IZA eins 2009 durchgang2

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Sécurité au travail
par Anna Aznaour
Les fenêtres de l’âme embrumées
Istvan Molnar, Ophtalmologue
chirurgien, Genève.
Au conseil suprême des sept sages, un
jour un commerçant apporta un petit
objet rond dont il se plaint de ne pas
pouvoir trouver ni l’origine ni l’utilisation. Même ses efforts de pesée restaient vains puisque rien de ce qu’il
mettait sur la balance ne la faisait
pencher de l’autre côté que celui de
cette petite boule. Après moult discussions, l’un des sages proposa de
mettre un peu de terre sur un des plateaux et c’est alors que la balance
pencha finalement du côté de la terre.
Le verdict du sage fut: «Cette boule
est l’œil de l’être humain, tant qu’il
n’est pas couvert de terre (donc enterré), il est insatiable».
Les yeux appelés également les fenêtres de l’âme, sont les outils qui
nous permettent de savourer les
images et les trois dimensions qui
nous entourent et pour ce faire, tous
les moyens sont bons: la lecture, la
télévision, l’Internet et j’en passe.
Mais que faire quand ce trop plein
d’information les embrume ou pire
encore, les endommage? Quelles solutions pour ceux dont la vue pâtit à
cause de leur profession? Voici les réponses de nos trois sages: Istvan Molnar – ophtalmologue chirurgien, Hou-
Houria Fleury, Dr en optique physiologique, Spécialiste des verres de
contact, Genève.
ria Fleury – optométriste et JeanBernard Weber – avocat.
Le travail sur écran, la pollution, la
mauvaise hygiène de vie sont autant de raisons pour expliquer la
fatigue oculaire récurrente de nos
contemporains. Quelles en sont les
raisons médicales Docteur Molnar?
Istvan Molnar: Les problèmes de réfraction (vision floue) et ceux de coordination oculaire sont les causes principales de cette gêne visuelle. Tout
d’abord quelques explications sur le
fonctionnement de l’œil. A l’avant de
l’œil, se trouvent la cornée (membrane transparente extérieure) et la
lentille cristalline (structure transparente juste derrière la pupille), responsable de la mise au point des
rayons lumineux qui proviennent de
ce que nous voyons sur la rétine, organe sensible à la lumière. L’erreur de
réfraction est un problème qui survient lorsque le système de mise au
point de l’œil ne fonctionne pas adéquatement, ce qui occasionne une vision floue.
Les quatre dysfonctionnements dus
aux erreurs de réfraction sont la myopie (difficultés à voir de loin en raison
d’un œil trop grand, bonne vision de
près), l’hypermétropie (baisse de
l’acuité visuelle à toute distance en
raison d’un œil trop petit et surtout
de près), l’astigmatisme (vision déformée de près comme de loin due à un
globe oculaire pas parfaitement sphérique), et la presbytie (la vision de près
est floue en raison d’une lentille cristalline devenue un peu trop rigide
sous l’effet de l’âge, celle de loin est
bonne). Tous ces problèmes de réfraction peuvent être corrigés par le port
des lunettes ou de lentilles de
contact. En cas d’hypermétropie accompagnée de mauvaise coordination
entre les deux yeux, le travail sur
écran est encore plus fatigant.
Quant aux problèmes de coordination
oculaire, qui sont la seconde cause de
la fatigue oculaire, il s’agit de troubles
qui entravent la tendance naturelle
de nos yeux de s’accommoder de la
distance de l’objet afin d’en obtenir
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tuellement, on ne perd plus forcément la vue suite à cette maladie, car
on dispose désormais de traitements
efficaces, en particulier dans les
formes dites « humides », d’où l’importance d’un diagnostic et d’un traitement précoce.
Jean-Bernard Weber, Avocat, Genève.
une vision nette. Dans cette optique,
l’œil tend à converger ou à diverger.
Or, c’est la superposition des images
perçues par les deux yeux qui permet
de voir en tridimensionnel. Ainsi, lorsqu’un problème de coordination
entre les mouvements des deux yeux
pouvant se manifester au début par
des maux de tête ou une fatigabilité
visuelle accrue survient, si le port de
lunettes appropriées ne suffit pas, un
traitement de rééducation orthoptique peut s’avérer nécessaire. Ceci
essentiellement dans le but de réapprendre aux deux yeux à travailler ensemble en parfaite harmonie. Enfin,
d’autres problèmes, tels que la pollution ou un air ambiant trop sec surtout dans les environnements climatisés peuvent être source d’irritations
oculaire persistantes mais traitables.
Dans votre pratique d’ophtalmologue chirurgien, quelles sont les
principales raisons de consultation
de vos patients?
Parmi toutes les difficultés rapportées, les plus fréquentes sont les problèmes de lunettes, la cataracte qui
s’opère facilement avec de très bons
résultats, le glaucome et finalement
la baisse d’acuité visuelle due au diabète. Contrairement aux idées reçues,
la cataracte (quand le cristallin devient très opaque et la lumière ne
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peut être correctement transmise à
la rétine, ce qui produit une image
floue) n’est pas l’apanage exclusif des
personnes âgées. Lors de ma pratique
au Mali, j’ai pu constater la prolifération de ce trouble chez les patients
très jeunes. Une des explications serait les expositions non-protégée aux
rayons ultraviolets. D’ailleurs en matière de maladies professionnelles, la
cataracte touche plus particulièrement les travailleurs exposés aux radiations ionisantes; ces situations
sont toutefois devenues très rares.
En matière de mise en garde et de
programme de prévention, quelles
seraient à votre avis les maladies
oculaires prioritaires?
La DMLA (La dégénérescence maculaire liée à l’âge) qui attaque la vision
centrale et le glaucome. Ces deux maladies sont les principales causes de
cécité dans les pays développés! Chez
l’enfant il faut détecter l’amblyopie à
temps.
La DMLA est à ce jour la plus importante cause de perte de vision chez les
personnes âgées de plus de 50 ans.
Avec l’actuel vieillissement de la population, le nombre de patients atteints de cette maladie va, ces prochaines années, connaître une
recrudescence très importante. Ac-
En ce qui concerne le glaucome, son
danger est lié à la difficulté de le détecter à temps puisque l’acuité visuelle reste bonne pendant très longtemps contrairement au champs
visuel qui lui s’altère progressivement
sans pour autant que le patient s’en
rende compte au début. La plupart
des types de glaucome se caractérisent par une pression intraoculaire
élevée, et c’est essentiellement à cela
qu’il faut s’attaquer pour prévenir son
aggravation. Le glaucome étant une
maladie difficilement détectable à ses
débuts, il serait judicieux de soumettre notamment les travailleurs
actifs aux dépistages annuels afin
d’en prévenir les effets néfastes.
L’amblyopie chez l’enfant était autrefois une cause importante de mauvaise vue d’un œil. Cette mauvaise
vue était due au fait qu’un des deux
yeux avait un problème de réfraction
plus important que l’autre et l’œil le
plus proche de la perfection devenait
dominant. Ainsi, la relation entre l’œil
et le cerveau ne se développait pas
bien pour l’autre oeil. Ces vingt dernières années, de nombreuses prises
en charges et modules de prévention
dans les milieux scolaires ont permis
de détecter les troubles oculaires chez
les enfants et de traiter en particulier
l’amblyopie avant qu’elle ne devienne
irréversible.
Globalement, des programmes de
prévention coûteraient beaucoup
moins cher aux employeurs et d’une
manière générale à la société que les
arrêts maladie ou encore une cécité
invalidante des personnes concernées.
Quelle est, Docteur Fleury, la
différence entre un ophtalmologue
et un optométriste?
Houria Fleury: La principale différence
Sécurité au travail
entre les deux est que le premier
soigne l’œil et le second corrige la vue.
Un optométriste a les mêmes notions
de base que l’ophtalmologue mais il
est spécialisé dans la correction de
vices de réfraction de l’œil par le biais
de lunettes ou de lentilles de contact.
Il doit être capable de faire un diagnostic sur des pathologies simples de
l’œil pour pouvoir adresser le patient
à l’ophtalmologue en cas de symptôme suspect.
Y a-t-il des cas où le port des
verres de contact corrige mieux la
vue que les lunettes?
De manière générale, le port des lentilles de contact donne une meilleure
acuité visuelle par rapport au port des
lunettes. En effet, les lentilles de
contact ne changent pas la taille des
objets extérieurs alors qu’avec les lunettes, ils paraissent soit plus petits si
on est myope, soit plus grands si on
est hypermétrope. Par ailleurs, non
seulement la vue se trouve améliorée
mais le champ visuel est étendu et
complet car non limité par le cadre
des lunettes. Ainsi, le regard est complètement libéré notamment pour le
sport où la performance est plus
grande. Il y a des cas médicaux graves
où seule les lentilles de contact apportent une solution efficace et durable:
par exemple le kératocône (malformation congénitale évolutive de la
cornée), l’anisométropie (grande différence de correction entre les deux
yeux), l’amblyopie (œil paresseux) usw.
Dans tous ces cas spéciaux où les lentilles sont prescrites, il y a une bonne
prise en charge par l’assurance de
base obligatoire. Depuis environ cinq
ans, la dernière innovation technologique consiste à porter, uniquement
la nuit, des lentilles orthokératologiques qui (gomment( la myopie et
l’astigmatisme pendant le sommeil.
Ainsi, le patient est doté d’une vision
optimale et libéré de port des lunettes ou des lentilles pendant la
journée. Par la suite, il suffit de porter
les lentilles une à deux nuits par semaine selon le défaut visuel. Pour certains patients, c’est une excellente alternative à la chirurgie réfractive qui
elle est irréversible et représente,
dans certains cas, un facteur de risque
important.
En votre qualité d’optométriste,
quels conseils pourriez-vous
donner aux personnes souffrant
de fatigue oculaire?
Tout d’abord, il faut avoir une bonne
correction en lunettes ou en lentilles
et de préférence faire des contrôles
réguliers de la vue. Puis il faut avoir un
bon éclairage afin que le champ de vision soit uniformément éclairé pour
faciliter la lecture et permettre un
certain confort visuel. Ensuite, la distance à laquelle on travaille (ex. lire)
doit être convenable, c’est à dire à 3540 cm des yeux. Quant au travail sur
ordinateur, l’écran doit être installé à
40-50 cm des yeux et dans un angle
précis par rapport à l’œil. Et finalement pour détendre les yeux, pratiquer régulièrement (le palming(, c’est
à dire se frotter énergiquement les
mains et les apposer, comme des coquilles, devant les yeux sans toutefois
les toucher.
Du point de vue juridique, quelles
sont, Maître Weber, les solutions
possibles pour les travailleurs
touchés par les maladies de l’œil
et se trouvant dans l’impossibilité
d’exercer leurs professions?
Jean-Bernard Weber: Dans le cas
d’une impossibilité partielle ou totale
d’exercice de fonction, le travailleur
peut être pris en charge par l’Assurance Invalidité (AI). En effet, l’AI offre
des mesures de réadaptation professionnelle, notamment la formation
qui permet d’acquérir d’autres savoirfaire et la réadaptation pratique qui
fait appel aux stages dans les ateliers
protégés. En cas d’accident de travail
endommageant la vue, les mesures
d’indemnisation économique sont
décidées en fonction des dispositions
de la Loi Fédérale sur l’Assurance Accident (LAA) (octroi de rentes et d’indemnités pour atteintes à l’intégrité).
peuvent favoriser la survenue des
divers troubles visuels. Or, peu de
maladies sont reconnues dans la
législation suisse comme des
maladies professionnelles. Quelles
sont les moyens pour les faire
reconnaître?
Les maladies professionnelles sont
déterminées en fonction de deux
listes, celle des substances nocives et
celle des affections médicales reconnues comme maladies professionnelles. Ces listes figurent dans l’annexe 1 de l’Ordonnance d’application
de la Loi fédérale sur l’assuranceaccident (www.admin.ch/ch/f/rs/8/
832.202.fr.pdf). Afin de faire reconnaître une nouvelle maladie professionnelle par le législateur, il faut tout
d’abord prouver le lien de causalité
entre la profession exercée ou la nouvelle substance nocive et la maladie
en question. Pour ce faire, l’analyse du
risque est la première étape indispensable de la démarche. Les sources
d’informations doivent être d’une
part les statistiques des assureurs de
l’assurance accidents et d’autre part
les études épidémiologiques réalisées
en Suisse ou à l’étranger. L’étape suivante est celle de la légitimation de
ces données par l’administration fédérale qui devra valider les résultats
présentés. Une autre possibilité de
prouver le lien de causalité est de défendre un cas individuel devant les tribunaux car si l’on résout le problème
pour une personne, cela pourra faire
évoluer la législation dans le sens de la
reconnaissance. Dans ce cas, il faut
établir que la maladie professionnelle
a été causée de manière prépondérante (au moins à 75%) par l’exercice
de l’activité professionnelle en question.
Conclusion: Cervantès disait (si les
yeux ne voient pas, le cœur ne se fend
pas( et c’est d’autant plus vrai pour
les primates dont nous sommes les
lointains cousins. Préservons donc
notre vue afin de chérir notre cœur.
Certaines professions qui exigent
une concentration et sollicitation
des yeux très importantes,
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