problèmes théoriques intéressants et intensément débattus, bien au-delà
des questions concernant strictement l’islam. Il s’agit, entre autres choses,
de la définition de l’identité individuelle et collective, de la persistance du
religieux, du pluralisme et de ses dynamiques, de la construction d’une
communauté (en liaison avec le débat sur le communautarisme et sur le néo-
communautarisme), du multiculturalisme et de ses frontières, du concept
même de culture et du rapport entre in-group et out-group. Ces questions
touchent certes l’immigration, mais pas seulement: qui est le ‘‘nous’’ et qui
est l’étranger lorsque l’on ne relève pas du même groupe d’origine, lorsque
le rapport se joue entre autochtones et immigrés, mais que l’on partage
pourtant la même religion, les mêmes lieux de prière et les mêmes réseaux
associatifs? Qu’en est-il de ces identités lorsque, tout en restant évidemment
autochtones et citoyens d’un Etat européen, on choisit d’appartenir à une
religion perçue par la majorité de ses concitoyens non seulement comme
minoritaire, mais comme étrangère voire ennemie?
Ce silence relatif est à nos yeux d’autant plus surprenant que l’idée
d’approfondir une étude des convertis s’est posée dès notre première
approche de l’islam en Europe (Allievi et Dassetto, 1993), notamment en
relation avec le fait que les convertis ont été parmi les premières rencontres
que nous avons faites dans le monde associatif islamique, dans les mos-
quées, et nous offrent des itinéraires parmi les plus surprenants et riches
d’interrogations.
Par ailleurs, lors de notre étude de terrain sur les conversions à l’islam
(Allievi, 1998), nous avons découvert, non sans une certaine surprise, le
manque quasi total d’études sur ce thème, alors que les recherches sur les
conversions à d’autres groupes religieux, souvent beaucoup moins impor-
tants tant du point de vue quantitatif que symbolique, et moins riches
d’implications théoriques, sociales et politiques, étaient nombreux.
L’étude des convertis à l’islam nous semble d’autant plus intéressante
qu’elle s’insère dans un paysage et un ‘‘moment religieux’’ de l’occident,
selon l’expression de Simmel (1989: 181), caractérisé par d’importantes
modifications ‘‘structurelles’’ concernant le rôle de la religion dans les
sociétés dites développées. Les plus importantes de ces modifications sont
liées aux processus concomitants de sécularisation, de privatisation et de
pluralisation du religieux.
Il nous semble en particulier intéressant de souligner que ces transforma-
tions objectives, de et dans la réalité sociale—sécularisation, privatisation et
pluralisation religieuse—induisent ou, du moins, sont accompagnées, de
transformations subjectives dans la façon de croire. Aux côtés de l’apparte-
nance dite traditionnelle, on voit ainsi de plus en plus intervenir trois autres
modèles ou modalités de croire:1le modèle luckmannien du pick and
choose, du ‘‘supermarché’’ des biens religieux (Luckmann, 1963), celui de
l’inclusion ou de la contamination cognitive2(parmi d’autres, Campiche,
1993) et, de plus en plus fréquemment, celui de la conversion, de la rupture
biographique, du changement de religion. Les conversions ne sont qu’un
élément de ce processus en cours, à la fois conséquence et facteur de
multiplication.
Cette situation place l’islam européen, mélange complexe d’immigrés,
284 Social Compass 46(3)
at PENNSYLVANIA STATE UNIV on March 4, 2016scp.sagepub.comDownloaded from