10 Les langues autochtones du Québec
• le bilinguisme généralisé dans la population a pour effet pervers de provoquer
l’abandon graduel de la langue ancestrale au profit du français ou de l’anglais.
Ces facteurs expliquent la grande fragilité des langues encore parlées sur le terri-
toire du Québec7. On sait toutefois que la situation à cet égard est inégale selon les
groupes. Distinguons donc quelques cas de figure, forcément schématiques, mais
qui permettent de mieux cerner l’évolution de la situation.
3.1. Les communautés qui n’ont plus de locuteurs natifs
Les Québécois sont bien placés pour savoir à quel point la langue constitue un
symbole important de l’identité ethnique. Les groupes comme les Hurons-Wendats
et les Innus d’Essipit (les Escoumins), qui ne possèdent plus de locuteurs natifs,
se sentent à juste titre dépossédés d’une partie de leur héritage culturel. Il existe
partout chez les groupes autochtones, dans les Amériques comme dans le Pacifique,
de forts mouvements de revitalisation des langues menacées de disparition. Ces
groupes tentent, tant bien que mal, de se réapproprier leur langue ancestrale. Il va
sans dire que la pente est extrêmement dure à remonter si tant est qu’une langue
n’ayant plus de locuteurs natifs puisse être ressuscitée. À cet égard, le parallèle avec
la situation de l’hébreu a ses limites. En effet, bien que cette langue n’ait pas été
transmise comme langue maternelle pendant des siècles, elle restait, à l’instar du latin
pour les catholiques, la langue de la liturgie. Elle était consignée dans une somme
impressionnante de textes religieux transmis et appris méthodiquement de géné-
ration en génération. Malgré cela, il reste néanmoins que les générations actuelles
d’Autochtones se sentent investies d’un devoir de mémoire envers leurs ancêtres, et
les mouvements de revitalisation doivent se comprendre dans ce contexte. Dans ce
livre, le chapitre 6 (Dorais, Lukaniec et Sioui) en fournit d’ailleurs une illustration
éloquente à partir du cas du huron-wendat.
3.2. Les communautés où la langue ancestrale
est en voie de disparition
Plusieurs communautés sont déjà très avancées dans le processus de transfert
à la langue majoritaire. Dans de tels contextes, selon le degré d’avancement du
processus, le nombre de locuteurs natifs de la langue par tranche d’âge prend la
forme d’une pyramide inversée. Plus les locuteurs sont âgés, plus ils maîtrisent la
langue ; et plus ils sont jeunes, moins ils la maîtrisent. Le processus de transfert
à la langue majoritaire se déroule ainsi sur plusieurs générations. En réaction au
transfert qui porte atteinte, à divers degrés, à la quasi-totalité des langues autoch-
tones parlées au Canada, il existe une prolifération d’initiatives ayant pour objectif
d’éviter que la langue ancestrale ne se perde définitivement. Souvent, cela prend
7. Voir aussi Rigsby (1987) pour une analyse très éclairante de la situation sociolinguistique des peuples autoch-
tones à travers le monde.