VIE PROFESSIONNELLE Neuropathies et professions musicales P. Corlobé* “Ne vis désormais que pour ton art. Aussi limité par la faiblesse de tes sens que soit aujourd’hui ton horizon, l’art, néanmoins, est pour l’avenir ta seule raison de vivre.” (Carnets intimes, L. Van Beethoven) S’ il n’existe pas de maladie neurologique propre aux musiciens, et s’il n’est même pas certain que ces derniers présentent une fréquence plus ou moins grande de syndromes neurologiques périphériques que le reste de la population, le diagnostic et la prise en charge thérapeutique sont spécifiques, s’inscrivant dans le temps de leur art, plutôt que dans celui de la vie habituelle ou dans celui de la médecine. L’approche de la pathologie neurologique périphérique des musiciens repose sur la difficulté d’appréhender le musicien, compositeur, interprète, instrumentiste, dans sa totalité, du fait, entre autres choses : ➤➤ de la complexité de son travail, avec une extrême spécialisation de sa gestuelle, et du contrôle de celleci, qui lui permet d’effectuer en toute précision un nombre de mouvements phénoménal, en un temps très court, mais aussi avec son rôle de créateur d’un “moment musical, rencontre trinitaire, puisque entre l’œuvre et celui qui la reçoit, intervient celui qui la joue” (1) ; ➤➤ de l’architecture très particulière de son système sensoriel qui ne peut aujourd’hui que faire l’objet d’une réflexion et d’hypothèses sans que nous soyons en mesure de comprendre l’ensemble des mécanismes physiologiques mis en cause. En effet, comment expliquer qu’un aveugle puisse décrire une couleur en touchant un objet ou que Beethoven, sourd, “réentendît” son 12e Quatuor en suivant les mouvements des archets (2, 3) ; ➤➤ du rapport probablement particulier et complexe du musicien au corps, auquel il incorpore souvent son instrument, ce qui produit une sémiologie souvent inhabituelle, parfois incompréhensible, menant à des erreurs diagnostiques, et des réactions inattendues à des traitements banals, connus pour leur efficacité chez la plupart des autres patients ; ➤➤ de la relation particulière du musicien malade au médecin qui oblige ce dernier à revenir à la pratique de la médecine comme à celle d’un art ; ➤➤ de l’importance du secret médical chez nombre de musiciens professionnels, chez les solistes particulièrement. Tout cela oblige à une écoute attentive, puis à une extrême prudence dans le maniement de nos outils diagnostiques et thérapeutiques, d’où l’intérêt d’équipes pluridisciplinaires constituées de praticiens spécialisés et motivés, conscients du fait que l’on ne traite pas de la même manière un musicien et un sportif de haut niveau, même si cette comparaison a pu, parfois, être admise. Parmi les différents modes de prise en charge (consultation simple, consultation pluridisciplinaire, etc.), nous avons préféré celui du réseau : un groupe informel constitué de chirurgiens orthopédistes (spécialistes de la chirurgie de la main, de l’épaule, du rachis), d’un rhumatologue, de 2 radiologues (l’un pour les IRM, l’autre pour les échographies et les traitements échoguidés), de 3 kinésithérapeutes différemment spécialisés, d’un neuro­physiologiste, et, plus récemment, d’un algologue, d’un ostéopathe, d’un psychiatre et d’enseignants. Depuis 2002, le réseau a répondu à la demande de 275 musiciens, interprètes, solistes, concertistes, instrumentistes, étudiants… dont le plus jeune avait 12 ans et le plus âgé, 66. Dans la majorité des cas, le kinésithérapeute ou le neurophysiologiste ont été les premiers praticiens consultés. Ils ont d’abord discuté du dossier avec les autres intervenants, puis ils ont traité le patient ou l’ont adressé au spécialiste le plus adapté (chirurgien, rhumatologue, neurologue, dermatologue, etc.) après avoir effectué les examens complémentaires nécessaires définis lors de la discussion du dossier. Cette organisation a permis de limiter * Clinique Jouvenet, Paris. La Lettre du Neurologue Nerf & Muscle • Vol. XVII - n° 1 - janvier 2013 | 27 VIE PROFESSIONNELLE le nombre de consultants pour un même patient, pour qui l’abord d’un nouveau médecin peut être une épreuve, mais aussi de diminuer le coût financier de la prise en charge, sachant que nombre de musiciens ne peuvent supporter la charge du ticket modérateur, a fortiori de dépassements d’honoraires, ou ne sont tout simplement pas affiliés à un organisme de sécurité sociale (notamment les patients étrangers). Prise en charge Examen clinique L’examen clinique est primordial. Il doit permettre d’énoncer un diagnostic, ou tout au moins, une hypothèse diagnostique correctement étayée. Après une écoute attentive du patient, on analyse avec lui les symptômes et leur origine, en cherchant à différencier ce que l’on peut imputer à l’instrument, à la gestuelle ou à la posture, de ce que l’on peut imputer à l’habitus et au mode de vie, ou à la morphologie et à l’âge de chaque individu. Il n’est pas certain que la pratique d’un instrument (clavier, cordes, etc.) favorise l’apparition d’une neuropathie périphérique (syndrome canalaire, etc.) ; le musicien, comme tout autre individu, mène une vie normale (tâches ménagères, etc.). Dans 8 cas (concertistes internationaux, musicien de jazz au rythme circadien inversé, jouant presque tous les soirs et dormant le jour), il a fallu tenir compte du décalage horaire pour le diagnostic, mais aussi pour le traitement, prescrit en fonction de l’heure des concerts. Les photos et les films que nous avons pu réaliser nous ont paru intéressants pour rassurer le patient (compression posturale) et lui faire prendre conscience de l’amélioration progressive, mais un peu décevants quant à l’étude de la gestuelle, qui aurait nécessité des moyens autres que ceux dont nous disposions (3). ◆◆ Analyse de la gestuelle Il faut voir l’instrumentiste en action, en consultation, et, si possible, en concert ou en audition publique. On peut ainsi analyser le mouvement mais aussi les mouvements parasites qui vont surcharger inutilement le travail musculaire − ce qui nous intéresse − et modifier en outre la qualité du jeu et la perception de l’auditeur (4). ◆◆ Examen physique Il doit toujours être très complet, étudiant les mouvements passifs, actifs, leur amplitude ; la stabilité des 28 | La Lettre du Neurologue Nerf & Muscle • Vol. XVII - n° 1 - janvier 2013 articulations ; l’analyse des muscles et des tendons (luxation éventuelle lors de certains mouvements). Ainsi, une épaule instable sera souvent compensée par un effort supplémentaire demandé au poignet et aux muscles de l’avant-bras. Examen neurologique L’examen neurologique est concentré sur l’analyse du testing musculaire, des réflexes, des sensibilités (superficielle, profonde), de la proprioception et de la coordination. Examens complémentaires Les examens complémentaires ont toujours été limités et leur indication soigneusement pesée : ➤➤ échographie (kyste, tendinopathie, ténosynovite) ; ➤➤ radiographies ; ➤➤ IRM en milieu spécialisé ; ➤➤ exceptionnellement arthrographie et arthro­ scanner ; ➤➤ scintigraphie (suspicion d’algoneurodystrophie) ; ➤➤ biologie ; ➤➤ électromyogramme : 30 examens dans notre série de 275 patients. Traitements Le traitement est toujours établi après avis sur dossier de tous les intervenants du groupe. Il est toujours médical en première intention : repos, orthèse, massages et rééducation, ultrasons, exceptionnellement ondes de choc, AINS par voie locale, et, en cas d’échec, quelques patients ont bénéficié d’infiltrations (cortisone, PRP [PlasmaRich-Platelet]). Il est chirurgical en désespoir de cause. Traitement médical ◆◆ Repos Complet au départ, il doit être le plus court possible. On suggère d’entretenir la souplesse des doigts, le contact avec l’instrument, avant une reprise très progressive, sous surveillance du kinésithérapeute, en observant des paliers et en veillant à interrompre le jeu dès l’apparition d’une douleur. VIE PROFESSIONNELLE ◆◆ Orthèses Pour le canal carpien, une orthèse de repos, nocturne, limitant la flexion des doigts et du carpe est prescrite. Pour une compression du cubital au niveau du coude, une orthèse maintenant le coude en extension à -20° est conseillée. Il nous a semblé que, chez le violoniste, l’atteinte du cubital au coude est plus fréquemment en rapport avec la flexion nocturne durant le sommeil qu’avec la posture à l’instrument… Dans les cas non déficitaires sur le plan moteur, le port, uniquement la nuit, de ce type d’orthèse a été particulièrement efficace. Pour les cas d’épicondylalgies, une orthèse est portée principalement lors des activités de la vie courante et utilisée lors du jeu, uniquement lorsqu’il faut corriger la posture. Traitement chirurgical ◆◆ Massages et rééducation Les massages ont une visée décontracturante et la rééducation est adaptée à la pathologie. La correction de la posture est parfois nécessaire, mais le plus souvent chez les sujets jeunes. Syndromes canalaires ◆◆ Ultrasons Ils sont utilisés dans le cas des tendinopathies. On a toutefois observé une réaction très inhabituelle aux ultrasons chez 2 violonistes (exacerbation de la douleur, œdème local) ayant entraîné l’arrêt rapide de la technique. Il n’a concerné que 12 patients de notre série, dont un cas où nous nous sommes aperçus, a posteriori, qu’il n’était peut-être pas indiqué. Une kinésithérapie a toujours été prescrite avant et après intervention. Nous nous sommes attachés à limiter les douleurs postopératoires (neurostimulation électrique transcutanée [Transcutaneous Electrical Nerve Stimulation (TENS)], antalgiques de tout grade, etc.) et à dépister systématiquement l’apparition des premiers signes d’une algoneurodystrophie. Tous les patients opérés ont poursuivi leur carrière au même niveau qu’avant l’intervention. Les différentes pathologies rencontrées (figure) ◆◆ Nerf médian : canal carpien Dans notre série, nous avons diagnostiqué 8 syndromes du canal carpien (atteinte clinique bilatérale, plus accentuée du côté dominant). Quatre cas étaient en rapport avec une activité inhabituelle (restauration d’une maison, bricolage intensif, etc.). Cliniquement, des paresthésies étaient constatées en fin de nuit dans le territoire du médian ; il n’y avait pas de déficit moteur ni sensitif ; des signes de Tinel et de Phalen étaient observés ; les radiographies et les échographies étaient normales. ◆◆ Infiltrations Les infiltrations ont parfois permis de passer un cap difficile dans l’attente d’une intervention chirurgicale : canal carpien s’accentuant chez un musicien avant une période de concert ou d’activité importante (période de concours). Elles sont échoguidées pour les cas les plus récents. Même si elle n’est pas indispensable, l’échographie semble rassurer le patient. ◆◆ Antalgiques Ils sont peu utilisés en règle générale. On explique au patient que la douleur doit être plutôt considérée comme un signe d’alarme et que l’on ne la traitera que si le repos est insuffisant pour la faire régresser. Pourcentage ◆◆ AINS par voie locale Ils sont habituellement bien tolérés, sauf en cas d’utilisation très prolongée pouvant être à l’origine d’allergies, voire de dermites. 15 14 13 12 11 10 9 8 7 6 5 4 3 2 1 0 Dystonies Lésions traumatiques Arthropathies Maladies diverses TMS Syndromes canalaires Tendinopathies d’insertion Ténosynovites Troubles morpho-dynamiques de la ceinture scapulaire Overuse syndrome Pathologies TMS : troubles musculo-squelettiques. Figure. Répartition par type de pathologie. La Lettre du Neurologue Nerf & Muscle • Vol. XVII - n° 1 - janvier 2013 | 29 VIE PROFESSIONNELLE Il n’y a pas eu d’électromyogramme. Les symptômes ont régressé à l’arrêt des activités déclenchantes ; le port d’une orthèse nocturne a été prescrit pendant au moins 1 mois. Deux autres cas n’avaient pas de facteur déclenchant apparent : paresthésies en fin de nuit dans le territoire du médian ; signes de Tinel et de Phalen ; pas de déficit moteur ; diminution de la sensibilité discriminative, sans hypoesthésie au toucher, dans le territoire du médian ; radio­graphies et échographies normales ; électromyogramme a minima montrant un ralentissement modéré de la conduction sensitive du médian entre le poignet et le majeur (40 à 44 ms pour une normale ≥ 50), une diminution relative de l’amplitude du potentiel sensitif du majeur et une augmentation minime de la latence motrice distale du médian (3,8 à 4,2 ms pour une normale ≤ 3,6) ; le court abducteur du pouce n’a pas été piqué. Une régression durable des symptômes après une infiltration, réitérée 1 an après dans 1 cas, a été observée. Enfin, 2 cas ont dû être opérés, dont l’un après une infiltration effectuée pour permettre d’attendre la fin d’une période de concerts. Les anomalies étaient nettement plus marquées : acro­paresthésies dès le milieu de la nuit ; signes de Tinel et de Phalen ; amyotrophie du court abducteur du pouce (ne paraissant pas gêner le jeu au piano) ; hypo­esthésie pulpaire nette dans le territoire du médian ; radiographies normales ; pas de kyste à l’échographie (les mesures du diamètre du médian n’étaient pas effectuées à l’époque) ; électromyogramme complet (dénervation sévère du court abducteur du pouce en détection) ; augmentation importante de la latence motrice distale du médian (6,8 et 7,5 ms pour une normale ≤ 3,6) avec diminution de l’amplitude de la réponse motrice ; ralentissement de la conduction sensitive du médian entre le majeur et le poignet (35 et 30 ms pour une normale ≥ 50) avec effondrement de l’amplitude du potentiel sensitif du majeur. Du fait de l’importance de l’atrophie des thénariens externes par rapport à l’atteinte sensitive, on a recherché un double crush syndrome (canal carpien et rond pronateur) qui n’a pas été trouvé. Dans les 2 cas, l’intervention a été effectuée à ciel ouvert, ce qui a permis de montrer, s’agissant de l’atrophie sévère du court abducteur du pouce, que la branche motrice thénarienne traversait le rétinaculum, cela expliquant l’atteinte motrice plus marquée que ne l’aurait laissé penser le caractère relativement modéré de l’atteinte sensitive. Dans ce cas, la patiente a donné son premier concert 6 semaines après l’intervention. La récupération clinique a été spectaculaire avec réapparition dans l’année qui a suivi d’un court abducteur du pouce de trophicité normale. La même patiente 30 | La Lettre du Neurologue Nerf & Muscle • Vol. XVII - n° 1 - janvier 2013 a présenté, 2 ans après, une ténosynovite nodulaire avec troisième doigt à ressaut, traitée médicalement avec succès par 2 infiltrations à 1 an d’intervalle. ◆◆ Nerf cubital Dans notre série, plusieurs diagnostics ont pu être posés. ➤➤ Compression au niveau du talon de la main et dans la région du coude (gouttière rétro-épitrochléoolécrânienne, épine sus-épitrochléenne). ➤➤ Compression du nerf cubital en rapport avec une flexion prolongée du coude lors d’un voyage aérien de longue durée : hypoesthésie et paresthésies des 2 derniers doigts et dans le territoire de la branche cutanée dorsale du cubital ; minime déficit moteur des interosseux et de l’abducteur du 5e doigt ; pas d’examen complémentaire ; prescription du port nocturne d’une orthèse maintenant le coude en extension à -20° ; régression complète en 3 mois. ➤➤ Compression au niveau du coude (n = 5) : les données cliniques étaient des troubles sensitifs distaux dans les territoires des 2 branches terminales au cubital, la branche hypothénarienne et la branche cutanée dorsale. Dans 3 cas seulement, on notait un minime déficit moteur de l’abducteur du 5e doigt et des interosseux, sans amyotrophie. L’électromyogramme montrait dans tous les cas un bloc de conduction sensitive au niveau de la gouttière rétro-épitrochléo-olécrânienne et une diminution de l’amplitude du potentiel sensitif de l’auriculaire par rapport au côté opposé. Dans 3 cas, on observait une diminution modérée, sans bloc, de la conduction motrice du segment rétro-épitrochléoolécrânien (35 à 39 ms pour une normale ≥ 43) et des tracés discrètement neurogènes dans les intrinsèques de la main innervés par le cubital. Quatre patients ont été traités médicalement : le port nocturne d’une orthèse maintenant le coude en extension à – 20° leur a été prescrit. En ce qui concerne les cubitaux au coude, un patient a dû être opéré (neurolyse simple, sans transfert ni épitrochléectomie) et un bon résultat à 3 mois a été observé. ➤➤ Compression du cubital au niveau du ligament de Struthers : pianiste décrivant des troubles sensitifs dans le territoire du cubital lors de l’effort ou bien lors de l’interprétation de certains morceaux techniquement difficiles ; signe de Tinel au tiers distal du bras noté cliniquement ; bloc partiel de la conduction sensitive au même niveau à l’électromyogramme (étude comparative) ; pas d’anomalie de la conduction motrice, ni de dénervation du cubital antérieur et des intrinsèques de la main innervés par le cubital ; échographie et IRM peu démonstratives. VIE PROFESSIONNELLE Le patient estimant ces troubles peu gênants, nous nous sommes contentés d’un suivi clinique à long terme. ➤➤ Compression au niveau de la loge de Guyon par un kyste synovial : 1 cas opéré. Les données cliniques consistaient en de minimes troubles sensitifs dans le territoire de la branche hypothénarienne ; déficit moteur à 3 des interosseux, sans déficit appréciable de l’abducteur du 5e doigt. L’électromyogramme a montré des signes de dénervation chronique du premier inter­ osseux dorsal avec une augmentation importante de la latence motrice distale de la branche profonde motrice du cubital (7,0 ms pour une normale ≤ 4,2) ; l’abducteur du 5e doigt était normal, ainsi que la latence motrice distale de la branche hypothénarienne (2,5 ms pour une normale ≤ 3,6). L’étude comparative par rapport au côté sain montrait une diminution modérée, de l’ordre de 30 % de l’amplitude du potentiel sensitif enregistré par méthode antidromique au niveau de l’auriculaire, alors que la conduction sensitive distale était discrètement ralentie (45 ms du côté atteint, 52 ms du côté sain, pour une normale ≥ 50). Une échographie a été réalisée pour confirmation. L’exérèse du kyste a été effectuée sous anesthésie loco-régionale ; les suites opératoires ont été simples, entraînant une reprise de l’activité à 4 semaines. ◆◆ Nerf radial Compression prolongée du nerf radial ➤➤ Au niveau du bras (probable compression sur le dossier d’une chaise) : déficit du long supinateur et des extenseurs du carpe et des doigts, triceps normal, troubles sensitifs à la face dorsale de la main dans le territoire de la branche superficielle, aucun examen complémentaire n’a été demandé, surveillance clinique hebdomadaire, récupération complète en 6 semaines. ➤➤ Au tiers proximal de l’avant-bras : déficit des extenseurs du carpe et des doigts, minimes troubles sensitifs à type de paresthésies au toucher dans le territoire de la branche superficielle. Aucun examen complémentaire n’a été demandé et la récupération a été complète en 3 semaines. Syndrome de l’arcade de Fröhse Huit cas ont été diagnostiqués, dont 2 opérés. Cliniquement, on constatait une épicondylalgie chronique, une douleur à la pression du radial au tiers proximal de l’avant-bras, quelques centimètres au-dessous de l’épicondyle, une douleur à l’extension contrariée du majeur et une douleur à l’extension contrariée du poignet, la main en flexion : il n’y avait pas de signes sensitifs distaux. L’électromyogramme n’a été réalisé que dans 3 cas, dont les 2 opérés : dans 1 cas, il était pratiquement normal (patient traité médicalement), alors qu’il s’avérait très démonstratif dans les 2 autres cas. L’étude comparative du nerf radial montrait une diminution de la vitesse de conduction motrice de l’ordre de 10 ms du côté atteint, et des signes de dénervation chronique dans l’extenseur propre de l’index et l’extenseur commun des doigts, sans atteinte du long supinateur. Les conductions sensitives distales étaient symétriques. Les interventions ont consisté en une libération du radial au niveau de l’arcade de Fröhse ; les suites ont été un peu longues, mais le résultat s’est avéré très satisfaisant au bout de 4 à 6 mois. ◆◆ Syndrome de Lotem Deux cas ont été traités médicalement. ➤➤ Compression du nerf radial au tiers distal du bras, le plus souvent par une arcade fibreuse (expansion fibreuse du chef externe du triceps [5], parfois par le chef externe du triceps [6]). Cliniquement, une douleur était éprouvée à la pression du radial au tiers distal du bras, et l’on constatait des troubles sensitifs dans le territoire de la branche superficielle ainsi qu’un discret déficit moteur du long supinateur et des extenseurs du carpe et des doigts. Effectué dans les 2 cas, l’électromyogramme a montré des signes de dénervation chronique, modérée, dans le long supinateur, l’extenseur commun des doigts et l’extenseur propre de l’index, sans ralentissement franc de la conduction motrice du radial, mais avec une diminution significative de l’amplitude du potentiel sensitif distal (étude comparative). Les 2 patients ont été traités médicalement avec succès : mise au repos pendant 3 à 4 semaines, application locale d’anti-inflammatoire, kinésithérapie avec rééducation, notamment de la posture et de la tenue de l’instrument (violon et violoncelle). ➤➤ Compressions distales du radial : 5 cas (névrite de Wartenberg), dont 1 seul opéré. Cliniquement, douleur, avec signe de Tinel, au-dessus de la styloïde radiale, paresthésies et dysesthésies à la face dorsale de la main dans le territoire de la branche superficielle du radial. Dans tous les cas, on notait l’existence d’une ténosynovite de De Quervain confirmée par l’échographie. L’électromyogramme a toujours montré une diminution de l’amplitude du potentiel sensitif distal et un ralentissement de la conduction de la branche superficielle du radial. Une patiente (violoniste) a été opérée avec un bon résultat à distance, malgré des suites opératoires marquées par des douleurs dont l’origine n’a jamais été déterminée, mais qui ont régressé sous traitement par TENS. Quatre autres patients ont été traités médicalement (repos, infiltrations, rééducation posturale). La Lettre du Neurologue Nerf & Muscle • Vol. XVII - n° 1 - janvier 2013 | 31 VIE PROFESSIONNELLE Les praticiens du réseau ayant suivi et traité les patients. Orthopédistes : Pr Dominique Le Viet, Dr Philippe Sauzières, Dr Pascal Gaudin Rhumatologue : Dr Marc Bruneau Radiologie et échographie : Pr Jean-Luc Drape, Dr Henri Guerini Kinésithérapeutes : Coralie Cousin, Josette Beder, Philippe Terrade Algologue : Dr Marie-Thérèse Gatt Ostéopathes : Arnault Odeyer, Thibault Espérandieu Psychiatre : Dr Théo Lydenbach Parmi les enseignants : Anne-Lise Gastaldi, pianiste, professeure au CNSMD et au CRR de Paris Références bibliographiques 1. Queffélec A, Bloch-Dano E, Boulez P et al. Marcel Proust, une vie en musiques. Paris : Riveneuve éditions et Michel Archimbaud éditions, 2012. 2. Massin J, Massin B. Ludwig Van Beethoven. Paris : Fayard, 1967:435. 3. Kaddour F. Le geste du pianiste. Étude sur le jeu musicien. Thèse de doctorat, université de Lille III (soutenue le 7 décembre 2009). Chapitre I : le geste musicien. 4. Kidel M, Fleisher L. Les leçons d’un maître, coproduction. ArteLes films d’ici, Paris 2001. 5. Lotem M, Fried A, Levy M et al. Radial palsy following muscular effort. A nerve compression syndrome possibly related to a fibrous arch of the lateral head of the triceps. J Bone Joint Surg Br 1971;53:500-6. 6. Wilhelm A. Das radialis irritations syndrom. Handchirurgie 1970;2:139-42. 7. Ross MH, Charness ME, Lee D et al. Does ulnar neuropathy predispose to focal dystonia? Muscle Nerve 1995;18:606-11. Pour en savoir plus… ✓✓ Lederman RJ. AAEM minimonograph #43: neuromuscular problems in the performing arts. Muscle Nerve 1994;17:569-77. ✓✓ Tubiana R. Les syndromes canalaires chez le musicien instrumentiste. Chirurgie de la main 2004;23:S224-S232. ✓✓ Nourissat G, Chamagne P, Dumontier C. Motifs de consultation des musiciens en chirurgie de la main. RCOT 2003;89(6): 524-31. ✓✓ Journal of Bodywork & Movement Therapies. Medical Problems of Performing Artists. ✓✓ Revue Médecine des arts. ➤➤ Compression d’un nerf digital, à la frontière des syndromes canalaires et des compressions prolongées. Deux cas de compressions répétées de collatéraux du pouce en rapport avec la tenue de l’instrument ont été observés. Dans 1 cas, l’étude électromyographique comparative a montré la diminution importante de l’amplitude du potentiel sensitif (technique orthodromique). Dans le second cas, l’IRM ayant montré un renflement névromateux du collatéral interne du pouce, l’électromyogramme n’a pas été jugé indispensable. Le traitement a été uniquement médical : repos, protection des zones d’appui par interposition d’un patch de silicone lors de la reprise de l’instrument, modification de la posture et de la prise en main de l’instrument. ➤➤ D’autres syndromes canalaires connus n’ont pas été observés dans notre série : compression du nerf musculo-cutané ou du nerf circonflexe, syndrome du rond pronateur, etc. ◆◆ Plexopathies : troubles morpho-dynamiques de la ceinture scapulaire, syndrome de la traversée thoraco-brachiale, syndrome du défilé des scalènes, syndrome sous-pectoral ➤➤ Dans notre série, 16 cas étaient cliniquement évocateurs d’un syndrome de la traversée thoracobrachiale ou d’un syndrome des scalènes, se caractérisant par des troubles sensitifs distaux, unilatéraux, de topographie variable selon les patients (plutôt C6 ou C8-D1) et une sensation de faiblesse du membre supérieur lors de certaines activités. L’examen clinique a toujours montré un déséquilibre franc de la ceinture scapulaire au repos. Plus de la moitié des patients présentait des contractures de la musculature cervicale et un œdème intermittent de la main. Les tests habituels (Ross, Adson) étaient positifs dans tous les cas. Les examens complémentaires étaient : radiographies du rachis cervical montrant une perte de la lordose physiologique et l’absence de discopathie significative. Le traitement est uniquement médical, se résumant à une rééducation prolongée (protocole de Peet et rééducation posturale). ◆◆ Syndrome de Parsonage et Turner Deux syndromes de Parsonage et Turner ont été répertoriés, intéressant les muscles proximaux du membre supérieur droit. La confirmation a été faite par un électromyogramme et une IRM (pas de pathologie cervicale). Le traitement est médical : assistance psychologique tout au long de l’évolution, rééducation prudente visant au départ à conserver les amplitudes articulaires, puis à une aide lors de la reprise de l’instrument après 3 mois d’arrêt. 32 | La Lettre du Neurologue Nerf & Muscle • Vol. XVII - n° 1 - janvier 2013 ◆◆ Radiculopathies cervicales Elles ont concerné 3 patients parmi les plus âgés : 2 violonistes (atteinte C6 et atteinte C8) et 1 pianiste (atteinte C6). Les données cliniques étaient très évocatrices et confirmées par l’IRM. Un électromyogramme a été effectué dans le cas le plus sévère (atteinte C8) montrant des signes de dénervation chronique. Après discussion et plusieurs entretiens, le patient a arrêté sa carrière d’instrumentiste avant d’envisager une intervention chirurgicale. Les 2 autres patients ont été traités médicalement : rééducation et kinésithérapie pour les 2, une infiltration pour le violoniste. Fausses pathologies périphériques masquant un trouble central Un pianiste a été opéré des 2 côtés d’un syndrome des loges d’effort au niveau des avant-bras, puis, quelques années plus tard, d’une compression bilatérale du nerf radial au niveau de l’arcade de Fröhse, toujours amélioré, mais seulement partiellement et temporairement, par les différentes interventions, jusqu’au diagnostic final de dystonie. Cela repose la question des relations entre les compressions nerveuses et la survenue d’une dystonie (7). Quatre patients ont été adressés au chirurgien avec un tableau de compression du cubital ou du radial. Les examens complémentaires (radiographies, écho­graphies, IRM, électromyogramme) étaient normaux. Une dystonie a été retenue comme diagnostic final. Un patient a décrit des troubles sensitifs, puis des sensations de tremblement au niveau d’un pied, après prélèvement d’un tendon extenseur d’un orteil pour réparation du tendon extenseur de l’auriculaire (rupture traumatique). Le suivi a été de 1 an jusqu’au diagnostic de la maladie de Parkinson. Conclusion Dans notre série de 275 patients, nous avons pu constater que la pathologie neurologique périphérique ne concernait donc qu’environ 20 % des sujets. Les consultations très longues, parfois répétées, ont nécessité un retour aux principes de la sémiologie clinique. Il n’y a eu que peu d’examens complémentaires. La plupart des patients ont été traités médicalement et ils ont bénéficié d’une surveillance utilisant tous les moyens actuels (téléphone, Internet, etc.). Le recours à la chirurgie a été exceptionnel, sans doute du fait de l’extrême motivation des patients, et le taux d’échec a été minime. ■