l’Art Musulman
Interdiction des images
On est surpris de constater qu’il n’existe aucune interdiction concernant les
images, peintures ou statues d’êtres vivants dans le Coran.
Pour Abû 'Alî al-Fârisi (901-979), linguiste, l'interdiction concernait uniquement
Dieu sous une forme corporelle :
« Celui qui façonne un veau, soit en matière précieuse, soit en bois, ou qui le
fabrique d'une manière quelconque, n'encourt ni la fureur divine ni les menaces
des musulmans. Si l'on objecte que la Tradition rapporte cette parole du
Prophète : « les faiseurs d'images seront châtiés le jour du jugement dernier », il
sera répondu : ces mots s'appliquent à ceux qui représentent Dieu sous une forme
corporelle. Toute addition à cela appartient à des versions individuelles, qui
n'entraînent pas la certitude. »
Allah seul existe vraiment pour le musulman. Il n’est pas concevable pour l’esprit
humain. Il serait sacrilège et absurde de le représenter sous une forme que l’on
puiserait totalement dans la nature créée, par exemple la forme d’un homme barbu
comme faisaient les chrétiens.
Interdiction des images dans les mosquées
Par contre, il n’y a pas de représentations d’êtres vivants dans les mosquées.
L’interdiction était donc uniquement dans les lieux de culte.
Car, les représentations d’êtres vivants dans les lieux de culte devenant images
religieuses, elles risquaient de devenir objets de vénération et de prière, comme
l’étaient les icônes et les images chrétiennes.
Les décors muraux
Par contre, pour ce qui est des autres figurations en d’autres lieux que les
mosquées, les Arabes des premiers siècles ne paraissent pas avoir senti un
interdit particulier.
On peut donc en conclure que l’opposition aux images n’apparaît pas dans
l’Islam primitif.
La tradition montre d’ailleurs le Prophète vivant dans un milieu les images
d’êtres vivants sont nombreuses (tapisseries, coussins, tapis, peintures murales).
Durant la période Omeyyade et sous les premiers Abbassides, des mosaïques, de
nombreuses peintures murales recouvrent les murs et les planchers de nombreux
édifices omeyyades, mosquées ou châteaux, élevés entre 685 et 750.
Cette habitude d’orner les murs va se poursuivre au cours des siècles.
Cet art figuratif mural dans l’art musulman peut se diviser en deux périodes :
Première période : Continuation de l’esthétique byzantine sans aucun effort
pour la rendre licite dans le sens musulman. On se contente de ne pas représenter
d’êtres animés dans les mosquées.
Dans les palais, on réserve généralement ces figurations aux salles d’audience, des
bains ou des harems.
Deuxième période : La peinture cherche à s’adapter par son esthétique aux
interdits.
Les mosaïques
Les mosaïques appartiennent toutes à la première période. Elles seront les
premiers décors muraux.
Les mosaïques byzantines de Ravenne
Mosquée de Damas 706-715
Ces mosaïques sont de style typiquement byzantin.
Comparaison avec les fresques de Ravenne (Art Byzantin)
Les compositions byzantines s’articulaient autour de personnages, alors qu’à présent
le paysage est assumé comme seul centre d’intérêt.
Mosquée de Damas
Ce qui permet de voir toute la beauté de ces architectures et de ces plantes stylisées
ou inventées, dont l’ensemble prend une valeur toute nouvelle. (XIXème :
révolution en Occident : le paysage simple fond ou cadre, devient élément principal
du tableau). Les architectures, le monde végétal sont développés et composés pour
eux-mêmes et non en fonction de scènes à personnages.
D’autre part, souvent dans les mosaïques, les grands arbres jouent, par rapport aux
paysages du fond, le rôle des saints et des martyrs dans les églises byzantines.
Pavements de Madaba
Les artistes byzantins déployaient déjà depuis des siècles de grands paysages
composés de maisons, de palais, de temples, d’arbres et de plantes.
Dans ces mosaïques murales pas plus que dans ces pavements, il n’y a lieu de
chercher un quelconque symbolisme musulman qui aurait pu être imposé.
Pavement de Khirbat al-Mafdjar
Même dans ce «
Lion attaquant une gazelle
» dans lequel certains ont voulu
reconnaître le symbole de la puissance invincible de l’Islam.
Mosaïque du lion et de l’onyx
Car c’est l’un des thèmes les plus classiques des mosaïques byzantines.
En se replaçant dans la mentalité de l’époque, s’il fallait chercher un symbolisme
caché dans les mosaïques omeyyades, ce serait plutôt un symbolisme chrétien que
les artistes ont pu y glisser sans que les princes arabes s’en soient même aperçus.
Pour ces artistes ce symbolisme caché était l’équivalent d’actes de résistance et
leur procurait le plaisir subtil d’affirmer secrètement leur foi dans les œuvres
mêmes qui ornaient les mosquées.
Mosaïque vase 1. Mosquée de Damas
La bordure est composée d’octogones étoilés inscrits dans un cercle. Or, l’octogone
composé de deux carrés inscrits dans un cercle représente une des formules
symboliques de l’ésotérisme chrétien.
L’octogone étoilé, dont c’est probablement la première manifestation dans l’art
musulman, y connaîtra une fortune immense, puisque les polygones seront la base
de tout l’art abstrait rectiligne.
Mosaïque vase 2. Mosquée de Damas
On remarque des cœurs, simplement inversés ou dans le bon sens. Or, le cœur
symbolise le cœur du Christ et son sang, promesse d’immortalité.
Dans la fleur de lotus, douze losanges (les douze apôtres). La fleur a la forme d’un
ciboire. Deux grappes de raisin symbolisant le vin.
Une composition symbolique claire et précise sous les apparences d’une simple
décoration.
Mosaïque 3. Mosquée de Damas
Dans la volute de droite, un cœur inversé avec trois glands symbolisant la Trinité.
Pourtant, les mosaïques vont disparaître très rapidement en 30 ou 40 ans.
Pourquoi ?
Les historiens arabes assurent qu’elles étaient l’œuvre d’artistes byzantins,
envoyés par l’empereur de Constantinople et que les mosaïques utilisées
étaient expédiées en même temps que les ouvriers, il est facile de
comprendre leur disparition.
Il n’y aura plus d’autres mosaïques figuratives musulmanes après cette
période.
Il ne faudrait surtout pas y voir le triomphe de l’interdiction des images
d’êtres vivants, mais seulement l’absence d’artistes locaux capables de les
exécuter en mosaïques.
Les figurations continueront longtemps à orner les murs en peinture. En outre
elles étaient spécialement permises si on les foulait aux pieds.
La peinture murale
La plupart des peintures murales des premiers siècles de l’Islam ont disparu,
hélas, avec l’enduit des murs qui les supportaient ou par suite d’incendies.
Il nous en reste cependant quelques unes des VIIIème, IXème et Xème siècles
pour nous donner une idée de ce que pouvait être cet art.
C’est dans ces petits châteaux que l’on a appelé : « Les châteaux du Désert »
que nous trouvons les peintures les plus représentatives.
On appelle châteaux du désert un groupe de constructions proche-orientales
datant des VII et VIII siècles (soit environ entre 660 et 750) pendant le règne
de la dynastie omeyyade après son installation à Damas.
Qsar Amra ; Al Azraq ; Al Kharana (Jordanie) ; Al Hayr (Syrie)
Qsar Amra la coupole : signes du Zodiaque
Qsar Amra Vue de l’intérieur 1
Qsar Amra Vue de l’intérieur 2
Qsar Amra Personnage sur un trône
Le personnage est assis dans un fauteuil, sur un socle, sous un arc posé sur deux
colonnes torses, entouré de deux pages ou anges, l’un le désignant, l’autre
l’éventant. Sous le socle du fauteuil, la mer s’étendait avec quatre personnes nues
dans une barque, des monstres marins et un oiseau aquatique.
Qsar Amra Les deux piliers
Qsar Amra Détail d’un pilier
Qsar Amra Le plafond : les métiers
Qsar Amra Les métiers : détail
Qsar Amra Le mur : les animaux
Qsar Amra L’ours musicien
Science de la perspective dans le dessin animalier. Excellent raccourci dans le
museau, les bras, la jambe droite de l’ours.
Qsar Amra Le danseur
Qsar Amra Une princesse
Qsar Amra Les figures
Figuration de six rois se tenant en un groupe respectueux.
Qsar Amra Les figures : détail
Qsar Amra Le bain
Qsar Amra La femme et l’enfant
Qsar Amra La femme et l’enfant : deuxième détail
Qsar Amra L’ange
Qsar Amra Quatre scènes de chasse
Qsar Amra Figure Christique
La composition, la facture sont purement byzantines.
L’esthétique ne possède aucun caractère musulman.
Alors que s’est-il passé pour que l’art musulman s’oriente vers les interdictions ?
Interprétation des mots Vers 750
Dans les mots, la seule référence au sujet de l’interdiction concerne donc
uniquement et très nettement les idoles utilisées par les païens comme objets de
culte (et encore, trois passages seulement s’y réfèrent).
Pourtant, pour arriver à l’interdiction « générale » des images, il a suffit
d’interpréter des mots différemment.
Le terme « timthal » est un mot assez rare qui signifie « statue » ou « figure »
dans le contexte d’un temple donc « idole ».
Alors certains traditionnistes vont remplacer tout bonnement le mot « timthal »
par le terme normal pour les images en général : « soura ».
La phrase obtenue n’est plus :
« Les anges n’entrent pas dans une maison où il y a des idoles (timthal) »
mais :
« Les anges n’entrent pas dans une maison où il y a des images (soura) ».
Condamnation du luxe
D’autre part, les théologiens condamnaient l’excès de luxe et de gaspillage dont
faisaient preuve les califes et les princes dans leurs palais et leurs châteaux.
Les peintures murales, les mosaïques, les riches étoffes, la vaisselle ou les objets
de métal ornés de figures, tout cela coûtait très cher et apparaissaient comme
totalement opposé aux habitudes simples du Prophète et des califes de Médine.
Les théologiens et les traditionnistes ont cru bien faire, dans les
circonstances culturelles et sociales de l’époque, en élargissant une phrase
qu’aurait prononcée le Prophète, mais qui ne se trouve pas dans le Coran.
On a donc décidé que l'artiste ne doit pas apparaître comme « une sorte de rival
de Dieu », et que sa prétention à imiter le créateur sera condamnée.
Les peintres musulmans doivent donc montrer clairement qu’ils n’entendent pas
imiter le réel donc rivaliser avec le Créateur.
Les artistes vont donc dépouiller leurs œuvres de tout ce qui pourrait permettre
que la figure qu’ils ont représentée soit « reconnue ».
C’est pourquoi, dans les fresques des pavements d’un autre château du Désert,
Qasr al-Gharbi, nous sommes en présence des premiers signes d’une évolution
qui va caractériser la peinture musulmane.
1 / 27 100%
La catégorie de ce document est-elle correcte?
Merci pour votre participation!

Faire une suggestion

Avez-vous trouvé des erreurs dans linterface ou les textes ? Ou savez-vous comment améliorer linterface utilisateur de StudyLib ? Nhésitez pas à envoyer vos suggestions. Cest très important pour nous !