Sécurité au travail par Anna Aznaour Les fenêtres de l’âme embrumées Istvan Molnar, Ophtalmologue chirurgien, Genève. Au conseil suprême des sept sages, un jour un commerçant apporta un petit objet rond dont il se plaint de ne pas pouvoir trouver ni l’origine ni l’utilisation. Même ses efforts de pesée restaient vains puisque rien de ce qu’il mettait sur la balance ne la faisait pencher de l’autre côté que celui de cette petite boule. Après moult discussions, l’un des sages proposa de mettre un peu de terre sur un des plateaux et c’est alors que la balance pencha finalement du côté de la terre. Le verdict du sage fut: «Cette boule est l’œil de l’être humain, tant qu’il n’est pas couvert de terre (donc enterré), il est insatiable». Les yeux appelés également les fenêtres de l’âme, sont les outils qui nous permettent de savourer les images et les trois dimensions qui nous entourent et pour ce faire, tous les moyens sont bons: la lecture, la télévision, l’Internet et j’en passe. Mais que faire quand ce trop plein d’information les embrume ou pire encore, les endommage? Quelles solutions pour ceux dont la vue pâtit à cause de leur profession? Voici les réponses de nos trois sages: Istvan Molnar – ophtalmologue chirurgien, Hou- Houria Fleury, Dr en optique physiologique, Spécialiste des verres de contact, Genève. ria Fleury – optométriste et JeanBernard Weber – avocat. Le travail sur écran, la pollution, la mauvaise hygiène de vie sont autant de raisons pour expliquer la fatigue oculaire récurrente de nos contemporains. Quelles en sont les raisons médicales Docteur Molnar? Istvan Molnar: Les problèmes de réfraction (vision floue) et ceux de coordination oculaire sont les causes principales de cette gêne visuelle. Tout d’abord quelques explications sur le fonctionnement de l’œil. A l’avant de l’œil, se trouvent la cornée (membrane transparente extérieure) et la lentille cristalline (structure transparente juste derrière la pupille), responsable de la mise au point des rayons lumineux qui proviennent de ce que nous voyons sur la rétine, organe sensible à la lumière. L’erreur de réfraction est un problème qui survient lorsque le système de mise au point de l’œil ne fonctionne pas adéquatement, ce qui occasionne une vision floue. Les quatre dysfonctionnements dus aux erreurs de réfraction sont la myopie (difficultés à voir de loin en raison d’un œil trop grand, bonne vision de près), l’hypermétropie (baisse de l’acuité visuelle à toute distance en raison d’un œil trop petit et surtout de près), l’astigmatisme (vision déformée de près comme de loin due à un globe oculaire pas parfaitement sphérique), et la presbytie (la vision de près est floue en raison d’une lentille cristalline devenue un peu trop rigide sous l’effet de l’âge, celle de loin est bonne). Tous ces problèmes de réfraction peuvent être corrigés par le port des lunettes ou de lentilles de contact. En cas d’hypermétropie accompagnée de mauvaise coordination entre les deux yeux, le travail sur écran est encore plus fatigant. Quant aux problèmes de coordination oculaire, qui sont la seconde cause de la fatigue oculaire, il s’agit de troubles qui entravent la tendance naturelle de nos yeux de s’accommoder de la distance de l’objet afin d’en obtenir 1/09 Sécurité au travail tuellement, on ne perd plus forcément la vue suite à cette maladie, car on dispose désormais de traitements efficaces, en particulier dans les formes dites « humides », d’où l’importance d’un diagnostic et d’un traitement précoce. Jean-Bernard Weber, Avocat, Genève. une vision nette. Dans cette optique, l’œil tend à converger ou à diverger. Or, c’est la superposition des images perçues par les deux yeux qui permet de voir en tridimensionnel. Ainsi, lorsqu’un problème de coordination entre les mouvements des deux yeux pouvant se manifester au début par des maux de tête ou une fatigabilité visuelle accrue survient, si le port de lunettes appropriées ne suffit pas, un traitement de rééducation orthoptique peut s’avérer nécessaire. Ceci essentiellement dans le but de réapprendre aux deux yeux à travailler ensemble en parfaite harmonie. Enfin, d’autres problèmes, tels que la pollution ou un air ambiant trop sec surtout dans les environnements climatisés peuvent être source d’irritations oculaire persistantes mais traitables. Dans votre pratique d’ophtalmologue chirurgien, quelles sont les principales raisons de consultation de vos patients? Parmi toutes les difficultés rapportées, les plus fréquentes sont les problèmes de lunettes, la cataracte qui s’opère facilement avec de très bons résultats, le glaucome et finalement la baisse d’acuité visuelle due au diabète. Contrairement aux idées reçues, la cataracte (quand le cristallin devient très opaque et la lumière ne 1/09 peut être correctement transmise à la rétine, ce qui produit une image floue) n’est pas l’apanage exclusif des personnes âgées. Lors de ma pratique au Mali, j’ai pu constater la prolifération de ce trouble chez les patients très jeunes. Une des explications serait les expositions non-protégée aux rayons ultraviolets. D’ailleurs en matière de maladies professionnelles, la cataracte touche plus particulièrement les travailleurs exposés aux radiations ionisantes; ces situations sont toutefois devenues très rares. En matière de mise en garde et de programme de prévention, quelles seraient à votre avis les maladies oculaires prioritaires? La DMLA (La dégénérescence maculaire liée à l’âge) qui attaque la vision centrale et le glaucome. Ces deux maladies sont les principales causes de cécité dans les pays développés! Chez l’enfant il faut détecter l’amblyopie à temps. La DMLA est à ce jour la plus importante cause de perte de vision chez les personnes âgées de plus de 50 ans. Avec l’actuel vieillissement de la population, le nombre de patients atteints de cette maladie va, ces prochaines années, connaître une recrudescence très importante. Ac- En ce qui concerne le glaucome, son danger est lié à la difficulté de le détecter à temps puisque l’acuité visuelle reste bonne pendant très longtemps contrairement au champs visuel qui lui s’altère progressivement sans pour autant que le patient s’en rende compte au début. La plupart des types de glaucome se caractérisent par une pression intraoculaire élevée, et c’est essentiellement à cela qu’il faut s’attaquer pour prévenir son aggravation. Le glaucome étant une maladie difficilement détectable à ses débuts, il serait judicieux de soumettre notamment les travailleurs actifs aux dépistages annuels afin d’en prévenir les effets néfastes. L’amblyopie chez l’enfant était autrefois une cause importante de mauvaise vue d’un œil. Cette mauvaise vue était due au fait qu’un des deux yeux avait un problème de réfraction plus important que l’autre et l’œil le plus proche de la perfection devenait dominant. Ainsi, la relation entre l’œil et le cerveau ne se développait pas bien pour l’autre oeil. Ces vingt dernières années, de nombreuses prises en charges et modules de prévention dans les milieux scolaires ont permis de détecter les troubles oculaires chez les enfants et de traiter en particulier l’amblyopie avant qu’elle ne devienne irréversible. Globalement, des programmes de prévention coûteraient beaucoup moins cher aux employeurs et d’une manière générale à la société que les arrêts maladie ou encore une cécité invalidante des personnes concernées. Quelle est, Docteur Fleury, la différence entre un ophtalmologue et un optométriste? Houria Fleury: La principale différence Sécurité au travail entre les deux est que le premier soigne l’œil et le second corrige la vue. Un optométriste a les mêmes notions de base que l’ophtalmologue mais il est spécialisé dans la correction de vices de réfraction de l’œil par le biais de lunettes ou de lentilles de contact. Il doit être capable de faire un diagnostic sur des pathologies simples de l’œil pour pouvoir adresser le patient à l’ophtalmologue en cas de symptôme suspect. Y a-t-il des cas où le port des verres de contact corrige mieux la vue que les lunettes? De manière générale, le port des lentilles de contact donne une meilleure acuité visuelle par rapport au port des lunettes. En effet, les lentilles de contact ne changent pas la taille des objets extérieurs alors qu’avec les lunettes, ils paraissent soit plus petits si on est myope, soit plus grands si on est hypermétrope. Par ailleurs, non seulement la vue se trouve améliorée mais le champ visuel est étendu et complet car non limité par le cadre des lunettes. Ainsi, le regard est complètement libéré notamment pour le sport où la performance est plus grande. Il y a des cas médicaux graves où seule les lentilles de contact apportent une solution efficace et durable: par exemple le kératocône (malformation congénitale évolutive de la cornée), l’anisométropie (grande différence de correction entre les deux yeux), l’amblyopie (œil paresseux) usw. Dans tous ces cas spéciaux où les lentilles sont prescrites, il y a une bonne prise en charge par l’assurance de base obligatoire. Depuis environ cinq ans, la dernière innovation technologique consiste à porter, uniquement la nuit, des lentilles orthokératologiques qui (gomment( la myopie et l’astigmatisme pendant le sommeil. Ainsi, le patient est doté d’une vision optimale et libéré de port des lunettes ou des lentilles pendant la journée. Par la suite, il suffit de porter les lentilles une à deux nuits par semaine selon le défaut visuel. Pour certains patients, c’est une excellente alternative à la chirurgie réfractive qui elle est irréversible et représente, dans certains cas, un facteur de risque important. En votre qualité d’optométriste, quels conseils pourriez-vous donner aux personnes souffrant de fatigue oculaire? Tout d’abord, il faut avoir une bonne correction en lunettes ou en lentilles et de préférence faire des contrôles réguliers de la vue. Puis il faut avoir un bon éclairage afin que le champ de vision soit uniformément éclairé pour faciliter la lecture et permettre un certain confort visuel. Ensuite, la distance à laquelle on travaille (ex. lire) doit être convenable, c’est à dire à 3540 cm des yeux. Quant au travail sur ordinateur, l’écran doit être installé à 40-50 cm des yeux et dans un angle précis par rapport à l’œil. Et finalement pour détendre les yeux, pratiquer régulièrement (le palming(, c’est à dire se frotter énergiquement les mains et les apposer, comme des coquilles, devant les yeux sans toutefois les toucher. Du point de vue juridique, quelles sont, Maître Weber, les solutions possibles pour les travailleurs touchés par les maladies de l’œil et se trouvant dans l’impossibilité d’exercer leurs professions? Jean-Bernard Weber: Dans le cas d’une impossibilité partielle ou totale d’exercice de fonction, le travailleur peut être pris en charge par l’Assurance Invalidité (AI). En effet, l’AI offre des mesures de réadaptation professionnelle, notamment la formation qui permet d’acquérir d’autres savoirfaire et la réadaptation pratique qui fait appel aux stages dans les ateliers protégés. En cas d’accident de travail endommageant la vue, les mesures d’indemnisation économique sont décidées en fonction des dispositions de la Loi Fédérale sur l’Assurance Accident (LAA) (octroi de rentes et d’indemnités pour atteintes à l’intégrité). peuvent favoriser la survenue des divers troubles visuels. Or, peu de maladies sont reconnues dans la législation suisse comme des maladies professionnelles. Quelles sont les moyens pour les faire reconnaître? Les maladies professionnelles sont déterminées en fonction de deux listes, celle des substances nocives et celle des affections médicales reconnues comme maladies professionnelles. Ces listes figurent dans l’annexe 1 de l’Ordonnance d’application de la Loi fédérale sur l’assuranceaccident (www.admin.ch/ch/f/rs/8/ 832.202.fr.pdf). Afin de faire reconnaître une nouvelle maladie professionnelle par le législateur, il faut tout d’abord prouver le lien de causalité entre la profession exercée ou la nouvelle substance nocive et la maladie en question. Pour ce faire, l’analyse du risque est la première étape indispensable de la démarche. Les sources d’informations doivent être d’une part les statistiques des assureurs de l’assurance accidents et d’autre part les études épidémiologiques réalisées en Suisse ou à l’étranger. L’étape suivante est celle de la légitimation de ces données par l’administration fédérale qui devra valider les résultats présentés. Une autre possibilité de prouver le lien de causalité est de défendre un cas individuel devant les tribunaux car si l’on résout le problème pour une personne, cela pourra faire évoluer la législation dans le sens de la reconnaissance. Dans ce cas, il faut établir que la maladie professionnelle a été causée de manière prépondérante (au moins à 75%) par l’exercice de l’activité professionnelle en question. Conclusion: Cervantès disait (si les yeux ne voient pas, le cœur ne se fend pas( et c’est d’autant plus vrai pour les primates dont nous sommes les lointains cousins. Préservons donc notre vue afin de chérir notre cœur. Certaines professions qui exigent une concentration et sollicitation des yeux très importantes, 1/09