Focus
Le réchauffement climatique est le révélateur d’une emprise écologique humaine
en constante augmentation. Le développement économique basé sur une économie
dépendante du carbone est le moteur de l’émission des gaz à effet de serre
responsables du réchauffement climatique, auquel il faut ajouter les effets de
l’intensification agricole avec la déforestation toujours importante dans de nombreuses
régions tropicales et l’accroissement de l’élevage des ruminants (1).
La santé humaine, et plus particulièrement les risques infectieux, sont au cœur des
interrogations concernant les impacts du réchauffement climatique. Les différents
scénarios climatiques pour les prochaines décennies, résumés dans les rapports du
Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), montrent
des modifications des régimes de température et de pluviométrie. Ces modifications
sont suffisamment importantes pour affecter grandement le fonctionnement des
écosystèmes de la planète. Les conséquences pour les sociétés humaines vont
dépendre essentiellement de leurs capacités à adapter leurs systèmes de production
agricole, de transport, d’urbanisme ainsi que de santé publique dans un monde
de plus en plus connecté par le commerce et les migrations internationales (2).
L’environnement épidémiologique global va se modifier, mais comment ?
Pour répondre à cette question, il faut d’abord admettre qu’une maladie infectieuse
ne se caractérise pas uniquement par un syndrome, une étiologie, un agent infectieux,
et par la possession d’un vaccin ou de traitements médicamenteux disponibles et
efficients. Cette dimension médicale est essentielle, mais elle doit être complétée
par une autre dimension, la composante écologique de la transmission infectieuse.
L’agent infectieux, ainsi que son vecteur (comme les moustiques) ou son réservoir
(comme l’animal sauvage ou domestique) s’ils existent, et les humains sont insérés
dans un environnement abiotique (dont le climat) et biotique (la biodiversité) (3).
Le changement climatique affecte l’épidémiologie d’une maladie infectieuse parce
qu’il modifie directement les conditions abiotiques ou indirectement les conditions
biotiques, favorisant ou non la transmission de celle-ci. L’impact sanitaire sur
les sociétés résulte d’une troisième dimension comprenant les conditions socio-
économiques des populations et l’efficience des politiques de santé publique.
Modéliser l’effet du réchauffement climatique
sur l’épidémiologie des maladies infectieuses
On comprend donc qu’il est particulièrement difficile d’établir des scénarios des
effets du réchauffement climatique sur le devenir des maladies infectieuses. Les
modélisations les plus simples concernent les modifications de l’environnement
abiotique induites par le changement climatique (température et pluviométrie).
Ainsi, les changements d’aire de répartition des moustiques vecteurs de pathogènes,
comme pour la dengue ou le paludisme, peuvent être prédits et cartographiés à
l’aide des modèles climatiques. Ceux-ci sont établis pour les différents scénarios
économiques de production des gaz à effet de serre. Toutefois, si la transmission
d’un agent infectieux dépend fortement des conditions biotiques locales, les modèles
doivent alors intégrer les modifications de celles-ci, comme la baisse de la biodiversité
ou les invasions biologiques. De tels modèles intégrés sont encore largement du
domaine théorique car, à ce stade, nous atteignons les limites de nos connaissances
sur les liens entre changement climatique, biodiversité et écologie de la transmission
des agents infectieux (4).
Les modélisations disponibles, et bénéficiant d’un large consensus dans la
communauté des épidémiologistes, concernent donc les distributions futures de
maladies infectieuses en lien aux modifications de température et d’hygrométrie. Elles
montrent que ces distributions vont effectivement se modifier de manière importante
avec l’intensité du réchauffement climatique. C’est particulièrement vrai pour les
maladies qui nécessitent des vecteurs moustiques pour assurer leur transmission,
comme la dengue ou le chikungunya. Ces modèles montrent généralement un
déplacement des aires de distribution de ces maladies vers des régions plus élevées
en latitude (vers les pôles) ou en altitude. Toutefois, les gains nets de surface
géographique sont faibles ; il s’agit essentiellement d’un glissement des aires de
distribution. De plus, il faut noter que les conquêtes territoriales effectives de ces
maladies vont dépendre d’autres facteurs, et en premier lieu des conditions socio-
économiques et de l’efficience des systèmes de santé publique. Ainsi, le Sud de la
France a été envahi récemment par le moustique tigre asiatique, vecteur du virus de
la dengue et du chikungunya, et les modèles prévoient que le Nord-Ouest et le Centre
de la France vont devenir propices à son installation. Cependant, le système de santé
publique français est actuellement en mesure de contrôler rapidement toute flambée
épidémique et d’empêcher une éventuelle endémisation de ces maladies infectieuses
« tropicales » sur le territoire métropolitain.
L’importance de la variabilité climatique
L’histoire nous enseigne que la variabilité climatique, avec des phénomènes
climatiques tels que El Niño/La Niña (5), a eu des conséquences dramatiques pour
de nombreuses sociétés et civilisations dans le passé ancien et plus récent (6). Ces
phénomènes climatiques favorisent des épisodes épidémiques pour de nombreuses
maladies infectieuses. Les événements de pluviométrie extrême qu’ils génèrent
dans certaines régions du monde favorisent les épidémies de dengue, d’encéphalite
japonaise, de paludisme ou de fièvres hémorragiques à hantavirus. De même,
les événements de sécheresse extrême dans d’autres régions favorisent d’autres
types d’infections. Les cartes établies pour les derniers grands épisodes El Niño de
1997/1998 ou de 2007/2008 montrent des associations géographiques entre les
anormalités de sécheresse/pluviométrie et l’incidence des épidémies d’un nombre
important de ces maladies infectieuses.
Il n’est pas nécessaire d’entrer dans une période de phénomènes extrêmes liés à
El Niño pour mesurer les conséquences de la variabilité climatique. En effet, la simple
variabilité inter-annuelle, mesurée par des indices comme l’ENSO (oscillation australe)
pour l’Asie, l’Afrique ou l’Amérique latine ou le NAO (oscillation de l’Atlantique nord)
pour l’Europe et l’Amérique du Nord, est associée aux incidences de nombreuses
maladies infectieuses. On observe ainsi une corrélation temporelle et spatiale entre les
valeurs de ces indices de variabilité climatique et l’incidence de la leptospirose ou de
la dengue en Asie du Sud-Est, et de celle des fièvres hémorragiques à hantavirus en
Amérique du Nord et en Europe (7).
Ces corrélations statistiques permettent d’établir des modèles de téléconnexion
prédisant les risques épidémiques de nombreuses maladies par une simple utilisation
de ces indices ENSO, NAO (ou autres). Des alertes peuvent être lancées à partir des
mesures obtenues par les satellites, servant à l’établissement de ces indices, comme
dans le cas de la fièvre de la Vallée du Rift en Afrique australe (8).
Réchauffement
climatique, maladies
infectieuses et risques sanitaires
Par Serge Morand, chercheur au Centre national
de la recherche scientifique (CNRS) et au Centre
de coopération internationale en recherche
agronomique pour le développement (CIRAD),
Centre d’Infectiologie Christophe Mérieux du Laos.
Les Grands Dossiers de Diplomatie n° 30
Décembre 2015 - Janvier 2016
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