R echerche ! A. Brossay*, H. Watier* Costimulation lymphocytaire : des concepts fondamentaux aux applications thérapeutiques en transplantation i le concept S très fondamental de costimulation lymphocytaire s’est autant répandu dans le domaine de la transplantation, c’est en raison des promesses bien réelles de parvenir à une tolérance du greffon par sa manipulation thérapeutique (1, 2). La costimulation lymphocytaire est en effet une étape indispensable à l’engagement et à la pérennisation de toute réponse immunitaire, qu’elle soit bénéfique, dans le cas de la vaccination par exemple, ou néfaste, dans le cas des réponses allogéniques. Les approches thérapeutiques en émergence ont pour objectif essentiel de bloquer la costimulation lymphocytaire dans le but de freiner les réponses allogéniques, voire d’induire un véritable état de tolérance visà-vis du greffon. Avant de présenter ces nouvelles approches, nous rappellerons l’historique du concept de costimulation et sa définition, puis nous analyserons la dynamique des signaux de costimulation * EA 3249 “Cellules hématopoïétiques, hémostase et greffe”, faculté de médecine, laboratoire d’immunologie, 37032 Tours Cedex. lors de l’établissement de la synapse immunologique et les réponses lymphocytaires qui en résultent, et nous évoquerons les voies physiologiques récemment identifiées qui permettent une régulation de la costimulation. ont permis d’étayer ce concept de costimulation lymphocytaire sur un véritable jeu de molécules. Ce sont d’abord les récepteurs lymphocytaires capables de transmettre des signaux de costimulation qui ont été mis en évidence, par la capacité d’AcMo à déclencher une réponse lymphocytaire T in vitro, lorsqu’ils sont associés à des anticorps anti-CD3/TCR (figure 1) (7-9). Ce système artificiel a permis de confirmer que deux signaux différents (la paire d’AcMo) sont en effet nécessaires, et suffisants, pour induire l’expression du CD25, la synthèse d’IL-2 et la prolifération lymphocytaire (7-9). Les anticorps anti-CD3/TCR (signal 1) miment les signaux spécifiques d’antigène (cognate signals) habituellement provoqués par l’engagement du TCR par des complexes CMH-peptide sur la cellule présentatrice d’antigènes (CPAg). En pontant une autre molécule de surface que le TCR, comme le CD28, le deuxième AcMo (signal 2) active d’autres voies intracellulaires d’activation lymphocytaire (7-9). Il a été confirmé que la “paralysie” des lymphocytes T ne recevant que le signal 1 (anti-CD3/TCR) sans le signal 2 (CD28) CONCEPTS ET DÉFINITIONS Le concept de costimulation lymphocytaire a été peu à peu élaboré au cours des années 1970 à 1980, postulant que la seule reconnaissance spécifique de l’antigène conduisait à une “paralysie” lymphocytaire, et qu’il fallait un deuxième signal pour provoquer une réponse immunitaire (3, 4). Les premières démonstrations de ce principe ont été apportées à la fin des années 80, alors même que la nature des signaux de costimulation (ou cosignaux) restait inconnue (4-6). De même, on suspectait que ces signaux provenaient des cellules accessoires (3, 5), et on pensait alors que des facteurs solubles tels que l’IL-1 pouvaient remplir cette fonction. C’est en fait la production intensive des anticorps monoclonaux (AcMo) reconnaissant les antigènes de surface des lymphocytes et l’essor de l’immunologie moléculaire qui Figure 1. Identification de molécules costimulantes à l’aide d’un couplage anticorps anti-CD3/TCR et anticorps anti-antigène lymphocytaire : l’exemple des anticorps antiCD28. Dans le puits A, la fixation des anticorps antiCD3 sur les lymphocytes T n’induit aucune prolifération lymphocytaire, de même que dans le puits B, où les anticorps anti-CD28 seuls ne permettent pas d’activer les lymphocytes T. Dans le puits C, le couplage des anticorps anti-CD3 et anti-CD28 entraîne une prolifération lymphocytaire, après avoir induit l’expression de CD25 et la production d’IL-2. IL-2 CD25 T T T T T Anti-CD3 A T T T T Anti-CD28 B 70 T T T T T T C Le Courrier de la Transplantation - Volume I - n o 2 - juillet-août-septembre 2001 R echerche persiste, même dans le cas d’une restimulation par une paire d’AcMo (signal 1 et signal 2). Cette non-réponse induite par l’antigène et spécifique de celui-ci (mimé par l’anti-TCR/CD3) correspond à la définition d’une induction de tolérance immunitaire. Dans cette situation, le lymphocyte T peut être en état d’anergie, ou avoir subi un processus délétionnel par apoptose. Ces constatations faites in vitro suggéraient qu’il était possible d’induire un état de tolérance (spécifique d’antigène) en bloquant sur une courte période la délivrance du deuxième signal. Ce concept en apparence assez simple doit malheureusement tenir compte d’une grande diversité moléculaire. En effet, de très nombreux antigènes membranaires du lymphocyte T se sont avérés capables in vitro de transduire un signal 2, mais ces antigènes ne pouvaient être considérés physiologiquement comme des récepteurs de costimulation que si des ligands spécifiques (ou contrerécepteurs) étaient mis en évidence sur la membrane des CPAg. C’est alors qu’un, puis deux ligands du récepteur CD28 ont été découverts : le CD80 [B7.1] (10) et le CD86 [B7.2] (11), que l’on appelle collectivement molécules B7. La situation s’est compliquée au fur et à mesure que d’autres récepteurs de costimulation étaient caractérisés sur le lymphocyte T, et que les molécules de costimulation correspondantes étaient décrites sur la CPAg (tableau I). La multitude des récepteurs de costimulation capables de fournir le signal 2 a conduit à s’interroger sur l’importance et le rôle physiologique respectifs de chacun d’eux, avec l’objectif d’identifier les meilleures cibles thérapeutiques. Ce sont essentiellement les techniques d’invalidation génique (souris knock-out) qui ont permis petit à petit d’apprécier le rôle de chaque couple de costimulation, et de pouvoir dresser un tableau d’ensemble de la situation. Seuls quelques couples se sont avérés posséder une authentique fonction de costimulation (tableau I) et Molécules de costimulation sur la CPAg Répartition cellulaire CD, monocytes, macrophages, LT mémoires, LB des centres germinatifs B7-1 sur CD et LB B7-2 sur LB, monocytes et CD agir de concert pour délivrer le signal 2 : le pluriel s’impose donc désormais (les deuxièmes signaux). Tous les récepteurs de costimulation (sur le lymphocyte T) appartiennent soit à la superfamille des immunoglobulines (IgSF), soit à celle des récepteurs du TNF (TNFRSF). Aux récepteurs de la superfamille IgSF correspondent sur la CPAg des molécules de costimulation qui appartiennent également à la superfamille IgSF, tandis qu’aux récepteurs TNFRSF correspondent des molécules de costimulation de la superfamille du TNF (TNFSF) (tableau I). Enfin, ajoutons que ces concepts de costimulation lymphocytaire développés pour les lymphocytes T s’appliquent désormais aussi aux lymphocytes NK (costimulés par leur cible) et aux lymphocytes B (costimulés par une CPAg ou par un lymphocyte auxiliaire). Cependant, nous limiterons l’exposé à la costimulation des lymphocytes T, cible principale pour l’induction d’une tolérance du greffon. Récepteurs lymphocytaires de costimulation Autres noms Noms usuels LFA-3 CD58 B7-1 CD80 Autres noms Répartition cellulaire CD2 LFA-2 LT CD28 Tp44 LT4 (95 %) et LT8 (50 %) B7-2 CD86 ICOSL B7h/B7RP-1 B7-H2 ICOS B7-H3 ? TNFSF4 OX40L CD134 OX40 TNFRSF4 LT4 et LT8 activés Transitoirement sur LT, LB après activation CD27L TNFSF7 CD70 CD27 TNFRSF7 LT et LB CD matures et LB activés 4-1BBL TNFSF9 CD137 4-1BB TNFRSF9 LT4 et LT8 activés LB, CD, monocytes Induit sur LB et CD par la liaison CD40/CD40, cellules endothéliales LT activés CD : cellule dendritique ; LT : lymphocyte T ; LB : lymphocyte B. 71 Tableau I. Les différents couples ligand-récepteur impliqués dans la costimulation lymphocytaire. En jaune pâle sont figurés les membres de la superfamille des immunoglobulines (IgSF), en jaune soutenu, les membres de la superfamille du TNF (TNFSF) et, en vert, les membres de la superfamille des récepteurs du TNF (TNFRSF). Les dénominations suivies d’un astérisque se rapportent à la souris. Le Courrier de la Transplantation - Volume I - n o 2 - juillet-août-septembre 2001 R echerche ASPECTS DYNAMIQUES ET TOPOGRAPHIQUES DE LA COSTIMULATION C’est avant tout la nature de la CPAg et son état de différenciation/maturation (cellules dendritiques) ou d’activation (cellules endothéliales, lymphocytes B…) qui sont responsables de la diversité des molécules de costimulation exprimées en surface, et, par conséquent, de la façon dont les lymphocytes T vont être costimulés. Aucune molécule de costimulation n’apparaît véritablement spécifique d’un type donné de CPAg, même si les molécules B7 ne semblent pas exprimées par les cellules endothéliales humaines (12). Par ailleurs, leur expression membranaire est extrêmement bien contrôlée. Hormis les signaux microbiens transmis par les TLR (toll-like receptors), ce sont essentiellement des cytokines de la famille du TNF qui contrôlent l’expression des molécules de costimulation sur la CPAg (tableau II). L’environnement inflammatoire, inévitable en transplantation, est responsable de la synthèse de TNFα (TNFSF2) et de lymphotoxine α (TNFSF1), cytokines connues pour faire arriver à maturation les cellules dendritiques et/ou activer les cellules endothéliales. Une autre cytokine, TRANCE (TNFSF11), est également connue pour faire arriver à maturation les cellules dendritiques (13). En agissant sur leurs récepteurs (famille TNFRSF) à la surface des CPAg (tableau II), ces cytokines induisent habituellement l’expression ou la surexpression de molécules de costimulation, les rendant de ce fait immunogènes et facilitant ainsi l’initiation des réponses immunitaires. Une quatrième cytokine de cette famille, le CD154 (CD40L ou TNFSF5), produit par les mastocytes, les plaquettes ou les lymphocytes T, joue également un rôle important en se fixant au récepteur CD40 (TNFRSF5) de la CPAg. Les signaux qu’il induit aboutissent eux aussi à une surexpression des molécules de costimulation et à l’apparition de CPAg (cellules dendritiques) de phénotype “super-mature”. Tableau II. Les signaux inducteurs de la maturation des CPAg. En jaune sont figurés les membres de la superfamille du TNF (TNFSF) et, en vert, les membres de la superfamille des récepteurs du TNF (TNFRSF). Ligands Récepteur sur la CPAg Autres noms Noms usuels Autres noms TNFSF1 Lymphotoxine α TNF-RI/CD120a TNFRSF1A TNFSF2 TNFα TNF-RII/CD120b TNFRSF1B TNFSF5/CD154 CD40L CD40 TNFRSF5 TRANCE RANK TNFRSF11A TNFSF11 LFA-1 CD28 CD2 TCR B7 CD58 CMH/ peptide ICAM-1 Figure 2. La synapse immunologique. Le premier contact se produit grâce aux molécules d’adhérence ICAM-1/LFA-1. Dans un second temps, les complexes ICAM-1/LFA-1 sont refoulés en périphérie, et l’espace intercellulaire synaptique se réduit grâce aux interactions CD58/CD2. Cela permet la formation et la stabilisation des complexes CMH/peptide-TCR rassemblés au centre de la synapse avec leurs complexes de transduction. Le couple B7/CD28 intervient lui aussi dans la stabilisation de l’ensemble des complexes, en apportant ses propres voies de transduction. À la suite de la rencontre d’un lymphocyte T et d’une CPAg, et de la formation de ce que Paul et Seder ont décrit dès 1994 sous le nom de synapse immunologique (14), se déroule une séquence d’événements qui pourront aboutir à l’activation lymphocytaire, intégrant le signal 1 et un ensemble de deuxièmes signaux. Le rapprochement avec la synapse neuronale a été confirmé récemment par l’identification de parentés moléculaires (15). La mise en place de la synapse immunologique suppose un premier rapprochement cellulaire faisant intervenir les grandes molécules d’adhérence ICAM-1 (CD54) sur la CPAg et LFA-1 (CD11a/CD18) sur le lymphocyte T. Dans un deuxième temps, la liaison de CD2 à CD58 permet de réduire encore 72 l’espace intercellulaire en excluant les complexes ICAM-1/LFA-1 en périphérie (16-18) (figure 2). Ce rapprochement est nécessaire pour favoriser les interactions entre CMH et TCR, d’autant que le TCR possède une petite taille, qu’il a une faible affinité pour les complexes CMH-peptide qui lui sont spécifiques et que ces derniers sont en nombre très limité à la surface des CPAg. Tous ces événements se déroulent en quelques minutes (16-18). Au cours de cette séquence d’événements, d’autres couples de molécules de costimulation, notamment les couples B7-CD28, vont également rejoindre l’espace synaptique, renforçant sa cohésion et amenant divers éléments de signalisation intracellulaire. La synapse finit par devenir une véritable plate-forme de Le Courrier de la Transplantation - Volume I - n o 2 - juillet-août-septembre 2001 R echerche signalisation, mêlant le signal 1 (couples TCR-CMH) et les signaux 2 [couples de costimulation] (19, 20). L’initiation d’une réponse immunitaire primaire, c’est-à-dire l’activation de lymphocytes TCD4+ naïfs, semble dépendre strictement d’une costimulation par la voie du CD28 (figure 3). Deux molécules sont capables d’engager ce récepteur, CD80 et CD86. Elles sont, en effet, les principales molécules initiatrices de la costimulation. Outre l’induction de l’expression du CD25 (IL-2Rα) et de la synthèse d’IL-2 par le lymphocyte TCD4+, la liaison B7/CD28 induit le gène antiapoptotique Bcl-XL et prévient, de ce fait, le processus délétionnel qui aurait lieu en absence de costimulation (21). Enfin, la liaison B7/CD28 induit l’expression de CD154 membranaire et celle de la molé- A couple CD154/CD40 sert de relais dans la séquence de costimulation. Bien qu’il ne puisse être lui-même qualifié de couple de costimulation, puisqu’il fournit un signal allant du lymphocyte T à la CPAg, il s’avère cependant indispensable au maintien de l’activation lymphocytaire, par l’induction de signaux de costimulation qui apparaissent plus “accessoires” que le couple initiateur B7/CD28 (24) (figure 3). Ces couples de costimulation interviennent en fait pour soutenir l’activation lymphocytaire T, pendant que des cytokines induisent une différenciation lymphocytaire Th1 (IL12, IL-18), Th2 (IL-4, IL-13) ou autre. Quelques travaux suggèrent que certains couples de costimulation peuvent intervenir eux-mêmes dans la décision d’une orientation Th1/Th2, comme B Cellule T Cellule T TCR CD2 TCR CD2 LFA-1 TNFα LTα TRANCE cule ICOS (inductible co-stimulator) par le lymphocyte TCD4+ (22) (figure 3). On a vu plus haut que CD154, comme d’autres TNFSF, était un puissant inducteur de propriétés costimulantes sur les CPAg. La liaison CD154-CD40 entraîne une surexpression des molécules B7-1 et B7-2 par la CPAg, et l’expression de nouvelles molécules de costimulation telles que CD70, CD134L, CD137L, ou encore B7-H2 (B7h ou B7RP-1 chez la souris), dont le récepteur lymphocytaire s’avère être justement ICOS (23) (tableau I, figure 3). Il se produit donc un jeu complexe et alternatif d’interactions cellulaires et de signaux bidirectionnels (activation du lymphocyte T et activation de la CPAg) que l’on peut qualifier de “pingpong intercellulaire” (figure 3). Dans ce schéma, il apparaît clairement que le CD28 CD58 CD80/86 ICAM-1 CMH/ peptide Cellule présentatrice d'antigène CD28 ICAM-1 CD80/86 CMH/ CD58 CD40 peptide Cellule présentatrice d'antigène CD40 C LFA-1 D Figure 3. La costimulation lymphocytaire : “ping-pong” entre la CPAg et le lymphocyte T. CD154 Cellule T Cellule T TCR CD2 LFA-1 ICOS CD28 CD80/86 ICAM-1 CD28 LFA-1 ICAM-1 CMH/ CD58 peptide CD40 Cellule présentatrice d'antigène E CD80/86 CD40 Cellule présentatrice d'antigène F Cellule T CD154 CD154 Cellule T TCR CD2 LFA-1 ICAM-1 ICOS LFA-1 CD28 CD80/86 CMH/ CD58 + peptide Cellule présentatrice d'antigène CD28 CD80/86 ICAM-1 B7-H2 CD40 CD40 Cellule présentatrice d'antigène 73 A. Les CPAg, devenues matures grâce à des signaux inflammatoires (TNFα, LTα, TRANCE), expriment un grand nombre de molécules du CMH et de molécules de costimulation. B. La synapse se forme d’abord grâce aux molécules d’adhérence. C. Le signal 1 est fourni par la reconnaissance TCR-CMH/peptide et la costimulation par la liaison CD58/CD2, et surtout par la liaison B7/CD28. D. L’activation lymphocytaire induit, entre autres, l’expression de ICOS et de CD154. E. CD154, par rétrocontrôle positif, induit la surexpression de CD80 et CD86 et l’expression des molécules accessoires B7-H2 et d’autres (CD27, CD134 et CD137), non figurées sur ce schéma. F. La molécule B7-H2 nouvellement exprimée se lie à la molécule ICOS et fournit d’autres signaux de costimulation aux lymphocytes T. Le Courrier de la Transplantation - Volume I - n o 2 - juillet-août-septembre 2001 R echerche CD134L/CD134 vers une voie Th2 (25), mais leur rôle semble moindre que celui des interleukines. Un autre effet du CD154 produit par les lymphocytes T est de rendre les cellules dendritiques capables de stimuler et costimuler les lymphocytes TCD8. En effet, seules les cellules dendritiques rendues super-matures par le CD154 peuvent présenter efficacement les antigènes HLA de classe I aux lymphocytes T cytotoxiques. C’est ainsi que s’explique l’effet auxiliaire des lymphocytes TCD4 sur la réponse TCD8 cytotoxique. Ce relais assuré par le CD154 et la cellule dendritique permet de dissocier dans le temps et dans l’espace la rencontre de la CPAg avec le lymphocyte TCD4 puis avec le lymphocyte TCD8 (26). Les molécules de costimulation exprimées par les CPAg et nécessaires à l’activation des TCD8 sont encore mal connues, mais il semble que CD27 et 4-1BB pourraient jouer un rôle dans ce phénomène (27). COSTIMULATION ET RÉGULATION DES RÉPONSES IMMUNITAIRES Nous avons vu précédemment que l’absence de costimulation pouvait induire une apoptose ou une anergie des lymphocytes TCD4 spécifiques (28). L’absence d’expression de molécules de costimulation par les cellules parenchy- mateuses (cellules épithéliales, fibroblastes, cellules musculaires…), même quand celles-ci expriment de façon inhabituelle des antigènes du CMH de classe II, peut contribuer à induire un état de tolérance spécifique des antigènes du greffon. De même, les cellules dendritiques immatures, qui expriment peu d’antigènes du CMH de classe II et très peu de molécules de costimulation, induisent des phénomènes de tolérance immunitaire (29) et prolongent la survie des greffons (30). Ces phénomènes sont très certainement importants en physiologie, en l’absence de tout stimulus inflammatoire, et contribuent au maintien d’un état de tolérance périphérique vis-à-vis des antigènes du soi (31). L’apparition de molécules de costimulation sur les CPAg peut rompre cet équilibre, mais les réponses immunitaires induites ne sont pas forcément néfastes, en raison des possibilités ultérieures de réorientation de la différenciation lymphocytaire T (tolérance par déviation immunitaire). Comme nous l’avons précisé plus haut, une costimulation soutenue par les molécules “accessoires” favorise l’action des cytokines différenciantes. Outre les états Th1 et Th2, tous deux délétères pour le greffon, certains lymphocytes T peuvent être amenés sous l’action de l’IL-4 à exprimer un phénotype Th3 caractérisé par la synthèse de Ligands Répartition cellulaire B7-1 sur CD et LB B7-2 sur LB, monocytes et CD Sur monocytes, CD, kératinocytes activés par IFNγ, macrophages et cellules non lymphoïdes Idem TGFβ très immunosuppresseur (32) ou un phénotype Tr1 (T regulatory 1) caractérisé par une forte sécrétion d’IL-10 et d’IL-5 (33). Outre ces possibilités de régulation des réponses lymphocytaires par les molécules de costimulation elles-mêmes, d’autres acteurs moléculaires étroitement associés aux processus de costimulation peuvent également jouer un rôle régulateur. Par exemple, CTLA4 (cytotoxic T lymphocyte antigen 4), aussi dénommé CD152, récepteur apparenté à CD28, possède les mêmes ligands que ce dernier, c’est-à-dire les molécules CD80 et CD86, mais il les lie avec une plus grande affinité que CD28 (tableau III). CTLA4 n’est exprimé à la surface du lymphocyte T que 24 heures après l’engagement du TCR et la costimulation initiale par CD28, par une exocytose de vésicules de stockage. Bien que CTLA4 ne s’exprime qu’en faible densité à la surface lymphocytaire, son excellente affinité pour les molécules B7 détourne ces dernières de leur récepteur CD28, faisant cesser la costimulation. De plus, la liaison des molécules B7 au récepteur CTLA4 induit des signaux intracellulaires de type inhibiteur, empêchant la phosphorylation des résidus tyrosine (34). Ce processus de régulation physiologique permet de faire cesser l’importante costimulation initialisée par CD28, et permet de mettre en Récepteurs Autres noms B7-1 Noms usuels Autres noms Répartition cellulaire CTLA4 / Sur les LT activés après engagement TCR/CMH et CD28/B7 PD-1 / CD80 B7-2 CD86 B7-H1 PD-L1 Sur monocytes, LT et LB Tableau III. Les couples récepteur-ligand impliqués dans l’inhibition de la costimulation. PD-L2 CD : cellule dendritique ; LT : lymphocyte T ; LB : lymphocyte B. 74 Le Courrier de la Transplantation - Volume I - n o 2 - juillet-août-septembre 2001 R echerche place des voies de costimulation plus accessoires qui vont moduler et/ou réorienter les réponses immunitaires. Plus récemment, il a été décrit un autre récepteur inhibiteur, dénommé PD-1 (programmed death 1) (35), qui présente des parentés avec CD28 et CTLA4. PD-1 est exprimé sur les lymphocytes T, mais aussi sur d’autres types cellulaires. Ses ligands sont les molécules PD-L1 (ou B7-H1) et PD-L2, ayant quelques homologies de structure avec les molécules B7 (36) (tableau III). L’expression de PDL1 est constitutive sur les cellules parenchymateuses, et peut être induite sur les cellules dendritiques par l’IFNγ. La liaison PD-L1/PD-1 ou PD-L2/PD-1 induit des signaux lymphocytaires inhibiteurs. Selon les cas, ces signaux peuvent inhiber la prolifération lymphocytaire ou au moins prévenir une activation excessive du lymphocyte T. En l’absence de signaux de costimulation pour les contrebalancer, ils induisent l’anergie et l’apoptose des lymphocytes T naïfs (35). Les récepteurs inhibiteurs CTLA4 et PD-1 ont probablement des fonctions régulatrices complémentaires sur le lymphocyte, car les ligands de CTLA4 sont uniquement exprimés par des CPAg professionnelles (B7-1 et B7-2), alors que ceux de PD-1 sont exprimés par un plus grand nombre de types cellulaires, notamment des cellules parenchymateuses. De ce fait, PD-L1 et PD-L2 jouent probablement un rôle clé dans l’induction et le maintien d’une tolérance périphérique vis-à-vis des antigènes du soi (35, 36). Une autre interaction : CD200/récepteur au CD200, aussi appelé OX-2/OX-2R, semble produire des signaux inhibiteurs d’activation, notamment vers la lignée macrophagique (37). Chez la souris, la survie prolongée des greffes est associée à une forte expression de CD200 sur les cellules dendritiques et le blocage de cette voie par un anticorps anti-CD200 abolit cet effet (38). CD200/OX-2 a été surnommé “molécule de signalisation de tolérance”. CIBLAGE THÉRAPEUTIQUE DE LA COSTIMULATION Puisque l’absence de signaux de costimulation permet d’induire une tolérance lymphocytaire T, de nombreuses approches thérapeutiques ayant pour objectif de bloquer la costimulation lymphocytaire par l’utilisation de protéines de fusion et/ou d’anticorps monoclonaux humanisés ont été développées pour le traitement des maladies auto-immunes et pour obtenir une tolérance des greffons allogéniques. Compte tenu du rôle prépondérant de CD28 (39), cette voie a été la première ciblée. La protéine de fusion CTLA4-Ig, développée par BristolMyers Squibb sous le nom BMS-188997 dès le début des années 90, et plus récemment par la firme Repligen, est l’agent bloquant le plus utilisé. La fusion du domaine extracellulaire de CTLA4 avec les domaines CH2 et CH3 d’une IgG1 humaine confère à cette protéine chimérique une structure dimérique (figure 4) et une plus longue demi-vie, éléments favorables à son activité thérapeutique. Par sa grande affinité pour les molécules B7-1 et B7-2, CTLA4-Ig empêche leur liaison à CD28. Malgré ces nombreux avantages, les résultats des essais précliniques de CTLA4-Ig dans différents modèles de transplantation allogénique n’ont pas été à la hauteur des espoirs fondés sur cette molécule. En effet, CTLA4-Ig retarde de façon très significative l’apparition du rejet, mais ne paraît pas suffisante pour obtenir une survie prolongée du greffon. Actuellement, les essais cliniques de CTLA4-Ig concernent essentiellement la prévention de la maladie du greffon contre l’hôte (40). Une des raisons de l’échec relatif de l’utilisation de CTLA4-Ig pourrait venir du fait qu’il bloque aussi le signal inhibiteur B7/CTLA4, et qu’il empêche ainsi que s’établissent des voies de régulation physiologiques. La recherche s’oriente donc actuellement vers des agents bloquant spécifiquement la voie B7/CD28, comme des anticorps anti-CD28 (41). Une autre raison de l’échec de CTLA4Ig vient sans doute également de la grande difficulté à bloquer totalement une voie de costimulation aussi puissante. Il suffit sans doute qu’une partie des lymphocytes T alloréactifs échappent à ce blocage pour entraîner un rejet, même si celui-ci est différé. La solution réside très certainement dans l’association de CTLA4-Ig avec d’autres agents bloquant la costimulation. Les plus étudiés ont été les anticorps monoclonaux anti-CD154. L’interruption conjointe de la voie B7CD28 et de CD154-CD40 permet de compléter l’effet obtenu avec CTLA4-Ig seul et de parvenir à un état de tolérance du greffon, en freinant l’apparition des signaux de costimulation alternatifs (42, 43). La combinaison CTLA4Ig/anti-CD154 a montré son efficacité chez la souris (44), mais c’est surtout dans différents modèles de transplantation allogénique chez les primates que les CTLA4-Ig CH2 CH3 75 Figure 4. Protéine de fusion CTLA4-Ig. Elle est constituée du domaine extracellulaire de la protéine CTLA4 couplée à la partie Fc d’une IgG1 humaine. Le Courrier de la Transplantation - Volume I - n o 2 - juillet-août-septembre 2001 R echerche résultats ont été les plus spectaculaires. L’association de ces deux traitements a permis de prévenir les rejets aigus et surtout de maintenir la survie du greffon sans nécessité d’adjonction d’un traitement immunosuppresseur (45). Il a même été montré que des résultats satisfaisants pouvaient être obtenus avec le seul antiCD154 (45, 46). Malheureusement, les premiers essais cliniques chez l’homme d’un anticorps humanisé anti-CD154 se sont soldés par l’apparition de thromboses graves qu’aucun essai préclinique ne laissait suspecter (47, 48). Ces complications résultent probablement de l’expression de CD154 par les plaquettes (spécificité de l’espèce humaine ?) et, par conséquent, de l’effet proagrégant probable des anticorps anti-CD154. L’approche extrêmement prometteuse de l’association de CTLA4-Ig avec un antiCD154 est donc actuellement totalement dépendante de la mise au point d’anticorps anti-CD154 qui n’auraient pas ces inconvénients, peut-être en modifiant leur partie Fc de façon à ce qu’elle n’interagisse plus avec le FcgRIIa plaquettaire. tive serait de favoriser les voies physiologiques de régulation de la costimulation, en stimulant l’expression ou l’activité de CTLA4 et de PD-1. CONCLUSION La meilleure vision acquise récemment de la costimulation lymphocytaire, de la multiplicité des acteurs moléculaires, de la dynamique synaptique et des voies régulatrices physiologiques devrait favoriser le développement de nouveaux médicaments. Mais quelques années seront sans doute nécessaires avant que le blocage thérapeutique de la costimulation chez l’homme permette l’établissement et le maintien d’une authentique tolérance spécifique vis-à-vis du greffon. L’espoir est permis d’arriver un jour à pratiquer des greffes allogéniques sans nécessité d’utiliser des immunosuppresseurs, et sans risquer les graves compli" cations qui en résultent. R É F É R E N C E S B I B L I O G R A P H I Q U E S De nouveaux espoirs sont également apparus très récemment à la suite de la publication par Özkaynak et al. d’un article selon lequel un anticorps antiICOS ou une protéine de fusion ICOS-Ig (bloquant B7-H2) en association avec la ciclosporine permettraient une survie prolongée de la greffe. En outre, dans ce modèle, l’anticorps anti-ICOS prévient le rejet chronique après un premier traitement par anti-CD154 (49). Outre l’utilisation de protéines de fusion ou d’anticorps monoclonaux, il n’est pas impossible que d’autres agents pharmacologiques puissent être développés pour agir spécifiquement sur la costimulation. Par exemple, la 1,25-dihydroxyvitamine D(3) semble agir sur la différenciation et la maturation des cellules dendritiques humaines in vitro en inhibant l’expression des molécules de costimulation (50), et les statines pourraient également agir au début de la construction de la synapse immunologique en bloquant l’interaction entre LFA-1 et ICAM-1 (51). Enfin, une autre voie thérapeutique tout aussi attrac- 1. Harlan DM, Kirk AD. The future of organ and tissue transplantation: can T-cell costimulatory pathway modifiers revolutionize the prevention of graft rejection ? JAMA 1999 ; 282 : 1076-82. 2. Yu X, Carpenter P, Anasetti C. Advances in transplantation tolerance. Lancet 2001 ; 357 : 1959-63. 9. Harding FA, McArthur JG, Gross JA, Raulet DH, Allison JP. CD28-mediated signalling co-stimulates murine T-cells and prevents induction of anergy in T-cell clones. Nature 1992 ; 356 : 607-9. 10. Linsley PS, Brady W, Grosmaire L, Aruffo A, Damle NK, Ledbetter JA. 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