Colloque Croiser Anthropologie Urbaine et Religieuse – Hommage à Jacques Gutwirth Nanterre, 11 janvier 2013. Souvenirs brésiliens sur Jacques Gutwirth Miriam Grossi e Carmen Rial (Université Fédérale de Santa Catarina – UFSC) Introduction C’est avec grand plaisir que nous nous joignons à cet hommage au professeur Jacques Gutwirth. Nous envoyons notre salutation, de Florianópolis, aux organisatrices de cette journée d’études, ainsi qu’aux autres collègues présents à cette rencontre. Nous présenterons ici, avec notre regard éloigné 1, quelques souvenirs sur cet instigant professeur. Nous présenterons, en particulier son rôle dans les échanges universitaires France-Brésil, tout en apportant quelques éléments de nos recherches sur l’anthropologie française contemporaine. Paris V – Les débuts Nous avons connu le professeur Jacques Gutwirth en 1983/1984 à l’Université de Paris V, au moment où, avec Colette Petonnet, a été créé le Laboratoire d’Anthropologie Sociale. Cette rencontre a été pour nous très importante. Nous débarquions à Paris avec une solide formation de licence et maîtrise à Porto Alegre où l’anthropologie urbaine avait eu un rôle central dans la définition de nos choix théoriques et thématiques de recherche. Des enseignants comme Ruben Oliven, Noemi Brito, Claudia Fonseca et Sergio Teixeira, nous avaient ouvert les portes de ce vaste champs de recherche. L’anthropologie urbaine était déjà, à la fin des années 1970/début des années 1980 un domaine assez développé au Brésil, grâce aux travaux pionniers de Ruth Cardoso et Eunice Durham (de l’Université de São Paulo - USP) sur les mouvements sociaux des habitants des périphéries de São Paulo – pour la plupart migrants d’orginie rurale - et de Gilberto Velho et Roberto da Damatta au Musée National à Rio de Janeiro sur la culture nationale brésilienne et les nouvelles classes moyennes urbaines. Ayant été formées dans l’admiration colonialiste du structuralisme et de l’héritage de l’Ecole Sociologique française de Durkheim et Mauss, quelle a été notre surprise, en arrivant à 1 Terminologie que nous empruntons de Claude Lévi-Strauss, un des pionniers dans les échanges anthropologiques entre le Brésil et la France. l’Université de Paris V em 1982, d’apprendre qu’il n’y avait pas d’enseignement en anthropologie urbaine prévu dans le cadre de la formation doctorale. Ce n’est que deux années plus tard, en1984 que nous avons eu le plaisir de retrouver un espace où l’on valorisait les études qu’on faisait alors, centrées sur des problématiques de la modernité et des processus de la globalisation. C’est donc dans le cadre des débuts du Laboratoire d’Anthropologie Urbaine (LAU) que nous avons cotoyé les collègues de la première génération de ce laboratoire. Des premières réunions réalisées à Paris V, dans les locaux souvent difficiles à trouver de la Sorbonne, à l’instalation formelle du LAU dans les espaces du CNRS à Ivry, nous nous rappelons avec nostalgie de ces premiers moments des réflexions théoriques sur l’urbain en France, marquées par des conversations amicales qui se poursuivaient dans le métro sur la ligne Ivry/Kremlin Bicêtre jusqu’à la station Place d’Italie ou l’on prennait des connexions du métro. C’était un moment de communitas, selon la proposition théorique de Victor Turner sur les moments rituels, moment où tout est encore possible: les hiérarchies du groupe sont moins visibles, les distinctions entre espaces de travail et de loisir moins marquées, les productions théoriques plus collectives et égalitaires. Des chemins de recherche et de travail nous ont pourtant éloignées de ce dialogue et de cette ambiance qui nous était chère. Convivialité au Brésil C’est sans doute avec la formalisation de l’accord CAPES-COFECUB avec le Programme de formation de troisième cycle à Porto Alegre que nous avons établi des rapports plus étroits avec Jacques Gutwirth et l’equipe qu’il dirigeait. A Paris, à la fin des années 1980 nous avions une petite communauté, très rapprochée dans la vie cotidienne. Etant donné que Jacques Guthwirth était le directeur de thèse de Cornelia Eckert e Maria Eunice Maciel, nous nous sentions, par leur intermédiaire tout aussi proches de leur professeur. Son enseignement et ses indications méthodologiques étaient très partagées.Puis elles ont été transmises dans notre enseignement d’anthropologie à l’Université Fédérale de Santa Catarina. Etabli dans la deuxième moitíé des années 1980, l’accord a ammené à Porto Alegre une dizaine de collègues français que nous avons accueillis aussi à Florianópolis pour des conférences et seminaires dans le cadre de notre formation de troisième cycle em anthropologie. Attirés par les plages de l’Ile de Santa Catarina, nous proffitions ainsi de la présence des anthropologues héxagonaux qui y venaient souvent em quête de paysages plus “brésiliens” que ceux de l’estuaire du Guaiba et la pampa du Rio Grande do Sul. Ces visites ont été pour nous des occasions privilegiées de convivialité, tourisme et comensalité avec des membres de l’équipe du LAU et d’autres laboratoires parisiens qui nous rendaient visite. Ce furent des moments d ‘échanges de références bibliographiques internationales, ainsi que des “traductions” culturelles et intelectuelles sur la “vie locale” et la production théorique brésilienne inaccessible en France, car écrites en portugais, langue dont seul Jacques dominait entre ceux qui nous rendirent visite. Gutwirth est venu ainsi, lors d’une de ses premières missions, dans la réunion inaugurale, en 1987 à Florianopois de la “Abinha - sul” (petite ABA – Association Brésilienne d’Anthropologie du Sud), regroupement qui a été à la base de l’actuelle Réunion d’Anthropologie du Mercosud (RAM) qui aujourd’hui reunit de deux à trois mille chercheurs brésiliens, argentins, uruguaiens, chiliens et d’autres pays des Amériques. Dans cette petite rencontre, à laquelle ont participé à peine 30 personnes il a présenté ses recherches sur les assidims. Ceux qui l’ont écouté se rappellent encore d’un exemple de terrain sur ses notations faites sur une boîte de chaussures, faute de trouver du papier plus adequat sur place. Au Brésil, il observait tout avec grande attention et la communauté juive assez laicisée de Porto Alegre a été un point de départ de ses observations de terrain. Cependant c’est dans le domaine d’autres religions qu’il a entamé une recherche plus approfondie. Les années 1980/1990 marquaient un important tournant dans le champs religieux brésilien, celui de l’avènement des religions protestantes, dites évangeliques, en particulier dans l’espace médiatique. Empris de son experience antérieure aux Etats Unis sur les télévangeliques, ses analyses pointues sur l’arrivée du même phenomène au Brésil ont elargi les analyses sur ce sujet produites par l’equipe de Porto Alegre en contact avec d’autres endroits du Brésil. Les rituels religieux, en particulier afro-brésiliens, ont eu um rôle important pour l’expérience de plusieurs chercheurs français venus dans le cadre du projet CAPES-COFECUB. Maintes fois, à Florianópolis, nous sommes allées dans des “terreiros” avec des visiteurs français invités par Jacques pour intégrer le projet. Parmi le groupe de chercheurs français en mission au Brésil, Jean Luc Jamart et Margarita Xanthakou ont été ceux qui sont restés le plus longtemps à Florianópolis, nous faisant cadeau pendant 3 semaines d’une série de cours et de conférences sur la psychanalise et les questions raciales coloniales. Nous gardons aussi un inoubliable souvenir de la visite de Collete Petonnet qui est venue avec Claudia Fonseca pour quelques jours au bord de la plage. Le “circuit français” établit par l’accord CAPES-COFECUB entre Porto Alegre et Florianópolis, se maintient jusqu’à présent, maintenant alimenté par un autre accord CAPESCOFECUB avec l’equipe du LISST à Toulouse. Apports sur l’histoire de l’anthropologie française Après sa retraite, em 1997 - Il vivait déjà em Allemagne - nous avons eu l’occasion de le rencontrer avec Colette Petonnet pour un long entretien partagé sur l’histoire de l’anthropologie française. Selon ses souhaits, nous avons pris rendez vous dans un beau café feutré à cote de l’Opéra Bastille. Assis sur des confortables canapés en velours, nous avons eu le rare privilège de les écouter et de partager leur vision sur l’institutionalisation du champs d’études sur l’urbain en France. Il réflechissait déjà à ce moment là sur le rôle du CFRE – Centre de Formation à la Recherche en Ethnologie – pour la constitution d’une histoire dissidente de la discipline en France, à l’écart des discours dominants encore dans les années 1990 qui ne privilégiaient que l’apport strutucturaliste. Son directeur de thèse, André Leroi-Gourhan, soutenu par Hélène Balfet a produit une école de recherche de terrain dans des villages français qui a formé plusieurs générations d’etudiants passés par la Sorbonne. Nous mêmes avont eu le privilège d’y participer, au début des années 1980, dans un de ces stages, realisé em Bretagne, sous la direction de Mme Jeanine Fribourg, qui a été aussi une des fondatrices du LAU, avec ses recherches sur les fêtes em Espagne contemporaine. Sans doute ces stages de terrain ont marqué tous ceux qui y participèrent, français et étrangers. Cette journée d’hommage à Jacques Gutwirth sera, sans doute, um moment où l’on se rappelera beaucoup de Colette Petonnet. Car à notre avis, l’institucionalisation du LAU doit beaucoup au travail conjoint des deux. Nous savons tous qu’ils étaient liés d’une façon unique et intense et nous imaginons combien Petonnet a du être affectée par le décès de Gutwirth. La proximité de leur disparition, avec un décalage de quelques mois dans la même année, au delà de notre tristesse, nous oblige à reflechir sur ce qui les unit dans leurs trajectoires intelectuelles. Maintenant qu’ils font partie de l’histoire, notre principale question est de comprendre leur rôle pour le développement de l’anthropologie urbaine en France. S’agit-il d’un nouveau domaine de recherche, l’urbain? Peut-on classifier leur travail comme à la base d’un nouveau courant de l’anthropologie française? Ont-ils contribué à la construction de nouveaux concepts et outils méthodologiques? Quelles sont les influences de leurs apports théoriques en France et au Brésil? Comme Gutwirth l’avait déjà signalé, ce n’est pas l’étude de l’urbain qui a été l’inovation des recherches produites à l’intérieur du LAU, mais l’institucionalisation et la reconnaisssance par le CNRS d’une approche méthodologique jusqu’àlors peu connue et systhématisée à l’interieur du champs des sciences sociales en France. Gutwirth et Petonnet, en travaillant ensemble, ont aussi apporté une façon nouvelle de faire la recherche, peu valorisée em France, celle de l’équipe, du groupe, des partenariats intellectuels. Leurs démarches méthodologiques, plus centrées sur le terrain, ont ouvert la voie à des recherches menées par les générations de chercheurs français, formés après les années 1980. Faute de moyens pour partir à l’étranger, sur les continents qui jusqu’à present sont encore présents dans les dénominations et classifications du champs anthropologique français (américanistes, africanistes, asiatiques, etc), ces jeunes anthropologues se sont tournés sur leur propre société, et on pu grâce au soutient institucionnel du LAU y mener leurs recherches doctorales. Si aujourd’hui il est possible d’être recruté, en France, avec des projets de recherches et d’enseignement sur des sujets urbains et contemporains, c’est grâce au travail des pionniers du LAU. En ce qui concerne l’influence de leur école de pensée au Brésil, nous voyons un parcours dans les deux sens. Sans doute, pour les anthropologues qui dès les années 1970 faisaient des recherches sur l’espace et la sociabilité urbaine au Brésil, c’était important d’avoir un espace d’interlocution et de dialogue en France, inexistant jusqu’aux années 1980. Gutwirth et Petonnet ont été, chacun à leur façon, des passeurs de théorie, entre la France et le Brésil, en incorporant aussi dans leur travail le resultat de leur dialogue transatlantique. On vivait encore, dans les années 1970/1980, au Brésil, dans un rapport d’admiration et dépendence théorique avec les pays qu’on appelle aujourd’hui comme faisant partie du Nord Global. En France regarder le proche était une démarche rare et les lectures sur l’anonimat dans la ville, la sociabilité dans les marchés, les cemitières, l’importance du regard sur la vie quotidienne, l’observation de cultes religieux, de la télé, ont été des demarches méthodologiques centrales dans l’interlocution établie entre les deux anthropologies. Par l’intermédiaire d’un dialogue franco-brésilien plus égalitaire, les contributions des collègues français à l’anthropologie urbaine brésilienne sont allées au-delà du choix du terrain et de l’objet de recherche. Les flâneries, l’écoute, le vécu auprès des enquetés, ont été des méthodologies inovatrices dans le champs de recherche française sur l’urbain, et ont contribué à l’éloignement d’une approche théorique sur l’urbain encore trop marquées par les visions plus péssimistes sur la ville que nous avait apporté l’Ecole de Chicago. Derniers mots De notre regard éloigné nous constatons que ces trois dernières décénies ont bien changé l’anthropologie française. D’une part l’anthropologie urbaine, vue comme marginale au début des années 1980, est aujourd’hui un champs reconnu et respecté. D’autre part, nous constatons aussi, que les portes de l’héxagone se sont ouvertes pour accueillir de façon plus ouverte et égalitaire, des nouvelles théories et dialogues internationaux. Jacques Gutwirth a eu sans doute un rôle important dans ces transformations: par sa vie, par ses recherches et par les liens humains qu’il a établis, qui nous rapprochent tous, aujourd’hui, dans cet hommage.