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NOTE D’INTENTION
par Frédéric Tentelier
Suspension.
Céline Valette et Vincent Warin m’ont contacté pour les diriger dans leurs recherches autour de
l’envol, le vol et la chute. Ensemble nous avons travaillé sur cet axe : la recherche du sol (le concret)
et du haut (l’imaginaire)... l’idée était de transfigurer deux disciplines, apparemment faites pour le
sol. Les échasses d’abord : l’art subtil de l’équilibre sans fixité, parce qu’il est impossible de tenir droit
sans piétiner... Puis le BMX : deux roues pas très grandes collées au sol, pas d’ailes ou de réacteur...
L’idée ? Rendre larges et dansantes cette paire d’échasses, faire s’envoler sans rampe cette
bicyclette. C’est ici que la suspension entre en jeu : quelques guindes, quelques poulies... et le sol
nous devient presque inutile...
Je me suis impliqué à la fois dans un travail dramaturgique mais aussi de mise en scène. J’ai eu le rôle
de construire une fable à partir de leurs numéros, mais aussi à partir de réflexions sur la quête
d’humanité ou la cruauté naïve de l’enfance ou la chute...
Dramaturgies.
Au regard de leurs ébauches, j’ai très vite pensé au mythe de
Pygmalion. Ce mythe inclut le thème de la recherche d’humanité, une
réflexion sur la création et une relation attirance/rejet entre deux
personnages. Pour moi, Pygmalion raconte cela : un homme seul,
crée une œuvre plus vivante que lui, croyant enfin avoir trouvé le but
de sa vie, se rend compte trop tard, que comme l’élève, l’œuvre
dépasse toujours le maître.
Au terme de quelques séances de travail, des supports
dramaturgiques variés sont entrés en jeu : notamment Le Grand
Autre, roman graphique de Ludovic Debeurme qui conte l’histoire de
Louis, un petit garçon qui louche, affublé d’une prothèse en guise de
jambe gauche. Louis, à travers ses cauchemars et ses fantasmes, se transforme en insecte, puis en
oiseau, et devient le chef d’un gang de rats... Il se perd enfin dans la forêt, et à l’apogée de sa
douleur rencontre son exact reflet féminin avec qui il s’enfuit dans un monde plus beau.
Silence, une nouvelle de Valérie Zanetti récemment publiée nous interpelle également de part ses
étranges points communs avec Le Grand Autre.
Ces textes, au-delà de raconter le passage à l’âge adulte, nous racontent surtout le passage à la
pensée, au regard sur le monde qui nous entoure avec toutes ses complexités et sa dualité.
Ambiance et scénographie.
Le matériau bois -et tout ce qu’il propose de copeaux, sciures,
branches, feuilles, scie circulaire, hâche...- était une piste de travail
captivante. Par sa présence, son odeur, ses sons, le bois nous
raconte à la fois la grandeur et la petitesse de l’Humain face à la
Nature. Parce que ça vit beaucoup plus longtemps que nous, un
arbre. Endroit maudit des enfants, la forêt est le lieu décisif de la
quête de soi. Portés par une nature si forte et si faible à la fois, les
questionnements de l’humanité face à l’animalité ou de l’humanité
avec l’animalité au milieu du végétal peuvent se poser en toute
normalité. Pascal Quignard, dans Les Ombres errantes écrit :
«Quelque chose qui n’était pas humain chercha à passer pour
humain. Une animalité entourée d’animaux s’extasia, tomba en
arrière, mourut, nomma, se fit monstrueuse.» C’est ce que l’on
cherche dans ce spectacle : qu’est-ce qui fait de nous des humains ? Des humains qui tendent vers
l’animalité : volants ou monstrueux, certes, mais des humains quand même...
Dessins Le Grand Autre, Ludovic Debeurme