cette vigilance combative prend donc, selon les moments, des formes de simple vigilance ou de
réel combat. Cela va du vote d'une motion ou d'une plate-forme revendicative, à la pétition envoyée
aux députés et aux membres du gouvernement au moment du vote du budget de la Jeunesse et des
Sports, et enfin à la manifestation de rue préparée par une longue période d'information et de
mobilisation.
1
C’est l’expression du syndicat CGT du personnel éducatif et administratif, qui va jusqu’à conclure que
“malgré l’arbitraire, M. Comiti vient d’être battu par la FFMJC”. Le Monde du 24 février 1970.
- 351 Sans aucun doute, “l'action HELP”, qui se termine par un rassemblement populaire d'environ
10.000 personnes venus de l'ensemble des régions de France, est-elle la forme la plus spectaculaire
du combat mené par les MJC, dans les années 70.
La lutte de l'ensemble du personnel, lors des journées d'études de mai 1976 à Saint-Etienne, va
conduire l'assemblée générale de Colombes à décider de l'arrêt de la procédure de licenciement et à
confier au bureau fédéral et à son nouveau président, Robert Lenoir, “la direction et la coordination
des luttes”1. Il s'agit de se battre à tous les niveaux, local, départemental, régional et national, pour la
création d'emplois et l'obtention de moyens financiers destinés à la formation et à la survie du centre
fédéral. Dans la perspective des élections municipales du printemps 1977, des actions d'information,
de sensibilisation principalement auprès des MJC, des maires et des députés, sont engagées et une
commission nationale, présidée par Francis Le Hérissé, a pour mission de préparer les opérations
conduisant à la manifestation du 16 octobre. Cette mobilisation a pour premier effet, grâce aux
démarches accélérées auprès des municipalités, de procurer un poste à chaque stagiaire et donc de
gagner une première bataille, celle de l'emploi. La préparation de la manifestation mobilise d'abord
localement dans les MJC, puis régionalement et enfin nationalement, le 16 octobre, de nombreux
adhérents, jeunes, bénévoles et professionnels, qui expriment leurs revendications à travers des
formes originales, humoristiques et créatrices, dont la presse nationale fera état. Une délégation de
la FFMJC est reçue par Monsieur Poher président du Sénat et de l'association des Maires de
France, par le cabinet du premier ministre et même du président de la République “où l'entretien se
déroule dans un climat de relative hostilité”2. Cette action, qui a sans doute mobilisé l'intérêt des
futurs élus municipaux de 1977, a eu également pour effet de faire mieux connaître la FFMJC au
grand public, et également aux MJC de base3.
Mais cette attitude combative n'est pas le seul fait de la Fédération. Les MJC mènent
majoritairement et généralement une vie paisible, certes bouillonnante, mais réglée par des rapports
de dialogue avec les différents partenaires, et en premier lieu les municipalités. Cependant, pendant
cette période, de nombreuses MJC se sont retrouvées à un moment où à un autre en danger de
disparition ou en situation de conflit, qui a pu prendre des formes plus ou moins violentes. La
1
Rapport moral pour l’assemblée générale de Reims (12 juin 1977), p. 13. Lors du conseil
d’administration qui suivit l’assemblée générale de Colombes, Robert Lenoir avait en effet été élu
président de la FFMJC, et prenait ainsi la succession de Paul Jargot qui ne souhaitait pas briguer un
nouveau mandat.
2
Rapport moral pour l’assemblée générale de Reims (12 juin 1977), p. 16. Des autocars ont été
affrétés pour transporter les manifestants à Paris. 75.000 affiches et affichettes, 10.000 panneaux
muraux ont été répartis sur l’ensemble du territoire, 300.000 autocollants vendus ou distribués.
3
L’opération “HELP !” qui culmine lors du rassemblement parisien du 16 octobre, a nécessité plusieurs
mois de préparation. De nombreuses MJC ont organisé des manifestations de soutien, des
rassemblements locaux et des spectacles de solidarité, auxquels ont pris part de nombreux artistes.
- 352 situation est particulièrement explosive à la fin de 1969 lorsque Monsieur Joseph Comiti a décidé de
supprimer 20 postes de directeurs de MJC. On se mobilise à Rennes, Romans, Terville, Angers,
Blois, Dieppe, Lyon. Les MJC ont généralement le soutien des municipalités, des institutions et
associations locales, qui n'acceptent pas les accusations portées contre elles et leurs directeurs.
Monsieur Freville, maire de Rennes, exprime “son étonnement et son indignation devant les termes
employés par Monsieur Comiti pour justifier les suppressions : “bilan décevant et un peu
décourageant des MJC, politisation évidente, incurie, gabegie et gaspillage des deniers publics”. A
Rennes, l'émotion est forte. L'ensemble des forces vives de la MJC, de la ville et du département,
protestent devant l'Hôtel de Ville pour défendre une institution née dans les combats de la
Résistance. A Blois, se met en place un comité de défense des MJC, rassemblant les syndicats, les
grands mouvements et organisations de jeunesse et d'éducation populaire et les partis politiques de
gauche et d'extrême gauche. Monseigneur Goupy lui-même, évêque de Blois, déclare que “cette
suppression est une atteinte à l'éducation des jeunes [et que son] seul propos est en effet de penser
à ces jeunes eux-mêmes, surtout aux plus défavorisés, [qui] ont besoin d'échanger entre eux et avec
des adultes pour connaitre le monde économique, la vie civique et politique, la législation
professionnelle et syndicale [...], de s'engager dans la vie d'adulte et découvrir les raisons d'être et le
sens de l'existence vraiment humaine”1. Jusqu'à Bernard Lup et Denis Brunel, respectivement
président national et vice-président des jeunes Républicains indépendants, qui vont rencontrer le
premier ministre, Jacques Chaban-Delmas, sur “les problèmes concernant la Jeunesse, notamment
la situation de l'université, les Maisons des Jeunes et la réforme du service militaire”2.
A ce moment-là, les municipalités de toutes tendances politiques et l'association des Maires de
France que la FFMJC sollicite régulièrement, jouent un rôle indéniable dans la normalisation
progressive des relations entre les MJC et l'Etat. Cependant, les années 70 sont émaillées de
conflits entre les MJC elles-mêmes et certaines municipalités. Quelques-uns d'entre eux sont
spectaculaires, repris en écho par la presse et par la FFMJC à chaque rassemblement national,
notamment ceux qui concernent les relations entre les MJC et la Ville de Paris qui, dès 1970, en
s'appuyant sur la “dissidence” soutenue par Monsieur Joseph Comiti, décide de retirer à certaines
MJC la gestion de ses équipements socio-éducatifs. Au cours de l'année 1971, la MJC Jehan Rictus
se voit enlever ses derniers locaux, et la Mouffe elle-même est privée, à la demande d'un député
UDR de Paris, des ses postes FONJEP. Le congrès de Nanterre se déroule en plein conflit de la
MJC-Théâtre des Deux Portes avec la Ville de Paris3. S'agissant des MJC en difficultés, ce congrès
1
La semaine religieuse, citée par le Figaro du 22 septembre 1969.
2
Le Monde du 29 août 1969.
3
Ce qui explique l’intervention virulente de Lionel Deschamps, président de la FRMJC Région parisienne,
à la tribune du congrès de Nanterre contre “le premier ministre qui engage ses mauvais coups par
préfet interposé pour mieux les concrétiser en tant que Maire de Paris : la culture au service du
peuple a toujours déchaîné les passions. Monsieur Chirac, quelle cause serviez-vous... quand au petit
matin d’un jour du mois d’août vous faisiez expulser par les forces de police les adhérents de la MJC-
- 353 se prononce sur des orientations qui seront confirmées l'année suivante par l'assemblée générale
extraordinaire de Poitiers (27 mai 1978) :
“Créer des conditions favorables à un rapport de force en mobilisant à tous les niveaux :
adhérents, élus locaux, membres associés, fédérations.
“Instituer un fonds de solidarité sous contrôle de la FFMJC : frais juridiques, aide technique
(publication, informations locales et nationales, financement de poste) appropriée au conflit.
“Organiser un conseil juridique national (juristes, membres de MJC en lutte, FFMJC,
professionnels) pour la présentation, la rédaction d'un livre blanc, l'aide au directeur en cas de
procès, la mise au point d'une convention type”1.
Il serait long de faire l'inventaire et de relater tous les conflits. Quelques-uns sont longs,
spectaculaires, violents et ont des issues très variables.
La MJC de Viry-Chatillon est partiellement rasée au bulldozer au petit matin, sans
déménagement préalable du matériel. La MJC de Boulogne-Billancourt, privée de locaux par la
municipalité et son maire, Monsieur Gorse, résiste pendant de nombreuses années en s'installant
sur une péniche dont elle a fait l'achat. En 1975, le torchon brûle entre la municipalité de Reims, les
MJC et la fédération régionale ; raison invoquée : le délégué régional, Michel Mayer, aurait pris
position lors des élections présidentielles de 1974. Pendant l'été 1977, on s'émeut localement et
dans la presse nationale, de l'action brutale conduite par le nouveau maire de Bédarieux (Hérault),
Monsieur Roques, contre la MJC : il a fait recouvrir de peinture blanche une fresque réalisée sur la
nouvelle salle polyvalente par trois peintres ; le directeur est chassé et une grande partie des locaux
supprimés. Les MJC de Paris intra-muros vont devoir, pour subsister, se plier aux exigences des
autorités locales et la Maison pour Tous de la Mouffe sera expulsée, son bâtiment détruit et sera
condamnée à émigrer à Marcoussis en dehors de Paris.
Les situations locales, régionales et nationales dans lesquelles se débattent les MJC et leur
fédération, font d'elles les modèles d'un socio-culturel en expansion, avec ce qu'il a de créatif et
quelquefois de subversif, mais aussi d'approximatif, d’amateur, et, selon l’avis de certains, de
dérisoire et de médiocre. C'est aussi dans ces années-là que se construit une opposition caricaturale
et quelquefois violente - verbalement s'entend - entre l'animation socio-culturelle et une action
culturelle2 qui, après avoir connu elle aussi des heures agitées, notamment au moment du Ministère
Théâtre des Deux-Portes au mépris de la population parisienne du 20ème arrondissement ? Un tel
mépris de l’éducation et de la culture populaire discrédite ceux qui abusent ainsi des pouvoirs qui
leur ont été confiés”. (Intervention reprise dans les textes complémentaires au document de travail
préparatoire à l’assemblée générale de la FFMJC de Poitiers, 27-28 mai 1978).
1
2
Projet de procès-verbal Assemblée générale extraordinaire de Poitiers (27 mai 1978), p. 11-12.
L’opposition ‘culturel/socio-culturel’ est analysée notamment lors du colloque “Action socioculturelle-Action culturelle” (11-12-13 octobre 1978 à l’INEP). Voir les Cahiers de l’animation n° 30,
qui rendent compte de ces journées, ainsi que les Cahiers de l’animation n° 61-62, octobre 1987
(Les chemins de l’animation, 1972, 1987), et les travaux de Geneviève Poujol : Action culturelle,
- 354 Druon, va, dès le début des années 80, au grand regret de certains, “renvoyer les socio-culturels à
leur silence”1.
S'agissant de la FFMJC, c'est dans cette période d'agitation que se construit cette culture
institutionnelle des MJC, autour de leurs pratiques multiformes, de leurs fonctions sociales, que nous
avons qualifiées d'ambivalentes, et de leurs attitudes de résistance. Le terme d'ambivalence de leurs
fonctions sociales ne s'applique jamais aussi bien qu'à cette période, pendant laquelle les premiers
exégètes de l'intervention socio-culturelle posent précisément les problèmes en ces termes :
intégration et/ou subversion2, ou constitution d'un appareil d'action culturelle3, dit nouvel appareil
idéologique d'Etat. En effet, au vu du contexte que nous venons de décrire, il apparait bien que les
MJC développent leurs activités créatrices dans une dynamique ambivalente, contradictoire,
génératrice de conflits qui, si peu que ce soit, participe à la modification des rapports sociaux :
reproduction et/ou modification des rapports de travail, de pouvoir, de domination sociale et
culturelle. Il semble bien que pendant cette décennie, les nouvelles classes moyennes et les
nouvelles élites intellectuelles locales, très influentes dans les mouvements sociaux, utilisent des
structures ouvertes comme les MJC pour se positionner dans une société en transformation, et
remettent en cause les rapports sociaux, idéologiques et culturels traditionnels. C'est bien comme
cela que certains responsables fédéraux analysent un mouvement qu'ils reprennent à leur compte en
reformulant projet et pratiques des MJC. A preuve ce texte d'André Métayer, délégué régional, très
significatif de cette période, de ses modèles d'analyse, et dont nous donnons quelques extraits :
“L'animation socio-culturelle, véhicule de l'idéologie dominante et/ou force de changement, est
en soi une dynamique conflictuelle.
“Les conflits entre associations d'éducation populaire et municipalités sont révélateurs de la
nature même de l'animation socio-éducative et culturelle à la fois intégrante et/ou subversive.
Les organismes volontaires d'éducation populaire, maîtres d'oeuvre de cette animation qui
s'exerce dans un contexte traversé par des questions économiques et politiques qui le
déterminent et le font évoluer, tentent de trouver un compromis entre la volonté de voir garantir
leur indépendance pédagogique et celle de leur personnel, et le souci de prendre en compte
les impératifs des maîtres d'ouvrage qui découlent du système socio-économique, dont il est
dit par ailleurs, dans les organismes, qu'il n'est pas satisfaisant.
“Le conflit devient ouvert quand apparait une inadéquation entre le projet pédagogique de
l'association et le projet politique de la municipalité.
action socio-culturelle. Recherches (Doc. INEP n°1) et Profession Animateur, Éditions Privat (février
1989).
1
Jacques Bertin (Où en sont les MJC ?, France-Culture).
2
Titre du livre de R. Gaudibert (op. cit.).
3
Titre du livre de Ion, Miège et Roux (op. cit.).
- 355 “Les conflits, constituant en quelque sorte l'écart entre les projets des municipalités et ceux
des MJC, permettent de mesurer les limites dans lesquelles s'exerce la relative liberté d'action
des appareils idéologiques d'Etat, notamment l'appareil d'action culturelle.
“[...] que le conflit n'est pas seulement révélateur de la nature même de l'animation socioculturelle ; il est “animation” parce que l'animation est nécessairement conflictuelle, compte
tenu de la place qu'elle doit tenir, en tant qu'appareil idéologique d'Etat, dans l'organisation de
la société capitaliste”1.
Cette attitude combative de la FFMJC et de nombreuses MJC ne va pas empêcher leur
développement dans ces années 70, bien au contraire. Il semble que la FFMJC, plus qu'aucune
autre institution de jeunesse, d'action culturelle et d'éducation populaire, soit à ce moment-là portée
par un mouvement social auquel, dans la pratique et même dans le discours, elle est associée2.
Après avoir perdu la légitimité conférée par l'Etat, la FFMJC s'appuie de fait sur une nouvelle
légitimité, celle d'un mouvement social de masse qui accèdera à la majorité politique en 1981.
L'UNIREG qui a, dans ces années-là, le soutien incontestable de l'Etat - elle a, par exemple, en 1972
huit délégués régionaux pour 350 MJC environ, alors qu'au même moment la FFMJC n'en a que cinq
pour deux fois plus de structures affiliées - se développe finalement moins vite que la FFMJC. En
1971, après une période de flottement liée à la scission, l'UNIREG aurait compté, selon ses
responsables, quelque 13 fédérations régionales, 22 fédérations départementales et 400
associations affiliées3. Au même moment, la FFMJC aurait compté “715 associations affiliées”4,
parmi lesquelles il faut vraisemblablement compter les MJC, les fédérations régionales, les
fédérations départementales, les unions locales et aussi sans doute quelques associations
simplement correspondantes5. Après le retour définitif de la Fédération d'Alsace en 1973, d'Aquitaine
et de Guadeloupe en 19746, on peut considérer que la FFMJC a progressé et l'UNIREG régressé.
1
MJC en difficulté. Rapport introductif (Textes complémentaires au document de travail préparatoire à
l’assemblée générale de la FFMJC de Poitiers, 27-28 mai 1978).
2
C’est une idée assez communément admise. Jacques Bertin déclare dans “Où en sont les MJC ?” :
“Quand je dis qu’ils [ces équipements gérés par les MJC] ont eu un rôle très important, je pense
qu’ils ont eu un rôle - ils n’avait pas prévu peut-être d’avoir ce rôle-là, en tous cas ils ne voulaient
pas directement l’avoir - ils ont eu un rôle important sur le plan politique : j’ai toujours été persuadé
que si François Mitterrand avait gagné les élections de 1981, les présidentielles, c’était moins pour
des raisons de stratégie, d’accord entre tel et tel courant que pour la simple raison qu’il y avait en
France des milliers de MJC qui tous les jours, évidemment n’appelaient pas à voter pour la gauche ou
pour Mitterrand, mais tous les jours, faisaient passer dans la société le civisme et le sens des
responsabilités”.
3
Entretiens avec J.-P. Sirérols, actuel délégué général de l’UNIREG.
4
Rapport moral, assemblée générale d’Epernay, 31 mai 1971
5
Chacun ayant intérêt à grossir un peu les chiffres, on peut raisonnablement considérer que les forces
respectives de chaque fédération sont légèrement inférieures.
6
La réalité est encore plus complexe. Longtemps après l’éclatement de 1969, des MJC et des
fédérations régionales sont restées dans une situation d’observation et d’attente, si bien que
l’UNIREG et la FFMJC pouvaient les considérer comme affiliées ou non affiliées. Il est également
- 356 En effet, en 1975 au moment des Etats généraux de Metz, les effectifs de la FFMJC seraient les
suivants : 19 fédérations régionales, 54 fédérations départementales et unions locales, 776 MJC
affiliées et reconnues par l'Etat, 32 MJC stagiaires ou filiales, 28 associations correspondantes, 418
directeurs permanents dont 248 sur postes FONJEP, environ 18.000 animateurs bénévoles, 9
délégués régionaux, 22 personnels administratifs des FRMJC, 9 salariés attachés à la FFMJC, plus
de 200.000 adhérents aux MJC. En 1979, la FFMJC compterait 975 MJC, 515 directeurs et 20
délégués régionaux, et en 1981 elle aurait presque retrouvé son potentiel d'avant 1969. Elle a connu
en effet un fort développement en 1977, au moment des élections municipales qui auront pour effet
de porter à la direction des villes de nouveaux élus venus des conseils d'administration des MJC. La
FFMJC doit alors, pour faire face à la demande, mettre en poste des directeurs qui n'ont pas suivi la
formation. De son côté, l'UNIREG a, dans le même temps, progressé plus lentement puisque, selon
son annuaire de 1982-83, elle ne compterait à ce moment-là que 406 MJC affiliées.
Mais la combativité de la FFMJC ne tourne pas, dans ces années 70, seulement autour des
questions de la reformulation du projet, de la résistance face aux remises en cause de l'Etat et de
certaines collectivités locales, du développement appuyé sur un mouvement social qui aspire au
changement. Les responsables de la FFMJC, administrateurs et salariés, n'ont accepté que
contraints et forcés la régionalisation radicale imposée par Monsieur Joseph Comiti, si bien qu'une
grande partie de leurs forces et de leur réflexion est mobilisée pendant plus de dix ans par la
reconquête du terrain perdu et la refonte des structures fédératives.
3 - La régionalisation et la question des structures
Par lettre du 5 décembre 1969, M. Joseph Comiti, secrétaire d'Etat à la Jeunesse et aux Sports,
fait connaître à la FFMJC les mesures annoncées du Parlement le 30 octobre 1969 et qu'il a
adoptées :
“Les MJC bénéficiaires d'un poste FONJEP qui souhaitent adhérer à une Fédération régionale
agréée par le secrétariat d'Etat pourront obtenir l'affectation de ce même poste de directeur au
sein de cette Fédération régionale, qui recevra, par ailleurs, une subvention de
fonctionnement. Le FONJEP continuera d'assurer le versement du traitement du directeur, en
liaison non plus avec la FFMJC, mais avec l'Association des Présidents des Fédérations
Régionales des MJC (APREREG) membre de FONJEP.
“Les MJC jusqu'alors bénéficiaires d'un poste FONJEP qui ne désirent pas adhérer à une
Fédération régionale agréée mais ne peuvent ou ne souhaitent cependant pas assurer à 100%
la rétribution de leur directeur, pourront solliciter le maintien de l'aide de l'Etat. Après examen
de la demande, le secrétariat d'Etat pourra assurer, sur crédits déconcentrés, le versement
probable qu’au moment de la scission, certaines MJC se soient repliées sur elles-mêmes et aient
refusé de s’affilier à l’une ou l’autre fédération.
- 357 d'une subvention de fonctionnement forfaitaire annuelle au profit de la MJC. La participation de
la municipalité à la rétribution du directeur ne devra plus transiter ni par le FONJEP, ni par la
FFMJC. La MJC qui aura opté pour cette dernière formule aura toujours la possibilité de
demander son adhésion à une Fédération régionale agréée. Si elle l'obtient, un poste de
directeur sera ouvert et le versement du traitement assuré à nouveau par le FONJEP, selon
les règles que cet organisme est chargé d'appliquer. Corrélativement, la subvention forfaitaire
globale sera supprimée à la MJC.
“En conséquence, et jusqu'à nouvel ordre, tous les postes FONJEP de directeurs ou
d'animateurs de MJC seront retirés à la FFMJC.
“Les Maires des communes où sont implantées des MJC disposant de postes FONJEP ont été
tenus au courant de ces dispositions...”
Ces mesures, qui doivent prendre effet au 1er janvier 1970, ne laissent aux MJC que le choix
entre l'adhésion aux fédérations autonomes regroupées dans l'APREREG ou la localisation pure et
simple de leur fonctionnement et de la gestion de leurs directeurs. Dans les deux cas, la FFMJC ne
bénéficierait plus de subventions nationales pour son personnel éducatif. Elle risquait donc de perdre
la confiance des municipalités et même des MJC, et à terme de disparaître. Des contacts sont pris
avec le secrétariat d'Etat à la Jeunesse et aux Sports avec le concours de personnalités politiques1
et des lettres sont échangées, si bien que Monsieur Maheu, directeur de la Jeunesse et des Activités
socio-éducatives peut faire, lors du conseil d'administration de la FFMJC du 14 décembre 1969, “une
déclaration autorisée” qui confirme, en l'explicitant, la dernière proposition de Monsieur Comiti, datée
du 11 décembre :
“Il faut sortir d'une problématique de méfiance pour entrer dans des relations nouvelles de
confiance et de dialogue. Si la Fédération nationale accepte les conditions de régionalisation
exigées par Monsieur Comiti, les Fédérations régionales devront modifier leurs statuts en
conséquence, et elles seront aussitôt agréées et bénéficieront des avantages financiers sans
aucune discrimination entre fédérations autonomes et fédérations régionales FFMJC. Les
postes FONJEP des associations de base adhérentes de ces nouvelles Fédérations
régionales, seront transférés à ces Fédérations régionales ; des subventions de
fonctionnement seront attribuées à ces Fédérations régionales ; une aide du Secrétariat d'Etat
à la Jeunesse et aux Sports sera également apportée pour la formation des directeurs au
niveau régional. Ceci représente toutes les conséquences positives de cette nouvelle
réorganisation ...”2.
Après un long débat, un vote positif3 a lieu en fin de journée sur les conditions de la
1
Nous ne savons pas exactement lesquelles. On peut supposer que l’association des Maires de France
a joué un certain rôle dans le déblocage de la situation. Le rapport moral et d’orientation de
l’assemblée générale de Colombes (7 juin 1970) y fait allusion.
2
Intervention reprise dans le rapport moral et d’orientation pour l’assemblée générale de Colombes.
3
Votants = 35 ; oui = 23 ; non = 10 ; abstentions = 2.
- 358 régionalisation imposée par l'autorité de tutelle, à savoir que les fédérations régionales deviennent
l'employeur du personnel éducatif et que le personnel ne siège plus avec voix délibérative dans les
conseils d'administration. On décide également de convoquer une assemblée générale
extraordinaire de la FFMJC à Paris, le 25 janvier 1970, pour modifier les statuts et les mettre en
harmonie avec les exigences ministérielles. Cette assemblée générale, réunie en fait le 22 février
1970 à la MJC des Hauts de Belleville, approuve à une très large majorité les modifications
proposées1. A partir de là, la mise en place des fédérations régionales se fait progressivement et
avec le concours actif des MJC, des élus et des professionnels. En mai 1970, la situation est la
suivante : 19 fédérations régionales sont constituées, 11 sont agréées, 3 en instance d'agrément, 5
ne sont pas agréées2.
La FFMJC a survécu, mais elle a dû accepter une régionalisation aussi radicale que celle que
l'APREREG, et à sa suite l'UNIREG, ont favorablement accueillie. Au lendemain de l'assemblée
générale3 des Hauts de Belleville, on pourrait croire, au vu des statuts, qu'il y a deux institutions qui
fonctionnent finalement selon les mêmes règles, et qu’en fait, les MJC sont divisées tout en
obéissant à des dispositions fédérales quasi-identiques4. Mais il y a un petit rien qui change
beaucoup de choses : considérant qu'il s'agit d'un mauvais coup porté aux MJC et, sous couvert de
réorganisation, d'un projet de démantèlement de l'Institution, les responsables de la FFMJC et le
syndicat CGT du personnel n'acceptent au fond ni l'esprit de cette régionalisation, ni la manière avec
laquelle elle a été imposée de l'extérieur. Sous prétexte de faciliter largement la régionalisation, les
présidents des Fédérations régionales, réunis à Paris le 22 mars 1970, prennent plusieurs décisions
qui redonnent du poids à l'échelon national. En effet, ils reconnaissent le rôle nouveau de collège
d'employeurs dévolu de fait à la FFMJC depuis l'assemblée générale des Hauts de Belleville, et
donnent pouvoir au conseil d'administration de la FFMJC pour accomplir toutes les tâches incombant
au collège d'employeurs : négocier et signer les contrats avec le FONJEP, négocier l'élargissement
1
Modification des statuts nationaux : votants = 988 ; pour = 981 ; contre = 31 ; abstentions = 25 ;
nul = 1. Modification des statuts régionaux : unanimité moins 10 abstentions.
2
Nous passerons sur la bataille des agréments et sur les pressions et tracasseries de tous ordres,
notamment dans les régions où les fédérations autonomes sont également implantées (dans
l’académie de Caen, par exemple).
3
En fait, et pour être plus précis, il y a eu, le 22 février 1970, deux assemblées des MJC, l’une
ordinaire qui concernait les statuts des MJC et des fédérations régionales, l’autre extraordinaire, qui
concernait les statuts de la FFMJC (voir programme signé du président P. Jargot, daté du 11 février
1970, archives FFMJC).
4
Il y a cependant une différence appréciable entre les statuts de la FFMJC et de l’UNIREG. L’assemblée
générale de l’UNIREG est composée de toutes les régions affiliées avec un nombre égal de pouvoirs.
L’assemblée générale de la FFMJC rassemble les fédérations régionales qui disposent - différence
importante - d’un nombre de voix égal au total des voix dont disposent l’ensemble des MJC qui leur
sont affiliées, selon un barème établi en fonction du nombre d’adhérents, si bien qu’à travers les
FRMJC, ce sont les Maisons qui s’expriment. L’UNIREG est vraiment une union de fédérations,
autrement dit une confédération, alors que la FFMJC peut encore se dire fédération d’associations
de base.
- 359 du contrat collectif en convention nationale du personnel, mettre en place au plan national des
services inter-régionaux, en particulier le centre inter-régional de la paie, qui devrait faciliter le
règlement de la paie du personnel, les déclarations et versements auprès de divers organismes
sociaux.
Le directeur de cabinet du secrétariat d'Etat à la Jeunesse et aux Sports formule d'extrêmes
réserves1 sur l'intérêt d'un organisme centralisateur de la paie, craignant sans aucun doute par là
que cet organisme, prétendu purement technique, ne redonne un poids politique à la FFMJC et au
personnel éducatif. A la fin d'une entrevue avec une délégation du bureau de la FFMJC (22 mai
1970), il demande qu'un rapport lui soit remis dans les quatre jours sur cette question. Finalement,
après une période d'essai, le Centre Inter-Régional de la Paie est crée définitivement le 1er octobre
1970, avec l'accord de l'autorité de tutelle2. Cependant, le secrétariat d'Etat agite régulièrement le
spectre d'une FFMJC réunifiée et monopoliste, hantise qui explique à rebours sa volonté de
régionalisation draconienne :
“Depuis peu la Fédération Française des MJC semble vouloir revenir sur les engagements pris
en 1970. En effet, un certain nombre de manifestations concertées tend à prouver que les
principes concrétisés par la réforme régionale sont remis en cause. Notamment, la Fédération
Française se veut service public ou para-public de l'éducation populaire en France et
monopoliserait volontiers les moyens d'actions disponibles à ce titre, en vue d'une politique
d'animation de la jeunesse qui supporterait mal toute entreprise ne coï ncidant pas avec sa
propre doctrine.
“… Cette action tend à reconstituer à l'échelon fédéral les superstructures supprimées par la
réforme régionale sous couvert du maintien de l'unité d'action des MJC”3.
La mise en place du CIRP n'est que la première étape de la reconquête de l'espace national.
L'année suivante, on organise le premier congrès de la Fédération Française des MJC qui, comme
tous ceux qui vont suivre, entend démontrer la vitalité des MJC et de l'Institution. Grâce à la loi du 16
juillet 1971 sur la promotion sociale, on reprend une formation nationale des directeurs permanents.
Après deux années de tâtonnements liés à un manque de moyens et de préparation (à Rennes en
1972 et à Thonon en 1973), les journées nationales d'études des directeurs retrouvent une régularité
(Dieppe, Vigy, Saint Etienne...) et sont un moment fort de la vie professionnelle et fédérale. Le 12
février 1972, une convention collective nationale est signée entre le collège d'employeurs, représenté
par le président du conseil d'administration fédéral, et le syndicat FEN-CGT du personnel. On
1
Lettre du 11 mai 1970.
2
On préfèrera, à ce moment-là - et ce fut un élément de négociation avec le secrétariat d’État - un
CIRP qui avait une autonomie juridique et était l’émanation des fédérations employeurs, au SIRP
(Service Inter-Régional de la Paie) qui aurait été sous le contrôle direct de la seule FFMJC. En 1989,
à l’assemblée générale de Châlons-sur-Marne, on mettra également en place un SIRP fonctionnant
sous la responsabilité d’un conseil d’employeurs.
3
Lettre du 17 août 1971 adressée aux parlementaires.
- 360 n'oublie pas cette suppression de la cogestion avec les salariés qui a été imposée par le ministère le
tutelle1. Du reste, dès le congrès de Thonon (9-10 juin 1973), on vote très largement une motion en
faveur du retour de la cogestion avec le personnel, et l'assemblée générale extraordinaire de Marlyle-Roi (9 juin 1974) décide à l'unanimité la modification de l'article 9 des statuts de la FFMJC,
rétablissant ainsi le personnel dans sa voix délibérative2. Il est vrai qu'entre temps Monsieur
Mazeaud a remplacé Monsieur Comiti au secrétariat d'Etat à la Jeunesse et aux Sports et que, de
l'aveu même de la FFMJC, “les rapports avec le ministère de tutelle ont surtout été marqués par une
écoute plus attentive de nos problèmes”3. Enfin, l'assemblée générale de Metz (19 mai 1975)
propose de rattacher les délégués régionaux à la FFMJC et fait ainsi le choix d'une recentralisation
de l'encadrement.
Fin 1975, Paul Jansen quitte ses fonctions de délégué général pour prendre sa retraite, après
avoir consacré trente ans de sa vie à l'Institution, dont six années à la délégation générale4, six
années pendant lesquelles le centre fédéral, pourtant diminué - il ne reste qu'une poignée de salariés
- a animé, comme nous l'avons montré, et grâce à la participation des régions5, une vie fédérative
nationale. Claude Dade-Brenjot, directeur de la MJC de Colombes et secrétaire général du syndicat
CGT du personnel, est choisi par la FFMJC (conseil d'administration qui suit l'assemblée générale de
Metz) pour assumer les responsabilités de délégué général. Malgré l'opposition de Monsieur
Mazeaud, qui lui préfère André Jager, la FFMJC confirme la nomination de Claude Dade-Brenjot. Ce
dernier refuse finalement cette nomination, en raison de l'absence de candidat au poste de
Colombes, mais surtout parce que les obstacles ministériels qui ont, jusque là, entravé sa mise en
poste, n'ont pu être levés par la FFMJC. Après une ultime négociation avec Claude Dade-Brenjot,
qui par lettre du 10 octobre 1975 confirme sa démission, le président nomme André Jager à la
fonction de délégué général de la FFMJC.
Le conseil d'administration national d'avril 1977 décide à une courte majorité de ne pas titulariser
André Jager dans sa fonction6, et le conseil d'administration du 11 juin nomme Gérard Kolpak,
délégué régional de la FRMJC de la Région Parisienne, au poste de délégué général7. Dès lors la
1
“Nous n’avons pas les moyens de résoudre ce problème pour l’instant, mais il est utile de se le
remettre en mémoire régulièrement”. Rapport moral pour l’assemblée générale de Lyon, 3-4 juin
1972 (p. 4).
2
Décision confirmée par une assemblée générale tenue par correspondance (10 novembre 1977).
3
Rapport moral pour l’assemblée générale de Marly le Roi, 9 juin 1974 (p. 3).
4
“Une carrière admirablement remplie, puisqu’il aura été à la fois un des créateurs de la Fédération en
1945 et l’un de ceux qui ont assuré sa survie en 1969.” Jean Laurain (Rapport moral pour
l’assemblée générale de Metz, p. 12).
5
La cotisation des fédérations régionales à la FFMJC est de 20% de leurs subventions d’État.
6
Pour la titularisation = 17 voix ; contre = 20 ; blanc = 1.
7
Par 25 pour, 9 contre et 1 blanc.
- 361 FFMJC s'engage dans une réflexion de fond qui la conduit, après un bilan, à repenser les principes
d'actions des MJC1 et à se poser à nouveau la question des structures. A l'assemblée générale de
Mâcon (16-17 juin 1979), le président Robert Lenoir annonce le thème central du prochain congrès
(Grenoble, 24-25-26 mai 1980) : “De quelle fédération les MJC ont-elles besoin aujourd'hui ?” et
déclare qu’“il faudra bien aller jusqu'au bout de l'effort de rénovation et d'adaptation… entrepris [et]
qu'entre les Girondins et les Jacobins, les forces centrifuges et centralisatrices, le congrès devra
choisir”2.
Au congrès de Grenoble, les représentants des MJC adoptent l'orientation suivante :
“Le congrès est souverain vis à vis de la vie fédérative. Aussi, après avoir déterminé
l'orientation, contrôlé la gestion, adopté un programme d'action, élu les responsables de la vie
fédérative, le congrès répartit les missions entre la Fédération Française et les Fédérations
régionales, ainsi que les moyens correspondants”3.
Cette orientation, au cas où elle serait appliquée4, aurait pour effet de redonner le pouvoir aux
MJC, de le concentrer au niveau national, et par conséquent de délimiter les compétences des
Fédérations régionales qui, dans ce dispositif, auraient un statut d'instance déconcentrée plutôt que
décentralisée. Forts du vote de cette orientation, le conseil d'administration national et son délégué
général convoquent une assemblée générale en session extraordinaire pour le 17 ou 18 janvier 1981
à Marly-le-Roi. Les documents, tels qu'ils ont été présentés au conseil d'administration les 4 et 5
octobre, sont rassemblés dans un supplément aux Cahiers de la FFMJC (“Pour une réforme des
structures”) et envoyés aux Maisons des Jeunes et de la Culture.
Ce que l'on appelle communément à l'intérieur de la FFMJC “le plan Kolpak”, propose
effectivement une refonte radicale des structures fédérales qui, 11 ans après, presque jour pour jour,
prend le contre-pied de la régionalisation imposée par Joseph Comiti. Cette restructuration de
l'ensemble fédératif s'appuie sur le principe d'une cogestion à tous les niveaux - régional et national entre cinq partenaires essentiels : représentants des MJC (50% de voix), représentants des
collectivités locales, représentants de l'Etat, représentants du personnel fédéral, représentants des
associations et organisations nationales fondatrices ou poursuivant des buts analogues à ceux de la
FFMJC. Cette restructuration repose également sur la prise en compte d'un double phénomène : le
développement, à l'intérieur des MJC, d'équipes professionnelles comprenant plusieurs catégories
de professionnels et la diversification de l'intervention locale, qui peut aller de la gestion de la MJC
1
Il s’agit du Congrès de Nanterre, qui est encore un rassemblement de référence pour l’ensemble des
MJC.
2
Projet de procès-verbal de l’assemblée générale de Mâcon, p. 2 et 4.
3
Compte rendu des travaux, p. 13.
4
Rappelons qu’à ce moment-là le congrès n’est pas souverain, et qu’il faudrait une décision d’une
assemblée générale extraordinaire, elle seule souveraine, pour que les statuts soient modifiés et
qu’éventuellement le congrès accède à cette souveraineté.
- 362 traditionnelle à celle d'établissements plus complexes combinant F.J.T., C.I.S., centre social, C.A.C.,
ou même d'organisations locales ne gérant pas directement d'équipement mais ayant une vocation
plus globale (offices culturels, socio-culturels par exemple). Les dispositions déterminantes du projet
sont les suivantes :
“L'autonomie pédagogique et le recul nécessaire à l'intervention, imposent que l'employeur de
ces personnels [les directeurs] soit l'ensemble fédératif (mission confiée au niveau national) et
non tel ou tel ou tel élément de l'ensemble MJC.
“Afin d'apporter une réponse plus complète aux demandes qui lui sont adressées, l'ensemble
fédératif assure la formation professionnelle, le recrutement et l'emploi des “animateurs” selon
des modalités identiques à ce
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