La vie à Saint-Louis Interview de Laurent Van Eynde
Interview de Laurent Van Eynde
Le Marais Comme d’autres
font de leurs enfants des juristes
ou des sociologues, allez –vous
faire des vôtres des
philosophes ?
L.V.E. Je ne sais pas. Disons
qu’il m’arrive parfois, quand je
dois faire une conférence, de
relire le texte à haute voix
devant mes filles. Elles marrent
quand elles entendent ça donc ça
s’annonce déjà mal. Mais
honnêtement, je ne me suis pas
encore posé la question. Peut-
être que ça va venir plus tard, je
ne dis que je vais les laisser f
aire ce qu’ils veulent, enfin si…
je dois dire ça mais je ne me suis
pas encore posé la question.
Le Marais – Est-ce que le monde
reste à faire ?
L. V. E. Oui certainement. Le
monde n’est pas un donné, il est
quelque chose à faire, à
construire, à imaginer. C’est la
thèse de l’un de mes auteurs
fétiches : Castoriadis. Je crois
beaucoup en la vertu de la
création humaine, de l’invention
de formes, etc.
Le Marais – Que pensez-vous de
la page précédente ?
L. V. E. – Je crois que cette page
sera pas mal en écho. À mon
avis, François Ost aura la même
opinion que moi sur un tas de
sujets. Ca fera donc une bonne
suite !
Le Marais Le sujet
saintlouisard standard est-il
autonome ?
L. V. E. Je ne sais pas si ce
sujet existe. Je me bats souvent
contre cette idée quand je vais
dans des écoles faire la
promotion de la philo. Je n’ai
pas l’impression d’avoir si
souvent rencontrer ce standard.
J’ai plutôt l’impression que ce
sont les étudiants entre eux qui
entretiennent cette image
comme étant celle de l’autre. On
exprime souvent sa méfiance de
l’autre en le désignant comme le
type même de Saint-Louis. C’est
une manière de stigmatiser. Cela
dit, si ce standard existait, il ne
serait pas autonome.
Le Marais Préférez-vous la
philosophie ou la littérature ?
L. V. E. Je prends plus de
plaisir immédiat à lire un texte
littéraire qu’un texte
philosophique. Je travaille sur
les décalages entre les deux
discours sur comment le
philosophique est lui-même
littéraire et travaillé par le
langage. Si je décide de me
faire un week-end peinard, je
prendrais plus facilement un
ouvrage littéraire. En même
temps, je ne voudrais pas
tomber dans l’image du plaisir
littéraire qui n’est pas une
manière de connaître. La
littérature a une charge
épistémique, elle est un lieu de
connaissance à part entière.
Le Marais Pensez-vous que
l’on peut être à la fois roux et
professeur d’unif ?
L. V. E. Si je réponds oui,
c’est un aveu. Je ne sais pas si
je suis vraiment roux ou pas.
J’ai déjà tout entendu. La barbe
oui mais les cheveux… Ca
dépend comment l’éclairage
tombe. Je crois donc qu’on peut
l’être. Je n’ai pas l’impression
que ça a été un lourd handicap
jusqu’à présent.
Le Marais Non mais on se le
demandait vu la quasi-absence
de roux à l’université…
L. V. E. Ha mais c’est parce
que je ne suis pas un standard
non plus. Et puis des roux à
l’université, il doit y en avoir
d’autres… Il doit sûrement y
avoir quelques grands noms.
Le Marais Quelle est la mort
qui vous a le plus touché : celle
de Rainier ou celle du Pape ?
L. V. E. Disons qu’avec celle
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du pape, il y avait quand même
quelque chose à réfléchir. Avec
Rainier, je m’en contrefous
complètement. Ce n’est pas que
je sois pris d’une grande
émotion, mais tout ce qui s’est
passé à côté de sa mort et de son
enterrement était plus intéressant
d’un point de vue critique.
Le Marais En ce moment quel
philosophe, outre Mme Dillens,
vous emballe ?
L. V. E. C’est souvent les
philosophes sur lesquels je
travaille qui m’emballe. Pour
l’instant, je suis passionné
d’Hegel bien que je sois très loin
de sa pensée. J’ai une
fascination pour lui me si je
le prends souvent comme
repoussoir. Celui avec lequel je
suis le proche, c’est Castoriadis.
Le Marais Que diriez-vous à
l’étudiant en philosophie
désabusé qui tombe dans le
scepticisme pour le ramener au
bercail ?
L. V. E. La philosophie peut
être joyeuse, elle peut être assez
ludique à condition qu’elle ne
soit pas qu’une pure et simple
remise en cause, à condition que
l’on s’efforce de construire des
explications, de construire des
images du monde, des situations
pour les remettre en cause aussi
tôt. C’est pour cela que la
philosophie est ludique. La
philosophie, ce n’est pas du
scepticisme, c’est de l’ironie.
L’ironie n’est pas purement
destructrice. L’ironie, c’est sans
arrêt se moquer de soi-même.
C’est créer quelque chose que
l’on remet en cause. On est
créateur aussi bien au moment
l’on invente, on
conceptualise que lorsque l’on
se remet en cause. Dans ce
domaine, mes auteurs fétiches
sont les romantiques allemands
qui soutiennent que l’ironie est
un mode de l’enthousiasme. La
philosophie, c’est
l’enthousiasme de vouloir
comprendre en inventant et en
mettant sans cesse en cause ce
que l’on invente.
Le Marais Quel est le meilleur
philosophe, vous ou Mme
Dillens ?
L. V. E. – Je vais vous faire une
réponse dialectique. Je crois que
nous nous complétons bien !
Peut-être que je ne pourrais pas
exister sans elle. Entre elle et
moi, ça se répartit de manière
avantageuse en tout cas du point
de vue des réputations. Elle a
l’exubérance ou la luxuriance du
bleu dans les cheveux tandis que
moi j’aurais l’aspect ascétique
du noir puisque on dit que je
m’habille toujours en noir.
Le Marais Qu’est-ce que
l’enseignement de la
philosophie a à apporter à Saint-
Louis par rapport aux autres
unifs ?
L. V. E. Il y a beaucoup de
choses originales, c’est pourquoi
nous avons bonne réputation
même si nous ne sommes pas
nombreux. Il y a un style Saint-
Louis qui tient d’abord à
l’interdisciplinarité. On est très
sensible à ce qui se fait dans les
autres sections et facultés plus
que dans les autres universités
l’on a uniquement des
centres ou des orientations bien
précises l’on va travailler
avec des autres facultés. Vu que
l’on a que le premier et le
troisième cycle, il y a quelque
chose qui nous pousse à faire le
premier cycle comme si c’était
déjà du deuxième. On essaie de
mettre l’accent sur un mixte de
recherche et d’enseignement. Je
ne fais jamais dans mon cours
une « galerie de monstre » en
disant que Platon, c’est ceci
qu’Aristote, c’est cela. Le fait
d’être proche des étudiants
permet un dialogue constant qui
va nous permettre de voir
jusqu’où on pourra aller dans la
réflexion avec les étudiants. Je
ne donne jamais mes cours de
manière chronologique, il y a
toujours un enjeu thématique
comme dans la recherche. On a
beaucoup d’étudiants qui sont
bien préparés à faire des travaux
en second cycle. Ce sont des
étudiants très peu scolaires qui
ne se contentent pas d’étudier
un cours mais qui vont vouloir
faire plus, aller au-delà d’une
simple réception de la matière.
Le Marais – Qui est le plus fort,
l’hippopotame ou l’éléphant ?
L. V. E. Je ne vois même pas
comment on peut poser cette
question vu que l’éléphant
gagne sur tous les terrains… Il
est plus costaud et en même
temps plus rapide. Il tourne, il
pivote plus facilement. Sans
oublier la trompe et les
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défenses. Propos recueilli par Pierre
Crucifix, Mathias El
Berhoumi et Maxime
Lambrecht.
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