SOMMAIRE GÉOPOLITIQUE Edito . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p. 3 ENJEUX ET PROSPECTIVE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . P. 6 LES GRANDS DOSSIERS DE DIPLOMATIE N° 30 GÉOPOLITIQUE DU CLIMAT ENTRETIEN La question du changement climatique n’est pas (seulement) un problème d’environnement . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .p. 8 PORTFOLIO Les géants des nouvelles technologies et du net au secours du climat. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .p. 11 ENTRETIEN De l’équilibre du système Terre . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .p. 13 PORTFOLIO Le guaimaro, un arbre pour sauver le climat ? . . . . . . . . .p. 17 FOCUS Qui sont les climatosceptiques ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .p. 18 IMPACTS . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . P. 20 ANALYSE Les sociétés à l’épreuve du réchauffement climatique . . . .p. 22 ANALYSE Aggravation des risques et des enjeux humanitaires dus au climat : gestion de crise et anticipation. . . . . . . . . . . . . . . . . . . .p. 26 FOCUS Pour une cartographie locale des « systèmes à risques » dans le cadre du changement climatique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .p. 33 FOCUS Le phénomène El Niño/La Niña . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .p. 36 ANALYSE Comprendre les migrations pour échapper aux effets du changement climatique. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .p. 37 FOCUS Réchauffement climatique, maladies infectieuses et risques sanitaires . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .p. 42 GÉOPOLITIQUE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . P. 44 ANALYSE Gouverner le climat ou gouverner les sociétés humaines ? Enjeux et historique des négociations sur le climat . . . . . . . . . . . . . . .p. 46 FOCUS Le Vatican et le réchauffement climatique . . . . . . . . . . . . . . . .p. 52 DU CLIMAT ANALYSE Menace climatique : qu’en dit-on à l’ONU ? . . . . . . . . . . . . .p. 53 ENTRETIEN Quels engagements de la Chine sur les questions climatiques ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .p. 56 FOCUS Le futur président américain sera-t-il un climatosceptique ? . .p. 59 PORTFOLIO L’Inde officialise l’Alliance solaire internationale . . . . . . . .p. 60 ANALYSE Les Philippines, leader des plus vulnérables . . . . . . . . . . . .p. 61 PORTFOLIO Le Costa Rica milite pour la « décarbonisation » mondiale ! .p. 65 FOCUS Pacifique : des États insulaires en danger . . . . . . . . . . . . . . . . .p. 66 ANALYSE Au Bangladesh, lutter contre le changement climatique est une question de survie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .p. 68 FOCUS L’Afrique de l’Ouest face aux défis climatiques. . . . . . . . . . . . .p. 72 ENTRETIEN Lutte contre le réchauffement climatique en Afrique de l’Ouest : il est urgent d’agir ! . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .p. 74 ANALYSE Changements climatiques en Arctique : une gouvernance régionale à la hauteur des nouveaux défis . . . . . . . .p. 77 STRATÉGIE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . P. 82 ANALYSE L’adaptation des politiques de défense au changement climatique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p. 84 FOCUS Militarisation du climat : quels enjeux ? . . . . . . . . . . . . . . . . . p. 89 ANALYSE Changement climatique et violence politique : réflexions sur une nouvelle convergence dans le monde du terrorisme . . . . . . . p. 91 PORTFOLIO La disparition du lac Tchad au cœur de l’instabilité régionale ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p. 95 Livres . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p. 96 Focus Réchauffement climatique, maladies Par Serge Morand, chercheur au Centre national de la recherche scientifique (CNRS) et au Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (CIRAD), Centre d’Infectiologie Christophe Mérieux du Laos. infectieuses et risques sanitaires Le réchauffement climatique est le révélateur d’une emprise écologique humaine en constante augmentation. Le développement économique basé sur une économie dépendante du carbone est le moteur de l’émission des gaz à effet de serre responsables du réchauffement climatique, auquel il faut ajouter les effets de l’intensification agricole avec la déforestation toujours importante dans de nombreuses régions tropicales et l’accroissement de l’élevage des ruminants (1). La santé humaine, et plus particulièrement les risques infectieux, sont au cœur des interrogations concernant les impacts du réchauffement climatique. Les différents scénarios climatiques pour les prochaines décennies, résumés dans les rapports du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), montrent des modifications des régimes de température et de pluviométrie. Ces modifications sont suffisamment importantes pour affecter grandement le fonctionnement des écosystèmes de la planète. Les conséquences pour les sociétés humaines vont dépendre essentiellement de leurs capacités à adapter leurs systèmes de production agricole, de transport, d’urbanisme ainsi que de santé publique dans un monde de plus en plus connecté par le commerce et les migrations internationales (2). L’environnement épidémiologique global va se modifier, mais comment ? Pour répondre à cette question, il faut d’abord admettre qu’une maladie infectieuse ne se caractérise pas uniquement par un syndrome, une étiologie, un agent infectieux, et par la possession d’un vaccin ou de traitements médicamenteux disponibles et efficients. Cette dimension médicale est essentielle, mais elle doit être complétée par une autre dimension, la composante écologique de la transmission infectieuse. L’agent infectieux, ainsi que son vecteur (comme les moustiques) ou son réservoir (comme l’animal sauvage ou domestique) s’ils existent, et les humains sont insérés dans un environnement abiotique (dont le climat) et biotique (la biodiversité) (3). Le changement climatique affecte l’épidémiologie d’une maladie infectieuse parce qu’il modifie directement les conditions abiotiques ou indirectement les conditions biotiques, favorisant ou non la transmission de celle-ci. L’impact sanitaire sur les sociétés résulte d’une troisième dimension comprenant les conditions socioéconomiques des populations et l’efficience des politiques de santé publique. Modéliser l’effet du réchauffement climatique sur l’épidémiologie des maladies infectieuses On comprend donc qu’il est particulièrement difficile d’établir des scénarios des effets du réchauffement climatique sur le devenir des maladies infectieuses. Les modélisations les plus simples concernent les modifications de l’environnement abiotique induites par le changement climatique (température et pluviométrie). Ainsi, les changements d’aire de répartition des moustiques vecteurs de pathogènes, comme pour la dengue ou le paludisme, peuvent être prédits et cartographiés à l’aide des modèles climatiques. Ceux-ci sont établis pour les différents scénarios économiques de production des gaz à effet de serre. Toutefois, si la transmission d’un agent infectieux dépend fortement des conditions biotiques locales, les modèles doivent alors intégrer les modifications de celles-ci, comme la baisse de la biodiversité ou les invasions biologiques. De tels modèles intégrés sont encore largement du domaine théorique car, à ce stade, nous atteignons les limites de nos connaissances sur les liens entre changement climatique, biodiversité et écologie de la transmission des agents infectieux (4). 42 Les Grands Dossiers de Diplomatie n° 30 Décembre 2015 - Janvier 2016 Les modélisations disponibles, et bénéficiant d’un large consensus dans la communauté des épidémiologistes, concernent donc les distributions futures de maladies infectieuses en lien aux modifications de température et d’hygrométrie. Elles montrent que ces distributions vont effectivement se modifier de manière importante avec l’intensité du réchauffement climatique. C’est particulièrement vrai pour les maladies qui nécessitent des vecteurs moustiques pour assurer leur transmission, comme la dengue ou le chikungunya. Ces modèles montrent généralement un déplacement des aires de distribution de ces maladies vers des régions plus élevées en latitude (vers les pôles) ou en altitude. Toutefois, les gains nets de surface géographique sont faibles ; il s’agit essentiellement d’un glissement des aires de distribution. De plus, il faut noter que les conquêtes territoriales effectives de ces maladies vont dépendre d’autres facteurs, et en premier lieu des conditions socioéconomiques et de l’efficience des systèmes de santé publique. Ainsi, le Sud de la France a été envahi récemment par le moustique tigre asiatique, vecteur du virus de la dengue et du chikungunya, et les modèles prévoient que le Nord-Ouest et le Centre de la France vont devenir propices à son installation. Cependant, le système de santé publique français est actuellement en mesure de contrôler rapidement toute flambée épidémique et d’empêcher une éventuelle endémisation de ces maladies infectieuses « tropicales » sur le territoire métropolitain. L’importance de la variabilité climatique L’histoire nous enseigne que la variabilité climatique, avec des phénomènes climatiques tels que El Niño/La Niña (5), a eu des conséquences dramatiques pour de nombreuses sociétés et civilisations dans le passé ancien et plus récent (6). Ces phénomènes climatiques favorisent des épisodes épidémiques pour de nombreuses maladies infectieuses. Les événements de pluviométrie extrême qu’ils génèrent dans certaines régions du monde favorisent les épidémies de dengue, d’encéphalite japonaise, de paludisme ou de fièvres hémorragiques à hantavirus. De même, les événements de sécheresse extrême dans d’autres régions favorisent d’autres types d’infections. Les cartes établies pour les derniers grands épisodes El Niño de 1997/1998 ou de 2007/2008 montrent des associations géographiques entre les anormalités de sécheresse/pluviométrie et l’incidence des épidémies d’un nombre important de ces maladies infectieuses. Il n’est pas nécessaire d’entrer dans une période de phénomènes extrêmes liés à El Niño pour mesurer les conséquences de la variabilité climatique. En effet, la simple variabilité inter-annuelle, mesurée par des indices comme l’ENSO (oscillation australe) pour l’Asie, l’Afrique ou l’Amérique latine ou le NAO (oscillation de l’Atlantique nord) pour l’Europe et l’Amérique du Nord, est associée aux incidences de nombreuses maladies infectieuses. On observe ainsi une corrélation temporelle et spatiale entre les valeurs de ces indices de variabilité climatique et l’incidence de la leptospirose ou de la dengue en Asie du Sud-Est, et de celle des fièvres hémorragiques à hantavirus en Amérique du Nord et en Europe (7). Ces corrélations statistiques permettent d’établir des modèles de téléconnexion prédisant les risques épidémiques de nombreuses maladies par une simple utilisation de ces indices ENSO, NAO (ou autres). Des alertes peuvent être lancées à partir des mesures obtenues par les satellites, servant à l’établissement de ces indices, comme dans le cas de la fièvre de la Vallée du Rift en Afrique australe (8). Focus Variabilité climatique et dérèglement climatique En l’état actuel de nos connaissances, la variabilité climatique, plus que le changement climatique, semble prépondérante pour expliquer épidémies et risques sanitaires infectieux. Cela veut-il dire que le réchauffement climatique a finalement peu de conséquences pour la santé ? Les modèles climatiques récents suggèrent plutôt le contraire : le changement climatique en cours va modifier l’intensité et la fréquence de la variabilité climatique. Les événements El Niño/La Niña vont être plus intenses et plus fréquents dans les décennies qui viennent (9). Le régime de mousson dont dépendent grandement les agricultures d’Asie va être particulièrement affecté : baisse du volume des pluies annuelles moyennes et, surtout, plus d’années anormales caractérisées par des sécheresses intenses ou, inversement, par des pluviométries importantes. Compte tenu du plus grand nombre d’années anormales, l’environnement épidémiologique sera modifié en conséquence ; les risques épidémiques vont augmenter pour toutes les maladies liées à l’eau, transmises par des vecteurs, ou dépendant d’animaux réservoirs sauvages. La difficulté de modéliser la variabilité climatique future rend très hasardeuse en l’état la prédiction des conséquences sanitaires. Nous sommes dans une situation où nous sommes certains que des conditions climatiques vont se trouver optimales pour les transmissions de nombreuses maladies, mais dans l’incapacité de prévoir leurs amplitudes temporelles. Au dérèglement climatique, faut-il ajouter le dérèglement de l’épidémiologie des maladies infectieuses ? Crises sanitaires et dérèglement climatique : se préparer au pire ? Le réchauffement climatique, en modifiant la variabilité climatique, nous fait entrer dans une période de probables crises sanitaires complexes couplées à des chutes des productions agricoles, dans des environnements marqués par une grave atteinte à la biodiversité. Ces crises sont certaines, mais le constat que l’on peut faire des événements sanitaires récents (Ebola, H1N1) montre que les prévisions et les scénarios basés sur l’expertise scientifique et médicale, bien que nécessaires, se révèlent souvent insuffisants pour en assurer la gestion. Se préparer au pire requiert surtout que les systèmes de santé publique conservent leur résilience en situation de crise. Cette résilience des systèmes de santé publique suppose la coordination internationale et la confiance mutuelle des différents acteurs que sont les personnels de santé et de sécurité publique, les scientifiques, les politiques chargés de la décision, de l’action, et de la communication, et les citoyens. Accroître les capacités de résilience des systèmes de santé des sociétés reste donc la meilleure stratégie d’adaptation à promouvoir face au réchauffement climatique. Serge Morand Notes (1) Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture, « Évaluation des ressources forestières mondiales 2015 », FAO, 2015 : www.fao.org/forest-resources-assessment/fr/. (2) S. de la Rocque, S. Morand et G. Hendrickx (dir.), « Changement climatique : impact sur l’épidémiologie et les stratégies de contrôle des maladies animales », Revue scientifique et technique, Organisation mondiale de la santé animale (OIE), vol. 2, no 27, 2008 (http://web.oie.int/boutique/index.php?page=ficprod&id_produit=115&fichrech=1&lang=fr) ; GIS Climat Environnement et Société, « Changement climatique et santé », actes de la conférence internationale, 2-3 octobre 2014 (www.gisclimat.fr/parution-des-actes-du-colloque-changement-climatique-et-sant%C3%A9). (3) Les environnements abiotique (éléments physico-chimiques – non vivants –, notamment ceux relatifs à la composition des sols, au climat, à la topographie…) et biotique – vivant – regroupent l’ensemble des éléments ayant une influence sur le vivant dans un écosystème (NdlR). (4) « Notre santé dépend-elle de la biodiversité ? », actes du colloque des 27-28 octobre 2014, h&b, la revue d’humanité et biodiversité, hors-série, 2015 (http://sante-biodiversite.vetagro-sup. fr/wp-content/uploads/HB-REVUE2015HS_web-aout-20153.pdf). (5) Voir l’explication de ce phénomène page 36 (NdlR). (6) Brian Fagan, Floods, Famines, and Emperors: El Niño and the Fate of Civilizations, Basic Books, 2009. (7) S. Morand et A. Waret-Szkuta, « Les déterminants des maladies infectieuses humaines en Europe: influences de la biodiversité et de la variabilité climatique », dans « Identifier et surveiller les impacts sanitaires du changement climatique pour s’y adapter », Bulletin épidémiologique hebdomadaire, no 12-13, 20 mars 2012 (www.invs.sante.fr/Publications-et-outils/ BEH-Bulletin-epidemiologique-hebdomadaire/Archives/2012/BEH-n-12-13-2012). (8) S. de la Rocque, S. Morand et G. Hendrickx (dir.), op. cit. (9) Jeff Tollefson, « Frequency of extreme El Niños to double as globe warms », Nature, 19 janvier 2014 (www.nature.com/news/frequency-of-extreme-el-ni%C3%B1 os-to-double-as-globe-warms-1.14546). Schématisation des liens entre changement climatique et santé ADAPTATION ATTÉNUATION (prévention primaire : réduction des GES) Émissions anthropiques de gaz à effet de serre (interventions pour réduire les effets adverses) Impacts environnementaux Événements météorologiques extrêmes Effets sanitaires Stress thermique (décès, maladies) Blessures et décès (par inondations, tempêtes, cyclones, feux de forêts…) (fréquence, sévérité, géographie) Prolifération microbienne Changement climatique Changements dans les conditions climatiques moyennes et variabilité : température, précipitation, humidité, vents Impacts sur les écosystèmes (terrestres et marins) et sur certaines espèces Augmentation du niveau de la mer Déterminants climatiques naturels (terrestres, solaires, planétaires, orbitaux) (salinisation ; surcotes) Dégradation environnementale (terre, côtes, écosystèmes…) (intoxications alimentaires, eau non potable, etc.) Modification dans les relations vecteurs-pathogènes-hôtes et dans la distribution géographique et temporelle des maladies infectieuses (malaria, dengue, infections transmises par les tiques…) Baisse des rendements des cultures, de l’élevage et de la pêche (malnutrition, maladies, survie) Perte des moyens de subistance, déplacements, pauvreté (santé mentale, maladies infectieuses, malnutrition, risques physiques) Source : INVS, BEH n°12-13/2012, d’après The Lancet, 2006 ; 367 : 859-869.