Programmez! aJuin 2015 45
elle le désire, soit de changer de licence soit
d’adopter une double-licence, voire même de géné-
rer une version “propriétaire”, par exemple pour un
client qui ne veut pas de logiciel libre (ça arrive !).
D’un autre coté, dans l’optique d’un projet très com-
munautaire, adopter une licence libre de type GPL
sera très bien vu de la communauté qui sera alors
plus encline à donner de son temps et à contribuer
au projet : Linus Torvalds l’a bien compris quand il a
créé Linux, alors qu’à l’origine il le diffusait sous une
licence plus restrictive.
Quant au Copyleft, c’est encore une affaire de
contexte. Il est certain que ce type de licence favori-
se une plus large diffusion, y compris dans des logi-
ciels propriétaires. Mais c’est aussi le risque de se
voir “piquer” son logiciel sans aucune contrepartie
derrière… sauf évidemment la fierté de se retrouver
éventuellement cité dans les termes des licences
Apple ou Microsoft... Une situation certes probable-
ment valorisante sur un CV.
Au final, le choix d’une licence libre est vraiment
affaire de contraintes et de jugement personnel. Il
peut être également plus sûr d’utiliser une licence
bien connue, et ayant fait ses preuves comme GPL
ou BSD. Il sera plus compliqué, en cas de problè-
me, de trouver de la jurisprudence ou un avocat
qualifié concernant “My Own Home Made Public
License”.
Mais comment faire respecter
une licence libre ?
Licence libre ou pas, il n’en reste pas moins que
lorsque les sources sont diffusées, il peut être utile
de pouvoir contrôler qu’aucun logiciel tiers ne res-
pectant pas les termes de la licence utilisée pour la
diffusion puisse être distribué ou commercialisé.
Pendant longtemps, lorsqu’un doute était permis, il
fallait fouiller dans les exécutables pour essayer de
repérer des “traces” pouvant constituer des
preuves, comme des commentaires dans le code
ou des headers de bibliothèques. Une autre
approche consistait à essayer de reproduire des
comportements singuliers du logiciel, par exemple :
un bug connu !
Puis des outils plus perfectionnés sont apparus,
comme “BlackDuck” qui permettent d’identifier les
licences du code utilisé pour assembler un logiciel.
Et la question ne se pose plus : les licences libres
sont bien reconnues par les tribunaux. Plusieurs
plaintes ont donné lieu à des condamnations, ou ont
réussi à faire se conformer des sociétés abusant du
logiciel libre : on retiendra par exemple la société
Free qui, suite à une plainte de la FSF(3) France, a
fini en 2011 par publier les sources des logiciels
libres parfois modifiés qui servent à faire fonctionner
la Freebox. u
Il ne faut pas penser que lorsque l'on
parle entre partisans du Logiciel Libre,
la discussion est forcément calme et
sereine. Elle peut même être orageuse,
voire violente. L'un des épisodes les
plus violents qui a eu lieu dans la com-
munauté du Logiciel Libre et dont je me
souvienne, fut probablement la confron-
tation des utilisateurs de KDE et de
GNOME, qui a culminé vers 1999. A
l'époque, le problème était Qt, la biblio-
thèque graphique à partir de laquelle
l'environnement graphique KDE était
programmé.
Qt, de la société Troll Tech, fut d'abord
une bibliothèque graphique propriétaire
: bien que l'on puisse avoir accès à ses
sources et la recompiler, les termes de
sa licence interdisaient de la modifier et
d'en redistribuer des versions modi-
fiées. C'était tout le problème ! La plu-
part des membres de la communauté
du libre de l’époque n’étaient pas très à
l'aise qu'une brique logicielle qui deve-
nait de plus en plus proéminente dans
les systèmes GNU/Linux/X11 ne fusse
pas libre. Et cela posait un problème
certain à tous les éditeurs de distribu-
tions Linux.
Devant ce problème, les utilisateurs ont
réagi de manières différentes. La pre-
mière façon de faire fut de ne pas s'en
soucier, ce qui fut d'ailleurs sans doute
l'attitude adoptée par le plus grand
nombre, pas forcément conscients des
enjeux.
La deuxième attitude, adoptée par cer-
tains, fut d'encourager vivement la
société Troll Tech à passer Qt en licen-
ce libre, en essayant de leur prouver
qu'ils avaient intérêt à le faire.
La troisième attitude, la plus visible et la
plus violente, a été de refuser Qt et
KDE en bloc à cause de ce problème.
Ce qui a été à l’origine du développe-
ment rapide de l'embryonaire environ-
nement graphique GNOME, basé sur la
bibliothèque graphique GTK+ qui avait
déjà servi à programmer le logiciel de
retouche d'image « The Gimp ».
Très rapidement, les hostilités furent
déclarées et les engueulades devinrent
franches entre les partisans de Qt/KDE
et ceux de GTK/GNOME, principale-
ment sur les groupes et listes de dis-
cussion. A l'époque, devant l’ampleur
des mécontentements et devant la
pression GTK/GNOME, Troll Tech créa
une nouvelle licence pour Qt, appelée «
QPL ». Une licence “quasiment libre”,
qui répondait aux critères de l'« Open-
Source », mais pas à ceux, plus restric-
tifs, du « Free Software ».
La situation devint même parfois relati-
vement malsaine : on pouvait souvent
lire à l’époque des messages frisant la
mauvaise fois, essayant par exemple de
démontrer que Gtk, alors un toolkit
encore jeune et assez frustre, était déjà
supérieur techniquement à Qt, alors
que sa maturité était bien supérieure.
Finalement, nous avons été plusieurs
dans la communauté à souhaiter que
cette agitation fratricide et nuisible pour
le mouvement du libre cesse, et que
KDE et GNOME puissent cohabiter en
paix.
Bien heureusement, Troll Tech, qui à
l’époque avait contacté des acteurs du
libre pour leur demander leur point de
vue, a fini par suivre nos suggestions
de passer Qt en licence vraiment libre.
Ils choisirent une double licence dont la
GPL. La « guerre » s'acheva donc, en
laissant quelques traces malgré tout : la
plupart des « anciens » ont continué à
défendre bec et ongle leur “meilleur
environnement graphique” pendant des
années.
Plus récemment, en 2008, une polé-
mique concernant les licences a de
nouveau vu le jour entre Linus Torvalds
et Richard Stallman. En effet, Linus a
refusé d’appliquer à Linux la GPL v3
(qui a été conçue afin d’éviter des
contournements abusifs de la GPL v2
via des techniques de DRM(4), en
arguant du fait qu’étant donné le
nombre d’auteurs de Linux, leur faire
accepter à chacun cette modification
générale de licence était juste impos-
sible…
Il faut en effet savoir que le noyau Linux
est distribué sous les termes de la
licence GPL v2 à l’exception de la phra-
se “or any later version”.
(4) Le constructeur d’enregistreurs numériques TiVo est bien connu pour avoir utilisé ce genre de procédé
(3) Free Software Foundation
LES PETITES CONTROVERSES