Réponses évolutives comparées de deux poissons marins, aux changements
globaux en zones côtières - EVOLFISH
Isabelle Calvez
Directeur de thèse: Jean Laroche
Co directeur: Eric Morize
Résumé du projet : Les changements climatiques récents et leur impact sur les communautés
marines sont particulièrement suivis depuis quelques décennies en Atlantique Nord ; on a ainsi
détecté en Manche que durant les années chaudes, la ressource en hareng (Clupea harengus), espèce
adaptée aux eaux « froides », déclinait ; une tendance inverse étant observée chez les poissons
adaptés aux eaux « chaudes » tel que la sardine (Sardina pilchardus) (Parmesan, 2006). La
température apparaît comme la première contrainte agissant sur la distribution géographique des
Poissons marins, particulièrement pour les espèces diadromes présentant une phase de leur cycle vital
en eau douce ou estuarienne (Béguer et al, 2007). Parallèlement à ce réchauffement climatique global
des zones marines, on observe une altération générale de la qualité des eaux côtières, plus
particulièrement liée aux activités agricoles, industrielles et urbaines sur les bassins versants, se
traduisant notamment par une augmentation générale de l’eutrophisation et de la contamination
chimique (Cloern, 2001) ; certains poissons se développant dans les estuaires industrialisés et
urbanisés sont ainsi exposés aux niveaux de contamination les plus forts détectés chez les populations
naturelles de vertébrés et pourraient présenter une certaine résistance à la toxicité des polluants
(Wirgin et Waldman, 2004). La réponse des Poissons marins et notamment leur capacité évolutive
face aux changements globaux d’origine climatique (réchauffement) et anthropique (principalement
la contamination chimique) demeure encore une boîte noire en biologie marine.
En conséquence, nous proposons dans ce projet d’explorer les réponses évolutives comparées de deux
modèles de poissons plats, la sole (Solea solea) et le flet (Platichthys flesus), au multi-stress
(réchauffement et contamination) en milieux estuariens. L’aire de répartition de la sole est assez
large de l’Afrique du Nord au Sud de la Norvège, incluant toute la Méditerranée ; le flet étant une
espèce plus nettement septentrionale, distribuée de l’Afrique du Nord au Nord de la Norvège et à
l’Ouest de la Méditerranée (Quéro, 1997). Des observations de terrain faites par la communauté
scientifique française indiquent que le flet pourrait subir un impact négatif du réchauffement
climatique, sa présence se raréfiant au Sud du Golfe de Gascogne comme en Méditerranée, depuis les
années 1990 ; la sole ne présentant pas de tendance similaire sur les secteurs précédents. Il semblerait
donc que ces deux taxons puissent développer des « sensibilités différentielles » vis à vis de la
thermie.
Notre approche s’inscrit dans l’évaluation du degré d’adaptation de populations vis à vis de leur
environnement local : thème central en biologie évolutive. La variabilité dans les phénotypes
observée dans la nature peut refléter en partie les adaptations locales au niveau des populations,
provenant de différentes pressions de sélection agissant sur des traits biologiques héritables, dans des
environnements contrastés. La comparaison de la différenciation phénotypique entre les populations
(i.e. obtenue pour des traits phénotypiques quantitatifs) avec leur niveau de différenciation génétique
(par des marqueurs génétiques neutres) est une approche très fructueuse en biologie (Merila et
Crnokrak, 2001) ; par cette approche Koskinen et al (2002) ont mis en évidence une forte sélection
locale par la température, sur des populations d’un Poisson d’eau douce (Thymallus thymallus).
La démonstration de la sélection / adaptation dans la nature reste difficile, et l’une des approches les
plus prometteuses est de réaliser un « common garden » ; i.e. dans ce projet nous allons comparer les
performances relatives de lots de juvéniles de flet et sole, prélevés dans des populations contrastées
au niveau température et contamination des eaux, et soumis en laboratoire à des stress thermiques et
chimiques. Les réponses des différents lots de poissons seront explorées sur différents traits
biologiques quantitatifs: tant au niveau moléculaire (expression de gènes), qu’au niveau individuel
(croissance journalière par l’analyse des otolithes ; métabolisme basal par la mesure de
consommation en oxygène ; investigation sur les signatures delta C13 comme marqueur potentiel de
l’activité métabolique sur otolithe et tissus mous ; réserve énergétique…) ; ces investigations
permettront de quantifier la différenciation phénotypique (Qst) entre les populations. La
différenciation génétique (Fst) sera aussi estimée entre les populations à l’aide de marqueurs
génétiques neutres hypervariables, de type microsatellites. L’analyse conjointe Qst/Fst entre les
populations permettra d’identifier les traits phénotypiques où Qst >>> Fst , qui témoignent d’une
adaptation locale au sein des populations analysées. Au final ce travail vise à estimer le potentiel
adaptatif d’espèces côtières dans des environnements contrastés, et donc à explorer le potentiel de
résilience des populations naturelles soumises aux stress multiples tels que réchauffement climatique
et fortes pollutions.
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