On connaît les Gaulois des livres d`histoire: nos ancêtres belliqueux

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lES
GAUlOIS
•
N'ETAIENT PAS DES
BARBARES
entretien avec Christian Goudineau
On connaît les Gaulois des livres d'histoire:
nos ancêtres belliqueux, mais aussi «patriotes» avant la lettre,
pacifiés et enfin «civilisés» par la conquête romaine ...
Ces idées reçues, héritées du XIXe siècle, n'ont plus cours aujourd'hui.
Car les archéologues ont mis au jour, sur des sites d'une extraordinaire
richesse, les vestiges d'une civilisation inventive, opulente et largemen
ouverte aux influences extérieures.
A ncien
de César (qui
concerne que la dernière période de
civilisation gauloise cf mise au poil
p. 45), nous ne disposons que de ra
textes, mi-historiques mi-ethno
phiques, rédigés par des auteurs gr
ou latins, à la fois brefs et très orient'
par le regard que porte le « civilisé» s
le « barbare».
membre de l'École française
de Rome et professeur au Collège de
France depuis 1984, Christian Goudineau a notamment publié César et la
Gaule (Errance, 1990), Vaison-la-Romaine (en collaboration avec Y. de
Kisch, Errance, 1991), Bibracte et les
Eduens (en collaboration avec Chr.
Peyre, Errance, 1993) et les Commentaires sur la guerre des Gaules de César
(Imprimerie nationale, 1994).
Christian Goudineau,
sait-on de l'histoire des Gaulois?
L'HISTOIRE
:
Guerre des Gaules
L'HISTOIRE:
que
GOUDINEAU : Peu de chose. Et
cela pour plusieurs raisons. La première, c'est que, à la différence des
Grecs et des Romains, les Gaulois n'ont
pas écrit leur histoire. Ils élaboraient des
récits épiques, des poèmes, déclamés ou
chantés, accompagnés de musique, associant légendes et «hauts faits» (un
peu comme les chansons de geste), qui
se transmettaient oralement et s'enrichissaient de génération en génération.
Mais la conquête romaine (cf repères
chronologiques, p. 36) mit un terme à
cette transmission, et il ne nous en est
rien parvenu. Donc, si l'on excepte La
CHRISTIAN
Christian Goudineau ; cI. X. tdr.
LHISTOlRE N'I76AVRIL 1994
34
Et les autres raisons?
: Celles-là rel
vent de l'historiographie moderne. Pe
dant des siècles, les érudits et les « an
quaires », lorsqu'ils s'intéressaient
passé antique de la France, ne reche
chaient guère que les traces de la civi
sation romaine, voire grecque (dans
Midi), à travers les monuments, 1
œuvres d'art, les inscriptions. Il, a f
attendre le XIX' siècle pour que les Ga
lois attirent vraiment l'attention des bis
toriens. A ce moment-là, toutes sort
de phénomènes ont joué, depuis la ré
habilitation des vertus des peuples « p .
mitifs» jusqu'à la sensibilité roma
tique. Songez que c'est en 1828 qu
paraît la première «grande» Histoire
des Gaulois. Elle est l'œuvre d'Amédé
CHRISTIAN
GOUDINEAU
REPÈRESCHRONOLOGIQUES
Thierry - j'insiste sur le prénom, Amédée, car on connaît surtout son frère,
Augustin, l'auteur de l'Histoire de la
.:ÉPOPÉE DES GAULOIS
conquête de l'Angleterre par les Normands et d'ouvrages restés fameux sur le
tiers état. Eh bien, Amédée fut aussi historien et son Histoire des Gaulois depuis
les temps les plus reculés jusqu'à l'entière
soumission de la Gaule à la domination
gauloise (ouf!) remporta un immense
succès et fut rééditée une dizaine de fois.
L'HISTOIRE
:
Quelle image donnait-elle
des Gaulois?
AV_ J_-C•• époque dite des « princes
celtes » qui s'achève vers 470-450.
V1"'-VI'
600 AV. J.-C •• fondation
de Marseille.
des Gaulois
Italie (390 av, J.-C. : prise de Rome) et
occupation de l'Italie du Nord (Cisalpine).
IV- SIÈCLE AV. J.-C.
• incursions
en
DÉBUT III' SIÈCLE AV. J.-C •• incursions
celtiques
en Macédoine et en Grèce (279 av. J .• c.: sac
de Delphes), passage en Asie Mineure où sera
fondé un royaume « galate »;
III' SIÈCLE AV. J.-C •• des migrations
Gaule. Constitution
politiques.
progressive
En Italie, combats
Romains.
touchent
des cadres
'
la
En Asie Mineure, les rois de Pèrgame
imposent leur tutelle aux Galates.
DÉBUT Il' SIÈCLE AV. J.-C •• Rome remporte
des
succès décisifs sur les peuples gaulois d'Italie
et s'empare de leurs territoires.
avec les Éduens
154 AV. J.-C •• première intervention
de Rome
dans le Sud de la Gaule (région de Nice et
d'Antibes).
124-120 AV. J.-C •• à l'appel de Marseille, les
légions interviennent
en Provence, battent les
Ligures, les Voconces et les Salluviens. Elles
écrasent les Allobroges et leurs alliés
arvernes. Le Midi passe sous le contrôle de
Rome qui crée une province.
118 AV. J.-C •• fondation
de Narbonne.
113-101 AV. J.-C •• migration
des Teutons
des Cimbres
en Gaule et en Espagne.
et
76-74 AV. J.-C •• soulèvement
la provincia à l'occasion
Sertorius en Espagne.
d'une partie de
de la révolte de
VERS 70 AV. J.-C •• Arioviste,
intervient
chef germain,
dans l'Est de la Gaule.
62-61 AV. J.-C •• soulèvement
61 AV. J.-C •• la migration
58 AV. J.-C •• début
des Allobroges.
helvète est décidée.
de la guerre des Gaules.
«descendent
les dix-neuf vingtièmes
d'entre nous, Français ». Cette thèse fut,
d'une certaine manière, reprise par Michelet - qui, lui, récuse la notion de
race. On la retrouve aussi dans une autre
grande Histoire de France au succès prodigieux, celle d'Henri Martin (cf docu-
entre Gaulois et
Conclusion d'une alliance
de Gaule (date incertaine).
CHRISTIAN GOUDINEAU : Vous avez raison de parler d'« image ». Car, si elle
présentait des théories - que nous dirions fumeuses - sur leurs origines (par
exemple, elle faisait des Gaulois, comme
d'ailleurs des Grecs, des Romains et des
Germains, les descendants du peuple
des «Aryas» établi en Tartarie), cette
Histoire a surtout créé l'image du Gaulois aux cheveux blonds et au teint blanc,
à la haute taille, parlant haut, né pour
faire la guerre, mais aussi bon artisan.
C'est aussi Amédée Thierry qui a «inventé» le personnage de Vercingétorix,
sorte de héros romantique, frère d'Hernani et de Ruy Bias! Enfin, il a développé la thèse selon laquelle nous « descendons» tous des Gaulois. Il précise
même que de cette «race» gauloise
ment« Nos ancêtres les Gaulois », p. 39).
L'HIS.TOIRE:
Yavait-il des raisons idéologiques à ce succès des Gaulois au XIX'
siècle?
CHRISTIAN GOUDINEAU : Bien sûr, et de
plusieurs sortes. D'abord, l'époque voit
la fin de l'histoire «dynastique» : la
nouvelle histoire doit être celle de la nation, et ce sont de «grands hommes»
qui l'incarnent. Vercingétorix va ainsi
prendre place à côté de Jeanne d'Arc et
des héros de Valmy (cf mise au point
« Le mythe Vercingétorix », p. 44). Et pendant la guerre de 1870, la France combattant Bismarck est assimilée à la
Gaule combattant César: c'est la patrie
face au représentant d'un «empire»
belliqueux.
Entrent également en ligne de
compte le thème de la désunion qui provoque le malheur et, plus important encore, le thème du héros rédempteur.
L'HlSTOIRE N' 176 AVRIL 1994
36
Ajoutons enfin qu'après tout, la défai
d'Alésia a fait entrer la Gaule dans
monde de la civilisation romaine et lui
permis de s'épanouir, comme la Fran
amène des peuples africains ou asi
tiques à un niveau supérieur de civilis
tion. Le sacrifice de Vercingétorix pe
met donc d'accepter, le front haut, 1
bienfaits de Rome. Vous voyez, to
cela est complexe quoique compléme
taire!
L'HISTOIRE:
Et l'archéologie, qu'a-t-el
apporté à cette histoire des Gaulois?
CHRISTIAN GOUDINEAU : L'archéologi
gallo-romaine (essentiellement monu
mentale) et l'archéologie préhistoriqu
commençaient alors à se constituer.
Gaulois étaient un peu « perdus» entr
les deux: on leur attribuait aussi bien le
alignements de Carnac ou les armes d
l'âge du bronze que la céramique du
siècle ap. J.-c. Ce n'est qu'à la fin d
XIXe siècle, et surtout au début du XX"
que l'archéologie «protohistorique
trouve ses repères. Il y avait pourtant e
de «grandes» fouilles gauloises dè:
l'époque de Napoléon III, à Alésia, à Bi
bracte, à Gergovie, même si leur objec
tif consistait essentiellement à retrouve
les lieux cités par Jules César et 1
traces des combats qu'il décrit.
LES MAGNifiqUES
OffRANDES DES TOMBES
CElTES
L'HISTOIRE
: Remontons dans le temps.
Sous quelle forme apparaît chez nous la
première civilisation gauloise - ou plutôt,
pour utiliser un terme plus approprie
(cf. mise au point «Celtes et Gaulois ».
p. 38), la première civilisation celtique?
CHRISTIAN GOUDINEAU : Apparemment
à partir des VIII" et VIle siècles se créent
de petites principautés qui vont progreesivement se développer, dans le centreest de la France jusqu'à la Bourgogneau maximum jusqu'à Bourges (cf
repères
géographiques,
ci-contre)
jusqu'aux alentours de 500-475 av. J.-c.
Elles sont organisées autour d'une place
centrale fortifiée, et leurs chefs se font
enterrer dans des tombes qu'on appelle
« princières» en raison de leur somptuosité : elles sont recouvertes d'un
énorme tumulus, et les défunts, richement parés, reposent sur un char de cérémonie, entourés d'offrandes magnifiques.
L'HISTOIRE:
D'où venaient ces richesses?
MISE AU POINT
CELTES ET GAULOIS
Celtes et Gaulois: les deux termes sont-ils
interchangeables? Et qu'est-ce qui
a conduit les archéologues et les historiens
à privilégier l'un au détriment de l'autre?
C'est une question compliquée.
Si l'on se reporte aux textes grecs ou latins,
on voit que le mot « Celtes» est apparu
au V' siècle av. J.-C. Deux siècles plus tard,
ceux des Celtes qui opérèrent une incursion
en Grèce sont désignés sous le uom de
« Galates » (Galatai) par les historiens grecs,
et, peu après, les textes latins utilisent le
nom « Gaulois» (Galli), qui semble
analogue.
D'où vient cette distinction entre Celtes
et Gaulois '? D'une origine géographique
(Gaulois ou Galates étant considérés
comme formant la partie septentrionale
du monde celtique) ? Du nom d'un peuple
ou d'une tribu? Le mot « galate » signifiait-il
«ceux d'ailleurs », «les envahisseurs» ?
Toutes ces hypothèses ont été proposées,
mais nous n'avons pas la réponse.
Toujonrs est-il que le terme Gallia (Gaule)
se fixa pour désigner l'Italie du Nord
(la Gaule cisalpine) occupée par des peuples
d'origine celtique, ainsi que les territoires
au-delà des Alpes (la Gaule transalpine),
de l'océan au Rhin. Les Anciens étaient
conscients de ce caractère conventionnel,
ce qui n'empêchait pas Rome de désigner
l'HeUade et ses habitants
sous le nom de Grèce et de Grecs;
de même, César écrit: « Ceux que nous
nommons Gaulois dans notre langue
se nomment Celtes dans la leur! »
Les historiens modernes ont varié
dans leurs usages, privilégiant tantôt un
terme, tantôt l'autre. Aujourd'hui,
sans que rien n'ait été établi, on est à peu près
d'accord pour réserver le mot « Gaulois»
aux habitants de la Gaule à une époque
relativement récente, à partir
du m' siècle av. J.-C. Pour les périodes
qui précèdent et pour toutes les autres zones
géographiques, on parle de Celtes.
C.G.
CHRISTIAN GOUDINEAU : On met généralement cette opulence en rapport avec le
grand développement du commerce
Nord-Sud à l'initiative des Grecs et des
Étrusques, demandeurs notamment
d'étain. Sur les itinéraires privilégiés de
ces échanges se constituent donc des
pouvoirs qui les contrôlent, qui accumulent de nouvelles ressources. La hiérarchie sociale s'accentue, selon un phénomène que l'histoire moderne connaît
bien: les petits monarques se créent une
cour, une capitale, adoptent des pratiques venues de loin (les banquets, le
vin, etc.), reçoivent des cadeaux, comme
le célèbre vase de Vix (cf mise au point
«La tombe de Vix», p. 43). C'est peutêtre l'équivalent des présents dont les
multinationales ou les gouvernements
occidentaux ont comblé (ou comblent)
le « responsable» africain ou sud-américain! La tombe de Vix, celle de Rochdorf (dans le Bade-Wurtemberg) sont
les manifestations les plus brillantes de
cette période.
L'HISTOIRE
:
Quand et comment
se ter-
mine-t-elle ?
GOUDINEAU : On en discute
toujours. Ce monde s'effondre dans la
première moitié du ye siècle av. J.-c.,
entre 500 et 450. Est-ce sous l'effet de
tensions sociales internes? Est-ce parce
que les circuits économiques se sont
transformés? La réponse n'est 'pas assurée. Et la période qui suit - disons de
450 jusqu'au ne siècle av. J.-c. - est la
moins bien connue des chercheurs, car,
si nous avons retrouvé des nécropoles,
nous ignorons à peu près tout des habitats. Il y eut de grands bouleversements:
des migrations vers l'Italie (c'est en 390
av. J.-c. que les «Gaulois» prennent
Rome), l'installation de groupes gaulois
en Italie du Nord (que les Romains
nommeront Gaule cisalpine), des expéditions vers l'Est, en Grèce et en Asie
Mineure. C'est également à cette
époque que des peuples venus d'au-delà
du Rhin s'implantent en Gaule.
CHRISTIAN
tompent et les rites redeviennent hom
gènes. Il ne faut donc pas imaginer d
hordes déferlant vers le pays. La migr
tion est à l'époque un phénomène nor
mal, courant, souvent organisé avec l'ac
cord des peuples qui peuvent accuei .
de nouveaux venus parce qu'ils ont be
soin de bras pour mettre de nouvelle
terres en valeur.
L'HISTOIRE
: Quelle est l'organisation sociale qui prévaut à cette époque ?
GOUDINEAU : Faute d'habitats, il faut s'en tenir aux tombes. Elle
ne révèlent plus de forte hiérarchie, d
tombes exceptionnelles. Toutefois, cett
uniformisation n'a qu'un temps. Dans le
courant du Ille siècle av. J.-c., on assiste
à un regroupement de l'habitat. Ce sont
d'abord de petites agglomérations « ouvertes », c'est-à-dire dépourvues de
remparts. Puis, au siècle suivant; naissent, en tout cas dans le centre de la
Gaule, ce que nous appelons les oppida,
c'est-à-dire des sites fortifiés au centre
d'un territoire. Signe que de nouveaux
pouvoirs se sont constitués et veulent
manifester leur puissance par une capitale, des remparts, etc.
CHRISTIAN
UN PEUPlE
D'ÉlEVEURS
ET D'AGRICULTEURS
L'HISTOIRE:
Quelles sont leurs bases économiques ? Le commerce, comme pour
les «princes celtes» ?
Non. Cette fois,
tout repose indiscutablement sur l'exploitation du sol, l'agriculture et l'élevage. On peut l'affirmer en s'appuyant
sur toutes sortes de sources. Les textes
grecs et latins, d'abord, qui mettent l'accent sur la fécondité agricole de la
Gaule. Les fouilles, ensuite qui mettent
au jour nombre de petits établissements
ruraux. L'étude de l'outillage, enfin, qui
montre qu'à cette époque ont été mis au
point la plupart des outils de fer qui allaient former, jusqu'au XIX siècle, le
L'HISTOIRE:
Sait-on lesquels?
fond de toute exploitation rurale, depuis
CHRISTIAN GOUDINEAU : Partiellement.
Ainsi, une forte proportion de ceux que la faux jusqu'aux forces pour tondre les
César nomme « Belges» (cf repères géo- moutons. L'araire a également été amégraphiques, p. 37) provient d'outre- Rhin. lioré : grâce à l'ajout d'un soc de fer, il
De même, l'étude des tombes de Cham- permet désormais de labourer les terres
pagne révèle l'arrivée d'une population lourdes. Il en va de même pour les insvenant d'Europe centrale, de Bohême : truments à abattre et à travailler le bois,
certaines parures, comme des anneaux pour l'outillage artisanal, etc. Ajoutons
de cheville, sont étrangères aux cou- que c'est aussi une époque cruciale pour
tumes locales. Mais en l'espace de deux le développement de la métallurgie et
générations, ces particularismes s'es- de l'exploitation des ressources miCHRISTIAN GOUDINEAU:
C
1
François Ehrmann,
«
Vercingétorix» ; cI. H. Josse.
L'HISTOIRE N'176 AVRIL 1994
38
REPÈRESGÉOGRAPHIQUES
,
•• Zone des «Principautés»
celtes VIe siècle av. J.-C.
~~ ~ Direction et
11II zone d'expansion des Celtes
N
~
Ménapes
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Viromanduens
emont• sur-Ancre
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Gournay-sur-Aronde
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Province de Transalpine
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200 km
© l'HISTOIRE, 1994
L'HISTOIRE N° 176 AVRIL 1994
37
Au sein des peuples celtes d'Europe
(en médaillon), les peuples gaulois n'avaient
pas tous, à la veille de la conquête
romaine, la même importance: certains
occupaient de larges. territoires,
comme les Séquanes ou les Eduens dont
la capitale, Bibracte, a livré
aux archéologues d'inestimables trésors.
DOCUMENT
Ainsi, l'on fouille actuellement,
le Sud-Ouest, de grandes aurières
t été mises en service dès le ne
av. J.-c..
: Connaît-on les noms de ces
puissants?
-~OIRE
~lISTlAN
On peut consique les peuples
GOUDINEAU :
er, grosso modo,
és par César (cf repères géogra•ues, p. 37) étaient en place dans les
ées 150 av. J.-c. Tous n'avaient pas
'me importance: il suffit d'observer
::arte, qui révèle de grands territoires
le Midi, dans le Centre (des Sées aux Santons, d'est en ouest). En
che, la partie septentrionale est
ée d'une mosaïque de peuples plus
. . Mais chacun avait le sens de son
tité; il suffit, pour s'en convaincre,
constater la généralisation du monve ..
OIRE :
Comment
se présentait un
_ idum?
GoUDINEAU
:
Malheureuse-
t, on n'en a guère fouillé sur une sucie importante, sauf à Bibracte (cf
au point « Bibracte: état des lieux »,
72). On connaît surtout leur étendue
«frères» du peuple romain et, plus encore, «frères du même sang», une for-
mule qui n'est utilisée par Rome qu'à
l'égard des Troyens - dont les Romains
se disaient les descendants. Il faut croire
que ces Gaulois s'étaient forgé une légende remontant également à la guerre
de Troie, et que cette légende avait été
reconnue par Rome. Elle montre la
force et l'officialité de ces liens.
L'HISTOIRE:
NOS ANCÊTRES
LES GAULOIS
Mais pourquoi une telle al-
liance ?
CHRISTIAN GOUDINEAU : Sans doute estelle analogue à celle que Rome avait
nouée, aux environs de 400 av. J.-c.,
avec Marseille: la cité phocéenne représentait les intérêts de Rome dans le
Midi, veillait à faire régner l'ordre. Dans
la mesure où, depuis les migrations du
IVe siècle av. J.-c., la Gaule passe aux
yeux des Romains pour une source de
dangers, les Éduens sont une garantie,
des gendarmes en quelque sorte!
n
:
n y avait pas de motifs
commerciaux à cette entente politique ?
L'HISTOIRE
GOUDINEAU : Bien sûr, tout
est lié. Au ne siècle av. J.-c., on assiste à
une intensification des échanges,
qu'illustrent notamment les épaves,
chargées de vin italien, retrouvées par
l'archéologie sous-marine. On estime
que 500 000 à 1 million d'amphores arrivaient annuellement en Gaule, c'est-àdire, puisque une amphore contient
25 litres, de 125 à 250 000 hectolitres!
CHRISTIAN
- qui peut atteindre 2 à 300 hectares
-. leurs remparts, de différents types,
iant souvent un poutrage de bois et
parements de pierre, et leur rôle: caes administratives, éventuels repour les populations rurales, mais
i marchés périodiques, centres artiaux, lieux de rassemblements reli- L'HISTOIRE: Et qu'offraient les Gaulois
, en échange?
z-: ux. L'exemple des villes méditerra- - nnes a sans doute joué: nombre de CHRISTIAN GOUDINEAU : De l'étain, prin:iaulois ont parcouru le monde en tant cipalement en provenance des îles Bri_ e mercenaires, et des liens avaient sû- tanniques et transitant par la Gaule, et
rement subsisté, ou été rétablis, entre les divers produits comme le cuir, les salai3aulois de Gaule et ceux qui peuplaient sons, le bétail. Mais l'essentiel consistait
en esclaves. C'est en effet l'époque où
talie du Nord.
l'esclavage atteint son apogée en Italie à
_1iISTOIRE
: Les Gaulois entretenaient
ne des relations avec les peuples voi- cause de l'extension des grands domaines et parce que, pour tenir son
?
RRISTIAN GOUDINEAU : Bien sûr. On a
rang, un aristocrate romain doit entreteœndance à considérer la Gaule comme nir une armada de serviteurs.
e entité isolée, hors du monde. Rien L'HISTOIRE : Quelles' ont étè les consé'est plus faux! Tout le Midi, depuis la quences de ce commerce sur la société
:ondation de Marseille en 600 av. J.-c., gauloise?
était en relation avec les grandes puis- CHRISTIAN GOUDINEAU : Nous ne pousances méditerranéennes.
Mais les vons, dans ce domaine, avancer que des
utres peuples ne vivaient pas en autar- hypothèses. Le développement de ce
commerce favorise de nouveau l'instaucie! Ainsi les textes nous apprennent
que les Éduens, qui occupaient l'ac- ration de pouvoirs forts ou les renforce.
tuelle Bourgogne, étaient, au ne siècle La fourniture d'esclaves introduit aussi
av. J.-c., liés à Rome par une alliance un processus de tensions croissantes :
qui remontait peut-être au siècle précé- d'abord on prélève ceux-ci parmi ses
dent. Il s'agissait d'une alliance très forte compatriotes, ensuite on va les chercher
puisque les Éduens étaient déclarés chez les peuples voisins, au début en
L'HISTOIRE W 176 AVRIL 1994
39
En 1875, Henri Martin publie une Histoire
populaire de la France largement inspirée,
pour ce qui concerne l'histoire de la Gaule,
de l'œuvre monumentale d'Amédée
Thierry. Les grands traits du « mythe
gaulois» sont fixés. Ils connaîtront un bel
avenir dans les écoles-de la III' République.
« La langue des Gaulois, qu'on nomme
celtique parce que les Gaulois étaient aussi
appelés Celtes, a subsisté chez les BasBretons, et le caractère des Gaulois a subsisté
chez nous tous, comme leur sang a passé de
génération en génération jusque dans nos '
veines. Il y avait en eux beaucoup d-echoses
diverses et contraires. Ils étaient
enthousiastes et moqueurs, mobiles en
apparence, obstinés au fond, sociables et
querelleurs, faciles à vivre et intraitables sur
le point d'honneur, généreux et envahissants,
cruels à la guerre et sensibles aux plaintes des
malheureux, et toujours prêts à secourir le
faible contre le fort; éloquents dans les
assemblées, ils aimaient les combats de la
parole comme les combats de l'épée, et ils
n'avaient aucune peur de la mort. [... ]
« Les premiers Gaulois étaient de grands
hommes blonds, aux yeux bleus; mais ils
. amenèrent avec eux d'Asie d'autres tribus de
la famille aryenne qui se firent gauloises, et
ils se mêlèrent anssi plus tard avec les restes
des populations plus anciennes qu'eux en
Occident, surtout avec les Espagnols dans le
Midi; et c'est apparemment à cause de cela
que nous sommes aujourd'hui, pour la
plupart, moins grands qu'eux, et châtains, et
non plus blonds. [... ]
« Ils vivaient dans des maisons rondes ou
ovales en terre, aux grands toits de bois et de
chaume. [... ] Ils avaient, sur les hauteurs ou
dans les marais, des places fortes où ils se
retiraient, en temps de guerre, avec leurs
familles et leurs troupeaux; il s'en rencontre
encore quelques restes. [... ]
« Les
Gaulois des anciens
temps portaient
des épées et des lances de bronze et de cuivre,
des haches de pierre et de bronze, des flèches
de silex: leurs casques ronds étaient
surmontés de cornes et de hautes crêtes et
avaient de larges jugulaires qui leur
couvraient les joues. Les chefs se paraient de
colliers et de bracelets de bronze; ou même
simplement d'os ou de bois. Ils combattaient,
leurs cheveux flottant au vent, et nus jusqu'à
la ceinture, pour montrer leur mépris des
blessures et de la mort. Les druides, qui
étaient leurs savants, leurs juges, leurs
professeurs et leurs prêtres, portaient des
colliers de jaspe, de turquoises et d'autres
pierres fines, et des couronnes de chêne. »
MISE AU POINT
BIBRACTE:
ÉTAT DES LIEUX
Vieilles de plus d'un siècle, les fouilles
entreprises sur le site de Bibracte, capitale
des Eduens, ont révolutionné la
connaissance du monde gaulois d'avant
la conquête romaine.
En 1867, Napoléon m, désireux de trancher
entre les sites proposés pour la localisation
de la capitale des Éduens, Bibracte, plusieurs
fois mentionnée par César, chargea
Jacques-Gabriel
BulIiot, négociant en vins à
Autun mais aussi grande figure de l'érudition
régionale, d'engager des fouilles sur
le Mont-Beuvray, un massif du Morvan, situé
à une vingtaine de kilomètres d'Autun.
En effet, alors que la plupart des spécialistes
pensaient que Bibracte se trouvait sous
la ville romaine d'Augustodunum
(Autun),
BulIiot était de ceux qui tenaient pour
le Beuvray, où le terrain gardait trace
d'anciennes fortifications et où des traditions
- une foire, des actes religieux conservaient la mémoire d'une ancienne cité.
Bulliot puis son neveu Joseph Déchelette
fouillèrent le site jusqu'en 1907, mettant
au jour l'enceinte de l'oppidum, de nombreux
ateliers d'artisans, un temple et ses annexes,
de grandes maisons romanisées. Le matériel
céramique et surtout métallique de Bibracte
devint la référence européenne, et Bibracte fut
considérée comme l'oppidum par excellence.
La mort de Joseph Déchelette mit fin aux
opérations. En septembre 1985, le président
François Mitterrand
lança de nouvelles
recherches, invitant des équipes de toute
l'Europe à y collaborer. Cet appel
fut entendu, puisque l'Allemagne, la Belgique,
l'Écosse, l'Espagne, la Hongrie, l'Italie,
la Suisse et la République tchèque ont envoyé
des chercheurs rejoindre les équipes
françaises.
Il s'agissait, dans ce nouveau programme,
d'apporter d'abord aux données réunies
par Bulliot et Déchelette les précisions que
permettent les méthodes actuelles,
particulièrement
pour la chronologie
et la stratigraphie.
On s'est ainsi aperçu que
l'occupation principale de Bibracte pouvait
être située entre 150-130 av. J.-c. et les débuts
du 1" siècle ap. J.-C. Les fouilles du rempart
à la porte du Rebout, d'un quartier à la pâture
du couvent et d'une grande maison dite PCI
mettent en lumière l'évolution de l'oppidum
et permettent de mieux « caler» la typologie
du matériel. Au sommet du site, le temple
fouillé par BuIliot s'est avéré augustéen, mais,
à côté, un enclos où il voyait un camp romain
constitue sans doute un ancien espace sacré.
Des monuments d'un immense intérêt ont été
mis au jour : la fontaine Saint-Pierre, datée
par la dendrochronologie
de 126 av. J-c. et
dont les techniques de construction rappellent
celles qui étaient utilisées à la même époque
en Italie j un bassin monumental de granit,
situé au milieu de la grande voie du Beuvray,
et taillé selon une méthode employée
d'habitude dans les régions méditerranéennes,
pour les blocs calcaires, etc. Enfin, on a
retrouvé, sur le site de Bibracte, de nouveaux
remparts. Les influences méditerranéennes
et
les processus de la romanisation
de la Gaule
d'avant la conquête romaine s'éclairent ainsi
d'un jour nouveau.
c.c.
s'entendant avec leurs dirigeants, puis
en ayant recours aux razzias, aux expéditions guerrières pour faire des prisonniers. Pour faire admettre ce trafic, les
chefs qui s'y livrent doivent montrer et
redistribuer une partie de la richesse qui
en provient, d'où l'aspect prestigieux des
remparts qui ceignent certains oppida,
d'où également les grandes fêtes ou banquets dont les textes nous parlent. Et les
contestations d'une telle politique ne
devaient pas manquer, comme César le
laisse deviner.
L'HISTOIRE:
A -t-on idée de la forme prise
par ces «pouvoirs forts» ? Régimes oligarchiques, royautés ?
CHRISTIAN GOUDINEAU : Au ne siècle av.
J.-C., il s'agissait probablement de
royautés. Les textes décrivent les rois arvernes -les ancêtres de Vercingétorix
- offrant des festins fabuleux et paradant sur leur char de guerre couvert de
plaques d'argent, en jetant à la foule des
pièces d'or.. Au 1er siècle av. J.-c., en revanche, la royauté semble minoritaire.
Des régimes aristocratiques se sont mis
en place, avec un sénat représentant les
grandes familles, et des magistrats.
Grâce à César, on sait, par exemple, que
les Éduens étaient régis par une constitution aux mécanismes très complexes.
L'HISTOIRE:
En fait, ce sont de véritables
États?
CHRISTIAN GOUDINEAU: Tout à fait. Avec
des archives, une administration ...
L'HISTOIRE:
Mais ils n'écrivaient pas?
: Là encore, il y a
confusion. César nous indique que les
druides, dépositaires de la doctrine religieuse, ne la transmettent qu'oralement.
Mais il signale les documents de recensement qu'il a trouvés dans le camp des
Helvètes et qui étaient écrits «en lettres
grecques». C'est dire que les comptes,
les testaments, les pièces administratives devaient être rédigés en langue celtique (gauloise; si vous préférez) transcrite en utilisant l'alphabet grec.
D'ailleurs, dans le Midi, on a retrouvé
des inscriptions sur pierre utilisant ce
système - on les appelle «gallogrecques ».
CHRISTIAN
GOUDINEAU
L'HISTOIRE
: Vous décrivez une Gaule
ayant de nombreux contacts avec ses voisins, notamment avec l'Italie. Se sont-ils
traduits par des réalités qui dépassent les
simples échanges de marchandises?
CHRISTIAN GOUDINEAU : Il est sûr que
l'archéologie retrouvè surtout des objets
importés - des amphores, des céramiques, des vases de bronze ou d'argent.
L'HISTOIRE N" 176 AVRIL 1994
42
Mais il Y eut davantage. Prenons deux
exemples. Les monnaies d'abord. A
l'origine, depuis les débuts du me siècle
av. J.-c., les monnaies gauloises étaient
en or et imitaient celles de Philippe II de
Macédoine. A partir des années 120 av.
J.-c., les grands peuples du centre de la
Gaule - les Eduens, les Séquanes, le
Helvètes, les Lingons, puis les Bituriges
et les Santons - adoptent, comme l'Italie et Rome, le monnayage d'argent. Ils
créent des deniers qui sont alignés en
poids, c'est-à-dire en valeur, sur la
drachme de Marseille et sur le demi-denier romain. Bien plus, certains de ces
deniers transposent des motifs iconographiques présents sur les monnaies de
la République romaine : des dieux, des
animaux et surtout des personnages debout ou à cheval. Les grands chefs séquanes, éduens, lingons... se mettent
donc à frapper monnaie à leur image.
L'HISTOIRE:
Et le second exemple?
: Il nous est livré
par les fouilles de sauvetage qui ont eu
lieu, en 1989 et 1990,lors du creusement
d'un parking à Besançon. On a fouillé
un tout petit secteur de la ville gauloise,
qui s'appelait Vesontio. Les archéologues y ont découvert quelques habitations à colombage, de nombreuses amphores et de la céramique venant
d'Italie. Jusque-là, rien que de normal.
Mais, dans l'une de ces maisons, ils ont
mis au jour des objets exceptionnels :
des perles en ambre, une fibule en argent, un collier, des éperons - le propriétaire de la demeure montait donc à
cheval et pratiquait la chasse, car on a
aussi recueilli des ossements de sangliers.
Parmi les autres ossements d'animaux, on a identifié un morceau de métatarse d'un bœuf de grande taille. Or, le
bœuf gaulois était petit. Jusqu'à cette
découverte, on considérait qu'il avait
été, sinon remplacé, du moins en partie
«complété », à l'époque gallo-romaine,
par un bœuf originaire d'Italie, beaucoup plus grand. Mais ce changement
était daté du le< siècle ap. J.-c. Alors,
trouver vers 120-80 av. J.-c. les vestiges
d'un grand bœuf italien, c'est surprenant. Autre trouvaille: celle d'une tige
de bronze plate portant des divisions-.Il
s'agit en fait d'un étalon de mesure gradué correspondant à un demi-pied romain!
On peut donc se demander jusqu'à
quel degré s'exerçait l'influence italienne : exportation de techniques,
CHRISTIAN
GOUDINEAU
-
MISE AU POINT
OIRE : D'autres fouilles confir-elles cette impression de fortes inces italiennes, ou plus largement méanéennes ?
des demi-sauvages, sans cadres étatiques solides, sans relations «internationales ». Nous avons affaire, en réalité,
surtout pour le centre de la Gaule, à des
« cités» parfaitement constituées, ayant
contacts et échanges avec le monde extérieur. Nous avons encore des difficultés à l'admettre, sans doute en raison de
la force des clichés diffusés au XIXe siècle
et que la plupart des Romains,
d'ailleurs, partageaient.
.ffilJlSTJlANGOUDINEAU
: Oui, les fouilles
Bibracte notamment (cf mise au
L'HISTOIRE:
Venons-en à la conquête de
la Gaule par César ...
Bibracte:
CHRISTIAN GOUDINEAU
: D'abord, permettez-moi de rappeler une chose qu'on
oublie trop facilement : le Midi, qui
s'étendait d'Antibes à Toulouse et, vers
le nord, presque jusqu'à Lyon, avait été
conquis dès les années 125-122 av. J.-c.
et une province romaine, dite transalpine, y avait été constituée. C'est
d'ailleurs en tant que gouverneur de
cette Transalpine et de la Cisalpine
(l'Italie du Nord) que César intervint en
Gaule intérieure, restée indépendante.
Quant aux campagnes de César, on
les apprécie mieux aujourd'hui, grâce
aux découvertes de l'archéologie. On a
en effet longtemps eu dans l'esprit qu'il
s'était lancé à la conquête de la Gaule,
qu'il avait vaincu tous les Gaulois et que
la Gaule était devenue romaine. En fait,
il n'est pas du tout sûr que César ait
voulu conquérir ce pays, et je dirai
même que c'est improbable. Avant l'insurrection générale de 52 av. J.-c., pendant six ans, ses campagnes ont été géographiquement limitées à la zone nord
de la Gaule: les pays de Loire, l'Armorique, la Normandie, la Picardie, le
Nord et le Nord-Est. Autrement dit, la
zone la moins romanisée, celle qui avait
le moins de contacts avec l'Italie.
Apparemment, il a cherché à rendre
ces régions plus perméables aux grands
échanges commerciaux, à y trouver de
nouvelles sources d'approvisionnement
en matières premières et en esclaves, et
aussi, sans doute, à les mettre sous la
coupe des grands peuples du Centre qui
étaient ses alliés. On oublie en effet que
l'armée de César comportait des contingents gaulois, notamment une cavalerie
formée par les Éduens. Il avait aussi un
état-major où se trouvaient de jeunes
chefs gaulois - il est d'ailleurs vraisemblable que Vercingétorix ait fait partie
de ce groupe durant plusieurs années, et
ait ainsi appris la guerre à la romaine.
L'HISTOIRE:
Pourtant, il y a eu une insur-
zrimaux reproducteurs? Ou bien préd'Italiens en Gaule, et pas seule( de commerçants? Rappelonsque César indique qu'Orléans,
- - on-sur-Saône et Mâcon formaient
- centres actifs de commerce, avec
rte présence romaine.
1«
état des lieux», p. 42).
- ondages y sont actuellement réalipar une équipe suisse sous une très
de maison de type romain,
truite vers 10 av. J.-c. Ils ont permis
~ distinguer cinq périodes d'occupade cette demeure: l'avant-dernière
e de 40-30 av. J.-c., une autre rete à la guerre des Gaules et deux
t encore plus anciennes. On suppose
qu'il existait là, avant la conquête
aine, des bâtiments privés impor-
UN PAYS Il GAllO-ROMAIN Il
ANT l'ARRIVÉI DI CÉSAR?
Toujours à Bibracte, on a fouillé une
de fontaine, la fontaine Saintrre. Son premier état est daté par la
drochronologie des environs de 126
_J.-c. Or les techniques utilisées pour
construction semblent apparentées à
œlles qui étaient alors courantes en Ita_Enfin, un grand bassin de granit a été
uvé au milieu de la grande voie du
.::.euvray, et fouillé par une équipe
:::anco-espagnole. Les blocs de granit
( été taillés selon une méthode médierranéenne, employée d'ordinaire pour
-- blocs calcaires. On pourrait ajouter à
e série d'indices une découverte réœnte faite à Vaize, près de Lyon, où une
truction datant des environs de 100
. J.-c. porte des enduits peints du
me style que ceux que l'on a retrouà Pompéi, et une toiture en tuiles!
zr:
é
: Peut-on dire alors que le
's était « gallo-romain» avant même les
quêtes de César ?
"HISTOIRE
-
GOUDINEAU : Non, sûrement
. il ne s'agit pas de passer d'un ex-me à l'autre. Ce que je voulais mon~ r c'est qu'il faut en finir avec la
:onception d'une Gaule farouchement
rerranchée, de Gaulois vivant comme
HRISTIAN
rection générale qui rassembla tous les
l:HISTOIREN' 176 AVRIL 1994
43
LA TOMBE DE VIX
La tombe de Vix est l'une des plus
fameuses du monde celte. Sa découverte
a permis notamment de mieux évaluer
l'interpénétration entre la civilisation celte
et celles de la Méditerranée.
C'est en 1953 qu'une tranchée
de sondage, faite par M. Moisson sous la
direction de R. Joffroy pour explorer
ce qu'on croyait être un habitat gallo-romain,
pénétra dans un tumulus arasé
et découvrit la tombe dite de Vix, du nom
du village proche de Châtillon-surSeine (Côte-d'Or), au pied du
Mont- Lassois.
De forme cubique, entièrement
protégée par un coffrage de bois, la tombe
abritait le dernier repos d'une femme
d'environ trente-cinq ans, richement parée
d'un diadème d'or et de bijoux dont
certains étaient rehaussés d'ambre et de
corail. La dépouille de la « princesse»
reposait sur la caisse d'un char
démonté, les roues étant alignées contre
une paroi.
La place la plus importante était
tenue par le fameux « vase de Vix », ce cratère
de bronze haut de 1,64 m et pesant
plus de 200 kg. Probablement fabriqué
en Grande Grèce, il avait été transporté en
fragments et monté sur place.
. Ses anses admirablement décorées, les reliefs
du col représentant des hoplites et des chars
de guerre, le couvercle, surmonté d'une
statuette, en font l'un des chefs-d'œuvre
que nous a légués l'Antiquité. Deux coupes de
céramique celtique étaient posées
sur le couvercle. Au pied, une oenochoé
(vase à verser le vin) et deux bassins
de bronze, originaires d'Étrurie.
On date l'enfouissement vers 500-480
av.J.-C.
c.c.
MISE AU POINT
LE MYTHE
VERCINGÉTORIX
Personnage réel ou héros mythique?
La figure de Vercingétorix est revenue,
depuis quelques années, en pleine lumière,
à mesure que l'on prenait conscience
des conditions dans lesquelles le XIX' siècle
l'avaitfait renaître.
Jeune héros« romantique» sous la
plume d'Amédée Thierry, privé de son nom
propre par Michelet qui voyait en
« Vercingétorix» un titre de commandant
en chef, il dut sa popularité au Second
Empire et surtout à la ln' République
naissante. S'incarnaient en lui les valeurs
de l'Union sacrée face aux forces du mal, la
grandeur du vaincu face à un adversaire
cruel et impitoyable, mais aussi le sacrifice
personnel qui vaut expiation pour la nation et
la certitude que d'un mal peut sortir
un bien - en l'occurrence, la Gaule accéda
à une plus haute forme de civilisation.
Ce sont tous ces messages que firent passer
les manuels scolaires, les images d'Épinal
et tant d'œuvres d'art couronnées dans .
les salons de sculpture et de peinture.
En 1900, celui qui sera le grand historien
de la Gaule, Camille Jullian, consacre
au chef gaulois un livre intitulé Vercingétorix.
Premier ouvrage « savant », fondé
sur la relecture minutieuse de tous les textes
anciens, il dépeint, en un style flamboyant,
les efforts de son héros pour donner
vie à son idéal d'une «patrie gauloise »,
« supérieure aux clans, aux tribus, aux cités
et aux ligues, les unissant toutes en commandant
à toutes », un idéal dont la condamnation
le pousse à désirer la mort.
La Première Guerre mondiale renforça
le prestige de l'Arverne, le premier
«patriote », et son image fut reproduite
sur plus d'un monument aux morts.
Nul n'osa toucher à cette image jusqu'à
une époque récente. Ce fut l'historien Michel
Rambaud qui lança, il y'a quarante ans,
le premier pavé dans la mare; à ses yeux, .
Vercingétorix n'aurait été qu'un personnage
médiocre auquel César aurait conféré un
prestige inventé pour masquer l'ampleur de la
résistance gauloise. II y a vingt ans, Jacques
Harmand proposa une autre interprétation;
les échecs de l'Arverne ne pouvaient
s'expliquer que par une.complicité secrète
avec César, les deux hommes ayant machiné
ensemble les opérations qui devaient conduire
au désastre d'Alésia.
Les avatars du chef gaulois montrent
combien nous manquent des sources
historiques détaillées. Tout, ou presque,
repose sur César, qu'on peut suivre à la lettre
comme le faisait Jullian, ou suspecter comme
Rambaud et Harmand mais sans pouvoir s'en
libérer! II ne faut donc pas s'étonner qu'un
personnage-dont on sait aussi peu se prête au
jeu des idéologies ou des passions. Si l'on veut
raison garder, il convient de se rappeler la
force que conserveront, sous l'Empire romain,
les « petites cités » qui succédèrent aux
peuples de l'indépendance, et les rivalités qui
les opposèrent. II n'est pas meilleure preuve
de la totale absence d'un quelconque
« nationalisme » gaulois, et donc d'une figure
qui l'eût incarné.
c.o.
peuples ou presque, celle que mena
Vercingétorix ? Comment l'expliquer?
CHRISTIANGOUDINEAU
: Si on lit bien César, on s'aperçoit que les peuples gaulois
étaient divisés en deux «partis ». L'un
était ouvertement
pro-romain, l'autre
plus réticent à une romanisation qu'iljugeait excessive et dangereuse, redoutant
la perte de son indépendance et d'une
certaine «identité ». Cette dualité est
bien illustrée par le cas de deux chefs
éduens, qui étaient frères.
Le premier, Diviciac, est druide mais
aussi - cela n'est pas incompatible haut responsable éduen. Il a mené une
ambassade à Rome. C'est le principal allié de César et même son conseiller. Il
représente l'aristocratie traditionnelle.
Son frère, Dumnorix, qui est figuré sur
plusieurs monnaies, s'est enrichi, selon
César, parce qu'il est « fermier général »
des Éduens - c'est à lui qu'on a affermé
les douanes et les impôts. Or, il mène
une politique antiromaine, appelant son
peuple à défendre sa liberté, au point
que César finit par le faire tuer.
Passons sur le paradoxe : le druide,
que l'on pourrait considérer comme le
défenseur naturel des valeurs traditionnelles, est pro-romain, tandis que celui
qui profite directement du commerce ne
l'est pas. Toujours est-il que les pro-romains, en 53 et 52 av. J.-c., perdirent
leur influence et que les grands peuples
gaulois - ceux que César appelle les
«cavaliers », les« chevaliers» - mirent à
leur tête des anti-Romains, comme Vercingétorix.
LES MYSTÈRES
DE LA RELIGION GAULOISE
L'HISTOIRE : Mais cela ne nous dit pas
pourquoi?
CHRISTIANGOUDINEAU: On ne peut que
deviner les raisons de cette révolte à travers l'ouvrage de César. D'abord les
opérations
entreprises
contre
les
peuples du Nord et de l'Ouest, qu'il pensait mettre à raison facilement, s'avérèrent difficiles (cf mise au point «La
guerre des Gaules », p. 45). Ensuite, César indisposa même ses plus fidèles alliés, par son comportement, intervenant
dans les affaires intérieures, destituant
tel roi ou magistrat pour le remplacer
par un homme à lui - le point culminant étant atteint lorsque, après avoir
accordé, à la demande des Éduens, son
pardon à un chef révolté, il le fit mettre
L'HISTOIRE N'176 AVRIL 1994
44
à mort trois mois plus tard en le suppliciant... à la romaine, c'est-à-dire en le
faisant battre de verges jusqu'à ce que
mort s'ensuive, puis en le décapitant.
Donc, non seulement César n'apportait
pas les bénéfices escomptés, mais encore il heurtait les principes, bafouait les
institutions, etc. Voilà des raisons. Il en
est sûrement d'autres : comment juger
alors qu'aucun témoignage des vaincus
ne nous est parvenu?
L'HISTOIRE : Dans tout cet entretien, un
mot n 'apas été prononcé, celui de religion.
Que sait-on de nouveau sur la religion
gauloise?
CHRISTIANGOUDINEAU
: Là encore, faute
de textes gaulois, comment en savoir
beaucoup? D'autant que l'archéologie
est souvent démunie pour déterminer si
telle statue ou tel vestige est de nature
profane ou religieuse. Les seules nouveautés concernent les sanctuaires, en
particulier ceux, qui attestent des rituels
étranges : expositions de trophées humains, animaux pourrissant en plein air,
etc. Encore qu'il s'agisse de réalités
concentrées dans le Nord et qu'elles
n'aient pas subsisté, semble-t-il, au-delà
du milieu du II" siècle av. J.-c. - du
moins pour les êtres humains.
L'HISTOIRE: Pour conclure, que reste-t-il,
selon vous, de l'héritage gaulois?
CHRISTIANGOUDINEAU: Question difficile ! Je dirai, en vrac: la première organisation d'ensemble de notre territoire,
les grands défrichements, le peuplement
homogène du monde rural, la création
d'outillages et de techniques qui ont
perduré. Et puis des noms de lieux
(montagnes, rivières, lieux-dits) qui se
sont perpétués en dépit de la disparition
de la langue celtique.
Certains se plaisent à dire que, dans le
tempérament
français, se perpétuent
des traits « gaulois » - mais c'est revenir à Amédée Thierry! Dira-t-on que,
dans l'art contemporain,
se retrouvent
des motifs, une inspiration, une tendance à l'abstraction qui rappellent l'art
celtique?
Il serait difficile de parler
d'héritage,
les liens de transmission
n'étant guère directs! Mais il n'est pas
besoin d'avoir hérité pour s'intéresser à
ses prédécesseurs
(ne disons pas: ancêtres !), et les recherches récentes ont
montré que la civilisation gauloise, longtemps méconnue, méritait qu'on s'y attache avec sérieux pour en déceler la
grande richesse.
(Propos recueillis par Annick Miquel.)
MISE AU POINT
uree essentielle sur la guerre
par Rome contre les Gaulois est
...&'~r:n"edes Gaules de César.
Iles conditions fut rédigé cet
, et que nous apprend-il ?
le livre VIII, écrit après la mort de
par l'un de ses anciens collaborateurs,
. les Commentaires sur la guerre des
furent rédigés par César lui-même, dans
.ers de Bibracte, peu après la prise
..
durant l'hiver 52-51 av. J.-C. La
é de cette rédaction s'explique en partie
fait que César adressait régulièrement
au
de Rome des rapports, dont il put
r la substance.
. é à la classe politique de Rome, de plus
hostile au proconsul et très critique à
de sa conduite des opérations, l'ouvrage
isar entend démontrer que ce dernier a agi
représentant
au mieux les intérêts de Rome
excellent général en chef. On ne saurait
dant supposer que César ait « truqué»
faits qui avaient eu tant de témoins. Dès sa
'on, La Guerre des Gaules fut saluée
e un chef-d'œuvre, doté - aux dires
- es de Cicéron - d'une « souveraine
l!ction ».
Selon les traditions du genre annalistique,
ge est organisé chronologiquement,
ue livre rendant compte des événements
e année.
AV. J.-C_ • les Helvètes
entament une
tion qui doit les conduire dans l'actuelle
- . tonge. César leur refusant de traverser la
incia, ils se lancent à travers la Franchemté et atteignent la Bourgogne. A l'appel de
éduens, César les poursuit et leur inflige
e cuisante défaite près de Bibracte. A la
ande des cités gauloises, César s'en prend
chef germain Arioviste qui s'est implanté
ez les Séquanes. Ille vainc dans la région de
Jnlhouse.
AV. J.C •• expédition en Gaule belgique. César
remporte plusieurs victoires, non sans
1îfficultés. L'un de ses légats parcourt la
_'ormandie et l'Armorique, sans avoir à livrer
57
eombat.
AV. J.-C •• guerre terrestre et maritime contre
es Vénètes du Morbihan, qui sont vaincus sur
mer. Expédition du légat
P. Crassus en Aquitaine. Victoire sur les
56
peuples du Cotentin et leurs voisins. Une ultime
expédition contre les Morins et les Ménapes du
Pas-de-Calais
tourne court en raison du
mauvais temps.
55 AV. J.-C •• deux peuplades germaniques,
les
Usipètes et les Tencthères, traversent le Rhin,
et s'emparent du territoire ménape, César les
massacre dans des conditions douteuses
(rupture de trêve). Construction
d'un pont sur
le Rhin et brève incursion de l'armée romaine
au-delà du fleuve. Première traversée de la
Manche, deux combats contre les Bretons, puis
retour en Gaule.
54 AV. J.-C •• après avoir réglé un conflit chez les
Trévires, César repasse la Manche et s'enfonce
au-delà de la Tamise. Après divers combats ou
escarmouches,
il reçoit la soumission du chef
breton Cassivellaunos.
Ayant regagné la Gaule
et installé ses troupes dans leurs quartiers
d'hiver, il doit faire face à une révolte des
Éburons et des Nerviens d'Ambiorix, qui
massacrent une légion tombée dans un piège.
César sauve de justesse le camp commandé par
Q. Cicéron (frère de l'orateur). L'agitation, qui
s'est répandue en Gaule, se calme lorsque le
légat Labiénus écrase une armée trévire venue
assiéger son camp.
53 AV. J.-C •• expédition contre les Nërviens et
chasse à l'homme pour capturer Ambiorix,
laquelle échoue. Insurrection
avortée des
Sénons et des Carnutes. Nouvelle traversée du
Rhin et brève expédition en Germanie. De
retour, César cherche, de nouveau et en vain, à
prendre Ambiorix, et extermine les Éburons.
Les Germains attaquent le camp où avaient été
concentrés les bagages de l'armée romaine,
lequel est sauvé de justesse. César inflige un
supplice à la romaine au chef sénon Acco,
responsable de la révolte du printemps.
52 AV. J.-C •• alors que César passe l'hiver en
Italie du Nord, de nombreux chefs gaulois
fomentent une insurrection,
dont le signal est
donné par les Carnutes, qui massacrent à
Orléans des négociants romains. Vercingétorix
prend le pouvoir chez les Arvernes et s'assure
de nombreuses alliances. Il organise plusieurs
attaques sur laprovincia de Transalpine.
César,
revenu en hâte, met la provincia en état de
défense, puis, traversant le Vivarais enneigé,
pénètre en pays arverne et rejoint ses légions
stationnées à Sens.
Se lançant à la rencontre de Vercingétorix, il
L'HISTOIRE N" 176 AVRIL 1994
45
prend Montargis et Orléans, puis se dirige
vers Bourges. Vercingétorix refusant la bataille
rangée et pratiquant
la politique de la
terre brûlée pour affamer les légions, César
met le siège devant Bourges et finit par prendre
la place au prix d'énormes difficultés.
Vercingétorix descend alors vers
le pays arverne. Après un crochet par le pays
éduen, dont il redoute qu'il ne passe à l'ennemi,
César rejoint Vercingétorix enfermé dans
Gergovie. Après une tentative d'assaut
infructueuse,
le Romain préfère se replier,
craignant que les Éduens, qui ont fait défection,
ne l'attaquent par l'arrière, et regagne le pays
sénon, où il attend son lieutenant Labiénus,
qui mène dans le bassin parisien une campagne
qui se termine par sa victoire aux environs
de Lutèce.
L'insurrection
de la Gaule est devenue
générale, et Vercingétorix a été confirmé
à Bibracte dans son commandement
en chef.
De nouveaux assauts sont organisés
contre la provincia. César se met en marche avec
toutes ses légions, renforcées par une cavalerie
de mercenaires germains, et se dirige
vers le sud. Vercingétorix lance sa cavalerie
contre l'armée romaine en marche, mais
il échoue. Il conduit ses troupes dans l'oppidum
proche d'Alésia. Aussitôt César décide
de l'investir et entame des travaux de siège
gigantesques que la cavalerie gauloise
ne peut empêcher.
Vercingétorix dépêche ses cavaliers dans
leurs patries pour appeler à la constitution
d'une énorme armée qui prendra César
à revers. César double ses lignes.
La famine s'installe dans Alésia. Les assauts
de l'armée de secours et les sorties des Gaulois
assiégés tournent à l'avantage des légions.
Reddition des chefs gaulois, soumission
des cités.
51-50 AV. J.-C •• César consolide
sa victoire
par des expéditions punitives et des campagnes
contre les derniers îlots de résistance, s'en
prenant tour à tour aux Bituriges, aux Carnutes,
aux Bellovaques et leurs alliés, aux Éburons
et aux Trévires, aux troupes armoricaines de
Dumnacos, aux « bandes» de Drappès et de
Luctérios. Il prend les dispositions politiques et
administratives
destinées à assurer la paix
et l'ordre dans la Gaule devenue tout entière
province romaine.
c.c.
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