ÉCOLE DES HAUTES ÉTUDES EN SCIENCES SOCIALES
Christian MAUREL
LES MAISONS DES JEUNES ET DE LA CULTURE
EN FRANCE
DEPUIS LA LIBÉRATION.
GENÈSE ET ENJEUX
Thèse de sociologie (nouveau régime) dirigée par
Jean-Claude PASSERON
Composition du jury :
Jean-Claude CHAMBOREDON, Directeur d’Études à l’E.H.E.S.S.
Roger ESTABLET, Professeur à l’Université de Provence
Jean-Claude PASSERON, Directeur d’Études à l’E.H.E.S.S.
La Vieille Charité
Marseille
4 novembre 1992
décembre 1994
nouvelle pagination
diffusion MJC
texte intégral
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INTRODUCTION
1 - Une réalité confuse
Le premier problème que le sigle MJC (Maison des Jeunes et de la Culture) et les pratiques
réelles et présupposées qu’il recouvre, posent à la recherche, est celui de la diversité et de
l’indétermination. Qu’y a-t-il en effet de commun entre une MJC comme celle d’Annecy-Marquisats,
gérant plusieurs milliers de mètres carrés, une halle de sport, un centre international de séjour, une
base nautique, des salles de spectacle, un restaurant et un personnel important diversifié dans ses
fonctions, et une MJC de quartier logée dans des préfabriqués, confrontée aux problèmes de la
petite délinquance, ou une MJC du milieu rural, animée par des bénévoles et regroupant quelques
dizaines d’adhérents ? 1
La diversité apparaît également dans les missions et les services rendus. Quel est par exemple le
dénominateur commun entre la MJC Cannes-La Frayère, prioritairement impliquée dans les
opérations de prévention de la petite délinquance, et sa voisine, la MJC Cannes-Centre, gestionnaire
d’un important cinéma d’Art et d’essai, fortement engagée dans le Festival International du Film et
les échanges internationaux et interculturels ?
Le sigle lui-même ne recouvre-t-il pas, pour le grand public, les significations et les confusions les
plus étonnantes, à tel point que l’on peut affirmer, sous réserve d’une enquête systématique2, que le
cercle de ceux qui savent avec certitude que ce sont des associations d’éducation populaire issues
de la Libération, regroupées dans deux fédérations (la Fédération Française des MJC et l’Union des
fédérations régionales des MJC), ne s’étend guère au-delà du groupe des permanents et des
responsables locaux et fédéraux. En effet, on confond souvent Maison des Jeunes et de la Culture
avec Maison des Jeunes, club de jeunes, Maison pour Tous sous toutes ses formes, club de loisirs,
Maisons de la Culture, Centre culturel, Centre social et socio-culturel, Auberge de Jeunesse ...3. Le
terme MJC est ainsi devenu un nom commun pouvant désigner les structures les plus diverses qui
1 La Fédération Française des MJC regroupe 14,50% de MJC de moins de 76 adhérents, 25,80% de
MJC de 76 à 200 adhérents, 27,70% de MJC de 201 à 500 adhérents, 17,70% de MJC de 501 à
1000 adhérents, 7,60% de MJC de 1001 à 2000 adhérents, 1,20% de MJC de plus de 2000
adhérents, 5,50% d’unions locales et fédérations ou unions départementales. Les MJC Aujourd’hui :
Réalités et Impacts. Enquête nationale FFMJC, janvier 1986.
2 Sur 100 personnes adhérentes à la MJC Prévert (Aix-en-Provence), un peu plus de 10 savent dire
comment est dirigée la MJC (Enquête Frédérique Lambert, étudiante en animation socioculturelle).
3 Les MJC elles-mêmes, même si elles maintiennent massivement l’appellation MJC (67%), adoptent
souvent, dans leurs statuts, des appellations autres (MJC-MPT, Maison pour Tous, Centre socio-
culturel, foyer de jeunes ....) Les MJC Aujourd’hui....
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oeuvrent dans le domaine de l’intervention socio-culturelle. Ce sigle n’est du reste pas la propriété
exclusive des structures affiliées aux deux fédérations citées plus haut1 2.
Mais la confusion la plus courante est celle de MJC et de Maison de la Culture. En effet, on
attribue très souvent la création des MJC à André Malraux3. Comme pour les Maisons de la Culture,
on pense qu’elles sont sous tutelle du Ministère de la Culture et on est généralement étonné
d’apprendre qu'elles dépendent du Secrétariat d’Etat à la Jeunesse et aux Sports. La classification
du Centre de Documentation des Sciences Humaines et du fichier des thèses de Nanterre est
également significative : pour une demande d’information sur les MJC, les réponses concernent très
souvent les Maisons de la Culture4. On croit ainsi posséder une liste importante de travaux sur la
question et on se rend rapidement compte que peu concernent véritablement les MJC. On constate
également que ces recherches sont souvent produites par des professionnels ou des responsables
de MJC : Claude Paquin, Jean Foucault, Jean Laurain, Georges Rouan, Christian Lucie, Jean-
Claude Leroyer ...
Cette disproportion d’intérêt scientifique entre MJC et Maisons de la Culture est d’autant plus
remarquable quand on connait l’importance de leurs implantations respectives : une douzaine pour
les Maisons de la Culture, 1.700 environ pour les MJC5. Sans entrer dans une analyse serrée, on
peut tenter une explication qui passe par une différence de statut socio-culturel, de “noblesse
symbolique”, de légitimité culturelle entre Maisons de la Culture et MJC. Les Maisons de la Culture,
présentées comme ces “nouvelles cathédrales du futur”, auréolées du prestige de leur instigateur
André Malraux, ont jeté dans l’ombre les MJC souvent considérées comme des lieux de sous-
culture, d’expression sans qualité artistique et de bricolage empirique. Les chercheurs, de par leur
position socio-professionnelle, ont sans doute porté plus d’intérêt à des structures appuyées sur une
conception de la culture hautement légitime, axées sur la création et le corpus des oeuvres de l’art et
du savoir.
1 La FFMJC a voulu par le passé imposer cette exclusivité. Le tribunal administratif lui donna tort
(entretiens avec Jean Nehr, délégué régional FFMJC).
2 Il n’est pas rare d’entendre de la bouche de personnes mal informées ou malveillantes que les MJC
sont un mouvement de jeunesse catholique ou un mouvement de jeunes communistes, confusion
qui, dans ce dernier cas, est souvent savamment et sciemment entretenue.
3 L’erreur est également très courante chez les responsables politiques locaux et nationaux. A titre
d’exemples : un premier adjoint aux finances et à la culture d’Apt (Vaucluse) attribue, lors d’un
discours, la création de la MJC locale à l’action d’A. Malraux. Monsieur Jacques Chirac fait de même
dans une émission de télévision.
4 Sur 46 fiches du CDSH, 17 concernent les Maisons de la Culture, 17 l’animation culturelle, socio-
culturelle ou d’autres structures, 12 seulement les MJC.
5 Les MJC ou des structures équivalentes sont également implantées dans des pays de l’Europe de
l’Ouest et regroupées au nombre de 18.000 au sein de l’ECYC (European Confederation of Youth
Clubs), dans les DOM-TOM ainsi qu’en Afrique francophone (cf. les travaux de J.-M. Mignon - Cahiers
de l’animation/INEP et sa recherche sur les centres culturels et MJC en Afrique).
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Pour l’action culturelle, conçue comme soutien à la création et à la diffusion d’oeuvres d’artistes
professionnels - ce qui, comme nous le verrons, n’est pas la seule ni sans doute la mission prioritaire
des MJC - le sigle lui-même est souvent négativement connoté alors qu’elles ont été et qu’elles sont
encore le ban d’essai de nombreux artistes, les initiatrices ou les cogestionnaires de nombreux
festivals et qu’elles gèrent un nombre important de petites et moyennes salles de spectacles1.
2 - Les MJC et l’organisation générale du domaine de l’intervention socio-
culturelle
La confusion qui entoure les Maisons des Jeunes et de la Culture contraste avec la rigueur de
leur fonctionnement institutionnel, caractérisé par un savant emboîtement d’instances de décision
(assemblées générales, conseils d’administration, bureaux, commissions, conseils de maison,
conseils de jeunes, conseils d’activités, conseils d’animation), par une organisation fédérale à
plusieurs étages (MJC de base, unions locales, fédérations départementales, régionales, fédération
nationale) communiquant entre eux par l’intermédiaire d’instances élues et d’un corps professionnel
hiérarchisé (animateurs, directeurs, délégués régionaux, chefs de services, chargés de mission,
chargés de formation, délégué général). Ces règles institutionnelles, qui peuvent être modifiées
“démocratiquement” selon les modalités prévues dans les statuts, ont la double fonction d’assurer la
pérennité et la cohérence de l’Institution et de réaliser le “projet pédagogique”, si bien que nous
avons affaire à un fonctionnement institutionnel pédagogique ou, si l’on veut, à une pédagogie
institutionnelle. La réglementation qui prévoyait, d’une part, que le conseil d'administration, par
l’intermédiaire du directeur-éducateur, avait droit de véto sur les décisions du conseil de maison,
mais que d’autre part, en contre-partie, le conseil d’administration devait être composé, pour un tiers
au moins de ses élus, par des membres du conseil de maison2, est le plus bel exemple de cette
sophistication pédagogico-institutionnelle qui fit merveille, notamment dans les années 60, au
moment où la “cogestion” (une invention des MJC) faisait de ces structures le partenaire socio-
culturel privilégié de l’Etat et des collectivités locales. C’est sans doute cette institutionnalisation
originale et dynamique qui contribua dans ces mêmes années 60 à placer les MJC en position de
1 Jacques Bertin, écrivain, compositeur-interprète, journaliste, rend compte de cette réalité en
stigmatisant la coupure entre culturel (Maisons de la Culture, centres culturels divers) et
socioculturel (MJC et structures équivalentes) - dont il pense que nous paierons longtemps les
effets négatifs - ainsi que le mépris des “cultureux” pour les “socio-cu” (France-Culture, Grand
Angle, samedi 10/03/90 : Où en sont les MJC ?)
2 Les réunions du conseil de maison étaient rigoureusement obligatoires et réglementées. Un directeur
pouvait recevoir un blâme de la FFMJC simplement parce que les comptes-rendus n’étaient pas
parvenus aux instances nationales en temps voulu (entretien avec Jack Riou). Jusqu’à la fin des
années 60, avant la scission qui suivra le congrès de Sochaux, les rapports des conseils de maison
faisaient l’objet d’un traitement, d’une compilation et d’un compte-rendu global diffusé dans les
MJC, de la part du centre fédéral.
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