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Développement durable
/ novembre 2012 / n°426
Entretien avec Bettina Laville
Pierre Mendès France 1978
Avocat associée en charge du développement
durable de Landwell & Associés (PWC)
Alors que le respect de
l’environnement est une
incontournable nécessité
pour l’avenir de notre
planète, la question de
l’économie verte reste
conflictuelle. Bettina
Laville nous décrit les
raisons de l’importance
de la transition
énergétique.
La croissance verte sera la prochaine
frontière du développement économique
clament les dirigeants des pays asiatiques.
Pensez-vous que la communauté
internationale est réellement mobilisée
autour des enjeux environnementaux
planétaires et qu’elle est prête d’un
commun accord à changer de modèle
économique ?
Bettina Laville : Beaucoup d’Etats au sein
de l’ONU tiennent un double langage. On
a pu le voir encore récemment à l’occasion
du sommet Rio +20, qui s’est tenu au
Brésil en juin dernier. D’un côté, ils disent
que notre modèle économique a atteint ses
limites et qu’ils entendent se développer
autrement en particulier en verdissant leur
économie ; mais, en même temps, ces
mêmes pays n’assument pas cette position
lors des négociations dans les instances
internationales ou les grands sommets
comme celui de Rio. Pour eux, l’économie
verte est une nouvelle manière trouvée
par les pays « riches » pour continuer
d’asservir, de coloniser les pays pauvres et
qui souffrent d’une insuffisance de transferts
de technologie.
Pourtant avec la crise, nous avons dépassé
le couple infernal croissance-décroissance.
Le problème est de savoir comment
« prospérer ». Notre planète ne pourra
nourrir une humanité de 7 à 9 milliards
d’habitants que grâce à un changement de
modèle économique. D’où l’importance de
la transition énergétique pour construire
ensemble un autre monde, sans pour autant
oublier que la seule compétitivité guide
quelques-uns…
Le développement durable est aujourd’hui
une notion généralement admise mais
on s’aperçoit que les mesures prises par
les Etats pour conjuguer économie et
protection de l’environnement ne sont
pas toujours à la hauteur des enjeux…
Des pays comme la Chine ont saisi
Il faut changer
de modèle économique
l’importance de la croissance verte, ils
investissent même dans ce sens, mais
ses dirigeants, soucieux de protéger la
croissance de leur pays, refusent de soutenir
les propositions avancées par les Européens.
Pour leur part, les gouvernements des pays
européens, en particulier l’Allemagne, ont
compris l’enjeu et la nécessité impérative de
changer les usages et d’engager la transition
énergétique. Le train est désormais bien
en marche, tout en sachant que les choix
énergétiques sont des choix de long terme.
Dans le débat qui nous occupe sur la relation
entre l’Europe et les pays en développement
et/ou à forte croissance, notre continent se
révèle vertueux et est considéré comme
privilégié. Aussi, pour amener ces pays à
mieux prendre en considération les questions
environnementales, je crois beaucoup à
la montée des classes moyennes et de
la démocratie dans les pays émergents.
La préoccupation sanitaire y est appelée
à devenir un facteur très important de
changement. Les défis que doivent relever
les dirigeants de ces pays vont les pousser
à instaurer des politiques de protection de
l’environnement.
Vous mentionnez l’Allemagne comme pays
en pointe, quid de la France ?
Le Grenelle de l’environnement a été un bond
en avant même si ensuite, la mobilisation
de nos gouvernants n’a pas toujours été à
la hauteur des annonces. Aujourd’hui, le
temps de la concrétisation est venu et le
Président de la République a été très clair
dans son discours lors de la Conférence
environnementale. Il a donné une feuille
de route. Qu’a-t-il dit ? Qu’il fallait modifier
le système économique lui-même, la façon
de produire et de répartir les richesses ; qu’il
fallait aussi mettre au point les « critères »
qui permettront de mesurer l’efficacité des
entreprises responsables ; que la nouvelle
économie concernait à la fois « le secteur
marchand et le secteur non marchand ».
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Il a enfin qualifié la transition écologique,
je cite, « de puissant levier de croissance
de compétitivité de nos entreprises et
d’amélioration de notre bien-être collectif ».
Dans un contexte de crise économique
mondiale, les exigences écologiques ne
passent-elles pas au second plan ? On a
le sentiment que cette crise tend à réduire
la capacité d’action des Etats en matière
de transition écologique…
Je ne le crois pas. Au contraire, la crise
économique et financière met en évidence
l’intérêt du concept de développement
durable. Ce n’est pas le moment de lâcher
prise alors que le bien-être social est
aujourd’hui remis en question. Concilier
la protection de la biosphère et le bien
être de l’humanité, sauvegarder les biens
communs mondiaux et la vie décente
d’une population qui compte aujourd’hui
7 milliards d’individus, demain 9 milliards,
est un objectif devenu prioritaire.
Toute transition écologique importante
doit être soutenue par les Etats. C’est ce
qui se passe dans les pays du nord de
l’Europe, qui ont mis en place des politiques
d’achats publics responsables. Certes, les
dettes souveraines et la dette publique
font que les crédits dédiés à la protection
de l’environnement diminuent mais,
parallèlement, les entreprises ont compris
qu’il allait de leur intérêt de renouveler leurs
modèles. La rareté des ressources naturelles
fait que les producteurs sont enclins à moins
les utiliser, à limiter les déchets et à les
réutiliser. Cela aide au développement de
l’économie circulaire. Par ailleurs, nous
savons que le CO2 sera de plus en plus taxé,
ce qui conduit les entreprises à développer
des process moins consommateurs de CO2.
Pour les gouvernants, l’arbitrage est difficile
entre le court et le long terme. D’un côté,
nos institutions privilégient encore trop
le court terme alors que les bénéfices du
développement durable sont à long terme.
La diminution du budget public ne doit pas
entraver la marche en avant, et l’importance
des investissements économiques en matière
écologique montre que l’on va dans le bon
sens. Et puis, en dehors des budgets de
Etats, la sensibilisation a fini par produire
ses effets. Il suffit de voir le volontarisme
des entreprises et des collectivités locales…
L’effort écologique des entreprises passe par
un arsenal de normes. Après la directive
européenne Reach, le protocole de Kyoto et
les directives de réduction d’émissions de
carbone, la réglementation est-elle encore
appelée à se durcir ? Ne faudrait-il pas
mieux compter désormais sur une régulation
des entreprises par elles-mêmes ?
Les réglementations ont poussé les
entreprises à utiliser plus rationnellement
les ressources et à internaliser le coût du
CO2. Elles savent qu’elles doivent respecter
les normes, réguler l’offre de produits et de
services, et investir au risque de nuire à leur
propre processus de production.
Je pense que désormais la production de
normes est suffisante, sauf en matière
sanitaire où la législation et le contrôle ne sont
pas encore allés assez loin. La responsabilité
sociale, sociétale et environnementale prend
le relais ; les engagements volontaires ne
doivent en aucun cas remplacer les normes,
les deux doivent produire du sens pour
l’entreprise au sein d’une société en pleine
mutation.
Un rapport sur l’Après Rio +201, dont vous
avez assuré la direction, met en exergue
la nécessité de coconstruire de nouveaux
modes de production et de consommation.
Qu’entendez-vous par coconstruction ?
L’exercice même du développement durable
est une coproduction. On n’instaure pas
le développement durable sans œuvrer
à une communauté mondiale, et à des
communautés locales qui agissent pour
que la planète soit viable. Les Agendas 21
illustrent cette coproduction de tous les
citoyens ensemble. Au niveau mondial, la
coproduction concerne tous les pays, toutes
les souverainetés nationales. Elle s’épanouit
dans la proximité et aussi la gouvernance
de l’environnement, de la biodiversité. Elle
est délibérative, participative, elle qualifie
la « co-viabilité. »
1 - Après RIO+20. Le développement durable, synthèse et priorités à l’usage
des décideurs. Etude réalisée et publiée par PWC / Landwell & Associés à
l’occasion de la Global Conference 2012 des Ateliers de la Terre.
Lire aussi le rapport « Resilient people, resilient planet : a future worth
choosing », et les numéros 2 et 3 de la revue Vraiment Durable dont Bettina
Laville est rédactrice en chef
Comment Landwell & Associés accompagne-t-il ses clients
sur cette problématique ?
« Nous conseillons beaucoup d’entreprises à "devancer" la
réglementation en terme de prévention, dit Bettina Laville.
Aujourd’hui, il y a une coproduction d’un corpus vertueux mais
le problème posé porte sur le moyen de l’action. C’est pourquoi,
je crois beaucoup à l’investissement socialement responsable
(ISR). L’économie est tenue par la finance. Il faut donc que
cette dernière soit vertueuse. Malheureusement, les fonds ISR
restent marginaux, ils ne représentent pas aujourd’hui 5 % de
l’ensemble. Il faudrait également travailler sur leur rentabilité ».
Landwell & Associés accompagne aussi bien le privé que le
public. Ainsi, le cabinet opère pour soutenir le port autonome de
Dunkerque à établir son Plan de développement durable ; C4 est
une première. Il intervient également au Maroc suite à un appel
d’offre sur la stratégie nationale du pays pour le développement
durable. En matière de RSE, il mène des missions de conseils
juridiques pour les entreprises.
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