On peut penser que l'écriture orchestrale que je mets en place n'est qu'une instrumentation,
une simple distribution des voix de ces polyphonies. Mais je ressens chaque voix polyphonique
comme une parole donnée à un timbre.
Par exemple, j'ai le sentiment que la polyphonie de la Renaissance ne pouvait être seulement un
jeu de l'esprit abstrait. Le compositeur de musique sacrée avait à disposition des voix avec des
caractères, des textures différentes, ou bien des instruments - bref des timbres ; et le plaisir
d'écrire aurait bien pu être celui d'avoir envie de faire sonner les voix de ses amis. A mon avis,
la magnificence de la musique instrumentale de la Renaissance n'est pas due seulement à la
plénitude de la justesse des tierces majeures, mais surtout au plaisir brut et physique de
l'agencement des sonorités charnues des instruments "hauts", ou bien à la délicatesse de
l'entrelacement des sonorités intimes des instruments "bas".
Je crois que dans mon travail polyphonique, l'écriture de chaque voix est guidé par une
sensibilité du timbre soliste.
Ne pas construire une écriture de l'orchestration en lien avec le rythme, ou avec la mise en
relief de l'harmonie, me permet d'éviter, je crois, les "effets" classiques d'orchestration, dont on
pourrait faire rapidement une typologie (par exemple, le "cri" ou le "saut", depuis Le sacre du
printemps). Je sens que j'y gagne également une sensibilité à la manière précise dont les
instruments sonnent dans l'espace. Cela rappelle l'écriture électroacoustique dans un
séquenceur : sur différentes pistes, des voix doivent se voir assigner une place dans l'espace
(c'est particulièrement vrai quand on travaille en multicanal). Ainsi, la construction
polyphonique devient un "mixage grandeur nature", une répartition dans l'espace réel plus que
dans l'espace de la page.
Dans cette optique, le placement des haut-parleurs, d'où sortiront les amplifications ou le
traitement des instruments comme des sons électroniques, est très important. Il faut obtenir
que l'électronique se fonde avec l'orchestre acoustique. Pour cela elle n'a pas à disparaître. Il
faut une association de couleurs, comme l'accordéon se fond avec les cordes ou les vents,
malgré qu'il soit, comme les haut-parleurs, un instrument à la diffusion très directionnelle.
Il faut ainsi placer les haut-parleurs sur scène, avec le même soin que le placement d'un
instrument, ou que l'assignation d'une voix d'une polyphonie à un instrument : dans ces trois
cas, tout est une affaire de "mixage".
Une fois le dispositif en place, on peut en jouer, et avoir une communauté de pensée et de
moyens musicaux entre l'orchestration et l'écriture de l'électronique (élargissements,
soulignements, doublures, etc...).
Problématiques musicales dans La manière noire
Ainsi, les problématiques suivantes, soulevées lors du travail de La manière noire, sont à la
fois des problématiques d'orchestration et d'écriture électronique.
- Assombrissement ou éblouissement : il s'agit de créer des sensations de luminosités
différentes, par l'emploi de polyphonies dans des registres contrastés. Par exemple,