Source : http://www.ciebeline.com/chansontrad/documents/definitions-boite-a-reflexions4, pris
sur le site :www.ciebeline.com
Auteur : Evelyne Girardon
Ecrit le 26/10/2006 (modifié le 12/02/2007)
La Poly'monodie
Article pour la revue Chanter, revue québécoise du chant choral
La « polymonodie » n'est pas à ce jour un genre de musique « déposée » et de référence, mais
plutôt une provocation, un terme inventé récemment (en forme de proposition stratégique) qui
invite l’amateur de polyphonies vocales à la réflexion. Antinomique au départ (« plusieurs/un seul
»), ce désir de partage vocal particulier se dépose petit à petit dans les têtes des arrangeurs
consciencieux ou, plus simplement, chez ceux qui souhaitent « chanter à plusieurs voix » les
répertoires de la tradition populaire, tout en leurs conservant un certain nombre de
caractéristiques : modalité stable ou mouvante (polymodalité ?), ornementation, timbre vocal
particulier de chacun, fonction, narration.
Je crois bien être la première à avoir inscrit ce terme « officiellement » sur la jaquette d’un CD,
mais nous sommes plusieurs à l’avoir vu jaillir de nos conversations : André Ricros, Alain Savouret
et moi-même, tous trois passionnés des monodies de tradition. Le terme est nouveau, mais le fond
des choses est bien connu.
Quel besoin d’inventer ce terme et de tenter de décrire ce qu’il contient ? Une forme de révolte,
pas très neuve, mais récurrente : quand on aime les répertoires chantés de la tradition populaire,
on est vite « lassé » et « déçu » par la plupart des harmonisations verticales (tonales) proposées
pour les choeurs, qui écrasent de leur condescendance savante des répertoires qui s’en passent
bien. Même, de grands compositeurs s’y sont cassés le nez… Dans le contexte des « chorales » en
France, l’habitude est d’habiller lourdement les chansons de tradition en les affublant
d’harmonisations épaisses, chantées par 50 choristes au minimum, qui évacuent les grandes
caractéristiques de ce champ musical d’abord, caractéristiques sociales ensuite, liées à ce
répertoire. On choisit la plupart du temps des histoires « gaies », « entraînantes », laissant de côté
le reste (70 % des collectes), composé de ballades (toujours trop longues les ballades !) aux
textes denses, poétiques et forts, durs, comme la vie des gens qui nous les ont transmises. Les
pupitres gomment l’ornement (véritable signature du chanteur de tradition), interdisent la
variation, sans éveiller l’émotion cachée de la narration. Du coup, certains pensent qu’il ne FAUT
PAS HARMONISER ce répertoire… Au vu de ce qui écrit plus haut, on peut être d’accord… Ce
serait tout de même dommage de frustrer un grand nombre de chanteurs ; ne fermons pas la porte
à tous ceux qui aiment chanter à plusieurs voix. D’autant que l’idée d’authenticité, de racine, est
sujette à caution… (Nous vivons encore sur une image très 19e siècle de ce répertoire.)
Voici la définition que je fais mienne : Poly’monodies = Poly’mélodies + Poly’narrations.
Concrètement, la confrontation des codes musicaux et des codes de textes contenus dans ces
répertoires de tradition, permettent des effets de « tiroir » de la mémoire et il n’est pas rare que
des chansons, spontanément, se suivent, se superposent, se décalent, s’entonnent à des hauteurs
différentes et en même temps. Ça fait même partie des joutes vocales et autre « assaut de chants »
qui commencent à se faire entendre ici et là. Il m’arrive souvent de mêler toutes ces possibilités
dans les arrangements, car je me suis aperçue que loin de noyer les discours, elles pouvaient
aussi les éclairer.
Quelques notions concernant la monodie sont évidemment nécessaires. Dans les répertoires dits
de « tradition » (aie, un autre piège se profile à l’horizon, quelle est la définition de « tradition » ?),
tout est imbriqué : la mélodie, la narration, la fonction, le tempérament, la pose de voix,
l’ornementation, les microvariantes. La structure centrale est à grande majorité modale, même (et
surtout si) tous « les accidents » qui font sortir du mode sont les bienvenus (à la différence du
répertoire liturgique par exemple).