Klesis – Revue philosophique – 2011 : 21 – Philosophie analytique du droit
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lesquels. Pour être légitime, la contrainte légale doit-elle se limiter à faire
respecter un principe général comme le principe du tort (dans la tradition
libérale) ou peut-elle s’étendre à d’autres comportements jugés moralement
indécents dans un contexte social particulier (par exemple, l’homosexualité) ?
Malgré la distinction entre les deux domaines, les philosophes du droit
reconnaissent généralement que la validité du droit dépend ultimement de ses
fondements dans l’éthique.
L’importance de l’éthique dans la justification du droit est un problème
ancien ayant reçu beaucoup d’attention en philosophie du droit. Il ne faut
cependant pas oublier la relation inverse, celle qui donne au droit un rôle dans
la régulation de l’éthique. Depuis quelques décennies, cette relation s’est
enrichie considérablement, alors que les législateurs semblent s’intéresser de
plus en plus à la régulation par la loi de comportements autrefois compris
comme relevant uniquement du domaine de l’éthique. En Amérique du Nord,
particulièrement, on peut le voir à travers la multiplication des instruments
légaux encadrant les comportements autrefois compris comme « autorégulés »,
notamment dans le domaine de la politique et de l’administration publique.
Ce développement complexifie considérablement la relation entre
l’éthique et le droit. D’une part, nous continuons de considérer la capacité de
raisonnement moral des élus, des fonctionnaires et des juges comme essentielle
à la production, l’interprétation et l’application de lois valides. De l’autre, le
comportement de ces mêmes élus, fonctionnaires et juges fait l’objet d’une
régulation légale de plus en plus riche, composée de codes d’éthique et de
déontologie, de formations en éthique, de mécanismes de contrôle et de
vérification, etc.
Le renforcement de la régulation de l’éthique – c’est-à-dire des
mécanismes institutionnels visant à assurer l’intégrité du secteur public – est
souvent justifié par des scandales politiques et par l’idée que l’autorégulation
des comportements est insuffisante3. Laissés à eux-mêmes, les politiciens ou les
fonctionnaires risquent constamment de se placer dans des situations où leur
intérêt individuel primera sur l’intérêt public et, ainsi, compromettra l’intégrité
du processus législatif et juridique, de même que l’exercice du pouvoir exécutif.
Dans cet article, nous nous intéressons aux différentes façons de réguler
l’éthique par le droit, en utilisant comme exemple l’évolution récente de la
régulation de l’éthique au Québec et au Canada. Cette évolution, alimentée par
3 B. A. Rosenson, The Shadowlands of Conduct: Ethics and state politics, Washington, D. C.,
Georgetown University Press, 2005.