Les troubles du langage dans le contexte d`un syndrome cérébelleux

SIMPLE COMME BONJOUR !
RESUME : « CEST SIMPLE COMME BONJOUR ! ». L’EXPRESSION QUALIFIE QUELQUE CHOSE DE
TRES FACILE A REALISER, A COMPRENDRE. EN EFFET, LA MAJORITE DENTRE NOUS DIT
« BONJOUR ! » PLUSIEURS FOIS QUOTIDIENNEMENT, SANS AVOIR LIMPRESSION DACCOMPLIR UN
QUELCONQUE EXPLOIT. ET POURTANT DIRE « BONJOUR ! » EST VRAIMENT LOIN DETRE LA CHOSE
LA PLUS SIMPLE AU MONDE. CE PAPIER* DEVELOPPE COMBIEN CET ACTE, BANAL EN APPARENCE, PEUT
ETRE COMPLEXE SUR LE PLAN DE LA COORDINATION ET DE LA SYNCHRONISATION.
Vous croisez dans la rue une personne que vous connaissez. Vous la croisez d’abord… du regard. Dans
quelques mètres, vous allez lui dire bonjour en lui serrant la main. Votre cerveau et votre cervelet vont vous
y aider.
Ils vont d’abord éventuellement modifier votre trajectoire de façon à rencontrer effectivement cette
personne. Il s’agit de ne pas se louper en passant à un mètre l’un de l’autre. Votre cerveau et votre cervelet
vont adapter la vitesse de votre déplacement de façon à arriver avec une vitesse quasi-nulle au point de
rencontre. Il s’agit de se dire bonjour, et pas de se rentrer dedans. Ce point de rencontre va par ailleurs
être calculé et recalculé à mesure que vous allez avancer. Il s’agit de se rencontrer, et pas de s’arrêter à un
mètre l’un de l’autre. Ce calcul dépend de votre vitesse, mais aussi de la vitesse qu’adopte la personne en
face de vous.
À un certain moment, votre cerveau et votre cervelet vont interrompre le mouvement de balancier de
vos bras lors de la marche pour mettre en œuvre l’avancée et l’élévation du bras grâce auquel vous allez
serrer la main de cette personne. Vous n’allez pas suivre du regard votre bras pour contrôler son
mouvement. La simple vision périphérique et la proprioception de ce mouvement suffiront à mener à bien
cette entreprise, à trouver la vitesse adéquate et l’angle nécessaire pour que ce bras soit dans la bonne
position au moment exact de la rencontre. Si votre bras est prêt trop tôt, vous aurez l’air un peu idiot et
vous pourriez même développer une crampe. Ce mouvement doit commencer ni trop tôt, ni trop tard.
Dans le même temps, votre cerveau et votre cervelet vont mettre en œuvre l’ouverture progressive de
la paume de la main qui ira s’imbriquer dans la paume de la main de la personne qui vient en face de vous.
Ce mouvement doit lui-aussi être synchronisé à votre vitesse de déplacement et à la vitesse d’élévation de
votre bras. Il doit commencer ni trop tôt, ni trop tard. Au bon moment, la paume doit être suffisamment, et
pas trop, ouverte pour que cette poignée de main soit un banal succès. La vision périphérique et la
proprioception suffisent également à réguler la réalisation de ce mouvement.
À partir d’une certaine distance qui vous sépare de cette personne, vous établirez un contact entre votre
regard et le sien. Pour cela, votre cerveau et votre cervelet contrôleront le mouvement de votre tête et de
vos yeux pour maintenir cet échange de regard qui durera au moins jusqu’à la prononciation d’un
« bonjour ! ». Il ne s’agit pas d’établir cette communication du regard trop tard, car elle vous permet de
mieux repérer la vitesse de déplacement de la personne. Il ne sagit pas non plus détablir cette
communication du
regard trop tôt, car cette focalisation diminue sensiblement les performances de votre contrôle visuel
périphérique nécessaire au bon déroulement de votre déplacement, de l’avancée de votre bras et de
l’ouverture de votre paume de main.
Vous adopterez ensuite une mimique de visage destinée à entrer un peu plus en relation avec cette
personne. Vous lui indiquerez, par une mimique ouverte, vos intentions bienveillantes. Vous marquerez par
ce changement le fait que vous l’avez reconnue et que vous êtes disposé à entrer en relation.
Arrivé à ce stade, vous vous êtes arrêté à une distance adéquate de cette personne. Vous devez
maintenant maintenir cette posture debout immobile. Comme on l’a déjà vu, il peut être aussi difficile, voire
plus difficile, de rester immobile que de marcher. Il s’agit maintenant de conserver votre équilibre en
effectuant de microscopiques balancements d’un pied à l’autre. Si vous êtes maintenant débarrassé du
travail de contrôle de la marche, vous devez conclure cette rencontre en serrant la main de la personne et
en prononçant un « bonjour ! » qui pour être agrémenté d’un complément tel que « Madame, Monsieur X »
ou un prénom. La prononciation de cette parole implique les 17 muscles de la langue, les muscles de la
bouche, de la gorge, du larynx et de l’appareil respiratoire, sous le contrôle de votre cerveau et de votre
cervelet. Certains muscles doivent rester inactifs, d’autres doivent être contractés, et cela dans une
coordination et un enchaînement bien déterminés. À cet instant, il n’est plus question de déglutir votre
salive comme vous l’avez fait de façon régulière jusqu’à maintenant. Si respirer et parler en même temps
est parfaitement compatible, on ne peut pas simultanément parler et déglutir. Dans ce moment très bref,
vous adapterez également votre poignée de main à celle de la personne. Votre cerveau et votre cervelet
vous aideront dans cette tâche.
* Il reprend des propos d’une discussion sur les syndromes cérébelleux qui a eu lieu mercredi 29 Janvier
2003 lors d’une réunion du service de Génétique Médicale de l’Hôpital NECKER à Paris*, réunion au cours de
1
Pour tout contact : olivier.nicolas.gill[email protected].
laquelle le Professeur Arnold Munnich et son équipe recevaient des membres de l’association Connaître les
Syndromes Cérébelleux.
Voilà. Sur la page suivante, un schéma reprend le déroulement de ces actions tantôt concomitantes,
tantôt successives. Il peut exister des variations dans l’ordonnancement de ces actions entre les individus et
pour un même individu. On le voit, au cours de ce banal moment de la vie quotidienne, certaines activités
sont permanentes ou quasi permanentes, comme la respiration ou la déglutition. Là encore, cette
permanence apparente cache d’infimes modifications. Ainsi, on ne respire pas strictement de la même façon
lorsqu’on marche et lorsqu’on est immobile, lorsqu’on est silencieux et lorsqu’on parle, lorsqu’on focalise son
attention visuelle sur quelque chose et lorsqu’on a une attention plus diffuse. Le cervelet est tout
particulièrement partie prenante dans ces fines adaptations.
Que peut-on observer chez une personne qui présente une ataxie liée à une lésion du cervelet ?
- une difficulté dans le contrôle de la trajectoire et de la vitesse de la marche ;
- une difficulté à passer d’un équilibre dynamique (la marche) à un équilibre plus statique (la
posture debout immobile) ;
- une difficulté à maintenir la posture debout immobile ;
- une difficulté à concilier un échange du regard avec la personne en face et le maintien d’une
vigilance de fond sur la marche ;
- une impossibilité d’avancer son bras et de tendre sa main alors qu’on est encore en mouvement ;
- une difficulté à avancer son bras et tendre sa main correctement sous le seul contrôle d’une
proprioception et d’une vision périphérique ;
- une difficulté à réaliser la poignée de main sans se déséquilibrer ;
- une tendance à bloquer les activités de fond comme la respiration et la déglutition dès qu’on
commence un déplacement ou un geste.
Ce dernier point me semble essentiel à retenir. Cette respiration bloquée présente une utilité : elle
favorise une contraction musculaire générale qui, en rigidifiant le corps, permet un déplacement plus rigide
mais aussi plus stable. Elle présente deux inconvénients : tant que dure la marche ou le geste, les échanges
respiratoires sont inhibés, ce qui n’est pas favorable à un fonctionnement régulier et correct de l’appareil
neuromusculaire. Enfin, lorsque cette respiration se débloque, c’est souvent au moment de la prononciation
du « bonjour ! » qui sera de ce fait particulièrement explosif ou prononcé sur une inspiration d’air.
L’impression qui se dégage de cet ensemble de difficultés est celle d’une désorganisation globale. Des
gestes vont être déclenchés en avance ou en retard, des mouvements vont être prolongés ou arrêtés avant
l’heure, des activités automatiques vont être bloquées. La prolongation, l’avance ou le retard de certains
mouvements va venir perturber la réalisation d’autres mouvements. La personne pourra même supprimer
ce premier échange et commencer directement la rencontre par une prise de parole sans « bonjour », alors
qu’elle est encore à plusieurs mètres de son interlocuteur. L’ensemble de ces constatations vaut également
pour une personne qui se déplace à l’aide d’une canne, d’un déambulateur ou dans un fauteuil roulant. Ces
difficultés peuvent même isoler. Une personne ataxique me disait récemment : « Des gens croient que je
leur fais la tête, mais non, je n’ai tout simplement pas les moyens de regarder où je pose les pieds et le
visage des gens que je croise. ».
Dis bonjour à la dame !
L’enfant tout-venant apprend lui aussi progressivement à réaliser plusieurs actions simultanément,
comme dire bonjour à quelqu’un qu’il connaît au cours d’une promenade. Ne pas dire bonjour est considéré
comme un comportement impoli, offensant. Tout comme ne pas regarder en face la personne à qui l’on
s’adresse. Pour autant, on ne peut pas demander à un enfant plus que son système attentionnel cérébral et
cérébelleux en développement ne peut réaliser. Le fameux « Dis bonjour à la dame ! » n’a bien souvent que
le mérite de bloquer l’enfant face à une demande, certes légitime, qu’il ressent comme une brimade.
Le problème est-il insoluble pour une personne ataxique ? Le mieux est l’ennemi du bien. Vouloir tout
maîtriser à la fois est un écueil à éviter. Mais vouloir ne faire qu’une seule chose à la fois pour la réaliser
correctement est un deuxième écueil, plus sournois. Apprendre à faire tantôt deux choses successivement,
tantôt deux choses simultanément me semble être la meilleure approche.
Alors que j’arrivais dans la salle d’attente pour l’accueillir, un garçon ataxique que je suivais en
rééducation m’évitait systématiquement et rentrait précipitamment dans le bureau de travail sans me
regarder et sans me dire bonjour pour aller s’asseoir, plutôt content de venir travailler. La gêne de ses
parents qui l’accompagnaient n’avait d’égal que ma frustration. Je décidais de réagir en me plantant
systématiquement sur son passage et en tendant la main pour obtenir de force un arrêt, un échange de
regards, une poignée de main et un bonjour clair et sonore. Peine perdue. Puis j’ai décidé de dissocier ma
façon de faire. Tantôt, je lui disais bonjour sans le regarder et sans lui tendre la main, tantôt je lui tendais la
main sans lui dire bonjour, tantôt je n’allais pas l’accueillir, tantôt j’allais l’accueillir en le regardant, en lui
tendant la main et en lui disant bonjour. Il a été surpris par ma façon de faire et a progressivement, lui
aussi, pris l’initiative de me saluer au cours d’un désormais habituel bref moment d’échange avec une
poignée de main, un bonjour sonore, un échange du regard, et quelques fois les trois à la fois.
2
Pour tout contact : olivier.nicolas.gill[email protected].
Olivier Gilles
Samedi 8 février 2003
Schéma des actions impliquées dans le fait de dire « bonjour » à l’occasion d’une rencontre.
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EN VUE DE LA RENCONTRE
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TABLISSEMENT ET
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STATIQUE
3
ELEVATION DU BRAS EN VUE
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DE
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UVERTURE DE LA PAUME EN VUE
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DU
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BONJOUR
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EGLUTITION
Pour tout contact : olivier.nicolas.gill[email protected].
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