Évolutions de la famille et problématiques de la Protection de l’Enfance
Serge Escots
Institut d’anthropologie clinique | Anthropologie clinique et protection de l’enfance
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transformations idéologiques de la société contemporaine qui transforme « la famille » et,
ce faisant, affecte en profondeur les individus.
La famille, une institution qui se transforme
Il est indéniable que la famille occidentale connaît des évolutions ces dernières années.
Deux axes sont repérables : la transformation du couple conjugal et la place de l’enfant.
En France métropolitaine, nous sommes passés de 320 000 mariages célébrés en 1960, ce
qui représente un taux de nuptialité de 7 %, à 259 400 en 2004, soit −60 000 en plus de 40
ans, ce qui représente un taux de nuptialité de 4,3 % soit −2,7 % de perte. Ce n’est pas
réellement un effondrement, mais plutôt une érosion régulière au fil du temps avec, dans
le même temps, un allongement de l’âge du mariage puisque, pour les hommes, nous
sommes passés de un peu plus de 25 ans en 1960 à un peu plus de 30 ans en 2004. En 40
ans, on se marie 5 ans plus tard en moyenne. En revanche, le nombre de divorces
progresse ces 10 dernières années puisque, entre 1990 et 2003, le nombre de mariages a
baissé alors que dans le même temps le nombre de divorces a augmenté.
Si on compare avec nos voisins allemands, notre taux de nuptialité est identique sur les 20
dernières années, notre taux de divorce moins important. Si on compare avec les pays
latins plus catholiques que protestants, on s’aperçoit que notre taux de mariage est plus
important, mais que le taux de divorce est plus important aussi. En 30 ans, on se marie
plus, mais on divorce plus aussi en France que chez nos voisins Sud Européens.
Cette baisse de la nuptialité (moins de mariages plus de divorces) ne signifie pas pour
autant un affaiblissement du couple bien au contraire. La précarisation des unions est
plutôt le signe de la survalorisation du couple. Il faut bien sûr, distinguer la conjugalité
dans sa définition générale : un lien privilégié entre deux êtres qui articule, vie
domestique, vie économique, vie sexuelle ; et le « couple en crise » pris dans son modèle
traditionnel. Ainsi pour le sociologue Gérard Neyrand : « Le modèle de la vie en couple
n’est pas affaibli, mais transformé » :
« C’est parce que la conjugalité est dissociée de la logique patrimoniale et recentrée sur
la vie affective, sur le lien amoureux, qu’elle est devenue plus fragile. La place de
l’individu est de plus en plus définie par son capital culturel et scolaire, et de moins en
moins par les biens matériels hérités de sa famille. Cette évolution, qui remonte à deux
siècles, est allée de pair avec la laïcisation, l’industrialisation de la société, le
développement de la scolarisation, la valorisation croissante de l’individu et l’affirmation
du lien amoureux comme élément de la réalisation de soi — réalisation qui est le
leitmotiv de la modernité […]. »
L’axe de la conjugalité
Sous la poussée individualiste du XIXe et XXe siècle le couple va connaître une réorientation
de son objectif : il est non seulement fondé sur l’amour, mais devient un espace
d’épanouissement individuel.
Ces transformations témoignent des changements de représentation de la sexualité, du
couple, du mariage et de ce que l’on attend désormais de la conjugalité. Car le bonheur
individuel, la réalisation de soi sont bien les nouvelles fonctions dévolues à la conjugalité.
Le couple n’a plus, dans l’époque contemporaine, comme principales fonctions la
réalisation d’alliance et la transmission du lignage et du patrimoine. Certes, il y a
aujourd’hui encore de l’accumulation de biens et de la transmission, mais le système
dominant de valeur n’est plus là. On se met ensemble avant tout pour partager, être
Source INSEE.
G. Neyrand, Table ronde sur les mutations des modèles familiaux, in Rapport de la mission interministérielle sur la famille
et les droits des enfants, Assemblée Nationale, 25 janvier 2006.