Culture Bible / Exposition Sésostris III Premier pharaon divinisé Le Palais des Beaux-Arts de Lille présente à partir du 9 octobre une exposition exceptionnelle consacrée à Sésostris III, un pharaon méconnu dont le règne, révélé par l’archéologie, apparaît comme l’un des plus glorieux, prospère et novateur de l’Égypte ancienne. Par Benoît de Sagazan I l n’a pas la notoriété de Toutankhamon ou de Ramsès II et pourtant ! « Sésostris III » (vers 1872-1854 av. J.-C.), comme le souligne l’intitulé de l’exposition, est réellement un « pharaon de légende ». Pour comprendre l’importance de son règne, il n’est pas totalement absurde de penser à celui de Louis XIV, comme l’autorise l’égyptologue Pierre Tallet dans la biographie qu’il lui consacre (éd. Pygmalion, 2005). Sésostris III serait le Roi-Soleil du Moyen Empire. L’État c’est lui. Il a forgé une administration puissante, jugulé les potentats locaux, conquis des territoires nouveaux, tant au nord qu’au sud, en Nubie, amené la prospérité, suscité une création artistique et favorisé le développement d’une classe moyenne… Un bilan qu’envieraient nombre de gouvernants. Sésostris III Pharaon de légende ➤Du 9 octobre 2014 au 25 janvier 2015 Au Palais des Beaux-Arts Place de la République 59000 Lille. www.pba-lille.fr 104 l Le Monde de la Bible l 210 Mais là où il étonne le plus, c’est sans doute dans la mise en œuvre d’une véritable stratégie de communication, terriblement efficace. Statufié dès son jeune âge, il se façonne une image reconnaissable entre toutes, avec notamment des oreilles exagérément décollées, signifiant son écoute, et un coquillage pendu au cou. Si son corps est toujours représenté jeune et svelte, il n’hésite pas à exhiber parfois des traits de vieillesse. Selon ses effigies, il exprime la force, l’écoute, la vigilance, l’autorité, l’implacabilité… À Médamoud, situé à quelques kilomètres de Karnak, une vingtaine de statues le représentent sous tous ces aspects. Sur le linteau du temple dédié au dieu à tête d’aigle Montou, prêté par le Louvre, Sésostris III est représenté deux fois, jeune et vieux. « La composition de la scène est parfaitement symétrique », font observer les deux commissaires de l’exposition, Guillemette AndreuLanoë, directrice honoraire du département des Antiquités égyptiennes du Louvre, et Fleur Morfoisse, conservateur au Palais des Beaux-Arts de Lille. Textes et iconographie se complètent pour exprimer le souci que le roi a manifesté dès son accession au trône – lorsque son visage était lisse et ses joues pleines –, tout comme la vieil- ... Tête de Sésostris III XIIe dynastie, vers 1872-1854 av. J.-C. Provenance inconnue. Quartzite, H. 45. Kansas City, The Nelson-Atkins Museum of Art. © Kansas City, Nelson-Atkins Museum of Art 105 Culture Bible / Exposition ... lesse venue – ses traits se ridant et ses joues se creusant – de ne jamais cesser de faire offrande au dieu puissant « Montou seigneur de Thèbes ». Ce linteau sculpté en bas-relief présente un Sésostris III de taille égale à celle de Montou, rappelant, en plus du texte, le caractère divin du pharaon. Là aussi, il s’agit d’une première, car nul autre pharaon n’avait été divinisé ni joui d’un culte posthume avant lui. Une société reconnaissante Sésostris III autoritaire et vigilant les mains posées à plat sur son pagne. XIIe dynastie, vers 1872-1854 av. J.-C. Égypte, Deir el-Bahari, complexe funéraire de Montouhotep II. Granodiorite, H. 122 cm. © Londres, The British Museum 106 l Le Monde de la Bible l 210 Ce culte, que lui attribuent les Égyptiens anciens après sa mort, témoigne certainement d’une admiration et d’une reconnaissance pour les bienfaits de son règne. Bienfaits de sa protection militaire et administrative, bienfaits aussi d’un âge d’or synonyme de prospérité générale. Cette prospérité fut favorisée par les conquêtes mais aussi par les intenses relations commerciales et diplomatiques que Sésostris III noue avec ses voisins proches orientaux (lire à ce propos « L’Égypte en terre de Canaan », p. 32-39). Cet âge d’or se lit bien évidemment dans les objets magnifiques et rares présentés à Lille : les conquêtes à travers notamment la collection des objets fouillés à Mirgissa, au Soudan, par l’équipe de l’université de Lille III (objets de la vie quotidienne, armes et mobilier de tombes) et les échanges commerciaux à travers des pièces de choix, tel ce bijou pectoral, de style égyptien trouvé à Byblos, ou cette gouvernante égyptienne découverte à Adana en Turquie. La société, qui se développe sous Sésostris III, voit l’émergence d’une classe moyenne et intellectuelle, favorisée notamment par le recrutement de fonctionnaires et de scribes que nécessitent la réforme de l’État et la mise en place des administrations. La société s’éduque et toute une littérature sapientiale voit le jour, définissant les règles de vie et l’idéal de l’homme sage. « Cette sagesse, explique Fleur Morfoisse, insiste sur une vie qui se conforme à l’ordre, à la justice et à l’équité. Elle propose des règles de vie. Cette littérature sur papyri sera recopiée par les scribes égyptiens jusqu’au début du Ier millénaire. » Culte au dieu des morts Une autre nouveauté du règne est à déceler dans une relation nouvelle que les Égyptiens nouent avec la mort et qui fait l’objet d’une section à part entière dans l’exposition lilloise. En effet le règne de Sésostris III correspond à la formidable montée en puissance du culte voué à Osiris à Abydos où l’arrière-grand-père du pharaon de légende, Sésostris Ier, a fait élever le premier temple. L’arrière-petit-fils lui-même s’est laissé convaincre, semble-t-il, par ce culte au dieu des morts puisqu’il aurait abandonné l’idée de reposer sous sa pyramide déjà construite à cet effet à Dahchour, pour lui préférer un tombeau, creusé dans la roche, près d’Abydos. Là encore « une première » de la part d’un pharaon décidément innovant et visionnaire. « Chacun du plus puissant au plus simple artisan, explique Guillemette Andreu-Lanoë, cherche désormais à se faire une place sous la protection d’Osiris pour gagner un au-delà paisible. On voit autour du sanctuaire se développer une forme de piété populaire, à travers des objets et des stèles sur lesquelles les personnes sont nommées et se placent sous la protection du dieu. » Un des clous de cette section richement documentée est la reconstitution en 3D de la chapelle, à la décoration exceptionnelle, de la tombe du chef de province Djehoutyhotep, située dans la nécropole de Deir el-Bersha et fouillée par l’équipe de Harco Willems, de l’université de Louvain en Belgique. Enfin, le Palais des Beaux-Arts de Lille conclut l’évocation de ce règne par le culte posthume voué à Sésostris III et par la légende qui perpétue sa mémoire. Le visiteur peut mesurer dans cette dernière salle à quel point le « pharaon de légende » mérite son label… Exceptionnelle, cette exposition l’est à plus d’un titre. Par son sujet – on l’a compris – qui révèle au grand public un personnage au règne fondateur dont le rayonnement et l’importance ont pu être récemment reconsidérés. Elle l’est aussi par la qualité des 350 objets présentés à travers Pectoral de style égyptien décoré d’un faucon aux ailes déployées provenant de la nécropole royale de Byblos (Liban). Bronze moyen (2000-1600 av. J.-C.). Tombe royale III. Or, l. 20,5 cm. Paris, musée du Louvre. © 2013 Musée du Louvre/ Christian Descamps ... 107 Culture Bible / Exposition ... des collections lilloises méconnues, le prêt d’une cinquantaine d’œuvres par le musée du Louvre et de 150 autres par une trentaine de musées dans le monde. Le visiteur sera aussi sensible à l’accrochage de photographies grand format, tout au long de l’exposition, des fouilles archéologiques des XIXe et XXe siècles, ainsi que des paysages et des sites évoqués le long du Nil. L’exposition fournit aussi l’excellente occasion d’éditer un ouvrage richement illustré sur l’Égypte de Sésostris III, qui révèle notamment au public les dernières découvertes livrées par les fouilles réalisées à Dahchour et à Abydos où furent trouvés les vestiges d’une pyramide et d’une tombe creusée destinées au pharaon. Une journée d’étude à Lille proposée le 18 octobre, par le Palais des Beaux-Arts de Lille, le musée du Louvre, la Société française d’égyptologie et Le Monde de la Bible s’intéressera également à ce règne fascinant (lire l’encadré ci-contre). D’autre part les passionnés d’égyptologie noteront que cet événement lillois ouvre une saison égyptienne dans le nord de la France, puisque le Louvre-Lens prolonge cette fièvre du Nil avec l’ouverture d’une exposition « Des Animaux et des Pharaons », du 4 décembre au 9 mars 2015, accessible avec un billet combiné. l Journée d’étude l’Égypte de Sésostris III Le Monde de la Bible, le Palais des Beaux-Arts de Lille, le musée du Louvre et la Société française d’égyptologie vous convient à une journée d’étude exceptionnelle à la rencontre de Sésostris III. ➤Le 18 octobre 2014 de 10 h à 18 h 30 À lire aussi Sésostris III Pharaon de légende, éd. Snoeck, 400 p. environ, 39 €. Version numérique du catalogue condensé disponible en version bilingue (français-anglais) sur AppStore et Google Play, 4,99 €. Au Palais des Beaux-Arts, place de la République 59000 Lille. Tarif 20 e * * Le tarif comprend la visite de l’exposition et la journée d’étude sans les frais de transport. Inscription obligatoire avant le 10 octobre au 01 74 31 74 89 ou par mail : [email protected]. Règlement par chèque à l’ordre de Bayard à envoyer à : Le Monde de la Bible – Marie-Paule Pinel – 18, rue Barbès 92128 Montrouge cedex 10 h Accueil et introduction à la visite par les commissaires de l’exposition 10 h 30 Visite guidée de l’exposition 12 h 30 Déjeuner libre 14 h-18 h 30 Conférences l Le début du Moyen Empire, par David Lorand (Université Libre de Bruxelles, Centre de Recherches en Archéologie et Patrimoine) Les tombeaux nomarquaux d’el-Bercheh : iconographie et matériel funéraire, par Marleen de Meyer (Université de Louvain) l Karnak au Moyen Empire, par Luc Gabolde (directeur de recherche au CNRS, Université Paul Valéry-Montpellier III) l Les temples de Tôd, Médamoud et Ermant, l Modèle de barque servant lors d’un enterrement XIIe dynastie, règnes d’Amenemhat II et Sésostris II. vers 1913-1872 av. J.-C. Égypte, Deir el-Bersha. Bois polychrome, L. 77,5 cm. Paris, musée du Louvre. © 2013 Musée du Louvre/Christian Descamps par Lilian Poste (Université Lyon 2, Département d’Histoire de l’Art et d’Archéologie). Relief de la tombe du nomarque Djehoutyhotep II Procession de porteurs d’offrandes. XIIe dynastie, règnes de Sésostris II et Sésostris III. Égypte, Deir el-Bersha, tombe du nomarque Djehoutyhotep II. Calcaire peint, l. 168 cm. © Londres, The British Museum Masque de la dame Ibet. Fin de la XIIe dynastie. Soudan, Mirgissa, tombe 130. Cartonnage polychrome, l. 39 cm. Paris, musée du Louvre. © 2013 Musée du Louvre/Christian Descamps 108 l Le Monde de la Bible l 210 109