Economie et Institutions – n°1 – 2
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semestre 2002
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général et de l’entreprise en particulier
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. Notre propos ne se “réduit”
ainsi pas à un éclairage d’histoire de la pensée – une contribution à
une généalogie des approches institutionnelles de la firme –, mais
vise à participer au débat actuel sur les théories de la firme – en
dessinant les contours d’une théorie institutionnaliste de l’entreprise
et en en montrant l’intérêt. De ce point de vue, la question de
recherche qui émerge de cette mise en perspective est celle du
contenu et des modes d’articulation des notions connexes
d’institution, d’organisation et de firme. Nous montrerons que la
problématique institutionnaliste appréhende les organisations
comme une forme d’institution ce qui conduit à une compréhension
originale de l’entreprise capitaliste.
Notre réflexion sera organisée en deux temps. Dans une première
partie, nous partirons de l’analyse de Commons qui développe l’idée
qu’organisation et institution sont deux notions intimement liées ; ce
qui nous permettra d’approfondir la nature institutionnelle des
organisations et de l’entreprise comme institution majeure du
capitalisme. Dans une seconde partie, nous effectuerons une
première confrontation entre la perspective proposée par ce qu’il est
convenu aujourd’hui d’appeler l’“ancien institutionnalisme” et les
thèses d’un ensemble de théories actuelles (essentiellement la théorie
évolutionniste, les théories des organisations, l’économie des coûts
de transaction, l’école autrichienne)
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. Cette mise en perspective
soulignera les points de convergence et de divergence avec les
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Le courant institutionnaliste américain s’est constitué à partir des œuvres de Veblen
et de Commons, considérés comme les deux fondateurs essentiels. Que ce soit sous la
plume de Veblen ou de Commons, il s’agit d’un programme de recherche qui
revendique des principes méthodologiques alternatifs (pragmatisme et évolutionnisme
étant les deux principaux) pour mettre au premier plan le rôle des institutions dans la
compréhension des phénomènes sociaux (Corei [1995]). Dans ce cadre commun, il est
reconnu que chacun de ces deux auteurs a développé sa propre perspective. En ce qui
nous concerne ici, on peut considérer que Veblen s’est concentré sur le rôle des
habitudes de pensée et d’action, c’est-à-dire sur la dimension cognitive des
institutions, tandis que Commons a aussi approfondi le mode d’expression
organisationnel et (tout particulièrement) politico-juridique des institutions. Si Veblen
s’est intéressé à la dimension organisationnelle dans son analyse de l’entreprise
capitaliste, l’institution est, au niveau conceptuel, référée aux habitudes. C’est
pourquoi nous mobiliserons Commons pour analyser l’articulation
institution/organisation et nous retrouverons Veblen lorsque l’on envisagera cette
organisation particulière qu’est l’entreprise. Si certains voient dans la pensée de ces
deux auteurs des perspectives quasi incompatibles, nous considérons, avec
Rutherford [1994] par exemple, que la différence entre Veblen et Commons est plutôt
une complémentarité (complémentarité des angles d’entrée et des centres d’intérêt) qui
se retrouve d’ailleurs dans leur approche de l’évolution.
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Il s’agit d’une première confrontation au sens où les réflexions comparatives que
nous proposons mériteraient d’autres développements, et aussi au sens où certaines
approches – notamment les “institutionnalismes à la française” – ne seront pas
abordées, ce qui ne préjuge en rien de l’intérêt de leur confrontation avec
l’institutionnalisme américain.