C’est que contrairement à ce que des intellectuels plus ou moins médiatiques et de
renom plus ou moins grand ont pu dire ou écrire moult fois, le Giec n’est pas un assemblage
de scientifiques sous influence écologiste, en quête de financements pour leurs amusements,
ou goûtant le plaisir de voyages dans des lieux ensoleillés où les femmes sont belles. Chacun
peut fantasmer sur la libido des scientifiques en goguette mais, il doit au moins savoir que :
- les Lead Authors d’un chapitre, sous la houlette de deux Conviening Lead Authors,
chacun des trois groupes de travail doivent rédiger l’état des consensus et des dissensus, sur
l’état des connaissances, en n’utilisant que des matériaux publiés par la littérature scientifique,
c’est-à-dire accessibles à des tiers et déjà évalués par deux à trois rapporteurs. Chaque auteur
peut, en s’abstenant de signer, faire obstacle à l’adoption du chapitre auquel il a été affecté.
- les rapports sont alors envoyés à l’ensemble de la communauté scientifique
concernée et aux gouvernements ; les auteurs doivent répondre à l’ensemble des
commentaires reçus (entre 60 et 100 pages/ simple interligne pour les chapitres dont j’avais la
charge) et expliquer pourquoi ils les acceptent ou les rejettent.
- la version définitive est alors discutée chapitre par chapitre par l’Assemblée Générale
de la Conférence des Parties de la Convention Climat où siègent des délégués des USA, de
l’Arabie Saoudite et de la Chine, pays non soupçonnables d’un biais écolophile. Le résumé
pour décideurs, lui, doit être approuvé, ligne à ligne, dans les mêmes conditions. Au total, il
semble que cela devrait rassurer les imprécateurs de l’arnaque écologiste.
Pourquoi enfin des sciences sociales dans le Giec ? C’est qu’on ne peut sans elles
traiter des scénarios d’émission sur le long terme non plus que des politiques de réduction de
ces émissions, de l’évaluation des dommages et des politiques d’adaptation. Cette mise à
parité avec les sciences a-humaines 2 nous a d’ailleurs forcé à une pratique inhabituelle, celle
d’écrits co-signés par des collègues en désaccord sur le fonds. C’est bien ce que j’ai du faire
lorsque, convaincu de l’intérêt de taxes – carbone pour l’emploi, travaillant sur un texte
commun avec D. Montgomery économiste américain convaincu du contraire, j’ai du attendre
qu’il lève, après une nième révision, son nihil obstat devant un bilan sincère des arguments.
La confrontation avec l’assemblée générale fut d’ailleurs révélatrice de défis pour
notre communauté scientifique. Ainsi, lorsque le coordinateur du chapitre sur le coût-bénéfice
(2° rapport) affirma que la ‘valeur statistique’ de la vie humaine d’un américain est plus
élevée que celle d’un indien, les pays du Tiers-Monde menacèrent de refuser le chapitre
comme typique de l’arrogance occidentale. On débloqua la situation en expliquant qu’il
s’agissait du simple constat qu’un cyclone détruit plus de valeur économique dans une zone
riche que dans une zone pauvre, mais cet épisode révèle l’intérêt d’un travail comparatiste sur
les diverses perceptions de la notion de valeur. De même, la Chine réussit à éliminer toute
référence à la notion d’équité dans le résumé pour décideurs du troisième rapport, la raison
étant qu’elle ne relève pas de la science et est un paravent à la volonté d’hégémonie morale de
l’occident.
Je voudrais terminer, en ces temps d’interrogation sur l'évolution de nos systèmes de
recherche et les liens entre Universités, Grandes Ecoles et EPST, témoigner, en forme de
remerciements de ce qui a permis à une petite équipe française de participer de façon non
marginale à un processus international aujourd'hui reconnu.
Ce fut d'abord, dès 1970, le pari fait par l’EHESS, de suivre l’intuition d’Ignacy Sachs,
et d'investir sur des thèmes alors ésotériques et ne relevant d’aucune discipline scientifique
2 Je reprends ici une expression du regretté Gérard Mégie