IV° Dimanche après la Pentecôte

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IV° Dimanche après la Pentecôte
21 juin 2015
Chers Frères et Sœurs,
Les bords du Lac de Tibériade ont conservé leur simplicité évangélique. En ces lieux
dépouillés, l'esprit peut facilement se porter vers les origines de l'appel des premiers disciples et
imaginer cette scène très simple, scène du quotidien de ces hommes occupés à leur travail où le
Seigneur vient les chercher en parlant à leur cœur par des signes aptes à les toucher. La pêche
miraculeuse suscite la vocation des apôtres, tout en dévoilant symboliquement la mission qui sera la
leur quand Jésus ne sera plus au milieu d'eux physiquement et que, sur leurs frêles épaules, ils
porteront toute l’Église naissante. Le rapport qui s'établit avec le Maître les aide à se situer à leur
juste place, celle de créature, de pécheur, d'homme faible et impuissant à conquérir le monde et les
âmes.
Jésus emprunte Lui-même la voie de l'humilité pour venir parmi nous : « le Verbe s'est fait
chair » (Jn 1, 14). Il ne convenait donc pas que les disciples, héritiers, porteurs et garants de son
Message fussent au-dessus du Maître. « Le disciple n'est pas plus grand que le maître » dit Jésus,
un peu plus loin dans le même Évangile (6, 40). La condition modeste des premiers disciples mettait
mieux en évidence l'origine divine du salut. « Car si le Christ avait choisi en premier lieu un
orateur, l'orateur aurait pu dire: "J'ai été choisi pour mon éloquence". S'il avait choisi un sénateur,
le sénateur aurait pu dire: "J'ai été choisi à cause de mon rang". Enfin, s'il avait choisi un empereur,
l'empereur aurait pu dire: "J'ai été choisi en raison de mon pouvoir". Que ces gens-là se taisent,
qu'ils attendent un peu, qu'ils se tiennent tranquilles, dit saint Augustin. Il ne faut pas les oublier ni
les rejeter, mais les faire attendre un peu ; ils pourront alors se glorifier de ce qu'ils sont en
eux-mêmes. "Donne-moi, dit le Christ, ce pêcheur, donne-moi cet homme simple et sans instruction,
donne-moi celui avec qui le sénateur ne daigne pas parler, même quand il lui achète un poisson.
Oui, donne-moi cet homme. Certes, j'accomplirai aussi mon œuvre dans le sénateur, l'orateur et
l'empereur. Un jour viendra où j'agirai aussi dans le sénateur, mais mon action sera plus évidente
dans le pêcheur. Le sénateur, l'orateur et l'empereur peuvent se glorifier de ce qu'ils sont : le
pêcheur, uniquement du Christ. Que le pêcheur vienne leur enseigner l'humilité qui procure le salut.
Que le pêcheur passe en premier. C'est par lui que l'empereur sera plus aisément attiré." » (Saint
Augustin, Sermon 43, 6).
En outre, le Seigneur prophétise le succès apostolique qui les attend. Pierre, toujours prompt
à prendre la parole, parle au nom de tous et reconnaît sa fragilité devant le miracle des poissons.
« Ne crains pas ; désormais, tu seras pêcheur d'hommes ». La traduction peine à nous faire entrer
dans ces mots chargés de sens. « Désormais, ce sont des hommes que tu prendras », et il faut
préciser que le verbe grec signifie 'prendre vivant', et dans un second sens 'vivifier, ranimer'. C'est
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dire que cette pêche d'un nouveau genre ne vise pas à faire prisonnier, ou encore ne sert pas l'intérêt
du pêcheur. Elle vise à sortir les hommes du monde des profondeur - « Avance en eau profonde » pour les arracher à ce lieu inconnu sous-marin qui symbolisait clairement, chez les juifs, le monde
des puissances infernales et du mal. La pêche apostolique consiste à retirer les hommes de l'emprise
du démon et du péché, des ténèbres et de la mort, pour leur redonner la vie perdue, les ranimer d'un
souffle divin nouveau, les vivifier de la grâce qui configure au Seigneur en restituant l'image et la
ressemblance jadis perdues. Comme la pêche miraculeuse des bords du Lac de Galilée, la nouvelle
pêche miraculeuse, qui s'accomplit par l'office de l’Église conduite par le ministère des successeurs
des apôtres, ne peut se réaliser que par la puissance divine, seule capable d'illuminer les âmes en
quête de vérité et de redonner vie aux cœurs cherchant l'amour véritable.
Cette scène champêtre qui manifeste le pouvoir du Sauveur sur la nature et toutes ses
puissances, comme Il le montrera à bien des reprises sur le Lac et ailleurs, montre les prémices
d'une restauration globale de la création, d'un salut qui embrasse toutes les dimensions du monde
perturbé par les séquelles du péché originel. Cette ferme conviction entraîne saint Paul, dans la
lecture de ce jour, vers des élans poétiques chargés de l'espérance d'un salut qui traverse le monde
créé dans toutes ses strates. « Car la création elle aussi sera libérée de l'esclavage de la corruption,
pour accéder à la liberté de la gloire des enfants de Dieu ». Jésus n'est pas seulement le Maître des
âmes humaines qu'Il vient sauver, Il est aussi le Seigneur de la création dont Il est Créateur avec le
Père et l'Esprit. Saint Irénée de Lyon parle de 'récapitulation', en reprenant un terme même de saint
Paul : « Car l'Auteur du monde, c'est en toute vérité le Verbe de Dieu. C'est lui notre Seigneur :
lui-même, dans les derniers temps, s'est fait homme, alors qu'il était déjà dans le monde et qu'au
plan invisible il soutenait toutes les choses créées et se trouvait enfoncé dans la création entière, en
tant que Verbe de Dieu gouvernant et disposant toutes choses. Voilà pourquoi "il est venu" de façon
visible "dans son propre domaine", "s'est fait chair" et a été suspendu au bois, afin de récapituler
toutes choses en lui-même » (Contre les Hérésies, V, 18, 3). Le salut en Jésus Christ est un salut
global qui assure à notre pauvre humanité blessée la vie de l'âme et du corps, et à toute la création
une restauration mystérieuse dont le Christ est la Tête et le Principe. L'enfantement se poursuit
encore, prolongement de l’œuvre du Seigneur par les apôtres, dans la douleur qui accompagne une
nouvelle naissance. « Nous aussi, qui possédons les prémices de l'Esprit, nous gémissons en
nous-mêmes, attendant notre adoption de fils de Dieu, la rédemption de notre corps dans le Christ
Jésus notre Seigneur ».
Chers frères et sœurs, avec les apôtres et plus encore avec Notre-Dame, reconnaissons notre
petitesse et offrons-la au Seigneur dans l'humilité d'un don généreux, pour que sa puissance se
manifeste dans la faiblesse. La vocation des disciples n'est pas seulement affaire du passé. L'appel
du Seigneur s'adresse à chacun de nous, de par notre baptême, afin que, par nous, le monde croie
« qu'il n'est qu'un seul Nom sous les cieux par lequel il puisse être sauvé » (Ac 4, 12). Ainsi-soit-il !
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