L`image de l`Islam dans « Une si longue Lettre » de Mariama

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L'image de l'Islam dans « Une si longue Lettre » de Mariama Bâ
Cheikhou Diouf
Abstract
This article shows that polygamy is one of the most controversial moslem institutions. Islam authorises it when it
becomes a social necessity. But when men go too far, Islam has no mechanism as to its regulation, as was the case in
Egypt in 1926. The banning of marriages between moslem women and Jews or a Christians has nothing to do with the
Koran ; it is the outcome of various interpretations :
1- The self-centred interpretations of the Koran by a number of people.
2- The confusion between clergymen (Jews and Christians) and atheists who under no circumstances are allowed to
marry a moslem woman, and vice versa.
3- Sociocultural prejudices.
This analysis of the concept of death in Une si longue lettre shows the way Islam is affected by African beliefs among
African moslems. Sacrifies are in keeping with African traditions. Prayers, words, and mourning clothes are Koran-
inspired. But ancestral traditions and customs are never far away.
N'étant pas spécialiste de la littérature africaine, notre analyse se fera sous l'angle de la
civilisation islamique. Les thèmes abordés dans ce roman sont étroitement liés à l'Islam. Il s'agit
notamment de l'éducation, de la polygamie et de la mort.. Dans son étude consacrée au roman
« une si longue lettre » de Mariama Ba, Marie Gresillon affirme: "Le but du roman est de
condamner la polygamie en particulier, pratique bien ancrée dans les mœurs, que personne ne
songe à remettre en cause"1 Cette analyse montre que la polygamie est l’institution islamique la
plus critiquée par les femmes intellectuelles.
Telle qu'elle est souvent pratiquée, la polygamie semblerait profiter plus aux hommes.
Elle devient plus complexe dans les pays musulmans comme le Sénégal, carrefour de rencontres
et de brassage des cultures des civilisations: négro-africaine, arabo-islamique et occidentale.
Cette complexité se manifeste clairement à travers la pensée de Mariama Bâ, dont l'œuvre a
embrassé plusieurs domaines de la vie, en relation avec l'Islam.
Assistant, Université Gaston Berger de Saint-Louis.
1 Marie, Gresillon, Une si longue lettre de Mariama Bâ Issy les Moulineaux les Classiques africaines, 1986, p. 12.
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1.Education
L'auteur a reçu une éducation islamique de sa famille et de son entourage, où elle a été
initiée à l'école coranique avant d'être formée à l'école occidentale. Cette initiation constitua un
temps fort dans sa vie. Dès la première page du roman, elle évoque ses souvenirs de l'école
coranique qui sont restés gravés dans sa mémoire " Nous, nous avons usé pagnes et sandales sur
le chemin caillouteux de l'école coranique"2. Son éducation reflète une fidèle image de la
tradition musulmane qui convie hommes et femmes à l'apprentissage du Coran. C'est ce qui, de
tout temps, permit aux femmes de jouer un rôle important dans le développement social et
culturel de la cité, depuis l’époque des compagnons du Prophète :
Umar Ibn Al-Hattäb s'était fait aider lors de son Halïfa d'une femme parmi les
"muhäjirät" ou immigrées quraysit qu'il a nommée contrôleur dans le marché de
Médine. Il s'agit de Chifa Bint Abdalläh qui contrôlait les prix et prononçait des
jugements en cas de litiges concernant les transactions. Au 2ème siècle de l'hégire,
correspondant au 8ème de l'ère chrétienne, le mouvement scientifique islamique a
commencé à se développer. Les femmes commencèrent à fréquenter les cercles des
causeurs, des théologiens et des savants en religion avant de devenir des savantes et
animatrices de cercles, certaines ont connu la célébrité dans les différents pays
musulmans. L'une de ces célèbres femmes savantes était la servante de la mère du
Calife Al Moqtadir, appelée Thomal. Elle s'est assise en 302 de l'hégire pour juger une
affaire opposant deux (2) individus, en se faisant entourer des juges et des savants. Il y
avait des divergences de vue entre les savants de l'Islam au sujet de l'exercice des
fonctions de juge par une femme. L'Imam Attabarî, l'un des plus éminents exégètes du
Coran à son époque, a admis qu'une femme peut être juge3
Outre la justice, les femmes musulmanes ont en tout temps exercé des fonctions dans
tous les domaines de la vie sociale: enseignement, finance, médecine et même armée au besoin, à
côté des hommes. Au Sénégal par contre, l'apprentissage des sciences islamiques est un domaine
exclusivement réservé aux hommes, sauf dans des cas extrêmement rares, où quelques rares
2 Mariama Bâ : Un si longue lettre, Dakar : Nouvelles Editions Africaines, 1998, p. 7.
3 Shwqi Dayf : L’universalité de l’Islam, l’Organisation islamique pour l’Education, Les Sciences et la culture
(USESCO) 1980, pp 72-73.
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femmes musulmanes sénégalaises dont la connaissance se limite uniquement à la récitation de
quelques versets coraniques. En conséquence, certaines inégalités sociales dont les femmes
sont victimes au Sénégal et dans certains pays musulmans sont inhérentes à l'ignorance et à une
fausse interprétation des normes islamiques. Il va s'en dire que les mouvements féministes
musulmans, dont l'objectif principal est bien sûr la promotion et la défense de la cause féminine,
doivent s'armer d'une solide connaissance de l'Islam. Les femmes musulmanes critiquent ce
qu’elles appellent " l'impérialisme masculin", dû à l'Islam, une religion à laquelle elles croient
aveuglément, sans aucune connaissance. Par conséquent, elles confondent souvent la loi
islamique avec les coutumes ancestrales. Cette confusion se manifeste dans toutes les pratiques
sociales.
2.Mariage polygamique
Avant l'Islam, la polygamie était une pratique sociale observée tant dans la société arabe
que dans la société négro-africaine. Elle y était pratiquée sans aucune réglementation. Dans son
ouvrage relatif au royaume de Ghana, Al-Bakrî écrit :
Un étang-déversoir où poussent des plantes dont la racine est aphrodisiaque au plus
haut point. Mais le roi en interdit l'usage, qu'il se réserve à lui seul. Il est vrai qu'il a
quantité de femmes. Lorsqu'il veut aller les voir, il les avertit la veille et il prend ce
médicament: de la sorte, il les visite toutes l'une après l'autre, sans ressentir la moindre
fatigue. Un des rois voisins, musulman, lui fit un présent superbe, en lui demandant un
peu de cette racine en échange, il ne reçut qu'un cadeau équivalent, avec une lettre ainsi
conçue :" Il n'est permis aux musulmans d'épouser qu'un petit nombre de femmes. Si je
t'envoyais la drogue que tu me demandes, je craindrais de te mettre dans un tel état que,
ne pouvant te contenir, tu te livrerais à des excès réprouvés par ta religion. Mais je
t'envoie une herbe : si tu es impuissant, elle te permettra d'être père4
Dans la polygamie traditionnelle, il n'y a aucune condition ni restriction pour le nombre
des femmes qu'un homme peut épouser. En cela la loi musulmane paraît plus souple, plus
raisonnable et plus en accord avec les besoins de la société. La narratrice qui a connu la
4 Vincent, Monteil : Al Bakrî, Cordoue 1068 Routiers de l’Afrique blanche et noire du Nord-Ouest, Dakar : IFAN.
1968,p. 69.
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polygamie traditionnelle exprime son regret et son amertume." Je pleurais tous les jours. Dès lors,
ma vie a changé. Je m'étais préparée à un partage équitable selon l'Islam, le domaine
polygamique. Je n'eus rien entre les mains"5. On ne manquera pas de remarquer que la narratrice
est l'une des rares romancières et féministes à avoir apprécié la polygamie en Islam, à sa juste
valeur. Par cette appréciation, l'auteur fait la différence entre la polygamie en Islam et la
polygamie traditionnelle dont elle dit :
Je connais tous les pièges pour avoir fait ma propre expérience. Tu crois simple le
problème polygamique. Ceux qui s'y meuvent connaissent des contraintes, des
mensonges, des injustices qui alourdissent leusr consciences pour la joie éphémère d'un
changement. Ces contraintes, mensonges et ces injustice qui caractérisent cette
polygamie6
Ce genre de mariage dont le motif principal est la joie éphémère d'un changement et du
matérialisme, n'a rien de commun avec la polygamie en Islam citée plus haut que " la mosquée
où a lieu ce mariage". Cette différence s'explique par les facteurs suivants. En Islam, le
mariage est un contrat basé sur un consentement mutuel entre les deux parties contractantes. Ce
qui n'est pas le cas pour le mariage de Binetou, la co-épouse de la narratrice.
Sa mère qui veut tellement sortir de sa condition médiocre et qui regrette tant sa beauté
fanée dans la fumée des feux de bois; qu'elle regarde avec envie tout ce que je porte:
elle se plaint à longueur de journée. Sa fille Binetou, navrée, épouse son " vieux". Sa
mère a tellement pleuré. Elle a supplié sa fille de lui " donner une fin heureuse, dans une
vraie maison" que l'homme leur a promise. Alors, elle a cédé sous la pression de sa
mère " en furie, qui hurle sa faim et sa soif de vivre et des promesses de l'homme en
question : villa, pèlerinage à la Mecquee, voiture, rente mensuelle et bijoux. Devant
cette situation, Binetou fut sacrifiée "comme beaucoup d'autres sur l'autel du
"matériel"7
5 Maraima Bâ, op cit, p. 69.
6 Mariama Bâ ,op cit p. 36.
7Idem Ibid p.55.
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Son mariage polygamique est donc conclu sans aucun consentement de sa part. Alors
qu'en Islam, l'échange des consentements est une condition sine qua non pour la validité du
mariage. Tout consentement donné sous pression ou violence, entraîne la nullité du mariage.
Donc le consentement doit être donné, conformément aux règles des valeurs morales et
religieuses. Autrement dit, le mariage doit être "un acte de foi et d'amour, un don total de soi à
l'être que l'on a choisi et qui vous a choisi »8.
Tel n'est pas toujours le cas pour la plupart des mariages polygamiques conclus, sous le
manteau de l'Islam, dont les recommandations ne sont toujours respectées que par une petite
minorité d'hommes conscients de leur responsabilité et de leur autorité mentionnées dans le
Coran, « Les hommes ont autorité sur les femmes en vertu de la préférence que Dieu a accordé à
certains sur d'autres et en vertu des dépenses qu'ils font pour assurer leur subsistance »9 En vertu
de ce verset, nous comprenons aisément que l'autorité de l’homme sur sa femme signifie que la
responsabilité et toute la charge familiale reviennent au mari qui a l'obligation de subvenir à
l'entretien de sa femme, quels que soient sa fortune et son rang social comme clairement expliqué
dans la sourate II : « C’est au père de l’enfant qu’il incombe de nourrir et de vêtir la mère,
conformément aux usages en vigueur.10
Pour la femme, Dieu a évoqué sa responsabilité en tant que mère : « Nous avons
recommandé à l’Homme ( la bienfaisance envers) ses père et mère l’a porté ( pendant 9 mois
subissant pour lui peine sur peine). Son sevrage a lieu à deux ans ; sois reconnaissant envers moi
ainsi qu’envers les parents 11. Si l’homme supporte les frais de la famille, l’épouse est
responsable de la vie du foyer. Dans un hadîth, le prophète Mouhamed (PSL) explique ce partage
de responsabilité entre les deux dans la famille : Ibn Oumar rapporte ces propos du Prophète
(PSL) : « chacun de vous est un berger et chacun de vous est responsable de son troupeau. Le
prince est un berger, l’homme est un berger pour les membres de sa famille. La femme est un
berger dans le foyer de son époux et vis-à-vis de ses enfants. Chacun de vous est un berger et
8 Idem Ibid p 58.
9 Coran , Sourate IV, verset 34.
10 Coran Sopurate II, verset 2 33.
11. Coran, Sourate XXI, verset 14.
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