prend la parole ne l’ayant pas » ; soit : une personne (tel Pierre Rivière, et tels ses « hommes
infâmes » dont Foucault voulait faire l’histoire) illégitime [4] prend en charge sa propre histoire
singulière, s’opposant à des forces légitimes (police, médecins, avocats etc.). À l’histoire officielle,
héroïque, d’une entité quelconque (Grand homme, Nation, Classe) Foucault oppose une mémoire
populaire, un « processus sans sujet » (comme la définissait Althusser). Le populaire, ce ne sont
pas les paysans ou les ouvriers, ce ne sont pas des classes, ce sont « des traitres : ils sont dans
l’histoire, mais comme un virus. Ils hantent notre histoire, mais notre histoire n’est pas la leur. »
(p.63) Cette mémoire minoritaire est toujours au présent, même si vieille de plusieurs siècles, car
elle tient précisément de l’événement (longuement et fort bien expliqué par Maniglier par la suite).
Disjonctions
La mémoire populaire est une histoire qui n’intégrerait pas un point de vue surplombant (supra-
historique), mais où l’événement, pour dire rapidement ce qui apparaît dans l’écart creusé par la
mutation et la rencontre de plusieurs forces historiques, épistémologiques, pourrait justement faire
jour à travers les possibilités de disjonctions du médium cinématographique : entre la parole, le son
et l’image, entre les plans – effet Koulechov. C’est en ce sens que le film de René Allio, Moi, Pierre
Rivière…|critique du film Moi, Pierre Rivière, ayant égorgé ma mère, ma sœur et mon frère…
(analysé brillamment par Maniglier), adaptation à la lettre du texte original qu’avait découvert
Foucault, jouant des disjonctions de la parole pour montrer tout un ensemble de forces discursives
qui coexistent et s’affrontent, peut être opposé par les critiques des Cahiers du Cinéma à la mode
rétro (dans laquelle s’inscrivent Portier de nuit|critique du film Portier de nuit [5] et Lacombe Lucien
[6], et à la fin des années 1980 mais tout pareillement, Uranus de Claude Berri contre lequel Daney
s’élèvera).
Maniglier entre alors plus profondément dans les concepts d’événement, de série (dans une
lecture peut-être plus deleuzienne de Foucault), pour aboutir en fin d’article à un ensemble de
propositions théoriques et d’analyse filmiques éblouissantes, qui tiennent presque à de la grâce :
des visions, manières de concevoir et de parler des films, d’une très grande force, à la fois
stylistique et théorique. Citons par exemple cette assertion de toute beauté: « Non pas un train qui
entre en gare, mais la gare telle qu’elle s’actualise dans un morceau de train. » (p.87) ou celle-ci :
« Ainsi, le cinéma nous montrerait non pas des mains qui se crispent, mais des crispations qui
surgissent au milieu d’autres forces, non pas des yeux qui fixent quelque chose, mais des regards
qui s’emparent d’un visage, non pas des serpes qui coupent des gorges, mais des égorgements
qui traversent le temps… » (p.102) Ces pages étonnantes, et je ne peux pas résister à la tentation
de le citer, me font penser à cette intervention de Deleuze dans un de ses cours sur le visage au
cinéma :
« Ce que fait un visage est deux choses : un visage ressent, un visage pense-à. […] Le mari rentre
chez lui, le soir, épuisé d’un long travail. Il ouvre la porte, il traîne des pieds, sa femme le regarde.
Et il lui dit, hargneux : à quoi tu penses ? Et elle lui répond : Qu’est ce que t’as ? — “à quoi tu
penses” ? c’est-à-dire : quelle qualité émane de ton visage ? Et l’autre répond “qu’est-ce qui te
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