l’esthétique du cinéma de Jacques Rivette) et, au-delà, de l’espace perçu en
entier (scène de théâtre filmée, décor évoquant des décors théâtraux, ou
équivalence de la scène découpée dans le réel extérieur) pour, enfin, inscrire
corps et espace dans le temps long du plan-séquence, ce que Jean-Claude
Biette définissait comme étant le « Théâtre du plan » (en évoquant Monteiro).
Le filmage pouvant demeurer dans la fixité, mais aussi se faire mobile, ainsi
que les yeux du spectateur de théâtre balayant l’espace de la scène peuvent
créer leurs propres cadrages, comme le soulignait Edgar Morin. La perception
directe du temps dans l’image, qui caractérise l’Image-Temps deleuzienne se
fait ainsi ressentir dans la longue durée du plan, et selon différents processus
esthétiques (Rivette, Garrel, Straub et Huillet, Resnais, Duras,
Angelopoulos…). Andreï Tarkovski écrivait en ce sens, dans son ouvrage Le
Temps scellé : « Le rythme d’un film ne réside […] pas dans la succession
métrique de petits morceaux collés bout à bout, mais dans la pression du
temps qui s’écoule à l’intérieur même des plans. »
4
La longue durée du plan et
la longue durée du film va parfois jusqu’à coïncider avec le temps le plus
extrême du théâtre, lorsque Manoel de Oliveira réalise Le Soulier de satin
d’après Paul Claudel, en un film d’une durée de 8 heures.
Le théâtre et les arts de la scène semblent, au contraire, rechercher
aujourd’hui dans le cinéma – la vidéo, la DV – les moyens d’une ouverture
sur l’espace extérieur, mais également la possibilité de morceler l’espace et le
temps, comme dans un certain type de montage jouant sur la brièveté des
plans. Cette attirance pour la courte durée avait déjà connu une première
période de forte valorisation dans les premières décennies du XX
e
siècle. Les
auteurs du Manifeste du « Théâtre futuriste synthétique », Marinetti, Corra,
Settimelli affirmaient ainsi :
Nous sommes convaincus que mécaniquement, à force de brièveté on peut
créer un théâtre absolument nouveau en parfaite harmonie avec notre
sensibilité moderne, laconique et rapide. Nos pièces n’auront pas d’actes, mais
des instants, c’est-à-dire qu’ils dureront quelques secondes. Par cette brièveté
essentielle et synthétique, le théâtre futuriste pourra soutenir et même vaincre
la concurrence du cinématographe.
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4
Andreï Tarkovski, Le Temps scellé, Cahiers du cinéma, 1989n p. 113.
5
« Le Théâtre Futuriste Synthétique (1915) », manifeste signé par Marinetti, Corra, Settimelli, in Giovanni Lista,
Futurisme, manifestes, documents, proclamations, L’Age d’Homme, Lausanne, 1973, p. 256.