Dossier Découvrir le bouddhisme régional Une religion sans dieu, sans foi, sans livre saint Les 13 et 14 juin prochains, les communautés bouddhistes d’Alsace renouvelleront le Vesak, la manifestation qui commémore la naissance, l’éveil et la mort du Bouddha. En quoi le bouddhisme se différencie-t-il fondamentalement des autres religions ? Début de réponses avec la rencontre d’Olivier Reigen Wang-Gen, président de l’Union bouddhiste de France, et la découverte de la pagode laotienne de Souffelweyersheim (67). O livier Reigen Wang-Gen vit au temple Kosan Ryumon Ji - de tradition Zen Sôtô - à Weiterswiller. Une quinzaine de moines et de nonnes vivent en permanence dans ce lieu paisible proche de la forêt. Le Messager : Comme le christianisme ou l’islam, le bouddhisme est extrêmement divers… Olivier Reigen Wang-Gen : Il y a dans le boud- dhisme trois grandes traditions elles-mêmes divisées en écoles. Il y a 2 500 ans, le bouddhisme s’est répandu en Inde, à Ceylan et dans le Sud-Est asiatique sous des formes très traditionnelles et monastiques. Au premier siècle de notre ère, un mouvement réformateur est apparu qui a réinterprété le bouddhisme dans un sens moins strict et plus libre. ••• 14 juin 2009 le messageR 5 Dossier Découvrir le bouddhisme Repères Bouddhisme compterait entre 375 et •500 Le millions d’adeptes dans le monde. En © Michel Weckel Le bouddhisme est-il une religion ? Olivier Reigen Wang-Gen pratique le zen depuis l'âge de 17 ans et a été ordonné moine en 1977. ••• Dans toutes les religions se pose à un moment donné la question de l’interprétation, l’éternel conflit entre l’esprit et la lettre… Exactement. Dans le bouddhisme zen, qui est né au VIIe siècle au Japon, il y a eu une institutionnalisation stricte de la pratique, l’accent a été mis sur la cérémonie (ce qui est culturellement très japonais) et le cœur du zen, qui est la méditation, a été remplacé par la dimension cérémonielle. Un réformateur a balayé le superflu en remontant à la source ; c’est aussi ce qu’a fait, il y a quarante ans, Maître Demashimaru qui m'a ordonné moine. Il existe des associations bouddhistes regroupant les personnes issues de l’immigration laotienne, cambodgienne… mais il y a aussi des associations de convertis. Pourquoi des Européens se convertissent-ils au bouddhisme ? Il y a des gens déçus par leur religion d’origine, d’autres sans religion qui viennent au bouddhisme par recherche personnelle, via la pratique de la méditation. Trois moines tibétains s’installent dans une caverne pour une longue retraite. Deux ans plus tard, un cheval entre dans la caverne et en ressort de suite. Trois ans plus tard, le premier moine dit : « Il était beau ce cheval blanc ». Trois ans plus tard, le second moine répond : « D’abord, il n’était pas blanc ce cheval, il était gris… » Quatre ans plus tard, le troisième moine se lève : « Bon, puisque vous n’êtes jamais d’accord, moi je pars. » I ll us 6 le messager 14 juin 2009 tra tio n Pas cal Po ujol Oui, très nettement. Certains le qualifient de philosophie, c’est de la coquetterie intellectuelle. Mais c’est une religion sans dieu, sans foi, sans livre saint et cela surprend les esprits occidentaux ; cela ne cadre pas avec la définition occidentale de la religion. Pour les bouddhistes laïcs, le Bouddha est certes perçu comme un Dieu, il y a une dévotion populaire très religieuse dans le bouddhisme. Pour les moines, en revanche, c’est moins une dévotion qu’une expérience personnelle, une pratique intérieure basée sur des préceptes, qui ne sont d’ailleurs pas si éloignés des préceptes judéo-chrétiens. Il y a notamment trois grands principes de base : ne fais pas de choses nuisibles, fais des choses bénéfiques, et agis pour le bien de tous les êtres. Les juifs et les chrétiens pourraient aussi dire cela ! Alors pourquoi devenir bouddhiste ? La différence, c’est que ce n’est pas en fonction d’une foi ou d’une croyance que ces préceptes sont respectés dans le bouddhisme, mais en fonction de l’expérience. Ceci dit, chaque croyant qui pratique vraiment sa religion est proche des autres croyants des autres religions qui pratiquent vraiment leur religion. Le problème, c’est quand quelqu’un dit : « Ma religion est la seule vraie. » Dans toutes les religions il y a des gens psychorigides qui pensent ainsi et d’autres, plus ouverts. Vous-même, vous ne pensez pas que le bouddhisme soit la seule voie vers la vérité ? Pas du tout. J’ai au contraire un profond respect des autres traditions religieuses. Une religion sans dieu, sans livre saint, sans foi… Cela change la perspective… Dans le bouddhisme zen, il s’agit d’abord de se connaître soi-même. Ce n’est pas pour autant un contrôle ou une maîtrise de soi, on va beaucoup plus loin, c’est un oubli de soi, un abandon. Il n’ y a plus de limite entre soi et l’univers. On est « Un avec l’univers ». C’est difficile à comprendre en Occident, dans le cadre d’une pensée très dualiste. Le bouddhisme n’est pas dualiste. Le bouddhisme ne mène-t-il pas à une forme de prise de distance indifférente vis-à-vis du monde ? Absolument pas ! Il existe une multitude d’organisations caritatives et d’entraide bouddhistes ! Le pape Jean Paul II avait un jour dénoncé le caractère nihiliste du boud- France, il y aurait 5 millions de « sympathisants », 700 000 fidèles dont 400 000 d’origine asiatique. 10 % seraient pratiquants. Pas de dogmes : Siddharta Gautama, né en Inde autour de 624 av. JC, fut le premier Bouddha (l’Eveillé). Il disait : « Essayez par vous-même et voyez. » Il y a cependant « Quatre nobles vérités » : tout est souffrance car tout passe (la vie, la santé, l’amour, le désir) ; l’origine de la souffrance est la soif, le désir, l’accaparement ; la délivrance est dans le détachement complet ; la voie de l’extinction de la souffrance passe par la discipline du milieu juste. Une notion essentielle : l’impermanence. Tout est transitoire, changeant, composé d’éléments en perpétuelle transformation… Il n’existe par conséquent ni âme immortelle ni Dieu éternel. La roue est l’emblème du bouddhisme qui a une conception cyclique du temps (contrairement au christianisme dont le temps est orienté vers un but). Personne ne peut en arrêter le mouvement perpétuel. Le Nirvana n’est pas le néant mais un état d’extinction des désirs, des passions. C'est un refuge, une délivrance, le but suprême. Les enseignements du Bouddha se trouvent dans les milliers de discours - les sutras qui lui sont attribués. Ces sutras n’ont pas le statut de textes sacrés. L’enseignement du Bouddha se vit comme un chemin. • • • • • • dhisme et cela avait suscité un tollé. Il a été obligé de se rétracter. C’est précisément ce que les Occidentaux ne comprennent pas : le bouddhisme dépasse le nihilisme, il enseigne profondément le sens de la responsabilité à l’égard d’autrui. A Weiterswiller, il n’y a quasiment que des Occidentaux convertis. Certains sociologues parlent dans ce cas de « néo-bouddhisme ». Etes-vous reconnus par les Japonais à la tradition desquels vous vous référez ? Les bouddhistes occidentaux ne sont certes pas toujours très « orthodoxes ». Ils ont une vie sociale, professionnelle et familiale normales, mais ce sont d’authentiques bouddhistes. Nous sommes clairement reconnus par nos maîtres japonais. Propos recueillis par Michel Weckel Pour en savoir plus : www.kosanryumonji.org et www.bouddhisme-france.org Fête du Bouddha, sous l’égide de l’Union bouddhiste de France, samedi 13 juin et dimanche 14 juin au Pavillon Joséphine à l’Orangerie à Strasbourg. Découverte du bouddhisme, cérémonies d’offrandes, conférences, stands, ateliers… Entrée libre. www.fetedubouddha.org Les Laotiens de Souffelweyersheim Tolérance, compassion et respect En leur pagode du Wat Simoungkhoune en plein champs : une communauté bouddhiste laotienne vivante et chaleureuse. Brève rencontre. « V Ainsi, en guise de frise murale, un bandeau de tissu bleu-blanc-rouge est fixé en hauteur tout autour de la salle de prière. Dans ces murs, célébrations religieuses selon le calendrier bouddhique, assistance sociale aux démunis, ateliers d’initiation à la langue lao, enseignement de danses traditionnelles, sessions de taires, prières du soir, cérémonies d’offrande - nourriture, fleurs, bougies - faite aux anges, aux parents défunts, aux moines de la communauté et en final aux fidèles. Aux grandes fêtes, comme le nouvel an ou encore l’entrée dans le carême du 5 juillet, le centre est trop étroit pour accueillir jusqu’à 500 fidèles. « En respectant l’autre, on se res- enfants… » Jean Changkongsil, avec la sagesse de son âge, confie pour sa part que la méditation lui permet de retrouver « la paix intérieure, le bonheur physique et mental. » Le message altruiste de Bouddha se résume pour lui en trois mots : « Tolérance, compassion et respect mutuel. J’ai à manifester beaucoup d’amour pour mon pro- © Albert Huber enez donc vous asseoir à notre table et manger avec nous ! » lancent de toute part les fidèles au visiteur venu à leur rencontre ce samedi matin, en pleine cérémonie rituelle de funérailles. La saveur toute asiatique des mets variés alignés sur les tables incite à ne pas refuser cette invitation des plus fraternelles, à l’image de cette famille spirituelle laotienne, vivante et chaleureuse. Elle entoure ce matin ses quatre moines vivant à demeure - dont le moine supérieur : le Vénérable Sutthithammo. Nous sommes sous le toit de la toute nouvelle pagode du Wat Simoungkhoune, en plein champs entre le canal et la gravière, à l’Est du ban communal de Souffelweyersheim. Une salle de prière de 140 m2 au toit à trois pans brillant de 13 000 tuiles vernissées et de dragons stylisés dorés. Le tout accolé à d’anciens locaux industriels rénovés en salles de réunions, cuisine, bureaux et logements. « Au Laos (1), une pagode ou wat est non seulement un lieu de culte mais aussi une école, un lieu d’accueil, de rencontre et de retrouvailles », expliquent Jean Changkongsil et Toutie Luangkhot, responsables de l’association CLASBEC (2) en charge des lieux. Car si le Wat est avant tout un monastère, un centre de retraite, de prières et de méditation, il est aussi un centre culturel, cultuel et social. Il favorise l’intégration des bouddhistes, symbolise la tolérance religieuse et culturelle de la communauté. Ce lieu permet à chacun de venir s’y recueillir, afin « d’y trouver la sérénité, la paix intérieure et d’y pratiquer les traditions ancestrales dignes de tous ceux qui ont la foi dans le cœur. Notre volonté est d’aspirer à un dialogue permanent et fécond entre toutes les communautés de toutes confessions afin de promouvoir une cohabitation harmonieuse dans le respect des lois et des valeurs de la république, dans le respect mutuel et de la concorde civile. » A la pagode de Souffelweyersheim, un repas rituel lors d'une cérémonie de funérailles. méditation touchent une vaste diaspora : quelque 700 fidèles de tout l’Est de la France, d’Allemagne, de Suisse, de Paris… Une dizaine de familles françaises, dont quatre à cinq familles strasbourgeoises, émargent comme membres. Si les offices traditionnels du calendrier bouddhique des 8e et 15e jours de pleine lune sont suivis par les ressortissants locaux, les douze célébrations annuelles attirent à chaque fois jusqu’à 300 personnes à Souffelweyersheim. Sur deux jours s’enchaînent repas communau- pecte soi-même » : telle est la philosophie à la base de la foi de Toutie Luangkhot qui se dit une Laotienne atypique, car très intégrée à la vie occidentale. « La France est notre terre d’accueil. Nous les Asiatiques, nous ne nous faisons pas trop entendre. En sera-t-il de même pour les jeunes générations ? » Comptable de profession, mariée et jeune maman de deux enfants, elle habite au cœur du Kochersberg. « Ma foi est une quête de paix, un certain nombre de valeurs éthiques et une culture que j’ai à cœur de transmettre à mes chain, à éviter de dire du mal de lui. Car si je lui jette un caillou, il peut très bien se retourner contre moi. Si je jette un caillou dans l’eau sale, il peut me salir. » Albert Huber (1) Laos : république populaire démocratique d’Asie du Sud-Est depuis 1975, un peu moins de la moitié de la superficie de la France, 6 millions d’habitants, bouddhiste à 60 % avec 2 % de chrétiens. (2) CLABESC : Communauté laotienne de soutien aux actions bouddhiques éducatives et culturelles. 14 juin 2009 le messageR 7