ÉTUDES Santé publique 1999, Volume 11, no 4, pp. 391-407 Le dépistage organisé du cancer colorectal en France. Système de soins et logiques professionnelles Screening for cancers and the French health care system C. Herbert (1), G. Launoy (1) Résumé : La préservation ou l’amélioration de la santé des individus et des populations ne dépendent pas de la seule activité du corps médical. Elles dépendent, dans une large mesure, des politiques publiques de santé. Les dépistages de cancers illustrent combien il est difficile d’organiser en France, une action de Santé Publique au sein d’un système de soins de tradition libérale. Au travers de l’exemple du dépistage du cancer colorectal, cet article se propose d’identifier les mécanismes par lesquels le système de soins détermine les modalités d’organisation des dépistages de masse des cancers. A partir d’entretiens menés auprès des organisateurs de 5 campagnes de dépistage du cancer colorectal, nous avons identifié trois modèles sur lesquels s’appuient les campagnes de dépistage françaises : un modèle administratif, un modèle médical et un modèle mixte. Chacun de ces modèles représente une adaptation différente de l’organisation du dépistage de masse au système de soins en place en France. Les intérêts des groupes professionnels concernés s’y affrontent entre eux, et à l’intérêt collectif. Il semble bien qu’intégrer une telle démarche de Santé Publique dans un système dominé par le paiement à l’acte est voué à l’échec. Aujourd’hui, la France ne peut plus faire l’économie d’une modification de son système de soins et de sa nomenclature si elle veut améliorer la faisabilité des programmes de dépistage des cancers et augmenter leur chance de succès. Summary : The preservation or the amelioration of the health of individuals and populations does not only depend on the activity of the medical profession. It largely depends on public health policies. Screening for cancers illustrates how difficult it is to organise an action of public health within a health care system of liberal tradition in France. Through the example of screening for colorectal cancer, this article proposes to identify the mechanisms by which the system of health care determines the methods of organisation of mass cancer screenings. Through interviews carried out among the organisers of five colorectal cancer screening campaigns, we identified three models on (1) Registre des Tumeurs digestives du Calvados C.J.F. INSERM 96-03, Faculté de médecine. Niveau 3 C.H.U. Côte de Nacre, 14032 Caen cedex. Tirés à part : C. Herbert Réception : 14/09/98 - Acceptation : 06/10/99 392 C. HERBERT, G. LAUNOY which French screening campaigns are based: an administrative model, a medical model and a mixed model. Each of these models represents a different adaptation of the organisation of mass screening to the health care system in place in France. The interests of the concerned professional groups confront each other and the collective interest. It seems that to integrate such an approach to public health in a system dominated by payment per act is doomed to fail. Today, France can no longer avoid a modification of its health care system and of its nomenclature if it wants to improve the feasibility of cancer screening programmes and increase their chance of success. Mots-clés : santé publique - dépistage - cancer - système de soins - cancer colorectal. Key-words : public health - screening - cancer - health care system - colorectal cancer. La préservation ou l’amélioration de la santé des individus et des populations ne dépendent pas de la seule activité du corps médical. Elles dépendent, dans une large mesure, des politiques publiques de santé. L’organisation des systèmes de santé dans les pays développés présente cette particularité de résulter de différentes formes de compromis entre deux conceptions antinomiques de la médecine : le mode libéral d’une part, le mode socialisé d’autre part [17, 28]. La place faite à la médecine préventive au sein du système, l’équilibre et le mode d’organisation qui en résulte, déterminent en partie le rôle des acteurs de santé impliqués et les réactions de la population. L’organisation d’une campagne de dépistage d’un cancer est le résultat de négociations entre les objectifs d’une action collective, les contraintes du système de soins en place et les intérêts des différents acteurs de santé impliqués dans l’action. Les exigences et les contraintes sont économiques (réponses aux nécessités internes d’un système économique donné), techniques (réponses à des problèmes donnés par de nouvelles techniques et de nouvelles compétences), sociales (réponses aux exigences et aux attentes des groupes sociaux concernés). Le dépistage organisé a pour objectif de détecter dans une population apparemment saine les sujets atteints d’une maladie, ou porteurs de facteurs de risque. La forte participation de la population est une des composantes de son efficacité. En Grande-Bretagne, en Suède ou au Danemark, la participation de la population à un dépistage de masse du cancer colorectal est comprise entre 55 et 65 % [29, 30, 33-37]. En France, elle est variable mais reste le plus souvent inférieure à 50 % [2, 4, 12, 20, 41, 55]. Plusieurs études ont tenté de comprendre pourquoi la population française participait moins aux campagnes de dépistage [21, 31, 42]. Si certains facteurs individuels influencent l’adhésion à une campagne de dépistage, le mode de proposition du test était le facteur le plus déterminant de son acceptabilité [21]. Or, le mode de distribution est directement dépendant de l’organisation du système de soins et de choix politiques généraux. De plus, l’adhésion de l’individu est influencée par les messages destinés à la population et au corps médical, les techniques utilisées, les structures chargées de pratiquer le dépistage, l’accès à ces structures, le remboursement des examens, etc. De leur côté, les acteurs de santé impliqués sont influencés par l’existence d’un consensus LE DÉPISTAGE ORGANISÉ DU CANCER COLORECTAL EN FRANCE. SYSTÈME DE SOINS ET LOGIQUES PROFESSIONNELLES scientifique, leurs propres logiques (intérêts personnels à effectuer ce travail) et des logiques collectives (intérêts du groupe professionnel auquel l’acteur appartient). Cet article se propose, après avoir retracé brièvement le contexte épidémiologique du cancer colorectal et l’historique du dépistage de ce cancer en France, d’identifier les mécanismes par lesquels le système de soins détermine les modalités d’organisation des dépistages de masse de cancers. En particulier, il tente d’identifier les spécificités actuelles du système de soins français qui limitent les chances de succès des actions de dépistage de masse des cancers. Contexte épidémiologique Le cancer colorectal est le cancer le plus fréquent dans les pays industrialisés pour les deux sexes réunis [7, 27, 40, 46]. En France, plus de 25 000 nouveaux cas sont diagnostiqués chaque année [18]. Son pronostic est mauvais et ne s’est guère amélioré depuis 20 ans malgré l’amélioration des techniques endoscopiques et des traitements [45, 49, 53]. Les statistiques de population estiment la survie actuarielle à 5 ans entre 30 et 40 % [19, 47, 49]. En termes d’incidence, de prévalence et de mortalité, le cancer colorectal est un problème de Santé Publique en France. Pour tenter de diminuer la mortalité et/ou la morbidité liées au cancer colorectal, il faut agir avant que le cancer ne soit symptomatique et empêcher son évolution ou dépister les cancers précoces et/ou les lésions précancéreuses dans la population générale. En effet, l’histoire naturelle de ce cancer laisse penser que la prévention primaire ou secondaire (dépis- 393 tage) pourraient faire baisser sa mortalité et morbidité [3, 6, 16, 48, 51, 52]. La variabilité d’incidence du cancer colorectal dans le temps et l’espace, suggère que le mode de vie et les facteurs environnementaux sont les facteurs causaux du cancer colorectal. Parmi ces facteurs, l’alimentation est particulièrement mise en avant. Cependant, jusqu’à ce jour aucune mesure de prévention primaire ne semble avoir donné la preuve de son efficacité [5, 32]. Il existe un stade de développement limité et précoce où le cancer colorectal peut être guéri, et son développement est assez lent. De plus, il est habituellement précédé par un adénome (polype de type histologique adénomateux) dont la détection et l’exérèse permettent de prévenir l’apparition du cancer [19]. Le cancer colorectal réunit donc les conditions justifiant un dépistage organisé : incidence forte, pronostic médiocre, temps de latence présymptomatique le plus souvent important, traitement efficace au stade précoce de la maladie, précédé par une lésion précancéreuse dans 95 % des cas. Plusieurs tests de dépistage ont été ou sont encore à l’étude : toucher rectal, coloscopie, rectosigmoïdoscopie, recherche de sang dans les selles, association de recherche de sang dans les selles et rectosigmoïdoscopie [27]. Parmi tous ces tests, la recherche de saignement occulte dans les selles est celui qui réunit, a priori, la meilleure faisabilité, la plus grande acceptabilité et le moindre coût. Il permet de réaliser une première sélection sur une partie de la population, et ensuite, lorsque le test est positif, d’effectuer un examen complémentaire (coloscopie le plus souvent, lavement baryté à défaut) pour découvrir l’existence d’une tumeur colorectale bénigne ou maligne. 394 C. HERBERT, G. LAUNOY Le dépistage du cancer colorectal est l’objet d’études multiples aux modalités techniques diverses en Europe et aux Etats-Unis. Seules trois de ces études ont donné des résultats positifs sur la baisse de mortalité par cancer colorectal. L’étude du Minnesota (Etats-Unis) sur une population de volontaires, a montré une baisse de mortalité par cancer colorectal de 30 % chez les sujets ayant eu un test Hémoccult IIR tous les ans pendant 13 années. Mais les experts s’accordent à dire que les modalités techniques de cette étude ne sont pas reproductibles en population générale [44]. L’étude de Fünen (Danemark) a montré une baisse de mortalité par cancer colorectal de 18 % chez les sujets ayant réalisé un test de dépistage Hémoccult tous les deux ans pendant 10 ans [36-39, 54]. L’étude de Nottingham (Grande-Bretagne) a montré une baisse de mortalité par cancer colorectal de 15 % chez les sujets ayant réalisé un test de dépistage Hémoccult tous les deux ans pendant 10 ans [29, 30]. Historique du dépistage du cancer colorectal en France En France, comme dans les autres pays industrialisés, l’incidence élevée du cancer colorectal et la non-amélioration de son pronostic ont entraîné une prise de conscience de la part des cliniciens (gastro-entérologues et chirurgiens), mais aussi de la part des pouvoirs publics. Dès 1984, les centres d’examen de santé français, rattachés à la Caisse Nationale d’Assurance Maladie (CNAMTS), et financés par elle, proposaient le test Hémoccult IIR comme test de dépistage individuel du cancer colorectal. Ils s’adressaient aux salariés âgés de 45 ans à 65 ans (âge de la retraite). Cependant, les centres d’examens de santé ne couvraient pas toute la France et leur budget était fortement dépendant de la Caisse d’Assurance maladie locale. Enfin, leur action n’était pas évaluée et il était difficile d’en connaître les bénéfices. Ne s’adressant qu’à une population de volontaires, aucune évaluation de l’acceptabilité du test n’a été faite. En 1985, une campagne de dépistage du cancer colorectal par le test Hémoccult IIR est organisée dans le département du Calvados. Cette campagne a été réalisée sous l’initiative d’un organisme appelé PREMUTAM (Prevention-Mutualités-Assurance Maladie) qui réunissait les différentes mutualités françaises et la caisse nationale d’Assurance Maladie. Les décideurs avaient reproduit l’organisation des campagnes de vaccination antigrippale. Une information était faite auprès de la population du département, puis une prise en charge était adressée à l’ensemble des personnes âgée de 45 à 74 ans, permettant de se procurer gratuitement le test Hémoccult IIR chez un pharmacien. Cette campagne a duré un an. En 1988, débutait une campagne de dépistage organisé du cancer colorectal par le test Hémoccult IIR dans 12 cantons du département de Saône-et-Loire. Il s’agissait d’une étude contrôlée en population générale : le test de dépistage était proposé à plusieurs reprises à 45 642 personnes âgées de 45 à 74 ans, une population de taille équivalente et de même âge du département de la Côted’Or servait de population témoin. Cette campagne est toujours en cours, avec une proposition du test tous les deux ans, selon une méthodologie identique [21-24]. En 1990-1991, le Fond National de Prévention et d’Education et d’Infor- LE DÉPISTAGE ORGANISÉ DU CANCER COLORECTAL EN FRANCE. SYSTÈME DE SOINS ET LOGIQUES PROFESSIONNELLES mation Sanitaire (FNPEIS) créé en 1989 par la Caisse Nationale d’Assurance Maladie, lançait trois campagnes de dépistage organisé du cancer colorectal par le test Hémoccult IIR pour les personnes âgées de 45 à 74 ans. Il s’agit de trois études de population sans groupe témoin. Deux de ces campagnes étaient réalisées à l’échelle d’une région : région Aquitaine et région Nord-Picardie (cinq départements dans chaque région soit environ 2 000 000 personnes). La troisième campagne s’est faite à l’échelle d’un département : le département du Calvados. Le financement était assuré pour ces trois études par le FNPEIS qui confiait aux caisses primaires d’assurance maladie concernées la charge d’organiser un dépistage. Les deux campagnes régionales ont été lancées en 1990. Après une information délivrée par les médias, l’envoi d’une prise en charge, permettant de se procurer gratuitement le test hémoccult IIR chez un pharmacien, était réalisé. Les différentes caisses primaires d’assurance maladie (une par département) organisaient le dépistage. Les modalités techniques de ces deux campagnes ont varié d’un département à l’autre dans une même région. Ces deux campagnes se sont poursuivies avec l’envoi d’une prise en charge tous les trois ans. Les financements provenaient des Caisses Primaires d’Assurance Maladie et du FNPEIS [11-15]. L’organisation de la campagne du département du Calvados à partir de 1991 s’est basée sur l’expérience bourguignonne. La population cible était de 170 000 personnes. La première campagne s’est déroulée entre 1991-1994, la deuxième campagne entre 1994-1997. La Caisse Primaire d’Assurance Maladie était intégrée au sein d’un comité de pilotage qui était chargé de gérer ces campagnes. 395 En France, l’obtention d’une participation satisfaisante, indispensable à l’efficacité de l’action, a été rapidement identifiée comme une difficulté majeure. Dès 1986, un rapport officiel au ministre évoquait les difficultés rencontrées pour inciter la population à réaliser un test de dépistage. L’implication de l’ensemble du corps médical aux actions de prévention était conseillée [9]. Concernant le cancer colorectal, les taux de participation obtenus dans les pays étrangers étaient relativement satisfaisants. En France, les résultats obtenus lors des campagnes réalisées n’ont jamais été aussi bons que dans les pays étrangers. Pour améliorer la participation de la population, qui jusqu’à présent a rarement dépassé les 50 %, il est indispensable de trouver un mode de proposition du test de dépistage et de suivi des personnes concernées adapté [2, 4, 26, 31, 42, 55]. Méthodes Afin de mieux connaître les modalités de mise en place des campagnes, l’historique de chacune d’entre elles et les parcours des acteurs impliqués, des entretiens semi-dirigés ont été menés auprès des organisateurs des campagnes françaises de dépistage du cancer colorectal, à l’échelon local ou national. Pour chaque campagne (en Bourgogne, Calvados, Aquitaine, Nord-Picardie), nous avons rencontré entre 2 et 5 personnes chargées d’initier, de gérer et/ou d’évaluer cette campagne. Au total, 12 entretiens ont été réalisés. Toutes les personnes ont été contactées par lettre puis par téléphone. Elles ont toutes accepté l’entretien. La personne à l’initiative de la campagne était toujours rencontrée. Ensuite, le nombre de collaborateurs variait selon les C. HERBERT, G. LAUNOY 396 campagnes. Tous les individus interrogés avaient participé à l’ensemble de la campagne. Les entretiens ont tous été réalisés sur le lieu de travail de la personne. Ils ont eu une durée de 45 minutes à 3 heures 30. Ils étaient réalisés par un médecin en santé publique. Les entretiens ont été enregistrés et retranscrits. Pour chacune des personnes rencontrées, les questions étaient : – Depuis quand participez-vous à l’organisation du dépistage du cancer colorectal dans votre région (ou au niveau national) ? – Quel est votre rôle au sein de cette organisation ? – Comment s’est mis en place le dépistage du cancer colorectal dans votre région (ou au niveau national) ? – Quelles motivations vous ont poussé(e) à participer à ce dépistage ? – Quelles étaient vos fonctions lorsque vous avez commencé à participer au dépistage ? – Quelles étaient vos fonctions avant cette participation (cursus de la personne) ? – Quelles sont aujourd’hui ? vos fonctions – Lorsque vous avez débuté, quelles idées ou envies souhaitiezvous développer dans le cadre d’un dépistage organisé ? – A cette époque, comment envisagiez-vous l’organisation du dépistage ? – Avec l’expérience, pouvez-vous me dire ce qui vous a enthousiasmé dans ce travail ? – Avec l’expérience, pouvez-vous me dire ce qui vous a déçu dans ce travail ? – Quelles solutions ou méthodes proposeriez-vous pour améliorer la qualité et le résultat du dépistage du cancer colorectal ? – Aujourd’hui, comment envisagezvous l’organisation du dépistage ? – Cette expérience a-t-elle modifié votre activité professionnelle quotidienne ? – Quelle place accordez-vous à la prévention et au dépistage dans l’amélioration de la santé de la population ? Enfin, les dernières questions portaient sur les modalités pratiques de l’organisation (mode de proposition du test, réunions d’information des professionnels concernés, messages d’information délivrés à la population et financements). L’analyse lexicale de ces entretiens a permis de montrer quels étaient les points communs et les dissemblances entre les personnes rencontrées et par extension, entre les différentes campagnes de dépistage. Nous nous sommes particulièrement intéressés aux difficultés rencontrées lors des expériences passées ou en cours, à la hiérarchie mise en place, aux relations établies avec les acteurs locaux pouvant être impliqués dans cette organisation, aux contraintes ou à la liberté d’action ressenties par les acteurs interrogés, à la présence ou non d’un leader, à l’éventuelle rémunération des acteurs impliqués et aux messages délivrés d’une part aux professionnels, d’autre part à la population. Dans ce travail, l’analyse n’a porté que sur les niveaux institutionnels ou professionnels, ne donnant jamais la parole aux personnes concernées par ces procédures de dépistage. L’une des faiblesses de cette analyse, est de rapprocher uniquement le taux de participation de la population des modèles étudiés. Cependant, c’est le LE DÉPISTAGE ORGANISÉ DU CANCER COLORECTAL EN FRANCE. SYSTÈME DE SOINS ET LOGIQUES PROFESSIONNELLES critère objectif que nous avons choisi pour réaliser cette étude, pensant qu’un travail sur la population demandait la mise en place d’entretiens complémentaires auprès des personnes concernées. 397 modalités techniques et financières mises en place, nous proposons d’identifier trois modèles : un modèle administratif, un modèle médical et un modèle mixte. Le modèle administratif (figure 1) Modèles des organisations françaises du dépistage L’introduction d’une innovation technique dans une organisation modifie les rapports sociaux et met en jeu des valeurs et intérêts. Cette innovation est alors soumise aux effets contraires d’appuis et de résistances et alimentent des controverses proportionnelles à la hauteur des enjeux qu’elle contribue à relever. A partir de l’analyse des objectifs poursuivis par les organisateurs des différentes campagnes de dépistage et des Ce modèle était issu de l’expérience des campagnes de dépistage organisées en région Aquitaine et Picardie. Il s’apparentait au schéma des expériences anglo-saxonnes où la population et les structures de soins concernées sont habituées à recevoir des incitations provenant des instances chargées du maintien de la santé dans le pays. La décision de l’action venait uniquement de l’institution en charge de la gestion des dépenses de santé en France : la Caisse Nationale d’Assurance Maladie. Elle fournissait le financement INSTITUTION - ÉTAT Caisse Nationale d'Assurance Maladie Financement soins FNPEIS Financement de la campagne Appel à un Conseil de scientifiques experts pour conseils Technicité et mise en place de la campagne Avec négociations entre administration et syndicats Proposition du test de dépistage par prise en charge envoyée à la population cible • Campagne d'information • Leader hospitalo-universitaire • Médecins libéraux locaux Figure 1 : Organigramme modèle administratif. Financement d'une structure indépendante pour l'évaluation de la campagne 398 C. HERBERT, G. LAUNOY nécessaire en créant un budget spécial, et surtout elle gérait en totalité l’ensemble de l’action. Toutes les modalités de la campagne, qu’il s’agisse de l’information émise auprès de la population, des modes de proposition du test, des procédures de suivi des personnes ayant eu un test positif, de l’évaluation de la campagne en termes médicaux, étaient décidées et contrôlées par cette institution. L’évaluation de la campagne pouvait être confiée à une structure indépendante qui obtenait son financement de l’institution. L’implication des médecins généralistes n’était envisagée que dans un second temps, après négociations entre les syndicats médicaux et l’administration, selon les procédures couramment utilisées pour les négociations habituelles lors des conventions. Ce modèle ne tenait pas compte des contraintes techniques d’une procédure de dépistage. Seules, les contraintes administratives et exigences du système étaient les guides. L’action n’était envisagée que de l’administration vers la population. L’expérience montrait que ce modèle, purement calqué sur les relations habituelles institution-professionels, institution-population, était inadapté à l’organisation du dépistage des cancers en France. Pour appuyer cette constatation, il faut savoir que la première campagne organisée par PREMUTAM a obtenu un taux de participation de la population de 19 % [12] et que dans les deux expériences réalisées au niveau régional (région Aquitaine et Nord-Picardie), le taux de participation obtenu était en moyenne de 23 % (22 % en Aquitaine et 24 % en Nord-Picardie) (référence interne). Dans les départements de la région Nord-Picardie, la proposition du test a varié selon les Caisses Primaires d’Assurance Maladie. Certaines se sont appuyées sur l’action des médecins généralistes associée à l’envoi d’une prise en charge et/ou à l’envoi du test par la poste, ce pour de petites populations. Les taux de participation obtenus ont varié selon ces différents modes de proposition allant de 18 à 48 % (respectivement 18 % lors de l’envoi simple d’une prise en charge, 48 % lors de l’action des médecins généralistes associée à l’envoi direct du test) (référence interne). Le modèle médical (figure 2) Ce modèle était alimenté par la campagne de dépistage réalisée en Bourgogne. L’initiative de la démarche revenait à un acteur unique charismatique qui en était le leader (dans son acceptation psychosociologique d’individu reconnu légitime par le groupe pour exercer le leadership). La trajectoire professionnelle antérieure de cet acteur permettait de comprendre la démarche et les modalités mises en place. Cet acteur était secondé par d’autres leaders appartenant à des segments professionnels représentés dans la campagne (par exemple un médecin généraliste). Il n’y avait pas de Comité réunissant tous les secteurs concernés. En revanche, le travail de l’initiateur de la campagne n’était pas seulement de décider de l’ensemble des modalités de mise en place, il était aussi de motiver l’ensemble des intervenants, de contrôler, d’évaluer l’ensemble de la campagne et de trouver tous les financements possibles. Les financements étaient uniquement privés. Après plusieurs réunions de formation ou d’information des médecins généralistes organisées à l’échelle cantonale, ceux-ci proposaient le test de dépistage à l’ensemble de leurs patients âgés de 45 à 74 ans vus en consultation. Après une période de proposition de quatre mois, le test de dépistage était envoyé par la poste à LE DÉPISTAGE ORGANISÉ DU CANCER COLORECTAL EN FRANCE. SYSTÈME DE SOINS ET LOGIQUES PROFESSIONNELLES 399 LEADER HOSPITALO-UNIVERSITAIRE Evaluation de la campagne Activité de recherche FINANCEMENTS EXTÉRIEURS Associations ; Conseil Général ; Conseil Régional ; Laboratoires privés ; FNPEIS Leader médecin généraliste Organisme de Formation Médicale continue Appui total sur le corps médical. Formation-information des médecins généralistes et du travail Rémunération accordée aux médecins généralistes Technicité et mise en place de la campagne avec Proposition du test de dépistage par médecin à la population cible avec aide d'un autre mode de proposition Figure 2 : Organigramme modèle médical. l’ensemble des adhérents des différentes caisses d’assurance maladie qui ne l’avait toujours pas réalisé. Ensuite, une dernière relance par courrier était faite. Pour la réalisation de ce mode de proposition, l’appui sur les structures locales qui regroupent et/ou forment les médecins était conseillé. Les messages d’information de la population, de même que l’information et la formation des médecins n’étaient pas assurés par la caisse d’assurance maladie, mais par une structure indépendante. Si les médecins investis dans cette campagne étaient rémunérés, les négociations de rémunérations se faisaient directement avec l’équipe scientifique. L’exigence technique et ses contraintes médicales étaient privilé- 400 C. HERBERT, G. LAUNOY giées par rapport aux exigences du système. La mise en place des lois de décentralisation a probablement aidé à la mise en place de ce modèle par l’intervention des conseils généraux et/ou régionaux permettant des financements extérieurs. Le système de rémunération des médecins ressemblait à celui utilisé par les laboratoires pharmaceutiques lorsqu’ils souhaitent réaliser des études à plus grande échelle. L’ensemble de ce modèle reproduisait une structure hiérarchique typique du service hospitalier. La structure hiérarchique hospitalière ou le système de rémunération des médecins étaient deux éléments particulièrement connus et acceptés des médecins libéraux. Pour appuyer ces remarques, le taux de participation global de la population a été en moyenne de 55 % [20, 55]. L’acceptabilité était de 36 % lorsque le test était envoyé par la poste et de 83 % lorsqu’il était distribué ou prescrit par un médecin [4]. Depuis 1988, 5 campagnes successives ont été conduites et le taux de participation a été respectivement de 52,8 %, 54,0 %, 57,3 %, 58,3 % et 56,2 %. Ceci étant précisé, quelques points spécifiques de la région dans laquelle s’est réalisée cette expérience, en limitent la reproductibilité. Il s’agissait d’une région particulièrement active dans le domaine de la santé publique avec une forte implication des médecins généralistes depuis de nombreuses années. La communauté médicale y apparaît soudée et très homogène. La rémunération versée aux médecins, vécue comme une reconnaissance motivante de leur implication dans la recherche médicale et dans la santé publique, n’a été possible que du fait de financements privés et non provenant de l’Etat. Par ailleurs, le nombre de médecins (70 environ) et la taille de la population cible étaient faibles, plus petits que dans les autres campagnes. Le modèle mixte (figure 3) La campagne du département du Calvados était à l’origine de ce modèle. Ce dispositif tentait d’allier la part administrative du système (contraintes du système) à sa part médicale (contraintes techniques). Il a été mis en place un Comité paritaire, composé de médecins de santé publique, gastro-entérologues, chirurgiens, médecins généralistes, financeurs et responsables des caisses d’assurance maladie. La présence du comité paritaire, d’un leader moins charismatique, de financements privés ou provenant des pouvoirs publics, montraient une ouverture vers les deux pôles, avec la réelle recherche d’une entente. Cependant, le contexte local, certaines expériences antérieures, les conflits latents entre les acteurs locaux ajoutés à l’absence, à l’époque, de démonstration formelle de l’efficacité théorique du test Hémoccult IIR dans un dépistage de masse, ont diminué les effets positifs de la rencontre. Les financements accordés étaient à la fois public (FNPEIS et caisse primaire d’assurance maladie) et privés. Après organisation de plus de vingt réunions locales, les médecins généralistes et médecins du travail ont proposé le test de dépistage à l’ensemble de leurs patients âgés de 45 à 74 ans vus en consultation, pendant une période de 4 à 6 mois. Puis, une prise en charge était envoyée à l’ensemble des affiliés n’ayant toujours pas réalisé le test permettant de se le procurer gratuitement chez un pharmacien. Enfin, au bout de quelques mois, des lettres de relance étaient envoyées. Pour des raisons budgétaires, seule une petite partie de la population (12 000 personnes) a LE DÉPISTAGE ORGANISÉ DU CANCER COLORECTAL EN FRANCE. SYSTÈME DE SOINS ET LOGIQUES PROFESSIONNELLES 401 INSTITUTION - ÉTAT Caisse Nationale d'Assurance Maladie Financement soins FNPEIS Financement de la campagne Caisses locales d'Assurance Maladie Comité paritaire des différents corps professionnels concernés, administratifs et financeurs leader hospitalo-universitaire Recherche de financements extérieurs Structure chargée de l'évaluation de la campagne Activité de recherche Technicité et mise en place de la campagne avec formation des médecins, proposition du test de dépistage par médecins généralistes et du travail à la population cible et envoi d'une prise en charge Figure 3 : Organigramme modèle mixte. bénéficié d’un mode de proposition supplémentaire et a reçu directement le test par la poste. Cette campagne organisée dans le département du Calvados s’est donc fortement appuyée sur l’action des médecins généralistes et du travail. Le taux de participation de la population a atteint en moyenne 44 % sur l’ensemble du département [41]. Dans cette expérience, la recherche d’une reconnaissance de chaque segment professionnel dans cette nouvelle activité était déterminante pour l’action. Pour les médecins généralistes, elle était particulièrement visible avec la demande de rémunération de la proposition du test de dépistage et du suivi qu’ils assuraient ensuite. Mais pour d’autres secteurs, elle était tout aussi présente (recherche d’une reconnaissance scientifique de la part des médecins de santé publique, recherche d’une amélioration de son image auprès des généralistes pour la caisse primaire d’assurance maladie...). Enfin, cette campagne a été faite dans une région où on compte 600 médecins généralistes, avec une population de 170 000 individus. Un 402 C. HERBERT, G. LAUNOY MODÈLE ADMINISTRATIF • Initiative • Financements MODÈLE MIXTE • Caisse Nationale AM et FNPEIS • FNPEIS et Institutions départementales ou régionales publiques ou semi-publiques • Comité paritaire et • Médecin hospitaloson bureau universitaire • Deux représentants • Pas de représentant • Structure dirigée par • Structure dirigée par un membre du bureau l’initiateur représentant du Comité • Caisse Nationale AM • Médecin hospitalouniversitaire et FNPEIS • Institutions • FNPEIS départementales publiques ou semi-publiques • Décisions • Caisses locales AM • Santé publique • Evaluation • Pas de représentant • Non faite • Recherche • Organisation • Aucune • Par la Caisse locale • Procédure • Système • Imposée • Système médicoadministratif • Région • Politique-Population • Niveau • Politique MODÈLE MÉDICAL • En Gastro-entérologie • Par la structure chargée de l’évaluation • Négociée • Utilisation système libéral • Canton • Médical-PopulationPolitique • En Santé Publique • Par le bureau représentant le Comité • Semi-négociée • Réorganisation système libéral • Département • Politique-MédicalPopulation Figure 4 : Comparaison des modèles et principales caractéristiques. dispositif législatif et un soutien logistique, scientifique et financier national, ont manqué. La figure 4 regroupe les principaux éléments de comparaison. Le dépistage des cancers dans le système de soins français Au niveau institutionnel, la position de la prévention au sein du système de santé français demeure marginale, l’inadéquation des nomenclatures à en saisir la réalité économique en est le reflet. Nombre d’activités médicalisées de prévention (prise de la tension artérielle, dosage du cholestérol…) ne sont pas différenciées de la consommation de soins médicaux. Schématiquement, la prévention peut se développer de deux manières dif- férentes : sous une forme autoritaire, axée sur l’expertise professionnelle et l’action tutélaire des agences étatiques, ou sous une forme supposée plus active, axée sur la responsabilité de l’individu et son éducation [17, 28, 43]. La forte tradition libérale du système de soins français favorise le choix de la deuxième solution. Comme nous l’avons vu plus haut, l’intégration sans adaptation du modèle administratif d’origine anglosaxonne aboutit à un échec au niveau de la population. En France, on ne peut se passer d’une implication active des médecins libéraux dans l’organisation d’une action de santé publique. Il s’agit bien alors d’une reconfiguration de l’espace social de la santé, d’une redéfinition des domaines de compétence et de leurs frontières, et d’un rapport nouveau entre les professionnels, la société et LE DÉPISTAGE ORGANISÉ DU CANCER COLORECTAL EN FRANCE. SYSTÈME DE SOINS ET LOGIQUES PROFESSIONNELLES l’état. Les principaux conflits d’intérêts portent sur l’accès à une reconnaissance et à une position d’influence dans ce nouvel espace qui leur est imparti. Actuellement, trois cancers peuvent bénéficier d’un dépistage organisé : le cancer du col de l’utérus, le cancer du sein et le cancer du colon. Les difficultés soulevées par le dépistage organisé du cancer colorectal sont communes, à des degrés différents, aux deux autres dépistages. En France, l’offre de soins est pléthorique, l’accès aux soins est relativement facile, et l’actuelle nomenclature des actes permet de pratiquer avec remboursement, les tests de dépistage de façon individuelle comme un examen diagnostic. Si, à travers le dépistage individuel, les différents intervenants continuent d’exercer sans contrainte scientifique ou économique, avec le dépistage organisé, ils perdent une partie de leur liberté et de leurs avantages financiers. Si le dépistage s’inscrit dans une entreprise de contrôle médical de la population (contrôle social), par son caractère organisé, il vise surtout à contrôler les professionnels. La période à venir qui s’articule autour du triple problème de l’accessibilité aux soins, de la maîtrise des dépenses de santé et du réexamen de ce qu’est l’exercice médical, met en jeu la question de la relégitimation de la profession [50]. L’adoption d’une technique nouvelle comme celle du dépistage organisé, qui provoque une rupture avec la médecine, jusqu’alors pratiquée, puisqu’elle est collective, est particulièrement difficile à mettre en place parmi les professionnels libéraux. Ils voient peu l’intérêt d’une telle adoption sur le plan scientifique comme sur le plan économique. De plus, à ce jour, l’élite hospitalo-universitaire agit peu pour promouvoir 403 le dépistage des cancers dans les revues professionnelles ou non professionnelles. Elle ne tente pas d’appliquer son savoir et ses valeurs en ce domaine et n’agit donc pas comme l’entrepreneur moral, qui dit le vrai (scientifiquement) et le juste (socialement), qui est son rôle habituellement en matière de santé [25]. En revanche, les acteurs de santé publique trouvent dans le dépistage, en partie grâce aux controverses, de nombreuses sources de publications, et un endroit où s’exprimer et montrer leur savoir-faire. De même, les médecins généralistes, touchés par l’accroissement des effectifs ainsi que par les contraintes imposées par l’institution avec laquelle ils passent convention, cherchent à mettre en place d’autres stratégies professionnelles. Devenir un acteur référent du dépistage organisé des cancers du sein, du col et du colon, répond à leur recherche de nouveaux domaines d’exercice, leur reconquête d’une autonomie, l’élaboration d’une nouvelle identité professionnelle et d’une reconnaissance publique, à partir de l’activité quotidienne auprès des patients. Cependant, dans les deux modèles qui s’appuient sur le monde libéral (modèle médical et modèle mixte), l’expérience démontre l’inadéquation du paiement à l’acte et la nécessité d’une rémunération et d’une reconnaissance spécifique des actions de prévention. Intégrer cette pratique à leurs activités habituelles moyennant reconnaissance et rémunération, nécessite le changement des conventions et de la nomenclature. Cependant, il persiste qu’il n’est pas possible de baser l’action uniquement sur un modèle médical. Les raisons en sont que d’une part, les modalités techniques sont difficilement reproductibles à plus grande échelle, d’autre part le dépistage des cancers répond à des critères diffé- 404 C. HERBERT, G. LAUNOY rents de ceux habituellement en cours en médecine curative [1, 8]. Concernant le cancer colorectal, si l’expérience réalisée en Bourgogne a permis d’opposer un modèle médical enthousiasmant, à un modèle administratif ayant vite rencontré ses limites, l’expérience du Calvados, tentative de modèle mixte, est sans doute plus représentative de ce qui est réalisable en France et les écueils sur lesquels elle a échoué devraient faire partie intégrante de la réflexion actuelle sur les conditions de la faisabilité du dépistage en France. Propositions pour l’amélioration de l’organisation des dépistages des cancers en France En France, le dépistage du cancer du col est organisé par une « Commission Cancer » dirigée par les cancérologues. Le cancer du sein a depuis peu un comité national de pilotage, et le cancer du colon une commission scientifique. Ces trois structures illustrent bien le cloisonnement qui persiste entre les disciplines médicales. Or, le dépistage des cancers est une action de santé publique collective qui intéresse l’ensemble du corps médical. Une structure paritaire nationale réunissant ces trois dépistages, composée de tous les corps de métiers concernés, regrouperait les intérêts de chacun et aiderait à déterminer une politique globale de santé publique en matière de dépistage des cancers. Elle élaborerait un cahier des charges opposable et déciderait des financements provenant de la caisse nationale d’assurance maladie ou de structures privées (figure 5). Au niveau régional, une structure relais de type associatif serait créée. Elle établirait le cahier des charges dépar- temental ou régional répondant aux exigences formulées nationalement. Dans cette association, la présence des leaders respectifs, de représentants de santé publique, de représentants des spécialités médicales concernées et des cofinanceurs serait demandée. Elle serait chargée d’assurer la formation des professionnels concernés, et de nommer des personnes qui assureraient, à temps plein, le suivi des individus, de la qualité du dépistage et l’évaluation médicale, économique et psychosociale des campagnes. En sus de mesures organisationnelles et de formation du corps médical, des mesures réglementaires pourraient être prises telles que la réglementation du dépistage individuel et/ou le changement de codification dans la nomenclature des actes de dépistage qu’ils soient individuels ou organisés. De même, après prise en compte des exigences de protection des personnes, l’accès à un fichier unique de population est nécessaire. Plutôt que de parler de l’impossibilité de mettre en place une action collective en France, pourquoi ne pas mettre l’accent sur le transfert d’idées et de culture nécessaire, et sur les moyens de parvenir à réaliser convenablement ce transfert ? Le passage par la médecine libérale est incontournable pour des raisons économiques (difficile d’exclure et/ou d’empêcher l’activité d’un grand nombre de médecins libéraux) mais aussi pour des raisons humaines (la plupart des patients attendent de leur médecin qu’il soit l’acteur privilégié du maintien de leur santé). Le médecin, et en particulier le médecin généraliste, est le mieux placé pour orienter le dépistage sur la bonne population cible (sexe, âge, antécédents personnels et familiaux…) [10], et pour instaurer un suivi spécialisé LE DÉPISTAGE ORGANISÉ DU CANCER COLORECTAL EN FRANCE. SYSTÈME DE SOINS ET LOGIQUES PROFESSIONNELLES 405 ASSOCIATION AVEC STATUTS JURIDIQUES Comprenant tous les professionnels impliqués Recherche financements extérieurs Assurance formation des professionnels et assurance qualité Caisse Nationale d'Assurance Maladie • Assure une partie du financement Structure représentative locale • Dirige, gère, évalue et contrôle comprenant leader(s) local(aux) et représentant(s) de santé publique • Gère un fichier spécifique • Information et sélection de la population pouvant recevoir le ou les test(s) de dépistage de cancer • Proposition des tests de dépistages de cancer par les médecins de 1re intention • Suivi de l'individu par le médecin proposant • Signalement à la structure représentative des personnes ne devant pas recevoir le test ; des résultats ainsi que des effets secondaires tant médicaux que psychologiques Figure 5 : Organigramme modèle à créer (Niveau régional). et contractualisé sur plusieurs années en coordonnant les modalités d’accès aux différents dépistages organisés. Adapter l’organisation au système en place est un choix qui a montré ses limites. Intégrer une démarche de santé publique dans un système dominé par le marché est un contresens. Pour avoir une réelle politique de santé publique, il est sûrement plus profitable d’adapter le système à l’organisation. Ceci passe par la formation à de nouvelles pratiques des acteurs concernés, leur valorisation et leur reconnaissance, et la modification des conventions, de la nomenclature des actes et de l’accès aux soins. La création d’outils nouveaux comme les réseaux et filières de soins et la formation médicale continue obligatoire, est probablement le premier pas en direction de la nécessaire adaptation du système de soins français et de sa nomenclature, pour améliorer la faisabilité des programmes de dépistage des cancers et augmenter leur chance de succès. 406 C. HERBERT, G. LAUNOY BIBLIOGRAPHIE 1. Allemand H. Décisions éthiques et aspects socio-économiques de la prévention. 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