Intervention : Évolutions de la famille et problématiques de la

Institut d’anthropologie clinique
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ANTHROPOLOGIE CLINIQUE
ET PROTECTION DE L’ENFANCE
SERGE ESCOTS
ÉVOLUTIONS DE LA FAMILLE
ET PROBLÉMATIQUES
DE LA PROTECTION DE L’ENFANCE
Évolutions de la famille et problématiques de la Protection de l’Enfance
Serge Escots
Institut d’anthropologie clinique | Anthropologie clinique et protection de l’enfance
1
Introduction
Monsieur le Président, Mesdames, Messieurs, avant de commencer mon intervention, je
voudrais remercier le Conseil Général des Hautes-Pyrénées pour son invitation et saluer
cette initiative qui appelle à une réflexion commune, qui je le souhaite se poursuivra dans
les mois à venir. En effet, le chantier de l’enfance, de la jeunesse et de la famille à
encore de nombreux travaux à accomplir ici comme ailleurs.
La question que l’on m’a demandé de développer aujourd’hui peut se formuler ainsi :
« Évolutions de la famille et problématiques de la Protection de l’Enfance ». Mon intérêt
pour ces questions est multiple : d’abord en tant que thérapeute de famille, ensuite de par
ma pratique d’accompagnement d’équipes qui travaillent dans le champ de la Protection
de l’Enfance, enfin comme doctorant en anthropologie, attentif aux évolutions sociales et
culturelles du champ familial dans les sociétés contemporaines.
Je traiterai les questions de l’évolution de la famille et de la problématique de la
Protection de l’Enfance de façon séparée, car pour moi, si les évolutions que connaît le
champ de la famille ne sont pas sans conséquences sur celui de la Protection de l’Enfance,
sa problématique est indépendante de celles-ci.
Évolutions de la famille et problématiques de la Protection de l’Enfance
Serge Escots
Institut d’anthropologie clinique | Anthropologie clinique et protection de l’enfance
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Évolutions du champ de la famille
« Famille, je vous aime, famille, je vous hais ! »
Famille, comme fondement de l’identité individuelle et sociale ? Famille, fabrique de la
personnalité, famille, base de la société ? Psychologues et sociologues se penchent à son
chevet lorsqu’on la croit en mutation. La pense-t-on se transformer, évoluer, et tout le
monde s’en émeut. Ainsi, à en croire une opinion répandue, la famille serait en crise, et
de ce fait la société se trouverait menacée. Divers discours politiques ou médiatiques en
déduisent que bon nombre de nos problèmes sociaux trouveraient leurs racines :
délinquance, violence, crise de l’autorité, des mœurs, des valeurs morales, etc.
Pour d’autres, il ne serait pas trop tôt que cette institution, qu’ils considèrent comme la
mère de toutes nos aliénations, annonce le début de sa fin. Cette effervescence autour de
la famille, est peut-être un signe que sa fin n’est pas si proche. Une preuve : la demande
croissante d’homoparentalité.
Ce n’est pas la famille qui fait la société : c’est l’inverse !
Contrairement à une idée reçue, la famille ne fonde pas la société. C’est un apport majeur
de l’anthropologie que de le montrer : depuis les primates, la société précède la famille.
Capables de vivre en société sans connaître d’organisation familiale, les grands singes
ruinent définitivement l’idée de la famille fondatrice de la société
1
. Nos « proches
cousins » connaissent des liens durables et stables d’alliance, de coalition pour la
protection et la nourriture. Ils sont capables de négociation, de solidarité, de conflit, de
réconciliation et de consolation pour maintenir une organisation sociale
2
, tout en ignorant
une entité sociale qui réunit des adultes dans le projet stable d’une coopération en vue de
l’élevage de la progéniture.
Ainsi, la famille découle de la société, elle y participe, elle se construit avec elle, avec ses
mythes et ses croyances, ses valeurs, ses contraintes et son idéologie. Ce n’est pas la
famille qui transforme la société contemporaine, c’est un certain nombre de
transformations de notre rapport symbolique au corps, à la mort, à la connaissance, à
l’économique, des changements de représentation de l’homme, de sa place dans l’univers
qui ont modifié nos systèmes de croyance et de valeurs. Bref, c’est l’ensemble des
1
M. Godelier, Métamorphoses de la parenté, Fayard, 2004, 680 p.
2
F. De Waal, B. Thierry, « Les antécédents de la morale chez les singes », in Aux origines de l’humanité, sous la direction de
P. Picq et Y. Coppens, pp. 422443.
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transformations idéologiques de la société contemporaine qui transforme « la famille » et,
ce faisant, affecte en profondeur les individus.
La famille, une institution qui se transforme
Il est indéniable que la famille occidentale connaît des évolutions ces dernières années.
Deux axes sont repérables : la transformation du couple conjugal et la place de l’enfant.
En France métropolitaine, nous sommes passés de 320 000 mariages célébrés en 1960, ce
qui représente un taux de nuptialité de 7 %, à 259 400 en 2004, soit −60 000 en plus de 40
ans, ce qui représente un taux de nuptialité de 4,3 % soit −2,7 % de perte. Ce n’est pas
réellement un effondrement, mais plutôt une érosion régulière au fil du temps avec, dans
le même temps, un allongement de l’âge du mariage puisque, pour les hommes, nous
sommes passés de un peu plus de 25 ans en 1960 à un peu plus de 30 ans en 2004. En 40
ans, on se marie 5 ans plus tard en moyenne. En revanche, le nombre de divorces
progresse ces 10 dernières années puisque, entre 1990 et 2003, le nombre de mariages a
baissé alors que dans le même temps le nombre de divorces a augmenté.
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Si on compare avec nos voisins allemands, notre taux de nuptialité est identique sur les 20
dernières années, notre taux de divorce moins important. Si on compare avec les pays
latins plus catholiques que protestants, on s’aperçoit que notre taux de mariage est plus
important, mais que le taux de divorce est plus important aussi. En 30 ans, on se marie
plus, mais on divorce plus aussi en France que chez nos voisins Sud Européens.
Cette baisse de la nuptialité (moins de mariages plus de divorces) ne signifie pas pour
autant un affaiblissement du couple bien au contraire. La précarisation des unions est
plutôt le signe de la survalorisation du couple. Il faut bien sûr, distinguer la conjugali
dans sa définition générale : un lien privilégié entre deux êtres qui articule, vie
domestique, vie économique, vie sexuelle ; et le « couple en crise » pris dans son modèle
traditionnel. Ainsi pour le sociologue Gérard Neyrand : « Le modèle de la vie en couple
n’est pas affaibli, mais transformé » :
« C’est parce que la conjugalité est dissociée de la logique patrimoniale et recentrée sur
la vie affective, sur le lien amoureux, qu’elle est devenue plus fragile. La place de
l’individu est de plus en plus définie par son capital culturel et scolaire, et de moins en
moins par les biens matériels hérités de sa famille. Cette évolution, qui remonte à deux
siècles, est allée de pair avec la laïcisation, l’industrialisation de la société, le
développement de la scolarisation, la valorisation croissante de l’individu et l’affirmation
du lien amoureux comme élément de la réalisation de soi réalisation qui est le
leitmotiv de la modernité […]. »
4
L’axe de la conjugalité
Sous la poussée individualiste du XIXe et XXe siècle le couple va connaître une réorientation
de son objectif : il est non seulement fondé sur l’amour, mais devient un espace
d’épanouissement individuel.
Ces transformations moignent des changements de représentation de la sexualité, du
couple, du mariage et de ce que l’on attend désormais de la conjugalité. Car le bonheur
individuel, la réalisation de soi sont bien les nouvelles fonctions dévolues à la conjugalité.
Le couple n’a plus, dans l’époque contemporaine, comme principales fonctions la
réalisation d’alliance et la transmission du lignage et du patrimoine. Certes, il y a
aujourd’hui encore de l’accumulation de biens et de la transmission, mais le système
dominant de valeur n’est plus là. On se met ensemble avant tout pour partager, être
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Source INSEE.
4
G. Neyrand, Table ronde sur les mutations des modèles familiaux, in Rapport de la mission interministérielle sur la famille
et les droits des enfants, Assemblée Nationale, 25 janvier 2006.
Évolutions de la famille et problématiques de la Protection de l’Enfance
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heureux, construire sa vie, s’épanouir, se réaliser. Pour cela, la condition amoureuse
prend une place centrale.
De fait, cette nouvelle fonction assignée au couple : « le bonheur sinon rien » est, par la
tyrannie qu’elle impose, un facteur prégnant de divorce. C’est justement l’exigence
accrue vis-à-vis de l’autre dans le couple qui précarise les unions, mais elle signe aussi
l’importance de l’attente que chacun investit dans le couple. Comme l’a dit l’historien
André Burguière dans son audition lors de la commission parlementaire : « Le couple
fondé, non plus sur les enfants, mais sur l’amour, devient aussi éphémère que celui-ci. »
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Pour maintenir une forme de cohésion sociale et économique en préservant les
patrimoines, le droit avait limité les possibilités de divorcer. Le modèle du couple
bourgeois du XIXe siècle avait porté à son apogée, au sein du mariage, le clivage entre la
transmission sociale et patrimoniale d’une part et la sexualité d’autre part. Lupanar et
adultère étaient la norme, la littérature du XIXe et le théâtre de boulevard en témoignent
largement.
Ces dernières années, en faisant évoluer le droit conjugal, en instaurant le divorce par
consentement mutuel, puis « sans faute », mais pour simple incompatibilité, le législateur
crée un cadre en adéquation avec les pratiques actuelles, reflets de nos idéologies
contemporaines.
Notons au passage que l’union libre et le concubinage, ancêtres du PACS, ne sont pas des
inventions récentes, notamment dans les milieux ouvriers ou paysans le patrimoine
était limité. Les unions successives avec enfants n’étaient pas si rares et les familles dîtes
recomposées existaient déjà entre les deux guerres, du fait de séparations conjugales.
Sans parler des nécessités de remariage après veuvage lié ou non à la guerre ou à la
mortalité plus importante au début du XXe.
Deuxième axe : la place de l’enfant
Depuis que les Français font moins d’enfants, ils commencent à s’y intéresser à dit un
sociologue au milieu du siècle précédent. La psychanalyse, la psychologie du
développement, les pédagogies nouvelles ont changé notre regard sur l’enfance et sur
l’enfant qui devient avec Françoise Dolto, une personne dès la naissance et même avant.
Le XXe siècle sera celui de la sacralisation de l’enfant.
La maîtrise de la fécondité participe de cette sacralisation de l’enfant : ne pas avoir
d’enfant lorsque l’on ne veut pas renforce l’idéalisation du lien avec celui que l’on a.
« Les femmes qui avortent ont un certain âge et sont très bien averties. La majorité de
celles qui avortent […] avaient envie d’avoir un enfant […] et […] ont changé d’avis. Le
désir d’enfant est personnalisé, de sorte qu’il est à la fois plus relatif et plus fort que
jamais. », explique André Burguière
6
.
Depuis le XIXe siècle, la valeur sociale et culturelle de l’enfant n’a cessé d’augmenter
donnant à ces procréateurs une « valeur ajoutée ». La sacralisation de l’enfant est à
penser de façon circulaire : sacraliser l’enfant participe à valoriser le fait d’être parent.
« L’agitation » sur la parentalité vient peut-être de là. En sacralisant l’enfant, on hausse
les exigences de ceux qui lui rendent le culte, et tous ne sont pas prêts à assumer ce
changement de croyances, de norme et d’attitude multipliant les problèmes qui en deux
générations sont désormais visibles.
5
A. Burguière, audition in Rapport de la mission interministérielle sur la famille et les droits des enfants, Assemblée
Nationale, 25 janvier 2006.
6
A. Burguière, op.cit.
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