lES GAUlOIS • N'ETAIENT PAS DES BARBARES entretien avec Christian Goudineau On connaît les Gaulois des livres d'histoire: nos ancêtres belliqueux, mais aussi «patriotes» avant la lettre, pacifiés et enfin «civilisés» par la conquête romaine ... Ces idées reçues, héritées du XIXe siècle, n'ont plus cours aujourd'hui. Car les archéologues ont mis au jour, sur des sites d'une extraordinaire richesse, les vestiges d'une civilisation inventive, opulente et largemen ouverte aux influences extérieures. A ncien de César (qui concerne que la dernière période de civilisation gauloise cf mise au poil p. 45), nous ne disposons que de ra textes, mi-historiques mi-ethno phiques, rédigés par des auteurs gr ou latins, à la fois brefs et très orient' par le regard que porte le « civilisé» s le « barbare». membre de l'École française de Rome et professeur au Collège de France depuis 1984, Christian Goudineau a notamment publié César et la Gaule (Errance, 1990), Vaison-la-Romaine (en collaboration avec Y. de Kisch, Errance, 1991), Bibracte et les Eduens (en collaboration avec Chr. Peyre, Errance, 1993) et les Commentaires sur la guerre des Gaules de César (Imprimerie nationale, 1994). Christian Goudineau, sait-on de l'histoire des Gaulois? L'HISTOIRE : Guerre des Gaules L'HISTOIRE: que GOUDINEAU : Peu de chose. Et cela pour plusieurs raisons. La première, c'est que, à la différence des Grecs et des Romains, les Gaulois n'ont pas écrit leur histoire. Ils élaboraient des récits épiques, des poèmes, déclamés ou chantés, accompagnés de musique, associant légendes et «hauts faits» (un peu comme les chansons de geste), qui se transmettaient oralement et s'enrichissaient de génération en génération. Mais la conquête romaine (cf repères chronologiques, p. 36) mit un terme à cette transmission, et il ne nous en est rien parvenu. Donc, si l'on excepte La CHRISTIAN Christian Goudineau ; cI. X. tdr. LHISTOlRE N'I76AVRIL 1994 34 Et les autres raisons? : Celles-là rel vent de l'historiographie moderne. Pe dant des siècles, les érudits et les « an quaires », lorsqu'ils s'intéressaient passé antique de la France, ne reche chaient guère que les traces de la civi sation romaine, voire grecque (dans Midi), à travers les monuments, 1 œuvres d'art, les inscriptions. Il, a f attendre le XIX' siècle pour que les Ga lois attirent vraiment l'attention des bis toriens. A ce moment-là, toutes sort de phénomènes ont joué, depuis la ré habilitation des vertus des peuples « p . mitifs» jusqu'à la sensibilité roma tique. Songez que c'est en 1828 qu paraît la première «grande» Histoire des Gaulois. Elle est l'œuvre d'Amédé CHRISTIAN GOUDINEAU REPÈRESCHRONOLOGIQUES Thierry - j'insiste sur le prénom, Amédée, car on connaît surtout son frère, Augustin, l'auteur de l'Histoire de la .:ÉPOPÉE DES GAULOIS conquête de l'Angleterre par les Normands et d'ouvrages restés fameux sur le tiers état. Eh bien, Amédée fut aussi historien et son Histoire des Gaulois depuis les temps les plus reculés jusqu'à l'entière soumission de la Gaule à la domination gauloise (ouf!) remporta un immense succès et fut rééditée une dizaine de fois. L'HISTOIRE : Quelle image donnait-elle des Gaulois? AV_ J_-C•• époque dite des « princes celtes » qui s'achève vers 470-450. V1"'-VI' 600 AV. J.-C •• fondation de Marseille. des Gaulois Italie (390 av, J.-C. : prise de Rome) et occupation de l'Italie du Nord (Cisalpine). IV- SIÈCLE AV. J.-C. • incursions en DÉBUT III' SIÈCLE AV. J.-C •• incursions celtiques en Macédoine et en Grèce (279 av. J .• c.: sac de Delphes), passage en Asie Mineure où sera fondé un royaume « galate »; III' SIÈCLE AV. J.-C •• des migrations Gaule. Constitution politiques. progressive En Italie, combats Romains. touchent des cadres ' la En Asie Mineure, les rois de Pèrgame imposent leur tutelle aux Galates. DÉBUT Il' SIÈCLE AV. J.-C •• Rome remporte des succès décisifs sur les peuples gaulois d'Italie et s'empare de leurs territoires. avec les Éduens 154 AV. J.-C •• première intervention de Rome dans le Sud de la Gaule (région de Nice et d'Antibes). 124-120 AV. J.-C •• à l'appel de Marseille, les légions interviennent en Provence, battent les Ligures, les Voconces et les Salluviens. Elles écrasent les Allobroges et leurs alliés arvernes. Le Midi passe sous le contrôle de Rome qui crée une province. 118 AV. J.-C •• fondation de Narbonne. 113-101 AV. J.-C •• migration des Teutons des Cimbres en Gaule et en Espagne. et 76-74 AV. J.-C •• soulèvement la provincia à l'occasion Sertorius en Espagne. d'une partie de de la révolte de VERS 70 AV. J.-C •• Arioviste, intervient chef germain, dans l'Est de la Gaule. 62-61 AV. J.-C •• soulèvement 61 AV. J.-C •• la migration 58 AV. J.-C •• début des Allobroges. helvète est décidée. de la guerre des Gaules. «descendent les dix-neuf vingtièmes d'entre nous, Français ». Cette thèse fut, d'une certaine manière, reprise par Michelet - qui, lui, récuse la notion de race. On la retrouve aussi dans une autre grande Histoire de France au succès prodigieux, celle d'Henri Martin (cf docu- entre Gaulois et Conclusion d'une alliance de Gaule (date incertaine). CHRISTIAN GOUDINEAU : Vous avez raison de parler d'« image ». Car, si elle présentait des théories - que nous dirions fumeuses - sur leurs origines (par exemple, elle faisait des Gaulois, comme d'ailleurs des Grecs, des Romains et des Germains, les descendants du peuple des «Aryas» établi en Tartarie), cette Histoire a surtout créé l'image du Gaulois aux cheveux blonds et au teint blanc, à la haute taille, parlant haut, né pour faire la guerre, mais aussi bon artisan. C'est aussi Amédée Thierry qui a «inventé» le personnage de Vercingétorix, sorte de héros romantique, frère d'Hernani et de Ruy Bias! Enfin, il a développé la thèse selon laquelle nous « descendons» tous des Gaulois. Il précise même que de cette «race» gauloise ment« Nos ancêtres les Gaulois », p. 39). L'HIS.TOIRE: Yavait-il des raisons idéologiques à ce succès des Gaulois au XIX' siècle? CHRISTIAN GOUDINEAU : Bien sûr, et de plusieurs sortes. D'abord, l'époque voit la fin de l'histoire «dynastique» : la nouvelle histoire doit être celle de la nation, et ce sont de «grands hommes» qui l'incarnent. Vercingétorix va ainsi prendre place à côté de Jeanne d'Arc et des héros de Valmy (cf mise au point « Le mythe Vercingétorix », p. 44). Et pendant la guerre de 1870, la France combattant Bismarck est assimilée à la Gaule combattant César: c'est la patrie face au représentant d'un «empire» belliqueux. Entrent également en ligne de compte le thème de la désunion qui provoque le malheur et, plus important encore, le thème du héros rédempteur. L'HlSTOIRE N' 176 AVRIL 1994 36 Ajoutons enfin qu'après tout, la défai d'Alésia a fait entrer la Gaule dans monde de la civilisation romaine et lui permis de s'épanouir, comme la Fran amène des peuples africains ou asi tiques à un niveau supérieur de civilis tion. Le sacrifice de Vercingétorix pe met donc d'accepter, le front haut, 1 bienfaits de Rome. Vous voyez, to cela est complexe quoique compléme taire! L'HISTOIRE: Et l'archéologie, qu'a-t-el apporté à cette histoire des Gaulois? CHRISTIAN GOUDINEAU : L'archéologi gallo-romaine (essentiellement monu mentale) et l'archéologie préhistoriqu commençaient alors à se constituer. Gaulois étaient un peu « perdus» entr les deux: on leur attribuait aussi bien le alignements de Carnac ou les armes d l'âge du bronze que la céramique du siècle ap. J.-c. Ce n'est qu'à la fin d XIXe siècle, et surtout au début du XX" que l'archéologie «protohistorique trouve ses repères. Il y avait pourtant e de «grandes» fouilles gauloises dè: l'époque de Napoléon III, à Alésia, à Bi bracte, à Gergovie, même si leur objec tif consistait essentiellement à retrouve les lieux cités par Jules César et 1 traces des combats qu'il décrit. LES MAGNifiqUES OffRANDES DES TOMBES CElTES L'HISTOIRE : Remontons dans le temps. Sous quelle forme apparaît chez nous la première civilisation gauloise - ou plutôt, pour utiliser un terme plus approprie (cf. mise au point «Celtes et Gaulois ». p. 38), la première civilisation celtique? CHRISTIAN GOUDINEAU : Apparemment à partir des VIII" et VIle siècles se créent de petites principautés qui vont progreesivement se développer, dans le centreest de la France jusqu'à la Bourgogneau maximum jusqu'à Bourges (cf repères géographiques, ci-contre) jusqu'aux alentours de 500-475 av. J.-c. Elles sont organisées autour d'une place centrale fortifiée, et leurs chefs se font enterrer dans des tombes qu'on appelle « princières» en raison de leur somptuosité : elles sont recouvertes d'un énorme tumulus, et les défunts, richement parés, reposent sur un char de cérémonie, entourés d'offrandes magnifiques. L'HISTOIRE: D'où venaient ces richesses? MISE AU POINT CELTES ET GAULOIS Celtes et Gaulois: les deux termes sont-ils interchangeables? Et qu'est-ce qui a conduit les archéologues et les historiens à privilégier l'un au détriment de l'autre? C'est une question compliquée. Si l'on se reporte aux textes grecs ou latins, on voit que le mot « Celtes» est apparu au V' siècle av. J.-C. Deux siècles plus tard, ceux des Celtes qui opérèrent une incursion en Grèce sont désignés sous le uom de « Galates » (Galatai) par les historiens grecs, et, peu après, les textes latins utilisent le nom « Gaulois» (Galli), qui semble analogue. D'où vient cette distinction entre Celtes et Gaulois '? D'une origine géographique (Gaulois ou Galates étant considérés comme formant la partie septentrionale du monde celtique) ? Du nom d'un peuple ou d'une tribu? Le mot « galate » signifiait-il «ceux d'ailleurs », «les envahisseurs» ? Toutes ces hypothèses ont été proposées, mais nous n'avons pas la réponse. Toujonrs est-il que le terme Gallia (Gaule) se fixa pour désigner l'Italie du Nord (la Gaule cisalpine) occupée par des peuples d'origine celtique, ainsi que les territoires au-delà des Alpes (la Gaule transalpine), de l'océan au Rhin. Les Anciens étaient conscients de ce caractère conventionnel, ce qui n'empêchait pas Rome de désigner l'HeUade et ses habitants sous le nom de Grèce et de Grecs; de même, César écrit: « Ceux que nous nommons Gaulois dans notre langue se nomment Celtes dans la leur! » Les historiens modernes ont varié dans leurs usages, privilégiant tantôt un terme, tantôt l'autre. Aujourd'hui, sans que rien n'ait été établi, on est à peu près d'accord pour réserver le mot « Gaulois» aux habitants de la Gaule à une époque relativement récente, à partir du m' siècle av. J.-C. Pour les périodes qui précèdent et pour toutes les autres zones géographiques, on parle de Celtes. C.G. CHRISTIAN GOUDINEAU : On met généralement cette opulence en rapport avec le grand développement du commerce Nord-Sud à l'initiative des Grecs et des Étrusques, demandeurs notamment d'étain. Sur les itinéraires privilégiés de ces échanges se constituent donc des pouvoirs qui les contrôlent, qui accumulent de nouvelles ressources. La hiérarchie sociale s'accentue, selon un phénomène que l'histoire moderne connaît bien: les petits monarques se créent une cour, une capitale, adoptent des pratiques venues de loin (les banquets, le vin, etc.), reçoivent des cadeaux, comme le célèbre vase de Vix (cf mise au point «La tombe de Vix», p. 43). C'est peutêtre l'équivalent des présents dont les multinationales ou les gouvernements occidentaux ont comblé (ou comblent) le « responsable» africain ou sud-américain! La tombe de Vix, celle de Rochdorf (dans le Bade-Wurtemberg) sont les manifestations les plus brillantes de cette période. L'HISTOIRE : Quand et comment se ter- mine-t-elle ? GOUDINEAU : On en discute toujours. Ce monde s'effondre dans la première moitié du ye siècle av. J.-c., entre 500 et 450. Est-ce sous l'effet de tensions sociales internes? Est-ce parce que les circuits économiques se sont transformés? La réponse n'est 'pas assurée. Et la période qui suit - disons de 450 jusqu'au ne siècle av. J.-c. - est la moins bien connue des chercheurs, car, si nous avons retrouvé des nécropoles, nous ignorons à peu près tout des habitats. Il y eut de grands bouleversements: des migrations vers l'Italie (c'est en 390 av. J.-c. que les «Gaulois» prennent Rome), l'installation de groupes gaulois en Italie du Nord (que les Romains nommeront Gaule cisalpine), des expéditions vers l'Est, en Grèce et en Asie Mineure. C'est également à cette époque que des peuples venus d'au-delà du Rhin s'implantent en Gaule. CHRISTIAN tompent et les rites redeviennent hom gènes. Il ne faut donc pas imaginer d hordes déferlant vers le pays. La migr tion est à l'époque un phénomène nor mal, courant, souvent organisé avec l'ac cord des peuples qui peuvent accuei . de nouveaux venus parce qu'ils ont be soin de bras pour mettre de nouvelle terres en valeur. L'HISTOIRE : Quelle est l'organisation sociale qui prévaut à cette époque ? GOUDINEAU : Faute d'habitats, il faut s'en tenir aux tombes. Elle ne révèlent plus de forte hiérarchie, d tombes exceptionnelles. Toutefois, cett uniformisation n'a qu'un temps. Dans le courant du Ille siècle av. J.-c., on assiste à un regroupement de l'habitat. Ce sont d'abord de petites agglomérations « ouvertes », c'est-à-dire dépourvues de remparts. Puis, au siècle suivant; naissent, en tout cas dans le centre de la Gaule, ce que nous appelons les oppida, c'est-à-dire des sites fortifiés au centre d'un territoire. Signe que de nouveaux pouvoirs se sont constitués et veulent manifester leur puissance par une capitale, des remparts, etc. CHRISTIAN UN PEUPlE D'ÉlEVEURS ET D'AGRICULTEURS L'HISTOIRE: Quelles sont leurs bases économiques ? Le commerce, comme pour les «princes celtes» ? Non. Cette fois, tout repose indiscutablement sur l'exploitation du sol, l'agriculture et l'élevage. On peut l'affirmer en s'appuyant sur toutes sortes de sources. Les textes grecs et latins, d'abord, qui mettent l'accent sur la fécondité agricole de la Gaule. Les fouilles, ensuite qui mettent au jour nombre de petits établissements ruraux. L'étude de l'outillage, enfin, qui montre qu'à cette époque ont été mis au point la plupart des outils de fer qui allaient former, jusqu'au XIX siècle, le L'HISTOIRE: Sait-on lesquels? fond de toute exploitation rurale, depuis CHRISTIAN GOUDINEAU : Partiellement. Ainsi, une forte proportion de ceux que la faux jusqu'aux forces pour tondre les César nomme « Belges» (cf repères géo- moutons. L'araire a également été amégraphiques, p. 37) provient d'outre- Rhin. lioré : grâce à l'ajout d'un soc de fer, il De même, l'étude des tombes de Cham- permet désormais de labourer les terres pagne révèle l'arrivée d'une population lourdes. Il en va de même pour les insvenant d'Europe centrale, de Bohême : truments à abattre et à travailler le bois, certaines parures, comme des anneaux pour l'outillage artisanal, etc. Ajoutons de cheville, sont étrangères aux cou- que c'est aussi une époque cruciale pour tumes locales. Mais en l'espace de deux le développement de la métallurgie et générations, ces particularismes s'es- de l'exploitation des ressources miCHRISTIAN GOUDINEAU: C 1 François Ehrmann, « Vercingétorix» ; cI. H. Josse. L'HISTOIRE N'176 AVRIL 1994 38 REPÈRESGÉOGRAPHIQUES , •• Zone des «Principautés» celtes VIe siècle av. J.-C. ~~ ~ Direction et 11II zone d'expansion des Celtes N ~ Ménapes 'e~" ~'o~ Viromanduens emont• sur-Ancre . Gournay-sur-Aronde Bellovaq Oi.e , REMES s ~ "~ " Suessions Viducasses Lexoviens Coriosolites Redons b~\e{\~ >vT-qu s DiJb~~:~:' s Cénomon p,aONS . 0" c.t~. '~ \.t: Pétrocores Belges èltes Aquitains Province de Transalpine o t 200 km © l'HISTOIRE, 1994 L'HISTOIRE N° 176 AVRIL 1994 37 Au sein des peuples celtes d'Europe (en médaillon), les peuples gaulois n'avaient pas tous, à la veille de la conquête romaine, la même importance: certains occupaient de larges. territoires, comme les Séquanes ou les Eduens dont la capitale, Bibracte, a livré aux archéologues d'inestimables trésors. DOCUMENT Ainsi, l'on fouille actuellement, le Sud-Ouest, de grandes aurières t été mises en service dès le ne av. J.-c.. : Connaît-on les noms de ces puissants? -~OIRE ~lISTlAN On peut consique les peuples GOUDINEAU : er, grosso modo, és par César (cf repères géogra•ues, p. 37) étaient en place dans les ées 150 av. J.-c. Tous n'avaient pas 'me importance: il suffit d'observer ::arte, qui révèle de grands territoires le Midi, dans le Centre (des Sées aux Santons, d'est en ouest). En che, la partie septentrionale est ée d'une mosaïque de peuples plus . . Mais chacun avait le sens de son tité; il suffit, pour s'en convaincre, constater la généralisation du monve .. OIRE : Comment se présentait un _ idum? GoUDINEAU : Malheureuse- t, on n'en a guère fouillé sur une sucie importante, sauf à Bibracte (cf au point « Bibracte: état des lieux », 72). On connaît surtout leur étendue «frères» du peuple romain et, plus encore, «frères du même sang», une for- mule qui n'est utilisée par Rome qu'à l'égard des Troyens - dont les Romains se disaient les descendants. Il faut croire que ces Gaulois s'étaient forgé une légende remontant également à la guerre de Troie, et que cette légende avait été reconnue par Rome. Elle montre la force et l'officialité de ces liens. L'HISTOIRE: NOS ANCÊTRES LES GAULOIS Mais pourquoi une telle al- liance ? CHRISTIAN GOUDINEAU : Sans doute estelle analogue à celle que Rome avait nouée, aux environs de 400 av. J.-c., avec Marseille: la cité phocéenne représentait les intérêts de Rome dans le Midi, veillait à faire régner l'ordre. Dans la mesure où, depuis les migrations du IVe siècle av. J.-c., la Gaule passe aux yeux des Romains pour une source de dangers, les Éduens sont une garantie, des gendarmes en quelque sorte! n : n y avait pas de motifs commerciaux à cette entente politique ? L'HISTOIRE GOUDINEAU : Bien sûr, tout est lié. Au ne siècle av. J.-c., on assiste à une intensification des échanges, qu'illustrent notamment les épaves, chargées de vin italien, retrouvées par l'archéologie sous-marine. On estime que 500 000 à 1 million d'amphores arrivaient annuellement en Gaule, c'est-àdire, puisque une amphore contient 25 litres, de 125 à 250 000 hectolitres! CHRISTIAN - qui peut atteindre 2 à 300 hectares -. leurs remparts, de différents types, iant souvent un poutrage de bois et parements de pierre, et leur rôle: caes administratives, éventuels repour les populations rurales, mais i marchés périodiques, centres artiaux, lieux de rassemblements reli- L'HISTOIRE: Et qu'offraient les Gaulois , en échange? z-: ux. L'exemple des villes méditerra- - nnes a sans doute joué: nombre de CHRISTIAN GOUDINEAU : De l'étain, prin:iaulois ont parcouru le monde en tant cipalement en provenance des îles Bri_ e mercenaires, et des liens avaient sû- tanniques et transitant par la Gaule, et rement subsisté, ou été rétablis, entre les divers produits comme le cuir, les salai3aulois de Gaule et ceux qui peuplaient sons, le bétail. Mais l'essentiel consistait en esclaves. C'est en effet l'époque où talie du Nord. l'esclavage atteint son apogée en Italie à _1iISTOIRE : Les Gaulois entretenaient ne des relations avec les peuples voi- cause de l'extension des grands domaines et parce que, pour tenir son ? RRISTIAN GOUDINEAU : Bien sûr. On a rang, un aristocrate romain doit entreteœndance à considérer la Gaule comme nir une armada de serviteurs. e entité isolée, hors du monde. Rien L'HISTOIRE : Quelles' ont étè les consé'est plus faux! Tout le Midi, depuis la quences de ce commerce sur la société :ondation de Marseille en 600 av. J.-c., gauloise? était en relation avec les grandes puis- CHRISTIAN GOUDINEAU : Nous ne pousances méditerranéennes. Mais les vons, dans ce domaine, avancer que des utres peuples ne vivaient pas en autar- hypothèses. Le développement de ce commerce favorise de nouveau l'instaucie! Ainsi les textes nous apprennent que les Éduens, qui occupaient l'ac- ration de pouvoirs forts ou les renforce. tuelle Bourgogne, étaient, au ne siècle La fourniture d'esclaves introduit aussi av. J.-c., liés à Rome par une alliance un processus de tensions croissantes : qui remontait peut-être au siècle précé- d'abord on prélève ceux-ci parmi ses dent. Il s'agissait d'une alliance très forte compatriotes, ensuite on va les chercher puisque les Éduens étaient déclarés chez les peuples voisins, au début en L'HISTOIRE W 176 AVRIL 1994 39 En 1875, Henri Martin publie une Histoire populaire de la France largement inspirée, pour ce qui concerne l'histoire de la Gaule, de l'œuvre monumentale d'Amédée Thierry. Les grands traits du « mythe gaulois» sont fixés. Ils connaîtront un bel avenir dans les écoles-de la III' République. « La langue des Gaulois, qu'on nomme celtique parce que les Gaulois étaient aussi appelés Celtes, a subsisté chez les BasBretons, et le caractère des Gaulois a subsisté chez nous tous, comme leur sang a passé de génération en génération jusque dans nos ' veines. Il y avait en eux beaucoup d-echoses diverses et contraires. Ils étaient enthousiastes et moqueurs, mobiles en apparence, obstinés au fond, sociables et querelleurs, faciles à vivre et intraitables sur le point d'honneur, généreux et envahissants, cruels à la guerre et sensibles aux plaintes des malheureux, et toujours prêts à secourir le faible contre le fort; éloquents dans les assemblées, ils aimaient les combats de la parole comme les combats de l'épée, et ils n'avaient aucune peur de la mort. [... ] « Les premiers Gaulois étaient de grands hommes blonds, aux yeux bleus; mais ils . amenèrent avec eux d'Asie d'autres tribus de la famille aryenne qui se firent gauloises, et ils se mêlèrent anssi plus tard avec les restes des populations plus anciennes qu'eux en Occident, surtout avec les Espagnols dans le Midi; et c'est apparemment à cause de cela que nous sommes aujourd'hui, pour la plupart, moins grands qu'eux, et châtains, et non plus blonds. [... ] « Ils vivaient dans des maisons rondes ou ovales en terre, aux grands toits de bois et de chaume. [... ] Ils avaient, sur les hauteurs ou dans les marais, des places fortes où ils se retiraient, en temps de guerre, avec leurs familles et leurs troupeaux; il s'en rencontre encore quelques restes. [... ] « Les Gaulois des anciens temps portaient des épées et des lances de bronze et de cuivre, des haches de pierre et de bronze, des flèches de silex: leurs casques ronds étaient surmontés de cornes et de hautes crêtes et avaient de larges jugulaires qui leur couvraient les joues. Les chefs se paraient de colliers et de bracelets de bronze; ou même simplement d'os ou de bois. Ils combattaient, leurs cheveux flottant au vent, et nus jusqu'à la ceinture, pour montrer leur mépris des blessures et de la mort. Les druides, qui étaient leurs savants, leurs juges, leurs professeurs et leurs prêtres, portaient des colliers de jaspe, de turquoises et d'autres pierres fines, et des couronnes de chêne. » MISE AU POINT BIBRACTE: ÉTAT DES LIEUX Vieilles de plus d'un siècle, les fouilles entreprises sur le site de Bibracte, capitale des Eduens, ont révolutionné la connaissance du monde gaulois d'avant la conquête romaine. En 1867, Napoléon m, désireux de trancher entre les sites proposés pour la localisation de la capitale des Éduens, Bibracte, plusieurs fois mentionnée par César, chargea Jacques-Gabriel BulIiot, négociant en vins à Autun mais aussi grande figure de l'érudition régionale, d'engager des fouilles sur le Mont-Beuvray, un massif du Morvan, situé à une vingtaine de kilomètres d'Autun. En effet, alors que la plupart des spécialistes pensaient que Bibracte se trouvait sous la ville romaine d'Augustodunum (Autun), BulIiot était de ceux qui tenaient pour le Beuvray, où le terrain gardait trace d'anciennes fortifications et où des traditions - une foire, des actes religieux conservaient la mémoire d'une ancienne cité. Bulliot puis son neveu Joseph Déchelette fouillèrent le site jusqu'en 1907, mettant au jour l'enceinte de l'oppidum, de nombreux ateliers d'artisans, un temple et ses annexes, de grandes maisons romanisées. Le matériel céramique et surtout métallique de Bibracte devint la référence européenne, et Bibracte fut considérée comme l'oppidum par excellence. La mort de Joseph Déchelette mit fin aux opérations. En septembre 1985, le président François Mitterrand lança de nouvelles recherches, invitant des équipes de toute l'Europe à y collaborer. Cet appel fut entendu, puisque l'Allemagne, la Belgique, l'Écosse, l'Espagne, la Hongrie, l'Italie, la Suisse et la République tchèque ont envoyé des chercheurs rejoindre les équipes françaises. Il s'agissait, dans ce nouveau programme, d'apporter d'abord aux données réunies par Bulliot et Déchelette les précisions que permettent les méthodes actuelles, particulièrement pour la chronologie et la stratigraphie. On s'est ainsi aperçu que l'occupation principale de Bibracte pouvait être située entre 150-130 av. J.-c. et les débuts du 1" siècle ap. J.-C. Les fouilles du rempart à la porte du Rebout, d'un quartier à la pâture du couvent et d'une grande maison dite PCI mettent en lumière l'évolution de l'oppidum et permettent de mieux « caler» la typologie du matériel. Au sommet du site, le temple fouillé par BuIliot s'est avéré augustéen, mais, à côté, un enclos où il voyait un camp romain constitue sans doute un ancien espace sacré. Des monuments d'un immense intérêt ont été mis au jour : la fontaine Saint-Pierre, datée par la dendrochronologie de 126 av. J-c. et dont les techniques de construction rappellent celles qui étaient utilisées à la même époque en Italie j un bassin monumental de granit, situé au milieu de la grande voie du Beuvray, et taillé selon une méthode employée d'habitude dans les régions méditerranéennes, pour les blocs calcaires, etc. Enfin, on a retrouvé, sur le site de Bibracte, de nouveaux remparts. Les influences méditerranéennes et les processus de la romanisation de la Gaule d'avant la conquête romaine s'éclairent ainsi d'un jour nouveau. c.c. s'entendant avec leurs dirigeants, puis en ayant recours aux razzias, aux expéditions guerrières pour faire des prisonniers. Pour faire admettre ce trafic, les chefs qui s'y livrent doivent montrer et redistribuer une partie de la richesse qui en provient, d'où l'aspect prestigieux des remparts qui ceignent certains oppida, d'où également les grandes fêtes ou banquets dont les textes nous parlent. Et les contestations d'une telle politique ne devaient pas manquer, comme César le laisse deviner. L'HISTOIRE: A -t-on idée de la forme prise par ces «pouvoirs forts» ? Régimes oligarchiques, royautés ? CHRISTIAN GOUDINEAU : Au ne siècle av. J.-C., il s'agissait probablement de royautés. Les textes décrivent les rois arvernes -les ancêtres de Vercingétorix - offrant des festins fabuleux et paradant sur leur char de guerre couvert de plaques d'argent, en jetant à la foule des pièces d'or.. Au 1er siècle av. J.-c., en revanche, la royauté semble minoritaire. Des régimes aristocratiques se sont mis en place, avec un sénat représentant les grandes familles, et des magistrats. Grâce à César, on sait, par exemple, que les Éduens étaient régis par une constitution aux mécanismes très complexes. L'HISTOIRE: En fait, ce sont de véritables États? CHRISTIAN GOUDINEAU: Tout à fait. Avec des archives, une administration ... L'HISTOIRE: Mais ils n'écrivaient pas? : Là encore, il y a confusion. César nous indique que les druides, dépositaires de la doctrine religieuse, ne la transmettent qu'oralement. Mais il signale les documents de recensement qu'il a trouvés dans le camp des Helvètes et qui étaient écrits «en lettres grecques». C'est dire que les comptes, les testaments, les pièces administratives devaient être rédigés en langue celtique (gauloise; si vous préférez) transcrite en utilisant l'alphabet grec. D'ailleurs, dans le Midi, on a retrouvé des inscriptions sur pierre utilisant ce système - on les appelle «gallogrecques ». CHRISTIAN GOUDINEAU L'HISTOIRE : Vous décrivez une Gaule ayant de nombreux contacts avec ses voisins, notamment avec l'Italie. Se sont-ils traduits par des réalités qui dépassent les simples échanges de marchandises? CHRISTIAN GOUDINEAU : Il est sûr que l'archéologie retrouvè surtout des objets importés - des amphores, des céramiques, des vases de bronze ou d'argent. L'HISTOIRE N" 176 AVRIL 1994 42 Mais il Y eut davantage. Prenons deux exemples. Les monnaies d'abord. A l'origine, depuis les débuts du me siècle av. J.-c., les monnaies gauloises étaient en or et imitaient celles de Philippe II de Macédoine. A partir des années 120 av. J.-c., les grands peuples du centre de la Gaule - les Eduens, les Séquanes, le Helvètes, les Lingons, puis les Bituriges et les Santons - adoptent, comme l'Italie et Rome, le monnayage d'argent. Ils créent des deniers qui sont alignés en poids, c'est-à-dire en valeur, sur la drachme de Marseille et sur le demi-denier romain. Bien plus, certains de ces deniers transposent des motifs iconographiques présents sur les monnaies de la République romaine : des dieux, des animaux et surtout des personnages debout ou à cheval. Les grands chefs séquanes, éduens, lingons... se mettent donc à frapper monnaie à leur image. L'HISTOIRE: Et le second exemple? : Il nous est livré par les fouilles de sauvetage qui ont eu lieu, en 1989 et 1990,lors du creusement d'un parking à Besançon. On a fouillé un tout petit secteur de la ville gauloise, qui s'appelait Vesontio. Les archéologues y ont découvert quelques habitations à colombage, de nombreuses amphores et de la céramique venant d'Italie. Jusque-là, rien que de normal. Mais, dans l'une de ces maisons, ils ont mis au jour des objets exceptionnels : des perles en ambre, une fibule en argent, un collier, des éperons - le propriétaire de la demeure montait donc à cheval et pratiquait la chasse, car on a aussi recueilli des ossements de sangliers. Parmi les autres ossements d'animaux, on a identifié un morceau de métatarse d'un bœuf de grande taille. Or, le bœuf gaulois était petit. Jusqu'à cette découverte, on considérait qu'il avait été, sinon remplacé, du moins en partie «complété », à l'époque gallo-romaine, par un bœuf originaire d'Italie, beaucoup plus grand. Mais ce changement était daté du le< siècle ap. J.-c. Alors, trouver vers 120-80 av. J.-c. les vestiges d'un grand bœuf italien, c'est surprenant. Autre trouvaille: celle d'une tige de bronze plate portant des divisions-.Il s'agit en fait d'un étalon de mesure gradué correspondant à un demi-pied romain! On peut donc se demander jusqu'à quel degré s'exerçait l'influence italienne : exportation de techniques, CHRISTIAN GOUDINEAU - MISE AU POINT OIRE : D'autres fouilles confir-elles cette impression de fortes inces italiennes, ou plus largement méanéennes ? des demi-sauvages, sans cadres étatiques solides, sans relations «internationales ». Nous avons affaire, en réalité, surtout pour le centre de la Gaule, à des « cités» parfaitement constituées, ayant contacts et échanges avec le monde extérieur. Nous avons encore des difficultés à l'admettre, sans doute en raison de la force des clichés diffusés au XIXe siècle et que la plupart des Romains, d'ailleurs, partageaient. .ffilJlSTJlANGOUDINEAU : Oui, les fouilles Bibracte notamment (cf mise au L'HISTOIRE: Venons-en à la conquête de la Gaule par César ... Bibracte: CHRISTIAN GOUDINEAU : D'abord, permettez-moi de rappeler une chose qu'on oublie trop facilement : le Midi, qui s'étendait d'Antibes à Toulouse et, vers le nord, presque jusqu'à Lyon, avait été conquis dès les années 125-122 av. J.-c. et une province romaine, dite transalpine, y avait été constituée. C'est d'ailleurs en tant que gouverneur de cette Transalpine et de la Cisalpine (l'Italie du Nord) que César intervint en Gaule intérieure, restée indépendante. Quant aux campagnes de César, on les apprécie mieux aujourd'hui, grâce aux découvertes de l'archéologie. On a en effet longtemps eu dans l'esprit qu'il s'était lancé à la conquête de la Gaule, qu'il avait vaincu tous les Gaulois et que la Gaule était devenue romaine. En fait, il n'est pas du tout sûr que César ait voulu conquérir ce pays, et je dirai même que c'est improbable. Avant l'insurrection générale de 52 av. J.-c., pendant six ans, ses campagnes ont été géographiquement limitées à la zone nord de la Gaule: les pays de Loire, l'Armorique, la Normandie, la Picardie, le Nord et le Nord-Est. Autrement dit, la zone la moins romanisée, celle qui avait le moins de contacts avec l'Italie. Apparemment, il a cherché à rendre ces régions plus perméables aux grands échanges commerciaux, à y trouver de nouvelles sources d'approvisionnement en matières premières et en esclaves, et aussi, sans doute, à les mettre sous la coupe des grands peuples du Centre qui étaient ses alliés. On oublie en effet que l'armée de César comportait des contingents gaulois, notamment une cavalerie formée par les Éduens. Il avait aussi un état-major où se trouvaient de jeunes chefs gaulois - il est d'ailleurs vraisemblable que Vercingétorix ait fait partie de ce groupe durant plusieurs années, et ait ainsi appris la guerre à la romaine. L'HISTOIRE: Pourtant, il y a eu une insur- zrimaux reproducteurs? Ou bien préd'Italiens en Gaule, et pas seule( de commerçants? Rappelonsque César indique qu'Orléans, - - on-sur-Saône et Mâcon formaient - centres actifs de commerce, avec rte présence romaine. 1« état des lieux», p. 42). - ondages y sont actuellement réalipar une équipe suisse sous une très de maison de type romain, truite vers 10 av. J.-c. Ils ont permis ~ distinguer cinq périodes d'occupade cette demeure: l'avant-dernière e de 40-30 av. J.-c., une autre rete à la guerre des Gaules et deux t encore plus anciennes. On suppose qu'il existait là, avant la conquête aine, des bâtiments privés impor- UN PAYS Il GAllO-ROMAIN Il ANT l'ARRIVÉI DI CÉSAR? Toujours à Bibracte, on a fouillé une de fontaine, la fontaine Saintrre. Son premier état est daté par la drochronologie des environs de 126 _J.-c. Or les techniques utilisées pour construction semblent apparentées à œlles qui étaient alors courantes en Ita_Enfin, un grand bassin de granit a été uvé au milieu de la grande voie du .::.euvray, et fouillé par une équipe :::anco-espagnole. Les blocs de granit ( été taillés selon une méthode médierranéenne, employée d'ordinaire pour -- blocs calcaires. On pourrait ajouter à e série d'indices une découverte réœnte faite à Vaize, près de Lyon, où une truction datant des environs de 100 . J.-c. porte des enduits peints du me style que ceux que l'on a retrouà Pompéi, et une toiture en tuiles! zr: é : Peut-on dire alors que le 's était « gallo-romain» avant même les quêtes de César ? "HISTOIRE - GOUDINEAU : Non, sûrement . il ne s'agit pas de passer d'un ex-me à l'autre. Ce que je voulais mon~ r c'est qu'il faut en finir avec la :onception d'une Gaule farouchement rerranchée, de Gaulois vivant comme HRISTIAN rection générale qui rassembla tous les l:HISTOIREN' 176 AVRIL 1994 43 LA TOMBE DE VIX La tombe de Vix est l'une des plus fameuses du monde celte. Sa découverte a permis notamment de mieux évaluer l'interpénétration entre la civilisation celte et celles de la Méditerranée. C'est en 1953 qu'une tranchée de sondage, faite par M. Moisson sous la direction de R. Joffroy pour explorer ce qu'on croyait être un habitat gallo-romain, pénétra dans un tumulus arasé et découvrit la tombe dite de Vix, du nom du village proche de Châtillon-surSeine (Côte-d'Or), au pied du Mont- Lassois. De forme cubique, entièrement protégée par un coffrage de bois, la tombe abritait le dernier repos d'une femme d'environ trente-cinq ans, richement parée d'un diadème d'or et de bijoux dont certains étaient rehaussés d'ambre et de corail. La dépouille de la « princesse» reposait sur la caisse d'un char démonté, les roues étant alignées contre une paroi. La place la plus importante était tenue par le fameux « vase de Vix », ce cratère de bronze haut de 1,64 m et pesant plus de 200 kg. Probablement fabriqué en Grande Grèce, il avait été transporté en fragments et monté sur place. . Ses anses admirablement décorées, les reliefs du col représentant des hoplites et des chars de guerre, le couvercle, surmonté d'une statuette, en font l'un des chefs-d'œuvre que nous a légués l'Antiquité. Deux coupes de céramique celtique étaient posées sur le couvercle. Au pied, une oenochoé (vase à verser le vin) et deux bassins de bronze, originaires d'Étrurie. On date l'enfouissement vers 500-480 av.J.-C. c.c. MISE AU POINT LE MYTHE VERCINGÉTORIX Personnage réel ou héros mythique? La figure de Vercingétorix est revenue, depuis quelques années, en pleine lumière, à mesure que l'on prenait conscience des conditions dans lesquelles le XIX' siècle l'avaitfait renaître. Jeune héros« romantique» sous la plume d'Amédée Thierry, privé de son nom propre par Michelet qui voyait en « Vercingétorix» un titre de commandant en chef, il dut sa popularité au Second Empire et surtout à la ln' République naissante. S'incarnaient en lui les valeurs de l'Union sacrée face aux forces du mal, la grandeur du vaincu face à un adversaire cruel et impitoyable, mais aussi le sacrifice personnel qui vaut expiation pour la nation et la certitude que d'un mal peut sortir un bien - en l'occurrence, la Gaule accéda à une plus haute forme de civilisation. Ce sont tous ces messages que firent passer les manuels scolaires, les images d'Épinal et tant d'œuvres d'art couronnées dans . les salons de sculpture et de peinture. En 1900, celui qui sera le grand historien de la Gaule, Camille Jullian, consacre au chef gaulois un livre intitulé Vercingétorix. Premier ouvrage « savant », fondé sur la relecture minutieuse de tous les textes anciens, il dépeint, en un style flamboyant, les efforts de son héros pour donner vie à son idéal d'une «patrie gauloise », « supérieure aux clans, aux tribus, aux cités et aux ligues, les unissant toutes en commandant à toutes », un idéal dont la condamnation le pousse à désirer la mort. La Première Guerre mondiale renforça le prestige de l'Arverne, le premier «patriote », et son image fut reproduite sur plus d'un monument aux morts. Nul n'osa toucher à cette image jusqu'à une époque récente. Ce fut l'historien Michel Rambaud qui lança, il y'a quarante ans, le premier pavé dans la mare; à ses yeux, . Vercingétorix n'aurait été qu'un personnage médiocre auquel César aurait conféré un prestige inventé pour masquer l'ampleur de la résistance gauloise. II y a vingt ans, Jacques Harmand proposa une autre interprétation; les échecs de l'Arverne ne pouvaient s'expliquer que par une.complicité secrète avec César, les deux hommes ayant machiné ensemble les opérations qui devaient conduire au désastre d'Alésia. Les avatars du chef gaulois montrent combien nous manquent des sources historiques détaillées. Tout, ou presque, repose sur César, qu'on peut suivre à la lettre comme le faisait Jullian, ou suspecter comme Rambaud et Harmand mais sans pouvoir s'en libérer! II ne faut donc pas s'étonner qu'un personnage-dont on sait aussi peu se prête au jeu des idéologies ou des passions. Si l'on veut raison garder, il convient de se rappeler la force que conserveront, sous l'Empire romain, les « petites cités » qui succédèrent aux peuples de l'indépendance, et les rivalités qui les opposèrent. II n'est pas meilleure preuve de la totale absence d'un quelconque « nationalisme » gaulois, et donc d'une figure qui l'eût incarné. c.o. peuples ou presque, celle que mena Vercingétorix ? Comment l'expliquer? CHRISTIANGOUDINEAU : Si on lit bien César, on s'aperçoit que les peuples gaulois étaient divisés en deux «partis ». L'un était ouvertement pro-romain, l'autre plus réticent à une romanisation qu'iljugeait excessive et dangereuse, redoutant la perte de son indépendance et d'une certaine «identité ». Cette dualité est bien illustrée par le cas de deux chefs éduens, qui étaient frères. Le premier, Diviciac, est druide mais aussi - cela n'est pas incompatible haut responsable éduen. Il a mené une ambassade à Rome. C'est le principal allié de César et même son conseiller. Il représente l'aristocratie traditionnelle. Son frère, Dumnorix, qui est figuré sur plusieurs monnaies, s'est enrichi, selon César, parce qu'il est « fermier général » des Éduens - c'est à lui qu'on a affermé les douanes et les impôts. Or, il mène une politique antiromaine, appelant son peuple à défendre sa liberté, au point que César finit par le faire tuer. Passons sur le paradoxe : le druide, que l'on pourrait considérer comme le défenseur naturel des valeurs traditionnelles, est pro-romain, tandis que celui qui profite directement du commerce ne l'est pas. Toujours est-il que les pro-romains, en 53 et 52 av. J.-c., perdirent leur influence et que les grands peuples gaulois - ceux que César appelle les «cavaliers », les« chevaliers» - mirent à leur tête des anti-Romains, comme Vercingétorix. LES MYSTÈRES DE LA RELIGION GAULOISE L'HISTOIRE : Mais cela ne nous dit pas pourquoi? CHRISTIANGOUDINEAU: On ne peut que deviner les raisons de cette révolte à travers l'ouvrage de César. D'abord les opérations entreprises contre les peuples du Nord et de l'Ouest, qu'il pensait mettre à raison facilement, s'avérèrent difficiles (cf mise au point «La guerre des Gaules », p. 45). Ensuite, César indisposa même ses plus fidèles alliés, par son comportement, intervenant dans les affaires intérieures, destituant tel roi ou magistrat pour le remplacer par un homme à lui - le point culminant étant atteint lorsque, après avoir accordé, à la demande des Éduens, son pardon à un chef révolté, il le fit mettre L'HISTOIRE N'176 AVRIL 1994 44 à mort trois mois plus tard en le suppliciant... à la romaine, c'est-à-dire en le faisant battre de verges jusqu'à ce que mort s'ensuive, puis en le décapitant. Donc, non seulement César n'apportait pas les bénéfices escomptés, mais encore il heurtait les principes, bafouait les institutions, etc. Voilà des raisons. Il en est sûrement d'autres : comment juger alors qu'aucun témoignage des vaincus ne nous est parvenu? L'HISTOIRE : Dans tout cet entretien, un mot n 'apas été prononcé, celui de religion. Que sait-on de nouveau sur la religion gauloise? CHRISTIANGOUDINEAU : Là encore, faute de textes gaulois, comment en savoir beaucoup? D'autant que l'archéologie est souvent démunie pour déterminer si telle statue ou tel vestige est de nature profane ou religieuse. Les seules nouveautés concernent les sanctuaires, en particulier ceux, qui attestent des rituels étranges : expositions de trophées humains, animaux pourrissant en plein air, etc. Encore qu'il s'agisse de réalités concentrées dans le Nord et qu'elles n'aient pas subsisté, semble-t-il, au-delà du milieu du II" siècle av. J.-c. - du moins pour les êtres humains. L'HISTOIRE: Pour conclure, que reste-t-il, selon vous, de l'héritage gaulois? CHRISTIANGOUDINEAU: Question difficile ! Je dirai, en vrac: la première organisation d'ensemble de notre territoire, les grands défrichements, le peuplement homogène du monde rural, la création d'outillages et de techniques qui ont perduré. Et puis des noms de lieux (montagnes, rivières, lieux-dits) qui se sont perpétués en dépit de la disparition de la langue celtique. Certains se plaisent à dire que, dans le tempérament français, se perpétuent des traits « gaulois » - mais c'est revenir à Amédée Thierry! Dira-t-on que, dans l'art contemporain, se retrouvent des motifs, une inspiration, une tendance à l'abstraction qui rappellent l'art celtique? Il serait difficile de parler d'héritage, les liens de transmission n'étant guère directs! Mais il n'est pas besoin d'avoir hérité pour s'intéresser à ses prédécesseurs (ne disons pas: ancêtres !), et les recherches récentes ont montré que la civilisation gauloise, longtemps méconnue, méritait qu'on s'y attache avec sérieux pour en déceler la grande richesse. (Propos recueillis par Annick Miquel.) MISE AU POINT uree essentielle sur la guerre par Rome contre les Gaulois est ...&'~r:n"edes Gaules de César. Iles conditions fut rédigé cet , et que nous apprend-il ? le livre VIII, écrit après la mort de par l'un de ses anciens collaborateurs, . les Commentaires sur la guerre des furent rédigés par César lui-même, dans .ers de Bibracte, peu après la prise .. durant l'hiver 52-51 av. J.-C. La é de cette rédaction s'explique en partie fait que César adressait régulièrement au de Rome des rapports, dont il put r la substance. . é à la classe politique de Rome, de plus hostile au proconsul et très critique à de sa conduite des opérations, l'ouvrage isar entend démontrer que ce dernier a agi représentant au mieux les intérêts de Rome excellent général en chef. On ne saurait dant supposer que César ait « truqué» faits qui avaient eu tant de témoins. Dès sa 'on, La Guerre des Gaules fut saluée e un chef-d'œuvre, doté - aux dires - es de Cicéron - d'une « souveraine l!ction ». Selon les traditions du genre annalistique, ge est organisé chronologiquement, ue livre rendant compte des événements e année. AV. J.-C_ • les Helvètes entament une tion qui doit les conduire dans l'actuelle - . tonge. César leur refusant de traverser la incia, ils se lancent à travers la Franchemté et atteignent la Bourgogne. A l'appel de éduens, César les poursuit et leur inflige e cuisante défaite près de Bibracte. A la ande des cités gauloises, César s'en prend chef germain Arioviste qui s'est implanté ez les Séquanes. Ille vainc dans la région de Jnlhouse. AV. J.C •• expédition en Gaule belgique. César remporte plusieurs victoires, non sans 1îfficultés. L'un de ses légats parcourt la _'ormandie et l'Armorique, sans avoir à livrer 57 eombat. AV. J.-C •• guerre terrestre et maritime contre es Vénètes du Morbihan, qui sont vaincus sur mer. Expédition du légat P. Crassus en Aquitaine. Victoire sur les 56 peuples du Cotentin et leurs voisins. Une ultime expédition contre les Morins et les Ménapes du Pas-de-Calais tourne court en raison du mauvais temps. 55 AV. J.-C •• deux peuplades germaniques, les Usipètes et les Tencthères, traversent le Rhin, et s'emparent du territoire ménape, César les massacre dans des conditions douteuses (rupture de trêve). Construction d'un pont sur le Rhin et brève incursion de l'armée romaine au-delà du fleuve. Première traversée de la Manche, deux combats contre les Bretons, puis retour en Gaule. 54 AV. J.-C •• après avoir réglé un conflit chez les Trévires, César repasse la Manche et s'enfonce au-delà de la Tamise. Après divers combats ou escarmouches, il reçoit la soumission du chef breton Cassivellaunos. Ayant regagné la Gaule et installé ses troupes dans leurs quartiers d'hiver, il doit faire face à une révolte des Éburons et des Nerviens d'Ambiorix, qui massacrent une légion tombée dans un piège. César sauve de justesse le camp commandé par Q. Cicéron (frère de l'orateur). L'agitation, qui s'est répandue en Gaule, se calme lorsque le légat Labiénus écrase une armée trévire venue assiéger son camp. 53 AV. J.-C •• expédition contre les Nërviens et chasse à l'homme pour capturer Ambiorix, laquelle échoue. Insurrection avortée des Sénons et des Carnutes. Nouvelle traversée du Rhin et brève expédition en Germanie. De retour, César cherche, de nouveau et en vain, à prendre Ambiorix, et extermine les Éburons. Les Germains attaquent le camp où avaient été concentrés les bagages de l'armée romaine, lequel est sauvé de justesse. César inflige un supplice à la romaine au chef sénon Acco, responsable de la révolte du printemps. 52 AV. J.-C •• alors que César passe l'hiver en Italie du Nord, de nombreux chefs gaulois fomentent une insurrection, dont le signal est donné par les Carnutes, qui massacrent à Orléans des négociants romains. Vercingétorix prend le pouvoir chez les Arvernes et s'assure de nombreuses alliances. Il organise plusieurs attaques sur laprovincia de Transalpine. César, revenu en hâte, met la provincia en état de défense, puis, traversant le Vivarais enneigé, pénètre en pays arverne et rejoint ses légions stationnées à Sens. Se lançant à la rencontre de Vercingétorix, il L'HISTOIRE N" 176 AVRIL 1994 45 prend Montargis et Orléans, puis se dirige vers Bourges. Vercingétorix refusant la bataille rangée et pratiquant la politique de la terre brûlée pour affamer les légions, César met le siège devant Bourges et finit par prendre la place au prix d'énormes difficultés. Vercingétorix descend alors vers le pays arverne. Après un crochet par le pays éduen, dont il redoute qu'il ne passe à l'ennemi, César rejoint Vercingétorix enfermé dans Gergovie. Après une tentative d'assaut infructueuse, le Romain préfère se replier, craignant que les Éduens, qui ont fait défection, ne l'attaquent par l'arrière, et regagne le pays sénon, où il attend son lieutenant Labiénus, qui mène dans le bassin parisien une campagne qui se termine par sa victoire aux environs de Lutèce. L'insurrection de la Gaule est devenue générale, et Vercingétorix a été confirmé à Bibracte dans son commandement en chef. De nouveaux assauts sont organisés contre la provincia. César se met en marche avec toutes ses légions, renforcées par une cavalerie de mercenaires germains, et se dirige vers le sud. Vercingétorix lance sa cavalerie contre l'armée romaine en marche, mais il échoue. Il conduit ses troupes dans l'oppidum proche d'Alésia. Aussitôt César décide de l'investir et entame des travaux de siège gigantesques que la cavalerie gauloise ne peut empêcher. Vercingétorix dépêche ses cavaliers dans leurs patries pour appeler à la constitution d'une énorme armée qui prendra César à revers. César double ses lignes. La famine s'installe dans Alésia. Les assauts de l'armée de secours et les sorties des Gaulois assiégés tournent à l'avantage des légions. Reddition des chefs gaulois, soumission des cités. 51-50 AV. J.-C •• César consolide sa victoire par des expéditions punitives et des campagnes contre les derniers îlots de résistance, s'en prenant tour à tour aux Bituriges, aux Carnutes, aux Bellovaques et leurs alliés, aux Éburons et aux Trévires, aux troupes armoricaines de Dumnacos, aux « bandes» de Drappès et de Luctérios. Il prend les dispositions politiques et administratives destinées à assurer la paix et l'ordre dans la Gaule devenue tout entière province romaine. c.c.