La pagode laotienne de Souffelweyersheim © Albert Huber
14 juin 2009 le messageR 5
Les 13 et 14 juin prochains, les communautés
bouddhistes d’Alsace renouvelleront le Vesak,
la manifestation qui commémore la naissance, l’éveil
et la mort du Bouddha. En quoi le bouddhisme se
différencie-t-il fondamentalement des autres
religions ?
Début de réponses avec la rencontre d’Olivier Reigen
Wang-Gen, président de l’Union bouddhiste
de France, et la découverte de la pagode laotienne
de Souffelweyersheim (67).
Dossier
livier Reigen Wang-Gen vit au temple
Kosan Ryumon Ji - de tradition Zen
Sôtô - à Weiterswiller. Une quinzaine de
moines et de nonnes vivent en perma-
nence dans ce lieu paisible proche de la forêt.
Le Messager : Comme le christianisme ou
l’islam, le bouddhisme est extrêmement
divers
Olivier Reigen Wang-Gen :
Il y a dans le boud-
dhisme trois grandes traditions elles-mêmes divi-
sées en écoles. Il y a 2 500 ans, le bouddhisme s’est
répandu en Inde, à Ceylan et dans le Sud-Est asia-
tique sous des formes très traditionnelles et
monastiques. Au premier siècle de notre ère, un
mouvement réformateur est apparu qui a réinter-
prété le bouddhisme dans un sens moins strict et
plus libre.
O
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DécouvRiR le bouDDhisme Régional
Une religion sans dieu,
sans foi, sans livre saint
6 le messageR 14 juin 2009
Le bouddhisme est-il une religion ?
Oui, très nettement. Certains le qualifient
de philosophie, c’est de la coquetterie intel-
lectuelle. Mais c’est une religion sans dieu,
sans foi, sans livre saint et cela surprend les
esprits occidentaux ; cela ne cadre pas avec
la définition occidentale de la religion.
Pour les bouddhistes laïcs, le Bouddha est
certes perçu comme un Dieu, il y a une
dévotion populaire très religieuse dans le
bouddhisme. Pour les moines, en revanche,
cest moins une votion quune expérience
personnelle, une pratique intérieure bae
sur des préceptes, qui ne sont d’ailleurs pas
si éloignés des préceptes judéo-chrétiens. Il
y a notamment trois grands principes de
base : ne fais pas de choses nuisibles, fais des
choses bénéfiques, et agis pour le bien de
tous les êtres.
Les juifs et les chrétiens pourraient aussi
dire cela ! Alors pourquoi devenir boudd-
histe ?
La différence, c’est que ce n’est pas en fonc-
tion d’une foi ou d’une croyance que ces
préceptes sont respectés dans le boud-
dhisme, mais en fonction de l’exrience.
Ceci dit, chaque croyant qui pratique vrai-
ment sa religion est proche des autres
croyants des autres religions qui pratiquent
vraiment leur religion. Le problème, c’est
quand quelqu’un dit : « Ma religion est la
seule vraie. » Dans toutes les religions il y a
des gens psychorigides qui pensent ainsi et
d’autres, plus ouverts.
Vous-même, vous ne pensez pas que le
bouddhisme soit la seule voie vers la
vérité ?
Pas du tout. J’ai au contraire un profond
respect des autres traditions religieuses.
Une religion sans dieu, sans livre saint,
sans foi Cela change la perspective
Dans le bouddhisme zen, il sagit d’abord de
se connaître soi-même. Ce n’est pas pour
autant un contle ou une maîtrise de soi,
on va beaucoup plus loin, c’est un oubli de
soi, un abandon. Il ny a plus de limite
entre soi et l’univers. On est « Un avec
l’univers ». C’est difficile à comprendre en
Occident, dans le cadre d’une pensée très
dualiste. Le bouddhisme n’est pas dualiste.
Le bouddhisme ne mène-t-il pas à une
forme de prise de distance indifférente
vis-à-vis du monde ?
Absolument pas ! Il existe une multitude
d’organisations caritatives et d’entraide
bouddhistes ! Le pape Jean Paul II avait un
jour dénoncé le caractère nihiliste du boud-
Dossier
Découvrir le bouddhisme
dhisme et cela avait susci un tollé. Il a été
obligé de se rétracter. C’est préciment ce
que les Occidentaux ne comprennent pas :
le bouddhisme dépasse le nihilisme, il
enseigne profondément le sens de la res-
ponsabilité à l’égard d’autrui.
A Weiterswiller, il ny a quasiment que des
Occidentaux convertis. Certains sociolo-
gues parlent dans ce cas de « néo-boud-
dhisme ». Etes-vous reconnus par les
Japonais à la tradition desquels vous vous
référez ?
Les bouddhistes occidentaux ne sont certes
pas toujours très « orthodoxes ». Ils ont une
vie sociale, professionnelle et familiale nor-
males, mais ce sont d’authentiques boud-
dhistes. Nous sommes clairement reconnus
par nos maîtres japonais
.
Propos recueillis par Michel Weckel
Pour en savoir plus : www.kosanryumonji.org
et www.bouddhisme-france.org
Fête du Bouddha, sous l’égide de l’Union bouddhiste de
France, samedi 13 juin et dimanche 14 juin au Pavillon
Joséphine à l’Orangerie à Strasbourg. Découverte du
bouddhisme, cérémonies d’offrandes, conférences, stands,
ateliers… Entrée libre. www.fetedubouddha.org
Trois moines tibétains
sinstallent dans une
caverne pour une
longue retraite. Deux ans
plus tard, un cheval entre dans
la caverne et en ressort de suite.
Trois ans plus tard, le premier moine dit :
« Il était beau ce cheval blanc ».
Trois ans plus tard, le second moine
répond : « Dabord, il nétait pas blanc
ce cheval, il était gris »
Quatre ans plus tard, le troisième moine
se lève : « Bon, puisque vous nêtes
jamais daccord, moi je pars. »
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© Michel Weckel
RepèRes
Le Bouddhisme compterait entre 375 et
500 millions dadeptes dans le monde. En
France, il y aurait 5 millions de « sympathi-
sants », 700 000 fidèles dont 400 000 dori-
gine asiatique. 10 % seraient pratiquants.
Pas de dogmes : Siddharta Gautama, né
en Inde autour de 624 av. JC, fut le premier
Bouddha (lEveillé). Il disait : « Essayez par
vous-même et voyez. »
Il y a cependant « Quatre nobles véri-
tés » : tout est souffrance car tout passe (la
vie, la santé, lamour, le désir) ; lorigine de la
souffrance est la soif, le désir, laccapare-
ment ; la délivrance est dans le détachement
complet ; la voie de lextinction de la souf-
france passe par la discipline du milieu juste.
Une notion essentielle : limpermanence.
Tout est transitoire, changeant, composé
déléments en perpétuelle transformation
Il nexiste par conséquent ni âme immortelle
ni Dieu éternel.
La roue est lemblème du bouddhisme
qui a une conception cyclique du temps
(contrairement au christianisme dont le
temps est orienté vers un but). Personne ne
peut en arrêter le mouvement perpétuel.
Le Nirvana nest pas le néant mais un état
dextinction des désirs, des passions. C'est un
refuge, une délivrance, le but suprême.
Les enseignements du Bouddha se trou-
vent dans les milliers de discours - les sutras -
qui lui sont attribués. Ces sutras nont pas le
statut de textes sacrés. Lenseignement du
Bouddha se vit comme un chemin.
Dans toutes les religions se pose à
un moment donné la question de linter-
prétation, léternel conflit entre lesprit et
la lettre
Exactement. Dans le bouddhisme zen, qui
est né au VIIe scle au Japon, il y a eu une
institutionnalisation stricte de la pratique,
l’accent a été mis sur la cérémonie (ce qui
est culturellement très japonais) et le cœur
du zen, qui est la méditation, a été remplacé
par la dimension cérémonielle. Un réfor-
mateur a balayé le superflu en remontant à
la source ; c’est aussi ce qu’a fait, il y a qua-
rante ans, Maître Demashimaru qui m'a
ordonné moine.
Il existe des associations bouddhistes
regroupant les personnes issues de l’im-
migration laotienne, cambodgienne…
mais il y a aussi des associations de
convertis. Pourquoi des Européens se
convertissent-ils au bouddhisme ?
Il y a des gens déçus par leur religion d’ori-
gine, d’autres sans religion qui viennent au
bouddhisme par recherche personnelle, via
la pratique de la méditation.
•••
Olivier Reigen Wang-Gen pratique le zen depuis
l'âge de 17 ans et a été ordonné moine en 1977.
14 juin 2009 le messageR 7
«
v
enez donc vous asseoir
à notre table et manger
avec nous ! » lancent de
toute part les fidèles au visiteur
venu à leur rencontre ce samedi
matin, en pleine cérémonie rituelle
de funérailles. La saveur toute asia-
tique des mets variés alignés sur les
tables incite à ne pas refuser cette
invitation des plus fraternelles, à
l’image de cette famille spirituelle
laotienne, vivante et chaleureuse.
Elle entoure ce matin ses quatre
moines vivant à demeure - dont le
moine supérieur : le Vénérable
Sutthithammo.
Nous sommes sous le toit de la
toute nouvelle pagode du Wat
Simoungkhoune, en plein champs
entre le canal et la gravière, à lEst
du ban communal de Souffel-
weyersheim. Une salle de prière de
140 m
2 au toit à trois pans brillant
de 13 000 tuiles vernissées et de
dragons stylisés dorés. Le tout
accolé à danciens locaux indus-
triels rénovés en salles de réunions,
cuisine, bureaux et logements.
« Au Laos (1), une pagode ou wat est
non seulement un lieu de culte mais
aussi une école, un lieu d’accueil, de
rencontre et de retrouvailles », expli-
quent Jean Changkongsil et Toutie
Luangkhot, responsables de lasso-
ciation CLASBEC (2) en charge des
lieux.
Car si le Wat est avant tout un
monastère, un centre de retraite, de
prières et de méditation, il est aussi
un centre culturel, cultuel et social.
Il favorise l’intégration des boud-
dhistes, symbolise la tolérance reli-
gieuse et culturelle de la commu-
nauté. Ce lieu permet à chacun de
venir sy recueillir, afin « dy trouver
la sérénité, la paix intérieure et d’y
pratiquer les traditions ancestrales
dignes de tous ceux qui ont la foi
dans le cœur. Notre volonté est das-
pirer à un dialogue permanent et
fécond entre toutes les communau-
tés de toutes confessions afin de pro-
mouvoir une cohabitation harmo-
nieuse dans le respect des lois et des
valeurs de la république, dans le res-
pect mutuel et de la concorde civile. »
Ainsi, en guise de frise murale, un
bandeau de tissu bleu-blanc-rouge
est fixé en hauteur tout autour de
la salle de prière.
Dans ces murs, célébrations reli-
gieuses selon le calendrier boud-
dhique, assistance sociale aux
démunis, ateliers d’initiation à la
langue lao, enseignement de dan-
ses traditionnelles, sessions de
méditation touchent une vaste
diaspora : quelque 700 fidèles de
tout lEst de la France, dAllemagne,
de Suisse, de Paris… Une dizaine
de familles françaises, dont quatre
à cinq familles strasbourgeoises,
émargent comme membres. Si les
offices traditionnels du calendrier
bouddhique des 8
e et 15
e jours de
pleine lune sont suivis par les res-
sortissants locaux, les douze célé-
brations annuelles attirent à cha-
que fois jusqu’à 300 personnes à
Souffelweyersheim. Sur deux jours
senchaînent repas communau-
taires, prières du soir, cérémonies
doffrande - nourriture, fleurs, bou-
gies - faite aux anges, aux parents
défunts, aux moines de la commu-
nauté et en final aux fidèles. Aux
grandes fêtes, comme le nouvel an
ou encore lentrée dans le carême
du 5 juillet, le centre est trop étroit
pour accueillir jusquà 500 fidèles.
« En respectant l’autre, on se res-
pecte soi-même » : telle est la phi-
losophie à la base de la foi de Toutie
Luangkhot qui se dit une Laotienne
atypique, car très intégrée à la vie
occidentale. « La France est notre
terre d’accueil. Nous les Asiatiques,
nous ne nous faisons pas trop enten-
dre. En sera-t-il de même pour les
jeunes générations ? » Comptable de
profession, mariée et jeune maman
de deux enfants, elle habite au
cœur du Kochersberg. « Ma foi est
une quête de paix, un certain nombre
de valeurs éthiques et une culture
que jai à cœur de transmettre à mes
enfants… » Jean Changkongsil,
avec la sagesse de son âge, confie
pour sa part que la méditation lui
permet de retrouver « la paix inté-
rieure, le bonheur physique et men-
tal. » Le message altruiste de
Bouddha se résume pour lui en
trois mots : « Tolérance, compassion
et respect mutuel. J’ai à manifester
beaucoup d’amour pour mon pro-
chain, à éviter de dire du mal de lui.
Car si je lui jette un caillou, il peut très
bien se retourner contre moi. Si je
jette un caillou dans leau sale, il peut
me salir. »
Albert Huber
(1) Laos : république populaire démocra-
tique d’Asie du Sud-Est depuis 1975, un
peu moins de la moitié de la superficie de
la France, 6 millions d’habitants, boudd-
histe à 60 % avec 2 % de chrétiens.
(2) CLABESC : Communauté laotienne
de soutien aux actions bouddhiques édu-
catives et culturelles.
En leur pagode du Wat Simoungkhoune en plein champs : une communauté bouddhiste laotienne
vivante et chaleureuse. Brève rencontre.
les laotiens De souffelweyeRsheim
Tolérance, compassion et respect
© Albert Huber
A la pagode de Souffelweyersheim, un repas rituel lors d'une cérémonie de funérailles.
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