Le droit mis à l`épreuve Les politiques familiales sous tension

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dOssier
Analyses
Le droit mis à l’épreuve
Le droit n’a cessé de modifier la famille légale et, par conséquent, les règles
de succession. Elles ont admis puis élargi la place des enfants naturels,
adultérins et adoptifs. Mais les techniques de procréation assistée et les
moyens d’identification génétiques ouvrent aujourd’hui de nouvelles
questions.
o
n observe aujourd’hui un
découplage de la filiation
génétique, biologique et légale, qui introduit des lignes de
transmissions inédites et remet en
cause le principe selon lequel un
enfant a deux parents.
L’exemple des successions
Par exemple, la fécondation in
vitro peut donner à un enfant plus
de deux parents biologiques : une
mère génétique, une mère gestative (ou « subrogée ») et un père
génétique. Autre cas limite, on
peut se demander si l’être humain
conçu à partir du matériel génétique d’individus décédés est leur
« enfant » et donc leur héritier
présomptif. Enfin, la question se
pose de savoir si le matériel génétique non fertilisé – et la faculté
même de procréation – est un patrimoine et peut être transmis par
héritage.
Si elles prennent aujourd’hui
des formes inédites, ces questions
de filiation (qui est enfant ?), d’hé-
ritabilité (qui est héritier ?) et de
perpétuité (jusqu’à quand ?) ne
sont pas nouvelles au regard du
droit. L’enfant naturel, par exem­
ple, était jadis illégitime, et il a acquis un statut d’héritier par étapes.
De même, l’enfant adopté peut-il
être héritier de plus de deux parents, ses parents adoptifs et ses
géniteurs. Enfin, les substitutions
et fideicommis 1 permettaient jadis
à un individu de faire héritiers des
individus non encore nés, et le
trust américain fait encore de
même. Les principes juridiques sur
lesquels reposent ces antécédents
peuvent donc servir de référence
pour répondre aux situations engendrées par des techniques
de procréation et d’identification
inédites.
Le droit, solution et
révélateur de tensions
Mais les solutions sont encore
hésitantes. En ce qui concerne le
destin des enfants portés par une
femme fertilisant les gamètes du
couple ou les gamètes de tiers, c’est
la définition de la maternité qui est
en cause ainsi que les droits respectifs des deux voire trois mères putatives (mère subrogée, épouse, donneuse d’ovocytes) ; celle des pères
aussi (époux, donneur de spermatozoïdes, quoique le père soit généralement désigné comme le mari de
la mère – mais laquelle ?). Aux
États-Unis, les différents États admettent des solutions jurisprudentielles variables : selon que la maternité est imputée à l’une ou à
l’autre mère ou à toutes, la succession peut suivre l’une ou l’autre
ligne… ou les trois. Quant au cas
admis par exemple en Espagne des
femmes désireuses d’assumer
seules leur maternité, ce sont les
droits du donneur qui sont en
question : sauf en cas de don anonyme, il peut revendiquer un lien
de paternité, mais aussi se voir imputer une paternité non désirée.
Il ne faut pas sous-estimer les
conflits qui peuvent surgir, dans
un contexte de relative confusion.
Prenons par exemple la question
de la filiation soulevée par la procréation médicalement assistée
(PMA). Il arrive que les accords
entre les parties soient déclarés
nuls, et il revient alors à la Justice
de décider. La jurisprudence américaine tranche en faveur de la mère
porteuse et de son mari, considérés
comme les parents de l’enfant.
Le droit apparaît ainsi aussi
bien comme une solution que
comme un révélateur. Il fait apparaître les tensions qui agitent des
sociétés où des notions centrales,
comme la filiation, sont aujour­
d’hui en pleine reconfiguration.
Mais l’histoire du droit aide à remettre ces questions en perspective, en nous rappelant que ces
notions n’ont jamais cessé d’évoluer – et que les relations qu’elles
définissent n’ont jamais cessé
d’être disputées devant la Justice.
●●Anne Gotman
2
1. C’est une disposition testamentaire qui
permet à une personne de transmettre
tout ou partie de son patrimoine à
un bénéficiaire, en le chargeant de
retransmettre ce ou ces biens à une
tierce personne désignée dans l’acte.
2. Anne Gotman est sociologue,
directrice de recherche au CNRS
(Centre de recherches sur les liens
sociaux, CNRS-Université Paris 5 René
Descartes). Elle a notamment publié
L’Héritage (PUF, « Que sais-je ? », 2006).
Les politiques familiales sous tension
Les politiques familiales ont une histoire. Mais aujourd’hui, la question de leur évolution se pose.
L
es politiques familiales ont connu un
premier essor après 1945, dans une
perspective nataliste clairement affirmée, pour constituer l’un des piliers de
l’État-providence à la française. Les succès
de ce modèle sont bien connus : ils ont permis le maintien d’une natalité dynamique
tout en accompagnant efficacement l’entrée
massive des femmes dans la vie active.
Allocations familiales, politique de la
petite enfance passant notamment par la
scolarisation et plus récemment le développement des crèches, fiscalité favorable aux
familles, l’ensemble des dispositifs publics
est impressionnant. La question se pose
aujourd’hui de leur évolution, pour différentes raisons.
S’adapter aux classes moyennes
et aux situations plus complexes
La première est économique : Julien
.12 Les idées en mouvement
Damon 1 note en particulier l’effet de courbe
en U des politiques familiales, bénéficiant
en priorité aux plus démunis et aux plus
aisés. Non seulement les catégories moyen­
nes apparaissent de facto discriminées, mais
les incitations des politiques actuelles
conduisent à des effets qui n’ont pas tous
été prévus, et peuvent être discutés. L’hypothèse d’une forfaitisation des allocations
familiales permettrait de remédier à une
partie de ces effets de bord.
La seconde raison est sociale : Julien
Damon invoque la difficulté des politiques
actuelles à prendre en compte les situations
plus complexes : pluri-parentalité, garde
partagée, place des beaux-parents… près
d’un million d’enfants sont aujourd’hui
concernés, et les politiques familiales gagneraient à cibler ces familles recomposées,
en accordant par exemple un statut au
beau-parent, ou encore en versant les allo-
le mensuel de la Ligue de l’enseignement
cations familiales à chacun des parents en
proportion du temps passé avec les enfants.
Développer un service public
de la petite enfance
Parallèlement, la question des inégalités, dont on avait cru qu’elle s’éloignait au
moment où ont été développées les politiques familiales, se repose aujourd’hui avec
force et marque leurs limites. Ces limites
sont également économiques, dans un
contexte marqué par une demande croissante : 30 % des parents n’auraient pas
accès au mode de garde désiré. C’est dans
ce contexte que Julien Damon plaide par
exemple pour le développement d’un service public de la petite enfance (une revendication de la Ligue de l’enseignement) et
la création d’un droit opposable à l’accueil.
Julien Damon note que le débat idéologique se structure désormais autour de l’in-
n° 206
FÉVRier 2013
térêt de l’enfant : à l’indissolubilité du couple
se substitue l’indissolubilité du lien parentsenfant. Un élément intéressant des différentes pistes de réforme qu’il propose est le
caractère central de l’objectif d’insertion professionnelle et sociale des femmes, et plus
généralement des inégalités de carrière.
●●Richard Robert
1. Docteur en sociologie, ancien responsable du
département « questions sociales » au Centre
d’analyse stratégique, il a par ailleurs été directeur
de la recherche et de la prospective à la Caisse
nationale des allocations familiales.
À lire : Julien Damon, Les Politiques familiales (PUF,
coll. « Que sais-je ? », 2006).
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