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New Settings #3
Entretien avec François Olislaeger
Pourquoi avez-vous eu envie de faire une B.D.
autour de Mathilde Monnier ? Est-ce la femme ou
la chorégraphe qui vous a d’abord intéressé ?
Ce qui m’a intéressé d’abord, c’est le travail de
chorégraphie. Puis la chorégraphe. Et au fil des
conversations, en se connaissant mieux, on s’est
vite aperçu que travail et vie étaient tellement liés
que je me suis intéressé à la femme.
qu’en considérant la page ou la double
page comme une cage de scène, on pouvait
rejouer ce que l’œil du spectateur vit au
théâtre. En dessinant plusieurs scènes dans
la même scène, en suivant un danseur sur une
trajectoire, en focalisant sur un visage, ce qui
provoquait le mouvement était en réalité le
regard du lecteur. Son œil crée le mouvement.
Qu’est-ce que pour vous, la danse, et qu’est-ce
que vous vouliez faire passer d’abord par votre
dessin ?
Pour moi la danse c’est le temps du corps
dans l’espace. Et ce qui m’intéressait était la
représentation de l’espace comme acteur,
comme personnage à part entière, qui lie
les histoires, apporte sa sensibilité, parle du
rapport entre les personnes représentées. Dans
le livre, vous pouvez voir qu’à chaque nouvelle
conversation dans le studio, la vue du studio
change. On se rapproche des personnages,
et on descend vers le sol. C’est passer par la
représentation de l’espace pour dire un rapport
entre deux personnes et donner au lecteur la
sensation de connaître mieux le sujet, de s’en
approcher, l’air de rien.
Vous avez traduit l’univers de Mathilde
Monnier en dessins et maintenant s’agit-il
pour vous de repasser du dessin à la scène ?
Comment allez-vous travailler ce passage du
dessin à la scène ?
Pour la scène, l’enjeu est tout à fait différent.
La présence du dessin équivaut à celle d’un
danseur, d’une personne sur le plateau. Il ne
faut pas que le dispositif (un écran gigantesque
en fond de scène) soit écrasant. Le dessin arrive
par petites touches, de sorte qu’on a le choix
entre suivre le dessin en train de se faire, à son
rythme, ou de suivre les amateurs évoluant sur
le plateau, à leur rythme. Ce qui m’intéresse
c’est cette conversation entre le temps de
réalisation du dessin (le mouvement du trait)
et le temps de réalisation du mouvement des
amateurs sur le plateau.
Comment avez-vous abordé la question du
mouvement, car dessiner le mouvement ne
semble pas la chose la plus aisée. Avez-vous joué
sur les lignes, les couleurs, le déroulé des actions ?
Il s’agissait en effet de comprendre comment
le mouvement pouvait apparaître au lecteur,
mais surtout comment le séquençage du
temps pouvait trouver sa propre résolution
en bande dessinée. Après avoir essayé
plusieurs méthodes de mise en forme (chaque
spectacle a une conception différente dans
sa représentation), je me suis rendu compte
Dans vos pages, la couleur a parfois beaucoup
d’importance. Allez-vous l’utiliser aussi sur
la scène ?
Pour ce spectacle, nous avons choisi de rester
le plus proche possible de l’esthétique du
carnet de croquis. Ne pas chercher les effets,
ne pas chercher à être esthétisant mais plutôt
fonctionnel. On pourrait presque oublier
le dessin pour suivre une voix, qui utilise le
dessin pour s’exprimer. Comme un danseur
utilise le langage du corps.
Entretien réalisé par Stéphane Bouquet
— juin 2013
Qu’est-ce qui nous arrive ?!?, tournée 2013-2014
• 23–24 juin 2013 > création au Théâtre de l’Agora – Festival Montpellier Danse
• 26–28 juillet 2013 > Festival Impulstanz, Vienne (Autriche)
• 6 novembre 2013 > Théâtre Jean Alary, Carcassonne, dans le cadre de Montpellier Danse en
Languedoc-Roussillon 2013-2014
• 15–16 mars 2014 > La Ferme du Buisson – scène nationale de Marne-la-Vallée
• 16 mai 2014 > La Cigalière, Sérignan
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© Marc Coudrais
Entretien avec Mathilde Monnier
Quel effet cela fait-il de se transformer en
personnage de B.D ? Une chose qui m’a frappé,
en lisant Mathilde, c’est que vous y êtes plus
intime que souvent. Est-ce un choix ?
La B.D. permet un déplacement de mon
image car dans les dessins de François je
deviens un personnage. Ce n’est pas tout à
fait moi qui parle et, du coup, il est plus facile
d’expliquer les liens entre la vie et le travail.
Cela n’a pas été un choix si clair, j’ai réécrit
une bonne partie des entretiens que nous
avions faits avec François, et une sorte de
fiction a commencé à se tracer par elle-même.
Une idée un peu imprévue a surgi, l’idée que la
vie entre toujours dans l’art et vient y faire des
irruptions inséparables, que tout se mélange.
En travaillant à cette B.D., je me suis aperçue
que finalement pas mal de blessures venaient
construire mes pièces. Je ne crois pas que j’en
étais à ce point consciente.
à qui appartient-il de parler de l’art ? En fait,
je suis partie d’un texte dont m’avait parlé
Stanislas Nordey il y a assez longtemps (texte
qu’il a aussi utilisé dans un spectacle avec les
comédiens de l’école du Théâtre national de
Bretagne) et qui est un texte de Julian Beck
paru dans son livre La Vie du théâtre. Ecrit en
1963, c’est un texte de questions adressées
au public. Le texte commence comme cela :
« Pourquoi vas-tu au théâtre ? Est-il important
d’aller au théâtre ? » Pour moi, c’est un texte
manifeste sur la posture du spectateur face à
l’artiste mais aussi sur la responsabilité qui
est celle de l’artiste de ne pas s’approprier à
lui seul les questions de la scène et de l’art.
C’est un texte qui dit l’importance du théâtre,
du spectacle dans la vie des gens. Je pense que
ce sont des questions d’aujourd’hui, surtout
maintenant que les gens ont tendance à aller
moins au spectacle.
Vous avez travaillé avec plasticiens, écrivains,
musiciens. C’est la première fois que vous
travaillez avec un dessinateur. Comment
allez-vous faire pour Qu’est-ce qui nous
arrive ?!? Allez-vous vous inspirer des dessins
pour écrire la danse ?
Je voudrais sortir de la traditionnelle rencontre
dessin, danse et improvisation. Je voudrais
faire une vraie pièce qui aborde un sujet assez
précis. La pièce parle du statut des amateurs
et de leur légitimité à parler de l’art. Dans
cette pièce, je pose une question du genre :
D’où l’idée de travailler avec des amateurs qui
se réapproprieraient la danse ?
Tout à fait. Thibaut Kaiser, qui m’assiste sur ce
spectacle, a écrit un texte, qui je crois, résume
assez bien les enjeux de Qu’est-ce qui nous
arrive ?!? : « Quelle légitimité avons-nous, nous
amateurs, spectateurs, anonymes, personnes,
individus, seuls ou en groupe, à dire quelque
chose de l’art aujourd’hui ? Notre parole est-elle
aussi légitime que si nous étions des artistes
professionnels, nos gestes sont-ils moins
dansés que si nous étions professionnels ?
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Nous sommes aussi l’histoire de l’art. Nous
sommes la manifestation physique que l’art
existe. Nous manifestons que nous sommes
l’art. Nous manifestons que l’art existe en
nous et en dehors de nous. Et parce que nous
sommes ensemble, nous avons quelque chose
à vous dire de notre mémoire commune d’un
art qui nous appartient autant qu’il appartient
aux artistes. »
Le « problème » du dessin c’est qu’il ne capte
pas la danse en mouvement, pensez-vous écrire
une danse spéciale, arrêtée, figée ?
Je ne suis pas d’accord. Le dessin capte le
mouvement justement, il peut le décomposer,
il montre ce que ne montre pas la photo :
le travail du mouvement. Il montre aussi le
rythme, l’élan, et surtout il montre l’espace
autour du mouvement. Le dessin ne fige pas un
corps, il le montre avec de l’air autour, dans une
scénographie, dans un lieu. Je pense toujours
d’abord le corps dans un espace et jamais le
corps seul ; en ce sens, le dessin me donne toute
satisfaction. Et puis, il y a la part de la légèreté
jamais tout à fait sérieuse et la part de l’humour
lié à l’univers de la B.D., un décalage incessant,
une vision du monde de côté.
Comment allez-vous travailler avec les
amateurs ?
Les amateurs racontent dans le spectacle
leur première rencontre avec la danse ou
la scène (ce sont souvent des souvenirs
d’enfance) – expérience que finalement tout
spectateur a vécu aussi –, en ce sens, il y a un
rapprochement entre ce que les amateurs
racontent et ce que le public a vécu, une
identification. C’est une pièce assez proche
dans son thème de ma pièce Publique,
une danse de l’intime sauf que, cette fois,
ce sont des amateurs qui cherchent dans
leur mémoire quelque chose de perdu, un
souvenir qu’ils ont enfoui de leur expérience
de danseur. C’est aussi une pièce en miroir à
Objets retrouvés, pièce que j’ai créée récemment
pour le ballet de Lorraine sur le répertoire
commun des danseurs de cette compagnie.
Pour la scénographie et les objets, j’ai fait
appel à Annie Tolleter qui a construit des
maquettes de théâtre magnifiques et, encore
une fois, c’est , pour ce spectacle, un travail de
groupe avec mon équipe : I-Fang Lin, Thibaut
Kaiser, Thierry Cabrera, Marc Coudrais,
Olivier Renouf, Jean-Christophe Minart. C’est
vraiment un spectacle collectif et du collectif.
Entretien réalisé par Stéphane Bouquet
— juin 2013
biographies
Venue à la danse tardivement, Mathilde Monnier s’intéresse à la chorégraphie dès 1984. Ses
questionnements artistiques sont liés à des problématiques d’écriture du mouvement en lien
avec des questions plus larges comme « l’en commun », le rapport à la musique, la mémoire. Sa
nomination à la tête du Centre chorégraphique national de Montpellier Languedoc-Roussillon
en 1994 marque le début d’une période d’ouverture vers d’autres champs artistiques ainsi qu’une
réflexion en acte sur la direction d’un lieu institutionnel et son partage. Elle alterne la création de
projets qu’elle signe seule avec des projets en cosignature, rencontrant différentes personnalités
du monde de l’art : Philippe Katerine, Christine Angot, La Ribot, Heiner Goebbels…
Jeune dessinateur féru de spectacle vivant, François Olislaeger a tenu sur le web de 2008 à
2012 un journal de bord graphique du Festival d’Avignon, Carnets d’Avignon, à présent publié chez
Actes Sud. Bédéiste mais aussi illustrateur pour Le Monde, Les Inrockuptibles ou Libération, Le Soir
en Belgique et Le Temps en Suisse, il a participé à des expositions telles que « La ville dessinée »
à la Cité de l’architecture et du patrimoine avec une fresque sur l’histoire de la B.D. ou « 2062 »
à la Gaîté-Lyrique. Son trait au graphisme épuré et ses explosions de couleurs et de fantaisie en
font un témoin sensible, comme le montre l’album Mathilde. Danser après tout, autant qu’un
observateur à l’humour aiguisé et un créateur aussi surprenant qu’inclassable.
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