L`islam, religion du juste milieu

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L’islam, religion du juste milieu?
Face à la montée massive des intégrismes qui se réclament de
l’islam, les croyants habités par un islam de concorde et de paix ont
le souci de clamer que l’islam authentique, celui qui a dominé dans
l’histoire de l’humanité, est un islam de l’ouverture, de la tolérance,
loin des excès, des outrances des « ultras ».
par Rachid Benzine
OUMMA.COM
Face à la montée massive des intégrismes qui se réclament de l’islam, les croyants
habités par un islam de concorde et de paix ont le souci de clamer que l’islam
authentique, celui qui a dominé dans l’histoire de l’humanité, est un islam de
l’ouverture, de la tolérance, loin des excès, des outrances des « ultras ». On trouve
tout un discours, chez les intellectuels, au sein d’une partie des religieux, dans le
monde politique et dans les masses, selon lequel l’islam est « la religion du juste
milieu » En référence à un verset du Coran (2-143) lui donne tout son poids :
« Et aussi Nous avons fait de vous une communauté de justes pour que vous soyez
témoins aux gens, comme le Messager sera témoin à vous. Et Nous n'avions établi
la direction (Qibla) vers laquelle tu te tournais que pour savoir qui suit le Messager
(Muhammad) et qui s'en retourne sur ses talons. C'était un changement difficile, mais
pas pour ceux qu'Allah guide. Et ce n'est pas Allah qui vous fera perdre [la
récompense de] votre foi, car Allah, certes est Compatissant et Miséricordieux pour
les hommes».
Ce discours est louable dans ses intentions. C'est à l'analyse qu'il déroute le
chercheur. Car en creusant un peu, l'on constate qu'il repose sur une lecture erronée
et une utilisation contreproductive du texte coranique. En effet, ce discours fait fi du
contexte littéraire du verset susmentionné, lequel est celui d’une grande polémique
avec les Juifs de Médine. Il s’appuie, de surcroit, sur une compréhension
anachronique des mots du verset utilisé. On donne aux mots arabes du texte une
signification qui est peut-être celle qu’ils ont aujourd’hui, mais qui n’est en rien celle
de l’islam des origines, celle de l’énoncé premier du discours coranique. Des mots
comme « umma » et « wasat », ainsi, renvoyaient à d’autres réalités humaines qui
sont bien différentes de notre vécu. Revenir au sens premier, au sens historique de
ces mots nous paraît nécessaire, afin de prévenir toute utilisation idéologique du
texte coranique, quand bien même les intentions sont bonnes. La défense d’un islam
de paix est une urgence à laquelle il faut s'atteler. Mais elle ne peut pas se fonder sur
des interprétations fausses – et donc fragiles – du discours coranique.
UMMA : COMMUNAUTE ?
Les usages coraniques de umma au singulier ou au pluriel doivent être rapportés à la
racine 'amma (hamza mīm mīm) qui renvoie à l’idée fondamentale de "suivre une
direction" et "marcher en tête d'un groupe" pour le guider, sens que l'on retrouve
dans le mot imâm, celui qui est devant car il donne la direction. Cela se dit des
humains, mais aussi des animaux comme dans l'expression caractéristique donnée
par le Lisân al-'arab (le grand dictionnaire médiéval), djamal mi'amm, le "chameau
qui guide le troupeau" (soit dans une caravane soit pour trouver le pâturage). Cette
racine renvoie donc à l'idée fondamentale de guidance qui est une fonction sociale
majeure dans la société arabe du Coran car la bonne guidance d'un groupe est liée à
des enjeux de survie et de prospérité alors que la mauvaise guidance conduirait à la
disparition des hommes concernés. On retrouve nettement ce sens de bonne
guidance dans certains usages coraniques de umma comme dans 43, 22.
Les adversaires mekkois de Muhammad refusent de le suivre et lui disent qu'ils sont
bien guidés, muhtadûn car ils sont sur la bonne voie tracée (umma) par leurs pères,
âbâ'. C'est une confrontation entre la tradition ancestrale que défend la tribu et la
nouvelle alliance que propose Muhammad. Dans un passage de consonance
médinoise, de 16, 120 c'est Abraham lui-même qui est qualifié de umma, inna
ibrâhîm kâna ummatan. On voit bien que, dans ce verset, on doit comprendre que
Abraham a été "un (bon) guide" pour les siens et non pas, comme le comprennent
certains traducteurs, un peuple ou une communauté.
LECTURE DU VERSET 2, 143
Traduction habituelle :
« C’est ainsi que nous avons fait de vous une communauté médiane, afin que vous
soyez témoins à l’encontre des hommes et que l’Envoyé soit témoin à votre
encontre... »
Le contexte du verset doit évidemment être pris en compte car il s'agit d'une
polémique avec le judaïsme médinois dont les tribus sont alors toutes présentes sur
place.
La dispute commence - on peut le supposer avec les rabbins médinois - au sujet de
l'héritage biblique (Abraham, Ismaël, Isaac) dont se réclame le Coran mais que ne
reconnaissent pas comme commun les juifs locaux. Pourtant notre Seigneur est le
même argumente le Coran, 2, 139.
Dis : "Discutez-vous avec nous au sujet d'Allah, alors qu'Il est notre Seigneur et le
vôtre? A nous nos actions et à vous les vôtres! C'est à Lui que nous sommes
dévoués.
La umma de Jacob et de ses fils (qui étaient sur la bonne voie) ne serait donc pas
celle des juifs contemporains de Muhammad, 2, 134.
2-133. Étiez-vous témoins quand la mort se présenta à Jacob et qu'il dit à ses fils :
"Qu'adorerez-vous après moi"? - Ils répondirent : "Nous adorerons ta divinité et la
divinité de tes pères, Abraham, Ismaël et Isaac, Divinité Unique et à laquelle nous
sommes Soumis".
2-134. Voilà une génération bel et bien révolue. A elle ce qu'elle a acquis, et à vous
ce que vous avez acquis. On ne vous demandera pas compte de ce qu'ils faisaient.
Alors que les partisans de Muhammad suivent la lignée prophétique jusqu'à Jésus,
ce n'est évidemment pas le cas des juifs médinois. Le Coran semble découvrir alors
l'antagonisme des juifs et des chrétiens, 2, 137.
Le débat se poursuit autour du conflit relatif à la qibla, l'orientation sacrale vers
laquelle on se tourne dans les rituels. Les partisans de Muhammad doivent
désormais délaisser l’ancienne direction Jérusalem et s'orienter vers « le lieu de
prosternation bien protégé », al masdjid al-harâm, c'est-à-dire la Ka'ba, 2-144. C'est
au milieu de cet imbroglio que se trouve le verset sur la umma wasat qui est si
souvent cité hors de ce contexte précis.
UMMA WASAT : COMMUNAUTE DU JUSTE
MILIEU ?
La référence à la «qibla», l’orientation sacrale vers laquelle on se tourne dans les
rituels , souligne bien la préoccupation coranique que les hommes soient bien «
orientés » et donc bien guidés. Mais la traduction du terme « wasat » par « juste
milieu », constitue une interprétation qui arrache le verset à son contexte historique.
Du mot « wasat » ressort, en fait, une notion de «centrement », contraire à ce qui
est… décentré. Le contexte humain de la révélation coranique, c’est celui du risque
de s’égarer quand on s’écarte de la bonne piste, de la bonne route (comme l’ont fait
les juifs contemporains de Muhammad selon le Coran). Le « groupe bien guidé »
qu’appelle de ses vœux tout le texte coranique, c’est celui d’un groupe bien « centré
». Et être au centre, du point de vue d’un groupe, c’est « être avec », rester uni et
faire que son groupe agisse « comme un seul homme ».
Awsat banî hâshîm
En s'en tenant aux réalités de l'époque, on peut également relever un sens éclairant
par rapport à la notion de wasat dans la représentation des généalogies tribales. La
notion de "centrement" y est utilisée et affectée de valeurs extrêmement positives.
Ainsi un descendant de Muhammad a pu revendiquer le pouvoir et se révolter contre
le deuxième calife 'abbaside al-Mansûr en se disant awsat banî hâshîm, "le plus
central des fils de Hâshim". Le fait, anthropologiquement très vraisemblable, est
rapporté dans le Ta'rîkh de Tabarî (m. 920) au moment de la révolte de celui que l'on
nomme Muhammad al-Nafs al-Zakiyya.
Ce personnage s'identifiait ainsi dans la mesure où il descendait de al-Hasan, le fils
aîné de 'Alî et Fâtima par son père et de al-Husayn, le fils cadet, par sa mère. Il se
trouvait donc au "centre" de la généalogie hachémite ce qui était censé lui donner
une légitimité supérieure à celle du calife de la branche abbaside qui descendait non
de Muhammad directement mais de son oncle 'Abbas.
En dehors du rapport de force politique en sa défaveur, ce raisonnement avait une
faille dans la mesure où si le révolté, tout comme les abbasides, se réclamait de
Muhammad : il descendait de lui par une femme, Fâtima, fille de Muhammad, tandis
que le calife en place descendait du clan hachémite par un homme, l'un des oncles
paternels de Muhammad. Or, est il rappelé dans la réponse que le calife est censé
faire au révolté, que l'héritage politique se transmet par les hommes et non par les
femmes. L'expression est néanmoins très intéressante pour faire prendre la mesure
des enjeux de socialité que véhicule le wasat dans son contexte d'origine.
La compréhension actuelle de «umma wasat » tend à diffuser l’idée que l’islam est la
religion de la « voie modérée », de la religion modérée en opposition aux
conceptions extrémistes de la religion. Cette préoccupation n’était pas celle des
premiers hommes de l’islam qui n’imaginaient même pas l’idée de « modération » ou
de « tolérance », concepts qui sont survenus plus tard dans l’histoire des
civilisations.
PROPOSITION DE TRADUCTION DU VERSET 2, 143
A la lumière de ces observations, comment faut-il comprendre le verset 143 de la
sourate 2 ? Toute traduction est perfectible, mais toute traduction se doit d'essayer
de restituer le message, quitte à lui ajouter quelques commentaires. Dans ce sens, le
verset en question peut s'entendre comme suit :"De vous nous avons fait un groupe
bien guidé, ummatan, qui reste bien centré, wasatan(sur la voie tracée en évitant
de s'en écarter comme le font les juifs médinois) pour que vous soyez les témoins
(de la véritable direction de la qibla) devant les hommes (de Médine donc ceux qui
sont là devant vous) et que le messager (Muhammad) soit témoin devant vous. Nous
n'avions placé la direction du culte, qibla, que tu suivais auparavant (quand tu étais à
La Mekke) que pour que nous reconnaissions celui qui suivait le messager de celui
qui tournait les talons. Même si cela est chose grave, elle ne l'est pas pour ceux
qu'Allah guide. Allah n'aurait pas laissé se perdre la foi que vous avez en lui. Allah
est bienveillant et miséricordieux avec les hommes (il s'agit des hommes concernés
par cette affaire en son temps, pas de l'humanité)"
On ne peut que constater que l'insertion textuelle du passage sur la umma wasat lui
enlève totalement l'horizon de généralité intemporelle qui me semble, ici, une pure
extrapolation. On ne peut que constater qu'il s'agit d'un passage conjoncturel que l'on
ne saurait faire échapper à son contexte
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