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Sociétal
N° 38
4etrimestre
2002
L E S L I V R E S E T L E S I D É E S
1Patrick Geary,
The Myth of
Nations. The
Medieval Origins
of Europe,
Princeton et
Oxford,
Princeton
University Press,
2002, 199 pages.
Les melting-pots
de nos ancêtres
ANNE-MARIE THIESSE *
Les mythes fondateurs des nations européennes,
fors au XIXescle, alimentent aujourd’hui le
discours des partis dextrême-droite. Pourtant,
comme le montre avec talent un historien
américain1, les royaumes et confédérations qui
se formèrent au cours du lent déclin de l’Empire
romain furent d’extraordinaires mélanges
dethnies, de langues, de cultures, dont les
autorités politiques locales s’attachèrent ensuite
à réinventer le passé.
The Myth of Nations.
The Medieval Origins of Europe
par Patrick J. Geary
Le discours répétitif des forma-
tions populistes xénophobes,
dont le succès bouleverse le pay-
sage politique de l’Europe, est
bien connu : des hordes immigrées
venues de l’Est et du Sud seraient
en train d’envahir les pays occiden-
taux auxquels elles imposeraient,
par la violence et l’arme démogra-
phique, leurs règles, leurs cultures,
leurs religions. Contre ces Barbares
contemporains, les peuples d’Europe
devraient entrer en résistance,
combattre pour défendre leur
identité nationale et « rester
maîtres chez eux ».
Cet argumentaire met en jeu
deux puissants mythes historiques.
Le premier est celui du déclin de
l’Empire romain, dont l’Europe
contemporaine s’apprêterait à
jouer un remake : amollis dans le
bien-être, oubliant les viriles valeurs
originelles, les citoyens de l’Empire
se seraient laissé submerger par
des envahisseurs guerriers. Mais,
contradiction dont les leaders
d’extrême-droite n’ont cure, les
nations contemporaines sont aussi
supposées avoir des fondements
ethniques et être la continuation de
ces Barbares dont le déferlement
signifia la fin de l’Empire romain.
Ainsi, au soir du premier tour des
élections législatives de juin 2002,
Jean-Marie Le Pen répondait-il aux
journalistes de télévision devant
un portrait flamboyant de Clovis,
dont le Front national avait célébré
quelques années auparavant le
baptême comme acte de naissance
du « peuple français ». Les nationa-
lismes qui, depuis l’effondrement
du système communiste, se sont
manifestés en Europe de l’Est ont
aussi abondamment mobilisé les
guerriers antiques et médiévaux
dans des affrontements territo-
riaux menés au nom de l’ethnicité
et de l’intégrité nationale. Les
Francs, Goths, Saxons, Vandales,
Huns, Croates, Serbes et autres
acteurs des Grandes Invasions se
retrouvent donc au cœur de
l’actualité brûlante dans l’Europe du
troisième milnaire commeant.
*Directrice de recherches au CNRS, auteur de La cation des identités nationales : Europe
XVIIIe-XXescle, Seuil, 1999.
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LES MELTING-POTS DE NOS ANCÊTRES
Pour Patrick J. Geary, professeur
à l’Universi de Californie à Los
Angeles, les historiens ont aujour-
d’hui un devoir urgent : démontrer
linani des rérences aux origines
ethniques de l’Europe contempo-
raine. La tâche, souligne-t-il, est
d’autant plus cruciale pour les re-
présentants actuels de la discipline
que les fondateurs de l’histoire
scientifique, au XIXesiècle, furent
pour beaucoup dans la constitution
d’un « vaste dépotoir de matériaux
toxiques » dont émane le natio-
nalisme ethnique. Ce spécialiste
d’histoire médiévale entreprend
donc de revisiter les complexis de
l’affrontement entre l’Empire romain
et les Barbares, non sans avoir
préalablement porté l’estocade
contre les savants créateurs des
histoires nationales de l’Europe.
LES ANACHRONISMES DE
L’HISTOIRE NATIONALE
Depuis une bonne vingtaine
d’années, la question de la
formation des nations européennes
a fait l’objet de nombreuses études
qui, pour la plupart, rompent avec
la perception commune2. Les nations
actuelles ne se sont pas formées
dans la nuit des temps, mais préci-
sément à l’âge des nationalités,
c’est-à-dire au XIXesiècle. Le vieux
terme de nation a revêtu dès lors
une acception nouvelle, en accord
avec les transformations sociales qui
étaient alors en train de s’opérer.
Car la conception moderne de la
nation, telle qu’elle se constitue
depuis le XVIIIesiècle, est porteuse
de changements radicaux, pour ne
pas dire révolutionnaires.
La nation est désormais pensée
comme une communauté large,
unie par des liens qui ne sont ni
la sujétion à un même souverain,
ni l’appartenance à une même
religion ou un même état social.
La nation n’est pas déterminée par
son prince : elle lui préexiste et
lui survit. Elle est donnée comme
la véritable détentrice de la sou-
veraineté politique. Ses membres
sont égaux du point de vue des
droits fondamentaux. L’idée de
nation va donc à l’encontre des
principes doù féodalisme et
monarchie de droit divin tiraient
leur légitimité, et ouvre ainsi la
voie aux structures politiques
modernes de la démocratie.
Mais en même temps, son existence
est légitimée par une supposée
origine commune de tous ses
membres et par la transmission à
travers les âges d’un patrimoine
culturel. Paradoxe fondamental :
l’ie de nation marque une volon
de rupture avec le passé réel des
sociétés européennes, mais sous
l’invocation d’un pas réinven.
Bien quelles soient, pour reprendre
l’expression provocatrice de Bene-
dict Anderson, des « communautés
imaginées », créées par et pour la
moderni, les nations euroennes
sont représentées comme la
continuation d’ethnies constituées
en des temps très anciens. L’enjeu,
en effet, était de fournir aux popu-
lations européennes de nouvelles
identités collectives, fondées sur
le sentiment d’appartenance à des
communautés anciennes qui se
seraient perpétuées à travers les
vicissitudes de l’Histoire. Rien
d’étonnant donc à ce que l’histo-
riographie, comme d’autres disci-
plines se constituant au XIXe
siècle philologie, ethnologie,
archéologie –, ait œuv à la
construction des identités natio-
nales en les enracinant dans un
passé pluriséculaire. Rien de sur-
prenant non plus dans l’anachro-
nisme fondamental qui consista à
plaquer sur les populations origi-
nelles les cagories de définition des
nations modernes, à commencer
par l’unité culturelle et linguistique :
sur ce plan, les empires et royaumes
européens, au début de l’ère na-
tionale, étaient souvent d’une
extrême hétérogénéité. La dyna-
mique d’homogénéisation qu’il
fallait lancer s’appuya sur la
croyance en une unité primordiale
qu’il s’agissait simplement de
restaurer.
Bref, les savants du XIXesiècle ont
largement reconstitué le passé à
l’image du futur escompté. Faut-il
pour autant les traduire devant
le tribunal de l’Histoire ? Patrick
Geary y incline. Mais il esquive la
flexion sur l’émergence de l’idée
nationale moderne et la mise en
perspective historique de ces his-
toriographies nationales elles-
mêmes. Pour sortir du « dépotoir
toxique » qu’elles ont contribà
former, il ne suffit pas de les dénon-
cer, il faut aussi les comprendre
et mieux les connaître. On aurait
aimé savoir comment les historiens
du XIXesiècle ont conçu récits
et scènes exemplaires, vulgarisés
ensuite par les manuels scolaires et
l’iconographie. Mais ces réserves
n’entachent en rien l’intérêt essen-
tiel du livre : le démontage brillant
et érudit des mythes ethniques
projetés sur les supposés ancêtres
barbares des nations européennes.
LES BARBARES DANS
L’EMPIRE ROMAIN
Les Romains de l’Empire divisaient
assez simplement le monde
entre eux-mêmes et les Barbares,
terme générique et joratif appli-
qué aux populations situées au-de
de leurs frontières et subdivisées
en peuples et tribus diverses. Mais
la lente dislocation de l’Empire ne
fut en rien la submersion d’une
ethnie ou nation romaine par
des ethnies barbares aux caracté-
ristiques fixées et durables. La
citoyenneté romaine, étendue
par l’édit de Caracalla à tous les
habitants libres de l’Empire, n’avait
elle-même rien d’une qualification
ethnique. L’identité romaine était,
indique Patrick Geary, plutôt de
type « constitutionnel », elle
concernait un système de lois et
d’obligations fiscales ou militaires.
Et la distinction entre Romain et
Barbare devint, au cours des IVe
et Vesiècles, de moins en moins
tranchée, dans la mesure la
romanité absorbait partiellement
les Barbares qui exerçaient une
pression sur ses frontières.
2Cf. notamment
Benedict Anderson,
Imagined
Communities,
Reflection on the
Origin and Spread
of Nationalism,
Londres, Verso, 1983
(en français
L’Imaginaire national,
Paris, La Découverte,
1996) ;
Ernest Gellner,
Nations and
Nationalisms,
Oxford, Oxford
University Press,
1983 (en français,
Nations et
Nationalismes,
Payot, 1989) ;
Eric Hobsbawm,
Nations and
Nationalisms since
1780, Cambridge,
Cambrige University
Press, 1990 (en
français, Nations et
nationalisme depuis
1780, Gallimard,
1992).
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A la suite des victoires militaires
romaines contre les Goths, Francs
et Alamans à la fin du IIIesiècle,
de nombreux guerriers barbares
neurent d’autre choix que d’intégrer
les armées romaines. Des traités
entre l’Empire et les populations
des marches furent conclus, qui
faisaient de ces foederati des alliés
par force et par intérêt de Rome.
Des guerriers Barbares se trou-
vaient donc en position d’associés
de l’Empire, et pouvaient même se
réclamer d’une citoyenne romaine,
notamment s’ils servaient dans les
armées impériales. La cagorisation
des différents groupes de Barbares
était elle-même émi-
nemment mouvante, en
fonction de la formation
de confédérations plus
ou moins durables, ou
d’absorptions par de
nouveaux groupes.
Ainsi, la confédération
des Huns, peuple de
guerriers nomades,
tenait sa puissance de
sa technique militaire et
de sa capaci à intégrer les vaincus
dans ses troupes. Des guerriers
Goths, Vandales, Franks ou même
citoyens Romains entrèrent dans
la hiérarchie militaire des Huns au
Vesiècle. Subventionnés par l’em -
pereur d’Orient, Théodose II, en
vertu d’une politique jugeant plus
économique d’acheter la paix
avec l’ennemi que de financer des
armées pour le combattre, les
Huns servirent occasionnellement
l’Empire à ses frontières ou même
sur son territoire. En 431, les Huns
furent ainsi envoyés par Rome au
Sud de la Loire pour y écraser les
révoltes bagaudes dirigées contre
le fisc et les propriétaires terriens.
Le successeur de Théodose II ayant
mis fin à ces paiements, Attila
conduisit des raids sur l’ouest de
l’Empire, jusqu’à la fameuse bataille
des Champs Catalauniques (451),
qui opposa deux armées, l’une et
l’autre ethniquement hétérogènes.
Celle d’Attila comprenait en effet
de nombreux Germains soumis
par les Huns, celle du patricien
Aetius, ancien allié d’Attila, ras-
semblait elle aussi des Germains
(Goths, Francs, Bretons ou Saxons)
et des Romains.
La confédération hunnique se
sagrégea rapidement après la
mort d’Attila, certains de ses
descendants finissant par entrer
dans l’aristocratie militaire romaine.
Entre-temps, une partie des Goths
vaincus par les Huns, accompagnés
de déserteurs de la confédération
hunnique, fut autorisée à s’installer
entre le Danube et les Balkans,
formant une confédération visi-
gothe, avec une large
autonomie fiscale et
politique, en échange
d’un soutien militaire à
Rome. Sous la conduite
d’Alaric, tout à la fois
roi barbare et chef
militaire romain, les Vi-
sigoths pillèrent Rome ;
sous celle de son suc-
cesseur Athaulf, ils
gagnèrent le Sud-Ouest
de l’Empire. Leur orga-
nisation devint dès lors analogue à
celle d’autres royaumes formés
dans des conditions similaires,
comme ceux des Burgondes ou des
Ostrogoths.
DES REGROUPEMENTS
LOCAUX COMPOSITES
Les Barbares constituaient alors
une minorité militaire au milieu
d’une population romaine, s’instal-
lant stratégiquement aux frontières
ou dans la capitale. L’administration
romaine, rese en place, leur versait
une partie des taxes qui allaient
initialement au Trésor impérial.
Les rois barbares gouvernaient
leur peuple, tout en exerçant loca-
lement de hautes fonctions de
l’Empire. Les grands propriétaires
terriens de l’Empire s’accommo-
daient de cette situation, les chefs
barbares pouvant se révéler plus
sensibles aux intérêts locaux que
leurs équivalents romains. D’autant
que les élites provinciales romaines
se mettaient à velopper un
sentiment d’appartenance locale,
attese dans la production litraire
du Vesiècle, comme celle d’Ausone
ou de Sidoine Apollinaire. Ce ré-
gionalisme, selon l’expression de
Patrick Geary, remettait à l’honneur
les anciens noms tribaux de la
riode antérieure à la conquête
romaine,sans entrer en concurrence
avec l’appartenance à la romanité.
Lors de leurs avancées dans
l’Empire, les rois barbares ne se
souciaient guère de la diversité
d’origine et de culture de leurs
troupes. Une fois établis dans les
anciennes provinces romaines, ils
tentèrent en revanche d’unifier les
membres fort divers de leur armée
et donc de velopper de nouveaux
sentiments d’identité, organisés
autour d’une prestigieuse généalogie
royale, d’une religion, en général
l’arianisme, et d’un système de
lois. Ces politiques maintenaient la
division entre deux communautés,
l’une romaine, civile et catholique,
l’autre barbare, militaire et arienne,
dirigée par un roi barbare « sous
mandat impérial ».
Cependant, dans les royaumes
créés par les Francs au nord de
la Gaule, éloignés du cœur de
l’Empire, la distinction entre Barbare
et Romain s’effaça plus rapide-
ment. Dès le début du Vesiècle, le
gouvernement romain en Grande-
Bretagne fit place à une multitude
de petits royaumes que vinrent
dominer des vagues de différentes
populations germaniques se fondant
progressivement les unes dans les
autres. De même, dans le nord-est
de la Gaule, la société franque fut
lesultat d’un processus de fusion.
Au cours du Vesiècle, une série
de royaumes rivaux émergèrent.
Parmi leurs chefs, certains, comme
les Mérovingiens, étaient des rois
Francs, d’autres des membres de
l’aristocratie gallo-romaine. L’un
de ces rois Francs était Childéric,
qui avait gagné richesse et pouvoir
au service de l’Empire. Son fils
Clovis élargit le royaume qu’il avait
La démarcation
entre Romains et
Barbares, comme
la composition des
différents groupes,
étaient éminemment
mouvantes.
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LES MELTING-POTS DE NOS ANCÊTRES
hérité, centré autour de Tournai,
en combattant victorieusement
de nombreux autres rois barbares.
Adoptant la religion de l’Empire
plutôt que l’arianisme, développant
une généalogie fabuleuse d’inspi-
ration romaine (des ancêtres
troyens !), il permit une fusion
rapide entre les Francs et les
provinciaux romains de son
royaume.
Les créations de confédérations,
leurs évolutions ou disparitions,
les mouvements de populations
durant les IVeet Vesiècles
conduisirent donc à la formation
de nouveaux peuples et de
nouvelles identités à l’ouest de
l’Empire. Les anciennes appellations
demeurèrent partiellement, mais
leur contenu avait radicalement
changé : il n’y a pas de véritable
continuité entre les Goths ou les
Francs du IIIesiècle et ceux du
VIesiècle. La langue, la culture, la
religion, l’organisation sociale, la
généalogie me que se donnaient
ces peuples avaient changé. Dans
les siècles suivants, ce qui restait
de la distinction entre Romains et
Barbares dans l’ouest de l’Empire
allait progressivement disparaître,
notamment à travers l’unification
religieuse par le catholicisme. Ce
qui fit apparaître par contrecoup,
sinon un nouveau peuple, du moins
un groupe distinct par sa religion
dans une population récemment
homogénéisée : les Romains juifs
du royaume d’Espagne se trourent
marginalisés après la conversion
des Goths au catholicisme, et
furent soumis à de brutales persé-
cutions.
A L’EST DE L’EMPIRE,
SLAVES ET AVARS
L’installation des Slaves dans
l’est de l’Empire, entre le Veet
le VIIesiècle, différa sensiblement
du processus d’installation des
Barbares à l’ouest. Alors que les
troupes des fédérations barbares
s’étaient intégrées dans le système
romain en le contrôlant progressi-
vement, les migrations slaves ne
reprirent en rien les formes poli-
tiques ou sociales de l’Empire. Les
Slaves y arrivèrent plus comme
guerriers-paysans venant travailler
les terres conquises que comme
nomades conquérants en quête
de butins ou de taxes à lever. Ils
absorbèrent rapidement les popu-
lations indigènes dans leur culture
et leur organisation sociale. Leur
unité culturelle et linguistique était
plus grande que celle des peuples
germaniques, mais leur
expansion fut initiale-
ment peu coordonnée.
L’Empire byzantin ne se
trouvait pas confronté
à des rois ou chefs sus-
ceptibles d’être aches,
intégs dans le système
impérial ou vaincus.
L’arrivée des Avars, qui
apparurent dans les
Carpates au VIesiècle, modifia
considérablement l’organisation
des populations slaves. Confédé-
ration de nomades venus de la
steppe, les Avars, à la différence des
Huns, réussirent à créer un vaste
royaume polyethnique en Europe
orientale, qui dura jusqu’à leur
défaite devant les troupes de
Charlemagne. Sous la poussée
des Avars, une partie des Slaves
nétra l’Empire d’Orient, notam-
ment la péninsule grecque. Les
autres furent inclus dans le royaume
avar, auxquels ils devaient fournir
troupes et ravitaillement. Des
révoltes de populations slaves
éclatèrent à plusieurs reprises
contre l’autorité du roi (kagan) des
Avars. L’une d’elle conduisit à la
formation d’un royaume slave,
sur le territoire de l’actuelle Répu-
blique tchèque. Il est probable
que les populations identifiées
au Xesiècle dans l’Empire byzantin
comme Croates et Serbes se sont
constituées dans le cadre de ces
crises centrifuges à la périphérie
du kaganat avar, regroupant des
populations sans doute initialement
composites. De même a priori
pour les Bulgares : les Romains du
Vesiècle désignaient par ce terme
une population de la région de la
Mer Noire qu’ils considéraient
être issue des guerriers nomades
de la steppe comme les Huns. Au
VIIesiècle, ce terme était appliqué
à des populations qui se rebellaient
contre le kaganat avar. La formation
de peuples slaves différenciés cor-
respondrait donc à la constitution
progressive de nouvelles organisa-
tions politiques, dont les popula-
tions hétérogènes étaient dotées
ensuite d’une identité
collective par des
mythes d’origine.
L’histoire de l’Antiquité
tardive et du haut
Moyen-Age ne permet
donc en rien, souligne
Patrick Geary, d’établir
des continuis eth-
niques dans les popula-
tions impliquées. Elle
montre au contraire que des
peuples se sont formés et trans-
formés continûment à partir
d’éléments disparates, même si
d’anciennes appellations ont parfois
été maintenues. Au demeurant,
le processus de formation des
peuples européens ne s’est pas
arrêté avec la constitution des
royaumes médiévaux : il na
cessé de se poursuivre dans les
siècles suivants, sans connaître
aujourd’hui son achèvement. La
structure actuelle des populations
n’est pas intangible depuis des
siècles, elle n’est pas non plus
promise à l’éternité. C’est donc
par une mise en garde contre
toutes les conceptions du passé
fondées sur la croyance en une
fin de l’Histoire que s’achève
l’ouvrage. Aux Européens, Geary
lance un ultime avertissement :
pour construire le futur, il faut
savoir distinguer le passé du
présent. A l’heure la fuite
gressive devant le changement
constitue un danger certain, il
faut espérer que la leçon sera
entendue.l
L’histoire de
l’Antiquité tardive
et du haut Moyen-
Age ne permet
en rien d’établir
des continuités
ethniques.
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