CENTER FOR THE STUDY OF THE MODERN ARAB WORLD CENTRE POUR L’ETUDE DU MONDE ARABE MODERNE REUNION DU CEMAM 14 Décembre 1985 I. QUELQUES LIVRES RECENTES SUR L'ISLAM 1.1 SOU'AL n° 5/1985 (R. Chamussy) [Publié par l'Ass. pour le développement de la culture et de la science dans le Tiers-Monde, Directeur Claude Sixou] Dans la "Présentation", Mohammad Harbi annonce: le "regain de l'islam formaliste", c'est le "Spectre du despotisme" qui hante à nouveau les esprits, mais quand on appartient à une civilisation imprégnée d'Islam, on ne peut ignorer le problème. Voici donc une étude qui traitera de l'islamisme i.e. de l'Islam idéologisé. La méthode: on laissera parler les islamistes eux-mêmes et l'on découvrira... - un islamisme extrêmement ambigu qui s'annonce en fait comme aussi totalitaire que le Pouvoir qu'il dénonce; - des islamismes qui indignent: anti-féminisme des Tunisiens, antisémitisme des Egyptiens, terrorisme intellectuel des Séoudiens. La cause de tout cela: "la déstructuration des sociétés islamiques du fait des Etats qui ont brisé les communautés intermédiaires, annexé la religion, organisé le vide social". La solution: contre les ulémas qui subordonnent la politique au religieux, il faut poser la séparation des deux sphères, le pluralisme, la liberté de l'individu... En bref: laïcité. En arrière-fond de cette présentation: l'indignation à l'encontre de qui se passe en Iran, au Pakistan, au Soudan; la critique des régimes en place; la tristesse face à l'indigence de la pensée chez les islamistes; le constat sur le désespoir des générations nouvelles. Le contenu de la revue ne répond pas complètement au projet... Rien d'exhaustif: rien sur le Liban, ni sur la Jordanie, ni sur les pays du Golfe (un seul texte sur l'Arabie)... L'Egypte et le Maghreb sont par contre largement représentés, avec aussi un texte intéressant sur la Syrie. - De plus les prestations fournies donnent parfois l'impression d'être résumés, à des notes... Ce n'est pas sans intérêt, mais c'est bien décousu. Nous vous proposons un choix: (1) L'intérêt de l'étude du Dr. Manna sur les Frères Musulmans en Syrie réside est de montrer fort bien comment d'une Association en crise et divisée est née, dans les années 70, un groupe très marqué par les doctrines de Mawdudi et de Qotb qui n'hésita pas à déclencher -au nom de la lutte contre l'hérétique alaouite et de façon très brouillonne d'ailleurs- une véritable guerre contre le pouvoir syrien. L'idéologue de cette tendance en Syrie même s'appelle Saïda Hawa qui était en prison de 73 à 76, au moment où se prirent les grandes décisions concernant la lutte armée et qui, par la suite, prit du champ par rapport aux combattants pour se retrouver dans le triumvirat qui dirige actuellement (de l'étranger) des Frères Musulmans redevenus plus sages. C'est dans ses écrits que "l'Avant-garde combattante" de Marwan Hadid et de Adnan Oqlah (le premier meurt en prison en 75-6) trouve son inspiration: il s'agit, pour ses gens-là qui se considèrent comme le "Parti de Dieu", de lutter par tous les moyens pour "l'instauration de l'autorité de Dieu sur la Terre". D'où la nécessité de s'organiser militairement, culturellement, religieusement. Les événements que provoqueront ces jeunes relèvent à la fois du ponctuel et de l'évolution lente: l'exécution de Sayyid Qotb (1966), la défaite de 1967, la montée de l'opposition en Syrie à l'égard du "pouvoir athée" Ba'athiste, les mesures économiques frappant commerçants et ulémas, et l'attraction exercée par la Résistance Palestinienne (Frères Musulmans formés dans les camps). Les raisons qui firent capoter le mouvement: la réaction féroce du pouvoir et les divisions du mouvement lui-même. Dès mars 80, à l'occasion des affrontements d'Alep, les Frères eux-mêmes en tant qu'association officielle s'en prennent aux trublions et aux gens de Oqlah. En février 82, l'avant-garde combattante joue le tout pour le tout à Hama... (2) Abul-Ala' al-Mawdudi (1903-1979), journaliste à New Delhi, auteur de 1928 d'un livre sur le jihad, à Lahore en 1937 avec Muhammad Iqbal? EN 1941 fondateur de la Jama'at i-islami qui vise à la fondation d'une société purement islamique. Ses principes: l'Etat n'est que l'agent de Dieu souverain, la chari'a est la seule loi, l'Etat ne peut transgresser les limites imposées par l'Islam. Après des séjours en prison, résidence en Arabie Séoudite (1961-62). Il se réjouira de l'arrivée au pouvoir de Zia al-Haqq... 4 ministres le représentent au gouvernement pakistanais. Considéré comme l'idéologue en chef de l'islamisme moderne, Mawdudi se pose en s'opposant à la fois aux élites occidentalisées, reflet d'une civilisation qui s'écroule, et aux ulémas traditionnels par trop sclérosés. Sa pensée est simple: Dieu unique et Maître Souverain; l'homme qui grâce à la révélation, passe du chirk au tawhid est le vicaire de Dieu sur la terre; l'humanité doit choisir entre l'Islam et la Jahiliyah. En termes politiques: instaurer un Etat islamique sur la terre. (3) Ali Sharlati (1933-1977): - Instituteur à 19 ans, il poursuit des études de Lettres en France et obtient en doctorat en philologie persane, il rentre en 65 en Iran, enseigne, donne des conférences. Gros succès. Prison en 73 (18 mois). Mort à Londres en 77. - La pensée de Sharlati a eu un grand impact sur la jeunesse universitaire de son pays. - Pour lui seul l'Islam permet de surmonter les tensions qui habitent l'Humanité/l'Homme et qu'il décrit ainsi: - Le conflit qui habite les sociétés n'est autre que celui qui opposait Abel (symbole de liberté, fraternité, justice) à Caïn (symbole d'exploitation, d'oppression, d'injustice)... Il faut donc que le peuple opprimé (substance divine) puisse renverser l'ordre caïnien (lutte des classes); - l'homme est créé à l'image de Dieu (bien) mais avec la boue (mal). Sa volonté lui permet de faire gagner le bien. Mais comment guider cette volonté? Par l'Islam qui n'emprisonne pas la volonté comme le marxisme et qui ne laisse pas la volonté vagabonder comme l'existentialisme; par l'Islam chiite alevi (d'avant les safavides) et par le dynamisme militant qui l'habite et fait de tous des martyrs-militants. (4) Ahmed Ben Bella inutile de le présenter. L'important est de noter qu'il tente actuellement de se resituer dans courant de l'islamisme. Pour lui, l'Islam a su passer à travers la nuit coloniale et gagner son pari -- se répandre en Afrique; toucher l'Europe - et s'il reste le haut lieu de bien des turpitudes, il est aussi porteur de martyrs extraordinaires: Juhaiman (le pirate de la Mecque en 79) et Istambouli (l'assassin de Sadat en 81). L'important est que l'Islam trouve le langage de sa maturité. Alors seulement il pourra passer le seuil de l'universel. La pierre de touche de ce langage est pour Ben Bella, l'Ijtihad qui permet de tout repenser en fonction d'éléments bien précis: la tolérance/la construction d'un monde d'où soit bannie toute exploitation/la démocratie fondée sur l'ordonnancement du bien et la lutte contre le mal. Avec Ben Bella, nous retrouvons en fait les thèmes de l'islamisme gauchiste de Hassan Hanafi, l'Islam n'est plus seulement une religion ou une idéologie, il est une anthropologie qui permet de tout repenser et de changer le monde. Dans le monde du radicalisme, on retrouve donc des tendances bien classiques, la tendance religio-religieuse style Mawdudi-Khomeyni et la tendance religio-gauchiste style Shariati-Ben Bella. Les premiers posent l'Islam comme idéologie religieuse qui doit régner sur le monde par le biais des instruments politiques à portée de main (l'Etat/le Pouvoir), les seconds posent l'Islam comme humanisme/anthropologie en fonction de quoi on soulève les masses. Les conséquences -- la mobilisation pour Hama, le meurtre de Sadat... C'est pareil. 1.2 HERODOTE revue de géographie et de géopolitique, N° 36 1985 (Joseph Nassar) (1) Yves Lacoste, "Les embrouillements géopolitiques des centres de l'Islam". La partie centrale (distincte de la partie périphérique) comprend l'Afrique du Nord (Maghreb), Proche et Moyen-Orient (Machreq). Importance stratégique (e.g. Turquie point stratégique pour l'OTAN); et économique (réserves de pétrole). La partie centrale est la grande ligne de démarcation planétaire qui sépare le tiers-monde des pays économiquement développés. Y.L. donne l'historique des divisions étatiques et des rivalités religieuses et entre dynasties à l'origine de l'actuel découpage géopolitique, lequel est renforcé par les rivalités régionales et internationales: rôle des superpuissances; fragilité de certains appareils d'Etat; confrontations entre les structures traditionnelles et les exigences étatiques modernes. Son analyse du conflit du Sahara montre que les liens Maroc-Mauritanie ont une base historique/géopolitique tandis que les liens AlgériePolisario reposent uniquement sur une expérience politique et récente. Pour le Moyen-Orient une conférence internationale pour la paix est nécessaire; son échec signifirait le terme de la victoire des islamistes. Pour le Maghreb, une communauté du Grand Maghreb (pays plus "frères" à l'image de la CEE) mettra des limites à l'influence déstabilisatrice des mouvements "intégristes". (2) Interview de Jacques Berque (même revue): l'éveil islamique est une vague de fond: l'Islam est la spécificité la plus enracinée pour représenter la culture et la personnalité. Le nassérisme n'est pas contrepoids à l'aliénation; mais le retour en arrière est voué à l'échec (surtout le wilayat al-faqih), revanche du religieux. La guerre Iran-Irak montre la déception des religieux et l'affirmation de la nation au détriment de l'ethnie. Des travailleurs immigrés en France et Europe offrent une occasion de réussir une jonction des civilisations pour créer un ensemble méditerranéen, latinoarabe. 1.3 Perspectives sur le réveil islamique dans trois livres (J. Donohue) a) Islam and Power, A Cudsi and A. Dessouki eds. 1981). Dix contributions dont sept traitent de la résurgence contemporaine, b) Islamic Resurgence in the Arab World, A H Dessouki ed. (Praeger, N.Y. 1982). Dix contributions divisées en théorie/pratique (les "case studies" traitent l'Egypte, la Syrie, le Koweit, l'Arabie Séoudite, la Libye, le Maghreb. Citons cinq auteurs. Dessouki, dans le 1° volume, offre deux "arguments" qui aident à comprendre la résurgence des organisations en Egypte: 1. un argument historico-culturel: l'échec des intellectuels dans leur essai de former une synthèse de l'Islam et du modernisme - échec qui a produit un dualisme dans la société i.e. institutions religieuses parallèles aux institutions séculières. 2. Un argument socio-politique: la résurgence est le produit d'une société en crise - la défaite de 67 et la visite de Sadat à Jérusalem ont créé une confusion, amplifiée par les problèmes économiques. Face à tant de problèmes, les gens cherchent une solution globale - plusieurs la trouve dans l'Islam. Il ajoute aussi que l'Arabie Séoudite a eu une certaine influence. Dans le 2° volume, Dessouki précise son hypothèse de base: la résurgence veut dire croissance d'activisme politique au nom de la religion par les régimes islamiques, les gouvernements qui utilisent l'Islam pour légitimité, et par les groupes d'opposition. C'est le contexte socio-historique qui explique tout; en fait ce réveil fait partie du processus du changement social; et pour les groupes d'opposition: c'est la réaction d'un groupe social à une menace contre ses intérêts ou son système de valeurs. Jean-Claude Vatin (deux contributions aussi) signale qu'en Afrique du Nord, au moins, il y avait toujours une opposition à l'administration centrale, basée sur l'Islam. Dans l'histoire la formation étatique a pris plusieurs formes, ainsi il y a eu plusieurs Islams d'opposition. Il donne l'exemple des ulémas durant la colonisation française montrant comment ils ont liés l'Islam au nationalisme. Après l'indépendance l'Etat a coopté la religion dans un discours socialiste-religieux. Aujourd'hui la religion est devenue le langage du peuple qui n'arrive pas à s'exprimer en termes politiques. Dans le deuxième volume, Vatin ajoute aussi des précisions et adopte le point de vue de Dessouki: la revivification est un symptôme du problème de changement et d'adaptation - plusieurs systèmes d'identité et de solidarité (nation, religion, groupe) iront en concurrence. Il confirme l'observation de Dessouki: l'opposition islamique représente la couche démunie de la classe moyenne inférieure. Mais, aucun signe d'un renouvellement philosophique. La force du réveil est surestimé. Il propose de ne pas classer ces mouvements selon un continuum mais d'étudier chacun pour comprendre comment l'Islam dans une situation donnée peut fournir une réponse significative. Il note aussi l'ambivalence des musulmans vis-à-vis le réveil islamique. P.J. Vatikiotis trouve dans l'histoire des résurgences périodiques - mais aujourd'hui le contexte est différent: - dans la période moderne l'Etat a étendu ses pouvoirs aux dépens des institutions religieuses, alors, la révolution islamique d'aujourd'hui essaie de résoudre un problème interne c'est-à-dire de trouver la place et le rôle de l'Islam; - aussi - autre différence - les mouvements de régénération islamique dans le passé ont été dirigés par les élites; aujourd'hui les ulémas et leaders religieux mobilisent les masses: mouvement populiste. Ismaïl Serageidin propose un modèle sociologique intéressant; je passe sur cela pour signaler seulement son argument de base: étant donné la tradition rurale égyptienne d'identité de groupe, un jeune arabe musulman ne peut pas facilement accepter un rôle individualiste dans un milieu social atomiste - il cherche la sécurité psychologique en groupe - ainsi le recrutement des groupes islamiques. L'étude sur les Frères Musulmans et le Ba'th en Syrie présente bien l'opposition des Sunnites au parti Ba'th. L'auteur Raymond Hinnebusch termine avec une réflection intéressante: L'Islam politique était efficace quand il a fusionné le zèle religieux avec la révolution nationaliste contre les étrangers (Egypte, Algérie, Iran, Afghanistan) mais en Syrie cette fusion est impossible et le lien entre Frères Musulmans et commerçants/propriétaires empêche une attraction populaire -Ergo, match nul. c) The Islamic Impact, Yvonne Haddad et al. (Syracuse UP, N.Y. 1984) Collection d'onze études conçues dans une perspective toute autre que les deux premiers livres. Celui-ci vise à montrer "la façon dont les musulmans dans le passé ont essayé de nourrir, synthétiser et mettre en pratique les préoccupations de leur foi en construisant leur monde" et il vise aussi à rapporter sur "les efforts contemporaines de retrouver l'élan et le dynamisme de leur foi pour créer une civilisation islamique nouvelle". Ainsi articles sur l'art, la musique, la science, l'architecture, le soufisme, etc. L'introduction par Yvonne Haddad ne manque pas d'intérêt. Elle parle de certaines élites occidentalisées prises par ce projet islamique ainsi que des jeunes cultivés, spécialement ceux en science et technologie, tous sont frustrés par l'incapacité de leurs gouvernements d'agir indépendamment des grandes puissances et de récupérer la Palestine. Ils voient dans l'Islam la seule alternative pour retrouver leur identité et leur dignité, et pour mobiliser les masses. Alors c'est une méthode, un moyen, une politique: la politique du réveil islamique. Le premier article, celui de Eqbal Ahmad, présente la position d'une de ces élites dont l'introduction a parlé. Ses principes de base: les musulmans sont comme les autres (E. Saïd); la manifestation d'un Islam extrémiste est tout à fait anormale (dans les élections libres les partis politiques pragmatiques ont toujours vaincu leurs adversaires intégristes). Dans les périodes de crise collective (et le monde islamique aujourd'hui est en crise) dans toutes les religions il y a un résidu millénaire qui fait surface. Il n'y a pas d'alternative autre que l'Islam. Et cette crise est le produit 1) d'une modernisation excessive et déséquilibrée et 2) de l'incapacité des gouvernements de préserver la souveraineté nationale et de fournir les nécessités de base au peuple. Si dans l'Islam et le tiers-monde on juge le présent selon la morale en se référant au passé et aux valeurs héritées; matériellement le jugement est orienté vers le futur. Le dernier article "On Being Muslim" se met aussi dans la perspective de E. Saïd (les musulmans sont comme les autres), mais après avoir lu ses neuf articles qui expliquent comment les musulmans sont différents, le lecteur est un peu surpris. Bref, de ces critiques et présentations on peut déduire que le réveil est politique, social et culturel. Pour les sociologues c'est un phénomène à étudier; pour certains intellectuels le réveil offre la possibilité d'un projet islamique rationnel, futuriste. A noter: l'observation de Vatikiotis: crise interne concernant la place de l'Islam, et celle de Vatin: pas de renouvellement philosophique. II. RENCONTRE DES PRESIDENTS OU RECTEURS DES UNIVERSITES JESUITES A ROME au 10 novembre (J. Ducruet) Cette rencontre a groupé 94 présidents d'universités ou d'établissements d'enseignement post-secondaire dont 28 jésuites des Etats-Unis, 18 d'Amérique latine, 17 de l'Inde et 32 autres pays. La Compagnie de Jésus anime 59 universités proprement dites comptant 370.000 étudiants dont 28 aux Etats-Unis comptant 180.000 étudiants et 19 en Amérique latine comptant 130.000 étudiants. Ces deux régions du monde représentent donc 47 universités sur 59 et 310.000 étudiants sur 370.000, soit 84%. L'Europe ne compte que trois universités jésuites constituées: deux en Espagne (Madrid et Bilbao) et l'Université grégorienne. A ces 59 universités, il faut ajouter 19 Facultés, Instituts universitaires ou Grandes Ecoles, dont 15 en Europe du type Facultés N.D. de la Paix à Namur ou ICAM à Lille. Ces Facultés, Instituts ou Grandes Ecoles comptent 30.000 étudiants. Pour faire le total des institutions d'enseignement post-secondaires animées officiellement par la Compagnie de Jésus, il faut ajouter 45 collèges universitaires ou assimilés dont 27 en Inde et 26 Facultés de théologie ou de philosophie. Globalement, toutes ces institutions totalisent approximativement 500.000 étudiants et emploient environ 4.500 jésuites et 50.000 enseignants laïcs. Les proportions sont évidemment très différentes d'un établissement à l'autre depuis l'Université des Sciences Appliquées au Brésil où il y a un seul jésuite, Recteur, et 400 enseignants laïcs jusqu'à Boston College avec 100 jésuites et 500 enseignants laïcs, sans parler évidemment de la Grégorienne avec 200 jésuites. En fait, il n'existe pas d'étude qui fasse le point de l'évolution de la situation des universités animées par la Compagnie de Jésus dans les vingt dernières années (diminution ou même suppression des liens statutaires avec la Compagnie, réduction des effectifs jésuites et de leurs investissements intellectuels, accroissement des effectifs étudiants et des enseignants laïcs, dépendance financière de plus en plus grande des Etats etc...). C'est pourtant à la lumière de cette évolution qui va en s'accentuant et qui est d'ailleurs également celle des collèges que se pose la question de l'identité des institutions et de leur rapport avec la Compagnie et plus généralement avec l'Eglise hiérarchique. Le trop grand souci de maintenir inchangée une institution malgré des changements importants dans les statuts et dans la composition du personnel enseignant ou de direction (il y avait trois laïcs parmi les Recteurs dits jésuites) empêche peut-être de poser clairement le problème de maintenir une inspiration ignatienne dans un contexte fondamentalement différent de celui connu précédemment. De même que le charisme des fondateurs d'un ordre religieux s'institutionnalise à travers des écrits, des traditions, des hommes; de même l'esprit d'une université ne s'arrête pas à une génération de fondateurs fut-il un ordre religieux: il est transmis à travers des structures, des traditions et des hommes: enseignants, collaborateurs, anciens étudiants qui assument la perennité de l'inspiration d'une institution dont les statuts sont appelés à changer. C'est cette transmission qu'il faut essayer de réfléchir et d'opérer. Parmi les points à l'ordre du jour de cette rencontre des présidents et recteurs jésuites figurait la discussion d'un schéma proposé par la Congrégation pour l'Education Catholique en vue d'un document pontifical sur les universités catholiques (pendant de celui qui a été promulgué en 1979 sur les universités ecclésiastiques, la Constitution apostolique Sapentia Christiana). En 1968, à la suite du congrès de Kinshasa, la Fédération Internationale des Universités Catholiques FIUC (dont l'U.S.J. est membre fondateur, qui groupe 165 universités et que le St. Siège reconnait comme représentant les universités catholiques dans le monde) a publié un document adopté après un long débat "l'Université catholique dans le monde moderne", définissant ce qu'est une université catholique. A la suite de cette publication, la Congrégation romaine pour l'Education Catholique a convoqué à Rome en avril 1969 une quarantaine de représentants des universités catholiques qui élaborèrent un texte que la Congrégation jugea en progrès sur la déclaration de Kinshasa mais qu'elle n'accepta cependant pas de prendre à son compte. La FIUC fut alors invités par la Congrégation à préparer un nouveau projet. Ce nouveau projet fut transmis à un deuxième congrès des universités catholiques convoqué à Rome en novembre 1972. Ce congrès adopta le projet après l'avoir amendé. Ce texte fut soumis à l'assemblée plénière des cardinaux et évêques membre de la congrégation pour l'éducation catholiques, réunis en avril 1973. Cette assemblée considéra le document comme valable mais appelant des perfectionnements. Entre autres lacunes, il faisait remarquer que le document n'était pas assez explicite sur deux points: la nécessité de marquer formellement et sans équivoque le caractère et l'engagement catholiques; la nécessité de mettre en oeuvre un auto-régulation efficace dans le domaine de la foi, de la morale et de la discipline". De 1973 à 1985, de nombreuses études ont paru sur l'université catholique, le plus souvent sous l'égide de la FIUC, mais aucune n'a répondu aux désirs de la Congrégation. Finalement tous les Recteurs d'Université catholique, tous les évêques et de nombreuses personnalités ont reçu en juin dernier un projet de document pontifical élaboré par la Congrégation romaine elle-même avec prière de donner des avis. C'est un texte malheureusement affligeant tant par sa méconnaissance de la situation des universités que par la théologie et la philosophie qu'il sous-tend. Quant à la situation des Universités Catholiques, disons simplement que ce texte ne prend en compte comme université catholique que l'université confessionnelle, c'està-dire qui non seulement adhère institutionnellement à une doctrine mais qui accepte une dépendance statutaire par rapport aux autorités extra-universitaires qui représentent officiellement cette doctrine, type d'universités estimables et probablement nécessaires dans certains contextes nationaux mais qui ne représente pas aujourd'hui plus de 10% des universités catholiques dans le monde. L'immense majorité des universités catholiques attend de l'Eglise une inspiration et une impulsion; elle n'attend pas de la hiérarchie de l'Eglise des interventions dans son fonctionnement, interventions contraires à l'autonomie universitaire. ***************