laquelle le Professeur Arnold Munnich et son équipe recevaient des membres de l’association Connaître les
Syndromes Cérébelleux.
Voilà. Sur la page suivante, un schéma reprend le déroulement de ces actions tantôt concomitantes,
tantôt successives. Il peut exister des variations dans l’ordonnancement de ces actions entre les individus et
pour un même individu. On le voit, au cours de ce banal moment de la vie quotidienne, certaines activités
sont permanentes ou quasi permanentes, comme la respiration ou la déglutition. Là encore, cette
permanence apparente cache d’infimes modifications. Ainsi, on ne respire pas strictement de la même façon
lorsqu’on marche et lorsqu’on est immobile, lorsqu’on est silencieux et lorsqu’on parle, lorsqu’on focalise son
attention visuelle sur quelque chose et lorsqu’on a une attention plus diffuse. Le cervelet est tout
particulièrement partie prenante dans ces fines adaptations.
Que peut-on observer chez une personne qui présente une ataxie liée à une lésion du cervelet ?
- une difficulté dans le contrôle de la trajectoire et de la vitesse de la marche ;
- une difficulté à passer d’un équilibre dynamique (la marche) à un équilibre plus statique (la
posture debout immobile) ;
- une difficulté à maintenir la posture debout immobile ;
- une difficulté à concilier un échange du regard avec la personne en face et le maintien d’une
vigilance de fond sur la marche ;
- une impossibilité d’avancer son bras et de tendre sa main alors qu’on est encore en mouvement ;
- une difficulté à avancer son bras et tendre sa main correctement sous le seul contrôle d’une
proprioception et d’une vision périphérique ;
- une difficulté à réaliser la poignée de main sans se déséquilibrer ;
- une tendance à bloquer les activités de fond comme la respiration et la déglutition dès qu’on
commence un déplacement ou un geste.
Ce dernier point me semble essentiel à retenir. Cette respiration bloquée présente une utilité : elle
favorise une contraction musculaire générale qui, en rigidifiant le corps, permet un déplacement plus rigide
mais aussi plus stable. Elle présente deux inconvénients : tant que dure la marche ou le geste, les échanges
respiratoires sont inhibés, ce qui n’est pas favorable à un fonctionnement régulier et correct de l’appareil
neuromusculaire. Enfin, lorsque cette respiration se débloque, c’est souvent au moment de la prononciation
du « bonjour ! » qui sera de ce fait particulièrement explosif ou prononcé sur une inspiration d’air.
L’impression qui se dégage de cet ensemble de difficultés est celle d’une désorganisation globale. Des
gestes vont être déclenchés en avance ou en retard, des mouvements vont être prolongés ou arrêtés avant
l’heure, des activités automatiques vont être bloquées. La prolongation, l’avance ou le retard de certains
mouvements va venir perturber la réalisation d’autres mouvements. La personne pourra même supprimer
ce premier échange et commencer directement la rencontre par une prise de parole sans « bonjour », alors
qu’elle est encore à plusieurs mètres de son interlocuteur. L’ensemble de ces constatations vaut également
pour une personne qui se déplace à l’aide d’une canne, d’un déambulateur ou dans un fauteuil roulant. Ces
difficultés peuvent même isoler. Une personne ataxique me disait récemment : « Des gens croient que je
leur fais la tête, mais non, je n’ai tout simplement pas les moyens de regarder où je pose les pieds et le
visage des gens que je croise. ».
Dis bonjour à la dame !
L’enfant tout-venant apprend lui aussi progressivement à réaliser plusieurs actions simultanément,
comme dire bonjour à quelqu’un qu’il connaît au cours d’une promenade. Ne pas dire bonjour est considéré
comme un comportement impoli, offensant. Tout comme ne pas regarder en face la personne à qui l’on
s’adresse. Pour autant, on ne peut pas demander à un enfant plus que son système attentionnel cérébral et
cérébelleux en développement ne peut réaliser. Le fameux « Dis bonjour à la dame ! » n’a bien souvent que
le mérite de bloquer l’enfant face à une demande, certes légitime, qu’il ressent comme une brimade.
Le problème est-il insoluble pour une personne ataxique ? Le mieux est l’ennemi du bien. Vouloir tout
maîtriser à la fois est un écueil à éviter. Mais vouloir ne faire qu’une seule chose à la fois pour la réaliser
correctement est un deuxième écueil, plus sournois. Apprendre à faire tantôt deux choses successivement,
tantôt deux choses simultanément me semble être la meilleure approche.
Alors que j’arrivais dans la salle d’attente pour l’accueillir, un garçon ataxique que je suivais en
rééducation m’évitait systématiquement et rentrait précipitamment dans le bureau de travail sans me
regarder et sans me dire bonjour pour aller s’asseoir, plutôt content de venir travailler. La gêne de ses
parents qui l’accompagnaient n’avait d’égal que ma frustration. Je décidais de réagir en me plantant
systématiquement sur son passage et en tendant la main pour obtenir de force un arrêt, un échange de
regards, une poignée de main et un bonjour clair et sonore. Peine perdue. Puis j’ai décidé de dissocier ma
façon de faire. Tantôt, je lui disais bonjour sans le regarder et sans lui tendre la main, tantôt je lui tendais la
main sans lui dire bonjour, tantôt je n’allais pas l’accueillir, tantôt j’allais l’accueillir en le regardant, en lui
tendant la main et en lui disant bonjour. Il a été surpris par ma façon de faire et a progressivement, lui
aussi, pris l’initiative de me saluer au cours d’un désormais habituel bref moment d’échange avec une
poignée de main, un bonjour sonore, un échange du regard, et quelques fois les trois à la fois.
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