Ce sont donc essentiellement sur elles que pèse la charge, à la fois mentale, physique et
matérielle, des enfants.
Aussi ne ferons-nous pas mystère de ce que, par ressenti personnel, nous aurions aimé
pouvoir trouver dans cette nécessité de compenser la « double journée » des femmes la
« justification objective et raisonnable » exigée par le droit européen.
Seulement, à la lecture de ses arrêts, il nous semble que la juridiction de Strasbourg
retiendra ici la violation de l’article 14 combiné avec l’article 1
er
du protocole n°1, et ce pour les
trois raisons suivantes :
1°) d’abord, parce que l’article L.351-4 ne fait aucunement référence à la maternité, ni à la
grossesse, ni même à l’éloignement du service par suite d’un accouchement mais uniquement à
l’éduction des enfants. « Les femmes ayant élevé des enfants ». Le texte se place ainsi sur le seul terrain
de la parentalité et non de la maternité.
Ainsi comment justifier une différence de traitement entre hommes et femmes ayant élevé
des enfants dans les mêmes circonstances ? Comment ne pas être interpelé par le cas de ces pères
de familles qui ont élevé, seuls ou non, leurs enfants et dont les carrières professionnelles ont été
autant freinées par cette charge que celles des mères ?
A cet égard, dans une affaire relative au refus d’accorder des prestations de sécurité
sociale à un père de famille britannique qui s’était arrêté de travailler à la suite de la maladie puis
du décès de son épouse pour s’occuper de leurs enfants, la Cour EDH a estimé que ce refus,
fondé exclusivement sur le fait que le demandeur était un homme, violait l’article 14 de la
convention EDH
5
.
2°) ensuite, parce que le dispositif litigieux n’a pas été réellement amendé depuis la loi de
1971 qui l’a institué et qu’il n’est pas envisagé comme seulement transitoire. Or si la Cour
européenne a récemment refusé de condamner le Royaume-Uni pour avoir un temps institué un
âge légal de la retraite plus avantageux pour les femmes que pour les hommes à raison du temps
qu’elles consacrent à leurs enfants, c’est d’abord parce qu’elle a relevé que le pays avait depuis
entrepris des démarches concrètes dans le sens de l’égalisation
6
.
3°) enfin, il nous semble que la Cour serait sensible à l’actuelle distorsion qui existe entre
le régime de la fonction publique et le régime général. Sous l’impulsion de la Cour de justice de
Luxembourg, la loi du 23 août 2003 a en effet étendu aux hommes la bonification d’ancienneté
d’un an dont bénéficiaient jusqu’alors uniquement les femmes qui s’étaient consacrées à
l’éducation de leurs enfants.
Pour toutes ces raisons, nous pensons que la Cour de Strasbourg, saisie de la conformité
de l’article L.351-4 du code de la sécurité sociale à la convention, retiendrait la violation de
l’article 14, combiné à l’article 1
er
du protocole n°1.
Aussi, pour dire le droit tel qu’interprété par la Cour européenne sans le déformer et
éviter une censure certaine, nous conclurons à la non-conformité.
5
Willis c./ Royaume Uni, arrêt du 6 novembre 2002
6
Stec. Et autres c./ Royaume-Uni, arrêt du 12 avril 2006