Nz✉✐❢t ❢✉s➃❜m❥✉➃t ❡❜ot mÖ✐❥t✉p❥s❢❡✈❘✈➃❝❢❞ Marcel Trudel ❉❇I❏❋❙❚❊❘❸❈❋❉ ❉PMM❋❉❏P❖I❏❚P❏❙❋ Extrait de la publication Collection histoire dirigée par Jean-Pierre Wallot Déjà parus dans la même collection : Fernand Ouellet Éléments d’histoire sociale du Bas-Canada Marcel Trudel Dictionnaire des esclaves et de leurs propriétaires au Canada français L’Hôtel-Dieu de Montréal (en collaboration) Jean-Louis Roy Édouard-Raymond Fabre libraire et patriote canadien, 1779-1854 Contre l’isolation et la sujétion Nadia F. Eid Le Clergé et le pouvoir politique du Québec Lorraine Gadoury La Noblesse de Nouvelle-France Familles et alliances Jean-Marc Larrue Le Monument inattendu Le Monument-National 1893-1993 Evelyne Kolish Nationalismes et conflits de droits Le débat du droit privé au Québec, 1760-1840 Georges Vincenthier Une idéologie québécoise de Louis-Joseph Papineau à Pierre Vallières Lorraine Gadoury La Famille dans son intimité. Échanges épistolaires au sein de l’élite canadienne du XVIIIe siècle Micheline D’Allaire Montée et déclin d’une famille noble : les Ruette d’Auteuil (1617-1737) Marcel Trudel Les Écolières des Ursulines de Québec, 1639-1686 Amérindiennes et Canadiennes Marcel Trudel Catalogue des immigrants 1632-1662 Micheline D’Allaire Les Dots des religieuses au Canada français, 1639-1800 Marcel Trudel Mythes et réalités dans l’histoire du Québec Michel Grenon et al. L’Image de la Révolution française au Québec Extrait de la publication Cahiers du Québec Directeur des cahiers Robert Lahaise Directeurs des collections : Beaux-Arts François-Marc Gagnon Communications Claude-Yves Charron Cultures amérindiennes Droit et criminologie Jean-Paul Brodeur Éducation / Psychopédagogie Michel Allard Ethnologie Jocelyne Mathieu Géographie Hugues Morrissette Histoire et documents d’histoire Jean-Pierre Wallot Littérature et documents littéraires Réginald Hamel Musique Lyse Richer Philosophie Georges Leroux Science politique Claude Corbo Sociologie Guy Rocher Extrait de la publication Données de catalogage avant publication (Canada) Trudel, Marcel, 1917Mythes et réalités dans l’histoire du Québec (Les Cahiers du Québec; CQ 126. Collection Histoire) Comprend des réf. bibliogr. et un index ISBN : 2-89428-527-2 1. Québec (Province) – Histoire. 2. Québec (Province) – Historiographie. 3. Canada – Histoire – Jusqu’à 1763 (Nouvelle-France). I. Titre II. Collection ; Cahiers du Québec ; CQ 126. III. Collection : Cahiers du Québec. Collection Histoire. FC2911.T78 2001 F1052.95.T78 2001 971.4 C2001-940359-3 Les Éditions Hurtubise HMH bénéficient du soutien financier des institutions suivantes pour leurs activités d’édition : – Conseil des Arts du Canada ; – Gouvernement du Canada par l’entremise du Programme d’aide au développement de l’industrie de l’édition (PADIÉ) ; – Société de développement des entreprises culturelles au Québec (SODEC) ; – Programme de crédit d’impôt pour l’édition de livres du gouvernement du Québec. Maquette de la couverture : Olivier Lasser Illustration de la couverture : La Nouvelle-France en , d’après Nicolas Samson d’Iberville (Archives nationales du Canada) Maquette intérieure et mise en page : Lucie Coulombe Éditions Hurtubise HMH ltée 1815, avenue De Lorimier Montréal (Québec) H2K 3W6 Tél. : (514) 523-1523 Téléc. : (514) 523-9969 [email protected] Distribution en France : Librairie du Québec / DEQ 30, rue Gay-Lussac 75005 Paris FRANCE [email protected] ISBN : 2-89428-527-2 Dépôt légal : 2e trimestre 2001 Bibliothèque nationale du Québec Bibliothèque nationale du Canada © Copyright 2001, Éditions Hurtubise HMH La Loi sur le droit d’auteur interdit la reproduction des œuvres sans autorisation des titulaires de droits. Or, la photocopie non autorisée — le « photocopillage » — s’est généralisée, provoquant une baisse des achats de livres, au point que la possibilité même pour les auteurs de créer des œuvres nouvelles et de les faire éditer par des professionnels est menacée. Nous rappelons donc que toute reproduction, partielle ou totale, par quelque procédé que ce soit, du présent ouvrage est interdite sans l’autorisation écrite de l’Éditeur. Imprimé au Canada www.hurtubisehmh.com Avant-propos C ERTAINES QUESTIONS HISTORIQUES QU’IL A fallu développer plus longuement dans une étude spéciale, gagnent la plupart du temps en intérêt, quand on les réduit en un article plus concis. D’autres qui méritent qu’on s’y arrête à loisir, s’encadrent mal à l’intérieur d’une étude générale, où elles prendraient un air de hors-d’œuvre. À d’autres encore, on ne sait trouver une place, parce que l’importance qu’on leur accorde n’a guère que valeur de symbole, le thème qu’elles véhiculent ne retenant l’attention que pour le plaisir de l’esprit. Bref, pour traiter ces questions, il faut l’occasion d’une conférence ou des pages d’une revue. Nous avons voulu réunir dans un même volume un certain nombre de nos conférences et articles, en une forme d’anthologie, laissant au lecteur le choix de s’arrêter au sujet qui l’intéresse et dans l’ordre qu’il veut. À la différence d’un livre qui impose lecture en un fil continu. Là où il nous a paru nécessaire, le traitement de la question est accompagné de références ou d’explications. De plus, de courtes notes bibliographiques orientent le lecteur qui aimerait reprendre le cheminement de notre exposé. M.T. Extrait de la publication Extrait de la publication Table des matières I Pour une mesure exacte du rôle de Cartier . . . . . . . . II Bâtir une Nouvelle-France plutôt sur l’axe Tadoussac – Baie d’Hudson ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . III En route pour la Nouvelle-France ! . . . . . . . . . . . . . . IV L’immigrant s’installe à demeure . . . . . . . . . . . . . . . V L’intendant Jean Talon : une réévaluation à la baisse . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . VI Au programme de la Nouvelle-France en 1689 : déporter la population du New-York . . . . . . . . . . . . VII Madeleine de Verchères, créatrice de sa propre légende . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . VIII Du « dit » au « de » : noblesse et roture en Nouvelle-France . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . IX Quand les Québécois pratiquaient l’esclavage . . . . . . X Les surprises du Régime militaire, 1759-1764 . . . . . . XI La Conquête de 1760 a eu aussi ses avantages . . . . . XII En 1778 la France lance un équivoque « Vive le Québec libre ! » . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . XIII Au XVIII e siècle, le vent des « Lumières » souffle aussi de l’Angleterre . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . XIV Ce qu’ils ont prié et fait pénitence, ces ancêtres ! . . . XV Ces collégiens du XIX e siècle. . . . . . . . . . . . . . . . . . . Index . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Extrait de la publication I Pour une mesure exacte du rôle de Cartier E N CETTE ÉPOQUE DE LA RENAISSANCE OÙ LE monde connu ne couvre encore que trois continents (l’Europe, l’Afrique et l’Asie), postons-nous un instant sur le littoral atlantique de la France. Devant nous, vers l’ouest : l’océan. Une question vient à l’esprit : qu’y a-t-il derrière l’horizon? Puisque la terre est ronde (ce que l’on sait depuis l’Antiquité), ce doit être, selon certains livres savants, l’Asie, précédée de quelques îles mystérieuses dont parlent des traditions orales venues du Moyen Âge. Ces livres savants sont surtout ceux du cardinal d’Ailly et d’Aristote. Celui-ci, penseur du IIIe siècle avant JésusChrist, avait écrit à propos de l’Atlantique : «C’est une petite mer qui sépare l’extrémité occidentale de l’Espagne et la partie orientale de l’Inde ». Ce que l’on continue de penser durant le Moyen Âge et au début de la Renaissance. Dans un ouvrage publié en , le cardinal français Pierre d’Ailly réédite la même thèse d’Aristote. C’est ce même livre du cardinal d’Ailly que Christophe Colomb étudie et annote avant d’entreprendre sa découverte de l’ouest. Il inscrit avec soin dans une marge un Extrait de la publication Mythes et réalités dans l’histoire du Québec renseignement qui lui importe : « Entre l’extrémité de l’Espagne et le commencement de l’Inde se trouve une petite mer, susceptible d’être traversée en peu de jours». Il en propose donc le voyage au roi et à la reine d’Espagne : pendant que les Portugais atteignent l’Asie, affirme-t-il, par un long périple autour de l’Afrique, je compte y arriver par une route directe de seulement quelques jours. Il met à la voile en en direction de l’ouest : il lui faudra tout de même deux mois pour toucher terre. Il est convaincu d’avoir atteint la façade du continent asiatique, et il mourra dans cette conviction. Était-ce la première traversée européenne de l’Atlantique? Plus on scrute l’histoire et les traditions des peuples, moins on en est certain. Un autre philosophe de l’Antiquité, Platon, a recueilli une ancienne légende selon laquelle on aurait connu, puis perdu de vue, un continent situé vers l’ouest, l’Atlantide. On a pensé que cette terre s’était engloutie sous les eaux, façon de dire qu’on en avait perdu la route. D’autres légendes circulent au Moyen Âge, rattachées au folklore irlandais : au VIe siècle de notre ère, saint Brandan aurait, en naviguant vers l’ouest, découvert des terres inconnues. Quelque cinq cents ans plus tard, et cette fois le fait est confirmé par l’histoire, des Vikings atteignent ces terres situées au-delà de l’Atlantique. « Hommes du Nord» (d’où leur nom de «Normands »), ils sont à cette époque les rois de la mer; ils passent en Angleterre, puis en Islande et, de là, au Groenland où ils auront même un évêché; du Groenland à notre continent, il n’y avait qu’un détroit : ils le franchissent vers l’an mille, avec le Viking Bjarni. S’ensuit une colonie, sous le commandement de Leif : l’archéologie a confirmé l’existence, pendant deux ou trois siècles, d’un établissement viking à Terre-Neuve. Comment l’Europe en a-t-elle perdu la mémoire? Pour éviter la concurrence, on a peut-être voulu en faire un secret; ou les Vikings se croyaient-ils dans un prolongement péninsulaire de la Norvège, en une sorte de demi-cercle au nord de l’Atlantique ? Extrait de la publication Pour une mesure exacte du rôle de Cartier Quoi qu’il en soit, en , Colomb croyait arriver en Asie : il espéra longtemps pouvoir remettre au Grand Khan les lettres de Leurs Majestés espagnoles. Ce voyage inaugurait une concurrence maritime entre l’Espagne et le Portugal. Arbitre du monde chrétien, le pape Alexandre VI intervient en . Il trace une ligne de démarcation qui, en passant par les Açores, va du pôle nord au pôle sud, pour délimiter en deux parts égales le monde non chrétien à explorer : à l’est de la ligne, le domaine réservé aux Portugais ; à l’ouest, celui des Espagnols. Ceux-ci devenaient donc les concessionnaires d’une zone qui s’étendait d’un point situé près des Açores jusqu’aux Philippines. D’autres nations à longue tradition maritime n’étaient pas prêtes à accepter des dispositions qui les écartaient de l’exploration du monde; entre autres, deux nations chrétiennes elles aussi, qui relevaient du pape de Rome : l’Angleterre et la France. L’Angleterre intervient presque tout de suite. Dès la nouvelle que Colomb aurait atteint l’Asie en naviguant vers l’ouest, Henri VII patronne un voyage de découverte, qu’il confie à un Italien, Giovanni Caboto, dit par la suite Jean ou John Cabot. Celui-ci, en mai , part sur le Matthew et file en direction de l’ouest. Après une navigation de lieues ( kilomètres), il aborde le juin à une terre ferme dans la partie nord de l’Atlantique : il y plante les deux premiers drapeaux de notre histoire, l’un de l’Angleterre, l’autre de Venise, sa patrie. Quelle est cette terre qu’il longe sur lieues ( kilomètres) et dont il prend possession au nom de l’Angleterre ? Les cartes originales qu’il aurait tracées pour situer ses découvertes, n’existent plus ; on n’a que des copies trop mauvaises pour indiquer avec certitude le lieu précis où il a abordé et ce qu’il a visité. On est tout de même fondé à croire qu’il a vu ce qui est aujourd’hui la partie nord-est de l’Amérique du Nord, plus précisément Terre-Neuve et le Cap-Breton («Breton» signifiant alors «Anglais »). Toutefois, Extrait de la publication Mythes et réalités dans l’histoire du Québec comme Colomb, il croit avoir atteint l’Asie. Conviction qui a cours en Europe, où l’on écrit : le roi d’Angleterre vient d’acquérir une partie de l’Asie sans donner un coup d’épée. Conviction que confirme la cartographie, qui représente cette terre comme un cap de l’Asie. Asie ou pas, il y a là des richesses à exploiter, au moins celles des pêcheries et aussi peut-être, espère-t-on, cet or et ces perles dont profitent les Espagnols, à la hauteur des Antilles. De toute façon, il y a assez longtemps qu’on rêve d’une route directe à son plantureux marché, pour scruter davantage cette «terre neuve» : les Anglais y reviennent vers avec Caboto et un Portugais, Fernandes Llavrador («l’entrepreneur», de qui nous viendrait le toponyme «Labrador»). On ne sait à peu près rien de ces nouvelles recherches. On en sait davantage de celles du Portugal. Celui-ci qui avait obtenu la moitié du monde non chrétien, des Açores en passant par l’Afrique jusqu’aux Philippines, entendait exploiter son domaine atlantique. Persuadé que la «terre neuve» est située à l’est de la ligne papale de démarcation, il y envoie une mission de découverte dès , sous la direction de Gaspar Corte Real. Quel itinéraire a-t-il suivi en ce premier voyage? On est à peu près certain qu’il s’est rendu à Terre-Neuve. Avec son frère Miguel, il reprend la même direction en , visite le même littoral et entre en relations avec des Amérindiens ; il hiverne en ce pays en -, cependant que Miguel retourne au Portugal, puis revient rejoindre son frère. On ne les reverra plus ni l’un ni l’autre : quelles explorations ont-ils faites? où sont-ils morts ? Place aux hypothèses. On croit qu’ils ont remonté le Saint-Laurent et s’y sont perdus. Il reste de ces voyages portugais le premier rapport ethnographique que l’Europe ait reçu sur les Amérindiens de l’Amérique du Nord et de nombreux toponymes portugais, comme Frey Luis (devenu «Freels»), cabo Raso (« cap Race »), Boa Vista (« Bonavista»), «terre des Baccalaos» (terre des morues, Terre-Neuve). Pour une mesure exacte du rôle de Cartier Ces explorations ne donnant pas les richesses rêvées, il ne s’y fait plus pendant une vingtaine d’années d’entreprises décisives. On continue d’y venir, mais pour la pêche, d’Angleterre, de France, d’Espagne et du Portugal : nous retenons, en particulier, le nom de ce Dieppois, Thomas Aubert, le premier Français à ramener chez lui des Amérindiens en . Des voyages, comme celui de Sébastien Cabot (fils de Jean) pour l’Angleterre vers la même année, ne font guère progresser la connaissance du Nouveau-Monde. Dans la rivalité internationale, le Portugal marquerait un point vers . On a tout lieu de croire que Joao Alvares Fagundes établit dans cette partie de l’Amérique du Nord (ce serait au Cap-Breton) le premier peuplement européen depuis les Vikings. On ne connaît ni les détails de l’installation, ni les circonstances de la disparition. C’est encore dans la cartographie des années que l’on constate l’apport des Portugais à la connaissance de ces « terres neuves», mais toute la période - demeure obscure. Les relations originales des explorateurs ne nous sont pas parvenues, leurs cartes se sont perdues ou ont subi de telles transformations successives qu’on n’arrive plus à reconstituer la première version : l’hypothèse recouvre toujours la certitude. Les données générales que l’on possède alors sur le monde sont tellement vagues que l’on continue de penser, encore vers , que l’Amérique du Nord se raccroche à l’Asie, les « terres neuves» en formant le cap. Anglais, Portugais, Espagnols, Français, ils pensent tous avoir vérifié la thèse d’Aristote et du cardinal d’Ailly : en face de l’Europe, au-delà de l’Atlantique, c’est l’Asie. La réponse n’était pas la bonne. Un événement capital se produit en : l’explorateur espagnol Balboa, qui œuvre à la hauteur des Antilles, traverse l’étroite bande de Panama et découvre au-delà un second océan, le Pacifique. Accomplissant le rituel des prises de possession, il descend dans l’eau jusqu’aux genoux et, accompagné d’un notaire, il Extrait de la publication Mythes et réalités dans l’histoire du Québec proclame que cet océan, ainsi que les fleuves et rivières qui s’y jettent, appartiennent à l’Espagne. Conséquence de cette découverte : le globe terrestre se révèle beaucoup plus gros qu’on l’imaginait; entre l’Atlantique et l’Asie, il faut ajouter un second océan, dont on ne connaît pas encore la largeur, plus celle, aussi inconnue, des terres qu’on vient de découvrir. De ces terres, on distingue alors l’Amérique, c’est-à-dire ce qui est au sud des Antilles (le toponyme «Amérique » recouvre à cette époque seulement ce qui est aujourd’hui l’Amérique du Sud). On distingue encore les Antilles. Mais au nord de ces dernières, comment le monde est-il fait? Cette même année apporte un nouvel élément de réponse : le jour de Pascua florida ou « dimanche des Pâques fleuries » (dimanche qui précède la fête de Pâques), l’Espagnol Ponce de Leon parvient, au-dessus des Antilles, à une péninsule accrochée à une terre qui paraît se prolonger vers le nord. Pour l’instant, toutefois, les Espagnols ont assez à faire dans cette partie du monde, les richesses qu’ils retirent les retiennent de chercher plus haut. Comme c’est l’Asie que l’on veut atteindre en naviguant vers l’ouest, les nations se posent donc une nouvelle question : qu’y a-t-il entre cette Floride et les «terres neuves»? à ces latitudes, l’Atlantique demeure-t-il ouvert et se confond-il avec la mer d’Asie? ou bien Floride et «terres neuves» sont-elles reliées par un littoral continu? La France va tenter d’y répondre. Elle arrive bien tard dans cette rivalité internationale. Il faut se rappeler qu’au XVIe siècle, la France n’est pas une puissance maritime, elle ne dispose pas de moyens navals d’envergure, comme l’Angleterre, l’Espagne et le Portugal. Du reste, sa politique extérieure demeure centrée sur la Méditerranée. Sous François I er pourtant, sa politique évolue vers un plus grand intérêt du côté de l’Atlantique. Si elle veut sa part des richesses de l’Asie, elle ne peut plus tarder à entrer dans la course. Des banquiers italiens de Lyon préparent une flotte sous les ordres du Florentin Giovanni da Verrazano. Un Extrait de la publication Pour une mesure exacte du rôle de Cartier premier départ échoue en à cause de tempêtes. Verrazano reprend la mer en , à bord d’un seul navire, la Dauphine. Négligeant les deux routes habituelles (l’une, par l’Atlantique-Nord ; l’autre, par les Antilles), il file en droiture de l’île Madère et arrive, après une navigation de deux mois, à un point situé juste au nord de la Floride, dans l’actuelle Caroline du Nord. Il bute sur un littoral. Pourtant, au-delà d’une étroite bande de terre qu’il a devant lui, il aperçoit une mer : comme on espérait que le Pacifique rejoigne l’Atlantique à la hauteur de la Floride, il conclut qu’il est en face de la mer d’Asie. Las ! ce n’était que le Pamlico Sound que ferme un isthme de sable. La cartographie sera longtemps hantée par cette vision : pendant des années, on verra sur les cartes, au nord de la Floride, une mer d’Asie qui touche presque l’Atlantique ; à mesure que l’on connaîtra mieux le continent, cette mer d’Asie s’éloignera vers l’intérieur des terres : encore au XVIIIe siècle, juste avant les voyages de Lavérendrye, une carte représente une mer d’Asie près de l’actuel Manitoba, d’où le nom de « Mer de l’Ouest » que l’on donnera à cette région, au-delà des Grands Lacs. Verrazano continue donc de remonter vers le nord, dans l’espoir que prenne fin la barrière du littoral. Puisque Magellan en a trouvé un passage à l’extrémité sud de l’Amérique, il faut bien, croit-on, qu’il y en ait un à l’extrémité nord. Verrazano a beau entrer dans la baie de Chesapeake qui paraît s’ouvrir vers la mer d’Asie, et remonter des rivières comme celle de l’Hudson : la barrière se prolonge toujours. Il en profite au moins pour égrener un chapelet de toponymes qui rappellent des lieux, personnages ou souvenirs historiques de France : Dieppe, Honfleur, Arcadie (la baie de Chesapeake), fleuve Vendôme (le Delaware), côte de Lorraine (la région du Delaware et du New-Jersey), pays d’Angoulême (le New-York) qu’il est le premier Européen à décrire. Pour se ravitailler, le Florentin s’arrête une quinzaine de jours dans un port de toute beauté, le « Refuge», qui Extrait de la publication Mythes et réalités dans l’histoire du Québec sera Newport, dans le Rhode-Island. La Dauphine reprend la route vers le nord, cherchant toujours la faille dans cette barrière. Le premier à découvrir les côtes de la NouvelleAngleterre et du Nouveau-Brunswick, il longe le golfe Saint-Laurent et Terre-Neuve sans nous en laisser de détails? a-t-il raté l’ouverture entre le Cap-Breton et TerreNeuve? Poursuivant sa route, il se rend, croyons-nous, jusqu’au e degré, à la hauteur du Labrador, puis il revient en France au cours de cette même année . Le long de ce littoral de plus de kilomètres, il n’a trouvé aucun accès à la mer d’Asie. Le voyage eut toutefois le mérite de faire progresser la représentation du monde dans cette partie de l’Amérique du Nord. On sait désormais qu’entre la Floride et les « terres neuves», le littoral est continu. À cause des baies profondes et de puissants cours d’eau, la terre ferme paraît être d’une largeur considérable. Ce qui autorise Verrazano à une conclusion qui marque une étape capitale dans la cosmographie : on croyait jusqu’ici, écrit-il, que l’Atlantique et le Pacifique se rejoignaient au nord de la Floride sans continent interposé; or, l’expérience démontre qu’ils sont séparés par une terre qui n’est pas l’Asie et qu’on est en présence d’un Nouveau-Monde. Avec Verrazano, on constate l’existence d’un nouveau continent, l’Amérique du Nord. Ce continent reçoit un nouveau nom qui va se maintenir pendant deux siècles et demi : sur les cartes verrazaniennes, on l’appelle «Nouvelle-France». Jusqu’en , ce toponyme s’appliquera à tout ce que la France revendique ou occupe en Amérique du Nord, de la baie d’Hudson au golfe du Mexique, du golfe Saint-Laurent à la « Mer de l’Ouest». Dans ce premier quart du XVIe siècle, les toponymes que Verrazano a semés le long du littoral, auront toutefois une existence éphémère. L’Espagne, qui pouvait revendiquer ce continent en vertu du partage de , n’était pas Extrait de la publication Pour une mesure exacte du rôle de Cartier restée indifférente. La Dauphine vient à peine de rentrer en France, que l’Espagne envoie ses gens, en , sous la direction du Portugais Esteban Gomez, visiter le même littoral. Il se rend à Terre-Neuve et, de là, il redescend vers le sud, en longeant le continent, dont il a soin à son tour de sonder baies et rivières, à la recherche d’un passage ; puis, il abandonne ce travail et rentre en Espagne. L’année suivante, une autre expédition espagnole prend la relève : Vasquez de Ayllon recommence l’examen de ce littoral ; il remonte de la Caroline du Sud à la baie de Chesapeake, sans plus de succès que Gomez et Verrazano. Toutefois, pour bien marquer leur prise de possession ou servir de bases à d’autres recherches, les Espagnols établissent dans cette baie une colonie, dite « San Miguel ». L’histoire de cette colonie, la deuxième au nord de la Floride, après celle des Portugais au Cap-Breton, sera d’aussi brève durée ; la colonisation espagnole sur le littoral atlantique ne dépassera jamais plus la Floride. Il reste de ces deux explorations par l’Espagne, que la toponymie française a cédé la place à une abondante toponymie espagnole. La Nouvelle-France est devenue une Nouvelle-Espagne. Peu après, elle devient une Nouvelle-Angleterre. Henri VIII envoie deux navires longer ce littoral. L’un, le Sampson, descend jusqu’aux Antilles sans qu’on sache la portée exacte du voyage ; l’autre, le Mary of Guilford sous la direction de John Rut, qu’accompagne le chanoine Albert de Prato. Ce deuxième navire visite Terre-Neuve et entre dans le golfe Saint-Laurent, où il laisse un toponyme, «cap de Prato», que Cartier en signalera en Gaspésie. C’est la première visite d’Européens que l’on connaisse à l’intérieur du golfe et sur la côte gaspésienne. En tout cas, la toponymie espagnole du littoral atlantique cède la place à une toponymie anglaise, en attendant qu’au début du siècle suivant réapparaisse une toponymie française, due à Champlain ; et l’on sait que cette dernière disparaîtra presque tout de suite, sous une nouvelle toponymie anglaise. Extrait de la publication Carte du deuxième voyage de Jacques Cartier. Pour une mesure exacte du rôle de Cartier Après le voyage de John Rut, s’écoulent quelques années avant que l’Europe donne suite à ces explorations. La France entre de nouveau en scène. Distrait quelque temps par une politique extérieure tournée vers la Méditerranée, François Ier se préoccupe enfin de l’Atlantique en et confie une mission d’exploration au Malouin Jacques Cartier. Pour quels objectifs? Nous en trouvons un premier dans un ordre du roi pour acquitter des dépenses : « descouvrir certaines ysles où l’on dit qu’il se doibt trouver de l’or et autres riches choses », ce qui était aussi l’un des objectifs de Colomb et autres découvreurs. Un second se déduit de la relation du voyage : l’insistance de Cartier à chercher un passage qui le mène plus loin encore, sa déception quand l’ouverture se referme ; comme Verrazano, il est bien à la recherche d’une route au travers de la barrière continentale. Il ne trouvera ni or ni route d’Asie, mais il accomplit deux opérations qui marquent, chacune, une étape capitale dans la connaissance du Nouveau-Monde : il est en le premier Européen connu à faire une exploration systématique du golfe Saint-Laurent ; en , il découvre un fleuve qui demeurera le grand axe de pénétration à l’intérieur du continent. Était-il du voyage de Verrazano en ? Peut-être, mais rien ne l’atteste. En tout cas, comme bon nombre de pêcheurs de France, il connaît bien la route de Terre-Neuve, avant son voyage de . Lorsqu’on lui assigne comme première étape la baie des Châteaux (le détroit de Belle-Isle), il s’y rend de Bretagne en droiture, comme à un lieu qu’il a déjà fréquenté ; à quelque kilomètres à l’intérieur du détroit, il rencontre un navire de La Rochelle, auquel il donne des indications pour se retrouver. Il est manifestement un habitué de la région. D’ailleurs, il y a longtemps que des explorateurs, anglais, portugais, espagnols, français, y sèment des toponymes comme points de repère : des ports y sont connus depuis des années, Cartier s’y arrête, utilisant dans son récit les noms qu’ils portent déjà. Extrait de la publication Mythes et réalités dans l’histoire du Québec Mais jusqu’en , le mystère enveloppe l’arrière-pays de Terre-Neuve ; on ne sait même pas si c’est une île, un archipel ou un cap du continent. Cartier sera le premier à dissiper ce mystère. Il entre donc dans cette mer intérieure. Il longe d’abord le littoral terreneuvien en direction du sud, comme pour en bien vérifier les limites, en y distribuant un chapelet de noms français. S’il eût continué vers le sud, il eût dès ce premier voyage établi l’insularité de Terre-Neuve ; il se contente pour lors de présumer l’existence d’un détroit entre elle et le Cap-Breton : hypothèse exacte et il sera le premier à utiliser ce passage. Il vire à l’ouest : c’est une route vers l’Asie qu’il veut trouver. Tout le long de la terre ferme qu’il rencontre de ce côté, il sonde les ouvertures. Le juillet, il aperçoit une baie beaucoup plus importante que les autres. Aux eaux profondes, large d’une vingtaine de kilomètres et s’avançant loin dans les terres, la baie de Chaleur (comme il l’appelle) laisse enfin croire au succès : «Et pour ladite profondeur et changement de terres», lit-on dans la Relation, « eusmes espoir d’y trouver le passage». C’est pourquoi, à la pointe sud de l’entrée, il donne le nom de « cap d’Espérance ». Or, ce cap d’Espérance méritait plutôt celui de «cap de Déception» : le juillet, Cartier se rend compte que cette ouverture est barrée par un horizon de montagnes: « ce dont fusmes dollans et masris». Cette visite de la baie de Chaleur donne lieu à un événement historique : dans cette partie de l’Amérique du Nord, la première cérémonie dûment constatée d’un échange commercial entre Européens et indigènes. C’est la première fois qu’on nous décrit une traite de fourrures, cette traite qui va dans les deux siècles suivants créer tant de richesses et de problèmes. Cartier n’a pas fini d’accomplir des «premières ». Contraint par le mauvais temps à s’attarder dans une autre baie (elle sera bientôt nommée «Gaspé »), il rencontre d’autres Amérindiens. Cette fois, ce sont des Iroquoiens, Extrait de la publication