Les mots de l’islam
Paul Balta
Les attentats du réseau Al-Qaïda (la Base) d’Oussama
Ben Laden contre les États-Unis, le 11 septembre 2001,
ont été un choc pour le monde entier. Pris de court, les
journalistes qui, le plus souvent, ne connaissent guère la
religion musulmane ont utilisé à tort nombre d’expres-
sions et fait quelques amalgames entre Arabes et musul-
mans, islam et islamisme, islam et terrorisme. Rappelons
à ce propos que tous les musulmans (entre 1,3 et 1,5
milliard) ne sont pas arabes et que tous les Arabes
(environ 300 millions) ne sont pas musulmans. En effet,
il y a environ 10 % de chrétiens arabes dont la moitié vit
au Proche-Orient, l’autre moitié ayant pris le chemin de
l’exil. Dans un deuxième temps, télévisions, radios et
presse écrite ont fait un effort pour aider les auditeurs et
les lecteurs à s’y retrouver. Néanmoins leur tâche n’était
pas aisée dans la mesure où le sens de certains mots a
évolué. En outre, pour justifier leurs actions, les mouve-
ments islamistes instrumentalisent les textes sacrés et ont
tendance à détourner certains termes de leur sens premier.
Retenons les principaux , liés à l’actualité, en commen-
çant par l’islam1.
Islam signifie en arabe «soumission à Dieu» et a donné muslim
(pl. muslimûn), «musulman(s)». En français l’usage veut qu’on
utilise la minuscule pour la religion, comme pour christianisme,
et la majuscule pour désigner l’espace musulman et sa civilisation ; les
musulmans francophones écrivent Islam dans tous les cas. On a
tendance en Europe à considérer l’Islam comme un tout monoli-
thique, immuable dans le temps et statique dans l’espace. Or, il a
connu des schismes, des périodes de grandeur et de déclin et, de la
Mauritanie à l’Indonésie, de l’Afrique noire à l’Asie centrale, englobe
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des ethnies très différentes qui, tout en partageant la même foi, sont
marquées par leurs cultures d’origine et ont conservé leurs spécifi-
cités.
Islamisme. Au XIXe siècle, par analogie avec judaïsme et christia-
nisme, on disait islamisme plutôt qu’islam. Toutefois, depuis la
victoire de Khomeyni en Iran, en 1979, islamisme désigne l’islam poli-
tique ou radical dont les partisans sont les islamistes. Ils ont d’ailleurs
forgé le néologisme arabe islamiyoun pour affirmer leur militantisme
et se distinguer des simples musulmans qui forment l’immense majo-
rité et pratiquent leur foi paisiblement. Ils utilisent la religion pour
tenter de s’emparer du pouvoir ; certains de leurs mouvements le font
pacifiquement en exerçant des pressions sur les régimes en place,
d’autres recourent à la violence voire au terrorisme comme les Gamaa
islamiyya en Égypte ou le GIA (Groupe islamique armé) en Algérie. En
français on les qualifie aussi d’intégristes. Leur idéologie est encore
plus radicale que celle des fondamentalistes, partisans, sur les plans
religieux et politique, d’une stricte application de la chari’a ; c’est le cas
des dirigeants d’Arabie saoudite (sunnites) et, en Iran (chiites), des
opposants religieux au président Khatami. Il ne faut pas les confondre
avec les traditionnalistes, conservateurs qui n’ont pas de projet poli-
tique mais cultivent la nostalgie du passé et sont plus préoccupés de
préserver les moeurs et les rituels : respect de la hiérarchie, voile des
femmes, virginité des jeunes filles, etc. Enfin, il y a les réformateurs,
comme Mohamad Abdô au XIXe siècle, et les «nouveaux penseurs»
au XXe, qui entendent «rouvrir la porte de l’ijtihad» (effort de recherche
personnelle et d’interprétation) fermée au XIIe siècle par le calife Al-
Qadir, afin de permettre au monde musulman d’entrer dans la moder-
nité.
Chari’a2, ou «voie à suivre», définit aussi la «Loi de l’islam»,
ensemble de prescriptions auxquelles le musulman doit se soumettre
dans les domaines de la religion, des relations sociales et des ques-
tions juridiques. Elle est fondée sur trois éléments :
- Le Coran, composé de 114 sourates ou chapitres et de 6226 versets
(6211, 6216 ou 6236 selon d’autres lectures). C’est la parole de Dieu
(Allah) révélée en arabe par l’ange Gabriel, Jibril, au prophète
Mahomet, Mohammad en arabe.
- La sunna, ou «tradition du Prophète», est composée de hadîth,
«courts récits» rapportant ses paroles, ses conseils, ses gestes, ses
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comportements en diverses circonstances, ses relations avec les autres.
Dans la multitude de hadîth recueillis, il y en avait de faux qui avaient
été forgés pour des raisons politiques ; c’est pourquoi les ulémas ont
effectué un travail de recherche afin de déterminer si les rapporteurs
étaient fiables. Plusieurs recueils ont été établis mais le plus consulté
parce que le plus fidèle est le çahih, l’Authentique3, du Persan El-
Bokhâri (810-870).
- Le fiqh (d’une racine signifiant «connaître», «examiner») qui s’ap-
pliquait à l’origine à toute connaissance mais qui a pris avec l’islam
une valeur religieuse et désigne le Droit musulman ; dans ce cas, il se
distingue de ‘ilm ou «science». Il a été élaboré par les fuqahâ (sing. fiqh),
«jurisconsultes-théologiens» qui interprètent la façon dont il convient
d’appliquer la Loi. Il arrive cependant que les fuqahâ se montrent plus
rigoureux que le Coran. Citons à titre d’exemple, l’adultère. À condi-
tion qu’il soit attesté par quatre témoins qui ont vu, de leurs yeux vu,
le Coran édicte : «Frappez la débauchée et le débauché de cent coups de
fouet» (XXIV-2). Or, des fuqahâ ont recommandé la lapidation pour la
seule femme, comme dans la tradition hébraïque. Ce châtiment est
toujours appliqué en Arabie saoudite et parfois en Iran. Signalons
aussi que nombre de pays musulmans ont adopté pour leur législa-
tion le droit moderne inspiré de l’Europe. Néanmoins, l’Égypte a
modifié sa Constitution, sous le président Sadate, assassiné en 1981
par des islamistes, pour préciser que «la Chari’a est une des sources du
droit» ; une réforme postérieure en fait «la principale source du droit»,
alors que les partis et les mouvements fondamentalistes et islamistes
veulent qu’elle soit «l’unique source du droit». C’est le cas notamment
en Arabie saoudite, au Pakistan, depuis la dictature du général Zia Ul
Haq, en 1977, et, malgré la présence de chrétiens et d’animistes, au
Soudan et dans douze États du Nigeria.
Jihad (on écrit aussi djihad), que les journalistes traduisent presque
systématiquement par «guerre sainte». Il est vrai qu’ils y ont été
incités, depuis les années 1970, par les proclamations belliqueuses de
certains mouvements islamistes et tout récemment par les appels au
jihad «contre les infidèles juifs et chrétiens» lancés par Ben Laden et le
chef des talibans afghans, le mollah Omar. En arabe, jihad signifie
«effort». Son sens premier, pour le musulman, est «effort ou lutte contre
soi-même pour devenir meilleur». C’est par extension qu’il signifie
«guerre sainte». Certaines dynasties, comme celle des Almohades
(1147-1205) au Maghreb, ont prétendu en faire un sixième pilier ou
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obligation (après la profession de foi, la prière, l’aumône, le jeûne du
mois de ramadan et le pèlerinage à La Mecque) mais ce n’est pas cora-
nique. Cela étant, c’est un terme qu’utilisent de plus en plus les
mouvements islamistes en invoquant la tradition. En effet, dès les
premières conquêtes, s’est élaborée la théorie du Dar el islam que nous
allons évoquer.
Dar el-islam, le «territoire de l’islam», ou encore Dar es-salam, le
«territoire de la paix», est celui de la oumma, la «communauté des
musulmans». Il s’oppose au Dar el-kufr, «le territoire de l’impiété» ou
Dar el-harb, le «territoire de la guerre», qui est celui des infidèles ; ce
dernier devra être gagné à la chari’a par la prédication ou par les
armes. Ce thème, fréquent chez les premiers conquérants, a été repris
par des contemporains comme le sunnite Hassan el-Banna, fondateur,
en 1928, de l’organisation des Frères musulmans d’Égypte, matrice de
la plupart des mouvements islamistes, ou l’ayatollah Khomeyni, un
chiite. Il inspire l’action de l’Arabie saoudite et de la Ligue islamique
mondiale qu’elle a instituée en 1961, et qui a des antennes dans le
monde entier. Réalistes, les juristes musulmans avaient également
défini Dar el-çolh, «le territoire de la trêve», qui peut obtenir la paix en
payant tribut à Dar el-islam. Ils ont également prévu que les relations
entre ce dernier et Dar el-harb puissent être régies par la daruriyya,
«l’état de nécessité», dicté par la supériorité des infidèles et des impé-
ratifs économiques, techniques ou sociaux.
Les réformateurs, partisans du dialogue des civilisations et de l’in-
tégration des musulmans dans les sociétés d’accueil des États occi-
dentaux, opposent à la théorie du Dar el-harb et aux appels au jihad
plusieurs versets du Coran dont ceux-ci : «Si Dieu l’avait voulu, il aurait
fait de vous une communauté unique» (V-48) et «Si Nous avons fait de vous
des peuples et des tribus, c’est afin que vous vous connaissiez mutuellement»
(XLIX-13).
Chahîd (pluriel chouhada). Etymologiquement le mot signifie
témoin, ce qui implique d’avoir la connaissance directe. Pour les
musulmans, c’est le «témoin de la foi» et, par extension, le «martyr».
Dans le Coran, chahîd apparaît uniquement dans le sens de témoin
comme un des 99 attributs de Dieu (le 51è) ; la notion de martyr figure
indirectement dans le verset qui promet le Paradis à «Ceux qui ont été
tués dans le chemin de Dieu»(III-163). Le terme est utilisé dans le sens de
«martyr» dans les hadîth et chez les fuqahâ. Il est en honneur chez les
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chiites qui l’appliquent à Ali, gendre de Mahomet et quatrième calife,
et à ses fils tués par les sunnites. Depuis, ils y recourent souvent et,
pendant la guerre Irak-Iran (1980-1988), Khomeyni donnait le titre de
chouhada aux volontaires iraniens qui sautaient sur les mines pour
permettre à l’armée d’avancer. En Algérie, pays sunnite, ce titre est
attribué aux combattants tués pendant la guerre d’indépendance
(1954-1962).
Depuis, les groupes sunnites comme les Gamaa islamiyya et les
réseaux terroristes comme ceux d’Al-Qaïda forment des kamikazes
qui se font sauter avec leur cible et sont qualifiés de chouhada. Leurs
chefs expliquent que ce sont des justiciers qui, tel le Samson de la
Bible, détruisent le Temple et meurent en même temps que les
ennemis de Dieu. Pour eux, le Temple c’est l’Occident arrogant qui
exploite les pauvres et ils se présentent comme les défenseurs des
opprimés et des humiliés. Néanmoins, l’attentat du 11 septembre a été
condamné par la Ligue arabe, l’OCI et les principales autorités reli-
gieuses.
Le cheikh Mohamad Tantawi, grand imam de la mosquée Al-Azhar,
au Caire, la plus haute instance morale du sunnisme, l’a qualifié de
«crime condamnable par toutes les religions révélées». Le cheikh Mohamad
Hussein Fadlallah, islamiste chiite et chef spirituel du Hezbollah liba-
nais, a affirmé qu’il ne se confond pas avec le jihad classique ; il a dénié
à ses auteurs le titre de chouhada et souligné qu’il s’agit d’un vulgaire
suicide, intihar, interdit par l’islam. Le Jihad et le Hamas palestiniens
établissent aussi une différence et expliquent que leurs kamikazes
luttent contre l’occupant israélien condamné par plusieurs résolutions
de l’ONU.
Moujahid ou moudjahid (pluriel moujahidin), veut dire «combat-
tant(s)». En Algérie, il désigne ceux qui ont participé à la guerre de
libération nationale. En Afghanistan, c’est le nom des membres de
l’Alliance du Nord, hostile aux talibans (sing. taleb). Les islamistes
donnent à ce terme une connotation religieuse : «combattant de la
foi». Écrire, comme on le voit dans la presse, un moudjahidin est une
erreur, il faut utiliser le singulier.
Fatwa. Ce terme est généralement traduit dans les médias par
«ordre», «décision» ou «décret». En réalité, chez les sunnites (90 % des
musulmans) c’est un avis juridique non contraignant rendu par un
fiqh à la suite d’une consultation. C’est donc une interprétation qui
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