Dossier La planétologie La planétologie : la quête des origines Photo prise par la sonde Galileo de la surface de Europa, lune de Jupiter. Sous la surface glacée se trouve un océan d’eau liquide. © Galileo propject, JPL, NASA, retravaillée par Ted Stryk Les sondes envoyées à la rencontre des planètes du système solaire bouleversent notre vision de l’histoire de la Terre et de l’origine de la vie. D epuis l’antiquité, philosophes et scientifiques ont scruté le ciel, directement ou indirectement, animés par la question de notre place dans l’univers. L’invention de la lunette astronomique et la découverte des lunes de Jupiter par Galilée en 1610 annonçaient une ère nouvelle, où la combinaison d’observations et d’études théoriques permettait de repousser les limites de nos connaissances. Cependant, malgré des télescopes de plus en plus puissants, les planètes et leurs satellites sont longtemps restés des objets mystérieux et lointains. Cette situation a brusquement évolué dans la seconde moitié du XXe siècle, avec le développement de sondes capables de voyager à travers l’espace interplanétaire, pour scruter de près nos voisins célestes. Le début des années soixante a vu les premiers survols de Vénus et depuis cette date une centaine de missions spatiales ont été envoyées vers les principaux corps du système solaire, de Mercure à Neptune. 4 PAUL SABATIER f é v r i e r 2 0 1 2 Un essor sans précédent Au cours des dix dernières années, l’exploration du système solaire a connu un essor sans précédent, avec des orbiteurs et atterrisseurs de plus en plus perfectionnés envoyés vers Mars, Vénus et Saturne, sans oublier notre propre Lune. Cette période, intense et riche en données scientifiques, a permis de réaliser d’immenses progrès dans notre perception de l’origine et de l’évolution du système solaire et des objets qui le constituent. Depuis une vision nouvelle de l’histoire de l’eau à la surface de Mars, jusqu’à la découverte de paysages étrangement familiers sur Titan, lune glacée de Saturne dont la surface est façonnée par des pluies de méthane. Des équipes techniques et scientifiques de l’Observatoire Midi-Pyrénées ont participé activement à un très grand nombre de ces aventures à dimension internationale en se trouvant en première ligne, que ce soit dans la conception, Michael Toplis, directeur de recherche CNRS et Pierre-Louis Blelly, directeur de recherche CNRS, à l’Institut de recherche en astrophysique et planétologie (IRAP, unité mixte UPS/CNRS) u Contacts [email protected] & [email protected] La planétologie dans la construction d’instruments embarqués, ou bien dans l’exploitation scientifique des données acquises par les instruments. Ces nombreux succès ont été le fruit de collaborations efficaces, non seulement entre équipes techniques et scientifiques, mais également entre chercheurs de disciplines différentes. En effet, la planétologie est une science pluridisciplinaire par excellence depuis ses débuts, quand astronomes, mathématiciens et physiciens perçaient les mystères des mouvements des astres dans le ciel. Ce caractère pluridisciplinaire s’est renforcé avec l’ère spatiale et la nécessité de développer une ingénierie de pointe capable de répondre aux contraintes de la mesure toujours plus précise dans les environnements extrêmes. Par ailleurs, les questionnements scientifiques posés par cette exploration planétaire ont suscité un dialogue croissant entre planétologues, géophysiciens et géologues. Pluridisciplinarité Peut-être plus qu’ailleurs, la planétologie à Toulouse s’inscrit totalement dans cette démarche, caractérisée à la fois par des liens étroits entre science et instrumentation, et par la constitution d’équipes scientifiques transdisciplinaires, héritage de la création visionnaire, en 1995, du pôle de planétologie à l’Observatoire Midi-Pyrénées. Le rapprochement de spécialistes de différents laboratoires a été une initiative déterminante dans la création du groupe Géophysique planétaire et plasmas spatiaux (GPPS) au sein du nouvel Institut de recherche en astrophysique et planétologie (IRAP), créé en janvier 2011. Le groupe GPPS est riche d’une centaine de chercheurs, ingénieurs, doctorants et post-docs et il bénéficie de liens forts avec le CNES. Comme ce dossier l’illustre bien, les membres du groupe s’intéressent à l’ensemble des enveloppes planétaires, des plus internes (noyau/manteau), aux plus externes (magnétosphère/ionosphère), cherchant à comprendre les processus physiques et chimiques à l’œuvre. La constitution du groupe GPPS ouvre la voie à une vision intégrée des corps planétaires, qui permettra de reconstruire leur histoire géologique, mettant ainsi en avant la grande variété des spécificités de chaque objet, et contribuant dès lors à une meilleure compréhension de l’histoire du système solaire dans son ensemble. Les formations associées : Les recherches en planétologie couvrent un large panel de compétences allant de la conception et la réalisation de l’instrumentation spatiale, au déploiement et l’entretien de réseaux de sismomètres, en passant par la réalisation d’expériences de laboratoire et le développement de modèles et de simulations numériques dans les domaines aussi divers que la thermodynamique, les interactions rayonnement-matière, la physique des plasmas et la dynamique des fluides d’intérêt géophysique en général. Sur Toulouse, un grand nombre de formations permettent d’accéder à ces compétences, en particulier les Masters de recherche en Sciences de la Terre et en astrophysique (M2R STPS et M2R ASEP), le Master Pro Techniques spatiales et instrumentation, ainsi que la formation assurée par le département « mesures physiques » de l’IUT. Huygens autour de Saturne ; Cluster qui étudie l’interaction du vent solaire avec la magnétosphère terrestre, ou les missions américaines et européennes vers Mars (Mars Odyssey, Mars Exploration Rovers, Mars Express), devrait faire place à un avenir tout aussi prometteur. En effet, de nombreux projets d’envergure sont engagés pour les années à venir, dans lesquels notre contribution instrumentale est importante : la mission Mars Science Laboratory de la NASA lancée en décembre 2011, la mission MAVEN qui va partir vers Mars en 2013, la mission BepiColombo de l’agence spatiale européenne (ESA) qui va partir vers Mercure en 2017 ou la mission Solar Orbiter de l’ESA prévue pour un lancement vers le soleil en 2017. Le groupe participe également à la préparation d’autres missions ambitieuses, en particulier vers les lunes de Jupiter (mission JUICE de l’ESA) et l’envoi du premier sismomètre vers Mars (mission InSight de la NASA). Difficile de prévoir de quoi sera fait l’avenir, car; aujourd’hui encore, la découverte de nombreuses planètes autour d’autres étoiles et l’éternelle question de l’origine de la vie font que la planétologie se diversifie, tissant des liens nouveaux avec d’autres disciplines, de l’astrophysique à la biologie. Le brassage d’idées et de cultures scientifiques est plus que jamais nécessaire pour explorer le contexte de notre planète et la vie qui y est apparue. ■ Les principaux corps du système solaire : les planètes, la Lune, les astéroïdes et les comètes. © NASA Missions Cette décennie, riche d’une récolte exceptionnelle de résultats pour les équipes toulousaines, par exemple la mission Cassini/ f é v r i e r 2 0 1 2 PAUL SABATIER 5 Dossier La planétologie Intérieurs planétaires L’écoute du bruit sismique a dévoilé la structure interne de notre planète. Une méthode que l’on commence à appliquer aux autres planètes… planètes où l’absence de tectonique risque de priver les sismologues de séisme. Des grains de fer de taille différente Vue d’artiste de l’atterrisseur du projet de mission NASA « InSight » (responsables à l’IRAP : R.F. Garcia et B. Dubois, © JPL/NASA) L ’échographie est bien connue dans le domaine médical. Les sismologues utilisent la même technique pour imager les entrailles de la Terre. En effet, les tremblements de Terre sont la source d’ondes élastiques qui se propagent partout à l’intérieur de la planète, se réfléchissent sur les interfaces et voyagent à des vitesses qui dépendent de la température et des propriétés physiques du milieu traversé. En écoutant un grand nombre de séismes en différents points du globe on parvient à identifier les structures internes de la Terre. Résolution spectaculaire Les recherches en sismologie connaissent actuellement un développement rapide avec en particulier l’utilisation de réseaux sismologiques denses. Ces outils permettent d’utiliser le bruit de fond micro-sismique pour réaliser des images d’une résolution spectaculaire. Par exemple, l’expérience PYROPE (PYRenean Observational Portable Experiment) déploie depuis la fin de 2010 un réseau dense de stations sur le sudouest de la France. Ce projet franco-espagnol regroupant plus de 25 chercheurs (géologues et géophysiciens) de sept instituts différents vise l’étude multidisciplinaire d’une chaîne de montagne complète, les Pyrénées, une première mondiale. Le développement de ces techniques devient un atout essentiel pour ausculter les 6 PAUL SABATIER f é v r i e r 2 0 1 2 Ces techniques permettent de sonder des zones beaucoup plus profondes de la Terre. Par exemple, le noyau de fer, enfoui sous 2 880 km de manteau rocheux. La partie externe de ce noyau est liquide, mais la partie interne, qu’on appelle la graine est cristallisée. Cette graine de 1 220 km de rayon passait pour un des objets les plus tranquilles de la Terre, mais la sensibilité des réseaux sismiques et l’analyse des signaux ont révélé une structure asymétrique, avec un côté (situé sous l’Indonésie) dans lequel les ondes sismiques se propagent plus rapidement que dans le côté opposé (situé sous le Pérou). Des calculs montrent que cette variation peut s’expliquer par des tailles de grains de fer différentes entre les deux hémisphères, mais restait à expliquer pourquoi. En 2010, les chercheurs de l’IRAP ont montré que sous certaines conditions, la graine peut être gravitationnellement instable, donnant lieu à un mouvement de translation continu. Ce déplacement implique la cristallisation sur une face et la fusion sur la face opposée, l’asymétrie de taille des grains de fer étant simplement dû au fait que ces derniers grossissent au cours de leur transit à travers la graine. La graine, une véritable fonderie à plus de 5 000 km sous nos pieds ! Regarder à l’intérieur des autres planètes Les autres planètes ont-elles aussi une graine ? Ont-elles même un noyau et de quelle taille ? Parfois, l’analyse fine des orbites des sondes spatiales permet d’obtenir quelques informations, mais cette source de données a ses limites. Pour la Lune, l’existence d’un noyau est une question qui vient tout juste d’être résolue, grâce à une étude récente conduite par les sismologues de l’IRAP en collaboration avec l’IPGP de Paris. Ces travaux ont permis de détecter, dans les données sismologiques des missions Apollo vieilles de 40 ans, des ondes réfléchies sur le noyau de la Lune et de quantifier le rayon du noyau de 380 km. Cet éclairage sur la structure interne de la Lune permet de mieux cerner les conditions de l’impact géant qui a formé le système TerreLune et la composition de notre planète et de son satellite. Dans le cas de Mars, les données orbitales indiquent que la Planète Rouge possède un noyau, mais on ne connaît ni sa densité ni sa taille avec précision. Pour répondre à ces questions les équipes scientifiques et techniques de l’IRAP et de l’OMP sont impliquées dans le projet de mission NASA « InSight » visant à déployer un capteur sismologique à la surface de Mars. Ce capteur permettra d’avoir une première estimation de la sismicité et de la structure interne de Mars. Et pourquoi pas, de visualiser pour la première fois son noyau… ■ Schéma représentant le modèle de croissance de la graine. La graine est dans un régime dynamique instable et une hétérogénéité de température entre les 2 hémisphères induit un décalage du centre de masse. La cristallisation à la surface du côté dense et froid et la fusion de l’autre côté tendent à amplifier l’hétérogénéité de densité initiale. Il en résulte un mouvement de translation permanent de la graine avec des grains jeunes et petits d’un côté et des grains vieux et gros de l’autre. Raphaël F. Garcia, maître de conférences et Marie Calvet, physicienne-adjointe à l’Institut d’astrophysique et de planétologie (IRAP, unité mixte UPS/CNRS) u Contacts [email protected] & [email protected] La planétologie Les volcans de Mars sont-ils toujours actifs ? Grâce à l’exploration spatiale, l’étude de la morphologie, de la minéralogie et de la composition des roches martiennes permet de reconstruire l’histoire géologique de la Planète Rouge. S ur des corps planétaires de la taille de la Terre, Mars ou la Lune, des grands mouvements internes donnent lieu à la fusion des roches en profondeur. Ces liquides magmatiques peuvent à leur tour atteindre la surface, formant des coulées de laves et des volcans. À l’Observatoire Midi Pyrénées, où géologues, géophysiciens, géochimistes et planétologues impliqués dans les missions spatiales se rencontrent, les dix dernières années ont vu une véritable révolution, tant par la quantité que par la qualité des données disponibles. La planète Mars a été au coeur de ces activités, à travers de nombreuses participations à des missions européennes et américaines. Les données d’imagerie HRSC (High-ResolutionStereo-Camera) à bord la sonde Mars Express de l’ESA ont largement bouleversé notre vision de l’histoire volcanique martienne. Parmi les découvertes, des chercheurs toulousains ont contribué à la mise en évidence d’une grande province volcanique (Central Elysium Planitia, analogue à la « Snake River Plain » aux Etats-Unis) où le volcanisme a été très actif sur les derniers 200 millions d’années, voire beaucoup plus récemment par endroits. À l’échelle de l’histoire du système so- laire de tels âges sont extrêmement récents, ce qui laisse ouverte la possibilité que le volcanisme martien ne soit pas totalement éteint Points chauds Les données orbitales offrent aussi la possibilité de mettre en évidence la présence de certains minéraux qui cristallisent dans les laves, grâce à l’imagerie hyperspectrale (ou spectro-imagerie) dans le domaine visible et proche infrarouge. Cependant, la détection de l’ensemble des minéraux est un problème complexe et un défi pour la communauté internationale, car la signature spectroscopique de certains minéraux peut masquer celle d’autres tout aussi importants. En mettant au point une méthode d’inversion numérique validée en laboratoire, la présence régionale du minéral olivine dans les laves situées dans la partie centrale d’un large édifice volcanique ancien, dénommé Syrtis Major, a pu ainsi être établie à partir des données de l’instrument OMEGA à bord de Mars Express. La présence d’olivine est caractéristique de liquides basaltiques issus d’un large degré de fusion partielle du manteau, et évoque sur Terre des contextes de points chauds tels que l’Islande ou Hawaii. Les globes martiens illustrent la position de 12 grandes provinces volcaniques, 6 d’entre elles sont jeunes (en rouge), et 6 autres ont un âge supérieur à 3.6 milliards d’années. C’est à partir des ces provinces et de concentrations en fer, silice et thorium des roches volcaniques que le refroidissement de l’intérieur de la planète rouge au cours du temps a pu être mis en évidence. David Baratoux, maître de conférences UPS et Patrick Pinet, directeur de recherche CNRS, chercheurs à l’Institut d’astrophysique et de planétologie (IRAP, unité mixte UPS/ CNRS) Mars se refroidit moins vite Concernant la chimie de ces mêmes roches volcaniques, plusieurs chercheurs toulousains sont impliqués dans l’analyse des données du Gamma Ray Spectrometer à bord de la sonde Mars Odyssey de la NASA, avec l’objectif de produire et d’analyser des cartes de l’abondance de plusieurs éléments chimiques sur une grande partie de la surface de Mars. Parmi ces éléments, le fer, la silice et le thorium sont particulièrement sensibles aux conditions de formation des magmas. À partir des ces trois éléments, et pour 12 provinces volcaniques d’âges différents, il a été possible de retracer l’évolution de la température du manteau martien sur 3 milliards d’années. Il apparaît alors que Mars se refroidit bien moins vite que la Terre, une différence notable probablement liée à la tectonique des plaques sur Terre. Ce travail offre un cadre solide pour comprendre les évolutions minéralogiques révélées par la spectro-imagerie orbitale ainsi que la persistance d’une activité volcanique jusqu’à nos jours évoquée ci-dessus. ■ u Contacts [email protected] & [email protected] f é v r i e r 2 0 1 2 PAUL SABATIER 7 Dossier La planétologie De l’eau sur d’autres planètes ? L’observation de la minéralogie des surfaces planétaires, associée à des expérimentations de laboratoire et à la modélisation thermocinétique, peut apporter de précieux renseignements sur la présence d’eau à des époques lointaines. Ces travaux sont possibles dans le cas de Mars mais plus difficile dans le cas de Venus, deux planètes proches ayant connu des atmosphères plus ou moins agressives. Représentation du Rover Curiosity (mission MSL) en action sur Mars, avec un tir laser de ChemCam en premier plan. ©NASA/JPL-Caltech D ans le cas de Mars, les indices de la présence d’eau sont nombreux. La spectroscopie et imagerie orbitale ont permis de définir trois grands ensembles géomorphologiques qui semblent, sur la base de leur minéralogie, associés à des conditions de surface bien distinctes. Sur les terrains de l’époque la plus ancienne (le Noachien) il existait effectivement un environnement humide de type terrestre. Puis les fluides de surface se sont enrichis en soufre (l’époque Hesperienne). Depuis à peu près 3 milliards d’années, les sols se sont asséchés, refroidis et oxydés (l’époque Amazonienne). Les progrès de l’exploration au sol, avec des rovers de plus en plus mobiles et de mieux en mieux équipés, ont permis d’obtenir des informations bien plus précises sur la composition chimique et minéralogique des sites d’atterrissage. Grâce aux données obtenues sur les roches très riches en sulfate, analysées à Meridiani Planum par le rover Opportunity de la NASA, les chercheurs de l’Observatoire Midi-Pyrénées ont abordé la question de l’altération Hesperienne sous un angle de géochimie plus globale. Sur la base de modélisations numériques des interactions fluide-roche, il a été démontré que la formation de ces roches a nécessité une très forte acidité, mais très peu d’eau et des temps d’altération extrêmement courts à l’échelle géologique. Eau en abondance L’attention de la communauté scientifique se focalise maintenant sur les périodes plus anciennes de Mars, quand l’eau se trouvait en abondance. Ces conditions clémentes ont pu permettre l’émergence d’organismes vivants, une hypothèse qui a guidé le choix du site d’étude et l’équipement du robot Curiosity de la NASA (dont l’arrivée sur Mars est prévue en août 2012) sur lequel est embarqué, parmi d’autres instruments, la sonde laser ChemCam développée à l’IRAP et le CNES à Toulouse en partenariat avec le LANL aux USA. Les microanalyses chimiques par spectroscopie laser réalisées par ChemCam à des distances allant jusqu’à 7 m du rover vont permettre l’étude de la minéralogie à la surface de Mars à l’échelle infra millimétrique. En raison de la courte durée de l’analyse (quelques secondes) et sa capacité à mesurer loin du rover ChemCam sera également un éclaireur pour les autres instruments équipant Curiosity. Les minéraux argileux seront des cibles privilégiées d’étude, car ils sont sans doute propices à un début de colonisation de la vie, notamment en préservant des conditions favorables avant que l’arrivée de soufre ait généré des acides bien plus forts qu’H2CO3. Volcanisme intense Le cas de Venus s’avère plus difficile à étudier. L’atmosphère dense riche en gaz carbonique, les nuages d’altitude et les conditions thermiques au sol (470 °C) rendent son observation depuis l’espace très difficile, tout autant que son exploration au sol où la durée de vie des instruments n’excède pas 3 heures. On sait néanmoins que sa surface est modelée par un volcanisme intense et qu’il existe une chimie du soufre atmosphérique complexe. Les rares observations faites au sol par les missions russes Venera suggèrent des Olivier Gasnault, chargé de recherche CNRS et Gilles Berger, directeur de recherche CNRS, à l’Institut de recherche en astrophysique et planétologie de Toulouse (IRAP, unité mixte UPS/CNRS) u Contacts [email protected] & [email protected] phénomènes d’altération. La question de l’existence de minéraux hydratés en surface renvoie au contrôle du cycle de l’eau mais l’atmosphère sèche de Vénus soulève des questions chimiques élémentaires. Ces questions sont abordées à l’IRAP à l’aide d’une chambre expérimentale reproduisant les conditions de la surface de Vénus. Cette enceinte permet aujourd’hui de reproduire l’interaction basalte-atmosphère, et à terme de permettre l’analyse in situ des roches altérées par spectrométrie laser LIBS et Raman, instruments proposés par l’IRAP à l’embarquement dans une possible future mission spatiale NASA (SAGE). ■ Infos en 8 PAUL SABATIER f é v r i e r 2 0 1 2 www.msl-chemcam.fr a La planétologie Environnements ionisés des planètes telluriques Le vent solaire qui balaie les planètes telluriques leur dérobe de la matière : gaz, poussières, ou même l’eau qu’elles ont pu abriter… U n vent froid, dense, qui se déplace à environ 1,5 millions de km/h : le vent solaire, un plasma constitué de particules chargées émis depuis la couronne solaire, balaie les planètes telluriques avec violence. Mais toutes ne réagissent pas de la même manière. À la différence de la Terre, les planètes sans champ magnétique intrinsèque comme Mars et Vénus sont soumises à son influence directe. Mars et Vénus possèdent une atmosphère et leur interaction avec le vent solaire produit une queue magnétosphérique induite, étendue, comme celle observées à l’arrière des comètes. Les atmosphères de Mars et Vénus sont ainsi soumises à une érosion intense au contact du vent solaire. Les modèles prédisent un effet cumulé très important à l’échelle du milliard d’années, potentiellement capable de dissiper une atmosphère primitive dense, nécessaire au maintient de l’eau sous forme liquide. Le cas de Mercure est différent puisque cette planète possède un champ magnétique intrinsèque mais n’a pas d’atmosphère notable. Son interaction avec le plasma environnant provoque une érosion des matériaux de sa surface, au contact du milieu solaire pour produire l’exosphère de la planète. Echappements des matériels planétaires L’IRAP a construit, en coopération avec l’institut spatial de Kiruna en Suède, les spectromètres de masse qui, placés à bord des premières missions planétaires européennes Mars Express (MEX) Flux des ions hydrogène solaires au voisinage de Vénus. La zone d’exclusion correspond à la magnétosphère de la planète induite par le drapé du champ magnétique interplanétaire autour de l’ionosphère conductrice. et Venus Express (VEX), permettent actuellement de quantifier les échappements de matériels planétaires. Contrairement aux prédictions, les mesures de MEX montrent que si les échappements de l’atmosphère martienne sont importants (1,2 1 024 ions/s, en minimum d’activité solaire), ils ne peuvent probablement pas expliquer la disparition des océans primitifs de Mars. En effet, même en tenant compte de l’évolution du soleil et des flux UV et particulaires reçus par Mars depuis plusieurs milliards d’années, l’effet cumulé du soleil, calculé à partir des données de Mars Express et de l’observation de « soleils jeunes », ne peut être à l’origine que de la disparition de quelques centimètres d’eau de la surface de la planète. D’autres phénomènes doivent être invoqués (échappements à très basse énergie par exemple, événement cataclysmique…). À moins que l’eau ne soit enfouie dans des réservoirs qui restent à découvrir… En ce qui concerne Vénus, la mission Venus Express a permis la première estimation de l’érosion de l’atmosphère en période de minimum d’activité solaire. Le flux des ions d’énergie comprise entre 10 eV et 25 000 eV qui s’échappent a été mesuré pour l’hydrogène et pour l’oxygène. Ces taux sont dans un rapport voisin de 2, ce qui indique que la surface de la planète ne s’oxyde plus ou peu. Ils sont très voisins des taux estimés auparavant en période de forte activité solaire par la mission américaine Pionner Venus. Ceci montre que les pertes atmosphériques de Vénus ne dépendent que faiblement de l’activité solaire. Flux des ions planétaires oxygène s’échappant de Vénus. Jean André Sauvaud, directeur de recherche CNRS et Andrei Fedorov, ingénieur de recherche CNRS, à l’Institut de recherche en astrophysique et planétologie de Toulouse (IRAP, unité mixte UPS/CNRS) u Contacts [email protected] & [email protected] Atomes accélérés Les mécanismes physiques responsables de l’échappement du matériel planétaire et de son accélération ont pu être cernés. Les études en cours des différentes régions de l’environnement de ces planètes révèlent que le mécanisme d’accélération principal est lié à la forte tension magnétique régnant dans la région antisolaire de la queue magnétique induite de la planète ainsi qu’à à un champ électrique de polarisation. Dans une seconde région plus externe, les ions sont accélérés par le champ électrique interplanétaire et un champ électrique de séparation de charge. Ainsi les atomes de l’exosphère ionisés par impact du vent solaire sont accélérés par le champ électrique interplanétaire. A partir de 2014, les chercheurs de l’IRAP disposeront des données de la mission américaine MAVEN pour laquelle ils ont fourni un spectromètre d’électrons. MAVEN (Mars Atmosphere and Volatile EvolutioN) a pour objectif d’étudier les mécanismes à l’origine de la disparition de l’atmosphère de la planète Mars. Le lancement de la sonde est planifié pour fin 2013. Par ailleurs, l’IRAP fournit des instruments pour la première mission européenne d’exploration de Mercure, BepiColombo qui sera lancée en 2014. Lors de l’arrivée autour de Mercure, en 2020, elle subira des températures atteignant 350 °C et fournira des données pendant 1 an, avec une extension possible d’une année supplémentaire. BepiColombo est une mission coordonnée entre l’ESA et agence spatiale japonaise JAXA. L’IRAP participe aussi aux groupes scientifiques chargés de la préparation de la mission et de la simulation numérique de l’environnement de Mercure. ■ f é v r i e r 2 0 1 2 PAUL SABATIER 9 Dossier La planétologie Plongée dans l’environnement des planètes géantes Le système de Saturne et ses principales composantes observés par les instruments de la mission Cassini-Huygens haut à gauche: émissions aurorales et infrarouges dans la haute-atmosphère de Saturne; à droite: plume de gaz neutre éjecté par Encelade. En bas à gauche: émissions en atomes énergétiques neutres de Titan; milieu: Titan; à droite: représentation imagée de la magnétosphère de Saturne. © NASA/JPL D es environnements constituent des cibles privilégiées d’exploration pour les missions spatiales : le système de Saturne est étudié depuis juin 2004 (et jusqu’en 2017) par la mission NASA/ESA Cassini-Huygens, la mission américaine Juno se mettra en orbite polaire autour de Jupiter en 2016, tandis que la mission européenne JUICE (JUpiter ICy Moon Explorer) est à l’étude pour un lancement en 2022. Magnétosphères instables Dans les magnétosphères des planètes géantes, les sources de plasma sont très abondantes et variées, d’origine essentiellement interne au système, à l’inverse du cas terrestre où l’importance des sources externe (vent solaire) et interne (ionosphère) est comparable. Les magnétosphères des planètes géantes sont structurées en différentes régions et composées de plasmas de différentes caractéristiques et origines. Le couplage entre les différentes régions, notamment à leur interface, est à l’origine de la dynamique de ces magnétosphères. Un des problèmes clés de la physique magnétosphérique à Jupiter et Saturne est ainsi de comprendre comment des plasmas créés dans le vent solaire, dans la haute atmosphère des planètes, et surtout par leurs lunes, tout particulièrement Io à Jupiter et Encelade à Saturne, alimentent l’ensemble de la cavité magnétique, diffusent radialement, sont accélérés et finalement recombinent. En s’appuyant sur les données de Cassini, les équipes de l’IRAP ont mis en évidence le rôle de l’instabilité d’échange dans le transport radial du plasma. Cette instabilité centrifuge, dont la pré- 10 PAUL SABATIER f é v r i e r 2 0 1 2 Jupiter et Saturne ont des environnements planétaires complexes, multiphases, dans lesquels les composantes du système planétaire (surfaces solides des anneaux et des lunes, gaz neutres atmosphériques, particules chargées et populations de plasma piégées par le champ magnétique de la planète) sont en étroites interactions. Un vrai défi pour les scientifiques. sence était anticipée dans les magnétosphères en rotation rapide des planètes géantes, est l’équivalente de l’instabilité convective, de type Rayleigh-Taylor, qui conditionne le mélange des couches adjacentes dans les atmosphères planétaires en présence de gravité. Les secrets de Titan Découverte par l’astronome hollandais Huygens au XVIIe siècle, Titan est un satellite de Saturne, unique dans notre système solaire. Par sa grande taille d’une part, avec un diamètre supérieur à celui de la planète Mercure. Par son atmosphère d’autre part, la plus dense parmi les satellites connus avec une pression à la surface 1,5 fois supérieure à celle de notre planète Terre. La mission Cassini-Huygens a révélé de nombreux secrets, en particulier sur le cycle du méthane, dont la présence sous les formes gazeuse, liquide et solide crée un cycle similaire à celui de l’eau sur la Terre. Par ailleurs, l’atmosphère de Titan est caractérisée par une chimie complexe entre hydrocarbures et nitriles qui en fait une véritable usine à molécules organiques lourdes, prémices des blocs à l’origine de la vie. Les équipes de l’IRAP ont montré que l’interaction entre Titan et le plasma du système de Saturne induit un chauffage de la haute atmosphère de Titan amenant à un échappement important, génère des atomes énergétiques neutres imagés comme des photons par l’instrument INCA, ionise l’atmosphère neutre initiant ainsi la chimie complexe précitée, et force l’entrée du champ magnétique saturnien que Titan garde ainsi en « mémoire » dans l’ionosphère. Mini-magnétosphère Enfin, il faut citer la mission américaine Galileo qui a permis de découvrir en 1996 que Ganymède, le plus grand satellite naturel du système solaire, possède son propre champ magnétique, et donc forme une mini-magnétosphère contenue dans la magnétosphère géante de Jupiter. Les équipes de l’IRAP développent actuellement des modèles numériques pour caractériser les populations de particules chargées présentes dans cette mini-magnétosphère et concevoir ensuite des instruments de mesure qui seraient proposés sur la future mission JUICE. ■ Philippe Garnier, maître de conférences UPS et Nicolas André, chargé de recherche au CNRS, chercheurs à l’Institut de recherche en astrophysique et planétologie (IRAP, unité mixte UPS/CNRS).a u Contacts [email protected] & [email protected] La planétologie Météorologie de l’espace Prévoir les orages magnétiques en provenance du Soleil permet de se prémunir contre leurs effets délétères sur les systèmes électriques et de communication terrestres. Tâches solaires Les tâches solaires correspondent à des zones aux travers desquelles des éruptions de particules et de flux magnétique ont lieu. Les particules ainsi éjectées emportent un champ magnétique intense et se propagent dans l’héliosphère pour former des bulles de plusieurs milliards de tonnes de plasma – appelées « éjection de masse coronale » – dont les dimensions peuvent être de l’ordre de la moitié de la distance Soleil-Terre, ou plus au-delà de l’orbite terrestre. Le Soleil est caractérisé par un cycle d’activité d’environ 11 ans. Depuis environ 4 siècles, l’indicateur le plus utilisé pour quantifier cette activité est le nombre de « tâches solaires » observées à sa surface Perturbations terrestres Les orages géomagnétiques déclenchés par les éjections de masse coronale engendrent des perturbations très importantes au voisinage de la Terre, de la magnétosphère à l’ionosphère et jusqu’au sol. Ils provoquent des dégradations ou des coupures des systèmes de communications, des black-out électriques sur des régions très vastes, des dysfonctionnements du système GPS, impact sur l’aviation civile et militaire et sur les satellites et les hommes dans l’espace. Les capacités prédictives de ces phénomènes sont directement dépendantes de notre com- préhension physique de la chaine de processus qui régit l’interaction Soleil-Terre. Les activités du groupe GPPS de l’IRAP sont donc largement centrées sur l’étude des processus plasmas fondamentaux se produisant dans l’environnement terrestre proche, tels que la reconnexion magnétique, les chocs, la turbulence, et autres mécanismes d’accélération des particules générant entre autres les aurores boréales. Cette thématique de prédiction des conditions dans l’environnement terrestre, mais également au niveau des autres planètes du système solaire en fonction de l’activité solaire est appelée « météorologie de l’espace », une discipline en plein essor. Ces études mobilisent des approches diverses, allant de la théorie et la modélisation, jusqu’aux observations. Le groupe GPPS est fortement investi dans tous ces domaines, et en particulier dans l’instrumentation. Ont été ainsi réalisés des instruments de mesure de particules pour de nombreuses missions spatiales passées (Interball, Giotto, Double Star), présentes (Cluster, THEMIS, STEREO, DEMETER) et futures (MMS, Solar Orbiter, Bepi-Colombo, Maven). Mission Stereo En 2006, par exemple, était lancée la mission Stereo. Sa mission : observer l’initiation, la propagation et l’impact de ces structures dans l’héliosphère. Elle comprenait deux satellites Une éjection de masse coronale est représentée se propageant en direction de la Terre, où celle-ci est susceptible de produire de nombreuses perturbations dans l’environnement terrestre (incluant les aurores boréales). Les inserts du haut montrent, respectivement de gauche à droite, une éruption vue dans l’UV, une éruption vue dans le visible à partir d’un coronographe, puis deux images d’aurores dans le visible et l’UV. Benoit Lavraud, chargé de recherche CNRS, et Iannis Dandouras, directeur de recherche CNRS, à l’Institut de recherche en astrophysique et planétologie (IRAP, unité mixte UPS/CNRS) u Contacts [email protected] & [email protected] distants avec des instruments de mesure de particules réalisés dans le groupe GPPS de l’IRAP. Cette capacité d’observation multipoints, combinée à la qualité des mesures in situ et d’imagerie à bord des satellites, nous a permis pour la première fois de suivre ces éjections, sans interruption, depuis leur initiation au Soleil jusqu’à la Terre. Les données de Stereo ont également été utilisées pour démontrer, par exemple, l’ubiquité du processus de reconnexion magnétique dans le vent solaire et la capacité de ce processus à éroder les éjections de masse coronales au cours de leur propagation dans l’héliosphère. L’érosion magnétique ayant lieu à l’avant de ces structures, elle altère le contenu et la quantité de plasma qui interagit ensuite avec la magnétosphère terrestre (produisant orages géomagnétiques et aurores boréales). Outre de tels résultats scientifiques relatifs aux processus d’éjection et d’interaction de ces structures dans l’héliosphère, les travaux menés récemment ont mis en exergue la capacité à surveiller (par imagerie) et ainsi prédire de manière efficace l’arrivée et l’intensité des plus grosses de ces structures à la Terre. Cet important effort dans le développement instrumental s’accompagne d’une activité pour pérenniser et valoriser les masses des données spatiales obtenues, à travers le développement d’outils scientifiques et « d’Observatoires Virtuels » dans le cadre du Centre de Données de la Physique des Plasmas. ■ Infos en www.cdpp.cesr.fr a f é v r i e r 2 0 1 2 PAUL SABATIER 11