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Evaluation d’entreprise – Pertinence pour le
conseiller juridique
Frank GERHARD*
Docteur en droit, LL.M., avocat
I. Evaluation d’entreprise : but, fonctions et limites
A. But de l’évaluation d’entreprise
Le juriste se préoccupe en principe peu d’évaluation d’entreprise. Il préfère laisser
cette tâche à des spécialistes1. Judex non calculat.
Après une introduction sur le but, la fonction et les limites de l’évaluation
d’entreprise, la présente contribution vise à identifier les situations pour lesquelles
le législateur prévoit expressément une telle évaluation, pour ensuite se pencher
sur les principales méthodes d’évaluation. Puis, le présent article tente de dégager
les principes de fond et de procédure fixés par la jurisprudence, applicables à
l’évaluation d’entreprise, et en particulier à la détermination de la valeur des parts
sociales. Enfin il reprendra les principes fixés par le Tribunal fédéral en matière
d’évaluation d’entreprise, en particulier pour fixer la valeur réelle des actions non-
cotées en bourse (article 685b CO), pour terminer par quelques questions
particulières relatives aux primes et décotes.
La valeur d’une entreprise ressort au fond strictement du domaine de
l’économie d’entreprise. Dans l’absolu, la valeur de l’entreprise peut être dissociée
de tout contexte juridique. C’est le cas lorsque quelqu’un se demande quelle
somme il peut exiger ou offrir pour vendre, respectivement acquérir, une
* L’auteur tient à remercier M. Gabriel BOURQUIN, titulaire d’une Maîtrise en droit,
pour l’aide précieuse apportée à l’occasion de la rédaction de cet article.
1 La doctrine juridique suisse est relativement maigre sur le sujet. On relèvera toutefois la
thèse de SCHÖN. La doctrine allemande est en revanche plus abondante ; on
mentionnera notamment l’ouvrage de référence de GROSSFELD (Recht der
Unternehmensbewertung), et la thèse de ADOLF. Sur l’évaluation d’entreprise en
général en Suisse, on se référera notamment aux ouvrages de LEYSINGER,
SCHÖNENFELDER, HELBLING (Unternehmensbewertung), VOLKART, LODERER et al.
et SIEGRIST/RAUSCHENBERGER, tous cités dans la bibliographie.
Frank Gerhard
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entreprise ou alors une participation dans celle-ci. Pourtant, dès lors que les
personnes impliquées sont engagées dans un rapport juridique associés,
acheteurs-vendeurs, époux ou héritiers par exemple la question doit aussi être
examinée sous l’angle du droit. Pour appliquer des critères juridiques à
l’évaluation, une compréhension économique des faits s’avère néanmoins requise.
La valeur de l’entreprise n’est pas forcément comparable au prix d’achat
négocié dans le cadre d’un contrat. La « valeur » est le résultat d’une évaluation
toujours contestable sur le plan méthodologique qui représente le montant qui
pourrait être payé en cas de vente. Le « prix » constitue quant à lui la convergence
entre l’offre et la demande, c’est-à-dire une réalité : le montant effectivement
payé2.
B. Les trois fonctions de l’évaluation d’entreprise
La doctrine3 distingue trois fonctions de l’évaluation d’entreprise qui peuvent
donner lieu à trois valeurs différentes :
- la fonction de décision (Entscheidungsfunktion) ;
- la fonction consensuelle ou d’arbitrage (Vermittlungs oder Konfliktlösungs-
funktion) ; et
- la fonction d’argumentation (Argumentationsfunktion).
Dans la première fonction, l’évaluation sert à préparer une décision dans le
cadre d’un contrat, par exemple l’achat d’une entreprise ou d’une participation.
Etant donné que l’acheteur ou le vendeur décide pour lui-même, il convient de se
fonder sur son appréciation subjective4 : quel prix doit-il payer au maximum ou
exiger au minimum pour respectivement acheter ou vendre l’entreprise ? En
principe, la valeur de décision n’est pas destinée à être communiquée à l’autre
partie. Dans la deuxième fonction, le but de l’évaluation est de fixer un montant
qui liera plusieurs parties, par exemple dans le cadre d’un jugement ou d’un
arbitrage. L’estimation est alors objective, puisqu’il faut trouver un équilibre
approprié entre les intérêts divergents de deux parties ou plus. La valeur
consensuelle ou d’arbitrage appropriée se trouve en règle générale à mi-chemin
entre les valeurs limites que les parties donnent à l’entreprise5. Enfin, dans le cas
de la fonction d’argumentation, l’évaluation est partiale car elle ne considérera
que certains critères déterminés. Elle vise à dégager les éléments favorables à une
partie. Elle sera en principe communiquée à l’autre partie, afin d’influencer une
négociation par exemple6.
2 HELBLING, Unternehmensbewertung, p. 53 ; HELBLING, Grundsätze, p. 736.
3 EUGSTER, pp. 48 ss ; HELBLING, Unternehmensbewertung, p. 44 ; SCHÖN, pp. 21 ss.
4 HELBLING, Unternehmensbewertung, p. 47.
5 HELBLING, Unternehmensbewertung, p. 46.
6 HELBLING, Unternehmensbewertung, p. 51.
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C. Limites de l’évaluation d’entreprise
Les formules mathématiques sont rassurantes par l’aspect scientifique qu’elles
confèrent à l’évaluation d’entreprise. Elles reposent néanmoins sur des données et
des hypothèses incertaines7. On en tient pour preuve une pléthore de méthodes
d’évaluation qui se valent toutes mais prêtent à controverse8.
Faut-il adopter une approche statique et procéder à une radiographie de la
société à un moment donné, ou privilégier une approche dynamique, partant du
principe que le fruit va germer ? Convient-il d’évaluer une entreprise par rapport à
son environnement économique ou plutôt à la lumière de ses caractéristiques
intrinsèques, telles que sa comptabilité?
En temps de crise économique, les analyses et autres prévisions inspirent une
méfiance accrue. Elles restent pourtant nécessaires dans toutes les situations
illustrées ci-dessous. L’occasion est donnée d’expérimenter et de critiquer
constructivement les différentes techniques pour les faire évoluer. A défaut d’être
fiable, on conviendra tout de même que l’évaluation d’entreprise peut se montrer
crédible, en s’efforçant notamment d’être la plus transparente possible quant aux
raisons qui ont poussé à choisir une méthode plutôt qu’une autre et quant au
calcul de certains paramètres normatifs, tels que les taux de capitalisation.
Selon nous, il convient toutefois d’éviter les méthodes d’évaluation
privilégiant une approche trop statique de l’entreprise, sous l’unique prétexte que
la vérification des données sur lesquelles elle se fonde est plus aisée. A quoi bon
obtenir un pronostic certain, mais inutile ? Il faut accepter l’incertitude et adopter
des approches dynamiques, orientées sur l’avenir et privilégiant la valeur de
rendement, tout en admettant qu’on ne pourra en rien conjurer les incertitudes
liées à l’évolution du marché.
II. Exemples de situations pouvant nécessiter une évaluation
d’entreprise
Le droit suisse prévoit plusieurs situations dans lesquelles une partie peut requérir
du juge une évaluation d’entreprise ou dans lesquelles une évaluation d’entreprise
est nécessaire, mais sans qu’une partie puisse exiger du juge qu’il décide d’une
telle évaluation. Nous allons ci-après examiner une sélection de ces situations en
vue de déterminer si le droit fédéral positif impose certaines règles d’évaluation.
7 EUGSTER, pp. 50 s. ; HELBLING, Unternehmensbewertung, pp. 147 et 153.
8 Sur les différentes méthodes d’évaluation, cf. III.
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A. Droit des sociétés
1. Indemnité de sortie d’un associé
a) Société simple
(i) Les cas de sortie - La sortie d’une société simple peut se faire par « sortie
volontaire » d’un associé ou par « exclusion » prononcée par les autres associés.
La loi ne confère pas aux associés d’une société simple un « droit de sortie » ;
ils ont uniquement la faculté d’en provoquer la dissolution, dès lors qu’une des
conditions légales est réalisée9. En raison de la liberté contractuelle inhérente à la
société simple10, un tel droit de sortie – qu’il soit soumis à la réalisation de
certaines conditions, comme la survenance de justes motifs, ou qu’il soit
inconditionnel – peut cependant être aménagé dans le contrat de société ou
consacré par une décision sociale ultérieure11. En outre, le droit de résilier le
contrat avant terme, assorti d’une clause de continuation de la société sans
l’associé sortant (Fortsetzungsklausel)12, équivaut à un droit de sortie. La loi prévoit
d’ailleurs expressément cette possibilité dans la société en nom collectif (SNC)13.
Contrairement au droit de la SNC14, les règles légales applicables à la société
simple ne prévoient pas non plus la possibilité d’exclure un associé, même pour
justes motifs15. Cependant, les associés sont libres d’aménager un « droit
d’exclusion » dans le contrat de société ou par une décision sociale16. A nouveau,
un tel droit peut être assorti d’une clause de continuation prévoyant le maintien
de la société en l’absence de l’associé concerné.
(ii) Fixation de l’indemnité de sortie - La sortie ou l’exclusion d’un associé
n’affecte pas l’identité de la société, qui se poursuit pour les autres associés. Pour
le surplus, les conséquences juridiques sont les mêmes que celles prévalant pour la
SNC (article 576 CO) qui sont applicables par analogie17 : le droit de la société
simple ne prévoit pas expressément une indemnité de sortie en cas de sortie ou
d’exclusion d’un associé. Les conséquences de la sortie d’un associé sont en fait
similaires à celle de la clause de continuation en cas de décès : l’associé sortant
9 Art. 545 et 546 CO.
10 Art. 530 CO.
11 CR-CHAIX, N 34 ad art. 545-547 CO ; BaK-STAEHELIN, N 5 ad art. 545/546 CO.
12 Par une clause de continuation, les parties prévoient que les associés restants poursui-
vront entre eux la société, malgré la survenance d’une cause (légale ou contractuelle) de
dissolution ou une résiliation ; cf. ATF 110 II 376, c. 2a, JdT 1975 I 623 (pour la SNC).
13 Art. 576 al. 1 CO.
14 Art. 577 CO.
15 ATF 94 II 119, c. 3a, JdT 1969 I 153.
16 CR-CHAIX, N 35 ad art. 545-547 CO ; BaK-STAEHELIN, N 6 ad art. 545-546 CO.
17 CR-CHAIX, N 36 ad art. 545-547 CO ; BaK-STAEHELIN, N 7 ad art. 545-546 CO. Cf. in-
fra II. A. 1. b). (ii).
Evaluation d’entreprise – Pertinence pour le conseiller juridique
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quitte la société et sa qualité d’associé s’éteint ; la part des associés restants s’en
trouve accrue d’autant, ce qui fonde une obligation d’indemniser l’associé sortant
jusqu’à concurrence de la valeur de sa part au moment où il quitte la société. Une
clause d’indemnisation (Abfindungsklausel) peut faciliter la détermination du
montant dû ; à défaut, le juge appliquera par analogie les règles de la SNC (article
580 CO)18. L’associé sortant n’est, en principe, pas tenu des dettes nées après son
départ de la société19.
b) Société en nom collectif
(i) Cas de sortie - En substance, l’article 576 CO permet qu’une société en nom
collectif continue d’exister malgré la sortie (ou le décès) d’un associé. Cette
continuation de la société nonobstant le départ d’un de ses membres est une
exception à la règle de l’article 574 CO, qui veut qu’en cas de dénonciation du
contrat de société par l’un des associés (article 545 alinéa 1 chiffre 6 CO par
analogie) ou en cas de décès de l’un d’eux (article 545 alinéa 1 chiffre 2 CO par
analogie), la société soit dissoute. Implicitement, l’article 576 CO reconnaît donc
aux associés le droit d’aménager un véritable « droit de sortie volontaire », en
faveur de tous les associés ou de certains d’entre eux en vertu d’une convention
antérieure à la sortie ou d’une décision postérieure à la sortie (tant que la
liquidation n’est pas terminée20) – sans qu’ils ne doivent dénoncer le contrat.
En présence de justes motifs, chaque associé peut aussi agir en dissolution de
la société, ainsi que le prévoit l’article 545 alinéa 1 chiffre 7 CO, par renvoi de
l’article 574 CO. Lorsque de justes motifs se rapportent principalement à l’un ou à
l’autre des associés, l’article 577 CO offre aussi la possibilité d’exclure ceux des
associés dont la situation ou le comportement rendent la poursuite du but social
difficile ou la continuation de la société insupportable. A ce titre, l’article 578 CO
permet aux autres associés d’exclure un associé lorsque celui-ci est déclaré en
faillite ou lorsque son créancier demande la dissolution de la société après avoir
fait saisir sa part de liquidation.
Dans tous ces cas, le départ, ou l’exclusion si elle est décidée – d’un associé
doivent être accompagnés d’un désintéressement selon l’article 580 alinéa 1 ou
alinéa 2 CO du ou des associé(s) sortant(s) ou exclu(s) (respectivement de l’office
des poursuites ou de l’administration de la faillite), à moins qu’une telle
indemnisation de départ n’ait été conventionnellement exclue.
(ii) Fixation de l’indemnité de sortie - Le contrat de société (ou une convention
accessoire) peut contenir des dispositions sur la fixation de l’indemnité de sortie
(assiette de calcul, méthode de calcul, principes d’évaluation, etc.). Un tel accord
18 BaK-STAEHELIN, N 7 ad art. 545-546 CO.
19 CR-CHAIX, N 36 ad art. 545-547 CO ; BaK-STAEHELIN, N 7 a contrario ad art. 545-546
CO.
20 ATF 116 II 49, c. 4b, JdT 1992 I 66.
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