ASPECTS EPIDEMIOLOGIQUES DES CANCERS AU CENTRE NATIONAL HOSPITALIER ET UNIVERSITAIRE DE COTONOU C.P. ZINSOU*, L. FOURN*, T. ZOHOUN* RESUME Il s'agit d'une étude retrospective réalisée dans le but de mesurer la fréquence des cancers de toute origine au Centre National Universitaire de Cotonou durant la période 1986 - 1988. Les auteurs rapportent que la fréquence globale des cancers est de 1,30% avec une propension des cas jusqu'à 55 ans et une importante inflexion par la suite. Les cancers digestifs sont les plus fréquents, deux hommes sont atteints pour une femme, en tête le cancer primitif du foie (16,90%). Le cancer du sein occupe la seconde place (13,81%). Sur la base des fréquences relatives, les auteurs ont identifié les 10 premiers cancers qui affectent la population. Le cas particulier des enfants fait remarquer un taux élevé dans la tranche d'âge de 0 à 4 ans avec une prédominance des néphroblastomes et des rétinoblastomes. Au rang des suggestions, la mise en place d'un registre national des cancers au Bénin apparaît comme un outil efficace pour la surveillance épidémiologique de cette affection. Mots clés : Cancer - fréquence - surveillance épidémiologique. 1 - INTRODUCTION Le cancer constitue de nos jours l'une des principales causes de décès de l'adulte. Un décès sur dix est imputable au cancer dans le monde (14). C'est une affection connue de vieille date dans les pays développés alors que dans les pays en voie de développement la conscience collective des populations commence à peine à émerger. Au Bénin les premiers cas de cancer ont été signalés par Aubry en 1971. Mais dans l'ensemble le faciès épidé- miologique de cette affection est demeuré peu connu. Notre travail vise à faire le point sur les cancers enregistrés au Centre National Hospitalier et Universitaire de COTONOU de 1986 à 1988 en vue de dégager les caractéristiques statistiques des 10 premiers cancers du pays et de proposer des mesures de surveillance épidémiologique de l'affection. 2 - CADRE ET METHODE DE TRAVAIL. 2. 1 - Cadre Le Centre National Hospitalier et Universitaire est l'hôpital de référence du pays et comporte 681 lits fonctionnels répartis dans les trois ordres de services qu'on y retrouve. - les services chirurgicaux et spécialités chirurgicales - les services médicaux et spécialités médicales - les services médico-techniques. Les malades sont le plus souvent référés par les formations sanitaires périphériques. Néanmoins d'autres malades de la ville de Cotonou se présentent directement en consultation dans les services spécialisés sans transiter par les centres de santé de District ou par l'hôpital provincial. En dehors des services suscités, il existe une unité de diagnostic et d'étude en cytologie (UDEC) dirigée par un histologiste qui apprête et expédie les pièces prélevées vers les laboratoires Européens. 2. 2 - Méthodes Nous avons effectué une enquête rétrospectives étendue sur 3 ans (1986 - 1988) au cours de laquelle nous avons procédé à un recensement de tous les cas de cancers des différents services du centre de référence. Nous avons colligé 783 dossiers dont 548 seulement sont retenus en raison des critères de diagnostic et de de l'état incomplet des dossiers. En effet nous avons supprimé les dossiers non à jour et ceux ayant fait l'objet de plusieurs enregistrements. Le traitement des données a été manuel. Nous avons utilisé les tests des écarts-types et de KHI-carrés pour comparer les fréquences obtenues dans les différents services. * Département de Santé Publique - Faculté des Sciences de la Santé de COTONOU - B.P. : 188 - COTONOU. Médecine d'Afrique Noire : 1990, 37 (5) C.P. ZINSOU, L. FOURN, T. ZOHOUN 231 3 - RESULTATS DE L'ETUDE 3. 1 - Evolution de la fréquence des cancers enregistrés de 1986 à 1988 En trois ans, sur 42.033 malades hospitalisés pour diverses a ffections, nous avons retenu 548 dossiers de malades admis pour cancer. La prévalence globale de 1,30% fluctue entre 1,25% et 1,42%. Cette prévalence n'augmente pas dans le temps comme l'indique le tableau 1. (x2 = 1,699 < 5,991 avec ddl = 2 et x = 0,05) TABLEAU 1 : Prévalence des cancers au CNHU de COTONOU 1986 à 1988 Années Malades Hospitalisés Nombre de Cancéreux Fréquence % 1986 15.058 188 1,25 1987 14.845 188 1,27 1988 12.150 172 1,42 TOTAL 42.053 548 1,30 3. 2 - Distribution des cas de cancers selon l'âge et le sexe La répartition des malades selon le sexe nous amène à constater que les hommes et les femmes sont égaux devant le cancer. Nous avons dénombrer 50,9% d'hommes et 49,1% de femmes. La différence n'est pas statistiquement significative (x2 = 11,9 < 14,06 avec ddl = 6 et x = 0,05). La fréquence des cas selon l'âge indique une classe modale située entre 45 et 65 ans regroupant 40,27% des cas enregistrés. La distribution des cas selon l'âge présente une propension jusqu'à 55 ans suivie d'une inflexion importante. TABLEAU 2 Fréquence des cancers selon l'âge et le sexe Sexe Masculin Féminin Total Age 0 - 14 15 - 24 25 - 34 35 - 44 45 - 54 55 - 64 65 - 74 75 et plus Indéterminé 12 15 28 38 60 58 43 25 0 22 15 32 41 51 52 38 11 8 34 30 60 79 111 110 81 36 8 TOTAL 279 269 548 Médecine d'Afrique Noire : 1990, 37 (5) 3. 3 - Fréquence des cancers par service Le service d'ORL et de chirurgie cervico-faciale se distingue des autres par la fréquence des cancers enregistrés soit 17,8%. Les services de Médecine Interne (3,2%) d'Ophtalmologie (3,0%) et les cliniques chirurg i c a l e s (2,43%) suivant de loin comme l'indique le tableau 3. TABLEAU 3 : Fréquence globale des cancers par service Service ORL et chirurgie cervico-faciale Médecine Interne Ophtalmologie Chirurgie Hématologie Gynéco-Obstétrique Pédiatrie Dermato-vénérologie TOTAL Nombre de cancéreux Hospitalisés Fréquence 78 179 10 200 4 58 15 4 548 439 5.716 330 8.229 174 16.583 10.576 6.253 42.017 17,80 3,20 3,00 2,43 2,30 0,35 0,14 0,06 1,30 3. 4 - Distribution des cas de cancers par localisation et par sexe Les cancers de la voie digestive sont plus fréquentés avec une proportion importante (28,18 sur 100 cas). Deux hommes sont atteints pour une femme. Par ailleurs le cancer du sein frappe les femmes en majorité (96,05%) contre 3,95% d'hommes. L'atteinte de l'appareil génital féminin vient en 3ème position avec une fréquence de 12,72%. La fréquence des autres cancers comme l'indique le tableau 4, varie de 11,82% à 1,64%. TABLEAU 4 Répartition des cancers par localisation et par sexe Sexe Masculin Féminin TOTAL 107 3 0 52 40 31 10 11 9 5 4 6 280 48 73 70 13 15 19 07 11 3 5 5 3 270 155 76 70 65 55 50 17 22 12 10 9 9 550 Localisation digestive mammaire (sein) génitale uro-génitale ORL hématologie locomotrice dermatologique pleuro-pulmonaire oculaire thyroïdienne autres localisations TOTAL ASPECTS EPIDEMIOLOGIQUES DES CANCERS AU CNHU DE COTONOU 3. 5 - Répartition des cas de cancers chez les enfants De la naissance à 4 ans, 44,12% des enfants sont atteints dans la proportion de deux garçons pour trois filles tandis que de 5 à 14 ans cette proportion devient un garçon pour deux filles. Les néphroblastomes, les rétinoblastomes ainsi que les cancers du sang sont les plus enregistrés (70,58%) des tumeurs malignes. 232 Dans les autres provinces, en dehors de l'Atacora, nous avons enregistré des cas de malades cancéreux à des proportions différentes (Tableau 6). Un groupe de malades n'a pu préciser exactement sa résidence réelle (5,48%). TABLEAU 7 : Répartition des cancers selon le lieu de résidence des patients Résidence TABLEAU 5 Fréquence des cancers chez les enfants selon l'âge et le sexe Sexe Masculin Féminin TOTAL 6 3 3 12 9 6 7 22 15 9 10 34 Age 0-4 5-9 10 - 14 TOTAL 3. 6 - Classement des cancers Il ressort de notre étude les 10 premiers cancers à différentes localisations recensés au Bénin tels qu'indique le tableau suivant. TABLEAU 6 Fréquence et classement des 10 premiers cancers au CNHU CATEGORIES DE CANCER Le cancer primitif du foie Le cancer du sein Le cancer du col utérin Le cancer de la prostate Les lymphomes malins Le cancer de l'oesophage Le cancer de la peau Les leucémies Le cancer de l'estomac FREQUENCE RANG 16,90% 13,81 7,82% 6,54% 5,27% 4,18% 4,00% 3,27% 2,72% 1er 2ème 3ème 4ème 5ème 6ème 7ème 8ème 9ème 3. 7 - Provenance des malades Le recrutement des malades enregistrés est fonction de l'éloignement de leur domicile de l'hôpital. Dans notre série, 77,19% des patients résident dans la province de l'Atlantique, lieu d'implantation du Centre National Hospitalier et Universitaire. La prédominance des cas dans cette province de l'Atlantique dont COTONOU est le cheflieu, s'explique par la facilité d'accès des patients résidents. Atlantique Ouémé Mono Zou Borgou Atacora Etrangers Indéterminés TOTAL Nombre de cas Pourcentage 423 33 23 30 2 7 30 548 77,19% 6,02% 4,20% 5,47% 0,36% 1,28% 5,48% 100,00% 3. 8 - Fréquence des cas de cancers selon le gro u p e ethnique des malades La majorité des cancers sont recrutés dans les groupes ethniques FON et MAHI (35,82%) suivis d'une forte proportion (29,74%)) de patients dont l'éthnie n'est pas déterminée. Les Goun et les Azïo (10,94%) viennent en troisième position. La prépondérance des FON et MAHI s'explique par le fait que le Centre National Hospitalier et Universitaire soit implanté dans le milieu de ce groupe ethnique. Ainsi l'éthnie ne semble pas influencer la fréquence des cancers dans notre série. Le tableau 7 indique clairement la répartition par groupe ethniques. Par ailleurs nous n'avons pu déterminer le groupe ethnique de certains patients qui se réclament de plusieurs éthnies (29,74%). TABLEAU 8 Répartition des malades selon le groupe ethnique ETHNIES Fon et Mahi Indéterminés Goun et Aïzo Nagot Ouatchi Adja Houeda Dendi Non Béninois Batonou TOTAL Nombre de cas Pourcentage. 196 163 60 44 40 18 16 6 4 1 548 35,77 29,74 10,95 8,03 7,30 3,28 2,92 1,09 0,73 0,19 100% Médecine d'Afrique Noire : 1990, 37 (5) C.P. ZINSOU, L. FOURN, T. ZOHOUN 233 DISCUSSION Les résultats de notre étude indiquent que la prévalence du cancer au Centre National Hospitalier et Universitaire de Cotonou est de 1,3%. Ce faible taux s'explique d'une part par le comportement des malades et de leur famille qui, évoquant les effets d'une transgression des ancêtres s'adressent souvent aux tradipraticiens. La fréquence de l'affection varie d'un service à un autre. Elle est de 3,2% en médecine et 2,4% en chirurgie. Ces différents taux sont similaires à ceux rapportés par HOUNTONDJI (14) en 1983 dans les mêmes milieux. La maladie frappe avec la même fréquence l'homme et la femme. WA LTER et Collaborateurs au Gabon (15), HUTT au Malawi (8) ont obtenu une même conclusion tandis que BAYO Sène au Mali (4), PARAISO au Sénégal (15) et LAUREN P. en Tanzanie ont conclu à une prédominance masculine. Par ailleurs notre étude montre que cette fréquence augmente avec l'âge de 15 à 55 ans. Les personnes âgées sont atteintes de façon remarquable. Ce même phénomène se retrouve dans les statistiques du Mali (4), de Malawi (6) et du Niger (5). La distribution des cas de cancers recensés selon le site fait ressortir une prédominance des cancers digestifs (28,18%). AZALOUX et Collaborateurs (3) ont rapporté les mêmes constatations en Martinique avec un taux moindre (24,1%). Plusieurs auteurs incriminent le rôle non négligeable de l'alcool, de produits irritants et des aliments dans la genèse de ces cancers. Le cancer primitif du foie s'impose par sa fréquence (60% des cancers digestifs). C'est le premier cancer de l'homme (23,9%) et le troisième dans la série de ceux des femmes (9,6%). Si ces taux se rapprochent de ceux de SANKALE et GENDRON au Sénégal (15), de BAYO (4) au Mali et LOUBIERE (11) en Côte d'Ivoire, ils différent largement de KUNGU au Kenya (9) et de NGENDAHAYO(143) au Gabon (9,2% et 4,8%). Le cancer du sein, première tumeur maligne de la femme a une prévalence de 27,04%. Ce taux est analogue à celui trouvé par MUKHTAR au Soudan (26%) en 1978 (12) et supérieur à celui rapporté par LINDJORN (21%) au Sud de l'Ethiopie. En ce qui concerne le cancer des bronches, la prévalence est de 2,14% chez l'homme et 1,11% chez la femme. Elle est inférieure au taux enregistré au Gabon par NGUENBYMBINA, KLOTZ et Collaborateurs de 1981 à 1986 et plus élevée au Nigéria (0,1%) (5). Par ailleurs notre étude met en évidence chez les enfants une forte fréquence de néphroblastome 26,47% avec une prédominance chez les filles âgées de moins de 15 ans (27,27%) contre 25% chez les garçons. Au Nigéria ABIOYE a rapporté dans une étude faite à Ibadan 4% chez les garçon et 9% chez les filles tandis que selon CEDERQUIST ces taux à Zaria sont de 1% chez les garçons et 9% chez les filles. Ces différents taux sont nettement inférieurs à ceux de notre étude mais la prédominance féminine est un paramètre identique dans les deux pays. SUGGESTIONS Au terme de notre étude,certaines suggestions s'imposent en vue de la surveillance épidémiologique dans le pays. Il s'agit de : 1 - Etendre à tout le pays une étude similaire des cancers en vue de mettre progressivement en place un registre de cancers au Bénin. 2 - Renforcer l'équipement du Centre National Hospitalier et Universitaire pour une prise en charge correcte des malades. 3 - Former le personnel de santé dans le domaine de l'anatomopathologie et de l'épidémiologie. 4 - Réviser en baisse le coût des prestations sanitaires, cause essentielle de refus d'hospitalisation et d'inaccessibilité aux outils diagnostiques de premier choix. 5 - Informer la population de l'importance de l'affection dans le pays ainsi que des mesures élémentaires de prévention relatives à la consommation des aliments moisis, à l'abus du tabac, de l'alcool et l'adoption d'un régime alimentaire pauvre en fibres végétales et riches en graisses. BIBLIOGRAPHIE 1 - ABIOYE A. A ; HENDRICKSE M. ; JUNAID T.A. NIGERIA : Ibadan cancer registry 1970 - 1976. 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