Le CIRED et le Prix Nobel de la Paix accordé au Giec
Humeurs et réflexions ‘pour marquer le coup’
Le 12 octobre, le prix Nobel de la Paix a été donné à Al Gore et au Groupe
Intergouvernemental d’Experts sur le Changement Climatique (Giec) pour leur action sur le
changement climatique. Certains de ceux qui connaissent le nombre d'auteurs que le CIRED a
fourni au GIEC (cf. Liste des contributeurs) m'ont depuis adressé des messages de
félicitations qui m'ont un temps décontenancé car malgré la lettre de Rajendra Pachauri* j'ai
assez le sens de l'humour pour ne pas penser que nous avons reçu un pouième de prix Nobel
de la paix. Mais ils m’ont convaincu qu’il fallait bien, dans ce monde médiatique ‘marquer le
coup’.
Pourquoi d’abord ce lien entre le changement climatique et la Paix? Qui se rappelle
que l’affaire climat fut placée sur l’agenda diplomatique par une réunion du G7 en 1988 où
siégeaient les forts peu écologistes G.W. Bush (sr) et Miss Thatcher ne sera pas surpris.
Donner un prix au carbone pouvait aider à gérer pacifiquement les tensions sur l’énergie et à
maîtriser un jeu autour des rentes pétrolières et gazières dont on sait qu’il a été et sera porteur
de conflits sanglants. Aujourd’hui, il devient évident que, sans sombrer dans le
catastrophisme, certains impacts du réchauffement (cycle des moussons, évènements
extrêmes, sécheresses, deltas affectés par la hausse du niveau des mers) sont porteurs de
tensions et d’aggravation des conflits comme la crise du Darfour le montre aujourd’hui. Tony
Blair a pu dire que le changement climatique était une menace plus importante pour la
sécurité mondiale que le terrorisme. On a le droit de penser qu’il exagère mais pas d’ignorer
la question posée.
Pourquoi ensuite un prix Nobel de la paix à un organisme scientifique ? Qui est
lucide sur la multiplicité des intérêts touchés par toute réforme de nos façons de produire et de
consommer, sur les bouleversements en cours dans l’équilibre de notre monde et sur la
diversité des croyances religieuses ou profanes qui l'anime et la divise, pensera que les
chances sont nulles de déboucher jamais sur des politiques communes. Dans ce dossier il faut
agir en présence de savoirs incertains et décider hors de toute connaissance de causes. Or, il
contient une multitude de points de controverses qu’on peut aisément utiliser pour bloquer à
tout moment un accord : niveau des concentrations acceptables, risques du nucléaire, des
biocarburants ou de la séquestration biologique du carbone, équité dans l’allocation des droits
d’émission, impact sur les populations pauvres). Garantissant la sincérité de l’exposé des
connaissances (et des ignorances) par des scientifiques du monde entier, le Giec est alors
crucial pour limiter ces risques et préserver les conditions d’un audivi alteram partem1
préalable à la gestion pacifique de notre terre commune.
Ainsi, lorsque G.W. Bush (jr) influencé par ceux des think tanks américains qui voient
dans cette affaire une « arnaque écologiste » (expression récemment entendue dans la bouche
d’un ‘polémiste’ sur ma radio habituelle) commanda à l’Académie des Sciences Américaines
un rapport non biaisé sur l’état des connaissances, il eut la surprise de recevoir un rapport très
proche de celui du Giec ; et pour cause puisque les meilleurs scientifiques américains avaient
contribué à le rédiger !
1 J’ai écouté l’autre partie, j’ai entendu ses arguments.
C’est que contrairement à ce que des intellectuels plus ou moins médiatiques et de
renom plus ou moins grand ont pu dire ou écrire moult fois, le Giec n’est pas un assemblage
de scientifiques sous influence écologiste, en quête de financements pour leurs amusements,
ou goûtant le plaisir de voyages dans des lieux ensoleillés où les femmes sont belles. Chacun
peut fantasmer sur la libido des scientifiques en goguette mais, il doit au moins savoir que :
- les Lead Authors d’un chapitre, sous la houlette de deux Conviening Lead Authors,
chacun des trois groupes de travail doivent rédiger l’état des consensus et des dissensus, sur
l’état des connaissances, en n’utilisant que des matériaux publiés par la littérature scientifique,
c’est-à-dire accessibles à des tiers et déjà évalués par deux à trois rapporteurs. Chaque auteur
peut, en s’abstenant de signer, faire obstacle à l’adoption du chapitre auquel il a été affecté.
- les rapports sont alors envoyés à l’ensemble de la communauté scientifique
concernée et aux gouvernements ; les auteurs doivent répondre à l’ensemble des
commentaires reçus (entre 60 et 100 pages/ simple interligne pour les chapitres dont j’avais la
charge) et expliquer pourquoi ils les acceptent ou les rejettent.
- la version définitive est alors discutée chapitre par chapitre par l’Assemblée Générale
de la Conférence des Parties de la Convention Climat où siègent des délégués des USA, de
l’Arabie Saoudite et de la Chine, pays non soupçonnables d’un biais écolophile. Le résumé
pour décideurs, lui, doit être approuvé, ligne à ligne, dans les mêmes conditions. Au total, il
semble que cela devrait rassurer les imprécateurs de l’arnaque écologiste.
Pourquoi enfin des sciences sociales dans le Giec ? C’est qu’on ne peut sans elles
traiter des scénarios d’émission sur le long terme non plus que des politiques de réduction de
ces émissions, de l’évaluation des dommages et des politiques d’adaptation. Cette mise à
parité avec les sciences a-humaines 2 nous a d’ailleurs forcé à une pratique inhabituelle, celle
d’écrits co-signés par des collègues en désaccord sur le fonds. C’est bien ce que j’ai du faire
lorsque, convaincu de l’intérêt de taxes – carbone pour l’emploi, travaillant sur un texte
commun avec D. Montgomery économiste américain convaincu du contraire, j’ai du attendre
qu’il lève, après une nième révision, son nihil obstat devant un bilan sincère des arguments.
La confrontation avec l’assemblée générale fut d’ailleurs révélatrice de défis pour
notre communauté scientifique. Ainsi, lorsque le coordinateur du chapitre sur le coût-bénéfice
(2° rapport) affirma que la ‘valeur statistique’ de la vie humaine d’un américain est plus
élevée que celle d’un indien, les pays du Tiers-Monde menacèrent de refuser le chapitre
comme typique de l’arrogance occidentale. On débloqua la situation en expliquant qu’il
s’agissait du simple constat qu’un cyclone détruit plus de valeur économique dans une zone
riche que dans une zone pauvre, mais cet épisode révèle l’intérêt d’un travail comparatiste sur
les diverses perceptions de la notion de valeur. De même, la Chine réussit à éliminer toute
référence à la notion d’équité dans le résumé pour décideurs du troisième rapport, la raison
étant qu’elle ne relève pas de la science et est un paravent à la volonté d’hégémonie morale de
l’occident.
Je voudrais terminer, en ces temps d’interrogation sur l'évolution de nos systèmes de
recherche et les liens entre Universités, Grandes Ecoles et EPST, témoigner, en forme de
remerciements de ce qui a permis à une petite équipe française de participer de façon non
marginale à un processus international aujourd'hui reconnu.
Ce fut d'abord, dès 1970, le pari fait par l’EHESS, de suivre l’intuition d’Ignacy Sachs,
et d'investir sur des thèmes alors ésotériques et ne relevant d’aucune discipline scientifique
2 Je reprends ici une expression du regretté Gérard Mégie
établie. Ce pari fut, dès 1976, suivi par le CNRS qui fournit la perspective de carrières de
recherche crédibles à quelques jeunes ne rentrant dans ‘aucune case’ académique et les
dissuada de se réorienter vers les carrières plus rémunératrices auxquelles leurs diplômes
initiaux les destinaient.
Dès 1989, la structure pluri disciplinaire du CNRS facilita un contact immédiat avec
nos collègues des sciences de l’univers et je me rappelle ce moment où, rédigeant avec Gérard
Mégie une communication pour le Conseil Mondial de l’Energie (Montréal 1989), celui-ci
m’a passé une formule sommaire de cycle du carbone qui fut insérée dans nos premiers
«modèles intégrés » ; ce fut le début d’une longue collaboration avec les collègues de l’IPSL.
L'équipe se renforça au cours des années quatre-vingt dix grâce au soutien de l’Ecole
Nationale du Génie Rural et des Eaux et Forêts puis de l’Ecole Nationale des Ponts et
Chaussées (via leur participation au DEA Economie de l’Environnement et des Ressources
dont le CIRED est une équipe fondatrice, puis notre insertion dans leur dispositif de
recherches et l’affectation d’ingénieurs). Aujourd'hui enfin, le CIRAD nous a adopté comme
UMR et Météo-France comme équipe associée.
Sur vingt ans, des soutiens contractuels jouèrent un rôle souvent crucial pour financer
l’intendance et des thèses ou chercheurs à durée déterminée non insérables immédiatement
dans les recrutements sur postes car d’itinéraires trop inhabituels : l’ADEME principalement
au cours des années 80 et 90 et à laquelle je tiens à rendre hommage, puis le programme
Gestion des Impacts du Changement Climatique (GICC-D4E), le Centre Français de l’Energie
(CFE) et plus récemment, la FONDDRI (Fondation de Recherche de l’IDDRI) finançant un
programme bénéficiant du pilotage et de la participation d’EDF-GDF, Suez Veolia, Lafarge,
Saint-Gobain, Entreprises pour l’Environnement, la SNCF, la Caisse des Dépôts, Total et
Arcelor ainsi que le GIS R2DS financé par le Conseil Régional Île-de-France.
Je raconte ici cette histoire pour dire simplement, comme notre nouveau prix Nobel de
physique Albert Fert, que pour réformer nos systèmes d’enseignement supérieur et de
recherches, il faut se méfier de toute idéologie et de toute fausse imitation du système Nord –
Américain. La recherche contractuelle est nécessaire, de même que le lien recherche –
université et le lien recherche – acteurs économiques. Mais les liens ne se décrètent pas, ils se
tissent sur la durée et il faut veiller à ce que des mécanos bien intentionnés ne viennent
détruirent ceux qui existent et que les contrats ne soient porteurs d’entropie. Les agences de
financements peuvent se montrer moins conservatrices que les grands organismes mais aussi
très myopes et sensibles aux modes ; les grands organismes savent eux, abriter des prises de
risques par des chercheurs à l’écart des canons académiques établis.
Ce qui compte en définitive, si la France veut une présence plus dense dans ces lieux
d’expertise qui comptent tellement aujourd’hui pour les négociations internationales, c’est que
tout soit mis en œuvre pour que nos jeunes les plus capables à la fois de maîtrise technique, de
prise de risques sur des sentiers de traverse interdisciplinaire et d’anticipation des enjeux de
société se voient offrir par notre système de recherche, des ‘contrats’ qu’ils puissent percevoir
comme non-léonins et qui les aident à résister à l’attrait de carrières publiques ou privées plus
proches de la décision immédiate ou de carrières scientifiques …. ailleurs.
Jean-Charles HOURCADE
Contributions du CIRED au GIEC
Nous nous permettons, dans cette liste de citer en sus des membres actuels et passés du
CIRED qui sont intervenus comme auteur principal lors d’un des trois derniers rapports du
GIEC, ceux qui ont obtenu chez nous leur thèse de doctorat ou passé un long post-doc. Il
s’agit simplement de montrer la réalité de réseaux construits sur la longue durée.
HOURCADE Jean Charles
Second rapport du GIEC (SAR) 1995 Working Group III “Economic and social
dimensions of climate change”: Convening Lead Author, Chap 8 « Estimating the Costs of
Mitigating Greenhouse Gases » et 9 “A Review of Mitigation Cost Studies”, Lead Author du
chapitre 2 “Decision-Making Frameworks for Adressing Climate Change”, Auteur du résumé
pour décideur.
Troisième rapport du GIEC (TAR) 2001 Working Group III “Mitigation” :
Coordinating Lead author, Chapitre 8 « Estimating the Costs of Mitigating Greenhouse
Gases ».
Quatrième rapport du GIEC (AR4) 2007 Working Group III “Mitigation”; Lead
Author chapitre 3 “Issues related to mitigation in the long term context”.
HA DUONG Minh
Quatrième rapport du GIEC (AR4) 2007 Working Group III “Mitigation”: Lead
Author, Chapitre 2 “Framing Issues”.
LA ROVERE Emilio (doctorat au Cired en 1977)
Second rapport du GIEC (SAR) 1995 Working group III “Economic and social
dimensions of climate change”: Lead author, Chapitre 8 « Estimating the Costs of Mitigating
Greenhouse Gases » et 9 “A Review of Mitigation Cost Studies”,
Troisième rapport du GIEC (TAR) 2001Working Group III “ Mitigation”: Lead
author, Chapitre 2 « Greenhouse Gas Emission Mitigation Scenarios and Implications”,
Quatrième rapport du GIEC (AR4) 2007, Working Group III “Mitigation” : Lead
author, Chapitre 3 “Issues related to mitigation in the long term context”.
TOMALSQUIM Mauricio (doctorat au Cired en 1977)
Troisième rapport du GIEC (TAR) 2001 Working Group III “ Mitigation”: Lead
author, Contributing author, Chapitre 5 “Barriers, Opportunities, and Market Potential of
Technologies and Practices”.
LECOCQ Franck (doctorat au Cired 2000)
Quatrième rapport du GIEC (AR4) 2007, Working Group III “Mitigation”: Lead
author, Chapitre 12 “Sustainable development and mitigation”.
FINON Dominique3
Second rapport du GIEC (SAR) 1995, Working Group III “Economic and social
dimensions of climate change”: Lead author, Chapitre 8 « Estimating the Costs of Mitigating
Greenhouse Gases » et 9 “A Review of Mitigation Cost Studies”.
FORTIN Emeric (Doctorat au Cired)
Troisième rapport du GIEC (TAR) 2001, Working Group III “Mitigation”: Lead
author, Chapitre 8 « Estimating the Costs of Mitigating Greenhouse Gases ».
CERON Jean-Paul (Cired: 1972 – 1997)
Quatrième rapport du GIEC (TAR) 2001, Working Group II « Impacts, Adaptation
and Vulnerability »: Lead Author. Chapter 7 "Industry, Settlement, and Society".
IPCC WGII Fourth Assessment Report
MICHAELOWA Axel (chercheur associé au Cired 2000-2004)
Quatrième rapport du GIEC (AR4) 2007, Working Group III “Mitigation”: Lead
author, Chapitre 13 « Policies, Instruments and Co-operative Arrangements”.
AMBROSI Philippe
Contributing author au chapitre 3 du groupe 3. Il passa sa thèse de doctorat au Cired
en 2004 et est aujourd’hui « Environmental Economist, Climate Change Team » à la
Banque Mondiale.
HALLEGATTE Stéphane
Quatrième rapport du GIEC : Contributing auteur pour le Working Group I, Chapitre 8
et pour le Working Group II, Chapitre 3.
Membre de la délégation française pour la plénière du GIEC du Working Group II à
Bruxelles en Avril 2007 et pour la plénière du rapport de synthèse à Valence en Novembre
2007.
CRASSOUS Renaud
Membre de la délégation française auprès du GIEC pour l'approbation des différents
rapports constituant le Quatrième rapport d'évaluation.
Mentionnons enfin Patrick Criqui, Lead Author du chapitre 9 du groupe III du Troisième
rapport. Il passa un an chez nous en 1974 qui aida à le convaincre de l’intérêt de consacrer ses
talents à nos sujets. Il le fit à l’IEJE de Grenoble et dirige aujourd’hui le Lepii.
3 A cette époque, D. Finon était directeur du Lepii à Grenoble
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