revue
Les glycosyltransférases virales
N. Markine-Goriaynoff
A. Vanderplasschen
Immunologie-vaccinologie (B43b),
Département des maladies infectieuses
et parasitaires,
Faculté de médecine vétérinaire,
Université de Liège, B-4000 Liège,
Belgique
Résumé.Les glycanes constituent une classe biochimique difficile à investiguer,
mais dont les rôles essentiels à tous les niveaux de la biologie se sont imposés
comme une évidence ces dernières décennies. Il apparaît maintenant qu’ils
représentent la quatrième catégorie de molécules bio-informatives après l’ADN,
l’ARN et les protéines. À ce titre, après la génomique, la transcriptomique et la
protéomique, l’ère de la glycomique est appelée à concentrer beaucoup d’inté-
rêts. Des millions d’années durant, les virus ont co-évolué avec leurs hôtes ; au
cours de ce processus adaptatif, ils ont évolué de manière à favoriser leur
multiplication par l’acquisition de moyens visant à imiter, détourner ou saboter
les mécanismes les plus complexes de la physiologie de leurs hôtes, y compris
les mécanismes destinés à interférer avec le glycome. La découverte de l’impor-
tance du glycome dans le contexte de la régulation des interactions entre les virus
et leurs hôtes a récemment mené à la notion de « glycovirologie ». Un aspect
fascinant de la glycovirologie est l’étude des mécanismes viraux visant à
modifier le glycome. Les virus affectent le glycome de deux façons : en régulant
l’expression des glycosyltransférases de la cellule hôte ou en exprimant leur
propre glycosyltransférase. Cette revue est consacrée aux glycosyltransférases
virales et à la description de leurs fonctions. La description de ces enzymes
illustre différents concepts fondamentaux de virologie et démontre indirecte-
ment le rôle crucial joué par la glycomique dans les processus biologiques.
Mots clés :glycosyltransférase, interactions virus-hôte, glycovirologie
Abstract.During the last decades, advances in cellular biology highlighted the
crucial roles of glycans in numerous important biological processes, raising the
concept of glycomics, which is currently considered to be complementary to
genomics, transcriptomics and proteomics.Viruses are forced parasites, depend-
ing on and interfering with the host cell machinery. Studies of the last decade
revealed that viruses have acquired the capability to interfere with the glycome at
their own benefit. The study of the glycans resulting from viral infection and
their functions is called « Glycovirology ». One of the most fascinating aspects
of glycovirology is the study of how viruses affect the glycome. Viruses reach
that goal either by affecting the expression of host glycosyltransferases, or by
expressing their own glycosyltransferases. Up to now, viral glycosyltransferases
have been reported in one herpesvirus and several poxviruses, baculoviruses,
phycodnaviruses and bacteriophages. In this review, viral glycosyltransferases
will be described exhaustively and their established or putative functions will be
discussed. The description of those enzymes illustrates several fundamental
aspects of virology.
Key words:glycosyltransferase, virus-host interactions, glycovirology
Tirés à part : A. Vanderplasschen
Virologie 2005, 9 : 35-48
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L’étude de la biologie cellulaire a successivement permis de
distinguer plusieurs niveaux de complexité, regroupés sous
les termes de génomique, transcriptomique, protéomique et
glycomique. Le glycome définit l’entièreté des glycanes
produits par une entité biologique ; il comprend notamment
les sucres associés aux protéines, aux lipides et à l’ADN
[1]. La glycomique est la discipline étudiant les différentes
facettes du glycome ; cette science émergente donne une
perspective nouvelle à la biologie cellulaire. Le glycome se
caractérise notamment par une biosynthèse ne résultant pas
de la lecture d’un patron linéaire mais de la collaboration
spatio-temporelle ordonnée de nombreuses glycosyltrans-
férases. Une autre caractéristique du glycome est la struc-
ture extrêmement complexe et variée de ses constituants
qui sont le plus souvent produits en quantités infinitésima-
les. Cela permet à la cellule d’exploiter un niveau de com-
plexité inégalé, mais contribue également à rendre très
délicate l’étude des glycanes. Récemment encore, les sac-
charides liés aux protéines étaient à peine mieux considérés
qu’une source d’irritation, compromettant l’étude de la
« partie importante » de la glycoprotéine, à savoir sa com-
posante protéique. Il apparaît à présent que la portion
saccharidique d’une glycoprotéine peut être aussi impor-
tante que sa partie protéique elle-même. La glycosylation
peut effectivement avoir des effets déterminants sur la
fonction, la structure, les propriétés physiques ou l’adres-
sage de la glycoprotéine.
Durant des millions d’années, les virus ont co-évolué avec
leurs hôtes. Ce processus évolutif progressif a permis aux
virus de s’adapter de façon très fine aux évolutions de la
biologie cellulaire. Les virus, en intégrant les aspects les
plus complexes de la physiologie de leurs hôtes, ont réussi
à imiter, détourner ou saboter la biologie cellulaire à leur
propre bénéfice. Récemment, un nombre croissant d’études
a mis en lumière l’importance du glycome dans le contexte
des interactions virus-hôte. De cela résulte le concept de
glycovirologie, qui fut le thème principal du premier
congrès international de glycobiologie virale (15 au 18 juin
2003, Göteborg, Suède).
Les virus affectent le glycome de deux façons. Certains
sont capables de réguler le niveau d’expression des glyco-
syltransférases cellulaires [2, 3]. Par exemple, le virus
T-lymphotrope 1 humain (HTLV1 ou human T-cell leuke-
mic virus), en transactivant l’expression de la fucosyltrans-
férase VII cellulaire, augmente l’expression de structures
sialyl de Lewis X (sLex) à la surface des cellules infectées.
Il est très intéressant de constater que, chez les patients
adultes atteints de leucémie à HTLV1, il y a une corrélation
positive entre le niveau d’expression de sLex à la surface de
cellules T leucémiques et le degré d’infiltration leucocy-
taire des tissus. Alors que certains virus affectent l’expres-
sion des glycosyltransférases cellulaires, d’autres modi-
fient le glycome en exprimant leur(s) propre(s)
glycosyltransférase(s). La présente revue est consacrée à la
description exhaustive des glycosyltransférases virales et à
la discussion de leurs fonctions établies ou présumées dans
la biologie de l’infection virale. La description de ces
enzymes illustre différents concepts fondamentaux en viro-
logie.
- Certains gènes viraux ont une origine cellulaire. Il a par
exemple été possible de déterminer que l’herpèsvirus bovin
4 (BoHV4) a acquis un gène codant pour une core 2-b-1,6-
N-acétylglucosaminyltransférase-M aux dépens d’un ancê-
tre du buffle africain il y a approximativement 1,5 million
d’années.
- Certains virus infectant des organismes pluricellulaires
ont la capacité d’altérer de manière systémique le métabo-
lisme de leur hôte. Ce type de phénomène se produit au
cours de l’infection de lépidoptères par certains baculovi-
rus ; ces derniers, en exprimant une ecdystéroïde transfé-
rase, sont capables d’inactiver l’action de l’hormone de
mue de l’insecte.
- Les virus sont capables de contrer certains mécanismes
antiviraux. Par exemple, certains bactériophages expriment
une aet une b-glucosyltransférases. Ces enzymes glucosy-
lent l’ADN viral pour le protéger de l’action des endonu-
cléases de la cellule hôte.
- Certains phages tempérés infectant des bactéries pathogè-
nes peuvent conférer à ces dernières des facteurs de viru-
lence additionnels. Ce concept est illustré par quelques
bactériophages tempérés ayant la propriété de modifier le
sérotype de la cellule hôte via l’expression d’une glycosyl-
transférase virale au cours de l’infection lysogénique.
La présente revue est consacrée à la description exhaustive
de toutes les glycosyltransférases virales ayant été décrites
à ce jour. Des glycosyltransférases virales ont été décrites
chez un herpèsvirus et différents poxvirus, baculovirus,
phycodnavirus et bactériophages (tableau 1). Leur(s) gly-
cosyltransférases seront présentées ici en accord avec cet
ordre.
La core 2b-1,6-N-
acétylglucosaminyltransférase-M
exprimée par l’herpèsvirus bovin 4
L’herpèsvirus bovin 4 (BoHV4) appartient au genre Rhadi-
novirus de la sous-famille des Gammaherpesvirinae.Ila
été isolé à travers le monde de bovins sains ou atteints de
diverses pathologies [4]. Le buffle africain (Syncerus caf-
fer) constitue également un réservoir naturel du BoHV4 en
Afrique. Le séquençage du génome du BoHV4 a révélé
que, comparativement aux autres membres du genre Rha-
dinovirus, ce virus possède peu de cadres de lecture ouverts
(ORF ou open reading frames) homologues à des gènes
cellulaires [5]. Néanmoins, le gène Bo17 du BoHV4 est le
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seul gène viral connu actuellement pour exprimer un homo-
logue fonctionnel de la core 2-b-1,6-N-acétylglucosaminyl-
transférase de type mucinique (C2GnT-M) cellulaire [6] ;
la C2GnT-M est un membre de la famille des b1,6-N-
acétylglucosaminyltransférases (b1,6GnT) cellulaires.
Les b1,6GnT sont des glycosyltransférases impliquées
dans la synthèse de liens (GlcNAcb16) Gal (NAc) ;
elles jouent des rôles déterminants dans la synthèse des
glycanes [7]. On observe des modifications du niveau d’ex-
pression des b1,6GnT cellulaires au cours de certains pro-
cessus liés au développement, aux immunodéficiences et à
l’oncogenèse. Trois types d’activité enzymatique sont dé-
crits au sein de la famille des b1,6GnTs sur la base des
accepteurs reconnus comme substrats : les activités de
branchement core 2 [Galb13 (GlcNAcb16) Gal-
NAc], core 4 [GlcNAcb13 (GlcNAcb16) GalNAc],
et I [GlcNAcb13 (GlcNAcb16) Gal]. Parmi les
b1,6GnTs décrites à ce jour, la C2GnT-M est la seule
enzyme douée de ces trois activités de branchement (core 2,
core 4 et I).
L’activité de branchement core 2b1,6GnT (C2GnT) produit
une structure core 2 à partir d’une structure accepteur core
1 (Galb13GalNAc) [7]. Dans de nombreuses cellules, la
structure core 2 est le composant principal des O-glycanes
[7]. L’importance biologique de la structure core 2 s’expli-
que du fait que différents ligands sucrés sont construits
directement sur des oligosaccharides branchés core 2. Par
exemple, les structures sLe
x
et sLe
x
sulfaté sont formées sur
Tableau 1.Glycosyltransférases virales
Virus Glycosyltransférases Effets biochimiques
principales fonctions biologiques établies
Références
Herpèsvirus
Rhadinovirus: BoHV4 Core 2b-1,6-N-
acétylglucosaminyltransférase
de type mucinique (C2GnT-M)
Modifications post-traductionnelles
des protéines de structure
[6,8,9]
Poxvirus
Chordopoxvirus:
MYXV et autres léporipoxvirus a-2,3-sialystransférase Modifications post-traductionnelles
de SERP1
[14-16, 18]
Entomopoxvirus: MsEPV ORF MSV206 - glycosyltransférase potentielle [19]
AmEPV ORF AMV248 - glycosyltransférase potentielle [20]
Baculovirus
Tous les baculovirus
caractérisés, à l’exception
des XcGV et PhopGV
Ecdysteroïde transférase Glycosylation de l’hormone ecdystéroïde
d’insecte :
[22, 23]
- inhibition des mues et de la métamorphose
de l’insecte
Phycodnavirus
Chlorovirus PBCV1 ORF a64r, a111r, a114r, a222-
226r, a328l, a473l, et a546l
Modifications post-traductionnelles
de la protéine majeure de capside Vp54
[26, 28, 29]
PBCV1 Hyaluronan synthase Synthèse d’un dense réseau de
hyaluronan à la surface de la cellule
infectée
[31, 34]
CVK2 Chitine synthase Synthèse d’un dense réseau de chitine
à la surface de la cellule infectée
[33]
Phaeovirus EsV1 ORF 84 - glycosyltransférase potentielle
(potentiellement une hyaluronan, une chitine
ou une alginate synthase)
[36]
Bactériophages
Glucosylation de l’ADN viral:
Bactériophages T2, T4 et T6
de E. coli
Glucosyltransférases aet b- protection de l’ADN viral à l’encontre
des endonucléases bactériennes
[37-41]
Conversion de l’antigène O bactérien :
Bactériophages induisant
une modification du sérotype
bactérien
Gtr(type) spécifique pour
chaque bactériophage
- inhibition de la surinfection de la bactérie
par des phages apparentés
[45, 48, 49]
- inhibition de la rétention des virions
à la surface des débris cellulaires, après
l’infection lytique
- conversion du sérotype de la cellule hôte
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des oligosaccharides branchés core 2 et représentent les
ligands préférentiels des sélectines P et L [7]. L’activité de
branchement core 4 b1,6GnT (C4GnT) génère une struc-
ture core 4 à partir d’une structure accepteur core 3 (Glc-
NAcb13GalNAc). La structure core 4 est principale-
ment exprimée au sein de tissus producteurs de mucines
[7]. Si les structures core 2 et core 4 sont produites sur des
O-glycanes, la structure I se retrouve quant à elle sur des N-
et O-glycanes et sur des glycolipides. L’activité de branche-
ment I b1,6GnT (IGnT) convertit une poly-N-
acétyllactosamine linéaire (Galb14 GlcNAcb13)
n
en poly-N-acétyllactosamine branchée [Galb14Glc-
NAcb13 (Galb14GlcNAcb16) Gal R] [7].
Le BoHV4 étant le seul virus connu à ce jour pour exprimer
un homologue fonctionnel de la C2GnT-M cellulaire, il
procure un modèle unique pour étudier les fonctions biolo-
giques d’une b1,6GnT dans le contexte d’une infection
virale. Pour cette raison, des efforts importants ont étés
consentis pour étudier l’origine et les fonctions du gène
Bo17 du BoHV4. L’étude de son origine a révélé que ce
gène a été acquis d’un ancêtre du buffle africain, il y a
approximativement 1,5 million d’années, ce qui implique
que sa présence actuelle chez les bovins domestiques ré-
sulte d’une transmission interespèce ultérieure [8]. Cette
observation fait de Bo17 l’exemple connu le plus récent
d’acquisition d’un gène par un herpèsvirus. Cette étude
phylogénique a aussi révélé que Bo17 a été fixé dans la
population BoHV4 et ce malgré son acquisition récente ;
depuis son transfert dans le génome viral, sa séquence a été
soumise à une forte pression de sélection négative à l’en-
contre des substitutions non synonymes. Ces données sug-
gèrent que Bo17 a une fonction importante pour le BoHV4.
Le produit d’expression de Bo17 (pBo17) est un homolo-
gue fonctionnel de la C2GnT-M cellulaire. L’expression
transitoire de pBo17 en cellules CHO a permis de montrer
que cette protéine a conservé les trois activités enzymati-
ques de branchement propres à la C2GnT-M cellulaire, à
savoir les activités de branchement core 2, core 4 et I [6]. De
plus, des cellules négatives pour l’expression de l’activité
de branchement core 2 et permissives à la réplication virale
ont été infectées par le BoHV4 ; il en résulte l’expression de
structures core 2 [6]. L’analyse de neuf souches représen-
tatives de l’espèce BoHV4 a révélé que toutes expriment
une enzyme fonctionnelle [9]. La délétion du gène Bo17 a
révélé que ce gène n’est pas essentiel à la réplication virale
in vitro, et ce bien qu’il contribue aux modifications post-
traductionnelles des protéines de structure [9]. Cela est
corroboré par la découverte du fait que Bo17 est exprimé en
phase précoce [9].
Différentes hypothèses non exclusives peuvent être émises
concernant le(s) rôle(s) de Bo17 dans la biologie de l’infec-
tion par le BoHV4. In vitro, pBo17 induit des modifications
post-traductionnelles des protéines de structure [9]. In vivo,
ces modifications pourraient affecter le tropisme du virion
et/ou sa sensibilité aux anticorps et/ou au complément.
Cette dernière hypothèse est renforcée par la démonstration
que la résistance au complément des virions du virus Sind-
bis est affectée par le niveau d’expression en acide sialique
des cellules utilisées pour la production virale [10, 11].
En plus de modifier des protéines de structure, il est proba-
ble que pBo17 modifie également des glycoprotéines vira-
les et/ou cellulaires exposées à la surface cellulaire ; par ce
biais, il pourrait contrôler certaines propriétés biologiques
de la cellule infectée. Ces modifications pourraient dimi-
nuer la sensibilité de la cellule infectée à une lyse due aux
anticorps et/ou au complément et/ou à une cytotoxicité à
médiation cellulaire. Cette dernière hypothèse est renforcée
par l’observation qu’une augmentation du niveau d’activité
C2GnT réduit de façon significative les interactions entre la
cellule qui exprime ces structures sucrées et les cellules du
système immunitaire [12]. Une autre hypothèse attrayante
serait que le BoHV4, grâce à l’expression de Bo17, est
capable d’induire l’exposition de ligands pour les sélectines
à la surface cellulaire ; cela pourrait avoir une incidence sur
le tropisme de la cellule infectée vers les sites secondaires
de réplication virale et/ou de ré-excrétion. De nouvelles
études sont nécessaires pour identifier les protéines virales
et cellulaires qui sont sujettes à l’activité enzymatique de
pBo17 et pour déterminer l’effet de ces modifications post-
traductionnelles sur les propriétés biologiques du virion
et/ou de la cellule infectée.
Les glycosyltransférases exprimées
par des poxvirus
La famille Poxviridae regroupe des virus àADN de grande
taille et partageant de nombreuses propriétés uniques [13].
Cette famille se décompose en deux sous-familles, les
Chordopoxvirinae et les Entomopoxvirinae, infectant res-
pectivement des vertébrés et des insectes invertébrés.
Chordopoxvirinae :
l’a2,3-sialyltransférase des léporipoxvirus
Des données complètes sont disponibles pour un groupe de
chordopoxvirus exprimant une a2,3-sialyltransférase. Le
myxoma virus d’Amérique du Sud (MYXV) est le proto-
type de ce groupe. Il appartient au genre Leporipoxvirus de
la sous-famille Chordopoxvirinae. À l’état naturel, le
MYXV infecte le lapin de forêt brésilien (Sylvilagus bra-
siliensis) chez qui il cause le développement de petites
tumeurs bénignes et localisées qui ne persistent que quel-
ques mois. Par contre, l’infection du lapin européen (Oryc-
tolagus cuniculus) provoque la myxomatose, une maladie
souvent létale qui n’a rien à voir avec les symptômes
insignifiants observés chez l’hôte naturel.
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En 1999, Jackson et al. ont démontré que le MYXV ex-
prime une a-2,3-sialyltransférase fonctionnelle [14].
L’inactivation du gène MST3N codant pour cette glycosyl-
transférase virale a révélé son caractère non essentiel pour
la réplication in vitro et pour l’induction d’une myxoma-
tose clinique chez des lapins sensibles [14]. Cependant, en
l’absence d’expression de sialyltransférase, les symptômes
de la maladie sont retardés ; cela suggère que l’a-2,3-
sialyltransférase du MYXV pourrait agir en synergie avec
d’autres facteurs de virulences.
Les rôles de MST3N lors de l’infection par le MYXV
peuvent être formulés par différentes hypothèses qui ne
s’excluent pas mutuellement. Premièrement, cette glyco-
syltransférase pourrait agir par le biais de modifications
post-traductionnelles de glycoprotéines sécrétées par la
cellule infectée et/ou de glycoprotéines exprimées à la
surface de la cellule infectée ou des virions. Deuxième-
ment, cette glycosyltransférase pourrait aussi agir comme
une lectine. La plupart de ces hypothèses doivent encore
être testées. Ci-dessous, nous passons en revue les données
publiées et discutons ces hypothèses.
Il a été démontré que l’a-2,3-sialyltransférase du MYXV
contribue aux modifications post-traductionnelles de la ser-
pine (serine-proteinase inhibithor) virale SERP1 [15].
Cette protéine virale est douée de propriétés anti-
inflammatoires et est sécrétée. À ce jour, SERP1 est le seul
exemple connu de serpine virale sécrétée par la cellule
infectée sous la forme d’une glycoprotéine soluble. Elle
constitue également le premier exemple d’un facteur de
virulence sécrété qui soit modifié par une glycosyltransfé-
rase virale. Les modifications de SERP1 par le produit
d’expression du gène MST3N ne sont pas essentielles à
l’aptitude de SERP1 à inhiber les protéases in vitro [15] ;
cela n’exclut cependant pas que la sialylation de SERP1 ait
différentes fonctions in vivo. Premièrement, cette modifi-
cation post-traductionnelle pourrait diminuer le caractère
antigénique de SERP1. Deuxièmement, elle pourrait aug-
menter le temps de demi-vie de SERP1 au sein des tissus
infectés. Troisièmement, la sialylation de SERP1 pourrait
aussi augmenter son aptitude à se lier à la surface de cellules
cibles spécifiques. Le mécanisme permettrait d’augmenter
la concentration locale de SERP1 ou de l’écarter du plasma
et de ses protéases. Ces hypothèses pourraient également
être appliquées à toute autre molécule immunomodulatrice
virale, qu’elle soit sécrétée ou associée aux cellules.
Le bon déroulement de différents processus immunitaires
repose sur la sialylation adéquate de glycoprotéines spéci-
fiques exposées en surface cellulaire. Il n’est donc pas
étonnant de découvrir que certains agents pathogènes ont
acquis le pouvoir d’altérer la sialylation comme stratégie
d’échappement de la réponse immune [14]. Il se pourrait
que les virions ou les cellules infectées par le MYXV soient
protégés d’une réponse innée du système immun grâce à la
sialylation terminale de glycoconjugués exposés à leur
surface. La sialylation de composés de surface pourrait
également autoriser des interactions entre un virion ou une
cellule infectée et la surface d’une cellule exprimant cer-
tains récepteurs reconnaissant les molécules sialylées, des
récepteurs de la famille des sialo-adhésines, par exemple
[7]. Alternativement, l’a-2,3-sialyltransférase du MYXV
pourrait collaborer avec une GlcNAc a-1,3/4-
fucosyltransférase, de façon à former des structures sialyl-
Lewis a (sLe
a
, Siaa2,3Galb1,3 [Fuca1,4] GlcNAc) et
sialyl-Lewis x (sLe
x
, Sia a2,3Galb1,4 [Fuca1,3] GlcNAc).
Les structures sLe
a/x
sont les ligands des sélectines E, P et
L, des lectines impliquées dans la régulation du trafic
leucocytaire lors de l’inflammation et de la réponse im-
mune [7]. Il est intéressant de constater que le produit
d’expression du gène MST3N est capable de transférer
l’acide sialique sur un accepteur fucosylé au sein d’une
structure Lewis a et Lewis x [16] ; cette propriété unique
distingue le produit d’expression du gène MST3N de toutes
les sialyltransférases cellulaires connues à ce jour. L’ex-
pression de structure sLe
a/x
pourrait favoriser la propaga-
tion virale au sein de l’hôte.
En plus de potentiellement exercer certaines fonctions bio-
logiques par l’intermédiaire des produits résultants de son
activité enzymatique, le produit d’expression du gène
MST3N pourrait aussi agir par lui-même, en tant que lec-
tine exprimée à la surface du virion et/ou de la cellule
infectée. Certaines observations suggèrent que les particu-
les du virus de la vaccine (un autre chordopoxvirus)
contiennent des ligands pour des récepteurs saccharidiques
non sialylés [17]. Comme les membranes du réseau trans-
golgien participent à la formation de la membrane externe
de la forme extracellulaire enveloppée du virus (EEV, ex-
tracellular enveloped virus) [7], il a été proposé que ces
ligands puissent être des sialyltransférases d’origine cellu-
laire et normalement résidentes de l’appareil de Golgi [14].
Le cycle biologique du MYXV pourrait reposer sur la
présence, en membrane externe de l’EEV, d’un ligand spé-
cifique non exprimé par les cellules infectées. Une hypo-
thèse est que le MYXV coderait sa propre a2,3-
sialyltransférase pour remplir cette fonction. Le ligand viral
pourrait favoriser l’attachement ultérieur des EEV à la
surface de cellules cibles spécifiques.
En plus du MYXV, il a été démontré que d’autres lépori-
poxvirus possèdent un orthologue du gène MST3N : le
virus du fibrome de Shope (SFV, Shope fibroma virus)etles
virus du fibrome du lièvre et de l’écureuil [14, 18]. De plus,
une activité a-2,3-sialyltransférase fonctionnelle est in-
duite au sein des cellules infectées par le SFV [14].
Ces données suggèrent que l’expression d’une a-2,3-
sialyltransférase est une propriété du genre léporipoxvirus.
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